Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie (n° 2643) (M. Fabien Roussel, rapporteur) 2
– Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales (n° 2645) (M. Édouard Bénard, rapporteur) 3
– Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur les rapports sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants pour l’exercice 2023 et sur le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 3
– Présences en réunion.................................27
Mercredi
29 mai 2024
Séance de 9 heures 30
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq,
présidente
— 1 —
La réunion commence à neuf heures trente.
La commission examine, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant la prise en charge intégrale des soins liés au traitement du cancer du sein par l’assurance maladie (n° 2643) (M. Fabien Roussel, rapporteur).
La commission a tout d’abord adopté l’amendement AS1 (n° 46) de M. Fabien Roussel, rapporteur, à l’article 1er.
La commission a ensuite accepté les amendements figurant dans le tableau ci‑après (*) :
Auteur |
Groupe |
Place |
|
38 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
39 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
41 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
23 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
42 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
24 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
43 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
25 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
26 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
44 |
M. ROUSSEL Fabien |
GDR - NUPES |
1er |
27 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
28 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
29 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
1er |
30 |
M. ROUSSET Jean-François |
RE |
Ap. 1er bis |
31 |
M. CASTELLANI Michel |
LIOT |
Ap. 1er bis |
32 |
M. CASTELLANI Michel |
LIOT |
Ap. 1er bis |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
La commission examine ensuite, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi visant à réduire la précarité sociale et monétaire des familles monoparentales (n° 2645) (M. Édouard Bénard, rapporteur).
La commission a accepté l’amendement figurant dans le tableau ci-après (*) :
N° |
Auteur |
Groupe |
Place |
19 |
Mme BERETE Fanta |
RE |
Ap. 3 |
(*) Les autres amendements étant considérés comme repoussés.
*
Puis la commission auditionne Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur les rapports sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants pour l’exercice 2023 et sur le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Notre commission va prochainement examiner le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023. Les 18 et 19 juin, nous nous réunirons à trois reprises pour le Printemps social de l’évaluation.
Nous inaugurons aujourd’hui nos travaux sur l’exécution et l’évaluation des lois de financement avec la Cour des comptes. Je remercie la présidente Hamayon de nous présenter les rapports de la Cour sur la certification des comptes pour 2023 et sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. Je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui l’édition 2024 du rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss).
Je voudrais tout d’abord remercier les nombreux rapporteurs qui ont contribué à sa réalisation sous la houlette du rapporteur général, M. Nicolas Fourrier, et du rapporteur général adjoint, M. Axel Maybon.
Ce rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale constitue une obligation de la Cour dans le cadre de sa mission constitutionnelle d’assistance au Parlement. Depuis l’an dernier, notre rapport accompagne le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale et a pour objectif d’éclairer les parlementaires sur l’exécution des recettes et des dépenses sociales.
Cette année, nous avons structuré notre rapport autour de trois axes. La première partie, traditionnelle, est consacrée à la situation financière de la sécurité sociale et à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). La deuxième partie analyse cinq domaines dont l’évolution récente en recettes et en dépenses a eu des incidences importantes sur les déficits sociaux. Enfin, la troisième partie examine, à travers cinq exemples, les moyens d’améliorer la qualité et l’efficacité de la dépense publique pour la sécurité sociale.
En préambule, je souhaite présenter une synthèse de la certification des comptes de la sécurité sociale pour l’exercice 2023, qui se traduit dans l’avis que nous rendons dans ce Ralfss sur la cohérence des tableaux d’équilibre et le tableau de situation patrimoniale. Il importe de distinguer les tableaux d’équilibre, qui correspondent à des comptes de résultat combinés couvrant l’ensemble des régimes obligatoires de base et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), du tableau de situation patrimoniale, qui est une sorte de bilan intégrant l’amortissement de la dette sociale par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) et la mise en réserve de recettes par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR). La Cour estime que les tableaux d’équilibre fournissent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde qui en découle.
Toutefois, j’attire votre attention sur les comptes de la branche famille. L’année dernière, nous avions refusé de certifier ces comptes. Cette année, nous nous déclarons dans l’impossibilité de les certifier bien que des progrès tangibles aient été réalisés par la branche famille depuis la non-certification de l’année dernière, notamment dans le contrôle interne. Cependant, ces améliorations ne se répercutent pas encore dans la comptabilité, en tout cas dans les comptes 2023. Nous avons donc prononcé une impossibilité de certifier en raison de faiblesses persistantes dans les dispositifs de contrôle interne et de difficultés comptables affectant la fiabilité des comptes retracés dans les tableaux d’équilibre.
Le rapport de certification indique que la branche vieillesse voit encore augmenter le nombre d’erreurs de liquidation. En 2023, une pension sur huit est affectée d’au moins une erreur, avec une incidence financière estimée à 1,2 % du montant des prestations liquidées, majoritairement au détriment des assurés.
Concernant la branche maladie, l’évaluation incomplète du risque lié à des contentieux en cours, notamment concernant les médicaments, conduit à une sous-évaluation significative des provisions. Cette situation entraîne un défaut d’assurance d’environ un milliard d’euros, améliorant d’autant le résultat de la branche maladie.
La Cour alerte également sur les différentes contractions de produits et de charges qui permettent d’aboutir au tableau d’équilibre, s’écartant du cadre fixé par la loi organique. Ces contractions minorent les montants des produits et des charges par rapport à ceux retracés dans les comptes des régimes de sécurité sociale et du FSV.
Nous attirons également l’attention sur plusieurs points techniques. Nous constatons une amélioration de la situation patrimoniale de la sécurité sociale après une dégradation marquée, notamment par les conséquences financières de la crise covid. Les fonds propres ont progressé de 7 milliards d’euros et le résultat net est désormais positif à 8,5 milliards d’euros. L’endettement financier net atteint 113,4 milliards d’euros au 31 décembre 2023.
En conclusion, l’avis sur les tableaux d’équilibre et de situation patrimoniale réitère les recommandations des années précédentes. Il est nécessaire de mieux formaliser les retraitements opérés pour la production des tableaux d’équilibre, de mettre fin aux contractions de produits et de charges et d’anticiper de dix jours le calendrier de production des comptes. En effet, ce calendrier a été raccourci pour la production des annexes aux comptes, mais pas pour la production des comptes eux-mêmes. Il est donc impératif d’améliorer ce calendrier.
La première partie de notre rapport porte sur la situation financière de la sécurité sociale. Nous nous alarmons de la trajectoire de déficit non maîtrisée, nécessitant un redressement rapide. La fin de la crise sanitaire et la croissance économique des deux dernières années ont certes permis une résorption du déficit de la sécurité sociale, après les sommets atteints en 2020 et 2021, mais le rythme de cette amélioration s’essouffle. Le déficit établi en 2023 s’élève à 10,8 milliards d’euros, supérieur de 4 milliards d’euros aux prévisions de la loi de financement initiale.
Ce déficit aurait même été encore plus élevé, de 1,5 milliard d’euros, sans l’application, en 2023, de mesures techniques. La principale de ces mesures concerne les conditions de provisionnement de risques contentieux dans le domaine du médicament, pour environ 1 milliard d’euros.
L’écart du déficit par rapport à la prévision s’explique d’abord par des recettes moindres. Après un début d’année dynamique, nous avons constaté fin 2023, pour la première fois depuis trois ans, une diminution de l’effectif salarié qui, couplée au ralentissement de l’inflation, a mécaniquement conduit à une progression de la masse salariale moins importante que prévu et donc à de moindres recettes pour la sécurité sociale.
Le déficit est également accentué par une faible maîtrise des dépenses d’assurance maladie. La branche maladie porte en effet la totalité du déficit de 2023 et est responsable de la totalité de sa dégradation par rapport à la prévision initiale. L’amélioration par rapport à 2022 est uniquement imputable à la fin de la pandémie de covid‑19, sans aucun réel effort d’économie.
Le déficit de la branche vieillesse, quant à lui, se réduit de 1 milliard d’euros grâce à la bonne tenue de la masse salariale jusqu’au troisième trimestre 2023 et au relèvement de 1,6 milliard d’euros de la contribution versée par l’État au titre des retraites des fonctionnaires et des régimes spéciaux. Par ailleurs, la branche vieillesse a dû contribuer à hauteur de 900 millions d’euros à un mécanisme complexe de compensation aux organismes de retraite complémentaire, des exonérations de cotisations sur les bas salaires, alors même que ces organismes de retraite complémentaire sont excédentaires. Un dispositif équivalent a mis à contribution les branches famille et accidents du travail et maladies professionnelles (AT‑MP) à hauteur de 600 millions d’euros pour financer l’Unédic.
Au regard des montants atteints par le versement, soit 1,5 milliard d’euros, et de l’état des finances de la sécurité sociale, il est impératif de réexaminer ces dispositifs.
Les perspectives pour l’avenir sont préoccupantes.
Pour 2024, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) prévoit un déficit de 10,5 milliards d’euros, équivalant à peu près à celui de 2023. Ce déficit ne pourra être respecté sans un ralentissement significatif des dépenses d’assurance maladie. Il est donc nécessaire de maîtriser la dynamique des dépenses et de réaliser des économies bien plus importantes que celles effectuées ces dernières années.
Après 2024, selon les prévisions du Gouvernement, le déficit de la sécurité sociale devrait de nouveau se creuser, atteignant plus de 17 milliards d’euros en 2027. En 2027, nous atteindrions un point de bascule, car le déficit deviendrait supérieur à la capacité d’amortissement de la Cades. La dette sociale recommencerait à croître, sans aucune perspective de retour à l’équilibre, ce qui est totalement inédit.
Cette aggravation continue serait principalement portée par le déficit de la branche vieillesse. En effet, la loi portant réforme des retraites ne produira l’essentiel de ses effets qu’après 2027. De plus, elle n’a que très partiellement traité la question de l’équilibre de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), qui concerne les fonctionnaires des collectivités locales et les agents hospitaliers. Cette caisse portera à elle seule les trois quarts du déficit de la branche en 2027.
En ce qui concerne la branche maladie, le déficit devrait se stabiliser autour de 9 milliards d’euros, à condition toutefois que le rythme de progression de l’Ondam soit maîtrisé autour de 3 % par an. Cela impliquerait des économies importantes, alors même que le Gouvernement n’a annoncé à ce jour aucune réforme en ce sens. Cette trajectoire nous semble insoutenable en l’état.
La dette sociale serait de plus en plus portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), atteignant 70 milliards d’euros dès 2027. Cette situation pourrait placer la sécurité sociale dans une grande fragilité financière. Il est donc urgent d’assurer un financement permanent des déficits sociaux et de mettre en œuvre des réformes, dont certaines sont illustrées dans les chapitres thématiques de la deuxième partie de ce rapport.
L’Ondam représente 80 % des dépenses de la branche. Alors que l’Ondam 2023 avait été annoncé comme celui de la sortie de crise, et donc rigoureusement maîtrisé, ses dépenses ont continué d’augmenter de 4,8 %, dépassant largement l’objectif initial de 3,2 %. Pour la deuxième année consécutive, le dépassement atteint près de 4 milliards d’euros. Plusieurs décisions intervenues en 2023 expliquent en partie cet important dépassement : les revalorisations salariales, le dynamisme des soins de ville et la rallonge budgétaire allouée aux établissements de santé pour atténuer leur déficit. Cela n’empêche pourtant pas la persistance du déficit des établissements de santé et des établissements médico-sociaux. Les hôpitaux publics enregistraient ainsi, pour la deuxième année consécutive, un déficit important.
Enfin, la première partie de ce rapport, c’est-à-dire la partie financière, se termine par une analyse d’un dispositif peu connu, mais particulièrement complexe, à savoir les transferts financiers de compensation démographique entre régimes de retraite. Ce système de transferts, créé en 1974, devait durer quatre ans. Il s’agissait alors de prendre en compte les effets sur la filiation des actifs des mutations économiques, avec le déplacement des emplois du secteur primaire vers les secteurs secondaire et tertiaire. Ce dispositif de solidarité était minimal pour ne pas dissuader les régimes de retraite de consentir les efforts nécessaires pour revenir à l’équilibre. Près de cinquante ans plus tard, le système perdure et ce sont 6 milliards d’euros qui sont encore transférés, selon les chiffres de 2022, entre dix‑sept régimes de base de retraite. Incorrectement piloté, ce dispositif repose sur une architecture désormais artificielle.
D’autres mécanismes financiers se sont ajoutés au fil du temps, au prix d’une complexité croissante. Les récentes réformes des retraites ont ajouté des règles au dispositif pour éviter de modifier les montants transférés dans des conditions qui confinent, selon nous, à l’arbitraire. Parmi plusieurs scénarios examinés, la Cour propose de supprimer ce dispositif et de le remplacer par des règles d’équilibrage entre régimes plus limitées et plus simples. Cela n’aurait aucun effet sur les comptes de la branche vieillesse.
Dans la deuxième partie de son rapport, la Cour informe les citoyens, le Gouvernement et le Parlement des sources potentielles d’économies et de dynamisation des recettes dont la mise en œuvre contribuerait au rétablissement des comptes de la sécurité sociale.
Nous avons d’abord examiné les niches sociales relatives aux compléments de salaire. Depuis longtemps, les employeurs versent des aides directes aux salariés, telles que les titres-restaurant, les chèques-vacances, les chèques emploi-service, etc. Depuis la crise des « gilets jaunes », pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés, l’État a élargi le périmètre de ces compléments de salaire, notamment en créant la prime de partage de la valeur. Parallèlement, il a réduit le rendement des taxes compensatoires affectées à la sécurité sociale afin de compenser le manque à gagner résultant de ces niches sociales. Depuis 2019, les heures supplémentaires sont exonérées de cotisations salariales et patronales. Depuis 2018, la progression des compléments de salaire est devenue nettement plus rapide que celle des salaires de base. En d’autres termes, ces compléments se substituent en partie aux augmentations de salaire. Tous ces dispositifs, qui représentaient 87,5 milliards d’euros versés aux salariés en 2022, ont été créés sans objectif macroéconomique précis et bénéficient de régimes sociaux dérogatoires. Bien qu’ils aient été utiles en période de crise, ils privent également la sécurité sociale de ressources pérennes nécessaires. La perte de recettes totale pour la sécurité sociale peut ainsi être estimée à 18 milliards d’euros pour 2022, soit 8 milliards de plus qu’en 2018, non compensés par l’État. Une telle augmentation du manque à gagner pour la sécurité sociale dépasse le creusement de son déficit hors covid entre 2018 et 2022.
L’extension des compléments de salaires depuis 2018 retarde donc fortement le retour à l’équilibre financier de la sécurité sociale. La répartition de ces compléments est en outre inéquitable entre les salariés, car les dispositifs de partage de la valeur sont concentrés sur les plus grandes entreprises et les salaires les plus élevés.
La Cour recommande donc à l’État de compenser le manque à gagner pour la sécurité sociale et de revenir aux conditions de droit commun pour ces dispositifs dérogatoires. Les économies chiffrées pour la sécurité sociale pourraient, selon nous, dépasser 4 milliards d’euros par an.
La Cour propose également des sources d’économies dans le domaine des arrêts de travail pour maladie. Les indemnités journalières pour arrêt de travail maladie ont représenté 12 milliards d’euros de dépenses pour la sécurité sociale en 2022, en augmentation de 50 % depuis 2017, ce qui correspond à une augmentation moyenne annuelle de 12 % et de 7 % hors dépenses liées au covid. Bien qu’il soit complexe d’isoler l’effet de la crise sanitaire, cette augmentation est surtout liée à la dynamique des salaires, à l’augmentation du nombre d’actifs et à leur vieillissement, ainsi qu’à des changements de périmètre d’affiliation. La réglementation encadrant ces arrêts maladie est complexe et mal connue des assurés. Sa simplification nous paraît indispensable.
La lutte contre la fraude est également insuffisante, alors même que la généralisation de la télétransmission des arrêts de travail permettrait de tarir presque intégralement les risques de fraude. De nouveaux outils informatiques ont été créés pour cibler les médecins surprescripteurs. Ils pourraient être utilisés de manière plus graduée avant de déclencher des procédures de sanction.
Enfin, il est impératif de trouver des voies pour une meilleure régulation de la dépense. Plusieurs options sont possibles.
Par exemple, la durée maximale d’indemnisation, actuellement de trois ans, pourrait être réduite à deux ans, avec une meilleure prise en charge des pathologies chroniques parallèlement. Par ailleurs, la part prise en charge par la sécurité sociale pourrait être réduite par rapport à celle supportée par les entreprises. Actuellement, cette part est à peu près équivalente. Les salariés pourraient également être mis à contribution si un ou deux jours de carence d’ordre public étaient instaurés.
Il appartient au Gouvernement, après une large consultation avec les parties prenantes et les partenaires sociaux, de définir les meilleures voies possible. Selon les dispositifs retenus, la Cour évalue les économies possibles pour la sécurité sociale entre 500 millions et 1 milliard d’euros par an.
Nous avons également examiné dans ce rapport les conditions du recours croissant aux médicaments innovants anticancéreux, qui se sont ajoutés depuis les années 2000 aux traitements classiques de chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie. La Cour met l’accent sur la véritable efficacité de ces médicaments, qui permettent d’améliorer l’espérance de vie des patients, mais elle souligne également les défis qu’ils posent en matière de coûts – ils représentent 6 milliards d’euros avant remise – et de régulation par la puissance publique. Établir rapidement l’amélioration du service médical rendu par ces médicaments est complexe, ce qui justifie leur mode d’accès dérogatoire de mise sur le marché, appelé accès précoce.
Sans compromettre l’accès rapide des patients à ces médicaments, la Cour recommande à la Haute Autorité de santé de produire des évaluations médico-économiques indépendantes des laboratoires pharmaceutiques et de suivre l’efficacité de ces traitements à long terme en conditions de vie réelle. Elle recommande également au Comité économique des produits de santé de renégocier le prix des médicaments lorsque les résultats de ces études sont inférieurs aux attentes initiales.
La deuxième partie de notre rapport comprend un chapitre issu d’une consultation citoyenne menée par la Cour en 2022. Il porte sur l’intérim médical. Nous nous alarmons du développement rapide des différentes formes d’emplois temporaires à l’hôpital, dont le coût représente environ 600 millions d’euros. Les rémunérations des médecins contractuels, notamment, dépassent fréquemment les plafonds réglementaires, pour un surcoût estimé à 180 millions d’euros en 2021. Cette situation fragilise le statut des praticiens hospitaliers qui constatent que leurs collègues venus les épauler temporairement sont de plus en plus souvent mieux rémunérés qu’eux, sans être soumis à des astreintes ou à des horaires contraignants. La part croissante des emplois temporaires dans les petits hôpitaux, atteignant parfois un tiers de l’effectif médical, déstabilise les équipes et fragilise la qualité des soins, notamment en santé périnatale.
Le législateur a récemment introduit une forme de régulation, mais sa mise en œuvre reste lente et insuffisante. Les règles encadrant ces emplois temporaires mériteraient d’être mieux définies et un contingentement de ces contrats devrait être envisagé.
Le nombre de lits dans les hôpitaux a diminué de 23 % entre 2000 et 2022 dans les hôpitaux publics et privés. Cette réduction s’explique pour moitié par un transfert de lits de soins de longue durée vers les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et pour moitié par l’essor de la chirurgie ambulatoire, sans nuitée d’hôpital. Bien que la réduction du nombre de lits d’hôpital, supérieure à celle de la plupart des autres pays européens rapportée à la population, ait été nécessaire, sa mise en œuvre par des baisses de tarifs généralisés a été insuffisamment pilotée. De plus, on observe aujourd’hui de plus en plus de fermetures temporaires de lits, notamment la nuit et le week-end, en raison de la pénurie de personnel.
Nous recommandons d’améliorer le recensement en temps réel des lits disponibles. Ce recensement n’existe pas actuellement et la Cour a dû consacrer de nombreux mois à recouper des chiffres et à mener des investigations sur place pour connaître le nombre de lits disponibles. Il importe donc de mettre en place un recensement en temps réel des lits disponibles sur l’ensemble du territoire, de développer des outils pour évaluer l’effectif nécessaire pour les soins des patients et de mieux adapter la gestion des ressources aux réalités de chaque territoire.
À l’avenir, les effets du vieillissement de la population empêcheront de poursuivre la réduction du nombre de lits. Il sera nécessaire de recourir davantage à l’ambulatoire et de mieux coordonner les professionnels de santé pour fluidifier les parcours de soins. Même avec un taux d’ambulatoire atteignant 80 %, nous ne pourrions libérer qu’un tiers des lits supplémentaires nécessaires en raison du vieillissement de la population.
La troisième et dernière partie de ce rapport concerne l’amélioration de la qualité de la dépense sociale. Cette section débute par l’examen de la qualité du service rendu aux usagers par les caisses de sécurité sociale. Les usagers perçoivent une dégradation de cette qualité, en grande partie due à la complexité croissante des démarches administratives qu’ils doivent entreprendre. Les temps d’attente augmentent également. Dans la branche maladie, un appel téléphonique sur deux n’aboutit pas, après un temps moyen d’attente de dix minutes, ou tombe sur une boîte vocale recommandant de rappeler plus tard. Les délais de traitement continuent à s’allonger, générant de nombreuses réclamations. Pire encore, les réponses fournies par les caisses sont souvent erronées : deux tiers des réponses des caisses d’assurance maladie sont incorrects, selon les chiffres de l’assurance maladie elle-même.
Nous appelons donc à un véritable saut qualitatif, afin de porter une plus grande attention aux usagers. Cela implique de les aider davantage dans l’utilisation des outils numériques, de lutter contre le non-recours aux prestations et d’améliorer la performance des plateformes téléphoniques.
Nous avons consacré deux chapitres au domaine du numérique en santé. Le premier concerne « Mon espace santé », projet relancé en 2019 après plusieurs échecs du dossier médical partagé. Principalement composé du dossier médical partagé, ce nouvel espace numérique a été enrichi d’autres composantes. Il s’agit d’un projet coûteux, dépassant les 700 millions d’euros, mais porteur d’améliorations significatives pour la prise en charge des patients, notamment en matière de prévention et de télésurveillance médicales. Toutefois, de nombreuses contraintes en matière de sécurité des données pèsent sur ce projet. L’alimentation par les professionnels de santé est également très inférieure aux objectifs. Nous formulons donc des recommandations pour convaincre les médecins de l’utiliser et recueillir l’adhésion du grand public.
Le second chapitre numérique est consacré au Système national des données de santé (SNDS). Il s’agit d’une base de données principalement issue de l’assurance maladie, des séjours hospitaliers et des causes médicales de décès. La plateforme des données de santé, également appelée Health Data Hub, est chargée de mettre ces données à disposition de la recherche et des acteurs économiques.
Avec l’intelligence artificielle, les potentialités du SNDS ont été considérablement augmentées. Cependant, nous constatons que cette base de données reste sous-exploitée et que la procédure d’accès pour les chercheurs est anormalement lourde et longue. Il est impératif de lui insuffler un nouvel élan en résolvant d’abord la question essentielle de l’hébergement des données, actuellement bloquée faute d’entreprises européennes capables de répondre aux besoins pour les fonctionnalités avancées liées à l’intelligence artificielle. Un rapport récent remis au Gouvernement estime qu’une solution européenne sera disponible d’ici 2026. Cela nous semble très optimiste. Il serait donc souhaitable que l’assurance maladie fournisse une copie de la base principale du SNDS à un hébergeur relevant du droit de l’Union européenne pour répondre aux fonctionnalités requises pour les traitements simples ne nécessitant pas l’intelligence artificielle. Ce serait un premier pas pour sortir de la situation de blocage actuelle. Il est également nécessaire de réduire les délais de mise à disposition des données et de continuer à enrichir le SNDS.
Les deux derniers chapitres de notre rapport se concentrent chacun sur une branche différente. Nous avons d’abord examiné la retraite des professions libérales, qui représentait 7,2 milliards d’euros de pensions en 2022. Leur gestion est assurée par une caisse tête de réseau, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales, et par ses dix sections professionnelles. Ces dernières ont conservé une très large autonomie, ce qui leur permet de se maintenir en dehors des règles communes des organismes de sécurité sociale. Cette organisation est complexe et fragmentée. La caisse nationale n’a pas de réelle capacité d’initiative et ne parvient pas à enclencher des mutualisations pourtant indispensables. En parallèle, la tutelle par les pouvoirs publics est très distante. Nous appelons donc à exploiter les gisements d’efficience qu’un rapprochement de ces organismes avec le reste de la sécurité sociale permettrait afin d’améliorer le service rendu aux assurés à moindre coût. Pour cela, un renforcement du rôle de l’État nous paraît indispensable pour redresser la situation.
Enfin, le dernier chapitre porte sur les aides accordées aux familles nombreuses comptant trois enfants et plus. Elles représentent une famille sur six et un tiers des enfants. Elles bénéficient de dispositifs fiscaux et sociaux pour un montant total que nous avons évalué à 30 milliards d’euros, stable depuis dix ans. L’essentiel relève des prestations familiales, de la majoration des pensions de retraite, du quotient familial et des aides au logement. À partir de 2012, certains avantages qui leur étaient accordés ont été limités, ce qui a affecté le pouvoir d’achat de certaines de ces familles.
Ces familles se trouvent souvent dans des situations socioprofessionnelles précaires. La proportion de non-diplômés y est plus élevée, ce qui les expose au chômage. De plus, le taux d’emploi féminin chute drastiquement à partir du troisième enfant. L’augmentation du nombre de familles nombreuses monoparentales a également contribué à accroître significativement le taux de pauvreté. Dans un contexte de baisse de la natalité, il est impératif de redéfinir les objectifs des dispositifs sociaux et fiscaux en faveur de ces familles.
En conclusion, la Cour alerte une nouvelle fois sur l’urgence pour la sécurité sociale d’entreprendre des réformes permettant d’envisager une résorption pérenne de son déficit. Dans un contexte économique où la croissance des recettes se ralentira, la maîtrise de la dépense et la qualité de cette dépense doivent constituer le fil directeur de la gestion de la sécurité sociale. L’accumulation de déficits non maîtrisés fait peser sur l’ensemble de notre système de protection sociale un risque majeur. Il convient de donner une perspective sur les conditions de résorption de la dette sociale et les modalités de son financement doivent être rapidement définies sous peine de fragiliser profondément notre système social.
Alors que la Cour est engagée, sur la proposition du Premier ministre, dans un exercice de revue des dépenses sociales qui sera rendu public fin juin, nous devons nous assurer de la qualité de cette dépense indispensable pour préserver la cohésion sociale de notre pays.
Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Pour la deuxième année consécutive, cette présentation intervient au moment du dépôt du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, plutôt qu’à l’automne. Elle s’inscrit ainsi pleinement dans l’agenda des travaux que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) effectue dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, que nous aurons l’occasion de présenter en juin.
Vous avez justement indiqué que le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale dépasse de 2,1 milliards d’euros les prévisions actualisées en LFSS 2024. Outre une croissance des recettes fiscales inférieures aux prévisions, vous expliquez qu’un tel écart trouve ses raisons dans la dynamique des dépenses d’assurance maladie. Vous soulignez par exemple que les dépenses d’indemnités journalières ont augmenté de plus de 50 % en cinq ans, atteignant 12 milliards d’euros en 2022. Vous proposez de diminuer la durée maximale d’indemnisation des arrêts maladie et d’augmenter le délai de carence de trois à sept jours, afin de mieux répartir la prise en charge entre la sécurité sociale, les entreprises et les assurés, après concertation avec les partenaires.
Parmi les autres propositions de maîtrise des dépenses, votre rapport suggère la mise en place d’un programme pluriannuel de régulation des dépenses, comme le demande l’ensemble des fédérations hospitalières, ainsi que des mesures concernant les contrats temporaires à l’hôpital. Pourriez-vous nous préciser ces mesures ?
Vous évoquez également la nécessité de poursuivre le virage ambulatoire, ce qui supposera une amélioration de la coordination territoriale entre les secteurs hospitaliers, médico-social et de ville.
Vous proposez en outre une méthode d’évaluation de la charge de travail des infirmiers et des aides-soignants. Cependant, vous n’évoquez pas la mise en place éventuelle de ratios infirmiers/soignants dans les établissements. Avez-vous pu examiner ce point ?
Sur le plan des recettes, vous suggérez la mise en place d’un pilotage interministériel prenant en compte la soutenabilité financière des exemptions et exonérations de cotisations sociales sur les compléments de salaires, les enjeux économiques associés et l’équité du prélèvement social. Pourriez-vous préciser la forme que pourrait prendre ce pilotage ?
Concernant les niches sociales, la révision du cadre organique de 2022 a instauré une évaluation triennale des mesures d’exonération et d’exemption de cotisations sociales, destinée à figurer dans l’annexe 2 du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), rendu au premier semestre 2023, recommandait de définir le programme d’évaluation de ces niches en l’articulant avec les évaluations de la Cour des comptes et du Parlement. À ce sujet, la direction de la sécurité sociale vous a-t-elle associés aux travaux concernant cette annexe ou sollicités pour coordonner ces travaux ?
Votre rapport accorde également une place importante à la question de l’avenir de la dette sociale. Le programme de reprise de dette par la Cades, résultant des lois d’août 2020, s’achèvera cette année avec une dernière reprise de 8,8 milliards d’euros de déficit portés par l’Urssaf Caisse nationale. Vous estimiez que la trajectoire financière de la sécurité sociale est insoutenable et que, sans mesure de redressement, même une prolongation indéfinie de la Cades permettrait à peine de stabiliser la dette sociale à son niveau actuel. Pourriez-vous préciser les raisons qui vous conduisent à cette conclusion ?
Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je cède la parole aux orateurs des groupes.
Mme Annie Vidal (RE). Nous sommes toutes et tous ici très attachés au contrôle de l’exécution et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi qu’à l’évaluation de nos politiques publiques.
Malgré les points d’alerte que vous avez évoqués, nous retenons en particulier que vous avez pu apprécier la régularité et la sincérité des comptes du régime général de la sécurité sociale, ainsi que la fidélité de l’image qu’ils donnent sur le résultat, la situation financière et le patrimoine de ce régime.
Sans revenir sur les nombreux éléments chiffrés que vous avez présentés dans un esprit de transparence et de fiabilisation des comptes de la sécurité sociale, certaines anomalies significatives et insuffisances d’éléments probants ont retenu mon attention. En effet, elles empêchent de certifier les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), comme l’an dernier, tandis que six autres comptes sont certifiés avec des réserves.
Vous préconisez ainsi de renforcer à l’avenir les moyens alloués à la conduite des chantiers de grande ampleur relatifs aux systèmes d’information et de contrôle internes, indiquant que ces difficultés de certification sont liées à des problèmes techniques. Vous notez également une amélioration depuis 2022, avec une baisse significative des anomalies de recettes.
Afin de renforcer la performance des contrôles, la capacité de détection des erreurs et d’éviter toute impossibilité de certification à l’avenir, pouvez-vous nous préciser les propositions que vous pourriez faire pour améliorer cette situation ?
Pouvez-vous également revenir sur la perte de recettes de 18 milliards d’euros liée aux compensations salariales, pour améliorer cette situation qui, à mon sens, est préjudiciable à la confiance des Français en la sécurité sociale, à laquelle nous sommes tous très attachés ?
Mme Joëlle Mélin (RN). Depuis 1996, à travers les rapports d’application, et depuis 2006, avec les rapports de certification des comptes de la sécurité sociale, votre institution répète inlassablement les mêmes constats : multiples freins, manque de rigueur, manque de cohérence dans la centralisation et la gestion des comptes sociaux.
Le moindre dysfonctionnement dans ce domaine de certification, qui cette année concerne 695,5 milliards d’euros, entraîne une incertitude majeure. C’est encore le cas cette année. La branche maladie présente un déficit de 11 milliards d’euros. Cependant, comment en être certain, puisque votre rapport mentionne deux anomalies comptables et six insuffisances d’éléments probants sur un champ supérieur à 5,5 milliards d’euros ?
Parmi ces anomalies, on trouve 2,8 milliards d’euros de recours contre tiers, probablement non recouvrés, tout comme 1,3 milliard de créances de soins donnés à l’étranger, et des fraudes estimées entre 4 et 6 milliards d’euros, probablement le double.
De plus, 2,5 millions d’assurés n’auraient pas dû bénéficier de la protection universelle maladie dans les années précédentes, 10 % de fraude sur la complémentaire santé solidaire (C2S), une incertitude majeure sur la gestion de 1,2 milliard d’euros de l’aide médicale de l’État (AME), 3,1 milliards d’euros d’erreurs de remboursement de soins courants et 300 millions d’euros sur les indemnités journalières.
Vous avez par ailleurs certifié, malgré des recommandations contraires, les comptes de la branche AT‑MP, de la branche vieillesse et de divers organismes centraux. Pourtant, un dossier sur huit en matière de vieillesse et un dossier sur deux en matière d’indemnités journalières sont affectés d’erreurs.
Concernant le contrôle des organismes centraux et de recouvrement, plus de trente‑neuf observations majeures ont été formulées.
En revanche, comme l’an dernier, vous n’avez pas certifié les comptes de la branche famille, en raison de trop grandes incertitudes. En effet, 30 % des montants versés sont affectés d’erreurs non corrigées, principalement des indus, avec 20 % sur le revenu de solidarité active (RSA) et 15 % sur les aides personnalisées au logement. Cela pose évidemment un problème majeur.
La liste des dysfonctionnements est longue. Au total, cette constance dans l’approximation devient de plus en plus suspecte. Quel intérêt y a-t-il à multiplier ainsi les écueils ?
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Votre rapport est saisissant et démontre une baisse inacceptable du service public.
Une nouvelle fois, vous refusez de certifier les comptes de la branche famille en raison d’erreurs de versement des prestations sociales, telles que la prime d’activité, le RSA et les aides au logement. Les retraites sont également concernées.
Selon vous, la majorité des erreurs de versement provient du traitement des dossiers. À titre d’illustration, lors d’une récente réunion, l’intersyndicale de la Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) a révélé que 10 000 dossiers seraient actuellement en souffrance au service retraite en raison du manque criant de personnel dédié. Toujours selon l’intersyndicale, de nombreux retraités sont sans ressources depuis plus de six mois. Ce Gouvernement préfère faire croire que les bénéficiaires des minima sociaux sont des fraudeurs, alors que dans la plupart des cas, il s’agit d’erreurs de saisie, ignorant ainsi le droit à l’erreur. Même le droit au reste à vivre, prévu par le code de la sécurité sociale, est bafoué. Ce constat concerne la plupart des régions de France.
Pouvez-vous chiffrer le montant des prestations sociales qui, à tort, n’ont pas été versées en 2023 et le nombre d’allocataires concernés ? À défaut, pourquoi ?
Êtes-vous en capacité d’évaluer la part des suspensions automatiques des versements suite à la détection d’un indu sans notification ? Dans quelle mesure les erreurs de saisie des allocataires entraînent-elles un indu ?
Recommandez-vous l’abandon de l’usage du data mining discriminatoire et entraînant une automaticité du contrôle ?
M. Stéphane Viry (LR). L’ordre du jour de notre commission ce matin revêt une importance capitale pour notre système de protection sociale.
Vous avez appelé, à travers vos propos, à une reprise en main ferme et claire. Vous avez également souligné, dans vos observations et vos travaux de certification, un pilotage défaillant, avec des artifices utilisés depuis longtemps pour masquer des situations ou pour laisser perdurer des pratiques préjudiciables à la solidité et à la fiabilité de notre système de protection sociale.
Concernant l’équilibre général, l’année 2023 affiche des résultats insuffisants. Vous avez indiqué que 2024 serait une mauvaise année, avec un creusement du déficit au-delà de l’objectif. En 2027, nous nous dirigeons vers une dette sociale non maîtrisée, avec le risque d’une faillite du système. Peut-on parler d’insincérité dans les prévisions soumises à notre appréciation et à nos votes à l’automne dernier ?
Peut-on déduire le sous-financement chronique de notre protection sociale de défaillances de choix politiques et d’omissions, sachant que les décisions politiques nécessaires pour sauver la sécurité sociale ne sont pas prises ?
Vous n’avez pas mentionné le cas des travailleurs indépendants bien que vous ayez dû certifier les comptes du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI). En lien avec la qualité de la dépense sociale, nous avons constaté une détérioration au détriment des usagers. L’une des raisons politiques de la création du Régime social des indépendants (RSI) consistait à assurer plus de transparence et de fiabilité pour les commerçants et les artisans. Pourriez-vous apporter des précisions à ce sujet ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). La qualité de ce rapport éclairera également la Mecss dans le cadre de ses travaux sur la dette sociale.
La santé des Français se dégrade. Le taux d’affections de longue durée a augmenté de 4 % et celui des maladies chroniques de 6 %. Par ailleurs, le système de santé ne parvient plus à répondre aux besoins de l’ensemble des Français, face aux défis démographiques qui se profilent.
Le déficit, inévitablement creusé, s’élève aujourd’hui à 11 milliards d’euros et pourrait atteindre 17 milliards d’euros en 2025. En tant que législateurs, nous avons une part de responsabilité dans cette situation. Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous ne votons pas un budget, mais un objectif de dépenses, systématiquement dépassé, car nous ne prenons pas en compte les besoins réels de santé. Le déficit résulte-t-il d’un problème conjoncturel, comme durant les années covid, ou plutôt d’un problème structurel lié à un sous-financement des besoins et à une absence d’arbitrage concernant les dépenses ? Vous chiffrez ce sous-financement à 9 milliards d’euros.
Une refonte de notre système de santé s’impose. La santé ne se résume pas aux soins. Depuis des décennies, nous produisons et consommons toujours plus de soins sans outils efficaces de régulation. Vous le démontrez. Plutôt que de produire toujours plus de soins, ne devrions-nous pas investir davantage dans la prévention pour stabiliser l’augmentation des maladies chroniques et ainsi sauver notre système de santé ?
Que proposez-vous pour responsabiliser chaque acteur du soin et de la prévention ? Les acteurs incluent les offreurs de soins, les hôpitaux publics et privés, les professionnels de santé, les acteurs du médicament, les financeurs, les organismes obligatoires ou complémentaires, ainsi que les patients ou futurs patients. Une enveloppe nationale de dépenses, une sorte de « règle d’or », ne pourrait-elle pas constituer une solution face à ces déficits chroniques ?
M. Paul Christophe (HOR). Je vous remercie de nous permettre d’échanger aujourd’hui sur les rapports de certification des comptes du régime général de sécurité sociale et du CPSTI pour l’exercice 2023, ainsi que sur le rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Ce dernier document est particulièrement éclairant quant à notre capacité à maîtriser et prévoir les dépenses de la sécurité sociale dans un contexte de demande croissante de soins et de pression financière accrue. Il souligne la nécessité de poursuivre les réformes engagées pour assurer la viabilité à long terme de notre système.
Vous avez également mis en exergue l’importance d’améliorer l’information du Parlement concernant la situation financière des hôpitaux. Les informations fournies jusqu’à présent se révèlent insuffisantes pour une évaluation précise. La nouvelle annexe au PLFSS introduite en 2022 vise à mieux informer le Parlement, mais elle nécessite encore des enrichissements pour offrir une vision complète.
Le chapitre 7 du rapport aborde la lutte contre les fraudes aux prestations sociales. Si des mesures législatives et administratives commencent à produire des résultats sur le terrain, il est nécessaire de changer d’échelle afin de tarir les sources de fraude systémique et renforcer les contrôles. Vous avez évoqué notamment la question des arrêts maladie.
Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par un « changement d’échelle » dans la lutte contre les fraudes aux prestations sociales, en particulier concernant les actions nouvelles à entreprendre et les améliorations à apporter aux mécanismes de contrôle existants, qu’il s’agisse de l’augmentation des moyens dédiés à la lutte contre la fraude ou du renforcement des sanctions ?
M. Arthur Delaporte (SOC). Votre mission revêt une importance particulière puisqu’elle permet de contrôler de manière indépendante les compétences de gestion du Gouvernement et par conséquent, l’utilisation de l’argent public.
Il est préoccupant de constater que l’impossibilité de certifier les comptes de la branche famille n’est pas anodine.
Pour la première fois, le déficit de la sécurité sociale dépasse les remboursements annuels de la Cades. Si la maîtrise de la trajectoire de la dette sociale échappe désormais à l’État, cela signifie-t-il que les recettes de la sécurité sociale ont été compromises par l’État ?
Par ailleurs, la Cour des comptes indique que le montant des erreurs non corrigées pour les actions de contrôle interne demeure élevé. En effet, 5,5 milliards d’euros de versements indus, ainsi que des prestations non versées à tort, ont été constatés à la fin de 2023 et ne seront jamais régularisés. Ces erreurs représentent 7,4 % du montant des prestations, touchant notamment le RSA, la prime d’activité et les aides au logement. Un quart des montants versés au titre du RSA est entaché d’erreurs. Alors que le Gouvernement a engagé une réforme du RSA qui risque de précariser davantage les allocataires, comment remédier à cette situation ?
De plus, deux tiers des réponses des caisses – d’assurance maladie, de retraite ou d’allocations familiales – aux usagers sont erronés. Comment y remédier également ? Alors même que le Gouvernement contribue à la dégradation de nos droits sociaux, sa réforme du RSA pourrait aggraver cette situation. Comment envisagez-vous l’évolution de la situation ?
Enfin, disposez-vous de projections de stabilisation des données pour 2024 ? Existe‑t‑il un engagement des différentes caisses, en particulier des caisses d’allocations familiales (CAF), pour corriger ces trajectoires éventuelles ?
Je vous remercie pour ce travail d’utilité publique qui met en lumière la faiblesse ou l’affaiblissement de notre État social.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Les rapports présentés aujourd’hui révèlent un constat amer, à savoir que le Gouvernement demeure incapable de proposer un programme pluriannuel définissant les dépenses nécessaires pour faire face au vieillissement de la population et à l’augmentation des maladies chroniques. De plus, il échoue à nous fournir une photographie fidèle des comptes de la sécurité sociale. Pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes ne peut certifier les comptes 2023 de la branche famille, malgré les contrôles internes.
Nous faisons face à une somme colossale de 5,5 milliards d’euros de dossiers non régularisés, dont un cinquième des prestations de RSA entachées d’erreurs non corrigées. Il ne s’agit pas seulement d’erreurs comptables et d’insincérité budgétaire. Ces prestations non versées, pourtant dues aux bénéficiaires, engendrent des jours d’angoisse pour boucler dignement les fins de mois ou maintiennent un niveau de vie précaire qui aurait pu s’améliorer en cas de non-recours, touchant 30 à 40 % des aides. L’automaticité du versement des prestations pourrait-elle éviter ces erreurs ? Une augmentation du personnel dans les caisses aurait-elle un impact positif sur la régularisation des dossiers ?
Votre rapport indique également qu’un huitième des 885 000 nouvelles retraites versées en 2023 comportent des erreurs, touchant ainsi 110 000 personnes sans qu’elles en soient nécessairement conscientes. Pourriez-vous nous éclairer sur l’impact de la réforme des retraites sur l’augmentation des erreurs de versement ? Ces erreurs sont-elles susceptibles d’augmenter davantage en 2024 ?
Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Nous en venons aux interventions des autres orateurs.
M. Éric Alauzet (RE). La Cour des comptes a été dans l’impossibilité de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf pour l’exercice 2023. Elle avait déjà refusé de certifier les comptes de la branche famille pour l’exercice 2022, en se fondant sur une anomalie significative et six insuffisances d’éléments probants. Ces insuffisances concernaient le cadre général du contrôle interne, les erreurs affectant les prestations légales dues à une fiabilité insuffisante des données déclaratives, les erreurs résiduelles et les données déclaratives non corrigées après contrôle interne, les erreurs internes à la Cnaf affectant les prestations légales, les erreurs affectant les prestations extralégales d’action sociale et le recouvrement des indus sur prestations.
Pour l’exercice 2023, bien que l’anomalie significative ne soit pas reconduite, les six insuffisances d’éléments probants persistent. Par exemple, si l’indicateur de risque résiduel relatif aux données déclarées à vingt-quatre mois se stabilise, il demeure néanmoins à un niveau élevé. De plus, l’indicateur de risque résiduel relatif aux données entrantes à neuf mois montre une dégradation, atteignant 10,9 % des prestations versées en 2023 contre 9,9 % en 2022.
Pensez-vous que la mise en place de la solidarité à la source, prévue pour 2025, pourrait permettre de remédier à ces insuffisances et erreurs grâce au préremplissage, afin de permettre à la Cour de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf ?
M. Thibault Bazin (LR). Votre présentation met en lumière la situation préoccupante de nos comptes sociaux, menaçant la pérennité de notre système de protection sociale. Cela survient alors que nous devons faire face à des défis majeurs tels que la baisse drastique de la natalité et le vieillissement de la population. La trajectoire budgétaire décrite dans votre rapport est très alarmante, montrant des déficits qui se creusent après 2024, sans perspective de retour à l’équilibre ni de stabilisation, nous conduisant vers une dette insoutenable.
Vous avez expliqué l’impossibilité de certifier à nouveau la branche famille en raison de l’insuffisance du contrôle interne. Bien que vous ayez indiqué une évolution favorable en 2023 sur plusieurs aspects, ces progrès ne se traduisent pas dans la comptabilité. Quels sont les aspects qui n’ont pas évolué ? Concrètement, quelles traductions des indicateurs de risque d’incidence financière attendez-vous en 2024 pour pouvoir certifier à nouveau les comptes ?
Dans le chapitre 13, consacré aux aides aux familles nombreuses, vous évoquez les coûts indirects liés à l’enfant, constitués de pertes de revenus et d’occasions d’évolution professionnelle manquées, affectant les parents ayant choisi de libérer du temps pour s’occuper de leurs enfants. Vous indiquez que ces coûts sont plus importants à partir du troisième enfant. Vous révélez que plusieurs mesures ont réduit les avantages fiscaux accordés aux familles ces dernières années, notamment par l’abaissement du plafond du quotient familial.
Vous mentionnez également que la base mensuelle des allocations familiales, servant au calcul de la plupart des prestations de la branche famille, a été sous-indexée en 2015, 2019 et 2020. En conséquence, entre 2011 et 2021, nous avons observé une augmentation de 5 %, alors que les prix ont progressé de 8 %. Cette sous-indexation a permis une économie de 1 milliard d’euros, dont la moitié a été supportée par les familles nombreuses. Certaines réformes des prestations de garde des jeunes enfants ont été défavorables à ces familles. En 2015, la durée de la prestation partagée d’éducation de l’enfant et le nombre de demandeurs ont été réduits, faisant passer la dépense de 2 milliards d’euros en 2013 à 730 millions d’euros en 2021.
Dans quelle mesure les évolutions récentes ont-elles diminué les compensations de ces désavantages constatés ?
Mme Isabelle Valentin (LR). Le rapport de la Cour des comptes est préoccupant, car elle certifie avec réserves les comptes de 2023 pour quatre des cinq branches et ne certifie pas la branche famille.
Face aux dépenses croissantes liées à la perte d’autonomie des personnes âgées, le Gouvernement a créé une cinquième branche consacrée à l’autonomie au sein du régime général de sécurité sociale, création entrée en vigueur le 12 mai 2022. Cette branche spécifique devait permettre d’identifier des recettes et des dépenses afin de mettre en évidence l’effort national à consentir pour le grand âge et le handicap.
Pour l’exercice 2023, les comptes de la branche autonomie sont déficitaires pour la première fois, avec un déficit de 574 millions d’euros, contre un excédent de 240 millions d’euros en 2022. Dans ce contexte financier difficile, l’adoption d’une véritable loi « autonomie et grand âge » semble de plus en plus illusoire.
La proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien‑vieillir et de l’autonomie, débattue l’année dernière, ne répondait en rien aux attentes des professionnels de santé à domicile, des personnes âgées et des familles. Ainsi, renoncer à une véritable loi « grand âge et autonomie » relève-t-il d’un choix purement financier, dont nos aînés sont aujourd’hui les principales victimes ? Quand une réflexion sur le financement du grand âge et de la perte d’autonomie sera-t-elle engagée ?
Mme Justine Gruet (LR). Le nombre de personnes en perte d’autonomie et en situation de handicap, qu’il s’agisse de l’âge, de la maladie ou d’une vulnérabilité, ne cesse de croître, augmentant ainsi la demande de services de soutien. Les besoins et les ressources, qui déterminent le reste à charge pour la personne, varient considérablement d’un territoire à l’autre, créant des disparités dans l’accès et la qualité des services d’aide à la personne. Cela dépend également du niveau de dépendance et des revenus, ce qui n’est pas le cas dans le secteur de la santé, sauf en raison du manque de professionnels.
Les montants pris en charge par les départements français, en complément des aides nationales, contribuent notamment à cette disparité. Concernant l’allocation personnalisée d’autonomie, les départements sont libres de pratiquer des taux de remboursement à leur guise. En conséquence, on constate des écarts significatifs pouvant atteindre presque 10 euros de l’heure.
N’ayant reçu votre rapport 2023 que tardivement hier soir, je fonde mon propos sur des chiffres de 2022. 184 milliards d’euros annuels sont alloués à la branche maladie de la sécurité sociale contre seulement 35,4 milliards d’euros pour la branche autonomie. Comment pouvons-nous rééquilibrer les montants entre ces deux branches, d’autant que certaines hospitalisations pourraient être évitées par un maintien à domicile, souvent souhaité par les patients ? En somme, il s’agirait de moins d’hospitalisations et de médicalisations pour un meilleur accompagnement à domicile.
Il est par ailleurs essentiel de souligner l’importance d’une loi de programmation pluriannuelle pour la prise en charge de la perte d’autonomie.
Il est urgent, à mon sens, de repenser l’organisation du système d’accompagnement, avec un volet spécifique sur les besoins exprimés par les populations vieillissantes ou en situation de perte d’autonomie. D’ici 2050, nous compterons plus de 4 millions de seniors en perte d’autonomie contre environ 2,5 millions actuellement. Comment pouvons-nous créer des mécanismes de financement innovants pour répondre aux besoins diversifiés et croissants de notre population ?
M. Nicolas Turquois (Dem). Le rapport que vous avez rédigé sur notre système de protection sociale devrait provoquer une prise de conscience chez chacun d’entre nous, indépendamment de nos sensibilités politiques.
Ce rapport met en lumière les ressources manquantes et l’inefficacité générale d’un système qui génère des dépenses en forte augmentation sans atteindre ses objectifs, comme en témoignent les ressentis de nos concitoyens. À mon sens, des mesures structurelles s’imposent.
Comment avez-vous analysé et identifié les blocages des données de santé du Health Data Hub, notamment concernant l’accès aux entrepôts de données hospitaliers, qui semblent peu partagées ?
La question des serveurs, bien que vous ne l’ayez pas mentionnée explicitement, soulève également le problème de l’implication de l’entreprise Microsoft dans la gestion des données.
Par ailleurs, je constate des blocages du côté de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, compréhensibles, mais surmontables avec des données anonymisées. La qualité exceptionnelle de nos données, reconnue mondialement, pourrait permettre de tirer des enseignements significatifs pour optimiser notre système de santé, qui en a grand besoin.
Mme Nicole Dubré-Chirat (RE). La sécurité sociale connaît des difficultés récurrentes, marquées par une augmentation des dépenses, notamment en raison du covid. Nous avons pris certaines habitudes pendant cette période et nous faisons face aujourd’hui à une diminution préoccupante des recettes.
Nous envisageons une déclaration sur l’honneur des arrêts de travail, mais nous rencontrons des difficultés avec les jours de carence. De plus, des arrêts de travail pour douleurs menstruelles ont été proposés. Quelle solution proposez-vous face à cette augmentation constante des arrêts de travail au fil des années ?
Par ailleurs, nous disposons de chiffres sur les fermetures définitives de lits, mais depuis des années, nous demandons des éclaircissements sur les fermetures liées aux congés annuels ou au manque de personnel, qui deviennent de plus en plus fréquentes. Quelles mesures envisagez-vous pour améliorer cette situation et adapter les besoins en personnel en fonction de ces fermetures de lits ?
Enfin, une réflexion ne serait-elle pas nécessaire quant à la protection sociale que nous souhaitons pour les dix prochaines années, en tenant compte de la démographie vieillissante et de l’augmentation des demandes de soins ? Il est essentiel de mettre en adéquation nos dépenses et nos recettes et de les prioriser en conséquence.
M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). Les conclusions de la Cour des comptes sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour l’exercice 2023 sont extrêmement préoccupantes. Le refus de certifier les comptes de la branche famille pour la deuxième année consécutive et les réserves émises pour les quatre autres branches révèlent des failles significatives dans notre système. Il est particulièrement alarmant de constater que les recouvrements des indus et des fraudes sont largement insuffisants par rapport aux montants en jeu. Pour la branche famille, 5,5 milliards d’euros de prestations ont été versés à tort, sans recouvrement, représentant 7,4 % du montant total des prestations versées. Le taux de recouvrement des indus frauduleux dans cette même branche est de seulement 4,8 %, ce qui représente une perte de 3,7 milliards d’euros.
Pour la branche maladie, le montant du taux de recouvrement réel des indus frauduleux s’élève à 287 millions d’euros, correspondant à seulement 17 % de la somme totale versée à tort.
En ce qui concerne l’AME, le rapport indique que les erreurs d’attribution ne sont ni notifiées ni suivies de fermetures de droits. En cas d’incidence financière, aucun indu n’est donc signifié.
Face à ce constat alarmant, il est impératif d’explorer toutes les marges de progression possibles pour améliorer le recouvrement des sommes indûment versées. La préservation de notre modèle social en dépend.
Pouvez-vous nous expliquer les principaux défis rencontrés dans le recouvrement des prestations indûment versées à des bénéficiaires résidant en France, mais également à l’étranger ? Quels sont les leviers spécifiques pour augmenter ce taux de recouvrement, notamment dans les branches famille et maladie, où les montants atteignent des sommets ?
M. François Gernigon (HOR). Madame la présidente, vous mentionnez la réduction du nombre de lits à l’hôpital, en évoquant la nécessité de définir un plan d’action afin de limiter les hospitalisations évitables des personnes âgées de plus de 75 ans. Sur le terrain, certains services hospitaliers sont engorgés, car 40 à 50 % des lits sont occupés par des personnes âgées qui n’ont pas obligatoirement besoin d’être hospitalisées.
Avez-vous chiffré le coût annuel de ces hospitalisations évitables, sachant qu’une journée d’hospitalisation coûte environ 1 500 euros ? Ce coût pourrait être comparé à celui de l’organisation et du renforcement du virage domiciliaire, c’est-à-dire le maintien à domicile, qui est le souhait des personnes en perte d’autonomie.
M. Hadrien Clouet (LFI - NUPES). Je souhaite évoquer un instrument qui a été quelque peu survolé, mais qui me semble important, car il n’est pas neutre, à savoir le data mining, mentionné aux pages 76 et 82 de votre rapport.
Pour rappel, le data mining consiste à élaborer des modèles statistiques prédictifs. On observe des données passées, on analyse un ensemble de données et on en tire des conclusions pour anticiper les événements futurs. Ce principe général est notamment appliqué dans la branche famille, avec pour objectif de cibler des incohérences, souvent des erreurs de saisie. Dans la majorité des cas, ces incohérences ne sont pas intentionnelles. Il s’agit d’examiner le décalage entre les attentes et les observations réelles. À partir de ce décalage, on calcule des scores de risque, identifiant les populations où ce décalage est fréquent par rapport à celles où il l’est moins. Cela conduit à des suspensions directes d’allocations et de versements, non pas en raison de fraudes, mais à cause d’un écart entre les attentes et les observations. Ce dispositif présente un risque réel de dérive vers une dystopie, avec ce que l’on appelle couramment des discriminations algorithmiques. En l’occurrence, 32 millions de personnes sont inscrites dans les CAF, soit la moitié de la population française exposée à un tel traitement. Les scores de risque sont aujourd’hui clairement discriminatoires.
Si vous êtes une mère seule, vous avez 30 % de risque supplémentaire de faire l’objet d’un contrôle. Si vos revenus sont inférieurs à 500 euros par membre du foyer, ce risque augmente de 35 %. En situation de handicap, le risque supplémentaire est de 20 %.
Les contrôles ne sont donc pas répartis en fonction des fraudes observées, mais en fonction des erreurs de saisie. En se concentrant sur les personnes commettant des erreurs de saisie, on leur impute des fraudes sans examiner les autres cas. Cet outil me semble donc extrêmement problématique. Il ne respecte pas les principes généraux de notre droit en matière d’égalité de traitement des populations. Je suis personnellement convaincu qu’il est nécessaire de l’abandonner. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-Philippe Nilor (LFI - NUPES). Le rapport met en lumière une dégradation sans précédent d’un service public autrefois source de fierté pour la France. L’incapacité à certifier les comptes, notamment ceux de la branche famille, illustre parfaitement la situation actuelle. L’État a semble-t-il délibérément dépouillé les recettes de la sécurité sociale.
Avec le manque flagrant de moyens budgétaires et humains, les erreurs se multiplient, particulièrement dans les territoires d’outre-mer, aggravant ainsi la précarité de personnes et de familles déjà défavorisées. De nombreux compatriotes renoncent même à solliciter des prestations auxquelles ils ont droit.
Quelles mesures spécifiques préconisez-vous pour remédier à la lente agonie de la sécurité sociale et du système de santé, notamment dans les outremers ?
M. Philippe Frei (RE). Les éléments de ce rapport sont essentiels pour notre commission afin de mieux appréhender la situation des différents comptes sociaux.
S’agissant de la certification avec réserves de la branche autonomie, la synthèse du rapport mentionne des erreurs affectant une partie des enregistrements comptables. Plus précisément, l’établissement des comptes de la branche gérée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) est perturbé par un dysfonctionnement de son logiciel comptable. Ce problème récurrent engendre une incertitude quant à l’intégrité des écritures comptables en 2023. En effet, ce logiciel ne permet pas de produire les états financiers ni d’assurer la traçabilité de certaines opérations, ce qui pourrait expliquer en partie le déficit de la branche en 2023, estimé à 600 millions d’euros. À un moment où nous devons impérativement moderniser nos outils numériques pour améliorer la gestion de nos finances publiques, avez-vous eu l’occasion de discuter de ce sujet avec les représentants de la CNSA ? Quelles actions recommandez-vous pour résoudre ce problème de manière durable ?
Mme Véronique Hamayon. S’agissant des indemnités journalières relatives aux arrêts maladie, j’ai mentionné que ces dépenses ont considérablement augmenté depuis 2017, avec une hausse de plus de 50 %, soit 12 % par an en moyenne. Je vous ai présenté un schéma qui identifiait les raisons principales de cette augmentation. Il montrait notamment la part des arrêts liés au covid, mais également l’effet prix, c’est-à-dire l’augmentation des rémunérations entraînant une hausse des indemnités journalières. L’effet volume, lié à la population active, et un effet de périmètre contribuent également à cette augmentation, ainsi que d’autres facteurs non identifiés représentant plus de 850 millions d’euros.
Les principaux facteurs d’augmentation sont donc l’effet prix sur les salaires, expliquant 730 millions d’euros d’augmentation, l’effet volume et les effets démographiques, représentant 240 millions d’euros et le changement de périmètre pour 370 millions d’euros. L’effet covid, quant à lui, pèse 1,7 milliard d’euros, ce qui est très significatif. Hors effet covid, les dépenses auraient tout de même augmenté à un rythme rapide, très supérieur à l’inflation, avec une moyenne de 7 % par an entre 2017 et 2022.
Afin de maîtriser ces dépenses, nous avons identifié quatre pistes majeures d’économies.
Premièrement, une simplification de la réglementation, notamment pour les cas complexes, afin de réduire les coûts de gestion administrative, estimés aujourd’hui à plus de 400 millions d’euros pour les seules indemnités journalières maladie. Il est donc nécessaire de rechercher des économies dans cette charge administrative en simplifiant le calcul de référence, surtout pour les personnes ayant eu une succession de contrats ou n’étant pas sous contrat salarié.
Deuxièmement, il est crucial d’améliorer les outils de lutte contre la fraude, qui n’est pas suffisamment efficace, notamment en ce qui concerne les arrêts de travail. Le meilleur moyen consiste à abandonner définitivement l’usage des arrêts de travail papier. Il est impératif que les médecins effectuent l’intégralité de leurs prescriptions d’arrêts de travail via le téléservice actuellement disponible : son utilisation est théoriquement obligatoire, mais en réalité, elle n’est pas encore généralisée. Il est essentiel d’atteindre le plus rapidement possible un taux d’utilisation de 100 %. Les outils sont disponibles ; il suffit que les médecins se mobilisent pour télétransmettre, ce qui permettra d’éradiquer une grande partie de cette fraude.
Pour lutter contre les arrêts de travail de complaisance, la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) a mis en place de nouveaux outils permettant de cibler les profils de médecins surprescripteurs, c’est-à-dire ceux qui prescrivent bien au-delà de la moyenne nationale ou régionale. Cela nécessite un dialogue entre la Cnam et les représentants des professions médicales, ainsi qu’un dispositif de sanction graduée qui n’est pas suffisamment appliqué aujourd’hui.
Une troisième piste consiste à revoir la durée maximale d’indemnisation. Les progrès médicaux étant significatifs, il est légitime de penser que réduire, par exemple, de trois à deux ans la durée maximale d’indemnisation, à condition de mettre en place parallèlement un dispositif d’accompagnement pour les pathologies de longue durée, pourrait être envisagé.
La quatrième piste d’économies que nous proposons réside dans la possibilité d’une autodéclaration des arrêts de travail pour les maladies de courte durée, à condition que cela soit assorti de la mise en place d’un ou deux jours de carence d’ordre public, c’est-à-dire ni indemnisés ni indemnisables. Cela n’entraînerait pas immédiatement des économies pour la sécurité sociale et pourrait même représenter un coût, car le jour non indemnisé et non payé par les employeurs se traduirait par une absence de cotisations pour ce jour non travaillé et non payé, donc une moindre recette pour la sécurité sociale. À court terme, cela représenterait plutôt une perte de recettes pour la sécurité sociale et une perte de revenus pour les salariés. En revanche, les entreprises en bénéficieraient, économisant ainsi 1 milliard d’euros grâce à l’instauration d’un jour de carence d’ordre public. Ce milliard d’euros pourrait être reversé à la sécurité sociale. Ainsi, elle récupérerait le gain réalisé par les entreprises, soit par une réduction du taux de prise en charge des indemnités journalières, qui pourrait passer de 50 % à 45 %, soit par un report du début de la prise en charge par l’assurance maladie, par exemple, du quatrième au huitième jour, afin de compenser ce milliard. Il s’agit de trouver des mécanismes, mais nous pensons qu’il y a une piste à explorer. Nous invitons donc le Gouvernement à y réfléchir.
Concernant les niches sociales, les exemptions et exonérations sur les compléments de salaires sont actuellement noyées dans la masse des niches sociales. Il serait nécessaire qu’elles fassent l’objet d’un suivi et d’une analyse particulière, tant leurs effets sur les finances sociales et sur l’équité du prélèvement sont significatifs. Il est essentiel que vous, parlementaires, et les citoyens que vous représentez, soyez informés du dynamisme des dépenses et des manques à gagner pour la sécurité sociale engendrés par ces niches sur les compléments de salaires. Nous sollicitons une transparence accrue sur ces sujets et souhaitons que les évolutions que nous mettons en lumière dans ce chapitre soient actualisées dans les annexes de la LFSS. Cela permettrait de soutenir les décisions prises en conséquence, notamment concernant le cumul des dispositifs d’épargne salariale et la concentration de leurs bénéfices. J’ai souligné précédemment les problèmes d’inégalité entre les entreprises et les salariés bénéficiaires de ces niches sociales.
Sur le même sujet des niches sociales, il convient de rappeler que les travaux menés par l’IGF et l’Igas diffèrent de ceux de la Cour, car ils suivent un programme de contrôle triennal. Ces inspections sont chargées d’examiner l’ensemble des niches sur trois ans, chaque année par tiers. Nous avons échangé informellement avec l’Igas et l’IGF à ce sujet, mais nos approches demeurent distinctes. Nous, nous prêtons une attention particulière aux niches sociales pour évaluer leurs coûts et leurs effets et les porter à la connaissance des citoyens, notamment en ce qui concerne les finances sociales.
Concernant la dette sociale, je confirme les propos de Mme la rapporteure générale et je valide son analyse. Les ressources de la Cades s’amenuiseront en 2024 et 2025. Son excédent, qui dépassait 18 milliards d’euros au 31 décembre 2023, sera réduit à 16 milliards d’euros en 2024 en raison du transfert d’une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG) à la CNSA. Cet excédent continuera à se réduire à partir de 2025, notamment parce que la contribution versée par le FRR passera de 2,1 milliards à 1,45 milliard d’euros.
Par ailleurs, le déficit de la sécurité sociale augmentera, toutes choses égales par ailleurs, et dépassera 17 milliards d’euros en 2027. Si aucune mesure n’est prise, ce déficit dépassera la capacité d’amortissement de la Cades, entraînant une nouvelle augmentation de la dette sociale sans perspective de retour à l’équilibre. C’est pourquoi nous avons évoqué des points de bascule en 2027.
S’agissant des questions relatives à la certification et aux anomalies significatives que nous avons identifiées, nous accompagnons également les organismes lors de la certification. Les travaux engagés par la Cnaf, par exemple, à la suite de la non-certification de l’année dernière, ont permis des progrès. Les équipes de certification ont constaté des avancées réelles, bien qu’elles ne se traduisent pas encore dans les comptes. Il s’agit notamment de développer et de fiabiliser les déclarations de ressources, qui sont à l’origine de nombreuses erreurs, qu’elles soient produites par les assurés ou par les employeurs. Le dispositif de ressources mensuelles, désormais en place, commence à porter ses fruits et nous observons une fiabilisation croissante de ces déclarations de ressources. Par ailleurs, la Cnaf et la branche famille ont intensifié les contrôles, notamment en termes d’efficacité financière, sur un certain nombre de dossiers à risque.
Je souhaite également revenir sur les provisions que nous avons estimées trop importantes, notamment les provisions pour risques contentieux. Il n’existe pas de manipulation délibérée des comptes, mais simplement une appréciation différente du risque entre l’Acoss ou l’assurance maladie et la Cour des comptes.
Concernant la branche maladie, nous n’avons pas approuvé la modification du mode de calcul de la provision pour risque lié aux contentieux sur les médicaments. Ce changement par rapport aux années précédentes n’est pas acceptable pour nous. Nous aurions souhaité que les mêmes modalités de calcul que celles de 2022 soient appliquées. Or cela n’a pas été le cas et la provision pour risque a été abaissée de 90 % à 30 %, réduisant la provision à 1 milliard d’euros, ce qui est insuffisant.
S’agissant du data mining, il est important de préciser que cette méthode n’est pas utilisée uniquement par la branche famille, mais également par la branche maladie et les autres branches de la sécurité sociale. Nos rapports sur la lutte contre la fraude montrent que l’instauration du data mining a significativement amélioré l’identification de la fraude. En effet, au lieu de travailler sur des échantillons aléatoires, les caisses se concentrent sur des échantillons ciblés a priori grâce au data mining, ce qui augmente considérablement les rendements des contrôles par rapport aux échantillons aléatoires. La Cour des comptes considère le data mining comme un outil efficace de lutte contre la fraude. Il est également crucial de noter que nous estimons que 75 % de la fraude proviennent des professionnels de santé et non des assurés sociaux. Cette estimation inclut l’ensemble des professionnels de santé, y compris les transporteurs sanitaires.
Il est incorrect de parler d’« insincérité » des comptes ou des prévisions et hypothèses macroéconomiques qui sous-tendent les perspectives du Gouvernement, bien que nous considérions ces hypothèses comme optimistes. Le Haut Conseil des finances publiques partage cette opinion. Néanmoins, il semble que l’évolution de la masse salariale pour le premier trimestre 2024 soit légèrement supérieure aux prévisions, bien que cette information ne soit pas encore officiellement confirmée. Nous ne sommes jamais à l’abri d’une mauvaise surprise, mais également d’une bonne surprise. Il est donc inapproprié de parler d’insincérité.
Concernant le sous-financement chronique de la protection sociale, cela soulève un problème beaucoup plus vaste. Une réflexion sur une nouvelle répartition des efforts entre les assurés, les professionnels de santé, l’assurance maladie obligatoire et les assurances maladie complémentaires semble nécessaire. Cette question mérite d’autant plus d’être posée que le vieillissement de la population aura un impact significatif sur les comptes de la sécurité sociale. J’ai mentionné précédemment l’impact du vieillissement de la population sur le nombre de lits disponibles, mais il importe également de considérer l’impact sur les dépenses. Si les conditions actuelles perdurent, le seul effet du vieillissement de la population entraînera une augmentation de 13 milliards d’euros en 2030 et de 27 milliards d’euros en 2040. Nous faisons donc face à un problème majeur. Le déficit actuel n’est pas résorbé et les hypothèses du Gouvernement visent à stabiliser ce déficit, non à l’éliminer. La Cour des comptes a tenté de simuler des scénarios de résorption de ce déficit, mais l’effort nécessaire pour la société française est considérable et ne correspond probablement pas au calendrier gouvernemental d’ici à 2027. Si l’on ajoute les dépenses liées au vieillissement de la population, les ordres de grandeur deviennent considérables et remettent en question la pérennité du système de financement actuel.
En ce qui concerne les travailleurs indépendants, je ne me suis pas exprimée en détail, car il y a peu de nouveautés par rapport à ce que nous avons déjà exposé l’année dernière. Le CPSTI est l’un des bénéficiaires des prélèvements des travailleurs indépendants, recouvrés par les Urssaf. En 2022, il a été affecté par les mêmes faiblesses que celles observées dans le contrôle interne du recouvrement de ces prélèvements. De manière similaire, les dossiers relatifs au régime de retraite complémentaire des indépendants présentent les mêmes lacunes que celles constatées dans le régime général, notamment pour les droits liquidés à l’aide de l’outil commun Asur. Concernant les rentes d’invalidité et les capitaux d’essai spécifiques aux travailleurs indépendants, la situation a peu évolué par rapport à 2022. La dépense s’est rapprochée de son niveau antérieur à l’absorption du RSI par le régime général.
La prévention représente un enjeu majeur. Il est difficile de chiffrer les actions de prévention primaire, car elles s’inscrivent dans une temporalité longue, avec des effets potentiels à long terme. Cependant, la Cour des comptes a déjà exprimé son avis sur plusieurs sujets liés à la prévention, soulignant qu’une meilleure prévention aurait un impact significatif non seulement sur la qualité de vie des patients, mais également sur les finances sociales. Par exemple, dans un rapport sur l’insuffisance rénale chronique terminale, nous avons estimé que plusieurs centaines de millions d’euros pourraient être économisées grâce à une prévention améliorée et une prise en charge plus précoce. De même, dans un rapport sur la santé respiratoire, nous avons mis en évidence des économies potentielles. Enfin, dans un rapport sur la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées, nous avons chiffré à 1,5 milliard d’euros l’économie pour la collectivité nationale d’une année de vie supplémentaire sans perte d’autonomie. Nous sommes convaincus qu’une part importante des économies réside dans une meilleure prévention. Toutefois, l’administration ne dispose pas de chiffres précis et il est complexe de chiffrer des actions à long terme. Nous en restons donc à ces constats.
Pour autant, il est impossible de faire reposer les efforts nécessaires uniquement sur la prévention et la lutte contre la fraude. Bien que ces deux éléments soient essentiels, ils ne suffiront pas à combler le déficit de la sécurité sociale tel qu’il se dessine actuellement, surtout en tenant compte du vieillissement de la population.
Nous appelons à un changement d’échelle dans la lutte contre la fraude. Nous avons constaté une évolution notable dans les efforts de lutte contre la fraude, menés par les différentes branches, notamment la branche maladie. Nous incitons à poursuivre ces efforts et à aller beaucoup plus loin. L’écart entre les montants de fraude estimés et ceux recouvrés est tel qu’il est impératif de changer d’échelle. Les moyens sont variés. Il s’agit non seulement d’augmenter les contrôles, mais surtout de les améliorer. Depuis des années, nous demandons que, notamment dans la branche maladie, davantage de contrôles soient intégrés dans les systèmes d’information pour détecter a priori, avant le paiement des actes, les anomalies, incohérences et impossibilités de facturation. Cela n’est toujours pas réalisé, bien que des progrès aient été faits avec certains outils. Le dispositif de ressources mensuelles est extrêmement prometteur à cet égard.
J’ai indiqué qu’une partie des fraudes ou erreurs – qui ne sont pas nécessairement intentionnelles – provient des données déclarées par les assurés eux-mêmes. Le fait de faire figurer un net social sur les feuilles de salaire devrait également permettre de réduire le nombre d’erreurs et de fraudes.
Comment améliorer la qualité du service rendu ? Nous constatons une forte augmentation des appels téléphoniques. La fermeture de nombreux accueils physiques, remplacés par des rendez-vous, a entraîné un report sur les appels téléphoniques, qui ont considérablement augmenté, ce qui explique peut-être aussi la dégradation de la qualité des réponses apportées. Nous proposons de comprendre les raisons d’un tel nombre d’appels répétés. Les assurés sont contraints d’appeler plusieurs fois pour la même raison, car ils ne parviennent pas à obtenir une réponse complète et sans erreur. La qualité des appels s’améliorera si nous formons correctement les personnes qui répondent. Pour cela, il est essentiel que les agents comprennent les raisons des appels réitérés. Lorsque nous aurons réduit le nombre d’appels répétés, c’est-à-dire lorsque les assurés obtiendront une réponse satisfaisante dès leur premier appel, nous aurons considérablement diminué le nombre total d’appels.
Les erreurs dans la branche famille sont principalement dues aux déclarations des allocataires, mais aussi à des erreurs des caisses et à des erreurs de données transmises entre les administrations. Cependant, ces erreurs tendent à diminuer grâce à la transmission automatique des données, notamment pour les pensions alimentaires. Cette automatisation garantit une plus grande fiabilité. Les taux d’erreur enregistrés lors de la réforme des aides au logement ont été largement résorbés et la plupart des erreurs actuelles proviennent des déclarations des employeurs via la déclaration sociale nominative.
S’agissant de la branche maladie, il existe un problème de codage des actes médicaux qui explique certaines erreurs. Les vérifications a posteriori entraînent des facturations indues ou des trop-perçus. Pour les assurés, les erreurs proviennent souvent de déclarations erronées, notamment pour la C2S. Là encore, l’utilisation des données transférées automatiquement pour le calcul de la C2S devrait permettre de corriger ces erreurs.
Enfin, en ce qui concerne la branche vieillesse, la plupart des erreurs surviennent lors du calcul des pensions au moment de leur liquidation. L’impact de la réforme des retraites sur les erreurs n’est pas flagrant, car ce n’est pas son objet. Je ne suis pas convaincue que cela permette de réduire les erreurs, mais plutôt les dispositifs que j’ai évoqués précédemment.
La solidarité à la source peut effectivement contribuer à réduire les anomalies et les fraudes bien que ce ne soit pas son objectif premier. Elle permettra probablement de sécuriser et de fiabiliser les données financières nécessaires au calcul des prestations.
Pour ce qui regarde la branche famille et les familles nombreuses, je rappelle que le refus de certification de l’an dernier reposait sur plusieurs éléments tels que la dégradation des liquidations erronées, avec un montant d’erreurs non corrigées de 5,8 milliards d’euros, le maintien des contrôles à un niveau très inférieur à celui d’avant la crise sanitaire et l’absence d’amélioration de la qualité des liquidations à court terme. La combinaison de ces trois facteurs avait conduit la Cour à ne pas certifier.
Cette année, la situation est quelque peu différente. La branche famille s’est engagée dans un processus d’amélioration de la liquidation des prestations, bien que cela ne se reflète pas encore dans les comptes de 2023 et que le montant de 5,5 milliards d’euros d’erreurs non corrigées reste élevé. Comme mentionné précédemment, les erreurs non corrigées au bout de vingt-quatre mois demeurent un problème. Toutefois, nous avons constaté une mobilisation réelle de la branche à tous les niveaux, y compris au plus haut niveau. De plus, des moyens supplémentaires lui ayant été alloués, nous estimons qu’elle est désormais en mesure de remplir ses obligations, notamment en rétablissant une qualité comptable que nous appelons de nos vœux.
Le déficit de 600 millions d’euros en 2023 de la branche autonomie devrait se transformer en excédent de plus de 1,2 milliard d’euros en 2024, grâce au transfert de CSG vers cette branche.
Le SNDS fait face à un blocage lié à la question de l’hébergement. Le Health Data Hub avait attribué le marché à une filiale de Microsoft après un appel d’offres, mais cette décision s’est heurtée à une règle européenne interdisant l’hébergement de données sur des serveurs situés dans un pays non-membre de l’Union européenne. La situation est donc bloquée. Nous devons impérativement sortir de ce blocage le plus rapidement possible. Nous nous trouvons dans une situation où chaque protagoniste attend que l’autre prenne l’initiative, ce qui conduit à une impasse. C’est pourquoi nous proposons de transférer au moins une copie anonymisée de la base du SNDS à un hébergeur sélectionné après mise en concurrence, mais relevant du droit de l’Union européenne. Cela rendrait le SNDS accessible, notamment pour le monde de la recherche, qui souffre actuellement de cette situation. Certes, nous ne pourrions pas recourir à l’intelligence artificielle, car aucun hébergeur relevant du droit de l’Union européenne ne peut offrir les garanties d’utilisation de l’intelligence artificielle souhaitées initialement par le Health Data Hub. Cependant, cette solution permettrait de débloquer la situation actuelle. Par ailleurs, nous appelons à intégrer le plus rapidement possible au SNDS toutes les données qui doivent y figurer et qui ne sont pas encore incluses, notamment les entrepôts de données de santé des hôpitaux.
Les hospitalisations évitables pour les personnes âgées représentent une question essentielle, car cela représente une source significative d’économies. Nous avons constaté que les établissements ayant mis en place un système permettant d’accueillir les personnes âgées sans passage par les urgences, en les orientant directement vers la gériatrie et en les adossant à des services médicaux de réadaptation, réduisent considérablement les hospitalisations non nécessaires. Cette organisation, combinant médecine de ville et organisation hospitalière, améliore non seulement la santé des patients, mais également les finances de la sécurité sociale. Nous ne disposons pas d’un chiffrage précis des coûts des hospitalisations évitables.
Il est vrai qu’il existe de nombreuses erreurs de manière générale, notamment concernant les prestations de sécurité sociale en outremer. Nous avons récemment contrôlé la CGSS de Martinique. Les résultats de ce contrôle ne sont pas encore rendus publics, mais ils le seront très prochainement. À l’avenir, nous examinerons également les autres CGSS des départements et territoires d’outre-mer, car il est impératif de revoir en profondeur plusieurs aspects de leur organisation. Bien que je ne puisse pas en dire davantage tant que le rapport n’est pas publié, la situation est extrêmement préoccupante. Nous portons une attention particulière à l’outre‑mer, tant sous l’angle de la sécurité sociale et de la gestion des prestations par les caisses de sécurité sociale que sur la question de la santé et de la prise en charge des patients.
L’année dernière, nous avions déjà soulevé le problème posé par le logiciel comptable de la branche autonomie. En 2023, le procureur général avait d’ailleurs adressé une communication au directeur général des finances publiques pour signaler que ce logiciel, tel qu’il a été conçu, permet de rayer des écritures comptables qui ne sont donc pas sanctuarisées. Bien que certaines mesures aient été prises en collaboration avec la CNSA et la branche autonomie pour éviter ce genre de dysfonctionnements à l’avenir, nous constatons encore des disparitions d’écritures comptables. En effet, il subsiste des blancs dans la numérotation des écritures. Nous avions alerté la direction générale des finances publiques, non seulement pour la CNSA, mais également parce que ce logiciel est utilisé par d’autres organismes publics, notamment de nombreux établissements publics. Il était donc nécessaire de signaler ces dysfonctionnements au plus haut niveau, ce que nous avons fait.
Mme la présidente Charlotte Parmentier-Lecocq. Je vous remercie, madame la présidente, car les questions abordées étaient nombreuses et les sujets traités particulièrement denses. Je pense que chacun a pu obtenir des réponses aux points qu’il a soulevés. Nous disposons ainsi de l’ensemble les éléments nécessaires à la poursuite de notre travail.
Mme Véronique Hamayon. Il semble que vous ayez reçu le Ralfss très tard hier soir, pour une raison que nous ne comprenons pas encore. Le rapport était prêt dans les délais habituels, mais un problème est survenu au sein de notre circuit interne. Je vous prie donc d’accepter les excuses de la Cour des comptes pour ce contretemps.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, présidente. Je vous remercie.
La réunion s’achève à onze heures trente.
Présences en réunion
Présents. – M. Éric Alauzet, M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, M. Édouard Bénard, M. Christophe Bentz, Mme Fanta Berete, Mme Sylvie Bonnet, Mme Chantal Bouloux, M. Louis Boyard, M. Victor Catteau, M. Paul Christophe, M. Hadrien Clouet, Mme Laurence Cristol, M. Arthur Delaporte, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, M. Marc Ferracci, M. Thierry Frappé, M. Philippe Frei, M. François Gernigon, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Laure Lavalette, M. Didier Le Gac, Mme Katiana Levavasseur, Mme Brigitte Liso, M. Didier Martin, Mme Joëlle Mélin, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Fabien Roussel, M. Jean-François Rousset, M. François Ruffin, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, Mme Isabelle Valentin, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Alexandre Vincendet, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Clémentine Autain, M. Elie Califer, Mme Josiane Corneloup, Mme Caroline Fiat, Mme Sandrine Josso, Mme Christine Loir, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. – M. Pierre Dharréville, M. Fabien Di Filippo, M. Yannick Monnet