Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

– Audition, à huis clos, de Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)               2

– Informations relatives à la commission.....................19


Mercredi
10 avril 2024

Séance de 09 h 00

Compte rendu n° 51

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Jean-Louis Bourlanges,
Président


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La commission procède, à huis clos, à l’audition de Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Présidence M. Jean-Louis Bourlanges, président.

La séance est ouverte à 9 h 05.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, nous recevons ce matin Mme Muriel Domenach, ambassadrice, représentante permanente de la France à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Madame l’ambassadrice, je vous remercie d’avoir accepté de venir devant nous afin de nous livrer votre analyse sur la situation, les enjeux actuels et les perspectives qui concernent l’OTAN et son organisation militaire, notamment dans la perspective du sommet du 75e anniversaire qui se tiendra à Washington en juillet prochain.

Madame l’ambassadrice, vous étiez prédestinée, par votre brillante carrière, à occuper les fonctions qui sont les vôtres actuellement. Vous avez été chargée de mission sur la politique européenne de sécurité et de défense à la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense, puis conseillère au cabinet du ministre de la défense au début du millénaire. Vous avez été ensuite en poste à la représentation permanente auprès de l’OTAN avant de devenir directrice-adjointe du centre d’analyse et de prévision du Quai d’Orsay, puis sous-directrice des affaires stratégiques à la direction des affaires stratégiques, de sécurité et de désarmement. Vous avez alors été consule générale à Istanbul, de 2013 à 2016 ; à l’occasion de ma participation à un colloque à Istanbul, j’avais eu l’occasion de constater que vous étiez très familiarisée avec les réalités turques. Vous avez été ensuite secrétaire générale du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, avant d’être affectée en 2019 à la représentation permanente auprès de l’OTAN en tant qu’ambassadrice.

Vous connaissez donc fort bien l’Alliance atlantique, ainsi que tous les sujets et enjeux qui déterminent et entourent son fonctionnement au quotidien. Nous avions travaillé ensemble sur le processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN en juillet 2022. À cette occasion, j’avais relevé que l’OTAN émergeait très difficilement d’un ensemble de difficultés qu’elle est encore loin d’avoir surmontées.

Je pense personnellement que l’Alliance atlantique est confrontée à cinq défis.

Le premier est le plus critique : il s’agit de la question existentielle. L’OTAN a-t-elle vocation à survivre ou bien à disparaître ? Le président de la République a prononcé une phrase désormais célèbre, sur laquelle il est revenu ensuite, selon laquelle l’Alliance atlantique se trouvait en « mort cérébrale ». Je m’étais permis de qualifier ce diagnostic d’un peu trop sévère, considérant qu’il convenait plutôt de parler de coma car la différence entre la mort cérébrale et le coma est qu’il est possible de sortir du second de ces états alors qu’il en va différemment pour le premier.

La guerre en Ukraine a, semble-t-il, éloigné cette menace de disparition de l’OTAN mais pas totalement. Les évolutions de la politique américaine montrent que de graves problèmes se posent encore. M. Trump donne parfois le sentiment de vouloir sortir de l’Alliance ou, ce qui revient presque au même, d’interpréter l’article 5 du traité de Washington, qui énonce le principe de solidarité entre les pays membres, d’une manière extrêmement laxiste. Le problème existentiel reste posé et ne sera pas réglé au moment du sommet de l’OTAN puisque ce dernier précède l’élection américaine.

Le deuxième défi est celui du rééquilibrage. Là encore, l’ancien président Trump pose, en des termes extrêmement brutaux comme à son habitude, un problème assez évident qui s’est posé constamment. Les présidents Obama et Biden l’ont eux-mêmes évoqué : il s’agit de la participation à l’effort de défense. Les Américains consacrent environ 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leur défense alors que les pays européens, qui sont pourtant fortement développés et prospères, peinent à y consacrer 2 %. Il paraît assez anormal que l’essentiel de la mission de défense repose sur les Américains.

Les appels au rééquilibrage brutalement lancés par l’ancien président Trump ont eu des effets. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a pris des engagements qu’il n’avait pas exprimés au moment de l’examen de la loi de programmation militaire. J’avais d’ailleurs regretté cela à l’époque et déposé un amendement afin que la part du PIB français consacrée à la défense soit augmentée. Cette proposition avait été écartée par le Gouvernement. J’aimerais connaître votre point de vue sur la problématique du rééquilibrage, en termes financiers comme militaires, s’agissant des équipements, des armements, etc.

Vient ensuite le problème périmétrique : quelle est la dimension ultime de l’OTAN ? L’intégration de la Suède et de la Finlande s’est déroulée de manière relativement satisfaisante mais nous avons tout de même dû surmonter de sérieuses objections de la part de la Hongrie et de la Turquie. La question de l’adhésion hypothétique de l’Ukraine est posée d’une curieuse façon. Nous avons le sentiment que, alors que les Allemands et Français étaient très réservés au moment du sommet de Bucarest tandis que les Américains en étaient d’ardents promoteurs, la situation s’est inversée. Désormais ce sont plutôt les Américains, entre autres, qui envisagent très difficilement l’Ukraine rejoindre l’Alliance atlantique. D’où la question des garanties de sécurité que nous pouvons offrir à ce pays.

Des problèmes se posent également de la part d’États extérieurs à l’OTAN et à l’Union européenne mais européens, comme le Royaume-Uni. Dans le même temps, des États extérieurs à l’Union européenne et membres de l’OTAN font cavalier seul sur un certain nombre de sujets, à l’image de la Turquie.

J’aimerais également évoquer le problème vocationnel : est-ce que l’OTAN a pour vocation de continuer à préserver le théâtre européen comme c’est sa vocation statutaire ou est-ce, que comme le souhaitent les États-Unis, elle a vocation à organiser la solidarité militaire de l’ensemble des pays face à une menace multiforme, notamment très présente dans le Pacifique. Nous avons exprimé des positions assez réservées à ce propos dans le passé par rapport aux États-Unis. La situation a-t-elle évolué sur ce plan ?

Le dernier problème est de nature stratégique. Nous voyons bien, à travers l’évolution du rapport de force militaire en Ukraine, avec les rodomontades ou menaces réelles du président Poutine – et notamment la rhétorique de la menace nucléaire –, que nous devons réfléchir à notre doctrine stratégique pour protéger l’Europe. Je rappellerai que dans les années 1950, les États-Unis étaient le seul Etat membre de l’OTAN capable de frapper un autre pays avec l’arme nucléaire et que les Soviétiques ne le pouvaient pas. Dès lors que l’Union des République socialistes soviétiques (URSS) est devenue capable de rivaliser avec la puissance nucléaire américaine, il s’est agi d’éviter le découplage, c’est-à-dire – comme l’expliquait le général de Gaulle – que les États-Unis et l’URSS ne se fassent la guerre par l’Europe interposée. Des missiles Pershing ont ainsi été installés face aux SS20 dans les années 1980, durant la phase terminale de la guerre froide. Nous devons nous interroger sur la démarche à adopter si la Russie employait des armes nucléaires tactiques. La question se poserait bien entendu en des termes très différents si des armes nucléaires stratégiques devaient être utilisées.

Tous ces problèmes sont passionnants et décisifs pour l’avenir. S’agissant de problèmes politiques, ils n’ont pas vocation à être résolus mais à être traités. Nous souhaitons connaître votre point de vue sur l’ensemble de ces questions, dans la perspective du sommet de juillet prochain. Vous êtes certainement la personne la plus compétente et la plus expérimentée pour cela et je vous remercie de votre disponibilité.

Mme Muriel Domenach, représentante permanente de la France auprès de l’OTAN. C’est avec plaisir que je viens rendre compte de l’action de la France au sein de l’OTAN. Il me semble important, pour le débat démocratique, de discuter de nos options de politique étrangère et de défense. J’ai conscience que votre emploi du temps est chargé, aussi je m’exprimerai aussi clairement que possible. Par ailleurs, dans la mesure où cette audition n’est pas classifiée, je ne serai pas en mesure de développer certaines questions, et notamment celle de la doctrine nucléaire.

Le sommet de Washington aura lieu les 10 et 11 juillet prochains. Ce sera l’occasion de célébrer le 75e anniversaire du traité fondateur de l’Alliance atlantique. Les chefs d’État et de gouvernement seront présents là où le traité a été signé, le 4 avril 1949. Une réunion des ministres des affaires étrangères des Etats membres a d’ailleurs eu lieu le 4 avril dernier au siège de l’organisation pour commémorer cette date. Il est important pour nous d’entendre les discours des pays qui ont rejoint l’Alliance depuis 1999. Cette intégration a eu lieu en trois vagues : en 1999 – Hongrie, République tchèque et Pologne –, 2004 – Bulgarie, Roumaine, Slovaquie, Slovénie, Estonie, Lituanie et Lettonie – et en 2009 – Albanie et Croatie.

J’aimerais souligner la question de la signification de l’OTAN pour les pays dont la sécurité est la plus exposée en Europe et qui sont nos partenaires dans l’Union européenne et alliés dans l’OTAN. Pour être audibles sur la sécurité européenne, nous devons entendre les attentes de ceux qui ont le plus de préoccupations de sécurité.

Il existe un hiatus entre le renforcement de l’Alliance et l’évolution de la situation sur le terrain en Ukraine. Cette dernière – et donc, indirectement, l’Alliance atlantique – est dans une position difficile. Si l’Ukraine devait être défaite, nos alliés du flanc oriental se retrouveraient alors directement exposés. La Russie s’enhardirait et ne s’arrêterait pas à ses conquêtes sur le territoire ukrainien. Alors qu’elle n’hésite déjà pas à tenir un discours que l’on pourrait pudiquement qualifier d’« intimidation stratégique », elle déconstruirait encore davantage l’ordre international.

Notre Alliance est néanmoins renforcée. Elle compte trente-deux membres depuis l’adhésion de la Suède, le 7 mars 2024, et de la Finlande, le 4 avril 2023. Nous avons levé le drapeau suédois le 11 mars après une passe difficile avec la Turquie et la Hongrie. J’insiste sur la signification de ces deux adhésions. Ce sont deux démocraties extrêmement vivantes et leur localisation géographique est stratégique. Une agression russe massive contre l’Alliance atlantique s’avère plus compliquée avec une frontière deux fois plus longue avec des Etats qui en sont membres et avec une mer Baltique qui est quasiment transformée en un lac de l’OTAN. Simultanément, cette double adhésion facilite considérablement la défense du flan oriental et en particulier des États baltes. Ces derniers sont en effet situés sur un isthme difficile à défendre mais il est désormais possible de les renforcer à travers la mer Baltique, en complément de la voie terrestre à travers le corridor de Suwałki, cette bande de terre reliant la Pologne et la Lituanie qui pourrait être prise en tenaille entre l’enclave russe de Kaliningrad et le Belarus, passé de fait sous commandement militaire russe.

L’Alliance atlantique est également renforcée par l’affaiblissement considérable des forces armées du dispositif militaire russe à nos frontières. Cela ne retire rien au caractère agressif et même menaçant de la Russie mais force est de constater que l’ukrainisation de la politique étrangère et de défense russe implique un redéploiement d’une bonne partie des forces de la Russie, notamment terrestres. Environ 30 % des forces terrestres du commandement Nord, seulement, sont maintenues en position. Des systèmes de défense antiaérienne ont été retirés de Kaliningrad. Les moyens militaires sont donc concentrés autour de l’Ukraine. Par ailleurs, 30 % des forces navales russes en mer Noire ont été détruites.

Pour autant, l’Ukraine est en difficulté sur le terrain. Sur certaines zones du front, la pénurie de munitions place les forces armées ukrainiennes dans une situation où elles doivent consommer six fois moins – voire même parfois dix fois moins – de munitions que leurs adversaires. La Russie est montée en puissance plus vite que les alliés et s’approvisionne auprès de la Corée du Nord et de l’Iran ; de même, il apparaît qu’elle bénéficie, pour les composants à double usage, du soutien de matériels chinois.

Nous sommes parvenus à une conviction sensiblement différente de celle que nous avions au départ : une défaite de l’Ukraine serait aussi une défaite pour nous. La France partage en l’occurrence le risque de l’ensemble de l’Alliance atlantique. Le hiatus entre le renforcement de l’Alliance et le risque de défaite en Ukraine nous expose. Nous avons donc intérêt à conjurer ce risque.

J’aimerais revenir sur la problématique existentielle que vous exposiez, Monsieur le président. Le choix de la date du sommet en juillet est un cadeau empoisonné que les Américains se sont octroyé. L’administration Biden veut montrer une Alliance unie autour du président des États-Unis et a choisi juillet plutôt qu’avril, ce qui coïncide avec la convention républicaine, alors que l’OTAN et l’Ukraine sont devenus des sujets de politique intérieure très clivants. Le candidat républicain à l’élection présidentielle de novembre fait planer le doute quant à l’implication des États-Unis dans l’OTAN ou, à tout le moins, sur l’interprétation de l’article 5 du traité de Washington, tandis que le mouvement Make America Great Again – « Rendre sa grandeur à l’Amérique » – est fondamentalement prorusse. Il ne conçoit pas une victoire de la Russie comme adverse aux intérêts américains voire présente le risque russe comme un moyen de pression sur les Européens. On a ainsi entendu dire : « S’ils ne paient pas – comme si le budget de défense était une cotisation à l’Alliance ! –, j’encouragerai les Russes à faire ce qu’ils ont en tête »

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Une allusion plus précise aux pays baltes a même été faite.

Mme Muriel Domenach. Pas à ma connaissance.

Vous évoquiez la nécessité de traiter les enjeux et je pense que les alliés sont prêts à considérer ce défi existentiel, qui serait renforcé par un retour de Donald Trump au pouvoir, et avec lui de la mouvance Make America Great Again. Plus fondamentalement, le barycentre des intérêts américains a tendance à se déplacer en dehors de l’Europe. Un parallèle peut être fait avec les années 1950, où la guerre se déroulait en Asie alors que le barycentre des intérêts géopolitiques de notre allié américain se situait en Europe. La situation est inversée aujourd’hui.

Ce qui avait commandé une implication accrue des États-Unis en Europe dans les années 1950 ne commande pas un détournement de l’Europe mais en tout cas rend quasiment impossible un abondement de l’engagement américain en Europe, alors que les besoins vont croissants. Je ne fais pas le pari d’un retrait américain mais je ne pense pas qu’un abondement soit possible. Au-delà même de l’hypothétique retour de Donald Trump au pouvoir, la tendance de long terme est celle d’une croissance des besoins de sécurité sur le continent européen tandis que la présence américaine serait au mieux constante.

Dans ce contexte, la tentation de beaucoup d’alliés, pour conjurer un retour aux affaires de Donald Trump et, au-delà, pour ancrer la présence américaine, serait de réaliser une sorte de transaction. Je pense à plusieurs dirigeants d’Europe centrale et orientale mais également au ministre britannique des affaires étrangères, qui a débuté son voyage officiel aux États-Unis, hier, par une visite en Floride à Donald Trump. Certains termes de cette transaction pourraient nous convenir mais d’autres seraient sans doute plus dangereux.

L’argumentaire actuel en faveur d’un soutien de l’Ukraine et de la mise en échec de la Russie repose sur le fait que l’Europe reste le principal partenaire des États-Unis et sur l’existence d’un précédent à l’égard de la Chine. Ce discours nous convient pleinement. En revanche, nous sommes opposés à l’autre pendant d’une éventuelle transaction, qui serait que l’OTAN étende le champ de son action de défense collective à l’Asie.

La France ne soutient pas l’idée de la constitution d’un bloc en face de celui qui serait constitué de la Russie et de la Chine. Nous voyons bien que la Chine soutient la Russie mais pas dans un contexte d’alliance. Si l’OTAN agissait comme un bloc envers la Chine, le risque que nous prétendons conjurer pourrait se matérialiser à travers la constitution d’une alliance sino-russe. En outre, notre discours serait moins audible auprès de partenaires du Sud. Enfin, le bénéfice militaire serait extrêmement marginal car il n’y a guère que la France et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni qui disposent de moyens dans la région. En se présentant comme un garant de la sécurité dans la région Asie-Pacifique, l’OTAN obtiendrait un gain très faible et sa démarche serait contre-productive sur le plan politique.

La tentation transactionnelle n’en demeure pas moins réelle. Elle relève d’un réflexe souvent institutionnel, qui consiste à vouloir maintenir une « pertinence » à l’OTAN ; ce terme est récurrent. La pertinence s’entend au sens où l’OTAN s’approprierait la politique étrangère des États-Unis.

Mais je suis plutôt confiante dans le fait que nous réussirons à conjurer ce risque. Je l’aurais moins été il y a quelques mois mais, aujourd’hui, il est très clair que l’Ukraine sera au cœur de l’agenda, qui reste centré sur la sécurité euro-atlantique.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La déclaration d’il y a deux ans sur la Chine montrait que l’Alliance atlantique opérait un mouvement en direction du Pacifique.

Mme Muriel Domenach. Nous avons encadré très strictement la coopération de l’Alliance atlantique avec les partenaires de la région Asie-Pacifique. Cela nous a d’ailleurs été vivement reproché à un certain moment l’an dernier, à grands renforts de campagnes de presse. Parmi les reproches qui nous sont adressés figure le fait d’avoir cantonné la coopération avec les partenaires d’Asie-Pacifique à la sécurité de la zone euro-atlantique, mais c’est l’article 6 du traité de Washington qui limite la défense collective au champ de la zone euro-atlantique et au Nord du tropique du Cancer.

La coopération avec le Japon, l’Australie, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande est cantonnée à ses incidences sur la sécurité euro-atlantique. Je pense notamment aux partenaires extérieurs à l’Alliance qui aident l’Ukraine. Sont également concernés les domaines transversaux non territorialisés qui influent sur la sécurité dans la région euro-atlantique, et notamment la sphère cybernétique et l’espace. En revanche, comme vous le savez, la France a fait obstacle à l’établissement d’un bureau de liaison de l’OTAN à Tokyo. La France s’oppose par exemple à toute activité des forces navales permanentes de l’OTAN dans la zone indopacifique. Elle s’oppose aussi au « hors sujet », c’est-à-dire au développement d’un agenda économique au sein de l’organisation que plaident évidemment une partie du système américain et une partie du système otanien.

Les positions françaises à l’OTAN s’expriment selon quatre modalités : « oui », « oui, si », « non, sauf » et « non ». Vous reconnaîtrez donc que la position est celle du « non » pour les sujets que je viens d’évoquer. Cette position est bien comprise et beaucoup disent plus ou moins bas : « The French were right ».

Le deuxième terrain de tentation transactionnelle de la part de nos alliés est celui de l’industrie. Je suis plutôt confiante dans notre capacité à éviter un conflit sur les questions industrielles. Les États-Unis ont pu constater que les initiatives européennes en matière de défense, entreprises avec énergie par le commissaire Thierry Breton, concourent à soutenir l’effort de défense. Les États-Unis souhaitent justement que leurs alliés européens augmentent leurs efforts en matière de défense. Ils ne font donc pas obstacle à des acquisitions industrielles majeures aux États-Unis. Les acteurs européens ont besoin d’accroître leurs capacités industrielles, avant tout pour soutenir l’Ukraine. Les Pays-Bas sont devenus très favorables à la défense européenne. La France n’est plus dans la situation où elle devait défendre auprès de l’Union européenne le besoin pour celle-ci d’acquérir une autonomie stratégique car elle n’est plus du tout seule à adopter une telle position. Je pense que les enjeux industriels dépassent le champ transatlantique ou les préférences européennes. Nous faisons face à des enjeux de production, ce qui nous renvoie à des échanges sur l’industrie et l’économie de guerre.

J’aimerais conclure mon intervention liminaire par une note personnelle. En référence à la « mort cérébrale » que vous avez évoquée, monsieur le président, j’ai connu la « résurrection par thérapie de choc » imposée par Vladimir Poutine. Je vois aujourd’hui en l’OTAN une alliance dont le risque est le nôtre.

En tant que diplomate, je n’ai pas à exprimer de sentiments mais je constate que nous avons changé d’ère. Le conflit en Ukraine redéfinira les conditions de sécurité sur le continent européen. J’aimerais signaler la tribune du ministre Stéphane Séjourné et de ses homologues Annalena Baerbock et Radoslaw Sikorski, qui insiste sur la période de bascule pour le continent européen. Nous sommes à un moment où les Américains ne veulent pas faire plus et où les Européens ne peuvent pas assez. Nous devons en tirer les conséquences, à la fois en termes de capacités de industrielles et d’agilité stratégique. C’est tout le sens des propositions du président de la République d’envisager des options plus risquées en Ukraine, qui seules peuvent réintroduire de l’ambiguïté stratégique dont nous avons besoin. Je ne crois pas un instant que nous ayons la volonté ou la capacité de « remplacer » les Américains dans le soutien à l’Ukraine ou dans la présence en Europe mais nous devons nous préparer à faire davantage à la fois pour l’Ukraine en soutien du flanc oriental de l’Europe et pour notre propre sécurité. Et nous devons faire cela à notre propre manière, en assumant des risques accrus. Nous n’opérerions pas avec la doctrine ni avec les moyens des Américains. Nous aurons également notre propre doctrine sur le plan industriel, en veillant bien entendu à nos intérêts.

La nouvelle posture, depuis le discours de Bratislava le 31 mai 2023, nous vaut un surcroît d’influence considérable, pour moi à la table du Conseil atlantique, pour les ministres chargés des affaires étrangères et de la défense, et pour le président de la République. L’audience dont nous bénéficions et sans commune mesure avec ce que nous avons connu auparavant. Nous sommes aujourd’hui plus attendus que jamais.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il est logique que nous soyons mieux accueillis qu’après avoir diagnostiqué la mort cérébrale de l’institution ! Je me réjouis de cette évolution favorable. Je vous remercie d’avoir répondu à la plupart des questions. J’ai été notamment intéressé par les précisions que vous avez apportées à propos de l’ouverture sur la Chine. J’avais toujours craint que ce fût un premier pas que d’aider les pays de la zone Asie-Pacifique dès lors que cela servait les intérêts européens. Vous avez indiqué qu’en réalité, l’extension du concept de défense collective à cette région faisait partie des sujets pour lesquels la position de la France se résume par un « non ». C’est assez rassurant.

Les orateurs des différents groupes politiques vont à présent s’exprimer et vous interroger.

M. Benjamin Haddad (RE). Merci tout d’abord pour le travail de représentation de la France auprès de l’OTAN que vous exercez. L’OTAN n’a jamais été l’alpha et l’oméga de la politique de défense française mais c’est un forum utile, où nos alliés discutent de grandes questions stratégiques qui nous concernent au premier plan. Cela n’entrave pas notre capacité d’action souveraine sur les questions nucléaires. C’est la première garantie de sécurité pour nos alliés au sein de l’Union européenne et il nous a été souvent reproché de ne pas être suffisamment présents sur ce terrain. Raison de plus pour mettre à notre agenda des questions telles que l’autonomie stratégique et la souveraineté européenne.

Votre point sur l’influence renouvelée de la France depuis le discours de Bratislava est très intéressant. J’aimerais vous interroger sur la période plus récente, depuis les propos du président de la République sur l’ambiguïté stratégique vis-à-vis de la Russie en Ukraine. Comment ces propos ont-ils été perçus par nos partenaires, et en particulier les premiers concernés, c’est-à-dire ceux qui sont plus proches de la ligne de front ? Considérez-vous que ces propos ont contribué à accroître l’influence de la France sur ces sujets au sein de l’Alliance ?

Ma deuxième question porte sur la perception de l’arrivée possible et même probable de Donald Trump à la Maison Blanche.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. « Probable », c’est votre appréciation !

M. Benjamin Haddad (RE). Elle est à tout le moins possible, même si elle peut ne pas être considérée comme souhaitable.

En 2016, nous avons vu des pays faire cavalier seul et procéder à des échanges bilatéraux en vue d’établir des accords transactionnels avec l’administration Trump. Dans la mesure où nous n’aurions plus affaire à une parenthèse mais à un contexte structurel aux États-Unis, ne pourrions-nous pas imaginer un autre comportement de la part de nos alliés ?

Ma troisième question porte sur le rôle de la Turquie au sein de l’Alliance. Avez-vous le sentiment que les Américains aient enfin pris conscience du rôle trouble que je joue la Turquie, que nous avons dénoncé pendant longtemps ?

Mme Muriel Domenach. Je vous prie de bien vouloir excuser l’imprécision de ma réponse à votre première question car pour des raisons évidentes, je ne pourrai pas aborder certains aspects, notamment opérationnels.

Cette initiative française correspondait à un besoin. La prise de conscience dont a témoigné la proposition française incarnée pendant la conférence du 26 février est intervenue juste avant que l’OTAN n’acte la nécessité d’un sursaut. Elle est donc venue à point nommé. Elle a été préparée au niveau militaire mais aussi à travers des contacts avec nos partenaires, qui n’ont donc pas été surpris. Ce n’est pas toujours le cas des initiatives françaises comme vous le savez. Elle a surpris positivement nos partenaires d’Europe centrale et orientale, qui sont sur la ligne de front. La bataille d’influence se déroule là où sont les enjeux. Je ne saurais trop insister sur le fait que nous ne construirons pas la défense européenne dans un seul pays mais que nous la construirons avec ceux qui ont besoin d’être défendus, ceux dont la sécurité est la plus exposée. Il est donc essentiel que ces partenaires nous entendent. Vous ne serez pas surpris d’entendre que ces propositions ont renforcé notre influence. La semaine dernière par exemple, lorsque le ministre Stéphane Séjourné est venu à l’OTAN, il a été salué chaleureusement et les idées françaises sont saluées par les ministres du flanc oriental.

Vous disiez, Monsieur le président, qu’il n’était pas étonnant que nous soyons mieux écoutés au sein de l’OTAN alors que nous ne décrétons plus la mort cérébrale de l’organisation. Nous sommes davantage entendus, c’est certain. Mais j’ajouterai une nuance : nous ne sommes pas pour autant populaires. Il convient donc de distinguer l’influence de la popularité. Nous sommes entendus lorsque par exemple nous nous opposons à la création d’un bureau de liaison à Tokyo. Il en va de même pour le contrôle des investissements. J’ai moins besoin de répéter le message français pour qu’il soit compris.

Pour autant, la France conserve l’image d’un allié qui dit parfois tout haut ce que les autres pensent tout bas et qui n’est pas systématiquement aligné avec ses alliés. Nous jouissons, avec la dissuasion, d’une assurance-vie indépendante de l’Alliance, ce qui est une différence fondamentale. Je ne saurais donc insister assez sur l’importance de l’investissement dans une dissuasion nucléaire indépendante. Nous sommes encore régulièrement conduits à exprimer des positions spécifiques qui emportent celles des autres. Nous devons montrer que nous prenons la sécurité des autres au sérieux.

Une autre de nos spécificités est liée à la Turquie. La prise de conscience progresse, dans le sens où les Américains ont très clairement proclamé « la fin de la récréation » à propos de l’adhésion suédoise. Ils ont fait comprendre aux Turcs que s’ils empêchaient l’adhésion de la Suède à l’OTAN, ils risquaient de perdre la cession et la modernisation de leurs F-16. La fermeté américaine a été imposée par le Congrès, censé avaliser la cession et la modernisation des F-16. La Turquie n’a rien obtenu de plus qu’originellement. Elle s’est vue proposer la cession et la modernisation des F-16 faute de F‑35 et elle n’a pas accès aux F-35 parce qu’elle a acheté des batteries russes de défense antiaérienne S400 qui, sans être actives, sont tout de même sur le territoire turc. Les Turcs auraient dû obtenir les F-16 de toute façon mais ils les ont reçus plus tard, parce qu’ils ont retardé l’adhésion de la Suède à l’OTAN.

M. Michel Guiniot (RN). En 1962, à l’époque de Kennedy et de Khrouchtchev, l’affaire des missiles soviétiques installés à Cuba, aux portes des États-Unis, a failli faire entrer le monde dans la troisième guerre mondiale.

En 2024, l’OTAN a choisi d’installer des positions militaires potentiellement offensives aux portes de la Russie du fait de l’adhésion de la Suède, en mars dernier. Quel sera le dénouement de cette possible nouvelle crise ? Je vous rassure, je ne suis pas du tout intoxiqué par la propagande russe. Je suis simplement observateur et interpellé par l’opération militaire Nordic Response menée par l’OTAN. Vous allez peut‑être pouvoir nous en dire plus sur la volonté de l’OTAN.

Pourquoi ne s’installe-t-elle pas aussi aux portes des territoires d’où vient souvent la menace terroriste islamiste, qui tente de nous submerger aussi par les vagues migratoires ? Comme vous le savez, l’OTAN a pour but de sauvegarder la liberté et la sécurité de tous ses membres sur le plan politique et militaire.

Le général Jérôme Goisque, le représentant militaire permanent de la France auprès de l’OTAN et de l’Union européenne, déclarait ce weekend dans la presse que la Russie représentait une menace pour l’Alliance atlantique au même titre que les groupes armés terroristes. Pouvez-vous nous confirmer que l’OTAN considère de la même façon la Russie, qui mène un conflit territorial conventionnel – que nous déplorons bien entendu – avec une armée régulière, et les groupuscules terroristes islamiques qui perpètrent des attentats, comme d’ailleurs le Hamas qui est en conflit ouvert avec Israël, et qui s’est livré à un certain nombre d’atrocités contre des civils ?

Mme Muriel Domenach. J’étais en Norvège, au-delà du cercle polaire, il y a deux semaines, pour observer l’exercice Nordic Response. C’était un exercice ponctuel qui ne relève pas du positionnement permanent de forces offensives mais au contraire du déploiement temporaire de forces défensives. Je veux espérer que vous auriez été fier de rencontrer les chasseurs alpins français. Ils revenaient en Norvège après avoir participé, lors de la seconde guerre mondiale, à la bataille de Narvik. Nous les avons vus travailler avec leurs homologues finlandais, apprendre de ces derniers. Ils ont testé des mortiers de 120 mm montés sur des skis à la manière finlandaise. De nouvelles méthodes d’interopérabilité au niveau tactique ont été testées, comme le fait de placer des obus de 120 mm sur des skis. C’était passionnant. Cela ne relevait en rien d’une opération offensive mais de la préparation d’une opération défensive.

M. Michel Guiniot (RN). Madame l’ambassadrice, je fais partie de la génération qui a fait son service militaire et je sais parfaitement ce qu’est un mortier de 120 mm…

Mme Muriel Domenach. J’imagine que vous auriez aussi été fier de voir la frégate Normandie également dans les eaux norvégiennes. Vous auriez été fier d’entendre le chef d’état-major des armées norvégiennes remercier la France de son implication dans cette région. Juste au Nord se trouve la péninsule de Kola, où sont basées des capacités de frappe russes. Je n’entrerai pas dans les détails mais la marine française joue un rôle essentiel à cet égard, là encore dans une posture strictement défensive.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous n’avez pas répondu à la seconde question de monsieur Guiniot : la menace terroriste est-elle prise en compte par l’OTAN ?

Mme Muriel Domenach. Lors du sommet de Madrid en 2022, le terrorisme a été reconnu dans le concept stratégique comme une menace mais je dois souligner que, pour des raisons qui tiennent à l’efficacité de notre action contre le terrorisme, cette dernière repose essentiellement sur l’action des États et les coopérations intergouvernementales entre forces de sécurité et renseignements intérieurs.

L’OTAN est une organisation militaire et la France ne souhaite d’ailleurs pas qu’elle sorte de ce cadre. Nous ne sommes donc pas demandeurs que l’OTAN se mêle de notre lutte antiterroriste. Je rangerais une telle proposition dans la catégorie « non ». Le terrorisme est donc reconnu comme une menace au même titre que la Russie mais la réponse opérationnelle n’est que partiellement dans son cadre d’intervention.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). J’aimerais rappeler la position de la France insoumise et vous donner éventuellement l’opportunité de compléter certains de vos propos. À nos yeux, il est clair que le trait le plus notable et caractéristique de l’OTAN est bien entendu la prépondérance des États-Unis au sein de l’Alliance. C’est une vérité triviale mais cela détermine l’ensemble des décisions qui peuvent être prises au sein et à l’extérieur de l’Alliance. Cela donne aussi de la consistance à une grille d’analyse qui consiste à assimiler les relations internationales à un antagonisme quasiment irréductible entre l’Ouest et l’Est. Analytiquement, ce n’est pas exact. Vous avez déjà cité le cas de la Turquie. Ce n’est pas non plus souhaitable, comme vous l’avez en partie mentionné.

Force est pourtant de constater que nombre des membres de l’Alliance ont été et sont encore littéralement tributaires des États-Unis pour leur sécurité. On se rappelle que durant le mandat Donald Trump, la Pologne avait affirmé vouloir, par exemple, payer 2 milliards d’euros par an pour entretenir sur son propre territoire une base américaine. L’ancien président Trump a lui-même indiqué, il y a quelques jours, que ses déclarations sur l’OTAN à l’époque visaient à obtenir que les alliés paient davantage. À l’instant vous venez de vous dire que les Américains venaient de siffler la fin de la récréation concernant l’intégration de la Suède vis-à-vis de la Turquie. On se rappelle que le retour de la France dans le commandement intégré, décidé par Nicolas Sarkozy, s’était accompagné d’un accroissement des effectifs français en Afghanistan.

Tant et si bien que la question qui se pose pour la France, puissance nucléaire membre du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies (ONU), est de savoir comment conserver sa singularité – non pas comme une fin en soi mais pour la mettre au service de sa conception du monde et de ses propres intérêts – et aussi comment faire reconnaître cette singularité dans le concert des nations. Vous avez commencé à esquisser une réponse mais comment y travaillez-vous ? Vous pourrez entrer plus en détail sur l’action de la Turquie. Comment être sûrs que ce qui a été obtenu jusqu’à présent ne serait pas un simple sursis, comme par exemple pour ce qui concerne l’installation d’un bureau de l’OTAN au Japon ?

Mme Muriel Domenach. La spécificité française est pleinement reconnue. On en parle non pas comme une fin en soi mais comme une réalité et je ne connais personne à l’OTAN qui vous dirait que la France n’est pas un allié à la fois spécifique, autonome dans ses appréciations et défenseur de ses intérêts. Un correspondant de défense à Bruxelles disait – et je le prends comme un hommage à notre représentant permanent auprès de l’Union européenne et moi-même – qu’à part pour déployer des parachutistes au comité des représentants permanents (Coreper) et au Conseil de l’Atlantique Nord, il n’y avait guère plus que la France pouvait faire tant elle défend ses intérêts, y compris sur le plan industriel, croyez-moi.

Je reconnais que cela ne fait pas de nous un partenaire avec lequel il est facile de discuter, ni l’un des membres les plus populaires de l’Alliance. C’est notre travail de faire en sorte que les « non » que nous exprimons ne soient pas compris comme des « pas encore ». J’observe qu’il est moins difficile qu’auparavant d’écarter des propositions que l’on ne peut pas assumer ensuite. On nous fait moins de mauvais procès et lorsque nous disons « non », c’est entendu.

S’agissant de la Russie, enfin, la France a beaucoup misé sur le dialogue avec la Fédération de Russie et nous ne sommes pas en guerre avec elle mais, comme l’a écrit Julien Freund, c’est l’ennemi qui vous désigne. Force est de constater que la Russie nous désigne.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Julien Freund a emprunté cette réflexion à Carl Schmitt.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’Assemblée nationale a voté en faveur de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN. Aujourd’hui, à quelques pays près, comme l’Autriche ou l’Irlande, les cartes de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique se superposent. Cette superposition est d’autant plus importante que des doutes existent quant à l’attitude américaine à la suite des prochaines élections en novembre. La cohésion européenne au sein de l’Alliance est d’autant plus importante.

À l’occasion de la visite officielle du président serbe en France hier, le président de la République a déclaré que l’avenir de la Serbie se trouvait au sein de l’Union européenne et nulle part ailleurs, alors même que la Serbie est très loin d’être alignée sur la politique étrangère et de sécurité commune. On imagine que les bombardements de l’OTAN à Belgrade ont pu traumatiser la population. Par ailleurs, la Serbie déstabilise certains de ses voisins, en particulier la Bosnie-Herzégovine. J’aimerais connaître la position de l’OTAN eu égard à la poursuite du processus d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne. N’y a-t-il pas là, en réalité, un risque de faire entrer le loup dans la bergerie ?

Mme Muriel Domenach. Si l’OTAN avait ne serait-ce que l’idée d’exprimer une opinion quant à l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne, la représentante de la France que je suis y ferait objection immédiatement ! Et comme l’OTAN sait cela, elle n’y penserait même pas.

Cela étant, notre position est partagée par une majorité de membres de l’Union européenne. La Turquie serait susceptible d’exprimer une position mais personne ne proposerait ce genre d’expression à l’approbation des nations ou à travers la bouche du secrétaire général.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ainsi la Turquie pourrait s’exprimer à ce sujet…

Mme Muriel Domenach. Uniquement pour alimenter ses griefs et insister sur le fait qu’elle attend à la porte de l’Union européenne depuis de nombreuses années. Quoi qu’il en soit, personne ne soumettrait un communiqué à l’accord des nations formulant quelque position que ce soit sur l’adhésion de la Serbie à l’Union européenne.

J’attire par ailleurs votre attention sur le fait qu’un bataillon des forces françaises a été déployé en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de la mission européenne Althea conduite en partenariat avec l’OTAN. L’objectif est de dissuader toute tentative séparatiste de la part de la République serbe de Bosnie, la Republika Sprska. Nous n’avons pas encore beaucoup communiqué sur ce déploiement pourtant important. Nous avons par ailleurs opéré des vols de surveillance maritime au profit de la force déployée au Kosovo, la KFOR. Là encore, l’objectif est de prévenir toute tentative de déstabilisation de la part des extrémistes serbes.

La Serbie est naturellement un acteur que nous suivons de près au sein de l’OTAN pour toutes les raisons que vous imaginez.

Mme Maud Gatel (Dem). Le désengagement de nos alliés américains n’est pas nouveau. Il n’est pas simplement le fait de Donald Trump. Il était déjà à l’étude sous l’administration Obama, avec une volonté de rééquilibrage des contributions des membres et de translation du centre des intérêts sécuritaires des États-Unis, notamment dans la région indopacifique.

Nous vivons une période de bascule qui pourrait conduire à une véritable révolution copernicienne. J’aimerais vous interroger à propos de l’articulation entre l’OTAN et la défense européenne. La France n’est plus seule quand elle parle d’autonomie stratégique à Bruxelles. Nous voyons bien évidemment la tragédie actuellement à l’œuvre en Ukraine mais aussi les nouveaux instruments stratégiques et industriels. Quel pourrait être le rôle du Royaume-Uni dans la coordination entre l’OTAN et l’Union européenne ?

Vous avez évoqué la prévention de la Turquie à propos de la nomination de M. Mark Rutte au secrétariat général de l’OTAN mais j’ai cru comprendre que la Hongrie, la Slovaquie et la Roumanie pourraient également formuler des préventions. Ces préventions peuvent-être levées ? Des alternatives sont-elles possibles ?

Mme Muriel Domenach. Dans leur tribune que je mentionnais tout à l’heure, les trois ministres des affaires étrangères françaises, allemand et polonais ont salué l’anniversaire de l’OTAN et simultanément appelé au développement d’un pilier européen au sein de l’Alliance atlantique. Cette position est partagée par un nombre croissant d’alliés. L’affirmation de ce pilier doit bien entendu inclure le Royaume-Uni, et ce dernier doit développer un accord de sécurité avec l’Union européenne afin de pouvoir coopérer avec elle. Le Royaume-Uni ne peut pas, par exemple, participer à l’opération Althea en Bosnie-Herzégovine alors même qu’elle correspond tout à fait à la position du Royaume-Uni sur la défense européenne. Avant le Brexit, c’était un général britannique qui commandait cette opération mais, désormais, un officier français a été nommé. Le gouvernement conservateur souhaitait évoluer vers un tel accord de sécurité mais il semble qu’il se soit piégé. Une alternance pourrait peut-être débloquer la situation.

S’agissant de la Turquie, la question du pilier européen bute naturellement sur la problématique chypriote.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. M. Kofi Annan avait initié une démarche intéressante.

Mme Muriel Domenach. Force est de constater que la Turquie mène une véritable guérilla contre la présence de Chypre dans les réunions conjointes de l’Union européenne et de l’OTAN. Cela complique donc son association au niveau européen.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Chypre est-il le seul problème ? La Turquie a pris des positions assez complexes à propos de la Russie. Si l’équation chypriote était résolue, cela serait-il gérable ?

Mme Muriel Domenach. L’association de la Turquie au pilier européen, qui serait utile, serait une association technique aux initiatives de l’Union européenne. Je pense par exemple à l’Agence européenne de défense, à la mobilité militaire, etc. Au sens politique, la diplomatie russe à l’égard de la Turquie est parfois décrite comme celle d’une « entente brutale », pour paraphraser un grand journal du soir. Les rapports entre ces deux pays sont très durs. Ils sont très nettement en compétition en Asie centrale, dans le Caucase, en Libye ou en Méditerranée orientale. Des incidents ont été recensés : la Turquie a tout de même abattu un avion russe. La Turquie a également tendance à respecter la Russie pour des raisons historiques. La Russie se prévaut de nombreuses victoires militaires sur la Turquie ; j’exclus bien évidemment la guerre de Crimée. Les intérêts de la Turquie et de la Russie sont en partie convergents face à ce que ces pays perçoivent comme un recul de l’Occident.

La tentation d’un condominium s’exprime parfois, y compris en mer Noire. On l’a vu également dans le Caucase. Les lignes de cette « entente brutale » ne sont ni claires, ni prévisibles. La Turquie et la Russie ne se font pas de cadeaux. Je pense que la Turquie a besoin de jouer sur plusieurs plans, y compris au sein de l’OTAN. À nous de jouer notre jeu également, et pour moi l’Alliance atlantique fait partie de la solution aux difficultés que nous posent certains choix turcs pour faire prévaloir la coopération entre alliés. À nous d’utiliser cette enceinte pour adresser des messages francs à la Turquie sur ce qui est attendu d’un allié. Et c’est ce que nous faisons.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. En termes d’ambiguïté stratégique, les Turcs sont généralement assez bons.

M. Guillaume Garot (SOC). Nous sommes tous d’accord pour dire que l’OTAN est investie d’un rôle majeur. Elle avait été déclarée en mort cérébrale ; c’est tout l’inverse aujourd’hui. L’Alliance a pris conscience des bouleversements géopolitiques à l’œuvre. J’ai bien noté que des exercices militaires très importants ont eu lieu en janvier, d’une ampleur inédite. La prise de conscience est donc réelle mais le sujet qui nous inquiète tous est celui de la cohésion au sein de l’Alliance. Nous sentons que nous sommes arrivés à un tournant. J’ai trois questions à cet égard.

Tout d’abord, pensez-vous que nos diplomates ont la capacité de faire respecter par les États-Unis leurs obligations de membres de l’OTAN ? La question du retrait des États-Unis semble ne pas se poser, d’après votre expression. N’est-ce pas un point de vue un peu trop optimiste ? Les promos de Donald Trump sont tout de même assez glaçants et, surtout, il nous a habitués à faire ce qu’il disait. J’aimerais donc vous entendre à ce sujet.

Ma deuxième question elle est liée aux déclarations de Donald Trump. Quelle serait la capacité opérationnelle de l’Alliance sans les États-Unis ? Que serions-nous encore capables de faire et que ne pourrions-nous plus faire ?

Le secrétaire général a déclaré que l’OTAN faisait face à une « alliance des puissances autoritaires » à l’échelle mondiale. Quel est le but de cette alliance et quelle est sa nature ?

Mme Muriel Domenach. Donald Trump n’a pas évoqué un possible retrait des États-Unis et il n’aurait pas besoin de s’engager dans cette voie, qui impliquerait une épreuve de force avec le Congrès. Ce dernier a voté, fin 2023, une législation qui compliquerait considérablement une décision de sortie de l’OTAN de la part de l’Exécutif. Cela étant, Donald Trump n’a pas besoin d’un retrait des États-Unis. Il a tenu des propos inquiétants quant à sa disposition à défendre ses alliés face à une menace. La crédibilité de l’article 5 du traité de Washington ne porte pas seulement sur la capacité des membres à s’entraider mais sur leur détermination de le faire.

Bien entendu, sans les États-Unis, les capacités militaires de l’Alliance seraient sérieusement diminuées. Pour autant, elles ne seraient pas inexistantes. Nous interviendrions dans d’autres conditions. C’est ce qui nous conduit à déployer des moyens sur le front oriental, comme nous l’avons fait en Estonie et en Roumanie et avec des forces aériennes dans les États baltes. Nous le faisons au niveau suffisant ; nous ne mobilisons pas de forces qui ne seraient pas nécessaires. Cela fait partie des combats que je mène, ainsi que le représentant militaire de la France auprès de l’OTAN, Jérôme Goisque. Notre objectif est d’éviter l’immobilisation non soutenable de forces. C’est d’ailleurs un mérite de l’intégration de la France dans les états-majors : les déploiements s’effectuent à nos conditions. J’évoquais à l’instant notre dispositif de dissuasion, dans l’hypothèse où nous devrions nous défendre. Je n’entrerai pas dans les détails s’agissant de la doctrine nucléaire compte tenu des raisons évoquées en introduction. Notre masse conventionnelle étant moindre, cela reformulerait les conditions de la dissuasion.

Quant à « l’alliance » entre les puissances autoritaires, et notamment la Chine et la Russie, nous ne souscrivons pas à ces propos. Je ne les défendrai pas. Le secrétaire général d’une alliance devrait savoir ce qu’est une alliance !

M. Bertrand Bouyx (HOR). Mon propos fera suite aux propos de notre collègue Pierre-Henri Dumont sur la question des Balkans. La France a exprimé un solide soutien à tous les membres de l’Alliance atlantique. Nous avons renforcé notre présence sur le flanc oriental. Cependant, qu’il s’agisse des conflits territoriaux dans le Caucase ou des tensions nationalistes dans les Balkans, les craintes d’une déstabilisation liées à l’influence de la Russie sont exacerbées par le conflit en Ukraine. La Russie considère que les Balkans doivent demeurer un front de réserve contre l’Occident et ont donc tout intérêt à ce que les pays demeurent dans une situation d’instabilité permanente. Aussi, pour faire suite en fait au rappel que vous avez mentionné, avec notamment le déploiement d’un bataillon en Bosnie-Herzégovine, vous avez parlé de tentatives de déstabilisation par des éléments radicalisés serbes. Je souhaiterais savoir plus précisément comment vous percevez l’influence de la Russie dans cette partie de l’Europe.

Mme Muriel Domenach. Je perçois la Russie comme vous semblez la percevoir, c’est à dire comme un acteur qui recherche la déstabilisation par des jeux d’instrumentalisation. Est-ce que la Russie est en mesure de conduire cette déstabilisation à pleine échelle ? Non. Ses capacités de déstabilisation sont déjà largement employées ailleurs, notamment vers l’Ukraine et vers nos pays à propos de l’Ukraine. C’est ce à quoi je faisais référence tout à l’heure en parlant de l’ukrainisation de sa politique étrangère et de défense. Même dans la contestation et la déstabilisation de nos marches, la Russie n’a pas tous les moyens qu’elle souhaiterait. La tendance générale est bien celle de la déstabilisation à des fins d’instrumentalisation pour les intérêts russes, en utilisant bien entendu les interventions de Milorad Dodik, le leader bosno-serbe.

Les acteurs balkaniques ont eux aussi leurs intérêts. Les intérêts de Milorad Dodik ne sont que partiellement partagés avec ceux de la Russie. Aleksandar Vucic, le président serbe, a également d’autres intérêts. La position de la Serbie à propos de l’Ukraine n’est pas celle de la Russie.

En résumé, il nous faut être lucides à propos des dynamiques à l’œuvre dans la région et du jeu de la Russie mais ne pas paniquer ni surévaluer l’effet des actions russes. Nous disposons de puissantes forces de rappel. La perspective d’adhésion à l’Union européenne reste le principal facteur de stabilisation. C’est le sens de notre travail avec les Allemands envers les Serbes et les Kosovars, afin de parvenir à un accord de règlement. Nous devons, là aussi, livrer un combat pour la stabilité. Il n’est pas perdu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si c’est la perspective d’adhésion à l’Union européenne qui constitue un facteur de stabilité, cela signifie qu’il ne faudrait jamais conclure le processus !

Les demandes de parole des orateurs de groupe étant épuisées, je donne la parole aux autres parlementaires.

M. Frédéric Petit (DEM). On a beaucoup parlé du pilier européen. Je sais que des sommets ont lieu entre l’Union européenne et l’OTAN et que des traités et de nombreuses déclarations communes ont été signés. Comment voyez-vous l’évolution de cette collaboration institutionnelle ? Pour reprendre l’exemple du Royaume-Uni, est-il possible d’institutionnaliser les relations entre l’Union européenne et l’OTAN ? Cela permettrait d’éviter parfois ce qui apparaît comme des discussions bilatérales et cela rendrait l’organisation plus efficace. L’exemple d’Althea est symbolique à mes yeux. Nous pourrions faire en sorte de simplifier nos relations institutionnelles.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’aimerais joindre une réflexion à la question de monsieur Petit. J’aimerais entendre votre réaction à ce sujet : cette notion de pilier n’a jamais été une réalité dans l’histoire de l’OTAN, même dans le cadre du Twin-Pillar Concept – concept des « piliers jumeaux » – imaginé par Kennedy et McNamara. En réalité, les États-Unis étaient au milieu des pays européens, offrant des garanties aux uns et aux autres : aux Français, que le réarmement allemand ne serait pas une menace pour eux ; aux Allemands, que la présence de la France ne serait pas une menace d’hégémonie ; aux Néerlandais, que ni les Allemands ni les Français ne les embêteraient véritablement. L’appellation la plus juste de ce système me semble être celle très provocatrice exprimée par Richard Holbrooke : « America as a European power » – l’Amérique en tant que puissance européenne. Le tissage intrinsèque entre les Américains et les Européens rendait très difficile de tracer des pointillés permettant de limiter les concepts. La question de Frédéric Petit s’apparenterait donc à la suivante : comment voir les pointillés ?

Mme Muriel Domenach. L’OTAN est clairement construite autour de la garantie de sécurité américaine en Europe. La chaîne de commandement de l’OTAN est adossée à la chaîne de commandement américaine en Europe mais c’est le point de départ de l’Alliance atlantique.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Avec le concept « to keep the Russians out, the Americans in and the Germans down », que l’on peut traduire par « Garder les Américains dedans, les Russes dehors et les Allemands à terre ».

Mme Muriel Domenach. Tout à fait. Lord Ismay insistait avant tout sur l’aspect « keep the Americans in ». Cela reste l’objet de l’OTAN.

Aujourd’hui, pour conserver les Américains au sein de l’OTAN, il faut construire l’Europe. C’est là le paradoxe. L’équation a évolué par rapport aux années 1950. À l’époque, pour garder les Américains en Europe et les faire participer aux intérêts sécuritaires principaux des Européens, un réseau de relations bilatérales avait été construit. Certes dans les années 1960, des velléités de découplage ont été exprimées. Aujourd’hui, les Américains ont d’autres préoccupations en matière de sécurité. Une nouvelle fois, je ne fais pas le pari d’un désengagement américain vis-à-vis de l’OTAN, ce qui serait contraire aux intérêts américains, mais il ne faut pas s’attendre non plus à un abondement de leur part alors que les enjeux de sécurité européens sont plus prégnants. Les Américains imposeront donc leurs conditions.

Tout l’enjeu pour nous est d’expliquer que nous contribuerons nous aussi à nos conditions – y compris industrielles – et de manière complémentaire. Cela conduit à la réactivation de l’idée d’un pilier européen. Cela répond à l’attente américaine que les Européens partagent le fardeau mais se heurte à une forme d’injonction paradoxale par les Américains : ils souhaitent que nous contribuions davantage et à leurs conditions. Or, les Européens sont bien d’accord pour contribuer davantage mais à leurs propres conditions.

L’articulation entre l’Europe et l’OTAN s’envisage de trois manières différentes.

La première voie repose sur un dialogue et une coopération étroite entre l’OTAN et l’Union européenne par le biais des Exécutifs mais également des États membres. Nous nous heurtons alors au refus des Turcs que Chypre participe à des réunions communes des deux organisations, ce qui nous contraint à des échanges informels avec Chypre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous organisons souvent des réunions des secrétariats, mais pas forcément de tous les États membres.

Cette coopération entre les deux institutions a rendu possible des opérations conjointes, dont Althea est un très bon exemple.

Des concertations européennes sont de plus en plus souvent organisées au sein de l’OTAN, ce qui ne correspond pas au concept d’origine de l’Alliance.

Enfin, le véritable moteur de construction de la défense européenne et d’un pilier européen au sein de l’OTAN est l’Union européenne, qui dispose d’institutions, avec sa Commission – qui a ses propres crédits – et d’autres moyens complémentaires qui répondent à des problématiques de sécurité et de défense.

L’Europe dispose donc ainsi de trois leviers pour développer son autonomie stratégique : la concertation au sein de l’OTAN, la relation entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique, ainsi que l’action au sein de l’OTAN. Les institutions européennes agissent sans contradiction avec l’OTAN. Ce que Thierry Breton propose en matière d’industrie de défense est compatible avec les standards des armées européennes, qui sont ceux de l’Alliance. L’OTAN a donc tout intérêt à ce que la défense européenne avance au sein de l’Union européenne.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le cas du Royaume-Uni est relativement complexe. Une relation privilégiée doit être envisagée avec l’Union européenne pour que cela fonctionne.

Mme Muriel Domenach. Tout à fait. Il faut aussi que le Royaume-Uni reconnaisse que son choix de sortir de l’Union européenne l’exclut de fait de la coopération en matière d’industrie de défense. Quant à la Norvège, qui fait partie du marché unique, elle contribue aux initiatives industrielles de défense.

M. Frédéric Petit (DEM). Ce problème se trouverait neutralisé avec une relation plus formelle.

Mme Muriel Domenach. Oui mais, s’agissant du modèle norvégien, cela nécessiterait de la part des Britanniques la construction d’une nouvelle relation avec l’Union européenne. Il faudrait non seulement conclure un accord de sécurité mais également réintégrer le Royaume-Uni au marché unique. Sinon, en termes industriels, celui-ci se retrouvera entre, d’une part, les États-Unis, qui ne lui donneront pas un plus large accès à leur marché de défense qu’aux autres pays européens en vertu du principe « buy American » et de la législation ITAR – International Traffic in Arms Regulations – et, d’autre part, l’Union européenne, qui développe des initiatives qui ne constitueront pas à proprement parler une interdiction d’accès au marché européen mais qui privilégieront, pour les crédits communautaires, la base industrielle de technologie et de défense européenne. Le Royaume-Uni devra donc choisir une orientation.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Oui, il aurait à cet égard intérêt à adopter un statut similaire à celui de la Norvège, si nous devions finir par conclure un accord d’association avec lui. Cela me rappelle qu’à l’époque où le général de Gaulle avait émis ce genre de proposition lors de la première candidature du Royaume-Uni, le premier ministre britannique d’alors, M. Harold MacMillan, avait failli s’étrangler dans sa moustache !

Madame l’ambassadrice, votre intervention était très intéressante. Nous avons découvert, au fil de vos interventions, la complexité du jeu stratégique euro-américain et « franco-mondial ». La subtilité de l’analyse est absolument essentielle, sous peine de prendre des décisions improvisées. Nous l’avons bien vu avec le Brexit, qui a provoqué plus de difficultés qu’il n’a procuré d’avantages aux Britanniques, tant sur le plan économique que sur d’autres.

Vous avez cité Julien Freund. Il me semble que le poste que vous occupez montre, pour paraphraser Max Linder, que l’histoire est profondément tragique. Votre grand-père est par ailleurs auteur d’un ouvrage remarquable que j’invite chacun ici à lire : Le Retour du Tragique. À mes débuts de journaliste étudiant, j’avais réalisé une interview de Jean‑Marie Domenach sur le retour du tragique. Je vous invite à lire cet ouvrage paru dans les années 1960. Vous mettez en pratique ce que votre grand-père avait théorisé.

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Informations relatives à la commission

À l’issue de cette audition, la commission désigne :

-          Mme Marine Hamelet, rapporteure sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge, signée à Paris le 26 octobre 2015 (n° 2442).

 

La séance est levée à 11 h 00.

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Membres présents ou excusés

 

 

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Carlos Martens Bilongo, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Sébastien Delogu, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Philippe Emmanuel, M. Nicolas Forissier, M. Thibaut François, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, Mme Maud Gatel, M. Michel Guiniot, M. David Habib, M. Alexis Jolly, Mme Stéphanie Kochert, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Yaël Menache, M. Jimmy Pahun, M. Bertrand Pancher, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Vincent Seitlinger, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy, M. Olivier Véran, M. Patrick Vignal, M. Lionel Vuibert

 

Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Michèle Tabarot, Mme Laurence Vichnievsky, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa

 

Assistaient également à la réunion. - M. Benjamin Haddad, Mme Astrid Panosyan-Bouvet, M. Aurélien Saintoul