Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Commission d’évaluation des politiques publiques relatives aux missions Culture et Médias, livres et industries culturelles et au compte d’affectation spéciale Avances à l’audiovisuel public (Mme Rachida Dati, ministre de la culture) 2
Discussion unique sur l’exécution budgétaire :
- mission Culture (M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial Création, transmission des savoirs et démocratisation de la culture ; M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial Patrimoines) 3
- mission Médias, livres et industries culturelles (M. Denis Masseglia, rapporteur spécial) 7
- compte d’affectation spéciale Avances à l’audiovisuel public (Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale) 8
Discussion sur les thématiques d’évaluation :
- Les ressources disponibles pour les établissements culturels afin de compenser l’inflation (M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial) 19
- Le crédit d'impôt jeu vidéo : évaluation des retombées économiques et de la rentabilité (M. Denis Masseglia, rapporteur spécial) 26
- Évaluation de la mise en œuvre du nouveau programme de transformation créé par la loi de finances pour 2024 et rôle du Parlement (Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale) 32
– présences en réunion...........................38
Mercredi
5 juin 2024
Séance de 21 heures
Compte rendu n° 85
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
puis de
M. Mohamed Laqhila,
Vice-président
— 1 —
La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de Mme Rachida Dati, ministre de la culture.
M. le président Éric Coquerel. Madame la ministre, je suis très heureux de vous accueillir au sein de cette commission des finances pour évaluer les politiques publiques relatives aux missions Culture et Médias, livre et industries culturelles » ainsi qu’au compte d’affectation spéciale Avances à l’audiovisuel public. Madame la ministre, vous avez la parole afin de nous présenter l’exécution budgétaire de ces missions.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture. Cette année a vu une exécution quasi totale des crédits pour les missions Culture et Médias, livre et industries culturelles, avec 99 % des autorisations d’engagement et 99,4 % des crédits de paiement consommés. En valeur, cela représente 4,45 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 44,59 milliards d’euros en crédits de paiement. Comparé à 2022, cela marque une progression de 0,4 point pour les autorisations d’engagement et de 0,2 point pour les crédits de paiement.
Je tiens à saluer l’ensemble des équipes du ministère de la culture pour cette excellente exécution budgétaire. Le ministère a consommé l’intégralité de ses crédits, sans marge budgétaire à l’échelle ministérielle, bien que de nombreuses politiques nécessitent des moyens à la hauteur de leurs ambitions.
Pour la mission Culture, les crédits ont été exécutés à hauteur de 99,2 % pour les autorisations d’engagement et 99,6 % pour les crédits de paiement. La création artistique a atteint des taux de consommation historiques de 99,9 % pour les autorisations d’engagement et les crédits de paiement. Le programme Patrimoines présente également des taux de consommation proches de 100 % dans les deux cas. Le programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture affiche 98 % pour les engagements et 99,9 % pour les crédits de paiement. Enfin, le programme Soutien aux politiques du ministère de la culture, qui inclut notamment les dépenses de personnel, présente un taux d’exécution de 98,6 % pour les autorisations d’engagement et les crédits de paiement.
Concernant la mission Médias, livre, industries culturelles, nous observons une nette amélioration par rapport à 2022, avec 98,2 % pour les autorisations d’engagement et 98,1 % pour les crédits de paiement. Cette exécution reflète les ambitions renouvelées pour la modernisation et la pluralité de la presse, avec un taux d’exécution de 96,9 % pour les autorisations d’engagement et de 96,8 % pour les crédits de paiement. L’accent mis sur les industries culturelles se traduit par des taux de 99,8 % pour les autorisations d’engagement et de 99,5 % pour les crédits de paiement. En résumé, les taux d’exécution des crédits du ministère de la culture sont globalement très élevés, souvent proches de 100 %.
Sur les réalités derrière ces chiffres, je souhaite être très précise. Par rapport à la loi de finances initiale pour 2022, le budget voté pour 2023 a augmenté de 276 millions d’euros, hors audiovisuel public. Concernant l’audiovisuel public, le budget de 2023 a progressé de 112 millions d’euros par rapport au budget exécuté de 2022.
Pour les principales dépenses du ministère de la culture en 2023, les dépenses d’intervention en faveur des associations, entreprises et ménages s’élèvent à 1,86 milliard d’euros. Les dépenses de fonctionnement des opérateurs, qui incluent soixante-dix-huit opérateurs culturels bénéficiaires, atteignent 1,33 milliard d’euros. Les dépenses de personnel du ministère de la culture, hors opérateurs, s’élèvent à 706 millions d’euros, dont 187 millions d’euros pour les retraites. Les dépenses d’investissement, quant à elles, concernent les grands chantiers et les subventions pour charges d’investissement. Les priorités du gouvernement en matière culturelle consistent à favoriser l’accès à la culture pour le plus grand nombre. Cela inclut l’amplification de la politique d’éducation artistique et culturelle ainsi que le développement du pass culture. Le développement culturel de nos territoires bénéficie de 8,3 millions d’euros en 2023 pour les contrats de plan État-Région. Nous soutenons également la création artistique, notamment par des subventions aux structures, labels et réseaux du spectacle vivant, ainsi que par le soutien de l’emploi artistique pérenne via le fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps). La protection et la valorisation du patrimoine sont également essentielles, avec 514 millions d’euros dépensés en 2023 au titre de l’action 1 du programme, qui finance principalement les monuments historiques et le patrimoine monumental. Enfin, nous garantissons le pluralisme des médias et l’accès à des informations fiables, avec un soutien de près de 4 milliards d’euros pour l’audiovisuel public, ainsi que pour la presse et les radios locales.
En 2023, nous avons connu une inflation très élevée, atteignant 4,9 %. Cette situation a rendu nécessaire un soutien substantiel du ministère. À ce titre, 47 millions d’euros ont été alloués dans la loi de finances initiale, répartis entre cinquante-sept opérateurs, bien que cela ait parfois été insuffisant. Dans le secteur des médias, la lutte contre l’inflation a rendu nécessaire une aide exceptionnelle aux éditeurs de presse, confrontés à la hausse de leurs coûts de production. Cette aide s’est élevée à 30 millions d’euros. Je constate néanmoins que cette compensation reste en deçà des besoins réels exprimés par les établissements, notamment face aux augmentations des coûts de fonctionnement et d’investissement. Concernant les crédits dits de relance, les services du ministère ont assuré un suivi et un pilotage de grande qualité, atteignant un taux d’exécution de 80 % des crédits de paiement ouverts. Cela porte la consommation globale des crédits de paiement sur le volet culture du plan France Relance à 95 %. Les crédits de relance ont été utilisés pour des projets tels que la restauration de la tour sud de la cathédrale Saint-Étienne de Sens en Bourgogne, la rénovation de la buvette Cachat à Évian-les-Bains, ou encore le musée Dobrée à Nantes.
Enfin, le ministère de la culture a respecté ses engagements en matière de maîtrise de la dépense publique. Il n’a demandé aucune ouverture en crédits de paiement en fin de gestion, sollicitant uniquement le dégel de la réserve de précaution. Pour les autorisations d’engagement, le ministère a bénéficié de l’ouverture en loi de finances de fin de gestion d’un montant de 14 millions d’euros.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial (Culture : Création ; Transmission des savoirs et démocratisation de la culture). En tant que rapporteur spécial des programmes 131, 224 et 361, je suis les crédits liés aux politiques de la création et de l’enseignement supérieur culture.
Concernant l’exécution budgétaire 2023, je tiens à souligner que celle-ci a été très proche des prévisions. Pour deux des trois programmes, l’écart entre la prévision et l’exécution est inférieur à 1 %, et pour le troisième programme, la surconsommation est inférieure à 5 %. Je m’associe à vous pour féliciter vos services pour les efforts réalisés l’année dernière. Je souligne également qu’en 2023, le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant est à nouveau confirmé. Le ministère de la culture a notamment soutenu les structures labellisées et les réseaux culturels à hauteur de 233,9 millions d’euros, soit un montant supérieur de 8 millions d’euros aux prévisions. La labellisation est une politique publique bienvenue pour encourager les initiatives culturelles en région. Cependant, aucune limite budgétaire en termes de nombre de structures labellisées n’a été définie. Il a été envisagé à une époque de suspendre temporairement le processus de labellisation afin de réaliser un état des lieux spécifique. Quelles sont vos intentions à ce sujet ?
En outre, au-delà des points de satisfaction évoqués, je souhaite vous interroger sur les crédits alloués au pass culture, dont votre ministère finance la part individuelle. Ce sujet me tient à cœur, étant rapporteur de la culture depuis près de deux ans. En 2023, 240 millions d’euros ont été dépensés pour la part individuelle, alors que la prévision initiale était de 208 millions d’euros. Comment expliquez-vous ce décalage de 10 % entre la prévision et la consommation ? Pourriez-vous nous éclairer sur les évolutions envisagées dans ce domaine ? Je pense notamment à l’ouverture de la part individuelle aux jeunes Français résidant à l’étranger, à l’extension de la part collective aux alternants et aux jeunes scolarisés en établissement médico-social, ou encore à l’élargissement du dispositif aux maisons de jeunes et de culture (MJC) et aux maisons de la presse. Concernant les MJC, lors de la discussion des amendements l’an passé, j’avais regretté que moins de 250 MJC soient référencées dans l’application du pass culture. Il existe là une véritable opportunité d’amélioration. Quelles sont vos intentions sur ce point ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je suis ravie que nous convergions sur les priorités et sur la vision que vous avez exposées. Concernant les labels, vous avez raison. Dans le cadre du spectacle vivant, j’ai rencontré l’ensemble des représentants du secteur, tant public que privé, et je souhaite engager une réflexion approfondie sur ce sujet. La crise sanitaire liée au covid-19, d’une ampleur inédite, a touché tous les secteurs, y compris culturels, économiques, dont l’économie solidaire qui y participe, et sociaux. Il est donc essentiel de comprendre le fonctionnement actuel du spectacle vivant.
Vous avez raison de souligner l’importance de la politique de labellisation. À un moment donné, il a été nécessaire de réfléchir aux critères de labellisation. En effet, labelliser des spectacles ou des scènes ouvre des droits, sans toujours prendre en compte le modèle ou le fonctionnement de la scène ou du spectacle lui-même. J’ai donc lancé une réflexion sur ce sujet. Lorsque je parle de modèle économique du spectacle vivant, je ne sous-entends pas nécessairement une rentabilité. Certaines politiques publiques sont coûteuses mais apportent une valeur ajoutée à la cohésion sociale. Il est important de comprendre pourquoi certaines scènes labellisées ou certains spectacles sont structurellement déficitaires. Nous manquons de données à ce sujet. J’ai demandé au ministère de recueillir des données statistiques, tant quantitatives que qualitatives. Je reviendrai devant vous avec des informations précises.
Le pass culture, comme vous le savez, représente une innovation majeure en matière d’accès à la culture, en partant de la demande des usagers. C’est un outil inédit qui permet à ceux qui sont éloignés de la culture, que ce soit en zone rurale ou dans des zones urbaines très denses, de se rapprocher de l’offre culturelle. Ces personnes, souvent, se disent que la culture n’est pas pour elles et qu’elles ne peuvent pas y accéder. J’ai mené une réflexion approfondie sur le pass culture et j’ai développé quelques intuitions et convictions. Je m’interroge sur son efficacité en tant qu’outil d’accès à la culture pour les plus éloignés ou les plus défavorisés. Les premiers éléments que j’ai observés montrent une certaine reproduction sociale. Je souhaite revoir cette partie du pass culture pour la rendre plus accessible à ceux qui en ont le plus besoin. En zone rurale, le principal obstacle est la mobilité. Deux rapports sur le pass culture vont bientôt être publiés, ce qui nous aidera à affiner nos propositions et à adopter une nouvelle démarche pour permettre au plus grand nombre d’accéder à la culture, que ce soit en zone rurale ou en zone métropolitaine. Nous avons également remarqué que, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), le pass culture est très peu utilisé, en raison des problèmes de mobilité.
Je fais le lien avec les maisons des jeunes et de la culture (MJC) pour la médiation. Vous mentionniez qu’il y a 250 MJC impliquées dans le pass culture. Ce qui manque au pass culture, c’est principalement la médiation. On n’accède pas à la culture de manière aussi simple. J’ai donc mis en place un volet médiation que je souhaite développer pour faciliter l’accès à la culture. Il ne suffit pas de rendre la culture accessible à tous sans médiation. J’ai rencontré les acteurs de l’éducation populaire, y compris les MJC, qui n’avaient pas été reçus au ministère depuis bien longtemps. Nous avons conclu une charte avec des moyens financiers et des postes que j’ai ouverts dans ce cadre. Cette charte, signée récemment, permettra aux acteurs de l’éducation populaire d’être beaucoup plus présents dans le pass culture et dans l’accès à la culture pour le plus grand nombre. Je proposerai des mesures précises pour intégrer cette médiation et ainsi faciliter l’accès à la culture pour tous. Il est également nécessaire de revoir le contenu, l’orientation et l’organisation du pass culture. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de géolocalisation dans le pass culture. Par exemple, si je suis à Lyon et que je cherche un spectacle, on m’indiquait la Comédie-Française à Paris. Nous avons désormais intégré la géolocalisation dans le pass culture.
M. Philippe Lottiaux, rapporteur spécial (Culture : Patrimoines). Sur le programme 175 Patrimoines, je tiens à souligner un taux d’exécution budgétaire 2023 en demi-teinte. Bien que les crédits de paiement exécutés s’élèvent à 1,2 milliard d’euros, dépassant de 100 millions le montant initial de la loi de finances, il faut noter que 230 millions de fonds de concours et de mouvements de crédit se sont ajoutés, dont près de la moitié pour Notre-Dame de Paris. Au final, l’exécution budgétaire est en retrait de 115 millions par rapport à l’ensemble des crédits ouverts. Les crédits pour la plupart des actions affichent cependant un bon taux de consommation. Les grands projets patrimoniaux ont même surconsommé, avec 63,5 millions pour 40,5 millions ouverts, principalement pour la Cité internationale de la langue française. Cela peut poser un problème à terme concernant les restes à payer, comme l’a souligné la Cour des comptes. Elle indique que le ministère s’expose à un risque de demandes de crédits de paiement dans les années futures très supérieures à ses disponibilités. En revanche, les crédits d’investissement pour les autres monuments historiques, notamment ceux appartenant aux collectivités et aux propriétaires privés, sont sous-consommés à plus de 20 %, soit 58 millions sur un total de 258 millions ouverts. C’est vraiment regrettable, compte tenu de l’étendue des besoins. Peut-on y voir l’impact d’un manque d’architectes des bâtiments de France (ABF) dans les territoires, qui ne sont pas assez nombreux pour traiter l’ensemble des dossiers ? On parle beaucoup, et parfois trop, de réarmement : à quand un réarmement des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ? On peut également déplorer les problèmes d’ingénierie des petites collectivités pour les monuments non inscrits, alors que là aussi, il y a beaucoup à faire. Pourrait-on envisager un fonds d’amorçage pour favoriser l’émergence d’agences départementales dédiées, qui, dans certains cas, ont fait leurs preuves ? Nos dix-huit opérateurs font preuve d’une grande capacité d’adaptation, même si l’on peut nourrir des inquiétudes sur l’équilibre futur du centre Pompidou. Cependant, la sous-consommation ponctuelle ne doit pas masquer le manque de moyens qui persiste pour le patrimoine monumental.
Dans le rapport d’évaluation sur la sécurité des cathédrales, j’avais souligné que les 12 millions d’euros sanctuarisés à cette fin ont été salvateurs. Cependant, quand aurons-nous une enveloppe spécifique pour les anciennes cathédrales, propriété des collectivités ? Évidemment, la puissance publique ne peut pas tout et le recours aux fonds privés doit se développer. Il est à noter que le budget des dépenses fiscales a atteint un record de 237 millions d’euros, notamment en raison de l’acquisition d’un tableau de Caillebotte, classé trésor national, et de l’accroissement des travaux des propriétaires privés sur leur patrimoine historique. C’est une bonne chose. Pourtant, la collecte de l’automne dernier décidée par le Président de la République en faveur du patrimoine religieux, avec un objectif de 200 millions d’euros d’ici fin 2025, est à la peine avec moins de 3 millions collectés à ce jour. Comment expliquer ce début plus que modeste et comment relancer cette collecte ? Ne faudrait-il pas notamment élargir les critères d’éligibilité qui limitent ce dispositif aux communes de moins de 10 000 habitants en métropole et 20 000 outre-mer, ce qui exclut Lisieux, pourtant propriétaire de sa cathédrale ?
Enfin, une ressource supplémentaire pour les collectivités ne pourrait-elle pas être la possibilité de majorer la taxe de séjour en cas d’affectation de son produit pour financer des travaux patrimoniaux ? Beaucoup a été indéniablement réalisé, mais il reste sans doute encore beaucoup à accomplir pour notre patrimoine, notamment religieux.
Mme Rachida Dati, ministre. Je suis très attachée au patrimoine, en particulier au patrimoine religieux, et j’en ai fait une priorité. Même lors des réductions budgétaires, j’ai veillé à ce que les crédits alloués à ce domaine soient maintenus. Les anciennes cathédrales, propriété des collectivités locales, ne relèvent pas du plan de sécurité des cathédrales. Cependant, dès lors qu’elles sont éligibles à la protection patrimoniale, elles peuvent bénéficier de subventions. Nous intervenons pour protéger le patrimoine historique en cas d’urgence, comme un incendie ou un effondrement de toit. Je m’engage à faire du patrimoine une politique majeure.
Concernant le budget, il a été préservé jusqu’à présent.
Sur la collecte en faveur du patrimoine religieux, initiative du Président de la République, cette souscription n’a pas rencontré le succès escompté. Je pense que les gens ont besoin de voir concrètement à quoi ils souscrivent. Nous allons donc individualiser le patrimoine dans le cadre de cette souscription, car certaines personnes souhaitent contribuer à la restauration d’une église proche de chez eux. Nous allons changer la donne. Je suis convaincu que cela fonctionnera bien mieux dans ce contexte.
Concernant les ABF, contrairement à ce que certains peuvent penser, je les soutiens pleinement. Il est possible que, dans certaines régions, certains ABF soient plus exigeants que d’autres. Je les compare souvent aux inspecteurs des impôts. Ils sont utiles, voire très utiles : ils sont les gardiens de la lutte contre la France moche. Je souhaite les renforcer, tant dans leur mission que dans leurs effectifs. C’est un sujet que nous aborderons ensemble.
En ce qui concerne la taxe de séjour, c’est une discussion que nous devons avoir. La taxe de séjour ne concerne pas uniquement le ministère de la culture. C’est pourquoi je réserve ma réponse sur ce sujet pour le moment.
En ce qui concerne l’ingénierie et le fonds d’amorçage, l’ingénierie patrimoniale va être renforcée. Dans le cadre des annonces que je ferai lors du Printemps de la ruralité, l’ingénierie dédiée au patrimoine sera une annonce majeure, car tous les élus locaux, notamment ruraux, que nous avons consultés, en ont exprimé la demande. Comme pour la ruralité, l’accès à la culture est une priorité, tout comme la mobilité. Le patrimoine nécessite une ingénierie culturelle et patrimoniale dédiée. Je vais réorganiser les services des DRAC (directions régionales des affaires culturelles) avec les ABF ou les UDAP (unités départementales de l’architecture et du patrimoine), afin de renforcer ces unités et de les orienter davantage vers le patrimoine historique et religieux, en particulier dans les zones rurales. Ces zones rencontrent les plus grandes difficultés, car de petites communes possèdent souvent des édifices patrimoniaux importants qui dépassent leurs moyens financiers. Les points en discussion que j’ai mentionnés seront annoncés prochainement.
M. Denis Masséglia, rapporteur spécial (Médias, livre et industries culturelles). Je prends aujourd’hui la parole pour présenter l’évaluation des moyens mobilisés par l’État sur la mission budgétaire Médias, livre et industries culturelles pour l’année 2023. Cette mission, essentielle à la vitalité culturelle de notre nation, regroupe les crédits de deux programmes clés, le programme 180, consacré à la presse et aux médias, et le programme 334, consacré aux livres et aux industries culturelles. En 2023, l’exécution budgétaire de la mission a atteint 731,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 725,7 millions d’euros en crédits de paiement, marquant une hausse significative par rapport à 2022. Cette augmentation de près de 100 millions d’euros témoigne de l’engagement du Gouvernement à soutenir nos secteurs culturels dans un contexte économique particulièrement difficile.
Dans un premier temps, j’aimerais aborder la mobilisation exceptionnelle en faveur des éditeurs de presse. En effet, le programme 180 a bénéficié d’une attention particulière, notamment à travers la mise en place, à l’initiative de l’Assemblée nationale, d’une aide exceptionnelle de 30 millions d’euros versée aux éditeurs de presse pour compenser la hausse des coûts de production exacerbés par les tensions économiques mondiales. Les crédits ont été versés en 2023 à l’Agence de services et de paiement, chargée de l’attribution et du versement de l’aide. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer le nombre d’éditeurs de presse ayant reçu cette aide en 2023, ainsi que le montant total et moyen par éditeur ?
Le second point que je souhaite aborder concerne le financement, encore largement assuré par la mobilisation des taxes affectées. La mission se caractérise par la prépondérance des dépenses fiscales et des taxes affectées aux opérateurs. Les crédits budgétaires ne représentent qu’un tiers de la dépense totale de la mission, restreignant ainsi la capacité de pilotage budgétaire du ministère. Les recettes des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ainsi qu’au Centre national de la musique (CNM) ont connu une progression notable, atteignant 824 millions d’euros en 2023 contre 754 millions d’euros en 2022. Le projet de loi de finances pour 2024 a introduit une nouvelle taxe sur le chiffre d’affaires des plateformes d’écoute de musique en ligne (streaming). Récemment, en réaction à cette taxe sur le streaming, Spotify a annoncé une augmentation du prix de ses abonnements, tout en exhortant le Gouvernement à explorer des moyens alternatifs de financement. Madame la ministre, pourriez-vous clarifier la position du Gouvernement sur ce sujet ?
Pour conclure, la mission Médias, livre et industries culturelles ne se limite pas à une question de financement. Elle reflète notre volonté politique de garantir à chaque citoyen un accès équitable à la culture. En soutenant ces secteurs, nous affirmons notre engagement en faveur de la diversité culturelle, de la liberté de la presse et de l’innovation artistique. Il est de notre responsabilité de continuer à défendre ces valeurs et de veiller à ce que les moyens budgétaires alloués soient utilisés de manière efficace et transparente.
Mme Rachida Dati, ministre. Les aides à la distribution de la presse et aux abonnements ont été réformées avec la signature d’un protocole en 2022. Cette réforme représente un soutien de l’ordre de 105 millions d’euros pour l’année 2023. Il est essentiel de maintenir une vigilance accrue pour soutenir ce secteur.
Pour ce qui est de l’aide aux éditeurs de presse, elle s’élève à 30 millions d’euros. En ce qui concerne le nombre de bénéficiaires, 504 publications en ont profité. Le montant moyen d’aide par entreprise est de 176 000 euros.
La taxe sur le streaming a entraîné une augmentation des prix de certains abonnements. Je suis disposée à organiser une rencontre pour discuter de cette taxe. Je reconnais que les plateformes exercent une certaine pression sur ce sujet. Toutefois, je considère que cette taxe permet de financer la musique. Vous pourriez me dire que ce n’est pas le rôle du Centre national de la musique. Pour ma part, j’aimerais qu’il devienne un centre comparable au CNC, un véritable outil de développement, de soutien à la création et aux artistes dans le domaine musical. J’ai bien compris que les plateformes ne réalisent pas de bénéfices. Cependant, je suis à votre disposition pour approfondir la réflexion et en discuter davantage.
Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale (Avances à l’audiovisuel public). Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je suis heureuse d’intervenir ce soir dans le cadre du printemps de l’évaluation organisé par la commission des finances concernant le compte d’affectation spéciale Avances à l’audiovisuel public et les moyens mobilisés par l’État en faveur de nos sociétés de l’audiovisuel public. Un audiovisuel public fort est essentiel pour garantir une information de grande qualité, fiable, reconnue, produite par des professionnels de l’information, pour préserver notre diversité culturelle et pour renforcer la création audiovisuelle et cinématographique.
En 2023, on observe une légère sous-exécution des crédits, ce qui a conduit à quelques ajustements en loi de finances de fin de gestion pour 2023, à hauteur de moins de 18,9 millions d’euros. Cette sous-exécution résulte de l’annulation des crédits destinés à Arte France, initialement prévue en raison de l’anticipation de la suppression de la redevance audiovisuelle, qui aurait entraîné une perte du droit de déduction de la TVA pour Arte France. Finalement, les choses ne se sont pas déroulées ainsi. De plus, des crédits supplémentaires ont été alloués à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) pour reconstituer son fonds de roulement, ainsi qu’à France Médias Monde, en raison d’une sous-évaluation de la perte de son droit à déduction de TVA. Je ne m’attarderai pas davantage sur les chiffres concernant l’exécution des crédits 2023.
Je souhaite plutôt mettre en lumière les évolutions notables survenues en 2023 concernant l’audiovisuel public français, marquant une rupture significative par rapport aux années précédentes. En effet, la suppression de la redevance audiovisuelle et l’affectation provisoire d’une fraction de TVA jusqu’à la fin de cette année ont été accompagnées d’une consolidation financière importante. Les dotations aux sociétés de l’audiovisuel public ont augmenté de manière significative en 2023 et 2024, pour un total de 325 millions d’euros, témoignant de l’engagement et du soutien fort de la puissance publique. Les dotations renforcées se sont inscrites dans une trajectoire pluriannuelle à la hausse pour la période 2024-2027.
Ma première question, Madame la ministre, concerne cette trajectoire pluriannuelle à la hausse, qui a été très favorablement accueillie car elle reflète l’engagement fort de l’État. Existe-t-il un risque d’annulation de crédits dans le cadre de cette trajectoire financière pluriannuelle ? En effet, le décret d’annulation de février 2024 a entraîné l’annulation de 20 millions d’euros de crédits sur le compte d’affectation spéciale en 2024.
Ma seconde question porte sur la modification de la loi organique relative aux lois de finances. Cette modification est nécessaire pour garantir un financement pérenne et indépendant pour notre audiovisuel public. Madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer ce que vous pensez de la modalité envisagée dans la proposition de loi organique portée par nos collègues Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, et dont la commission spéciale, que je préside, débattra prochainement ?
Mme Rachida Dati, ministre. Sur l’exécution du budget de l’audiovisuel public, je l’ai mentionné en propos liminaire, le taux d’exécution est quasiment à 100 % ; il n’y a donc pas de problème particulier à signaler. Concernant la sous-consommation marginale que vous avez évoquée, elle est effectivement liée à la surcompensation fiscale d’Arte, récupérée en fin de gestion, comme vous l’avez mentionné.
En ce qui concerne le financement de l’audiovisuel public, il est nécessaire de se tourner vers l’avenir. Actuellement, nous portons une réforme en cours de discussion, que j’espère voir aboutir. Les trajectoires ont été définies, et le financement est garanti jusqu’au 31 décembre 2024. Par la suite, deux options se présentent : soit nous passons à un financement budgétaire classique, soit nous sanctuarisons ce financement. Nous avons déjà entamé des discussions à ce sujet. La sécurisation et la pérennité de ce financement, qui garantiront l’indépendance de l’audiovisuel public, nécessiteront une réforme de la loi organique relative aux finances. Les deux aspects sont intrinsèquement liés. Je soutiens le texte porté par vos collègues Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier sur ce point.
J’avais d’ailleurs été interrogée sur ce sujet devant la commission des affaires culturelles. Nous envisagions dans un premier temps d’affecter une part de la TVA. Après discussions avec le ministère des finances, nous avons opté pour un prélèvement sur recettes, c’est-à-dire un mécanisme similaire à celui que nous utilisons pour financer l’Union européenne et les collectivités locales. Cela permet de garantir un financement plus sécurisé pour l’audiovisuel public, car un prélèvement sur recettes est différent de l’affectation d’une fraction de TVA. Cette réforme sera entreprise en parallèle des discussions sur la réforme de l’audiovisuel public.
M. le président Éric Coquerel. J’ai plusieurs questions à vous poser, notamment sur le pass culture, sujet sur lequel vous avez déjà réagi. Je dois dire que je suis assez satisfait que vous émettiez des réserves à ce propos. Aujourd’hui, le rapporteur spécial note « un dépassement de 10 % des crédits alloués au soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle. Initialement, 208,5 millions d’euros étaient prévus, mais 240,1 millions d’euros ont finalement été consommés. » Cela montre l’importance de ce pass culture, mais la part croissante du pass culture dans le budget de votre ministère masque parfois d’autres baisses regrettables.
Vous avez exprimé des réserves sur les objectifs du pass culture, soulignant un risque de reproduction sociale et des problématiques liées à sa nature, ainsi qu’une accessibilité accrue à une culture marchande, au détriment du spectacle vivant. De ce point de vue, l’impact du pass culture sur le spectacle vivant public reste anecdotique. Vous avez rencontré des maires de grandes villes du Sud et appris que l’accès à leur offre culturelle via le pass ne représentait que 0,7 %.
Je souhaite également vous interroger sur la part collective. On pourrait penser que cette part collective est un moindre mal, offrant une possibilité liée à un projet éducatif, notamment en faveur de l’éducation populaire, vers une culture du spectacle vivant moins marchande. Cependant, ce dispositif permet parfois de financer les activités d’éducation artistique et culturelle d’un établissement scolaire, rôle normalement dévolu aux collectivités territoriales, avec des effets d’aubaine et des contraintes. La réduction des possibilités de transport conduit parfois à organiser des spectacles dans des réfectoires, ce qui est loin de ce que l’on peut attendre en termes d’accès à la culture.
De plus, même s’il ne s’agit pas de l’exécution budgétaire 2023, je voudrais vous interroger sur l’annulation de 200 millions d’euros de crédits pour 2024, soit 5 % de votre budget. Vous avez annoncé avoir réussi à limiter l’impact à 65 millions d’euros. Si vous avez été contraint de le faire pour, je vous cite : « limiter au maximum les effets sur le financement du spectacle vivant dans les territoires », il apparaît que les coupes imposées par Bercy n’étaient finalement pas si indolores. Même après votre tentative de réduire l’impact, les économies représentent tout de même 2,6 % du budget de la création, une diminution significative alors que les scènes de spectacle et autres théâtres avaient déjà des difficultés à boucler leur budget. Elles vont devoir rediriger leurs moyens vers des spectacles moins risqués pour attirer plus de spectateurs. Ne craignez-vous pas que cette logique risque à terme de porter atteinte à la diversité culturelle à laquelle vous dites tenir ?
Enfin, en tant que député de Seine-Saint-Denis, j’ai été alerté par des enseignants de hip-hop, et cela concerne également d’autres types d’art, notamment les danses nées dans la rue. Ils sont désormais obligés d’obtenir des diplômes qui ne correspondent pas du tout à la formation hip-hop que l’on connaît. Il m’a semblé que vous aviez donné des assurances à ce sujet. Pourriez-vous me le confirmer ?
Mme Rachida Dati, ministre. Lorsque je suis arrivé en tant que ministre de la culture, j’avais une intuition concernant le pass culture, notamment sur la part individuelle et la part collective. Nous pourrions discuter de ces deux aspects, mais concentrons-nous d’abord sur la part individuelle et sur le public touché. En zone rurale, le principal obstacle est la mobilité. Nous nous sommes interrogés sur l’opportunité d’inclure une part de mobilité dans le pass culture. Cependant, nous craignions que cela ne désengage les régions, qui ont également cette compétence, et réduise ainsi l’accès à la culture via le pass culture. J’ai donc exclu cette possibilité, bien que cela puisse être envisageable dans des cas très particuliers, par exemple en allouant 50 centimes d’euros pour la mobilité. En ce qui concerne la part collective, elle fonctionne très bien. Partout où je me rends, je constate son efficacité. En discutant avec les enfants dans les musées, au théâtre ou lors de spectacles de danse, on observe que pour 90 % d’entre eux, c’est la première fois qu’ils accèdent à un lieu culturel. Le pass culture permet donc d’ouvrir l’accès à la culture à ceux qui en sont éloignés, qu’ils soient en zone urbaine ou rurale. Je pense qu’il faut au contraire amplifier ce dispositif. Actuellement, il est limité à l’Éducation nationale, mais je souhaite l’élargir aux apprentis. La complexité des statuts des apprentis et leur rattachement rendent leur éligibilité à la part collective du pass culture plus difficile. Nous essayons également d’inclure les instituts médico-éducatifs (IME) et d’élargir cette initiative à la protection judiciaire de la jeunesse et aux établissements de protection de l’enfance. L’avancée majeure que j’ai obtenue à ce stade concerne les acteurs de l’éducation populaire, notamment les centres sociaux, les foyers ruraux et les MJC, qui deviennent de plus en plus éligibles au pass culture dans le cadre de la part collective.
Il y a dix jours, j’étais à Pantin où j’ai rencontré des compagnies de danse et de théâtre désireuses d’intégrer le dispositif annoncé par le Président de la République concernant l’enseignement obligatoire du théâtre et de l’histoire de l’art à l’école. Cet engagement sera tenu d’ici septembre 2024. Certains enseignants soulignent la nécessité d’une formation adéquate pour intégrer ces matières dans le cadre d’un programme obligatoire, ce qui pose la question des effectifs nécessaires à la mise en œuvre de cet enseignement. J’envisage une expérimentation consistant à associer des compagnies ou des acteurs culturels, souvent impliqués dans la médiation et les activités périscolaires, avec des enseignants dans le cadre de l’enseignement artistique et culturel (EAC) obligatoire. Cette approche permettrait d’élargir indirectement la participation collective. Par exemple, si une activité n’est pas éligible au pass culture collectif, elle pourrait être intégrée via l’enseignement obligatoire. J’ai partagé cette idée avec quelques compagnies à Pantin et j’aimerais la tester en Seine-Saint-Denis. J’en ai discuté avec Stéphane Troussel, président du département, et nous avons échangé sur ce sujet, notamment en ce qui concerne les orchestres et la musique. Je pense que cette expérimentation pourrait être mise en place.
Concernant la part individuelle du pass culture, vous avez raison. Dans des villes comme Montpellier ou Marseille, nous observons une forte utilisation du pass culture. Cependant, dans les zones où ce serait le plus nécessaire, les taux d’utilisation sont très bas, parfois de 0,1 ou 0,7 %. Je pense que les deux rapports que nous attendons sur le bilan du pass culture, à savoir celui de la Cour des comptes et celui de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), seront très instructifs. À partir de ces éléments, nous pourrons refonder ou renouveler une politique culturelle accessible au plus grand nombre.
Sur les 50 000 réservations mensuelles, 60,2 % concernent les livres, 21,3 % le cinéma, 9,2 % la musique live ou enregistrée, 1,7 % les beaux-arts, 1,53 % les musées et 0,5 % le spectacle vivant. Ces chiffres sont explicites.
Je souhaite également préciser que certains opérateurs ne jouent pas le jeu en matière de politique tarifaire. Ils proposent quelques places pour donner l’impression qu’ils contribuent, mais ces places ne sont pas forcément prises par le public visé. La semaine dernière, nous avons réuni l’ensemble des opérateurs pour la première fois afin de leur demander de favoriser la diversité du public. J’ai insisté pour qu’ils intègrent la médiation culturelle.
Même si la Comédie-Française est accessible via le pass culture, si les jeunes ne savent pas comment y aller, ils n’y iront pas. J’ai donc demandé à de grands opérateurs, comme l’opéra de Paris, d’intégrer une part de médiation pour permettre au plus grand nombre de bénéficier de ces spectacles.
Concernant le hip-hop, le débat a émergé dans le cadre de la proposition de loi (PPL) dit danse. J’ai rencontré des acteurs du hip-hop et j’ai affirmé que rien n’était figé puisque le texte n’est pas encore adopté. Ma conviction personnelle, fruit de mon parcours et de mon expérience politique, est que lorsqu’on est animateur, éducateur ou enseignant, notamment dans le domaine du hip-hop, un art très présent dans les cultures urbaines en France, il est impossible d’enseigner dans un conservatoire ou un organisme d’État sans reconnaissance officielle. Que le texte soit adopté ou non, la situation actuelle ne changera pas pour ceux qui travaillent dans le périscolaire ou l’animation.
Je tiens à souligner une avancée importante, permise par la gauche, la validation des acquis de l’expérience professionnelle. Je me souviens de Lionel Jospin et Jean-Luc Mélenchon, qui ont œuvré pour la reconnaissance de l’expérience professionnelle en tant que diplôme, offrant ainsi un statut officiel. À titre personnel, j’ai été aide-soignante pendant des années et, aujourd’hui, cette expérience est reconnue grâce à la validation de mes acquis professionnels. Je suis convaincue que la délivrance d’un diplôme d’État, en reconnaissant l’expérience professionnelle, ouvre la possibilité d’enseigner dans divers établissements, que ce soit des établissements scolaires ou des conservatoires, municipaux ou nationaux. Certains estiment qu’un art comme le hip-hop ne peut être encadré, mais je pense qu’il est préférable de reconnaître des droits dans le cadre d’une expérience professionnelle.
M. Daniel Labaronne (Renaissance). Je tiens à saluer votre engagement au nom du Gouvernement en faveur d’une ambition culturelle française, en particulier pour la démocratisation de la culture dans les territoires ruraux. Votre implication dans la médiation culturelle et votre rapprochement avec le réseau de l’éducation populaire méritent d’être soulignés. Vous avez également montré une grande attention envers le patrimoine, qu’il soit public ou privé. À cet égard, je souhaite mentionner que le message que vous avez adressé aux membres de l’Association de la demeure historique, réunis à Villandry pour leur centenaire, a été très bien reçu. Enfin, je salue votre volonté de sanctuariser un prélèvement sur recettes pour l’audiovisuel public.
Concernant l’avenir du pass culture, vous avez déjà fourni de nombreuses réponses. De même, vous avez abordé le plan de financement pour les édifices religieux. J’aimerais connaître votre avis sur l’ingénierie patrimoniale, en particulier dans les territoires ruraux. Je tiens également à saluer votre action en faveur de la culture en milieu rural, notamment avec le Printemps de la ruralité. Je souhaite également vous interroger sur les mesures prises pour aider la presse papier face à l’inflation du prix du papier, un sujet qui n’a pas encore été abordé.
Quel est votre point de vue sur les difficultés économiques rencontrées par le spectacle vivant ? Plus précisément, j’aimerais revenir sur le contrôle fiscal du pôle national du cirque à Auch. Quelle est votre position concernant l’application du taux de TVA super réduit dans ce domaine ?
Enfin, en ce qui concerne les jeux vidéo, envisagez-vous de prolonger le crédit d’impôt au-delà de 2026 ? Quelle est votre position sur la création d’une taxe affectée aux jeux vidéo ?
Mme Rachida Dati, ministre. Sur le patrimoine historique et le patrimoine privé, vous connaissez ma position. Je devais être à Villandry mais le Conseil des ministres m’en a empêché. Je ne me dérobe pas sur le patrimoine historique privé, qui doit bénéficier de mesures très favorables dès lors qu’il présente un intérêt général et permet l’accès du public.
Je trouve qu’il y a beaucoup de moyens alloués au pass culture, qui représente pratiquement la plus grosse ligne budgétaire du ministère. J’aimerais que cela touche le public visé dès le départ. Nous y travaillons. J’ai même envisagé la création d’un fonds de dotation pour la part individuelle, qui pourrait être abondé par des mécènes ou des fondations engagées dans l’insertion ou la lutte contre l’exclusion. Je veux que le pass culture atteigne sa cible. Actuellement, nous en sommes loin pour la part individuelle. De plus, les opérateurs culturels doivent jouer le jeu, surtout ceux placés sous la tutelle du ministère de la culture. Ils ne doivent pas se contenter de se donner bonne conscience, mais accueillir tout le monde de manière adaptée. La médiation est également un point essentiel. Pour les édifices religieux, j’ai déjà évoqué le fait que nous ciblerons beaucoup plus la souscription.
L’ingénierie dédiée, notamment en milieu rural, concerne à la fois le financement, la protection, les subventions et le patrimoine. Concernant les aides à la presse, j’ai mentionné précédemment le montant global. J’ai également abordé rapidement la question de la distribution, car un rapport est attendu pour le 15 juin. Des propositions ainsi que des pistes seront présentées. Tout cela est interconnecté. J’ai déjà répondu au sujet du nombre d’éditeurs et des titres concernés, et nous disposons de tous les détails nécessaires. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous les fournir.
En ce qui concerne les difficultés du spectacle vivant, j’ai lancé une réunion, que l’on pourrait qualifier d’états généraux ou d’assises, avec les syndicats et les représentants du secteur. Cette réflexion de fond vise à assurer la pérennité du spectacle vivant. Ce secteur connaît des difficultés persistantes, qui ne datent pas d’hier. J’ai également pris en compte les questions de labellisation du spectacle vivant. Ce point sera retravaillé, car la labellisation ne garantit pas toujours la pérennité, l’intérêt ou même la diffusion des œuvres. Souvent, les subventions pour la création ne s’accompagnent pas d’une diffusion adéquate. La création et la diffusion doivent aller de pair, car un spectacle est destiné à être vu. J’ai donc lancé ces états généraux et cette réflexion de fond sur le label, le financement et la pérennité du spectacle vivant.
En réponse à Monsieur le président, je tiens à souligner que je n’ai retiré aucun euro des financements alloués au spectacle vivant dans les territoires. J’ai veillé à préserver ces financements. Concernant les opérateurs du spectacle vivant affectés par des réductions budgétaires, j’ai rédigé des lettres très détaillées expliquant les raisons et les modalités de ces réductions, tout en précisant que cela n’entraverait pas la programmation pour 2024 et 2025. Nous aurons des discussions sur l’avenir mais, pour l’instant, j’ai communiqué de manière exhaustive avec chacun des opérateurs concernés.
Mes priorités incluent la culture accessible au plus grand nombre, notamment à travers le pass culture, le spectacle vivant, la ruralité en lien avec la mobilité, et le patrimoine sous toutes ses formes. Le spectacle vivant, en particulier, représente une part essentielle de l’exception culturelle française.
Enfin, concernant les jeux vidéo, je reviendrai sur ce sujet ultérieurement, si vous en êtes d’accord.
Sur le contrôle du pôle national du cirque à Auch, il a suscité évidemment des interrogations. Une évolution législative est souhaitable sur le sujet.
M. Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national). Madame la ministre, je tiens à saluer la qualité des réponses que vous apportez aux commissaires. Il est toujours appréciable de constater que le Parlement est respecté dans son travail de contrôle. Je ne vais pas m’attarder sur nos désaccords concernant le budget de l’audiovisuel public, vous savez que nous souhaitons privatiser une grande partie de ce secteur. Je vais plutôt me concentrer sur d’autres questions.
La première concerne les aides à la presse. Il est compréhensible qu’à une certaine époque, il ait été nécessaire de soutenir la presse, mais aucun secteur ne doit être subventionné indéfiniment. Cela indique qu’il y a un problème structurel. De plus, il existe une grande concentration capitalistique dans ce secteur. J’aimerais connaître votre analyse des subventions à la presse. Il est essentiel de trouver une solution pragmatique et économiquement sensée.
De la même manière, je m’interroge sur la TVA réduite appliquée aux services d’abonnement à la télévision dans un contexte de rigueur budgétaire. Est-elle véritablement utile et souhaitable de manière pérenne ?
Je soutiens évidemment votre volonté de favoriser l’accès à la culture. Nous soutenons potentiellement le pass culture, mais nous souhaitons qu’il soit réellement orienté vers la culture difficile d’accès.
Je tiens à exprimer mon admiration personnelle pour votre parcours. Je me souviens avoir réussi à m’en sortir grâce à l’école publique, qui m’a ouvert à une culture que je ne connaissais pas. Nous devons veiller à ce que le pass culture ne se concentre pas uniquement sur certaines formes de culture, même si elles ne sont pas contestables. Il est essentiel de sortir chacun de sa zone de confort, et je trouve que cela n’est pas suffisamment le cas actuellement. Pourtant, nous soutenons depuis le début le principe du pass culture. Je ne comprends pas pourquoi nos demandes sont toujours caricaturées.
Je suis très inquiet, madame la ministre, concernant l’état du patrimoine, notamment religieux, dans notre pays. L’ensemble des élus du Rassemblement national partage cette inquiétude, particulièrement en ce qui concerne l’état des circuits électriques. Plusieurs incendies ont eu pour cause ce problème, et je souhaite vraiment vous alerter sur ce point. Nous devons éviter de nouveaux drames.
Mme Rachida Dati, ministre. Sur les aides à la presse, monsieur le député, je souhaite clarifier votre question : s’agit-il des aides à la presse en général ou de l’aide exceptionnelle mise en place en réponse aux problèmes d’inflation ? Concernant les aides à la presse en général, j’ai confié à M. Sébastien Soriano une mission sur la filière de distribution. Je serai disponible pour évoquer les conclusions de cette mission et vous indiquer les pistes retenues.
Je partage votre préoccupation, similaire à celle concernant le spectacle vivant : lorsque des modèles sont structurellement déficitaires, il est légitime de s’interroger sur leur fonctionnement. Toutefois, les aides à la presse sont essentielles pour la démocratie, le pluralisme et la liberté d’expression. Je ne suis pas opposée aux aides à la presse de manière générale. Un titre peut être déficitaire tout en étant indispensable à la démocratie et à la liberté d’expression. Il s’agit de déterminer les circonstances et les critères d’octroi de ces aides.
Concernant les aides exceptionnelles, elles sont nécessaires pour tous les secteurs économiques afin de faire face à l’augmentation des coûts, notamment l’inflation, qui était de près de 5 % en 2023.
En ce qui concerne le patrimoine, je partage votre avis. Ce n’est pas une question d’idéologie. Préserver notre patrimoine, c’est préserver notre histoire et notre culture. Le patrimoine constitue une priorité. C’est pourquoi j’ai maintenu les crédits malgré les contraintes actuelles.
Pour le patrimoine religieux, une souscription nationale très ciblée sera lancée. Nous détaillerons le patrimoine religieux que nous souhaitons soutenir. Le « plan cathédrales », déjà existant, pourra être élargi. J’ai également demandé à la direction générale du patrimoine d’établir un plan anti-incendie et de recenser tous les dysfonctionnements actuels. Souvent, une dégradation, comme un court-circuit, peut causer des dégâts considérables. J’ai demandé aux DRAC de me faire remonter toutes les difficultés et les risques identifiés.
Concernant le pass culture, vous avez raison. J’ai mentionné, par exemple, que la dimension collective fonctionne très bien. C’est un moyen intéressant d’accès à la culture. Dans vos circonscriptions, vous devez constater cela avec les écoles. Observez les enfants et interrogez-les, la grande majorité d’entre eux, qu’ils soient en milieu rural ou en Île-de-France, visitent pour la première fois un musée ou un théâtre. C’est également la première fois que leur programme pédagogique intègre le théâtre tiré d’une œuvre littéraire française. Je considère cela comme une véritable avancée dans l’accès à la culture.
En ce qui concerne le contenu, il s’apparente à un catalogue de divers types de spectacles, similaire au Pariscope pour ceux qui se souviennent de sa version papier. Il n’y a pas de prédominance d’un type de culture ou d’art sur un autre ; chacun peut y trouver ce qu’il souhaite. Là où je vous rejoins, c’est sur l’idée de cibler la culture qui participe à la construction personnelle. C’est dans cette optique que je suis en train de rénover et refonder le pass culture.
Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Madame la ministre, il ne vous aura pas échappé que toutes les organisations syndicales de travailleurs et d’employeurs représentatives du spectacle vivant public appellent à se mobiliser partout en France ce jeudi 13 juin. En mars déjà, 570 artistes et créateurs sonnaient l’alarme. La situation est grave, comme vous l’avez mentionné. À l’automne, le recours à l’article 49-3 nous a imposé un budget que nous jugions très insuffisant, face à l’inflation et au désengagement des collectivités territoriales. Ce budget effaçait également certaines victoires obtenues pour les scènes de musiques actuelles (SMAC) et les MJC. Au printemps, Bercy a imposé une coupe budgétaire de 200 millions d’euros sans le moindre vote, dont 96 millions en moins pour la création artistique, soit 10 % de son budget. Pendant ce temps, les fonds alloués au pass culture, sur lesquels vous avez exprimé des réserves, restent intouchés. Cette coupe budgétaire est un véritable désastre pour les emplois, les structures, mais aussi pour la diversité artistique et l’accès populaire à la culture, sujets sur lesquels vous insistez souvent.
Moins de budget pour la création artistique signifie moins de spectacles. La plateforme des arts du spectacle (PAS) annonce une réduction de 54 % des représentations pour la saison 2024-2025. Elle dénonce une casse sociale et artistique. Il semble que le plan « mieux produire, mieux diffuser » pourrait se transformer en un plan « moins produire », entraînant une sélection drastique dans la diversité des œuvres des artistes.
Moins de budget pour la création artistique signifie également une augmentation du prix des billets. Pour alerter sur cette menace et exiger un refinancement, le Syndicat national des directeurs de centres dramatiques (SNDCD) nous a envoyé des billets hors de prix, édités par la Maison de la culture de Bercy.
Les intermittents du spectacle attendent toujours de Bercy des clarifications sur le respect de l’accord signé le 27 octobre. Parallèlement, les artistes auteurs et les festivaliers expriment leurs préoccupations concernant leurs revenus discontinus. Dans le domaine du cinéma, une mission de l’Inspection générale des finances (IGF) sur le CNC semble menacer un modèle vertueux qui permet pourtant aux films français d’être reconnus et primés à l’international.
Je pose donc une question quelque peu provocatrice. Je reconnais votre détermination lorsqu’il s’agit de mener à bien la fusion à marche forcée de l’audiovisuel public, même si cela suscite des critiques. Peut-on espérer une détermination similaire pour préserver le service public de la culture, le régime de l’intermittence et l’exception culturelle française, notamment dans le domaine du cinéma, face à certaines ambitions de Bercy ?
Mme Rachida Dati, ministre. Sur la question de l’intermittence, j’ai été très claire. Concernant le spectacle vivant, j’ai rencontré les syndicats et les représentants. Vous mentionniez votre détermination ; de la même manière, je ne me dérobe jamais. Quand je ne sais pas, je l’admets. Quand je n’ai pas pris de décision, je le dis également. Mais quand les choses sont claires, elles le sont sans ambiguïté. J’ai reçu l’ensemble des représentants et nous avons déterminé ensemble les points sur lesquels nous devions travailler. Si vous le souhaitez, je peux même vous transmettre le courrier que je leur ai envoyé pour bien acter les points de discussion que nous voulions aborder sur le modèle, le financement, les critères de l’habilitation, comme vous l’avez rappelé tout à l’heure. C’est la réflexion que nous avons lancée ensemble la semaine dernière.
En ce qui concerne le spectacle vivant, je l’ai affirmé, je n’ai pas retiré un euro des territoires. C’est une réalité. Quand quelqu’un me dit qu’il a ressenti une réduction, celle-ci n’a même pas été mise en œuvre, donc il ne peut pas ressentir une réduction qui n’existe pas. Soit cette réduction s’est faite sans moi, soit elle s’est faite avant ou après moi. Il n’y a pas eu de réduction budgétaire sur le spectacle vivant dans les territoires. Concernant les SMAC, vous savez très bien que nous ne les avons pas remises en cause.
En cinq ans, nous avons augmenté le budget du ministère de la culture de plus d’un milliard d’euros. C’est une augmentation inédite pour ce ministère. Cette réalité est vérifiable, car le budget est voté au Parlement et exécuté à pratiquement 100 %. Les fonds ont donc bien été alloués au bénéfice de la culture.
Concernant le CNC, j’ai entendu les mêmes craintes. Je suis très claire : je défendrai le CNC. Je l’ai déjà affirmé et je le répète, c’est un modèle vertueux. Il permet la création et le financement du cinéma français, tout en prenant des risques. Comme je l’ai mentionné précédemment, certaines politiques publiques ne visent pas la rentabilité financière. La création et la démocratie ont un coût. Le CNC est un modèle qui fonctionne bien et que je soutiendrai fermement.
Hier, j’ai reçu des représentants de festivals qui m’ont exposé leur situation et leurs inquiétudes. Je les ai écoutés attentivement et leur ai demandé de préciser exactement leurs demandes. Nous avons abordé plusieurs sujets, notamment l’intermittence et les festivals. Nous avons également discuté du lien entre l’intermittence et les festivals, en évoquant, par exemple, les périodes de carence. Notre discussion a été très fructueuse et intéressante. J’attends donc qu’ils me transmettent leurs positions et leurs suggestions.
Mme Virginie Duby-Muller (Les Républicains). Madame la ministre, dès votre nomination au Gouvernement, vous avez exprimé votre volonté d’élargir l’accès à la culture à tous les Français, avec une attention particulière envers les publics les plus éloignés, notamment en zone rurale et dans les zones urbaines sensibles. Cette ambition, que nous sommes nombreux à partager, est louable.
Concernant l’accès à la culture dans le monde rural, le Premier ministre et vous-même m’avez confié une mission parlementaire sur l’ingénierie en zone rurale. Je rendrai prochainement mes conclusions et recommandations à ce sujet et j’ai quelques questions sur les actions du ministère de la culture dans ce domaine. Le programme 361, intitulé Transmission des savoirs et démocratisation de la culture, vise « à permettre la participation de tous les habitants, tout au long de leur vie et sur l’ensemble du territoire, à la vie culturelle ». Les actions en faveur des populations des territoires prioritaires et des zones rurales représentent 26,76 millions d’euros en crédits de paiement.
Dans ce cadre, le ministère de la culture collabore avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ainsi qu’avec l’Agence nationale de cohésion des territoires pour le déploiement des Micro-Folies. Au cours de ma mission parlementaire, j’ai rencontré les équipes qui coordonnent et développent ce dispositif, notamment au sein de l’établissement public du parc et de la grande Halle de la Villette. Dans la documentation budgétaire du projet de loi de finances, il est indiqué une ambition de créer 500 Micro-Folies, réparties comme suit : 300 dans les communes intégrant au moins un quartier prioritaire de la ville et 200 dans les territoires ruraux. Dans le cadre de mon travail, j’ai été informée de la création de 440 Micro-Folies, dont 193 en zone rurale. J’ai pu mesurer l’intérêt de cet outil numérique pour diffuser et déployer la culture au service du plus grand nombre. Pour l’année 2023, le ministère de la culture soutenait l’établissement public du parc et de la grande Halle de la Villette dans son rôle de coordinateur du déploiement et de l’animation du réseau des Micro-Folies, à hauteur de 3 millions d’euros.
Je souhaite donc savoir si le ministère compte renforcer son soutien à ce dispositif, y compris à travers le financement de l’établissement public du parc et de la grande Halle de la Villette.
Par ailleurs, l’objectif est maintenant d’atteindre le nombre de 700 Micro-Folies d’ici 2026. Ce chiffre vous semble-t-il atteignable ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je tiens à exprimer mon appréciation pour le travail remarquable accompli lors du Printemps de la ruralité. Cet événement a véritablement suscité un engouement et généré des propositions extrêmement importantes pour la ruralité et ses habitants.
Concernant la grande Halle de la Villette, son rôle de médiateur ainsi que ses fonctions en ingénierie et formation des médiateurs seront maintenus et amplifiés. Cela permettra de préparer les collections nationales et régionales du musée numérique. La nouvelle présidente, Blanca Li, est pleinement engagée sur ce sujet, et je l’en remercie.
En ce qui concerne les Micro-Folies, je reconnais l’intérêt des élus et des habitants des territoires ruraux pour ce dispositif. Cependant, certains préfèrent avoir accès à des œuvres d’art en vrai. Je soutiens la mobilité des spectateurs, mais également celle des œuvres. Par exemple, le musée Bonnard a établi un partenariat avec le musée d’Orsay, permettant ainsi l’exposition d’œuvres du musée d’Orsay au Cannet.
Cette politique de mobilité des œuvres est essentielle et doit être renforcée, malgré les réticences des opérateurs concernant les conditions de transport et d’exposition. Nous avons relancé cette initiative, et des collaborations comme celle entre le musée d’Orsay et le musée Bonnard fonctionnent très bien. J’ai demandé aux DRAC un bilan précis sur la mobilité des œuvres.
Les Micro-Folies sont une excellente initiative, et nous en comptons actuellement 500. Nous atteindrons le chiffre prévu d’ici 2026. Toutefois, il est crucial que ces Micro-Folies ne remplacent pas l’expérience de voir des œuvres d’art. Bien que nous ne puissions pas déplacer des pièces majeures comme la Joconde, il est important que des œuvres d’art de nos grands musées puissent circuler à travers le territoire national.
M. Luc Geismar (Démocrate — MoDem et Indépendants). En 2023, les dépenses de la mission Culture s’élèvent à près de 3,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2022. Les crédits de cette mission ont été surexécutés de 148 millions d’euros, soit une hausse de 4 %, principalement en raison de l’utilisation de crédits provenant du fonds de concours. La gestion des crédits en cours d’exercice a également dû faire face aux aléas des dépenses de guichet, tels que le fonds national pour l’emploi dans le spectacle et le pass culture, ainsi que le financement de l’inflation.
La part collective du pass culture a été généralisée et bénéficie désormais aux collégiens et aux lycéens. Alors que de plus en plus de jeunes ont accès à ce dispositif, je m’interroge sur son efficacité, notamment en matière de médiation et de diversification culturelles.
Concernant le programme 180 Presse et médias, celui-ci a financé la nouvelle aide à la diffusion de la presse, visant à favoriser le portage des titres de presse. En attendant les conclusions des états généraux de l’information à la fin de ce mois, je souhaite savoir si ces aides ont permis de soutenir les abonnements à la presse papier, qui connaissent une chute libre, et d’assurer l’accès à une presse pluraliste sur l’ensemble du territoire.
Mme Rachida Dati, ministre. Sur les deux dernières questions, concernant les aides à la presse, il est vrai que les abonnements sont en baisse, tandis que la vente au numéro reste stable. Les aides permettent évidemment de soutenir ce secteur, c’est une réalité indéniable.
Vous m’avez également interrogé sur le fonds pour l’emploi pérenne dans le spectacle. Ce fonds a été renforcé pendant la crise et prolongé jusqu’au 31 décembre 2025. L’objectif est non seulement d’améliorer le caractère incitatif des aides, mais aussi de garantir leur soutenabilité. En loi de finances pour 2024, 5 millions d’euros supplémentaires sont prévus, portant ainsi le budget total à 39 millions d’euros. Je suis conscient des critiques émises à l’encontre de ce fonds.
Sur le pass culture, j’ai évoqué deux rapports à venir. La question est de savoir si ce dispositif remplit réellement son rôle et s’il atteint l’objectif de toucher ceux qui sont éloignés de la culture, tant sur le plan individuel que collectif. Sur le plan individuel, ce n’est pas vraiment le cas. Sur le plan collectif, cela fonctionne bien uniquement dans le cadre de l’éducation nationale. Il est donc nécessaire d’élargir cette approche et, surtout, d’y intégrer de la médiation. Pour atteindre un public qui n’a pas accès à la culture, la médiation est essentielle.
M. Inaki Echaniz (Socialistes et apparentés). Madame la ministre, nous nous réjouissions de la hausse des crédits de la mission Culture lors de l’examen du PLF à l’automne dernier. Cependant, cette joie fut de courte durée. En septembre, votre prédécesseure annonçait fièrement 241 millions d’euros supplémentaires pour un budget de transformation et d’accompagnement des mutations du secteur. Malheureusement, le ministère des finances est intervenu. La culture n’a pas échappé à la chasse aux économies du Gouvernement, puisque 204,3 millions d’euros de crédits ont été annulés par le fameux décret de février 2024.
Même si vous affirmez aujourd’hui avoir obtenu des arbitrages, je reste sceptique. Où avez-vous trouvé ces 200 millions d’euros ? Cette annulation de crédits devrait toucher notamment le programme Patrimoines à hauteur de 99,5 millions et le programme Création à hauteur de 96 millions. Ces coupes budgétaires inquiètent les professionnels du secteur. Elles menacent la création artistique et culturelle en France. Loin d’être soutenables, elles diluent la casse sociale à l’œuvre. Madame la ministre, estimez-vous satisfaisantes les acrobaties budgétaires de votre ministère sous la contrainte de Bercy ?
Une autre coupe plus discrète m’interroge. Le nouveau programme 848, doté de 69 millions d’euros pour 2024, a été amputé de 25 %. Ce programme vise à financer des projets de transformation prioritaire de l’audiovisuel public, destinés à accroître la qualité, la visibilité et l’impact des offres proposées par le secteur, notamment en matière de proximité, de numérique et d’information à destination du public jeune.
Tous les objectifs sur lesquels le Gouvernement économise actuellement sont ceux que vous, madame la ministre, prétendez pouvoir atteindre avec votre projet de fusion. Que répondez-vous à cela ? Pourquoi, alors que les crédits manquent, ne pas pérenniser directement des moyens pour la poursuite de ces objectifs plutôt que d’engager des fonds dans une réforme qui s’annonce coûteuse, du moins dans ses premières années ?
Puisque vous vous efforcez de répondre à toutes les questions depuis tout à l’heure, je me permets de vous relancer concernant ma question posée en commission des affaires culturelles, à laquelle je n’ai pas eu de réponse, sur les garanties financières et techniques pour accompagner les radios indépendantes dans le déploiement du DAB +. J’en profite également pour vous interroger sur la possibilité de financer des cinémas itinérants dans les zones rurales et les vallées de montagne.
Mme Rachida Dati, ministre. J’ai déjà répondu concernant les réductions budgétaires et affirmé que le spectacle vivant n’a pas été affecté sur le territoire. Pour atténuer ces réductions budgétaires, j’ai mobilisé les réserves de précaution. Comme vous le savez, chaque année, des réserves de précaution sont constituées mais rarement utilisées. Par définition, une réserve de précaution est destinée à être employée en cas de grande difficulté.
En ce qui concerne l’audiovisuel public et le risque de nouvelles annulations, les seules annulations effectuées concernent le programme de transformation. Nous avons une réforme en cours, accompagnée d’un financement qui sera également réformé. Tout cela se déroule en parallèle, assurant ainsi une cohérence.
Quant au budget, je le répète, il a augmenté d’un milliard en cinq ans. Malgré les annulations budgétaires, le budget reste en hausse par rapport à 2023, même en tenant compte des diminutions. Vous pouvez donc constater que ce que j’affirme est factuel.
Concernant le DAB + et le cinéma itinérant, j’ai prononcé un discours dans le cadre du CNC où j’ai annoncé très clairement le soutien au cinéma itinérant. Je vais réitérer cette annonce lors du Printemps de la ruralité. Vous pourrez constater que le cinéma itinérant sera de nouveau accessible et vous en profiterez pleinement.
La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède ensuite à la discussion sur la thématique d’évaluation relative aux ressources disponibles pour les établissements culturels afin de compenser l’inflation (M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial).
M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial. En 2023, lors du Printemps de l’évaluation, je me suis intéressé aux écoles nationales supérieures d’architecture. À l’issue de ces travaux, j’ai fait voter une résolution visant à renforcer l’accompagnement de l’État pour ces acteurs essentiels à la transition écologique.
Cette année, j’ai approfondi la question des ressources disponibles au-delà des dotations publiques pour les établissements culturels relevant des crédits dont je suis le rapporteur spécial, en tenant compte du contexte inflationniste que nous connaissons tous. Cette évaluation porte sur les droits d’inscription dans les écoles nationales de l’enseignement supérieur culture et sur la billetterie du spectacle vivant public. Je me suis interrogé sur plusieurs points : quel est le montant de ces ressources ? Comment participent-elles au financement de ces établissements ? Et dans un contexte financier complexe, comment peuvent-elles être développées ?
Concernant les droits d’inscription, je me suis concentré sur les établissements financés par l’État, tels que les Beaux-Arts. Ces établissements, qui regroupent 41 écoles et 26 000 étudiants, voient leurs droits d’inscription déterminés par les ministres de la culture et du budget. Le produit total de ces droits est estimé à 9,5 millions d’euros. En revanche, en 2024, l’État devrait financer ces écoles à hauteur de 315 millions d’euros. Les droits d’inscription ne représentent donc que 3 % de la contribution de l’État. En plus de leur niveau très modeste, ces droits se distinguent par leur éclatement. On compte ainsi trente et un montants différents de droits d’inscription dans l’enseignement supérieur de la culture, un nombre bien supérieur à celui observé dans l’enseignement supérieur en général, alors que les étudiants concernés ne représentent que 1,25 % des effectifs totaux. Ces droits d’inscription ne progressent pas en fonction de l’avancée dans le cycle d’études et ne sont pas majorés pour les étudiants extracommunautaires.
Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises lors des derniers travaux, je regrette que le ministère de la culture soit le seul à ne pas autoriser des droits d’inscription différenciés pour les étudiants extracommunautaires. Au-delà de la question financière, le ministère de la culture est le seul à déroger aux règles communes appliquées dans les autres ministères ayant l’enseignement supérieur sous leur tutelle.
Depuis dix ans, les droits d’inscription ont peu évolué, et dans un contexte de précarité étudiante croissante, ils stagnent depuis 2019. Sur cette période, seules deux années ont vu une revalorisation très limitée, tandis que les huit autres années n’ont connu aucune augmentation. En moyenne, les droits d’inscription ont progressé de moins de 1 euro par an, alors que la réglementation prévoit une évolution annuelle en lien avec l’inflation.
À l’issue de cette évaluation, je recommande de simplifier la grille actuelle des droits d’inscription, d’harmoniser les pratiques du ministère de la culture avec celles du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche en matière de droits d’inscription, de dégeler ces droits selon des modalités variées, de développer les diplômes propres aux établissements et de créer une direction de la formation et de l’enseignement supérieur au sein du ministère de la culture.
J’aborde maintenant la question de la billetterie du spectacle vivant public, qui concerne les neuf opérateurs nationaux de la création, les 300 structures labellisées et les 125 établissements détenteurs d’une appellation, tous jouant un rôle essentiel dans le soutien à la création artistique. Le spectacle vivant public, et en particulier le spectacle vivant labellisé, traverse une période difficile. La situation financière, déjà fragile en 2019 et depuis longtemps, comme vous l’avez mentionné, madame la ministre, s’est fortement dégradée. En 2019, cinq des neuf établissements nationaux du spectacle vivant et 40 % des structures labellisées affichaient un résultat déficitaire.
Dans le contexte actuel, j’ai souhaité faire le point sur le financement de ces établissements et sur leurs ressources en billetterie. En 2022, l’État a alloué 600 millions d’euros à l’ensemble de ces structures. En comparaison, la même année, les recettes de billetterie ont représenté 210 millions d’euros. Bien que minoritaire, la ressource en billetterie n’est donc pas négligeable. Les prix pratiqués dans le spectacle vivant labellisé sont relativement bas.
Depuis la sortie de la crise sanitaire, je me suis interrogé sur l’évolution des tarifs dans ce secteur. Pour y répondre, j’ai bénéficié du concours du département des études, de la prospective et des statistiques de votre ministère. Depuis 2019, la progression du tarif moyen des billets vendus est nettement inférieure à celle de l’inflation et à celle des salaires. Cette évolution tarifaire n’est pas uniforme selon la nature des établissements. Dans les neuf établissements nationaux du spectacle vivant, le tarif moyen a augmenté, tandis que dans les établissements labellisés, il a diminué.
À mon sens, les orientations tarifaires suivies ne sont pas pertinentes. Lorsque l’inflation est forte, que les contraintes budgétaires sont réelles et que les déficits sont réguliers, abaisser des prix déjà bas n’est pas la solution. D’autant plus que, dans le secteur culturel, le lien entre l’évolution des tarifs et celle de la fréquentation est faible. Cette faible élasticité-prix est rappelée par une revue de littérature économique réalisée à ma demande par l’École d’économie de Toulouse et jointe à mon rapport. Elle est confirmée par l’étude du ministère de la culture. Ainsi, les structures ayant connu la plus forte baisse de leurs tarifs moyens sont paradoxalement celles dont le nombre de billets vendus a le plus diminué.
Les orientations tarifaires observées dans le spectacle vivant public contrastent nettement avec celles du spectacle vivant privé et des principaux musées et établissements patrimoniaux, où les tarifs ont augmenté de manière significative. Si les salles de concert privées, le Musée du Louvre et soixante-dix sites du relevant du Centre des monuments nationaux ont augmenté leurs prix en 2024, pourquoi le spectacle vivant public ne pourrait-il pas faire de même pour générer de nouvelles ressources ? À mon sens, les ressources de billetterie du spectacle vivant public sont insuffisamment exploitées et mériteraient d’être développées, même si le produit complémentaire attendu reste limité.
Augmenter les prix de la billetterie ne résoudra pas à lui seul les difficultés financières du secteur, mais cela constitue une partie de la solution, en complément du développement d’autres ressources propres, telles que le mécénat ou, comme je l’ai proposé récemment, des badges publicitaires sur les échafaudages qui sont inévitables lors des travaux de rénovation, notamment dans les grands établissements.
Je formule donc plusieurs recommandations pour permettre une revalorisation des ressources de billetterie. Pour les établissements nationaux, je crois que beaucoup a déjà été accompli et que seuls quelques ajustements sont nécessaires pour diffuser de bonnes pratiques. En revanche, pour les établissements labellisés, un travail nettement plus important devrait être entrepris afin de réviser de manière significative la politique tarifaire. J’espère, madame la ministre, que vous vous saisirez de ces propositions pour compléter l’action résolue de votre ministère en soutien au spectacle vivant.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur le rapporteur, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, vous avez produit un rapport de grande qualité sur les ressources disponibles pour les établissements culturels afin de compenser l’inflation, en abordant deux situations analogues. La première concerne la tarification des écoles nationales de l’enseignement supérieur du ministère de la culture. La seconde porte sur la tarification, ou plus précisément, le niveau des billets d’entrée des structures du spectacle vivant public, qu’elles relèvent directement du ministère de la culture ou qu’elles soient subventionnées dans le cadre de la labellisation ou du conventionnement.
Ce travail a le mérite de rappeler que la subvention de fonctionnement n’est pas le seul mode de financement du spectacle vivant et de la formation aux métiers culturels. Les enjeux soulevés rejoignent la démarche que je souhaite mener pour refonder le modèle économique du spectacle vivant et conforter les écoles nationales d’art ou d’architecture. Ces enjeux sont de taille, car ils concernent à la fois la pérennité du service public de la culture et l’accessibilité de l’offre culturelle et de la formation aux métiers de la culture. Ce sont évidemment les deux objectifs que je vise, et que vous avez d’ailleurs rappelés.
S’agissant des 41 écoles nationales de l’enseignement supérieur de la culture, vos constats sont clairs. La part des droits d’inscription dans les budgets de fonctionnement de ces établissements est très faible, à hauteur de 3 %. Les droits d’inscription au sein des écoles nationales sont même inférieurs à ceux pratiqués par les écoles territoriales, dont les montants moyens en premier cycle s’élèvent à 567 euros. Non seulement le niveau des tarifs est faible, mais vos analyses montrent l’absence d’indexation sur l’inflation, malgré l’arrêté interministériel de 2019 qui le prévoyait. Depuis 2014, les tarifs des premiers cycles des écoles d’art ou d’architecture n’ont progressé que de 3 %, alors que l’inflation cumulée a été de 18 %. Vous soulignez également la complexité des trente et un tarifs différents, sans justification autre qu’historique.
Vous soulignez l’absence de modulation sociale des tarifs en fonction du foyer fiscal de l’étudiant, à l’exception des exonérations pour les étudiants boursiers. Cette situation pose question dans une perspective de démocratisation de l’accès à ces formations. Vous notez également l’absence de recours à des tarifs différenciés pour les étudiants extracommunautaires, contrairement aux pratiques des universités ou des écoles comme Sciences Po. Je rappelle que l’exonération des droits d’inscription pour les boursiers n’est pas compensée aux écoles nationales de l’enseignement supérieur de la culture, contrairement aux établissements relevant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Vous proposez d’indexer les tarifs sur l’inflation, de simplifier la grille tarifaire, de moduler les tarifs en fonction de la progression dans le cursus et de la situation financière des parents, ainsi que d’augmenter les tarifs pour les étudiants extracommunautaires. Enfin, vous suggérez que les écoles nationales recherchent davantage de ressources propres par le biais du mécénat, du développement de diplômes d’établissement incluant la formation continue, et du recours à l’apprentissage. Je tiens à rappeler qu’entre 2017 et 2022, les crédits des établissements nationaux de l’enseignement supérieur du ministère de la culture ont augmenté d’environ 25 %.
À la suite de votre rapport sur les écoles d’architecture de 2023, le ministère de la culture leur a alloué des moyens supplémentaires en 2024, avec plus de 4,8 millions d’euros de crédits de fonctionnement, en rééquilibrant les dotations, sans être remis en cause lors des annulations de crédits en février 2023. J’accorde une importance particulière à l’enseignement et à la formation, qui doivent bénéficier de financements adéquats. Vous avez raison, la dépendance excessive aux subventions comporte le risque de fragiliser les écoles nationales, surtout en période de contraintes budgétaires.
Une diversification accrue des ressources est essentielle pour garantir un réseau d’écoles fort et structuré. Je présenterai prochainement un plan d’action pour l’enseignement supérieur de la culture, articulé autour de cinq axes : l’équité territoriale, la professionnalisation, la qualité de vie des étudiants, l’internationalisation, ainsi que la gestion et le pilotage stratégique des établissements en lien avec les directions d’écoles. Ce plan d’action tiendra compte de vos propositions, y compris sur les tarifs, qui constituent une part importante de votre rapport. Mes services analyseront l’ensemble de vos propositions.
Monsieur le rapporteur spécial, vous consacrez la seconde partie de votre rapport à la part des recettes de billetterie dans le spectacle vivant. Je partage totalement votre diagnostic. La hausse générale des coûts crée une forte tension sur les lieux et les compagnies, déjà en situation de grande fragilité. La direction générale de la création artistique estime que 44 % des structures labellisées ont été déficitaires en 2023. J’ai abordé ce sujet lors de ma réunion avec les représentants du spectacle vivant. Nous devons travailler sur les raisons de ce déficit persistant. La situation n’est pas nouvelle. Les données permettant d’objectiver la situation du spectacle vivant font défaut, comme je l’ai mentionné dans mon propos liminaire. La Cour des comptes l’a également souligné en 2022 dans son rapport sur le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant.
Il existe une problématique de modèle économique du spectacle vivant, probablement due à une offre trop abondante, une diffusion insuffisante et un manque de mutualisation. L’État assume ses responsabilités, mais les collectivités territoriales et les professionnels doivent également prendre les leurs. Les réunions que j’ai annoncées permettront de clarifier ces enjeux. J’ai déjà entamé les consultations avec les syndicats du spectacle vivant et les organismes de gestion collective des droits. D’ici le mois prochain, lors du prochain conseil national des professions du spectacle qui se tiendra le 20 juin, nous identifierons les chantiers prioritaires à mener. J’impliquerai également les collectivités lors d’un conseil des territoires prévu le 25 juin. Ces échéances sont très proches.
Concernant les tarifs, ils n’ont quasiment pas augmenté malgré l’inflation. Plusieurs raisons expliquent cela. Tout d’abord, il n’est pas certain que la hausse des tarifs n’entraîne pas une baisse de la fréquentation. Cela dépend des esthétiques, des territoires et des publics. Une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie montre qu’en cas de forte inflation, les ménages les moins aisés sacrifient en premier lieu le poste des dépenses culturelles.
Je tiens également à souligner que le levier tarifaire n’est pas le seul moyen d’augmenter les ressources propres des structures culturelles. Depuis de nombreuses années, celles-ci sont encouragées à développer leurs ressources propres dans le cadre de leurs cahiers des charges. Il est nécessaire d’explorer d’autres pistes, telles que la location d’espaces, les clubs de mécènes d’entreprises ou encore les tournées. On peut signaler de nombreux efforts et une grande inventivité de la part des établissements et de leurs équipes.
Je souhaite également que des solutions soient trouvées collectivement pour soutenir les équipes artistiques, en s’inspirant du modèle des lieux nationaux et labellisés, en renforçant leur politique des publics et en consolidant les partenariats entre l’État et les collectivités. C’est tout le sens des réunions et des échéances que j’ai mentionnées.
M. Daniel Labaronne (Renaissance). Je tiens à saluer le travail de notre collègue Holroyd, qui met en lumière deux situations particulièrement intéressantes et qui suscitent notre réflexion : les droits d’inscription dans les écoles nationales de l’enseignement supérieur de la culture ainsi que les ressources de billetterie du spectacle vivant public.
Ma conviction profonde, de nature politique, est qu’il est impossible de pratiquer le tout gratuit sans risquer de remettre en cause le financement de notre modèle social, d’aggraver nos déficits publics et, par conséquent, notre dette publique. Cette approche, bien que louable et prenant en compte les difficultés économiques de nos concitoyens, ne peut pas reposer en permanence sur le contribuable pour pallier les insuffisances en matière de tarification ou de droits d’inscription. Les recommandations présentées sont, à mon avis, très intéressantes et modérées, avec des hypothèses qu’il nous faut étudier avec beaucoup d’attention.
Concernant la politique tarifaire pour les spectacles vivants, le rapport fourni indique que les travaux économétriques concluent à une faible corrélation entre l’évolution des tarifs et les variations de la fréquentation dans le secteur culturel. Je suis tout à fait favorable aux propositions formulées dans le cadre de cette expertise.
Mme Rachida Dati, ministre. Le sujet de la gratuité totale a déjà été débattu avec certains de vos collègues. En réalité, la gratuité totale n’existe pas, car quelqu’un doit bien supporter la charge financière, souvent dans le cadre de la solidarité nationale. En tant qu’élus locaux, nous savons comment répartir cette charge.
Concernant la baisse des tarifs dans le spectacle vivant, il n’y a pas eu de réelle diminution du prix des billets. La gratuité totale n’est pas une réalité, et l’accès peut parfois être difficile. La recette moyenne stagne, bien que certaines structures proposent plus de gratuité. Par exemple, j’ai demandé au musée du Louvre d’examiner cette question. Bien que ce ne soit pas du spectacle vivant, les tarifs des établissements culturels ont augmenté. Je me suis interrogé sur cette augmentation, craignant une sélection du public. Cependant, une politique de gratuité existe pour les étudiants, les personnes sans emploi et les familles. Par ailleurs, certains dimanches ou soirées peuvent être gratuits. La présidente du musée du Louvre doit me soumettre de nouvelles propositions concernant la gratuité ou des tarifs plus adaptés pour élargir le public. L’augmentation des tarifs a également permis d’améliorer les conditions de travail des agents. Le rapport contient des propositions intéressantes qui méritent réflexion. J’ai discuté de ces éléments avec les représentants du spectacle vivant, et il semble que nous soyons prêts à avancer sur cette question des tarifs. Je partage entièrement votre point de vue.
M. Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement national). Monsieur le président, je tiens à souligner l’excellent travail de notre collègue Holroyd. Ses recommandations sur le dégel sont très intéressantes et nous n’avons pas d’opposition de principe à la plupart d’entre elles. Concernant la gratuité, je partage votre avis. Le Rassemblement national n’a jamais promu la gratuité pour n’importe quel service public. Comme l’a mentionné notre collègue Labaronne, viser la gratuité n’est même pas un objectif louable, car rien n’est véritablement gratuit.
Il est toujours important de pouvoir participer symboliquement. Sur notre territoire, les associations qui s’occupent des plus démunis demandent toujours une participation, même symbolique, des personnes en difficulté. Cela permet de maintenir un lien symbolique et de rappeler que rien n’est gratuit. Contribuer est essentiel pour éviter de fausser les rapports entre nous et avec le service public et la nation. Cela n’empêche évidemment pas de mettre en place des bourses et divers services, comme l’a souligné notre collègue Holroyd.
Cependant, concernant la la proposition de créer une direction de la formation au sein du ministère de la culture, même si je n’ai pas d’opposition de principe, je m’interroge sur son utilité et sa nécessité. Ne risquons-nous pas de créer une fonction supplémentaire sans réelle valeur ajoutée ?
Concernant le prix des billets, je suis entièrement d’accord. J’ai la chance de pouvoir profiter de la culture publique. Récemment, je suis allé à la Comédie-Française. J’ai payé un prix que je trouve très bas par rapport à mes revenus. La véritable difficulté réside dans l’accès des classes moyennes. Comment intégrer les classes moyennes dans ce système ? C’est une question essentielle. Certes, il faut revoir les tarifs, mais sans exclure les classes moyennes, qui sont les grands absents de ces politiques.
Mme Rachida Dati, ministre. Monsieur le député, vos questions rejoignent les propos précédents ainsi que ceux du rapporteur. Vous avez raison, la gratuité n’existe pas. Permettez-moi de prendre un exemple. En tant qu’élue locale, j’ai souhaité, dès mon élection, que toutes les activités culturelles soient gratuites et accessibles au plus grand nombre. Ainsi, dans le VIIe arrondissement, je n’ai jamais imposé de frais pour les activités culturelles. Vous pourriez arguer que la sociologie y est différente, mais ce n’est pas nécessairement le cas. Les enfants de classes moyennes, notamment ceux de gardiennes et d’aides à domicile, sont particulièrement présents dans les centres de loisirs et les activités périscolaires.
Or, la gratuité des activités culturelles entraîne une forme de déresponsabilisation. En effet, les inscriptions sont nombreuses, mais les participants ne se présentent pas toujours et ne préviennent pas de leur absence. Cela prive d’autres personnes, qui auraient souhaité participer, de cette opportunité. Je constate donc un effet pervers de la gratuité, qui conduit à une déresponsabilisation. De plus, l’absence de coût réduit l’effort consenti pour participer. Comme l’ont souligné le rapporteur et votre collègue précédemment, il existe des tarifs adaptés et même des périodes de gratuité.
Cependant, je constate un manque d’efforts en faveur des classes moyennes. Avec d’un côté des tarifs très élevés et de l’autre une gratuité sous conditions, les classes moyennes se retrouvent souvent un peu exclues de l’accès à la culture. Nous devons nous concentrer sur ce point et je formulerai des propositions en ce sens. Cela ne concerne pas uniquement le spectacle vivant, mais également les musées et les équipements culturels en général.
La question des tarifs est au cœur de notre débat aujourd’hui et des propositions à élaborer. Si nous nous attachons à être constructifs, nous pourrons dégager des propositions claires et précises, permettant de satisfaire un plus grand nombre de personnes, toutes catégories sociales confondues.
M. Luc Geismar (Démocrate — MoDem et Indépendants). Madame la ministre, le financement des établissements nationaux de l’enseignement supérieur de la culture repose sur les contributions budgétaires et les droits d’inscription. Ces derniers, fixés par arrêté conjoint du ministère de la culture et du ministère des finances, varient entre 375 euros et 438 euros. Contrairement aux établissements relevant du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ces montants ne sont pas ajustés en fonction du niveau d’études. Selon le rapporteur, les droits d’inscription ont augmenté trois fois moins vite que l’inflation depuis 2014 et leur montant est gelé depuis 2019 afin de lutter contre la précarité étudiante.
Ma question, madame la ministre, est la suivante : pourrait-on envisager d’ajuster les droits d’inscription de ces établissements en fonction de l’inflation ou de l’avancement dans le cycle d’études, en s’inspirant des pratiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Mme Rachida Dati, ministre. Vous avez raison, nous avons un véritable sujet concernant les tarifs. Plusieurs pistes sont actuellement à l’étude. Je pense que la première sur laquelle nous devons nous concentrer est l’harmonisation. Je suis conscient de la sensibilité de ce sujet et je préfère que nous prenions le temps de la réflexion. En effet, si nous décidons d’augmenter les tarifs, il faudra l’expliquer en détail. De même, si nous décidons de les diminuer, il faudra également justifier cette décision. Aujourd’hui, il est essentiel d’harmoniser et de prendre le temps nécessaire pour formuler des propositions acceptées par tous, en particulier par ceux qui sont directement concernés.
Pour compléter mon propos précédent, notamment en réponse à votre collègue monsieur Tanguy et à vous-même, je tiens à souligner que toutes ces questions sont intrinsèquement liées à la formation et à l’enseignement. Au ministère de la culture, tout est actuellement dispersé. Par exemple, dans d’autres ministères, il existe une direction de la formation ou de l’enseignement. J’ai donc demandé au secrétaire général de mon ministère de créer une direction de la formation et de l’enseignement avant la fin de l’année. Actuellement, cette structure n’existe pas, ce qui explique pourquoi ces enjeux sont si éparpillés et pourquoi nous manquons d’harmonisation. Nous n’avons pas de politique lisible en la matière. Nous allons donc créer cette direction de la formation et de l’enseignement et harmoniser notre politique tarifaire.
M. Alexandre Holroyd, rapporteur spécial. Il est essentiel de garder à l’esprit qu’en période d’inflation, ne pas augmenter le coût d’un billet ou des études revient à les baisser en termes réels. Cela signifie qu’ils coûtent de moins en moins cher chaque année. Lorsque l’inflation atteint 18 ou 19 % et que les prix stagnent, la réalité est une baisse considérable, alors que tous les coûts fixes des établissements, qu’ils soient scolaires ou théâtraux, augmentent de manière significative. Par conséquent, tout le monde se tourne vers l’État, affirmant que la seule variable est la dotation publique de l’État. Il est impératif de prendre cela en compte.
Je rejoins largement ce qui a été dit, il est nécessaire de progresser dans ce domaine tout en protégeant les plus fragiles. Madame la ministre, vous avez évoqué la question de la compensation des bourses, que je n’avais pas abordée auparavant. Il me semble essentiel que le Gouvernement agisse dans cette direction. J’avais proposé un amendement au dernier budget pour cela. Les établissements d’enseignement supérieur ne doivent pas être découragés de prendre des boursiers. Il est impératif qu’ils soient encouragés et qu’il y ait une compensation des exonérations de frais d’inscription des boursiers.
Certains étudiants disposent des moyens nécessaires pour contribuer davantage à leur enseignement. À ce sujet, je souhaite partager une anecdote et quelques chiffres. J’ai visité un établissement supérieur de la culture très renommé, où l’accès nécessite une préparation spécifique. La classe préparatoire qui fournit le plus d’élèves à cet établissement facture dix-sept fois le coût de l’année d’enseignement dans cette école. Ainsi, quand on voit que des élèves sont capables de payer dix-sept fois les frais de scolarité l’année précédant leur entrée, cela suggère l’existence de marges financières importantes en matière de fixation des droits d’inscription.
Je tiens également à insister sur l’importance de progresser sur la question des publicités sur les monuments historiques, car cela représente des centaines de millions d’euros. À Paris, par exemple, les travaux nécessaires sur des sites comme le Palais de Tokyo, Beaubourg, l’opéra Bastille, ou encore l’École militaire, pourraient être financés par des publicités sur les échafaudages. Il est essentiel de comprendre que ces sommes sont considérables. Rien n’est gratuit : soit le contribuable paie, soit le bâtiment n’est pas rénové. Il est donc impératif de permettre à des tiers volontaires de financer ces rénovations. Il me semble absolument essentiel de progresser sur ce sujet.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Alexandre Holroyd.
Puis la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à la discussion sur la thématique d’évaluation relative au crédit d’impôt en faveur des entreprises de jeux vidéo (M. Denis Masseglia, rapporteur spécial).
M. Denis Masséglia, rapporteur spécial. Madame la ministre, nous abordons aujourd’hui la première industrie culturelle française, celle du jeu vidéo. Je tiens à prendre le temps nécessaire pour exposer les résultats de plusieurs mois de travail et de nombreuses auditions concernant le crédit d’impôt applicable aux entreprises de ce secteur en France. Ce travail avait pour objectif d’évaluer de manière objective l’efficacité et la pertinence de ce dispositif fiscal, en vue d’une éventuelle prolongation au-delà de 2026 et de son adaptation aux nouvelles réalités économiques et industrielles du secteur. Cette initiative fait suite à l’adoption de la loi de finances pour 2024, qui a décidé le bornage temporel du crédit d’impôt jeu vidéo (CIJV) en 2026.
L’industrie du jeu vidéo en France est une source d’innovation et de créativité culturelle exceptionnelle. Avec plus de 600 studios, 1 257 jeux en cours de production, un chiffre d’affaires de près de 6,1 milliards d’euros en 2023 et environ 35 400 emplois, notre pays se positionne comme un acteur majeur sur la scène internationale. Les dispositifs fiscaux, la qualité des formations et de l’accueil de vie sont des facteurs d’attractivité reconnus par les professionnels du secteur. La France est devenue en une quinzaine d’années une terre de jeux vidéo reconnue mondialement pour la qualité de ses productions. Des jeux tels qu’Assassin’s Creed d’Ubisoft, Dishonored d’Arkane Studios, Tour de France de Nacon, Flight Simulator d’Asobo Studio, The Last Spell d’Ishtar Games ou encore Northgard de Shiro Games, sont développés et réalisés en France, contribuant ainsi au rayonnement culturel de notre pays.
Le crédit d’impôt jeu vidéo, créé en 2007 et renforcé en 2017, constitue le principal soutien public à la création et au développement des jeux vidéo en France. Ce dispositif permet aux entreprises de réduire leurs impôts à hauteur de 30 % des dépenses éligibles, dans la limite de 6 millions d’euros par exercice et par entreprise. Pour être éligible, un jeu doit obtenir un agrément culturel attribué par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et être réalisé principalement par des collaborateurs français ou européens.
Depuis sa réforme, le crédit d’impôt a permis de multiplier les budgets de production et le nombre de jeux soutenus, passant d’une dépense fiscale de 13 millions d’euros en 2016 à 66 millions d’euros en 2023, et de 39 jeux soutenus en 2016 à 144 jeux en 2023. Cette dynamique démontre clairement l’impact positif du dispositif sur l’industrie française, renforçant ainsi la compétitivité de nos studios. La tendance est à l’augmentation de la taille moyenne des projets agréés et au développement de grands projets en France, particulièrement depuis 2017. Près de 90 % des projets agréés pour un budget de plus de 50 millions d’euros l’ont été à partir de 2017, et 100 % des projets agréés pour un budget de plus de 90 millions d’euros l’ont été à partir de cette même année.
Il est également important de souligner que ce soutien ne se limite pas à l’Île-de-France. Des pôles régionaux dynamiques ont émergé, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes, dans les Hauts-de-France, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, chacun contribuant de manière significative à l’économie locale et nationale.
Bien que la mesure de l’impact structurel du crédit d’impôt jeux vidéo depuis sa mise en place soit complexe, elle peut être objectivée à travers un faisceau d’indices. Cette analyse repose sur une conjonction de facteurs dont le CIJV n’est pas l’unique cause, mais ce crédit peut expliquer en partie le développement des studios et de l’emploi, l’émergence de studios de taille intermédiaire, le développement en France de grands projets internationaux et la reconnaissance du savoir-faire français à l’international.
Plusieurs études viennent conforter cette analyse. L’étude Pipame, publiée en 2021 et conduite par la direction générale des entreprises (DGE), le CNC et les acteurs du secteur, souligne que le poids de l’industrie a été multiplié par deux et demi en dix ans, avec un taux de croissance annuel moyen de 9 %. Le nombre d’entreprises est également passé de 224 en 2008 à 550 en 2018. Une autre étude commandée par le CNC et publiée en 2023 estime qu’entre 2012 et 2021, plus de 5 600 équivalents de temps plein ont été créés dans le secteur, portant le total à 10 068 ETP en 2021.
En 2023, une étude commandée par le Syndicat national du jeu vidéo (SNJV) et le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) révèle que la réforme de 2017 a permis de créer ou de sauvegarder environ 2 500 emplois en France. Ces emplois représentent 32 % des effectifs du secteur en 2020, marquant une hausse de 260 % depuis 2016, comparativement à une augmentation moyenne de 67 % dans les autres pays européens. L’étude évalue le coût par emploi créé ou sauvegardé grâce à la réforme du CIJV de 2017 à moins de 20 000 euros par an, un niveau très favorable par rapport à d’autres dispositifs fiscaux.
Le secteur du jeu vidéo est fortement exposé à la concurrence internationale, avec des pays comme le Canada, le Royaume-Uni et l’Allemagne qui mettent en place des dispositifs de soutien extrêmement attractifs pour attirer les investisseurs. Par exemple, le Québec propose un crédit d’impôt de 37,5 % des dépenses de main-d’œuvre pour les titres multimédias, sans plafond, créant ainsi une incitation majeure pour les grandes productions. De même, le Royaume-Uni a récemment introduit un crédit d’impôt de 34 % des dépenses éligibles, tandis que l’Allemagne, depuis 2020, subventionne entre 25 % et 50 % des dépenses de prototypage ou de production à travers un fonds fédéral. Le crédit d’impôt jeu vidéo permet ainsi à nos entreprises de rivaliser sur la scène internationale sans être pénalisées par des conditions fiscales et sociales moins favorables.
Au regard de cette forte concurrence internationale et des effets positifs du dispositif fiscal pour l’économie et la création françaises, il est indispensable de prolonger le crédit d’impôt au-delà de 2026. Une extension jusqu’en 2031 offrirait une visibilité et une sécurité financière aux studios de jeux vidéo, essentiels pour cette industrie au cycle de production long et aux besoins en capital importants. Cette prolongation doit être accompagnée d’adaptations dans la mesure où le secteur du jeu vidéo évolue au rythme des innovations technologiques, qui touchent directement les processus créatifs ainsi que les modèles de commercialisation des jeux.
Dans ce contexte, mes recommandations sont claires et précises. Tout d’abord, il est nécessaire de créer un guichet unique pour le crédit d’impôt au sein de l’administration fiscale afin de simplifier et d’accélérer les versements aux studios, en regroupant les services fiscaux compétents sous une seule entité nationale.
Ensuite, il convient d’allonger la durée d’éligibilité de trois à cinq ans pour l’adapter à l’augmentation des durées de développement des jeux, ou de permettre une demande d’agrément complémentaire de deux ans auprès du CNC. La mesure permettrait d’adapter le crédit d’impôt à la tendance du marché où la production d’un jeu peut durer plus de trente-six mois et se poursuivre bien après la date de commercialisation initiale.
Il s’agit également d’élever le plafond du crédit d’impôt de 6 à 10 millions d’euros par exercice. Cette initiative vise à renforcer l’attractivité du territoire avec un plafond calibré sur les budgets des plus grandes productions internationales et à encourager le passage à l’échelle supérieure de studios proches du plafond actuel par entité juridique.
De plus, inclure les dépenses de prototypage dans l’assiette du crédit d’impôt est essentiel. Ces coûts sont cruciaux pour le développement du jeu et aident les entreprises à présenter un dossier solide respectant les critères culturels du CNC. Cela offrirait aux studios plus de flexibilité et de temps pour déposer des projets aboutis.
Nous devons poursuivre et intensifier notre soutien à l’industrie du jeu vidéo pour maintenir notre compétitivité et favoriser notre rayonnement culturel. Il est de notre devoir de garantir un environnement propice à la création et au développement des talents en France. Cette industrie, certes florissante, mérite notre attention et notre accompagnement, surtout en cette période post-covid qui entraîne une diminution des effectifs à l’international. La participation croissante d’investisseurs situés hors de l’Union européenne, en particulier des investisseurs chinois, dans le capital de nos fleurons français, et les conséquences de ces prises de participation parfois majoritaires pour la liberté de création artistique ainsi que pour la protection des droits d’auteur et des technologies développées, doivent nous interroger. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté culturelle, artistique et sociale fort que la France et l’Union européenne doivent saisir.
Mme Rachida Dati, ministre. Ce dispositif, lancé en 2007, constitue la colonne vertébrale de la politique publique de soutien à cette filière, à la fois numérique et très culturelle. Des soutiens publics complémentaires existent, pilotés par le CNC, mais ils demeurent d’un montant très limité en l’absence de taxes affectées au profit du secteur qui permettraient de les financer. C’est donc bien le crédit d’impôt qui joue le rôle le plus déterminant dans la capacité de cette filière à créer, innover, et se structurer. J’irai même jusqu’à dire que ce crédit d’impôt détermine l’existence même de cette filière. Le jeu vidéo, la plus jeune de nos industries culturelles et créatives, présente encore un potentiel de développement considérable.
Cependant, malgré le dynamisme du marché et la progression très forte de ces pratiques, l’industrie française du jeu vidéo demeure vulnérable pour deux raisons. Premièrement, elle fait face à une concurrence internationale de nombreux pays ayant développé une politique d’attractivité très agressive, comme le Canada depuis les années 1990, Singapour, le Royaume-Uni et, plus récemment, l’Arabie Saoudite. Deuxièmement, l’industrie du jeu vidéo est exposée aux fluctuations d’un marché mondial marqué par des cycles et des soubresauts. Cela a été le cas au tournant des années 2000 avec l’explosion de la bulle internet, et c’est le cas actuellement alors que l’industrie mondiale subit le contrecoup de l’euphorie spéculative post-covid. En réponse à cette vulnérabilité, le crédit d’impôt pour le jeu vidéo a été mis en place en 2007.
À cette époque, deux emplois sur trois avaient été détruits, les talents étaient pour la plupart expatriés, et les faillites étaient nombreuses. La filière était bel et bien menacée de disparition. Quinze ans plus tard, les résultats produits par ce dispositif sont sans appel. Le travail des 200 studios bénéficiaires du dispositif depuis sa création a permis à la filière non seulement d’enrayer son déclin, mais surtout de renouer rapidement avec une dynamique de croissance. En dix ans, le poids de l’industrie a été multiplié par deux et demi, atteignant un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros. Le développement et la structuration de cette filière révèlent désormais son plein potentiel.
En termes d’emploi, nous sommes passés de 3 500 en 2010 à 14 000 aujourd’hui. Ces emplois sont permanents, hautement qualifiés et surtout très intégrateurs pour la jeunesse. En termes de répartition territoriale, le secteur du jeu vidéo se développe sur l’ensemble du territoire français. La moitié des emplois et des entreprises se situent en dehors de l’Île-de-France, notamment à Lyon, Bordeaux, Montpellier et Lille.
Concernant la formation, la France possède d’excellentes écoles spécialisées dans la création numérique. Jusqu’à récemment, la majorité des jeunes diplômés s’expatriaient l’année suivant l’obtention de leur diplôme.
En matière d’innovation, les entreprises de jeux vidéo sont également des acteurs majeurs de l’innovation numérique, particulièrement dans le domaine de l’intelligence artificielle.
En termes de création, il est indéniable que le jeu vidéo possède une dimension artistique très forte, avec un imaginaire qui nourrit des millions de joueurs.
Lors du lancement du crédit d’impôt pour le jeu vidéo, la Commission européenne l’a autorisé sous l’angle de la dérogation culturelle. Nous parlons donc bien de politiques culturelles. Cela est essentiel car la France compte 39 millions de joueurs. Parmi les moins de vingt-cinq ans, neuf jeunes sur dix jouent aux jeux vidéo. C’est une pratique massive, la première pratique culturelle chez les jeunes en France, mais aussi dans le monde. Le jeu vidéo représente finalement un laboratoire très créatif.
Le crédit d’impôt pour le jeu vidéo représente bien plus qu’un simple avantage fiscal. Il soutient des emplois, favorise l’innovation et dynamise l’industrie. Grâce à ce dispositif, des œuvres majeures telles que Soldats inconnus, Life is Strange, Become Human et Assassin’s Creed Mirage ont pu voir le jour. Ce dernier, actuellement exposé à l’Institut du monde arabe, offre une reconstitution fidèle de la ville de Bagdad au IXe siècle. Sans ce crédit d’impôt, ce jeu n’aurait jamais pu être entièrement développé en France, notamment à Bordeaux, dans les studios d’Ubisoft. Récemment, le jeu indépendant Chants of Sennaar a été multirécompensé lors des Pégases, une cérémonie à laquelle j’ai assisté. Tous les lauréats de cette édition ont bénéficié du soutien du crédit d’impôt pour le jeu vidéo.
Mon ministère s’engage fortement aux côtés des acteurs de cette industrie. Autour de ce crédit d’impôt gravitent des dispositifs complémentaires développés par le CNC, tels que des aides sélectives à la création pour les auteurs et les jeunes studios, des programmes de formation pour les chefs d’entreprise, et une nouvelle aide à l’innovation technologique, récemment lancée sous la marque Game France. Cette marque incarne l’ambition des pouvoirs publics, à l’image de la French Tech, en fédérant tous les acteurs de l’écosystème et en valorisant les talents, les œuvres et les savoir-faire de la filière française à l’international.
Le crédit d’impôt pour le jeu vidéo est donc un instrument essentiel pour permettre à la France de se positionner sur la carte mondiale du jeu vidéo et de devenir un centre de création incontournable.
M. Mohamed Laqhila, président. Monsieur le rapporteur, parmi les recommandations que vous proposez figure la création d’un guichet unique au sein de l’administration fiscale pour accélérer les versements, ainsi que la prolongation du crédit d’impôt jeu vidéo jusqu’en 2031 et l’augmentation de son plafond. Ce dispositif représente tout de même un coût de 66 millions d’euros en 2023.
J’aimerais connaître les mesures concrètes que vous envisagez pour réduire les délais de versement du crédit d’impôt en faveur des entreprises de jeux vidéo, afin de renforcer l’attractivité du territoire français pour les studios de développement. Par ailleurs, compte tenu de l’évolution rapide de l’industrie du jeu vidéo et des recommandations du rapport pour prolonger et adapter le crédit d’impôt, quels sont vos plans pour garantir que la France reste un leader mondial dans ce secteur hautement compétitif ?
Mme Rachida Dati, ministre. Sur les délais de versement du crédit d’impôt, je laisserai la réponse à Bercy, puisque cela relève de la compétence de l’administration fiscale.
Vous avez mentionné un sujet important : celui de la réforme récente du barème culturel de ce crédit d’impôt, entrée en vigueur en novembre 2022, qui visait à moderniser les critères d’attribution. Les acteurs soulignent la pertinence de cette réforme, ce qui est compréhensible, car elle constitue un véritable levier de développement. Je m’en réjouis, mais nous faisons plus globalement face à un problème d’accès aux capitaux. Lors de la cérémonie des Pégases, les acteurs ont exprimé leurs préoccupations concernant l’accès aux capitaux européens, voire internationaux, et l’autonomie stratégique. Le crédit d’impôt ne répond pas à cet enjeu.
Je propose d’inviter tous les acteurs de la filière à engager une vaste concertation avec les pouvoirs publics pour réexaminer le système de financement du jeu vidéo, afin qu’il ne se limite pas uniquement au crédit d’impôt. Ce dernier a été un formidable levier de promotion, de lancement et de pérennisation de ce secteur, mais il est temps de dépasser cette seule source de financement.
M. Daniel Labaronne (Renaissance). Dans votre rapport, vous mentionnez la loi de finances pour 2023 qui a procédé au bornage temporel du CIJV. J’étais probablement à l’origine de cette limitation, avec l’idée qu’une évaluation préalable de l’impact de ce crédit d’impôt par rapport à ses objectifs initiaux était nécessaire. À l’époque, nous ne disposions pas d’études permettant de tirer des conclusions définitives sur l’effet levier de ce crédit d’impôt.
Cher collègue, vous faites référence à plusieurs rapports, mais je rencontre des difficultés car vous citez l’étude Pipame publiée en 2021. Or, dans ses recommandations de politique publique, il n’est à aucun moment question de crédit d’impôt. Vous mentionnez que l’étude aurait montré une augmentation du chiffre d’affaires de l’industrie de 2,4 milliards en 2010 à 3,9 milliards d’euros en 2018. Ces chiffres me semblent incohérents.
Ma recommandation serait de ne pas tout miser sur l’effet du crédit d’impôt, mais également de s’interroger sur l’évaluation des besoins en compétences, le développement des synergies avec les filières connexes, et le positionnement de la France dans les organes européens pouvant promouvoir le secteur à l’échelle internationale. Concentrer tous nos efforts sur le crédit d’impôt sans une évaluation de la Cour des comptes ou d’un autre organisme me paraît préjudiciable, notamment en ce qui concerne nos recettes publiques. J’invite donc à la plus grande prudence en la matière.
Mme Rachida Dati, ministre. Je pense que, de toute façon, le bornage temporel doit se concevoir dans une perspective à long terme. Actuellement, il répond à des besoins légitimes. Le rapporteur spécial a d’ailleurs détaillé ce point de manière exhaustive. Ce dispositif fait également l’objet d’un suivi et d’une évaluation rigoureuse, puisque mon ministère y accorde une attention particulière et publie chaque année un rapport d’évaluation complet. C’est pourquoi, à ce stade, il n’est pas envisageable de le remettre en question.
Je suis convaincue que la confiance, au-delà de la stabilité de notre modèle, repose aussi sur notre capacité à ne pas remettre en cause ce type de dispositif à chaque nouveau projet de loi de finances. Le rapport d’évaluation que le CNC publie chaque année montre d’ailleurs que cela va bien au-delà du seul crédit d’impôt jeux vidéo.
M. Luc Geismar (Démocrate — MoDem et Indépendants). Je tiens à remercier monsieur le président Laqhila pour son excellente présidence. J’apprécie également la qualité du rapport du rapporteur spécial Masséglia, dont je sais qu’il est très investi sur toutes ces questions. Je n’ai pas de questions spécifiques, mais je souhaite exprimer mon enthousiasme quant à l’engagement de madame la ministre pour les jeux vidéo. J’ai constaté à quel point vous vous investissez sur ces sujets. Je suis heureux que cela positionne la France comme un acteur compétitif, majeur et innovant face à la concurrence internationale. C’est particulièrement important car cela concerne un large public.
M. Denis Masséglia, rapporteur spécial. Je souhaite conclure en répondant à une question essentielle : voulons-nous des entreprises de jeux vidéo en France ? Il n’existe pas d’alternative. Soit nous maintenons le crédit d’impôt, soit nous n’avons plus d’entreprises de jeux vidéo. Le jeu vidéo possède cette dualité unique, c’est à la fois un objet numérique, industriel et culturel. Développer un jeu vidéo en France, au Québec ou à Taïwan ne pose aucun problème en soi. Ce qui importe réellement, c’est le coût de production. Lorsque le Canada a instauré son dispositif, la majorité des salariés français ont migré vers le Canada. En revanche, lorsque la France a réintroduit son propre dispositif, les entreprises ont recommencé à se développer sur le territoire national.
Selon l’étude réalisée par le SNJV et le SELL en 2023, il est clair que l’on peut observer les évolutions des effectifs en prenant comme point de départ l’année 2016. Cette étude compare la France, qui a mis en place une évolution du crédit d’impôt pour le jeu vidéo, avec d’autres pays européens comme l’Espagne, qui n’ont pas adopté de dispositif similaire. En France, en quelques années, les effectifs ont augmenté de 260 %, tandis que dans les pays sans dispositif, l’augmentation n’a été que de 67 %. L’étude souligne qu’il est complexe d’obtenir des données extrêmement précises, mais un ensemble d’indices spécifiques démontre l’efficacité du dispositif. Je le répète, si demain nous supprimons le crédit d’impôt pour le jeu vidéo, nous n’aurons plus d’industrie du jeu vidéo en France. La question se résume à cela.
Concernant le coût, il est légitime de s’interroger et de vérifier l’utilisation des fonds publics. Aujourd’hui, il est évident que les bénéfices générés par l’industrie du jeu vidéo en France surpassent les coûts supportés par les contribuables.
Permettez-moi de conclure en abordant la question de la taxe affectée. Je vais être bref. La taxe affectée est envisageable, mais elle doit s’inscrire dans une vision globale. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, il est essentiel de réfléchir à la manière dont nous finançons le secteur du jeu vidéo. Imposer une taxe pour le simple fait de taxer ne résout aucun problème.
Monsieur Labaronne, je vous invite, si vous en êtes d’accord, à visiter prochainement une structure remarquable nommée Solary qui se trouve dans votre circonscription. Il s’agit de l’une des plus belles structures françaises dédiées à l’e-sport. Vous pourrez ainsi constater comment le jeu vidéo s’intègre au sein de notre société.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de M. Denis Masséglia.
Enfin la commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, en vient à la discussion sur la thématique d’évaluation relative au programme incitatif de transformation de l’audiovisuel public (Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale)
Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale. Je présente aujourd’hui les résultats de plusieurs mois de travail sur le programme incitatif de transformation de l’audiovisuel public en France. Ce programme, issu de la loi de finances pour 2024, a été évalué à travers une dizaine d’auditions afin de mesurer son efficacité et sa pertinence dans un contexte de mutation profonde de notre audiovisuel public. Ce programme, doté initialement de 200 millions d’euros sur trois ans, vise à accompagner les sociétés de l’audiovisuel public français dans leur transition vers un modèle plus coopératif, numérique et en phase avec les attentes des citoyens. Bien que cette somme représente une part réduite du financement global de l’audiovisuel public, ces crédits conditionnés ont été conçus comme une démarche innovante pour accélérer les projets de transformation des entités concernées.
Le programme s’articule autour de trois priorités : information, proximité et numérique. Les projets financés doivent renforcer la dynamique de transformation du secteur public de l’audiovisuel en suivant ces axes stratégiques.
Premièrement, en matière d’information, il s’agit de conforter le statut de l’audiovisuel public comme référence en termes de qualité, de fiabilité et d’impartialité. L’audiovisuel public doit rester la principale source d’information pour nos concitoyens, tout en affrontant les défis contemporains tels que la lutte contre les manipulations de l’information et la désinformation.
Deuxièmement, la proximité vise à renforcer l’offre audiovisuelle locale pour que le service public soit au plus proche des Français sur tout le territoire. Par exemple, les initiatives de rapprochement entre les réseaux de France 3 et de France Bleu sont essentielles. Le déploiement de matinales communes doit se poursuivre à un rythme soutenu. De plus, l’offre numérique partagée de France 3 et de France Bleu, lancée en avril 2022 sous une nouvelle marque, doit également monter en puissance, améliorant ainsi l’accessibilité de l’information de proximité.
Nous devons déployer une stratégie numérique forte pour toucher un maximum de personnes, en particulier les plus jeunes, face à l’évolution rapide des usages et des technologies. Il est impératif que notre service public audiovisuel devienne une référence en matière de diffusion de contenu sur tous les supports numériques. L’élaboration de la nouvelle génération de contrats d’objectifs et de moyens (COM) pour la période 2024-2028, entre l’État et les sociétés de l’audiovisuel public, devait être l’occasion de formaliser ces priorités et les projets associés à ce programme de transformation. Cependant, ces dernières semaines ont vu une accélération des événements, et vous y avez contribué, madame la ministre. Cette dynamique est positive car elle nous permet de progresser.
La réforme ambitieuse et nécessaire de la gouvernance de notre audiovisuel public, que vous soutenez et portez, inclut la création d’une nouvelle holding, France Médias. Cette entité sera chargée de définir les orientations stratégiques de France Télévisions, Radio France, l’INA, et potentiellement France Médias Monde, bien que cette question reste ouverte. France Médias représente une première étape avant une éventuelle fusion, tout en veillant à la cohérence et à la complémentarité des offres entre les différentes sociétés. L’objectif de cette réforme, que vous poursuivez avec détermination, madame la ministre, est d’accélérer le programme de transformation par une gouvernance renforcée et unifiée. Les objectifs restent inchangés : information, proximité et numérique.
Les crédits de ce programme budgétaire, dit programme de transformation, restent pleinement pertinents à mon sens. Ils doivent être préservés, mais dans un cadre redéfini. Nous devons réfléchir ensemble, pour ainsi dire, à « la transformation du programme de transformation ». Dans le cadre de cette réflexion globale, je souhaite formuler quelques recommandations pour articuler plus efficacement la réforme de la gouvernance que vous portez avec le programme de transformation.
Premièrement, stabiliser le financement de l’audiovisuel public en préservant les crédits alloués est essentiel pour mettre en œuvre tous les plans de transformation sans entraîner de nouvelles économies pour les sociétés concernées. À cet égard, il est souhaitable que l’annulation de 20 millions d’euros de crédit qui résulte du décret de février 2024 ne soit pas reproduite, au risque de compromettre l’intensité des transformations. Il est crucial de maintenir la trajectoire financière pluriannuelle votée par le Parlement pour la période 2024-2028.
Deuxièmement, il est nécessaire de formaliser rapidement les stratégies retenues par les entreprises dans les nouveaux COM, qui seront remplacés, le moment venu, par le COM de France Médias. Les stratégies et la nature des projets de transformation qui découleront des COM et du futur grand COM pour France Médias sont peu susceptibles d’évoluer substantiellement, même avec un rapprochement des gouvernances sous le forme d’une holding puis d’une fusion des sociétés.
Troisièmement, il faut trouver une articulation financière entre le programme de transformation et la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel public. Il s’agit de déterminer comment intégrer les crédits de transformation dans le financement global de la nouvelle entité France Médias. Faut-il les flécher, les affecter, ou les intégrer à la dotation globale de la culture holding ? Il est impératif de trouver rapidement la méthode retenue pour une articulation efficace.
Enfin, il est nécessaire de modifier la loi organique relative aux lois de finances avant le 31 décembre 2024. Il est essentiel de trouver un financement pérenne, qui permette de garantir l’indépendance de l’audiovisuel public. Nous allons bientôt à l’Assemblée nationale, d’abord à travers la commission spéciale que j’ai l’honneur de présider, puis en séance publique, examiner la modification de la LOLF proposée par nos collègues Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier. Nous espérons vivement pouvoir aller rapidement jusqu’au bout, car il nous semble important d’éviter le risque réputationnel qui, de mon point de vue, serait susceptible d’entacher l’audiovisuel public si nous devions nous retrouver dans une situation de budgétisation pure et simple de la dotation à l’audiovisuel public.
L’audiovisuel public joue un rôle central dans notre démocratie en offrant une information de qualité, en promouvant la culture, la création audiovisuelle et cinématographique, et en reflétant la diversité de notre société sous tous ses aspects.
Le programme de transformation, tel qu’il avait été conçu, incitatif et avec des crédits conditionnés, représente une opportunité majeure pour poursuivre la modernisation de ce secteur, son adaptation et sa riposte aux défis de demain, notamment la désinformation et la concurrence forte des plateformes. Il nous faut « transformer ce programme de transformation » et, pour cela, j’écouterai avec beaucoup d’intérêt et d’attention vos réponses, madame la ministre. Je compte sur votre plein engagement pour un audiovisuel public fort et conforté, et nous aurons l’occasion d’y travailler de manière précise au sein de l’Assemblée nationale.
Mme Rachida Dati, ministre. Les crédits du programme de transformation, d’une enveloppe initiale de 200 millions d’euros répartie sur les années 2024 à 2026, représentent une démarche novatrice. Vous avez bien souligné que les 69 millions d’euros prévus pour 2024 ont subi une diminution de 20 millions d’euros lors des annulations de février dernier. Toutefois, sur un budget de l’audiovisuel public de plus de 4 milliards, ces annulations restent limitées. Elles illustrent la contribution de l’ensemble des secteurs publics à l’effort de maîtrise des dépenses publiques.
Je partage votre avis sur la nécessité de sanctuariser un mode de financement du secteur garantissant à la fois visibilité et indépendance. À ce titre, je vous informe que le Gouvernement soutiendra totalement la proposition de loi organique déposée par les députés Quentin Bataillon et Jean-Jacques Gaultier, sur laquelle vous serez amenés à statuer. La question des moyens financiers nécessaires au renforcement du secteur est indissociable de celle de sa gouvernance. Les débats que nous avons eus ensemble ont porté sur ce point. Sanctuariser le financement permet de garantir l’indépendance du secteur et de le préserver des régulations budgétaires infra-annuelles.
L’option du prélèvement sur recettes retenue répond pleinement à cet objectif. Elle place l’audiovisuel public au même rang que les collectivités locales et l’Union européenne, qui bénéficient également de prélèvements sur recettes. Ce dispositif me semble plus protecteur que l’affectation d’une part de la TVA.
Par ailleurs, la réforme que je porte actuellement vise à unifier la gouvernance du secteur par la création d’une holding puis d’une entreprise commune. L’objectif est de faciliter les coopérations nécessaires sur les investissements prioritaires pour que l’audiovisuel public puisse continuer de jouer pleinement son rôle dans le paysage audiovisuel et médiatique actuel. Cette réforme s’inscrit dans le prolongement des nombreux travaux parlementaires, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
Dès 2015, le rapport des sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux appelait à favoriser une unité de décision stratégique pour mettre fin à la dispersion des tutelles et déployer des actions communes, notamment dans le numérique. Ils ont également souligné la nécessité de favoriser la convergence au niveau territorial, à un moment où les coopérations étaient limitées et les préventions très fortes. Dans leur rapport publié en juin 2024, les sénateurs Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet estimaient qu’une société unique devait permettre cette unité de pilotage, une réduction des niveaux hiérarchiques et donc une plus grande agilité pour répondre aux défis à venir. Je tiens également à souligner le travail approfondi de Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon en juin 2023.
Dans le prolongement de ces travaux, et grâce à la proposition de loi de Laurent Lafon votée en juin dernier au Sénat, je souhaite que nous puissions ensemble construire un audiovisuel public plus visible grâce à une stratégie renouvelée et coordonnée, avec trois priorités : l’information, la proximité et le numérique. Ces priorités sont également celles visées par les crédits du programme incitatif de transformation. Ce programme a été mis en œuvre dans un contexte antérieur à la réforme que nous portons aujourd’hui. L’objectif était d’accélérer les projets de transformation et de coopération, par le bas, des sociétés de l’audiovisuel public. Avec cette réforme, les transformations seront mises en œuvre dans un cadre différent. J’ai eu l’occasion de le mentionner, les coopérations par le bas ont jusqu’à présent été lentes et difficiles. Malgré quelques avancées, les résultats demeurent en deçà des objectifs fixés.
Par exemple, le projet France Info, lancé en 2016, visait l’intégration de la télévision, de la radio et du web. Cependant, les coopérations se limitent aujourd’hui à quelques émissions communes, les rédactions restant séparées. Le site internet sous la marque commune, dont vous avez parlé, n’existe toujours pas, bien qu’il ait été prévu pour 2021. De même, la marque unique annoncée par la ministre de la culture en 2021 n’est toujours pas mise en place. Enfin, les quarante-quatre matinales communes France 3 et France Bleu, prévues pour fin 2022, accusent déjà plus de dix-huit mois de retard. Les objectifs et priorités demeurent inchangés, et je partage pleinement avec vous l’idée que les crédits du programme de transformation financent des priorités toujours pertinentes.
Il est également nécessaire de retrouver une nouvelle articulation entre le programme de transformation et la réforme que nous portons. Concrètement, dans un objectif de simplification, que vous avez souhaité, je propose qu’à partir de 2025, ces crédits soient intégralement consolidés sur les financements alloués à chaque entreprise lors de la phase de holding, puis consolidés au niveau de France Médias en 2026. Le Parlement sera bien entendu associé au suivi de l’utilisation de ces crédits ainsi qu’à la mise en œuvre de la réforme, tant lors des débats budgétaires que dans le suivi de l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens. Il est indispensable de préparer cette échéance, y compris en allouant les moyens financiers nécessaires. Ces crédits doivent être intégralement préservés, et leur emploi pourra être élargi pour répondre efficacement aux besoins de la réforme.
M. Philippe Lottiaux (Rassemblement national). Nous avons une divergence de fond sur ce sujet. Nous sommes très dubitatifs quant au maintien d’un service public généraliste audiovisuel. Bien que certaines chaînes thématiques méritent d’être conservées, nous restons très réservés sur l’idée d’un service public généraliste de l’audiovisuel.
Mme Rachida Dati, ministre. La divergence de fond que vous avez évoquée concerne la centralisation du financement et le maintien du caractère public de l’audiovisuel. Nous en avions discuté avec vos collègues lors du débat en commission des affaires culturelles, et certains étaient favorables à la fusion et à la création d’une société unique.
M. Luc Geismar (Démocrate — MoDem et Indépendants). Nous abordons le sujet de France Médias et la fusion des sociétés à l’horizon 2026. Nous ne sommes pas opposés à ce projet en soi, mais nous nous interrogeons sur ses effets. Étant en commission des finances, nous allons parler d’argent. À combien évaluez-vous l’impact financier d’une holding sans fusion complète ? Quelle serait la différence sur le plan financier ? À combien évaluez-vous le besoin d’investissement dans l’audiovisuel public pour qu’il devienne un pôle puissant, tel que vous le souhaitez ?
Mme Rachida Dati, ministre. Je prends toujours l’exemple de la réforme de la carte judiciaire que j’ai menée lorsque j’étais garde des Sceaux. Cette réforme a évidemment engendré des coûts lors de sa mise en œuvre. Cependant, le rapport de la Cour des comptes a non seulement approuvé cette réforme, en la qualifiant de nécessaire, mais a également souligné qu’elle a généré des économies tout en améliorant l’efficacité. La Cour des comptes a même recommandé d’aller plus loin dans cette voie. Toute réorganisation, qu’il s’agisse d’une fusion ou d’une restructuration, entraîne inévitablement des surcoûts temporaires. Par exemple, la négociation sociale pour les conventions collectives engendre nécessairement des dépenses.
Concernant les études d’impact qui nous ont été demandées, tous les rapports parlementaires que j’ai mentionnés, ainsi que d’autres, ont déjà évalué l’impact financier. Un premier chiffre d’environ 30 millions d’euros avait été avancé. Toutefois, en raison des différentes conventions collectives et des négociations à venir, le coût final sera ajusté en fonction des clauses et des conventions qui seront adoptées.
Mme Constance Le Grip, rapporteure spéciale. Je souhaite m’adresser à notre collègue Luc Geismar. Dans le rapport spécial que j’ai rédigé à la fin de l’année dernière, dans le cadre de l’examen des crédits du projet de loi de finances pour 2024, j’ai détaillé la trajectoire financière pluriannuelle arrêtée. Cette trajectoire représente l’engagement de la puissance publique en faveur des sociétés de l’audiovisuel, et donc le soutien budgétaire considérable accordé à ce secteur pour les missions importantes que nous lui confions et que nous souhaitons continuer à lui confier. Cette trajectoire financière pluriannuelle s’inscrit dans une dynamique allant de 2024 à 2028. Les engagements chiffrés sont clairs : nous passons de 4,025 milliards à 4,262 milliards. Voici les engagements de cette trajectoire financière pluriannuelle sur laquelle nous nous sommes mis d’accord et dont j’espère vivement qu’ils seront respectés, sans être amoindris par certaines vicissitudes.
Je tiens à remercier madame la ministre pour la clarté de ses propos et la réitération de son engagement en faveur d’un audiovisuel public fort, garant du pluralisme et de la liberté d’information. Cet audiovisuel public doit être capable de répondre aux attentes de nos concitoyens et aux défis qui lui sont posés. J’espère que nous, au Parlement, serons également une force de soutien pour la mise en place d’une gouvernance et d’un mode de financement pérenne, à la hauteur des défis et des attentes pour un audiovisuel public fort.
M. Mohamed Laqhila, président. Je remercie Madame la rapporteure spéciale ainsi que Madame la ministre. Je tiens également à exprimer ma gratitude envers l’ensemble de nos collègues qui sont restés jusqu’à la fin de cette dernière commission d’évaluation des politiques publiques du Printemps de l’évaluation 2024.
La commission autorise, en application de l’article 146, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information de Mme Constance Le Grip.
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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 5 juin 2024 à 21 heures
Présents. - M. Éric Coquerel, M. Luc Geismar, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, M. Jean-René Cazeneuve, M. Tematai Le Gayic, Mme Lise Magnier, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Emeric Salmon, M. Charles Sitzenstuhl
Assistaient également à la réunion. - Mme Virginie Duby-Muller, M. Inaki Echaniz, Mme Constance Le Grip, Mme Sarah Legrain