Compte rendu

Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

 Audition de M. Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain, M. Joël Boueilh, président de La Coopération Agricole Vignerons Coopérateurs, Mme Pauline Bodin, responsable intrants et environnement de La Coopération Agricole Métiers du grain              2

 Table réunissant des parlementaires européens...............16

 Audition de M. Jean-Yves Le Déaut, coprésident d’un groupe de travail sur le thème « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, est-ce possible et si oui, comment ? » à l’Académie d’agriculture de France, accompagné de M. Jean François Molle, secrétaire du groupe de travail              28

 Présences en réunion................................38



Mercredi
25 octobre 2023

Séance de 14 heures

Compte rendu n° 22

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission

 


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Mercredi 25 octobre 2023

La séance est ouverte à quatorze heures.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

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La commission procède à l’audition de M. Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole, M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain, M. Joël Boueilh, président de La Coopération Agricole Vignerons Coopérateurs, Mme Pauline Bodin, responsable intrants et environnement de La Coopération Agricole Métiers du grain.

M. le président Frédéric Descrozaille. Bonjour à tous, je déclare ouverte la session de notre commission d’enquête sur l’échec des politiques publiques en matière de réduction des usages de produits phytopharmaceutiques. Nous consacrerons cette première audition de la journée à La Coopération Agricole. Il s’agit d’un acteur incontournable dans le paysage de la représentation professionnelle agricole de par le poids des coopératives agricoles, et par l’implication massive des agriculteurs en leur sein. C’est également un acteur important dans le cadre des plans Écophyto, un temps impliqué dans le réseau Dephy, et qui joue un rôle d’entraînement des agriculteurs et de transformation des paysages agricoles. Je précise que nous avons déjà auditionné à l’occasion d’une autre table ronde un pan de la coopération, celui des coopératives d’utilisation de matériel agricole, les Cuma.

Après un état des lieux scientifiques sur la nature des produits phytopharmaceutiques, les différentes familles de produits, les différents modes d’action, et leurs impacts sur le sol, l’eau et l’air, nous avons commencé l’examen critique des politiques publiques conduites ces dernières années. Nous nous sommes également déplacés à Bruxelles pour conjuguer cet examen avec ce qui se joue à l’échelon européen. Plusieurs acteurs, notamment au sein du réseau Dephy, ont montré qu’une réduction substantielle des usages de produits phytopharmaceutiques sans dégradation ingérable du potentiel de production et des performances économiques des exploitations était possible. Nous devons donc comprendre comment et pourquoi ces pratiques n’ont pas été diffusées plus largement et ne se sont pas massifiées.

Un point est ressorti nettement de l’audition du réseau Dephy : le verrouillage par le marché. La réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques n’est pas tant une question de filière ou de conditions agroclimatiques que de débouchés commerciaux. Le cahier des charges imposé par les acheteurs rend très difficile la transformation d’un système qui s’appuie sur un recours important aux produits phytopharmaceutiques. Comme La Coopération Agricole est un acteur situé exactement à la frontière entre la production et les débouchés commerciaux, il est très important pour nous d’obtenir votre regard sur l’implication de l’aval des filières agricoles dans les objectifs nationaux de transition agroécologique, et notamment de réduction de la dépendance aux produits phytopharmaceutiques.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes. Pour rappel, cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. En vertu de l’article de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires, vous êtes tenus de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite l’un après l’autre à lever la main droite et dire : « Je le jure. »

(M. Antoine Hacard, M. Dominique Chargé, M. Joël Boueilh, et Mme Pauline Bodin prêtent serment.)

M. Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole. Merci de nous donner la possibilité d’échanger avec vous sur ce sujet qui nous concerne tout particulièrement. Nous sommes une fédération nationale d’entreprises qui représente 2 100 coopératives agricoles, agroalimentaires, agro-industrielles et forestières sur l’ensemble du territoire français. Nous sommes structurés en deux grands pôles : un pôle animal qui représente l’ensemble de nos filières et de la nutrition animale, et un pôle végétal, notamment incarné par « métiers du grain » et la déshydratation. Nous avons également un pôle viticulture et un pôle laitier. S’ajoutent des fédérations associées comme les Cuma et les Fruits et Légumes, et diverses filières comme celles du sucre et de la betterave.

Nous sommes aujourd’hui la seule organisation qui agit d’un bout à l’autre de la chaîne alimentaire, depuis l’accompagnement des agriculteurs dans le conseil et la distribution de produits, jusqu’aux produits transformés mis à disposition des consommateurs. Trois agriculteurs sur quatre en France ont au moins une relation avec une coopérative. Les coopératives emploient en tout 190 000 salariés et représentent 40 % du chiffre d’affaires global de l’agroalimentaire français pour un chiffre d’affaires global cumulé de 88 milliards d’euros. Elles représentent une marque sur trois dans nos rayons.

Il me paraît important de vous resituer aujourd’hui ce qu’est l’ADN du modèle coopératif. En effet, nos coopératives sont les entreprises des agriculteurs et des territoires. Notre modèle est démocratique, et un homme égale une voix. Nous ne parlons pas d’actionnaire ou de profit au service de la rentabilité et de la distribution de dividendes. Nous ne parlons pas non plus de capitaux. Nous sommes des entreprises d’hommes et de femmes qui forment le prolongement de chaque exploitation des adhérents des coopératives.

Nous sommes des entreprises de l’économie des territoires. Nous assurons des missions au service du bien commun par une contribution à l’économie locale. Ainsi, 74 % des sièges sociaux des coopératives se situent en zone rurale. Elles sont donc fondamentales pour les bassins d’emploi dans nos territoires. De même, 93 % sont des TPE et des PME au cœur de nos territoires, avec un très fort impact sur la vie locale. Nos coopératives sont liées aux filières de production et opèrent dans des territoires bien définis. Au moins 80 % de leurs approvisionnements proviennent de leurs associés coopérateurs.

Elles assurent la collecte de production agricole parfois dans des lieux que toute autre entreprise a délaissés, faute de rentabilité. On dit parfois que les coopératives sont les ambulances de l’économie agricole française. Nous avons eu plusieurs exemples dans le lait notamment ces dernières années. Nous sommes les garants du maintien de l’activité sur le long terme dans les territoires. Nos coopératives ne peuvent pas faire l’objet d’une OPA et leurs réserves ne peuvent être partagées. Elles servent à investir et à encaisser les risques encourus par nos productions. C’est d’ailleurs aujourd’hui grâce à ces réserves que nous finançons les crises traversées, qu’elles soient sanitaires, économiques ou climatiques. Les coopératives sont des outils transgénérationnels. Les investissements d’aujourd’hui serviront à la rentabilité des exploitations des associés coopérateurs, au maintien de nos activités dans les territoires et, donc, aux salaires de nos salariés demain. Les coopératives forment de véritables amortisseurs de crises. Nous pourrions parler aujourd’hui des produits sous signe de qualité, pour lesquels nous jouons un rôle d’amortisseur.

Nous sommes engagés en faveur de la souveraineté alimentaire. Notre responsabilité est de maintenir nos capacités de production sur les surfaces disponibles et d’être capables de répondre à tous les marchés et à toutes les gammes de produits que nos compatriotes consomment. Sans réponse à ces attentes, les importations s’accroissent. C’est d’ailleurs ce que nous subissons dans certaines filières. Pour atteindre notre objectif de souveraineté alimentaire, nous sommes engagés dans le renversement du modèle historique de production en France et passons d’une logique de flux poussé à une logique de flux tiré. Le rôle des coopératives est aujourd’hui de mettre en adéquation l’offre de production agricole avec les attentes des marchés, qu’elles soient quantitatives, qualitatives, ou de plus en plus de planification d’apports de différentes productions agricoles. Nous sommes les entreprises qui organisent et structurent les filières, nous sommes l’organisation de producteurs la plus aboutie en lien avec les marchés.

De plus, nous sommes engagés dans les transitions agroécologiques. Notre responsabilité est d’accompagner les agriculteurs dans la conduite de leur transition sur le long terme, en prenant en compte les réalités de terrain et les réalités économiques et techniques. Il faut combiner une approche individualisée des situations avec un contexte d’approche globale de l’exploitation. Un écosystème particulier s’adresse à chacune de nos exploitations. Nous devons considérer ce que doit être la capacité d’un agriculteur de se trouver en lien direct avec son marché. Nous nous inscrivons dans une démarche de déstandardisation des itinéraires techniques historiques. Il faut notamment mettre en œuvre autant de solutions qu’il y a d’exploitations, le tout dans une combinaison de solutions qui incluent des solutions alternatives et innovantes, mais également des solutions faisant appel à du chimique lorsque c’est nécessaire. La palette de recherche et d’innovation à mettre en place est très large et nous devons considérer cette question avec la plus grande attention. Notre conseil doit être adapté et nos techniciens doivent être formés et outillés pour répondre à cet enjeu. En effet, le conseil demeure fondamental pour la réussite de la mise en œuvre de ces transitions dans nos coopératives.

Or la capacité d’accompagnement des agriculteurs pour nos entreprises s’est considérablement affaiblie depuis la séparation de la vente et du conseil. Celle-ci a entraîné des difficultés pour recruter les techniciens que nous mobilisions sur ces enjeux. Cette réforme a été perçue comme un désaveu du sérieux et du professionnalisme de nos coopératives et, surtout, de nos conseillers. Elle représente aujourd’hui un frein non négligeable au déploiement de solutions alternatives. Les techniciens agricoles ne peuvent plus proposer ces solutions, comme les produits de biocontrôle, ce qui inhibe notre capacité à pouvoir entraîner les agriculteurs dans des démarches plus vertueuses.

En conclusion, si les coopératives sont des acteurs incontournables pour accompagner les transitions, plusieurs conditions doivent être réunies. Le cadre légal des politiques publiques doit être cohérent, ce qui rejoint mon propos sur la séparation de la vente et du conseil. De même, les politiques publiques doivent être cohérentes entre elles. Pour la souveraineté alimentaire, d’autres politiques publiques nous causent des entraves pour parvenir à atteindre l’objectif fixé. De plus, le marché doit être clairement identifié. Aujourd’hui, c’est le cas pour les marchés segmentés et les marchés à forte valeur ajoutée, notamment en agriculture biologique où nous sommes très engagés. Enfin, nous avons besoin de pouvoir répercuter les surcoûts dans les prix de vente de nos produits finaux.

M. Dominique Potier, rapporteur. Merci pour votre présence aujourd’hui. L’état d’esprit de l’ensemble de la commission est bien d’être utile, à l’heure où le gouvernement proposera un plan Écophyto 30 dans les jours à venir. Il sera ouvert aux débats et les résultats de la commission attendus pour la mi-décembre apporteront une contribution utile. Pour réussir, nous avons besoin de votre vérité. Au-delà de la séparation du conseil et de la vente, nous souhaitons connaître votre perception du plan Écophyto comme politique publique sur la dernière décennie. Dites-nous clairement les bons et les mauvais côtés de ce plan.

M. Dominique Chargé. J’aimerais au préalable ajouter quelques mots sur l’enjeu tel qu’il est formulé par votre commission. Le terme « échec » peut sans doute être employé, mais il ne nous semble pas adapté à la réalité de ce que nous vivons. Oui, nous ne sommes pas au rendez-vous des objectifs assignés par les politiques publiques et c’est effectivement important d’en faire l’analyse. Pour autant, nous constatons aujourd’hui une prise de conscience sincère et totale par l’ensemble des professions de l’agriculture, qu’il s’agisse de nos conseillers, de nos techniciens ou des agriculteurs eux-mêmes. Les démarches sont engagées et la trajectoire est, de notre point de vue, irréversible. Les quantités de substances actives utilisées, hors produits utilisables en agriculture biologique et de biocontrôle, s’élevaient en 2022 à 43 415 tonnes, en retrait de 20 % par rapport à la moyenne 2015-2017. La quantité de substances actives utilisables en agriculture biologique est passée dans la même période à 24 762 tonnes, en progression de 55 % par rapport à la moyenne 2015-2017. De plus, 40 % de nos coopératives agricoles sont aujourd’hui engagées en agriculture biologique. En viticulture, 40 % des coopératives sont certifiées HVE (haute valeur environnementale) ou bio en 2023 et la réduction de l’IFT (indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires) total, tous bassins viticoles confondus, a atteint 19 % entre 2016 et 2019. En parallèle, pour la production viticole, la part de l’IFT biocontrôle dans l’IFT total a progressé en moyenne de 5 % entre 2016 et 2019.

On observe donc des résultats tangibles. Certes, nous ne sommes pas au rendez-vous des résultats assignés, mais la situation est complexe et nous rencontrons un certain nombre de freins. Je souhaiterais notamment vous en citer trois. Tout d’abord, le dérèglement des conditions climatiques se durcit et apporte des aléas nouveaux ou qui se renforcent. Il y a moins de prévisibilité et donc plus de pression sur nos cultures végétales. En outre, les solutions alternatives n’arrivent pas suffisamment vite par rapport au rythme auquel nous souhaiterions pouvoir réaliser les transitions et transformations. Les produits de biocontrôle ne fonctionnent pas partout et nous rencontrons davantage d’aléas dans l’utilisation des solutions alternatives qu’auparavant. Enfin, un angle mort existe aujourd’hui, et notamment dans les politiques publiques, celui de nos capacités d’accompagnement de ces transformations. Nous sommes aujourd’hui confrontés au déploiement de très nombreuses solutions face à des écosystèmes qui doivent être considérés à l’échelle de chacune de nos exploitations. Nous manquons aujourd’hui non seulement de techniciens formés et aguerris à cette expérience, mais aussi de moyens pour pouvoir conduire ces transitions et transférer ces innovations vers les territoires. La Coopération Agricole appelle depuis toujours à la mise en place d’un fonds de transition agroécologique dont nous avons énormément besoin. C’est effectivement une des évolutions de politique publique que nous aimerions voir.

M. Dominique Potier, rapporteur. Certains disent que l’objectif est trop ambitieux ou que c’est l’indicateur qui est mauvais. Ce que nous constatons, c’est que la politique publique fixe un objectif de diminuer de 50 % l’usage de ces produits et que, après dix ans prolongés de cinq ans, l’objectif n’a pas été atteint : il s’agit donc bien d’un échec. Dans l’exposé des motifs ayant fondé cette commission d’enquête, nous citons par ailleurs tous les résultats positifs obtenus en termes de révolution culturelle, de démarches engagées, de protection de la santé des producteurs... Nous avons bien considéré tout cela.

M. Dominique Chargé. Monsieur le rapporteur, vous avez raison pour ce qui concerne les objectifs et le résultat. Je souhaitais simplement faire cet état des lieux. Nous constatons que la production agricole française diminue chaque jour et que nous subissons des importations dans un nombre de filières de plus en plus élevé. Pour nous, l’échec serait d’être incapables de nourrir durablement nos concitoyens, tout en développant les solutions alternatives et en réduisant les intrants chimiques de synthèse.

M. Dominique Potier, rapporteur. La préoccupation qui réunit l’ensemble des commissaires est bien de nourrir et de prendre soin. Ce pourrait d’ailleurs être le titre du rapport que nous rendrons. Il faut prendre soin de la planète et de la santé des personnes tout en les nourrissant.

Mme Pauline Bodin, responsable intrants et environnement de La Coopération Agricole Métiers du grain. Pour répondre à votre question sur Écophyto, nous avons été auditionnés en septembre dernier par le cabinet du ministre et peut-être avez-vous eu accès à cette audition. Nous avions notamment évoqué l’indicateur du plan Écophyto. Le nombre de doses unités (Nodu) n’est pas forcément un indicateur très pertinent, car son calcul se base sur des doses homologuées et, du fait de la réglementation, ces doses ont tendance à se réduire. D’un point de vue mathématique, l’indicateur ne réduit pas. Nous serions plutôt partisans de mettre en place plusieurs indicateurs pour refléter les évolutions des pratiques et, si possible, d’avoir un indicateur harmonisé au niveau européen pour qu’il y ait une émulation à cette échelle.

Concernant la redevance pollution diffuse (RPD), nous sommes partisans de la rediriger vers le financement de la prise de risque pour les agriculteurs qui mettent en œuvre des pratiques agroécologiques afin de mieux sécuriser la mise en place de ces pratiques et, éventuellement, vers la recherche de solutions alternatives. Nous réduisons les produits phytosanitaires, mais nous nous heurtons à un manque de solutions. Il faut donc accentuer le financement de la recherche de solutions alternatives, notamment via l’enveloppe de la RPD, mais il en existe sans doute d’autres.

Par ailleurs, les comités d’orientation stratégiques du plan Écophyto regroupent tous les acteurs. Nous sommes donc très nombreux autour de la table. Nous sommes partisans de mettre en place de petits groupes d’animation thématiques pour faciliter et favoriser l’échange alors que ces comités s’avèrent très descendants ; ce serait plus constructif.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous n’avons pas eu connaissance des auditions du cabinet du ministre mais nous le demanderons. Mes questions seront rapides. Êtes-vous favorables à la mise en place d’un indicateur commun sur les usages à l’échelle européenne qui combine quantité et impact, actuellement prévu dans le projet de règlement européen SUR ?

Mme Pauline Bodin. Nous sommes en effet favorables à une harmonisation grâce à l’indicateur de risque harmonisé (HRI).

M. Dominique Potier, rapporteur. Je note également votre souci d’utiliser la RPD comme un système d’assurance. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette idée, exprimée pour la première fois devant cette commission ? À quoi une assurance risque pour l’agriculteur qui essaie une nouvelle solution pourrait-elle ressembler ?

M. Antoine Hacard, président de La Coopération Agricole Métiers du grain. Pour les producteurs qui vont très loin dans la diminution de l’utilisation d’intrants chimiques notamment, le risque existe que leurs récoltes en pâtissent et donc que le compte de résultat de leur exploitation agricole soit mis en péril. Le risque économique représente un frein à l’innovation. Nous devons donc mettre en place des mécanismes de soutien de l’innovation susceptibles de combler des pertes de récolte liées à la prise de risque d’une non-utilisation de produits de santé du végétal. C’est un des mécanismes qui pourraient permettre une bonne utilisation de la RPD et qui favoriseraient probablement une prise de risque plus importante de la part de nos adhérents, y compris de nos techniciens sur le terrain.

Nous sommes très attentifs au réseau des fermes Dephy et en avons même animé par le passé, avant la séparation de la vente et du conseil. Les fermes Dephy possèdent de bons résultats, mais avec un ingénieur agronome à mi-temps pour une douzaine d’agriculteurs. Or les coopératives ne disposent pas des moyens nécessaires pour dupliquer ce système sur le terrain. Nous nous en inspirons, mais la prise de risque demande un suivi extrêmement pointu, à hauteur de ce que prévoit Dephy.

M. Dominique Potier, rapporteur. À hauteur de 32 000 euros par an, il ne s’agit pas d’un ingénieur agronome, ou alors peut-être en début de carrière.

M. Antoine Hacard. Il faut également compter les charges, le véhicule, le bureau, l’ordinateur, etc. L’ordre d’idée est que, dans les coopératives, un technicien suit en moyenne 80 à 120 exploitations.

M. Dominique Chargé. Il existe un angle mort sur les moyens que l’on met aujourd’hui pour accompagner et diffuser les transitions jusqu’au cœur de nos exploitations. Ce que représente aujourd’hui cette transformation des modèles est sans doute sous-estimé, si l’on considère les moyens déployés. Nous passons en effet de solutions qui pouvaient couvrir des champs très larges et massifs avec du chimique, à des solutions adaptées quasiment à chaque écosystème d’exploitation.

M. Dominique Potier, rapporteur. À l’issue de la table-ronde Dephy, nous avons constaté que l’enveloppe pour généraliser un conseil de type Dephy à l’ensemble des exploitations était de l’ordre de 100 millions d’euros. Nous parlons bien ici de conseils spécifiques et stratégiques adaptés aux 200 000 agriculteurs qui consomment 95 % des pesticides en France. Nous consoliderons cette évaluation, mais, quoi qu’il en soit, elle n’apparaît pas totalement inaccessible si nous parvenons à mobiliser des ressources comme la RPD. Je note au passage que La Coopération Agricole n’est pas hostile à une hausse de la RPD, puisque vous la sollicitez au moins pour renforcer l’accompagnement et mettre en place une assurance. Il s’agit d’une simple boutade.

Madame Bodin, vous nous avez dit que les comités Ecophyto étaient composés de très nombreux professionnels et que les échanges étaient descendants. Nous constatons que les comités se réunissent également peu. N’y a-t-il pas de groupes de travail, de comités spécifiques, de commissions, qui travaillent sur des résolutions de problèmes ?

Mme Pauline Bodin. Je n’y ai pas encore participé dans le cadre d’Écophyto.

M. Antoine Hacard. Christophe Brison, vice-président de Métiers du grain, nous représente au sein d’Écophyto. Il estime qu’il faudrait probablement recentrer davantage Écophyto autour des professionnels de l’agriculture. Ce dispositif a le grand mérite d’avoir lancé une dynamique de diminution des produits phytosanitaires. Cependant, il n’a pas été force de proposition quant aux solutions duplicables sur le terrain pour conduire cette diminution. Nous avons besoin de centrer les discussions autour de professionnels de l’agriculture qui soient en mesure d’identifier des solutions. Le trop grand nombre de participants à Écophyto nuit à son efficacité.

M. Dominique Potier, rapporteur. Abordons à présent un autre sujet. Nous avons besoin de données économiques fiables. Au niveau de la fédération, avez-vous pu établir ce que représente en moyenne la part des produits phytosanitaires à côté des autres intrants dans le chiffre d’affaires des ventes au niveau national ? J’imagine que des différences considérables doivent exister entre l’Occitanie, la Bretagne, l’élevage extensif, les zones céréalières, etc. Cependant, nous avons besoin d’un ordre d’idée en moyenne. De même, quel est le niveau de marge que ces produits représentent dans les bénéfices consolidés ?

M. Antoine Hacard. Ils représentent 5 % à 10 % de notre chiffre d’affaires.

M. Dominique Potier, rapporteur. Qu’en est-il en termes de profitabilité par rapport à d’autres secteurs qui peuvent être éventuellement plus concurrentiels, comme les ventes d’engrais ou le machinisme, etc. ? Ce secteur est-il plus profitable que d’autres intrants ?

M. Antoine Hacard. Non. Globalement, notre modèle est porté pour un tiers sur l’activité de collecte, un tiers sur l’activité de service et un tiers sur l’activité d’approvisionnement, qui inclut aussi les engrais.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avez-vous des données plus solides sur ce sujet ?

M. Antoine Hacard. Il s’agit d’activités extrêmement concurrentielles. Les entreprises coopératives ne révèlent pas leur taux de marge. Objectivement, je ne possède aucun chiffre à vous transmettre.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous aurons la même question pour la FNA. Malgré un chiffre d’affaires relatif – de 5 % à 10 % du total actuellement – qui a diminué sur le temps long, le secteur phytosanitaire reste-t-il stratégique dans l’économie des coopératives ?

M. Antoine Hacard. Nos coopératives représentent des emplois, des adhérents, mais aussi des collaborateurs que nous embauchons. Les conseils d’administration des coopératives ont tous fixé à leur management l’objectif de désensibiliser leur modèle économique à la vente de produits phytosanitaires. Aujourd’hui, nous vendons donc des solutions d’accompagnement à nos agriculteurs qui ne comportent pour l’essentiel pas de produits phytosanitaires. Nous vendons, par exemple, un hectare sain, sans maladie, sans herbe, sans utilisation de tel ou tel produit ; mais, de temps en temps, une intervention à base de produits phytosanitaires reste nécessaire parce que la situation l’exige. Nous sommes en train de faire muter notre modèle économique pour nous désensibiliser à la vente de produits phytosanitaires. C’est extrêmement important.

Ensuite, pour faire muter un modèle économique, il faut du temps, trois, quatre, ou cinq ans et nos managers savent gérer ces retournements de modèle économique. Nous nous sommes saisis du sujet depuis plusieurs années maintenant et conduisons une désensibilisation de nos comptes de résultat aux produits phytosanitaires. Cependant, aujourd’hui, ils participent toujours à l’équilibre de notre compte de résultat.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ce n’est pas aujourd’hui que nous saurons dans quelles proportions. Nous essaierons de trouver ces informations par ailleurs.

M. Dominique Chargé. Aujourd’hui, nous avons des exemples très concrets de coopératives – et nous pourrons éventuellement vous fournir des détails en dehors de la séance – qui proposent aux adhérents un abonnement pour une culture saine en fin de campagne, complètement affranchie de ce que seront les moyens à mettre en œuvre, donc des marges ou des ventes de produits et des marges associées. Le modèle économique se refonde donc sur un savoir-faire, sur la capacité à pouvoir déployer un système dans lequel les intrants seront minimisés, puisque le risque est pris par la coopérative. Il s’agit d’un élément extrêmement dynamique du renversement des modèles.

En revanche, lorsqu’un modèle économique se déconstruit, il faut se questionner immédiatement sur la façon de le reconstruire. C’est ce que nous faisons actuellement, et c’est pourquoi il nous est difficile de vous délivrer des éléments chiffrés dans le cadre d’une telle commission. Nous les tenons cependant à votre disposition si vous le souhaitez.

M. Antoine Hacard. La diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires ne se fera pas sans solutions alternatives. L’innovation représentera une source de développement, y compris économique, pour nos coopératives. Réduire les produits phytosanitaires sans davantage de biocontrôles, de numérique, de robotique ou de génétique, entraînera de la décroissance agricole. En tant que dirigeants de coopérative, nous sommes des entrepreneurs agricoles et nous ne souhaitons pas aller vers ce modèle. Nous savons que des relais de croissance existeront. Seulement, nous devons préserver un subtil équilibre dans nos entreprises coopératives, car nous avons la responsabilité de garantir, notamment aux 40 000 salariés Métiers du grain, la pérennité de leur emploi.

M. le président Frédéric Descrozaille. Je me permets de prolonger cet échange important. Sur la séparation de la vente et du conseil, nous devons être capables de reconnaître le côté « fausse bonne idée » de ce qui a été mis en place et nous pourrons formuler des propositions. L’enjeu porte plutôt sur le renversement de modèle, et l’inertie du modèle à renverser. Vous nous dites qu’économiquement, vous essayez d’imaginer comment facturer autrement un accompagnement des sociétaires pour favoriser cette transformation. Les auditions que nous avons conduites peuvent nous laisser penser qu’il y a un effet de seuil dans la transition agroécologique : soit les exploitations le font totalement, soit elles ne le font pas du tout. L’amélioration de l’ancien modèle, avec une moindre utilisation des produits phytopharmaceutiques, mais sans transformation ou reconception de l’exploitation elle-même, crée un maintien de la dépendance à ces produits. Le renversement de modèle que vous évoquez suppose-t-il que tout l’accompagnement des sociétaires soit totalement décorrélé de la vente de produits ? Faut-il facturer l’accompagnement comme le conseil indépendant auprès des agriculteurs pour aboutir à un changement total ? Vous orientez-vous vers ce modèle ou semble‑t‑il hors d’atteinte ?

M. Antoine Hacard. Nous travaillons en effet à une approche globale de l’exploitation agricole. Pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires, le premier choix est l’assolement. Viennent ensuite les variétés résistantes aux maladies. Cette approche globale de l’exploitation nécessite en effet de penser systèmes, rotations, génétique. Nous sommes totalement engagés dans ce mouvement, mais les solutions existantes ne nous permettent pas d’accompagner nos agriculteurs dans un système technico-économique rentable pour eux et qui leur garantisse des niveaux de production satisfaisants.

Pour rappel, l’Union européenne est déficitaire en maïs et en colza, et importe 80 % de ces protéines végétales. Elle est seulement exportatrice de céréales à paille. Tout ce qui se traduira par une chute de la production européenne – et notamment française puisque nous sommes les premiers producteurs européens de céréales – conduira à une massification de nos importations. Or, comme nous l’avons constaté il y a quelques mois, confier notre alimentation à des tiers est très dangereux et il est préférable d’en maitriser une partie. Aujourd’hui, nous ne possédons malheureusement pas toutes les solutions pour muter vers un système qui bannirait totalement l’utilisation de produits phytosanitaires en maintenant des niveaux de rendement satisfaisants. Nous sommes engagés dans une dynamique même si certains estiment notre progression trop lente. Nous avons besoin d’innovations. Le temps agricole est d’une récolte par an, avec une notion de risque à gérer. La problématique est donc extrêmement complexe.

M. Joël Boueilh, président de La Coopération Agricole Vignerons Coopérateurs. Le rythme d’adaptation est encore plus lent pour ce qui concerne les cultures pérennes. Comme l’a montré l’exemple du Sud-Ouest en 2023, dans certaines situations, nous n’avons pas d’autre choix que de traiter. Nous voulons réduire le recours aux produits phytosanitaires et même à accélérer ce changement, mais la réalité du climat nous rattrape souvent. Nous comptons beaucoup sur la génétique et un peu sur la robotique pour avancer. Mais ces apports sont sur le temps long et les problèmes climatiques sont quotidiens. Les calendriers s’avèrent parfois difficilement compatibles.

M. Dominique Chargé. Nous sommes parfaitement conscients que ce n’est qu’un mélange de solutions qui pourra être mis en place, avec, éventuellement, le recours à du chimique dans les situations extrêmes. Cependant, aujourd’hui, nous manquons de solutions, de combinaisons de solutions. Celles-ci ne sont pas encore suffisamment sécurisées à notre stade pour pouvoir les déployer massivement même si nous y sommes prêts. S’ajoute la question des moyens qui représentent aujourd’hui un vrai frein. Adapter un système d’exploitation est extrêmement complexe et suppose énormément de moyens d’accompagnement.

M. Dominique Potier, rapporteur. Êtes-vous favorable, en tant que fédération nationale de la coopération agricole, à une remise en cause de la loi de 2014 et des prérogatives données à l’ANSES à cette occasion ?

M. Antoine Hacard. Ma position est que le scientifique éclaire et que le politique décide.

M. Dominique Potier, rapporteur. Pour être clair, vous êtes donc favorable à une remise en cause de la loi de 2014. Concernant la fin de la séparation de la vente et du conseil qui se profile, puisque tout le monde s’accorde à dire que c’est un échec, intégrez-vous le fait qu’elle n’aura pas lieu sans contrepartie, sans obligation, non seulement de moyens, mais aussi de résultats de la part de ceux qui porteront le conseil, qu’il s’agisse de coopératives ou d’autres structures sociétaires ?

M. Antoine Hacard. Nous nous doutons bien sûr que des contreparties seront demandées. Nous devons prendre le temps d’en discuter collectivement.

M. Dominique Potier, rapporteur. Le retour du certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui avait à peine été expérimenté, avec un système de bonus-malus, vous apparaît-il comme une voie possible ?

M. Antoine Hacard. La Coopération Agricole est prête à faire du dispositif CEPP un outil de mesure du changement. Cependant, il faut nous aider à élaborer des fiches-solutions. Nos coopératives possèdent souvent une activité viticole et une activité céréalière. Pour la première, elles remplissent 80 % à 100 % de leurs obligations de CEPP. Mais pour la seconde, elles ne remplissent que 20 % à 30 % de leurs objectifs pour les grandes cultures. Il n’y a pas de manque de volonté des coopératives, mais ces dernières ont besoin de fiches‑solutions.

M. Dominique Potier, rapporteur. Vous ne répondez pas en revanche à la question d’un système de bonus-malus financier. En tant que député, j’ai reçu la Coopérative agricole céréalière dans l’Aube (Scara). C’est l’exemple même d’une coopérative qui propose des solutions et qui est contrée par le système de séparation du conseil et de la vente, alors que ses solutions sont prospères et peuvent apporter de réelles réponses, notamment dans l’élaboration de fiches CEPP. Nous touchons ici à l’absurde. Il faut sortir de ce système et je note votre volonté de vous réengager dans des conditions qui restent aujourd’hui imprécises, mais je ne doute pas de votre volonté.

M. Dominique Chargé. Nous ne sommes bien évidemment pas favorables à une sanction financière a priori. En revanche, nous sommes tout à fait favorables à faire du CEPP un outil de mesure du progrès. Nous avons cependant besoin d’être en capacité à fournir du conseil et d’apporter des solutions.

M. Dominique Potier, rapporteur. Au fil de nos débats, nous constatons que l’hypothèse d’un changement systémique suppose que le verrou du marché soit levé. La logique actuelle est celle d’une agriculture d’exportation dans le domaine céréalier, de la valorisation d’un modèle économique qui trouve sa justification sur les marchés du Maghreb notamment. Un autre modèle est celui d’une agriculture qui regagne de l’autonomie en protéines, en fourrage et qui retrouve d’autres équilibres, mais qui, pour le coup, pénalise le secteur céréalier dans sa dimension exportatrice, laquelle est soutenue par des pratiques plus dépendantes aux intrants. Se pose la question des micro-filières qui entraînent un allongement des rotations, nous permettant d’être moins dépendants à la phytopharmacie par la spécialisation, et d’un modèle plus économe, plus autonome d’agriculture, avec plus de polyculture-élevage, et qui permette de boucler les cycles de fertilité et gagner en autonomie. Ces modèles peuvent mettre en cause les systèmes commerciaux sur lesquels sont assises des entreprises économiques. Ce virage-là pourrait-il représenter une grande aventure pour le siècle à venir et, compte tenu de l’urgence, pour la décennie qui vient ?

M. Antoine Hacard. Il s’agit en effet d’un beau défi. Nous ne cessons de relancer la culture de protéines végétales, soit de soja non-OGM, de pois protéagineux, de lupin, de féverole. L’ensemble de ces cultures sont des sources protéiques pour l’élevage mais, aujourd’hui, elles n’offrent pas de rentabilité économique pour nos adhérents et sont donc délaissées. Elles constituent également un facteur de lutte contre le réchauffement climatique, car produire une protéine végétale nécessite beaucoup moins d’engrais, lesquels ont encore besoin de beaucoup de gaz naturel. Nous sommes très impliqués dans ce cycle vertueux et avons travaillé à des plans de relances de l’ensemble de ces cultures. Seulement, nous nous heurtons à la réalité économique de nos adhérents. Nous avons aujourd’hui besoin de recherche. Ces surfaces ont tellement diminué qu’il n’existe plus de recherche sur la génétique des légumineuses. Nous avons également besoin de travailler sur des adaptations de cycles de ces cultures qui ont souvent besoin d’eau au printemps.

M. le président Frédéric Descrozaille. Qu’en est-il de vos clients ? Se sentent-ils concernés par la transition du modèle de production agricole français, la transition agroécologique ? Comment exercent-ils cette responsabilité ?

Par exemple, un important industriel qui se fournit auprès de 700 céréaliers possède depuis plusieurs années un programme qui fait évoluer le cahier des charges du producteur et introduit notamment dans les rotations blé-orge des légumineuses. L’industriel en question n’achète pas les légumineuses et a besoin de céréales. Il existe un problème de valorisation des légumineuses et du cahier des charges auprès de ses adhérents. Même s’il paye avec une surprime sur le blé cette transformation du cahier des charges, vendre les légumineuses qui sont par ailleurs exigées pour avoir une rotation diversifiée reste un souci pour les fournisseurs de cet industriel. Un autre industriel développe quant à lui des solutions alimentaires innovantes à partir de productions végétales, mais rencontre un problème de sourcing. Il n’accède pas aux productions végétales dont il a besoin, notamment des légumineuses.

Compte tenu de la taille des entreprises de La Coopération, possédez-vous des lieux où vous pouvez convoquer ces clients et vous réunir par grands bassins pour déterminer un mode d’organisation ? Tout ne peut pas reposer sur les agriculteurs et sur vous. Les chiffres d’affaires des entreprises que vous représentez sont tels que vous êtes susceptibles de peser sur l’aval de la chaîne, en saturant des équipements par exemple.

M. Dominique Chargé. Je vais vous répondre pour ce qui concerne le B2C (business to consumer), c’est-à-dire s’agissant de nos clients distributeurs. Je constate aujourd’hui que les engagements de transition ont été pris à de nombreux endroits du territoire et que certaines coopératives y travaillent quotidiennement. Relocaliser la production constitue un combat de tous les jours, pour toutes nos productions, notamment animales. Malheureusement, nos poulaillers bio et nos poulaillers label sont vides, car le contexte économique et de pouvoir d’achat a réduit le nombre de consommateurs. Nous sommes remplacés par des produits d’entrée et de moyenne gamme importés. Nos coopératives sont mobilisées pour accomplir ces démarches de relocalisation, de production vertueuse à l’échelle des territoires dans des conditions de production qui répondent aux attentes sociétales aujourd’hui. Seulement, le consommateur n’est pas stable dans ses choix d’achat, entre ce qu’il déclare et ses impératifs économiques, ce qui nous pénalise aujourd’hui. Or nos coopératives jouent réellement un rôle d’amortisseur sur ces problématiques. Nous sommes engagés, mais nous manquons de visibilité sur notre capacité à pouvoir conduire ce changement dans la durée, notamment pour cette raison d’acceptabilité sociétale.

À l’autre bout de la chaîne, nous constatons de l’instabilité également dans la tenue du marché. Nous constatons aujourd’hui un véritable revirement par rapport à tous les engagements que nous avons pris, notamment depuis 2015-2017 à travers les lois EGAlim, avec une montée en gamme sans doute considérée, à tort, comme étant trop exclusivement réservée au haut de gamme.

M. Antoine Hacard. Nous ne savons plus produire de pois, de féverole, de lupin. Nous sommes arrivés à des rendements dérisoirement bas. Nos collectes deviennent tellement basses que nous ne sommes plus en mesure d’intéresser des industriels qui consomment ces produits dans la durée. En effet, un industriel qui souhaite fabriquer un aliment pour bétail à base de pois doit tout d’abord aboutir à un aliment vendable à un prix de marché qui permette à l’éleveur de gagner sa vie. Ensuite, il faut lui fournir un, deux, trois, ou quatre camions tous les jours. Une coopérative que je connais très bien collectait dix ans auparavant 80 000 tonnes de pois et n’en collecte aujourd’hui que 5 000 tonnes à 6 000 tonnes.

Le défi consiste donc à reprendre aujourd’hui les fondamentaux de cette filière de production de protéine végétale qui reste très dépendante de l’Amérique du Sud et de l’Amérique du Nord. Il faut donc un effort national, mais également européen pour espérer retrouver une autonomie sur la protéine végétale. Aujourd’hui, des clients sont prêts à nous acheter ces produits et nous sommes contraints de leur répondre que nous ne pouvons leur fournir les volumes souhaités. Il faut reprendre le dossier à ses fondamentaux. Aujourd’hui, nous ne savons plus produire ces cultures.

Mme Laurence Heydel Grillère (RE). J’aurais aimé vous entendre sur la faisabilité de l’objectif de réduction de 50 % des produits phytosanitaires, au-delà de celle déjà réalisée dans vos différentes activités. J’aimerais que vous évoquiez spécifiquement la question des cultures pérennes à cet égard, y compris au-delà de la vigne. De quoi auriez-vous besoin pour atteindre cet objectif de 50 % ? Que préconiseriez-vous ?

M. Dominique Chargé. Nous sommes aujourd’hui engagés dans ces transitions et transformations de manière irréversible. Certes, nous n’avons pas atteint l’objectif assigné, mais nous ne qualifierions pas cela d’échec. Nous souffrons d’abord du manque de solutions alternatives et de combinaisons de solutions qui soient techniquement fiables et économiquement viables. En outre, la course se durcit sous les effets du changement climatique qui influent énormément sur la pression sanitaire sur nos productions. Enfin, nous manquons de moyens pour déployer les combinaisons de solutions qui doivent être pensées à l’échelle de l’écosystème de chaque exploitation. Nous sortons d’un système dans lequel les solutions étaient standardisées. Nous ne retrouvons pas de solutions permettant de couvrir des champs aussi larges qu’avec la solution chimique. Il faut donc en revenir à une approche globale à l’échelle de chaque écosystème. Le tout nécessite des moyens, notamment humains, dont nous ne disposons pas aujourd’hui.

M. Antoine Hacard. Pour atteindre cet objectif de moins de 50 % de produits phytosanitaires, nous avons besoin d’innovation, de solutions. Au début des années 1950, les produits phytosanitaires et les engrais ont permis de doubler les rendements. Si nous abandonnions totalement ces solutions sans autre innovation, nous retrouverions le niveau des rendements des années 1950 avec une Union européenne et une France qui redeviendrait importatrice et dépendante pour son alimentation. Des solutions sont en train de poindre, mais elles doivent également s’avérer technico-économiquement rentables pour les exploitations et duplicables. Nous nourrissons beaucoup d’espoir dans la robotique, qui fonctionne bien dans le maraîchage, et commence à bien fonctionner dans la viticulture. Cependant, elle ne touche pas la même taille de parcelles. La ferme France céréalière représente 54 % du territoire français. Il faudrait donc des robots travaillant quasiment jour et nuit sur 54 % de la surface française. Certaines solutions commencent à fonctionner technologiquement, mais ne sont pas commercialisables en l’état.

L’innovation est également génétique. Nous avons besoin d’accéder rapidement aux nouvelles technologies génomiques (NGT), sources de progrès et de diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires. Actuellement, des pucerons attaquent massivement nos céréales. Nous avons donc besoin de variétés tolérantes. Certaines commencent à émerger, mais possèdent une productivité de 20 % à 25 % moindre que les variétés non tolérantes. Au final, nous avons besoin de temps pour faire correspondre la mutation du modèle avec nos impératifs économiques. Nous vivons dans un milieu ouvert et sommes soumis à la libre concurrence. Lorsque nos clients peuvent acheter des produits céréaliers moins chers à l’étranger, ils le font. Nous devons rester dans le match de la compétitivité internationale.

M. Joël Boueilh. Concernant les cultures pérennes, je connais bien la vigne, et suis un peu arboriculteur, puisque j’ai la chance de produire des kiwis, fruit qui ne nécessite à date aucun traitement. Pour autant, depuis quelques années, nous sommes, comme pour les oliviers et la vigne, victimes de bactéries susceptibles de détruire des plantations. Contre les bactéries, peu de ressources existent à part des mesures préventives.

Pour les fruitiers en général et les vignes plus particulièrement, nous espérons beaucoup de la robotique. Le glyphosate est une sorte de marronnier, mais tout l’entretien du cavaillon et le contrôle des adventices sous le rang est concerné. La capacité d’utilisation de ces produits s’amoindrit et les doses deviendront tellement faibles que nous basculerons nécessairement vers une absence d’utilisation de désherbant. La robotique pourra apporter des solutions, ce qui posera un problème d’accessibilité pour certains exploitants.

Concernant la lutte contre les maladies, les travaux en cours nécessiteront une dizaine d’années pour aboutir. Ils portent sur les idéotypes et notre capacité à rendre résistants nos cépages autochtones attachés à nos appellations, en les hybridant de façon naturelle avec des cépages résistants. L’enjeu est de garder notre capacité à produire les vins que nos clients connaissent, tout en les rendant résistants. Cela devrait nous aider à réduire considérablement l’utilisation de produits phytosanitaires.

M. Grégoire de Fournas (RN). Pour quelles raisons affirmez-vous que nous ne savons plus produire de protéines végétales ? Votre propos cible-t-il la concurrence étrangère et notre compétitivité ?

M. Antoine Hacard. Les surfaces sont devenues tellement basses que les semenciers ne font plus de recherche génétique sur ces cultures. Le changement climatique est probablement également en cause. Des matières actives aujourd’hui interdites permettaient de lutter contre certains insectes, notamment la bruche de la féverole, qui touchent particulièrement ces cultures.

M. Grégoire de Fournas (RN). Le choc thermique ne permet-il pas de lutter contre le développement de la bruche ?

M. Antoine Hacard. Nous avons travaillé sur les phéromones pour attirer les femelles insectes et les détruire. Cependant, il faut quatre voire dix pièges sur le terrain, ce qui nécessite de la main-d’œuvre. Or nous en manquons pour ce type de travaux. Le verrou de la rentabilité économique ne permet pas de dupliquer ces modèles sur le terrain. Terres Innovia s’est saisi du sujet. Le changement climatique entraîne des mois de juin dorénavant très chauds et secs au moment de la fleur du végétal. Un rendement de pois dans le nord du Bassin parisien représentait six tonnes par hectare il y a vingt ans ; ce rendement est aujourd’hui divisé par deux. Les causes de la chute de rendement de la culture de la protéine végétale découlent donc d’un ensemble de causes, entre le changement climatique, les insuffisances de la recherche génétique et le retrait de substances qui permettaient de lutter contre certains insectes ravageurs.

M. Grégoire de Fournas (RN). Concernant la génétique, qu’en est-il des autres pays producteurs ?

M. Antoine Hacard. Aujourd’hui, le concurrent du pois est le soja OGM. Les consommateurs qui ne peuvent consommer que du pois sont contraints de se tourner vers de la production canadienne alors même qu’ils préféreraient acheter du pois français. La génétique du pois canadien n’est cependant pas adaptée au climat français. Le pois d’hiver a suscité des espoirs, mais ne s’avère finalement pas si résistant au gel et suscite des problèmes complexes de bactériose. Nous trouverons des solutions mais aujourd’hui, c’est bien l’acte de production qui est primordial pour relancer notre autonomie protéique.

M. Grégoire de Fournas (RN). Vos interventions ont largement porté sur des problèmes de distorsions de concurrence et de capacité à rester compétitifs face aux productions étrangères qui ne sont pas soumises aux mêmes conditions. La loi EGAlim 2 avait tenté de protéger l’affichage des symboles de la France dans les productions dont le composant principal était produit en France. Ce dispositif n’a finalement jamais été mis en application, car contraire au droit européen. Quelle est la position de La Coopération sur ce sujet ?

M. Dominique Chargé. Nous resterons globalement attachés à la possibilité de bien identifier l’origine de qui compose les produits. Nous devons cette transparence aux consommateurs. En revanche, pour des produits alimentaires dont la principale problématique est le prix, nous faisons massivement appel à de l’importation. C’est aujourd’hui le cas pour les fruits et légumes, la volaille, et diverses autres productions. La filière laitière suit une trajectoire d’autosuffisance à horizon 2027 alors même que près de 40 % de notre production était exportée en 2017. Nous sommes donc bien évidemment attachés à ce que l’origine des produits issus de notre agriculture soit correctement affichée, mais cela ne pourra pas répondre à l’immense défi qui est devant nous, du fait de ces concurrences étrangères.

M. Grégoire de Fournas (RN). Dès lors, quelles seraient les solutions adaptées ?

M. Dominique Chargé. La consommation française s’est repositionnée sous le coup de l’inflation et de la baisse du pouvoir d’achat, avec d’une part une baisse en volume et d’autre part une descente en gamme. La mise en place de produits haut de gamme qui répondait aux souhaits de consommation d’une partie de la population se retrouve aujourd’hui dépositionnée, au profit de produits issus d’importations. Aujourd’hui, un poulet conventionnel importé d’Europe de l’Est ou, plus exactement d’Ukraine, possède un coût de production équivalent à 50 % du coût de production en France. Une grande partie de la solution passe donc par notre capacité à retrouver une acceptabilité sociétale face aux conditions de production pour pouvoir répondre à ce type de marché et par un choc de compétitivité et de simplification. Cela n’est pas un renoncement à nos engagements en termes de transition écologique ou de bien-être animal, mais nous sommes aujourd’hui dans l’incapacité de répondre à ces standards de consommation d’entrée de gamme ou de moyenne gamme.

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous arrivons au terme de cette audition, même si nous pourrions prolonger la discussion sur la question de la responsabilisation de l’ensemble des acteurs. Pour la filière de volailles de chair et d’œufs, on constate un enjeu de marges de la distribution entre les SIQO et l’entrée de gamme. Toute la chaîne de valeur est concernée.

M. Dominique Potier, rapporteur. Toutes les coopératives ne sont pas engagées avec la même intensité dans cette transition agroécologique. La fédération nationale essaie-t-elle de mobiliser les plus réfractaires ?

M. Dominique Chargé. Je ne qualifierais pas ces coopératives de réfractaires. Parfois, les conditions locales, économiques, pédoclimatiques ne permettent pas d’engager les transitions au même rythme. Mais l’ensemble des coopératives sont aujourd’hui engagées dans cette transition agroécologique. C’est bien le message et le sens de l’action et de l’accompagnement de la fédération.

M. Dominique Potier, rapporteur. Concernant le plan stratégique national (PSN) arrêté par la France dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), considérez-vous que des marges de manœuvre existent pour mieux accompagner la transition agroécologique et mieux soutenir les éleveurs engagés dans les évolutions de système ? Je pense à la crise des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) actuellement en Bretagne et ailleurs, à la baisse des écorégimes et à la faiblesse de leurs exigences agroenvironnementales. N’avonsnous pas raté un levier important pour accompagner économiquement les transitions des producteurs ?

M. Dominique Chargé. La transition dans laquelle nous nous sommes engagés doit privilégier l’action collective et l’action en organisations de producteurs. Nous représentons la forme d’organisation de producteurs la plus aboutie puisque nous allons de la mise en production jusqu’au consommateur. Pour accompagner cette transformation et cette transition, nous sommes entrés dans une démarche passant d’une logique de flux poussé à une logique de flux tiré, avec une mise en adéquation de l’offre de production par rapport aux demandes des marchés à la fois quantitatives, qualitatives, et de plus en plus en planification. Nous avons besoin de massifier les programmes opérationnels qui nous permettraient de déployer et de massifier les transformations dans nos organisations de producteurs.

M. Joël Boueilh. Concernant les mesures agroenvironnementales, la volonté est forte depuis 2019 d’engager les caves coopératives dans l’évolution vers la haute valeur environnementale (HVE) et le bio. Nous nous étions engagés à ce que, dans les cinq ans, 100 % des caves aient entamé cette démarche, avec au moins 50 % des exploitations viticoles. Nous atteignons 40 % quatre ans après. Le périmètre, le climat, et les conditions générales induisent un ralentissement de cet engagement. Il faut voir que lorsque les caves coopératives vont vers la HVE, les vignerons engagent toute leur exploitation, ce qui induit un phénomène de démultiplication. À l’échelle de ma cave coopérative par exemple, avec nos 4 000 hectares engagés en HVE, ce sont 20 000 hectares des exploitations de tous les vignerons qui se retrouvent engagés également.

Puis, la commission entend lors de sa table ronde réunissant des parlementaires européens :

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous poursuivons les auditions de cette journée avec un temps d’échange avec nos collègues européens. Je vous remercie de vous être rendus disponibles, alors que votre emploi du temps est très chargé. Sanctuariser cette heure d’échange était important. Les travaux de cette commission portent sur l’échec des politiques publiques en matière de réduction des produits phytopharmaceutiques. Après un déplacement à Bruxelles et une audition de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), nos réflexions se portent notamment sur l’articulation entre les objectifs fixés à l’échelle de l’Union et ceux de la nation. Nous souhaitons échanger avec vous sur votre perception de ce qui peut se jouer au niveau européen. L’enjeu de l’harmonisation et de la création d’indicateurs communs a été évoqué par plusieurs personnalités que nous avons auditionnées. Certaines ont également évoqué les conditions d’autorisation de mise en marché. La question du lissage des écarts de compétitivité sur le marché unique apparaît ainsi centrale dans les travaux de cette commission.

Nous aimerions aussi connaître votre point de vue sur la manière dont ce qui se passe en France est perçu. Nous avons accueilli hier des représentants du réseau Dephy, dont l’un est coordinateur de IPMWorks, un réseau de fermes qui s’étend sur 16 pays de l’Union et semble s’être largement inspiré du réseau Dephy créé en France.

Je suis donc heureux d’accueillir M. Pascal Canfin, M. Benoît Biteau et M. Gilles Lebreton. Avant de vous passer la parole, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Vous êtes tenus de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Pascal Canfin, M. Benoît Biteau et M. Gilles Lebreton prêtent serment.)

M. Pascal Canfin, président de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du groupe Renew Europe. Bonjour à tous, merci pour ce temps d’échange. Nous négocions actuellement la réglementation sur l’usage durable des pesticides (SUR) qui permettra d’harmoniser le cadre européen en la matière. Pour rappel, aujourd’hui, seuls trois pays sur vingt-sept possèdent des objectifs formalisés à l’échelle nationale de réduction de l’usage des pesticides. Nous passerons donc de trois à vingt-sept par définition puisqu’il s’agira d’un règlement – directement applicable, sans phase de transition ni interprétation divergente possible – et non d’une directive.

Un enjeu majeur des négociations porte sur l’aspect juridiquement contraignant de ce texte. Or nous sommes à présent certains que le règlement qui émanera du Parlement européen sera bien juridiquement contraignant, puisque ni la commission agriculture ni la commission environnement ne sont revenues sur le caractère légalement contraignant du texte. Je ne peux en revanche assurer que ce sera le cas en Conseil européen, puisque celui-ci possède un calendrier plus tardif que le nôtre sur ce dossier. La France doit porter l’ambition d’un caractère contraignant pour ce texte et vos travaux peuvent continuer à l’inciter à le faire.

Dans l’immédiat, je décrirai seulement une mesure du texte que nous avons introduite, celle des fameuses « clauses miroirs ». Nous avons, au Parlement européen, de manière unanime, introduit une clause miroir par principe. Aujourd’hui, ces clauses fonctionnent de manière spécifique, produit par produit. Il y a d’abord l’interdiction, puis l’enclenchement d’une procédure, puis l’adoption d’une éventuelle clause miroir, puis le délai OMC. Dans le cas présent, l’idée est de faire le contraire. Par principe, dès qu’un pesticide est interdit en Europe, il doit faire l’objet d’une clause miroir. C’est une bataille essentielle que la France mène, que nous menons de manière totalement transpartisane, je pense, au Parlement européen. Elle est de nature à changer la concurrence déloyale que vous pointez.

Mon troisième point concerne la nécessité de bien encadrer les entreprises qui produisent ces produits de protection des plantes. Comme nous l’avons encore vu cet été, certaines n’avaient pas délivré toutes les informations au régulateur européen, en l’occurrence à l’Efsa. Il existe aujourd’hui une différence entre le cadre européen et le cadre américain, qu’il faut réussir à résoudre. Le cadre européen demande aux entreprises qui produisent ces produits de fournir toutes les informations d’écotoxicité qu’elles jugent pertinentes. Ainsi, si l’entreprise ne juge pas une information pertinente, elle n’est pas obligée de la donner. Au contraire, dans le cadre américain, toutes les informations en la possession de l’entreprise doivent être transférées.

Cette différence a donné lieu à des interprétations et à des jugements différents de la toxicité des produits par les Américains et par les Européens, précisément parce que les informations transmises n’étaient pas les mêmes. J’insiste sur ce point, car c’est en ce moment même, dans le cadre de la négociation SUR, que nous devons régler cette question, sans attendre une éventuelle modification dans quelques années du règlement d’autorisation de mise sur le marché des pesticides. Il n’y a aucune raison que le droit européen soit plus laxiste que le droit américain. Lorsque les Américains ont obtenu les informations que nous n’avions pas, ils ont interdit les produits concernés alors que nous avons continué à les autoriser pendant plusieurs années.

M. Benoît Biteau, vice-président de la Commission de l’agriculture et du développement rural du groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE). Vous pouvez considérer que j’adhère à tout ce que vient de dire Pascal Canfin. Nous partageons les mêmes constats, la même ligne et les mêmes ambitions sur la réglementation. J’évoquerai donc d’autres points. Concernant la réglementation sur l’utilisation des pesticides, l’introduction de la clause miroir est très importante. Mais par ailleurs, aujourd’hui en Europe, certaines entreprises fabriquent des pesticides interdits d’utilisation en Europe et qui sont exportés hors de l’Union. Nous devons donc également essayer de trouver dans cette négociation une sorte de cohérence sur cette question.

Monsieur le président, vous avez aussi évoqué le sujet de l’homologation. Au travers du collectif Secret toxique, nous avons auditionné l’Efsa à deux reprises, pour examiner la façon dont les autorisations de mise en marché sont octroyées et dont les molécules sont homologuées. Les interlocuteurs de l’Efsa nous ont dit qu’ils ne possédaient pas aujourd’hui les moyens de faire scrupuleusement appliquer la réglementation actuellement en vigueur – cela vaut aussi pour les agences sanitaires nationales. Dans le cadre de la nouvelle réglementation, il nous faut combler ces manques.

De plus, la réglementation régissant l’évaluation des produits phytosanitaires omet aujourd’hui des pans entiers d’analyse : exposition à long terme, effets cocktail, rôle des métabolites de décomposition, coformulants. Nous espérons pouvoir faire progresser ces angles morts dans l’homologation et les autorisations de mise en marché grâce à la réglementation actuellement en discussion.

Enfin, le réseau Dephy s’avère effectivement très intéressant et porte des résultats plutôt encourageants. Il essaie de se décliner en réseau européen. Dans le cadre d’une exposition au sein du Parlement européen, nous avons d’ailleurs reçu le réseau européen IPM Works. Il montre que des solutions alternatives aux pesticides s’avèrent très efficaces, mais souffrent malheureusement d’un déficit d’accompagnement par les politiques publiques déployées à l’échelon européen ou national. En conséquence, même si nous enregistrons des résultats plutôt intéressants, nous ne parvenons pas à vulgariser ces expériences pour les rendre disponibles à grande échelle pour les agriculteurs.

Nous devons transformer en profondeur nos politiques publiques, tant européennes, avec la politique agricole commune (PAC), que nationales. En effet, certaines politiques nationales continuent de préférer alimenter des logiques curatives et soutiennent l’utilisation de pesticides parfois dangereux, plutôt que de tenter d’avancer sur l’accompagnement et la rémunération d’agriculteurs qui n’en utiliserait plus, ou moins. Dans une approche globale, ce renversement de tendance permettrait pourtant de gérer le sujet en amont avec des solutions préventives et d’anticipation.

M. Gilles Lebreton, membre de la Commission de l’agriculture et du développement rural du groupe Identité et Démocratie (ID). Je partage l’avis de mes deux collègues sur l’objectif général de réduction des pesticides. Cependant, j’appartiens à la majorité de la commission agriculture du Parlement européen qui éprouve quelques réticences à accepter le calendrier envisagé. Ma première inquiétude est la potentielle vitesse excessive de cette réduction. C’est la raison pour laquelle j’ai voté, avec la commission agriculture le 9 octobre dernier, un avis demandant de repousser l’objectif de réduction de 50 % de pesticides à l’horizon 2035 plutôt que 2030. Aller trop vite nous apparaît dangereux pour l’agriculture.

De même, la Commission agriculture est inquiète des clauses miroirs. Il y aurait quelque paradoxe à interdire un grand nombre de pesticides en Europe, si, parallèlement, nous importions des produits non européens qui recourent à ces mêmes pesticides. Il y aurait là une concurrence déloyale. Je suis donc comme mes collègues évidemment favorables à l’exigence d’une clause miroir sur les pesticides. Je reste cependant sans illusion et crains que nous n’y parvenions pas à court terme. En commission agriculture, nous avons ce matin débattu de la modernisation de l’accord signé avec le Chili. Celui-ci inclut désormais un chapitre dédié à la durabilité, mais aucune sanction n’est attachée à l’irrespect éventuel de cette durabilité. Il ne s’agit donc pas d’une véritable clause miroir. Aujourd’hui, ces clauses restent des vœux pieux. Dans les années qui viennent, nous allons appliquer notre plan de réduction des pesticides en Europe, mais, parallèlement, nous ne serons pas capables de faire appliquer des clauses miroirs. Nous ferons donc courir le risque à notre agriculture d’une concurrence déloyale. Mon propos n’est pas de renoncer à l’objectif de réduction des pesticides, mais bien de montrer les risques qui pèsent sur nous.

Concernant l’échec relatif de la politique de réduction des pesticides jusqu’à présent, la première cause est justement la réticence des agriculteurs à accepter l’idée d’aller vers une concurrence déloyale. Cette objection m’est opposée dans toutes les exploitations que je visite. La deuxième cause est l’absence de politique publique visant à promouvoir des solutions de substitution aux pesticides. Comme M. Biteau l’a dit, des solutions existent déjà, même si elles ne font pas de miracle. Nous pourrions d’ores et déjà obtenir de meilleurs résultats en les combinant. L’agriculture de précision, avec le recours à l’intelligence artificielle, pourrait permettre de diminuer considérablement le recours aux pesticides. De même, les nouvelles techniques génomiques (NTG) pourraient permettre d’élaborer des plantes et des cultures plus résistantes, qui auraient moins besoin de pesticides. De nombreuses solutions existent.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous peinons fortement à obtenir une idée du positionnement de la France en termes d’engagements publics et privés en faveur de la réduction des produits phytosanitaires, ainsi qu’en termes de résultats. Connaissez-vous une source qui nous permettrait de déterminer précisément cette place ?

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Je n’ai rien de plus à partager avec vous que ce que vous connaissez grâce aux chiffres sur la réduction des pesticides en France qui ont été rendus publics encore récemment.

M. Dominique Potier, rapporteur. Mon propos concerne le positionnement de la France par rapport aux autres États membres.

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Il est impossible de comparer un pays à un autre sans tenir compte des différences de nature de production. Les pays scandinaves ont par exemple davantage réduit les pesticides que nous, alors que l’Espagne les utilise plus largement. Le recours ne diminue pas dans les pays de l’Est, mais le niveau de départ est plus faible. Des configurations très différentes existent, ce qui rend d’ailleurs la négociation européenne très complexe pour fixer des objectifs nationaux. Les points de départ sont différents et les cinq ou six dernières années sont également caractérisées par des rythmes très différents. Dans le nouveau texte européen en négociation, nous avons justement tenu compte du fait que nous ne pouvions pas demander les mêmes efforts à des pays qui possèdent un niveau plus faible de départ, notamment les pays de l’Est, et continuer à demander des efforts à ceux qui viennent déjà d’en fournir de manière significative, notamment les pays du Nord. La France n’est clairement pas le pays qui utilise le moins de pesticides ni celui qui les a le plus réduits. Nous ne sommes pas le meilleur élève européen, mais pas le pire non plus. Étant une très grande puissance agricole, notre pays est bien évidemment l’un de ceux qui utilisent le plus de pesticides en volume.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Les physionomies agricoles ne sont en effet pas homogènes sur le continent européen. L’addiction aux pesticides n’est pas exactement la même en fonction de la typologie des structures agricoles. En Roumanie par exemple, 97 % des structures font moins de trois hectares. Ce pays n’est pas trop consommateur de pesticides parce qu’il possède encore de la main-d’œuvre paysanne et familiale. Ce genre de situation crée des disparités importantes d’un pays à l’autre.

La position française reste trop influencée par le syndicat agricole majoritaire dont on sait qu’il est proche d’orientations qui ne s’inscrivent pas dans la lignée de la réduction des pesticides. De ma fenêtre en tout cas, j’ai l’impression que la position de la France manque encore un peu d’ambition sur la volonté de réduire l’utilisation des pesticides. Or nous pouvons nous autoriser aujourd’hui à avoir des ambitions élevées sur la réduction des pesticides, car de plus en plus d’éléments techniques et scientifiques montrent que des alternatives existent. Le recours à l’agronomie apporte de véritables réponses.

Par ailleurs, les députés européens devraient également se pencher sur les attentes sociétales. Regardez les initiatives citoyennes européennes (ICE). Il s’agit de pétitions qui doivent récolter en un an plus d’un million de signataires dans sept États membres différents pour peser sur l’évolution des réglementations européennes. Depuis que ce dispositif existe, huit ICE ont été au bout de la démarche, donc cinq traitent d’agriculture et d’alimentation. La société civile, les citoyens, sont attachés à l’évolution de nos pratiques agricoles et de la manière dont nous produisons de l’alimentation. Toutes ces ICE vont dans le sens de la sortie d’une agriculture qu’on peut qualifier d’intensive, productiviste ou industrielle, mais ne se traduisent malheureusement pas dans les politiques publiques développées par l’Union européenne. J’apprécierais que la France, principal pays agricole d’Europe, soit sensible à ces attentes sociétales et citoyennes. Dans le cadre de ces initiatives citoyennes européennes, nous avons toujours eu accès à des études scientifiques extrêmement pointues qui montrent que des alternatives sont possibles grâce au choix de solutions agronomiques.

M. Gilles Lebreton (ID). Comme mes collègues l’ont dit, la France n’est pas le meilleur élève en matière d’utilisation de pesticides, mais ce n’est pas le pire non plus. Le type de cultures et les traditions varient largement d’un pays à l’autre. En Autriche, la décision a été prise de développer énormément l’agriculture biologique. Ce pays est donc mécaniquement bien placé en termes d’utilisation de pesticides. En France, notre agriculture est différente. Nous avons choisi de produire beaucoup, un objectif tout à fait honorable, notamment pour un enjeu de sécurité alimentaire. Nous avons donc été amenés à utiliser davantage de pesticides que d’autres pays qui ne possédaient peut-être pas cette même ambition agricole. Pour autant, je ne pense pas que l’image de l’agriculture française soit mauvaise au sein des institutions de l’Union européenne. Notre pays se trouve plutôt dans le milieu du peloton et donne l’impression d’avoir les moyens de pouvoir réduire assez rapidement sa consommation de pesticides. Les expérimentations en cours en France s’avèrent à ce titre prometteuses et il ne faut surtout pas sombrer dans le pessimisme.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ma question suivante concerne les clauses miroirs. Leur importance fait quasiment consensus et c’est bien leur efficience qui est mise en cause. Comment la garantir ? S’agit-il de contrôles sur site des moyens de production, ou de mesures des limites maximales de résidus (LMR) réalisées à l’entrée des frontières de l’Europe ? Des innovations sont-elles envisagées ou le flou préside-t-il toujours à une sorte de consensus mou sur le principe de clause miroir sans que personne ne sache comment les mettre en place de manière effective et sûre ? Les amendements qui visent à ce que tout pesticide interdit en France soit également interdit à l’importation ne peuvent que rassembler une majorité, mais encore faut-il qu’ils puissent être mis en œuvre effectivement.

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Tout d’abord, ce sujet fait consensus en France, mais nous sommes quasiment le seul pays européen dans lequel c’est le cas. Un important travail d’explication est nécessaire, et nous y contribuons à notre échelle de parlementaire européen de manière transpartisane. Vous pouvez quant à vous y contribuer par vos échanges bilatéraux. Au Conseil, la France se retrouve très souvent minoritaire sur ce point, alors même qu’au Parlement européen, la bataille culturelle est gagnée.

Par ailleurs, pour répondre à M. Lebreton, il ne faut pas confondre les clauses miroirs avec les accords commerciaux. Les clauses miroirs sont placées dans notre droit européen souverain, et non dans les accords commerciaux que nous négocions. Il n’existe donc pas de clause miroir dans nos accords commerciaux. En revanche, notre droit peut stipuler qu’un produit importé contenant des résidus de pesticides interdits en Europe ne peut pénétrer dans nos frontières.

Enfin, vous avez raison, plusieurs types de clauses miroirs existent. En revanche, ce n’est pas pour autant qu’elles sont floues. Certaines clauses permettent de regarder le mode de production dans le pays d’origine. D’autres relèvent simplement d’une analyse de traçabilité à l’entrée d’un produit en Europe. Par exemple, dans le cadre de la directive sur les émissions de l’industrie d’une part, et d’une forme d’agriculture intensive notamment liée à l’élevage d’autre part, nous négocions une clause miroir relative aux modes de production. L’idée est de s’assurer que les émissions de polluants liées à l’élevage de poulets – par exemple ukrainiens, brésiliens ou thaïlandais – atteignent le même niveau de performance que celui demandé à nos propres éleveurs. Nous devons jouer sur tous les types de clauses miroirs pour être le plus efficaces possible.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Avant d’aborder les clauses miroirs, je souhaite préciser que produire beaucoup n’a aucune corrélation avec les pesticides. Aujourd’hui, nous savons produire beaucoup sans utiliser de pesticides. De plus, le rôle des politiques nationales est fondamental. L’exemple de l’Autriche est à ce titre remarquable. Au sein même de l’Europe, avec une même PAC, certaines politiques nationales favorisent davantage le bio. La déclinaison nationale de la PAC ne produit pas les mêmes résultats en fonction des choix nationaux.

Par ailleurs, les mesures miroirs concernent effectivement la réglementation européenne ; il ne s’agit pas de discussions ouvertes à l’occasion d’accords de libre-échange. En donner une définition exacte pourrait être une erreur. Il faut garder une certaine agilité pour pouvoir les décliner sur des thématiques suffisamment larges. Dans le cadre de l’élevage, nous pourrions imaginer une clause miroir n’ayant rien à voir avec les pesticides et qui porterait sur le bien-être animal. Une définition trop étroite pourrait nous empêcher de favoriser certaines solutions par ce canal.

M. Gilles Lebreton (ID). Sur les clauses miroirs, il faut distinguer les aspects techniques des aspects juridiques. M. Canfin a très bien défini les aspects techniques. Il y a plusieurs façons de les concevoir. Pour les pesticides, nous pouvons prévoir une mesure des résidus situés dans les produits d’importation avec, le cas échéant, un blocage à l’entrée. Pour être plus ambitieuses, les clauses miroirs pourraient porter sur les modes de production. Seulement, la réalité juridique est plus complexe. C’est d’ailleurs pourquoi je me bats contre les dispositions agricoles des traités de libre-échange. M. Canfin, vous aurez beau prévoir toutes les clauses miroirs du monde dans la réglementation européenne, dès lors que, parallèlement, nous laissons l’Union européenne passer des traités de libre-échange en matière agricole avec le reste du monde et prévoir justement l’absence de clause miroir dans ces traités, nous nous condamnons à ne plus appliquer nos clauses miroirs européennes vis-à-vis des pays avec lesquels nous avons passé ces traités de libre-échange.

C’est exactement comme en droit national. Si nous dérogeons à certaines dispositions de la loi française en concluant des traités, ce sont bien les dispositions des traités qui s’appliquent. Nous sommes en train de déroger aux clauses miroirs par la multiplication de traités de libre-échange. L’accord avec le Chili n’inclut pas de clause miroir et la réglementation européenne ne sera donc pas applicable dans ce pays. Ce problème est très grave, et c’est pourquoi je me tue à essayer de porter en commission agriculture le débat sur les traités de libre-échange. Je me vois objecter que le sujet ne relève pas de notre commission, mais il ne relève malheureusement pas de la commission environnement non plus. Je ne doute pas de la volonté de mes collègues d’inscrire des clauses miroirs dans la réglementation européenne, mais je reste pessimiste, car nous risquons de ne pas pouvoir les faire appliquer.

M. Dominique Potier, rapporteur. Estimez-vous que le plan stratégique national français (PSN) est suffisamment ambitieux pour entrainer une transition agroécologique dont tous les experts s’accordent à dire qu’elle représente à peu près 80 % de la solution en termes de maîtrise des impacts des pesticides ?

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Cette question est large. Je pense que le PSN pourrait être encore plus ambitieux. Nous adoptons des réglementations qui permettent aux agriculteurs d’avoir accès aux alternatives aux pesticides chimiques. À ce titre, le biocontrôle est un élément clef que la réglementation pesticide encouragera fortement. S’ajoutent les nouvelles techniques génomiques lorsqu’elles sont utiles pour réduire les pesticides. L’ensemble des leviers à disposition peut permettre d’étendre l’ambition de ce plan.

Pour finir, je reste en complet désaccord avec les propos de M. Lebreton. Aucun accord commercial ne revient sur les règles que nous nous sommes fixées de manière souveraine. Nous pouvons négocier des volumes ou des tarifs, mais en aucun cas nous ne négocions à la baisse pour créer des gruyères de réglementations différentes selon les pays d’importation. Ce phénomène n’existe pas, mis à part, peut-être, dans les tracts du Rassemblement National.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Il était en effet important, M. Canfin, de rappeler le cadre réglementaire. Nous considérons évidemment que le PSN n’est pas suffisamment ambitieux. Nous continuons à perfuser une agriculture dépendante des pesticides tout en étant certifiée de haute valeur environnementale (HVE), et qui ne mériterait pas d’être accompagnée à ce niveau. Je m’appuie également sur une présentation de la commission agriculture sur une première évaluation des dossiers PAC déposés le 15 mai dernier. 99,6 % des agriculteurs français valident les écorégimes avec des pratiques qui ne sont pas fondamentalement différentes de la période où ces écorégimes n’existaient pas. Le PSN n’est donc pas, en l’état, un levier pour le changement.

M. Gilles Lebreton (ID). J’estime au contraire que le plan stratégique national français est pertinent. Il avait fait l’objet d’un dialogue avec la Commission qui l’a agréé après avoir sollicité quelques modifications. Il pourra effectivement s’avérer plus ambitieux à l’avenir, mais cela constitue un bon point de départ. Commencer prudemment était une bonne chose pour éviter de brutaliser l’agriculture. Le niveau d’exigences augmentera sans doute dans les années à venir, conformément à ce que l’Union européenne prévoit. La France tient son rang, joue son rôle et n’a pas à rougir de ses avancées en matière d’agriculture.

M. Dominique Potier, rapporteur. Parmi les innovations du projet de règlement SUR, on trouve l’interdiction d’exporter des pesticides interdits en Europe. Il s’agit, pour rappel, d’une innovation du Parlement français, votée contre l’avis du gouvernement. Je suis heureux qu’elle fasse aujourd’hui consensus à l’échelle européenne. C’est une très bonne nouvelle. Deux autres innovations françaises n’ont pas encore été adoptées à l’échelle européenne et pourraient l’être demain. La première est la capacité à préserver des crédits disponibles en permanence pour déclencher des études post-mise en marché. Il s’agit de la procédure de phytopharmacovigilance, qui offre des résultats extraordinaires en France en termes d’études in situ, et permet de remettre en cause la mise en marché de certains produits. Avez-vous envisagé de généraliser ce dispositif innovant en Europe ?

La seconde innovation est la définition juridique du biocontrôle, adoptée dans le cadre d’une loi votée en 2014. Cette définition permet de prioriser ces solutions dans les programmes d’homologation, ce qui en fait un véritable accélérateur du changement. Il n’y a pas d’équivalent en Europe, précisément parce qu’il n’existe pas de définition du biocontrôle à ce niveau. Le règlement SUR pourrait-il y remédier ?

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Je n’ai aucune information sur le premier point que vous avez évoqué. Je note donc cette question et pourrai peut-être vous répondre plus tard par écrit. En revanche, nous avons précisément voté sur votre deuxième point en commission de l’environnement hier. Nous avons largement facilité l’obtention et l’accélération des permis de mise sur le marché du biocontrôle – incluant l’ensemble des processus pour y parvenir – afin d’atteindre plus rapidement l’objectif de remplacement des pesticides chimiques par des produits beaucoup moins nocifs pour l’environnement, tout en étant efficaces. Nous nous inspirons des bonnes pratiques. Deux pays en Europe sont reconnus pour leurs bonnes pratiques en la matière : la France et les Pays-Bas.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Tout d’abord, sans vouloir enclencher un débat avec M. Lebreton, je ne vois pas à quel moment nous brutalisons l’agriculture quand nous l’engageons, l’encourageons et l’accompagnons vers des solutions sociales, écologiques et économiques. Aujourd’hui, moins utiliser de pesticides est aussi une réponse économique à la difficulté que les agriculteurs rencontrent.

Concernant la procédure d’homologation, le travail de Secrets toxiques permet de mettre en lumière le fait que nous avons besoin de davantage de moyens pour mieux évaluer les pesticides avant leur homologation. Nous devrons effectivement porter cela dans les débats européens. Nous devons effectivement avancer sur le biocontrôle et mettre en avant ce genre de solutions qui permettent de réduire la dépendance aux pesticides de synthèse.

M. Gilles Lebreton (ID). Le biocontrôle constitue un sujet assez consensuel et j’y suis bien sûr également favorable. Pour répondre à M. Biteau, ma position ne consiste pas à défendre coûte que coûte les pesticides. L’objectif reste bien la réduction des pesticides et le biocontrôle est donc à encourager dans ce cadre. Je ne suis pas du tout hostile par principe à ce que mes deux collègues mettent en avant.

M. le président Frédéric Descrozaille. À l’échelon européen, l’analyse du risque est confiée à l’EFSA, qui approuve ou non des principes actifs. Lorsqu’elle les approuve, notamment pour le glyphosate, elle se cantonne à déclarer que l’exposition au danger, c’est-à-dire le risque, est gérable. La gestion est renvoyée aux États membres qui, eux, interdisent ou autorisent des mises en marché. Estimez-vous qu’un consensus est accessible au Parlement européen autour de l’idée de transférer la gestion du risque au niveau européen ?

Si cette évolution apparaît réaliste, la gestion du risque serait-elle confiée à l’Efsa, qui fusionnerait analyse et gestion comme c’est le cas de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) en France, ou serait-elle confiée au Conseil de l’Union ? Enfin, cette gestion pourrait-elle être uniforme sur l’ensemble du marché ou bien nécessairement répartie par zone ?

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). C’est exactement ce que la France porte aujourd’hui sur la question du glyphosate. Nous pensons que c’est possible de le faire en partie sans avoir besoin de changer le droit. La note technique fournie par les autorités françaises tente de montrer que, sur le glyphosate, il est possible d’avoir un traitement harmonisé européen des restrictions d’usage. La gestion pourrait se faire au niveau européen, probablement par l’Efsa, et tiendrait compte des différences topographiques, des différences locales pertinentes. Si les conditions en sont harmonisées au niveau européen, les résultats de cette analyse commune peuvent en revanche être différents.

Faut-il changer le droit dans le sens que vous évoquez ? Ce serait mieux. Un consensus sera-t-il trouvé à court terme pour le faire ? Je ne peux vous répondre, car cette question n’est même pas sur la table. Aujourd’hui, aucune révision du dispositif d’autorisation n’a été proposée par la Commission, malgré les engagements pris dans le cadre du Green Deal. Ce sera un sujet majeur pour le prochain mandat 2024-2029.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Nous ne pouvons en effet pas déterminer si un consensus existe au Parlement européen puisque la question n’a pas été testée. J’estime que l’Efsa doit bénéficier de moyens supplémentaires pour devenir le chef de file sur le territoire européen. Par ailleurs, la gestion par zone pourrait être pertinente. Cependant, il faut tenir compte, non pas des spécificités de production, mais du statut de la zone en termes de risques, sur la ressource en eau par exemple, la proximité avec un littoral, ou encore la protection d’espèces patrimoniales.

M. Gilles Lebreton (ID). Ce transfert de la gestion du risque à l’Union européenne sera sans doute débattu lors du prochain mandat. Il n’est pour l’instant pas d’actualité. L’organe qui pourrait en être chargé serait bien sûr l’Efsa, dont c’est la spécialité. À mon avis, il serait effectivement préférable d’appliquer une gestion par zone pour tenir compte des spécificités de chaque territoire. De façon générale, tout ce qui est trop uniforme en matière agricole au niveau de l’Union européenne me fait peur.

M. Jean-Luc Fugit (RE). S’agissant des alternatives, nous avons parlé du biocontrôle, des solutions génomiques et des NBT (new breeding techniques). Comment voyez-vous l’avenir, et comment enclencher un travail au niveau européen ?

Par ailleurs, nous venons de discuter d’une proposition de résolution européenne sur le glyphosate. À cette occasion, nous avons évoqué les rôles de l’Efsa et de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Cette dernière analyse le danger d’une molécule, ce qui est à distinguer du risque. Or, nous avons entendu des remises en cause du rôle de ces deux agences. Quel regard portez-vous sur les rôles respectifs de l’Efsa et de l’Echa et sur leur lien avec les autorités françaises comme l’Anses ? Estimez-vous que nous pouvons nous fier à l’Efsa et l’Echa, ou bien, comme certains le considèrent, qu’elles sont soumises à diverses pressions ?

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Concernant les alternatives, je pense que la pire entrée sur le sujet serait de ne pas les additionner, mais de commencer à les soustraire. Les additionner implique un changement de pratiques, en développant l’agroécologie, la rotation des cultures, la diversification, l’agriculture de précision, le biocontrôle accéléré et simplifié, et les NBT lorsque leur intérêt au regard des objectifs du Green Deal – notamment la réduction des pesticides, mais également l’adaptation aux changements climatiques – est avéré. Associer un NBT à un pesticide n’offrirait en revanche aucun gain.

Par ailleurs, ceux qui remettent en cause l’Efsa et l’Echa possèdent souvent une analyse à géométrie variable. Ils estimeront que ces agences sont formidables pour un dossier qui les arrange, mais qu’elles sont soumises à conflit d’intérêts pour un autre dossier. Nous pouvons bien évidemment faire confiance à ces agences alors que leur système de traçabilité a été renforcé, ainsi que les dispositions en matière de lutte contre les conflits d’intérêts. Le système n’est naturellement pas parfait et nous restons dans une logique d’amélioration permanente. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il ne faut plus faire confiance à ces autorités.

J’invite d’ailleurs tout le monde à lire l’avis de l’Efsa sur le glyphosate, qui s’avère bien plus équilibré que les interprétations qui en sont faites. D’une part, l’Efsa estime que le risque n’est pas suffisant pour interdire le produit. D’autre part, elle note que son analyse ne peut qu’être lacunaire, que les coformulants ne sont pas évalués et que les impacts sur la biodiversité devraient être approfondis. Elle estime qu’il faut donc analyser plus finement la situation plutôt que de simplement réautoriser le glyphosate sans aucune restriction, comme le propose malheureusement la Commission européenne.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Personnellement, je crains les alternatives qui représentent des fuites en avant et créent de nouvelles dépendances pour les agriculteurs. La stratégie du développement de l’agriculture basée sur le numérique, la robotique et la génétique, revient à déplacer une dépendance aux pesticides aujourd’hui très coûteuse pour les agriculteurs, vers une nouvelle dépendance à des technologies qui peuvent également coûter très cher. En élargissant le champ d’investigation au-delà du simple aspect sanitaire, ces solutions revêtent un impact non négligeable sur la biodiversité, la qualité de l’eau, ou encore la qualité de l’air. Attention à ne pas se fourvoyer avec de nouvelles dépendances techniques, donc de nouvelles dépendances économiques pour les agriculteurs, qui les mettent parfois en difficulté financière, et qui ne s’avèrent en outre pas du tout à la hauteur des enjeux. Je pense ainsi que les NGT ne constituent pas la bonne réponse, d’abord parce qu’elles menacent la biodiversité domestique, soit les semences locales, qui seront pourtant très utiles aux agriculteurs à l’avenir.

En revanche, je considère que le biocontrôle doit être poussé et fait justement partie des réponses agronomiques.

Par ailleurs, la problématique des agences Efsa et Echa se retrouve trop souvent confinée à l’enjeu exclusivement sanitaire. Or le glyphosate induit également un enjeu pour la biodiversité. La France a elle-même écrit à l’Efsa pour relever que l’évaluation du produit ne prenait absolument pas en compte cet aspect. C’est un écueil terrible alors que la biodiversité est un enjeu central et que l’agriculture est un acteur déterminant dans la préservation de la biodiversité. Je vous invite moi aussi à lire le rapport de l’Efsa dans sa globalité. La première page propose en effet de réhomologuer le glyphosate, mais le rapport exhaustif contient des sujets d’inquiétude majeurs, notamment sur l’exposition dans la durée sur les mammifères. Or, jusqu’à nouvel ordre, les êtres humains sont des mammifères et nos enfants sont des mammifères qui se retrouveront exposés dans la durée.

Je pense qu’il faut renforcer le rôle de l’Efsa. Il faut lui donner les moyens d’aller investiguer beaucoup plus loin qu’elle ne le fait aujourd’hui. Les travaux de Secrets toxiques ne visent d’ailleurs pas à faire disparaître l’Efsa, mais bien à pointer les manques actuels. L’Efsa doit avoir les moyens de nous éclairer beaucoup mieux qu’elle ne le fait aujourd’hui sur des sujets aussi importants que notre santé et la biodiversité. Ses éclairages doivent être les plus précis possibles et les plus complets possibles pour favoriser la prise de décision.

M. Gilles Lebreton (ID). Les alternatives au glyphosate sont nombreuses et il faut toutes les envisager. Outre le biocontrôle, l’agriculture de précision et les NGT apparaissent pertinentes. L’idée n’est pas de fabriquer des plantes accompagnées de pesticides, mais bien des plantes qui permettraient de diminuer, voire de supprimer, si nous y parvenons, l’utilisation de pesticides. C’est une solution d’avenir et cette position est d’ailleurs celle de la majorité des groupes qui siègent à la commission agriculture du Parlement européen.

Par ailleurs, je n’ai également aucun doute sur la légitimité des agences européennes, notamment de l’Efsa. Son avis s’est retrouvé caricaturé par une certaine presse. Il apparaît pourtant en réalité fortement motivé. Il précise que, s’il n’y a pas de preuve du caractère cancérigène du produit, de nombreuses interrogations subsistent en revanche. C’est pourquoi mon groupe a été surpris par la proposition de la Commission de réautoriser le glyphosate pour dix ans, ce qui ne correspondait pas exactement au rapport de l’Efsa. Au Rassemblement national, nous avons préféré nous prononcer pour un renouvellement de cinq ans, justement pour permettre à l’Efsa d’approfondir son analyse.

Mme Laurence Heydel Grillère (RE). Mon collègue Jean-Luc Fugit me demande de vous préciser qu’il a bien lu le rapport de l’Efsa et qu’il en a tenu compte pour l’ensemble de ses interventions. Pour ma part, dans le cadre de nos différentes auditions, j’ai entendu plusieurs représentants de filières évoquer la disponibilité, dans d’autres pays européens, de solutions – y compris de biocontrôle – non utilisés en France parce que non autorisées. Si ces produits s’avèrent pratiques et efficaces, pourquoi ne les utiliserions-nous pas en France ?

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). En 2018, Monsanto a été condamné aux États-Unis à indemniser un fermier américain malade du cancer depuis plusieurs années, et qui avait été exposé au glyphosate. Son avocat s’était appuyé sur les Monsanto Papers qui avaient révélé en 2017 que les études déclarant le glyphosate non cancérigène avaient été trafiquées par Monsanto. Ces études avaient été utilisées par l’Efsa et la Commission européenne pour évaluer le glyphosate en vue de sa réhomologation. En réaction à ce scandale, le Parlement européen a créé une commission spéciale (Pest) qui avait pour mission de trouver des solutions pour limiter les risques liés à l’utilisation des pesticides de l’amont à l’aval. Cette commission a proposé 109 recommandations qui ont été votées par le Parlement européen. Parmi elles se retrouvait notamment le renforcement de la transparence dans le processus d’homologation européen. Selon une étude qui a été menée par PAN Europe, seules 15 % des recommandations auraient été suivies d’effets. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, d’après Transparency International, le rapport entre les membres du Parlement européen et les lobbyistes est d’un pour cinquante. Selon une étude Agrapresse, le dossier des pesticides est le plus concerné par les actions de lobbying, de la part des entreprises agrochimiques. Quel lien faites-vous entre ce lobbying et les décisions politiques en matière de réglementation des pesticides ? Je vous remercie.

M. Pascal Canfin (Reniew Europe). Concernant la première question, sur le caractère plus restrictif du droit français, je serais tenté de vous renvoyer la question. Sur le biocontrôle, je pense évidemment que nous devons agir dans une direction la plus ambitieuse possible.

S’agissant des améliorations à apporter au système d’évaluation et donc d’autorisation de mise sur le marché, plusieurs pistes existent. Cela ne signifie pas pour autant que le système actuel doit être rejeté. Il ne faut cependant pas renoncer à l’améliorer constamment. Il y a d’abord la question des coformulants. Un avis de la Cour européenne de justice oblige l’Efsa à évaluer la totalité des coformulants, ce qu’elle ne fait pas encore, faute de moyens. Or le glyphosate comme les autres produits ne sont jamais utilisés seuls, mais avec des coformulants. La totalité de leur toxicité et de leur impact n’est donc pas analysée.

Il y a aussi la question des effets cocktails. Nous évaluons la toxicité molécule par molécule, produit par produit. Or, que ce soit pour la biodiversité, pour nous, ou pour les agriculteurs, l’addition de ces molécules et les effets cocktail ne sont pas mesurés. Il s’agit, là encore, d’un énorme manque.

Pour finir, le dernier point majeur d’amélioration porte sur les informations transmises. Aujourd’hui, le cadre européen reste plus laxiste que le droit américain. Nous ne réclamons les études d’écotoxicité que si l’entreprise concernée trouve que c’est pertinent. C’est pourtant à nous et aux autorités publiques, en commençant par l’Efsa et la Commission, de juger si une information est pertinente ou non. Nous devons absolument utiliser le changement de texte sur la réglementation pesticides pour modifier notre droit en la matière. Le Monde en France et le Guardian au Royaume-Uni ont d’ailleurs démontré que le système européen était défaillant sur ce point. Charge à nous de résoudre ce problème de fond.

M. Benoît Biteau (Verts/ALE). Si des produits sont utilisés dans d’autres pays d’Europe, c’est que la réglementation européenne le permet. S’ils sont restreints en France, c’est que la réglementation française les a restreints. Comme Pascal Canfin, je vous retourne donc la question. Si vous identifiez des écarts entre la réglementation européenne et la réglementation nationale, je vous invite, en tant que parlementaires, à corriger la loi si ces utilisations constituent des réponses pertinentes.

Nous avons effectivement identifié d’énormes manques dans les procédures d’homologation. Certaines homologations ne sont pas conformes à la réglementation en vigueur, notamment sur les coformulants et les expositions à long terme. L’actuelle réglementation est elle aussi en cause, puisqu’elle ne prend pas en compte l’effet cocktail des molécules entre elles, avec les coformulants ou avec les métabolites de décomposition. Il faut faire avancer la réglementation pour pallier ce déficit. Bien évidemment, si Bayer a ouvert son chéquier à hauteur de dizaines de milliards de dollars pour indemniser les victimes, c’est que son produit n’est pas anodin et que le groupe savait qu’il aurait perdu dans le cadre d’une action en justice. Comme Pascal Canfin l’a souligné, il existe une différence dans la constitution des dossiers d’évaluation de la toxicité entre l’Europe et les États-Unis. Nous ne pouvons plus laisser aux firmes la possibilité de nous dire qu’une information est pertinente ou non. Il faut travailler sur l’exhaustivité des évaluations afin de ne plus constater de tels décalages dans la gestion de la dangerosité des produits entre l’Europe et les États-Unis.

M. Gilles Lebreton (ID). Tout d’abord, je partage l’avis de mes collègues, il faut renforcer le contrôle des processus d’homologation. Il y a eu des défaillances européennes en la matière, il faut l’avouer, mais je ne doute pas que nous y ferons face progressivement. La prise de conscience est là et les remèdes arriveront donc bientôt.

Ensuite, le lobbying est un phénomène réel à Bruxelles. Mettons de côté les cas de corruption qui restent rares, même s’ils ont récemment été illustrés par le Qatargate. En matière agricole, nous sommes évidemment au contact de divers lobbys : celui des producteurs de pesticides, celui des syndicats d’agriculteurs, celui des associations environnementales opposées aux pesticides. Les pressions que nous recevons s’équilibrent donc. En définitive, les députés agissent en leur âme et conscience. Preuve en est, la réduction des pesticides a globalement fait consensus. Certains souhaitent progresser plus rapidement et d’autres plus lentement, mais, fondamentalement, nous n’avons observé aucune réticence à accepter cet objectif. J’espère vous avoir rassuré. Le Parlement européen n’est pas un lieu de perdition. C’est un lieu où nous travaillons le plus sérieusement possible.

Enfin, la commission procède à l’audition de M. Jean-Yves Le Déaut, coprésident d’un groupe de travail sur le thème « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, estce possible et si oui, comment ? » à l’Académie d’agriculture de France, accompagné de M. Jean François Molle, secrétaire du groupe de travail.

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous accueillons, M. Jean-Yves Le Déaut et M. Jean François Molle au titre d’un groupe de travail mis en place par l’Académie de l’agriculture qui aborde précisément les enjeux traités par cette commission d’enquête.

L’Académie de l’agriculture contribue très librement et très utilement à éclairer les décideurs publics sur les questions agricoles et en lien avec l’agriculture. Jean-François Molle est secrétaire et Jean-Yves Le Déaut président du groupe de travail. Parmi de nombreuses fonctions parlementaires, ce dernier a été président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de 2014 à 2017.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Vous êtes tenus de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Je vais donc vous demander de lever la main droite et de dire : « Je le jure. »

(M. Jean-Yves Le Déaut et M. Jean François Molle prêtent serment.)

M. Jean-Yves Le Déaut, président du groupe de travail « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, est-ce possible et si oui, comment ? » à l’Académie d’agriculture de France. Le thème de notre groupe de travail est : « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, est-ce possible, et si oui, comment ? » L’Académie d’agriculture de France note une grande disparité de positions et une absence de dialogue entre les parties prenantes. Bien souvent, une focalisation se fait sur un enjeu unique, en négligeant la variété des biens communs ou des horizons de temps concernés. Nous avons constitué ce groupe de travail avec une diversité d’acteurs, et non avec des membres de l’Académie uniquement. Il se compose ainsi de dix académiciens et de dix personnalités provenant du monde de la recherche, de l’industrie, ou encore des associations, incarnant ainsi une variété de positions.

M. Jean François Molle, secrétaire du groupe de travail. Il y a dix ans, le problème des abeilles et pollinisateurs et de l’impact des pesticides était très prégnant. Or peu de débats entre les parties prenantes existaient. J’avais donc proposé à l’Académie de constituer un groupe réunissant l’ensemble des parties prenantes de la recherche, des apiculteurs, des académiciens, des industriels… L’idée était, d’une part, d’arriver à une position rationnelle dès lors qu’on quittait l’espace public de débat et les figures imposées, les estrades où chaque acteur avait tendance à défendre le point de vue de son organisation sans vraiment de possibilité d’évolution. D’autre part, un avis de l’Académie seule aurait sans doute eu un intérêt, mais un impact limité. Au contraire, un avis signé de la part de parties prenantes très diverses serait bien plus écouté. Nous avons donc constitué un groupe réunissant des acteurs variés, à la satisfaction de tout le monde, aussi bien des académiciens que des syndicats apicoles. Les travaux de l’Académie avaient été présentés à la réunion annuelle des apiculteurs cette année-là, en 2010.

Nous avons constaté qu’il était possible d’atteindre des positions consensuelles fondées sur les connaissances et la raison dès lors que nous menions un travail sérieux. De la même manière, l’avis qui sera émis sur la réduction des pesticides et de leur impact n’émanera pas de l’Académie, mais bien d’un groupe hébergé par l’Académie. La responsabilité de l’Académie consiste seulement à garantir que les documents et les faits qui ont servi à élaborer des recommandations sont effectivement passés au filtre d’une certaine rationalité.

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous avons limité le champ du débat dans notre méthode de travail, car certains points étaient déjà largement connus. Vous en avez d’ailleurs traité lors de vos précédentes auditions. Nous avons voulu que ce dialogue soit fondé sur des connaissances et des savoirs. Lorsque j’étais membre de l’OPECST, nous souhaitions également asseoir les décisions politiques sur les connaissances et les savoirs, et non sur les croyances ou les opinions. Nous avions d’ailleurs voté en 2017 à l’unanimité le texte « Sciences et progrès dans la République » très pertinent à ce sujet. Nous avons également montré l’importance et la richesse d’un groupe ouvert, qui s’étend bien au-delà de l’Académie, pour la diversité des analyses, leur crédibilité et les recommandations qui en émanent. Nous n’avons pas terminé nos travaux et nous vous transmettrons donc un petit texte, sorte de point à date, qui a fait l’objet d’un large consensus parmi les membres du groupe.

Nous ne sommes pas revenus sur tous les diagnostics toxicologiques ou écotoxicologiques qui fondent les objectifs du plan Écophyto. Comme vous, nous constatons que les plans de réduction des usages et des effets des produits phytopharmaceutiques, dits plans Écophyto, n’ont pas atteint leurs objectifs au cours des dernières années, même si nous constatons de fortes baisses dans l’usage de certains produits. Nous avons essayé d’analyser plus finement les raisons de la non-atteinte des objectifs du plan Écophyto – je pense notamment à notre système vertical, dans lequel tout part d’en haut pour s’imposer au terrain.

Nous aurions pu formuler des recommandations à court terme mais nous avons préféré nous inscrire sur le long terme et sur des recommandations structurelles. Nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage Zéro Pesticide : un nouveau paradigme de recherche pour une agriculture durable, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Cela ne signifie pas que tous les membres du groupe partagent l’analyse de cet ouvrage. À ce titre, une longue discussion sur le zéro pesticide a eu lieu entre nous. Si l’Inrae précise qu’il n’est pas prescriptif des pratiques agricoles, dès lors que le titre mentionne « zéro pesticide », la communication a largement dépassé ce que les auteurs du texte voulaient dire.

Nous estimons que du point de vue technique des bouquets de solutions s’imposent. Ils englobent aussi bien l’agroécologie, les techniques de biocontrôle, le numérique et la génétique. Si aucune solution n’existe, les produits de synthèse peuvent être utilisés. Il faut analyser au cas par cas ces bouquets de solutions. Nous n’avons pas travaillé exclusivement sur les leviers technologiques, mais aussi sur l’organisation de la R&D et ses liens avec les agriculteurs. Nous avons constaté un manque de liens et une recherche partant trop souvent du haut, sans être menée en lien avec les agriculteurs qui pourraient pourtant devenir les principaux innovateurs. Nous estimons notamment qu’il faut sans doute modifier assez largement les structures et les organisations. L’importance de la formation dans ce système ne doit également pas être négligée. Notre texte contient des remarques très intéressantes de nos collègues sur l’organisation telle qu’elle pourrait être pour réussir la transition écologique.

M. Jean François Molle. Comme Jean-Yves Le Déault l’a dit, le titre de notre groupe est : « agriculture et pesticides : en réduire l’usage et l’impact, est-ce possible, et si oui, comment ? » Au début, c’était plutôt : « Écophyto, est-ce définitivement du pipeau ? » Cela vous montre l’idée qui a présidé à la création de ce groupe. Même si nous regroupons une extraordinaire diversité d’intervenants, avec des associatifs, des industriels, un directeur de lycée agricole, le président de Fredon par ailleurs agriculteur biologique, nous ne disposons ni des moyens ni du temps pour analyser les aspects purement scientifiques. Nous nous en sommes remis au travail de l’Inrae, mais avec quelques critiques qui introduisent notre diagnostic.

Comme vous le savez déjà, Edgar Pisani avait mis en place un contrat social dans les années 1960 basé sur une modernisation de l’agriculture pour une production de masse à bas coût. Nous avons été emportés par le succès. Notre constat sur cette agriculture est qu’elle découle d’une intrication de facteurs extraordinairement compliquée. Que ce soit la recherche, le financement, la mécanisation, les semences, la formation, tous ces acteurs indépendants ont travaillé dans un même sens. Le modèle d’agriculture est donc le fruit d’un mikado d’actions et il serait illusoire de ne s’occuper que des pesticides. Au contraire, nous sommes obligés de toucher à l’ensemble de la structure. C’est donc une limite du travail de recherche centré sur les pesticides. Notre agriculture apparaît extraordinairement performante, mais a développé cette performance avec des chevaux légers comme la mécanisation, la génétique, la fertilisation, ou les pesticides, qui chacun ont galopé dans leur couloir de course sans vraiment entretenir un échange horizontal qui ressemblerait à ce qu’on appelle l’agronomie.

Pour le plan Écophyto, nous notons des réussites, mais les objectifs ne sont pas atteints. Les résultats s’avèrent globalement décevants. Les objectifs ont été fixés lors du Grenelle de l’environnement de 2009 et, quinze ans après, il faut se demander pourquoi ces résultats ne sont pas probants. Est-ce dû aux outils ? Faut-il réaliser plus de recherches, différentes ? C’est sans doute le cas. Quoi qu’il en soit, nous nous sommes interrogés sur les raisons de cet échec et avons abouti à un diagnostic.

S’agissant de la recherche, nous disposons aujourd’hui de chercheurs extrêmement pointus dans leur discipline, évalués selon leurs publications dans des revues internationales. Ceux qui ont une approche plutôt transversale et agronomique sont considérés avec un peu de condescendance. C’est un peu la relation entre un expert et un chercheur dans d’autres domaines. Si des membres de l’Inrae étaient présents, ils nous diraient que des chercheurs ont été embauchés pour faire de la transversalité. Il nous reste à analyser l’ampleur de ce mouvement de transversalité et de transdisciplinarité. Cette dernière est à distinguer de la pluridisciplinarité. La pluridisciplinarité, c’est plusieurs disciplines indépendantes qui concourent au même objectif sans vraiment d’échanges. La transdisciplinarité, ce sont des équipes projet qui échangent réellement des conséquences que le progrès dans tel couloir de course a sur tel autre couloir de course.

Concernant les instituts techniques, nous auditionnerons prochainement Mme Vial, présidente d’Arvalis et présidente de l’Acta (les instituts techniques agricoles). Elle ne sera certainement pas d’accord avec mon propos, mais, quand vous voyez que les instituts fonctionnent par filière, vous constatez immédiatement un problème. Arvalis est l’institut technique des céréales et fourrages, Terres Inovia celui des oléagineux. L’Institut technique de la Betterave possède quant à lui un nom plus explicite. Au final, il existe de nombreux instituts qui travaillent de manière parallèle. Notons cependant qu’Arvalis a fait des efforts pour développer une approche transdisciplinaire avec Terres Inovia. Il y a eu un projet de fusion des instituts il y a quelques années, mais il a échoué. S’il avait vu le jour, c’est bien qu’un problème se posait. Or ce problème subsiste, même si des efforts de transversalité sont observés.

Regardons maintenant ce qui se passe du côté des 4 000 conseillers agricoles. Là encore, les conseillers en chambre se spécialisent par culture. On observe ainsi des silos à tous les niveaux, de la recherche au développement et au conseil. Il y a donc un vrai problème et vous verrez quelles solutions nous proposons.

Notre diagnostic étudie également la place du consommateur. Un de nos membres a travaillé dans un groupe agroalimentaire. Malheureusement, les acteurs de l’alimentaire et de la grande distribution ont considéré que les questions de sécurité de l’environnement, mais aussi de sécurité des personnes, n’étaient plus des questions précompétitives ; elles pouvaient en revanche faire l’objet de différenciation des produits. Nous assistons donc à une surenchère marketing qui crée la peur du consommateur. Ce dernier voit que les industriels arguent chacun que leur produit est plus sûr qu’un autre. Le tout induit une perte de confiance. Le consommateur se dit que les industriels ne sont pas capables de se mettre d’accord sur les vrais enjeux qui garantissent sa sécurité.

Dernier point du diagnostic : « la place centrale des blocages sociotechniques ». Après quinze ans, nous ne pensons pas que la solution pour changer les pratiques agricoles et diminuer l’usage des produits phytosanitaires résultera d’une invention géniale. Le bouquet de solutions y contribuera, mais ce n’est pas parce que des Bac + 25 — je suis volontairement provocant, car je dois en faire partie — auront trouvé une solution qu’elle percolera de façon rationnelle jusqu’à l’exploitant. Toute une série de blocages existent.

À présent, quelles sont nos orientations provisoires ? Je resterai prudent sur ce point. Nous pourrions aller plus loin, mais je ne souhaite pas que nos collègues aient l’impression que notre témoignage va plus loin que ce qui a été raisonnablement acté par le groupe. Pour que ce groupe fonctionne, nous faisons extrêmement attention à observer une loyauté absolue par rapport à ce qui s’y dit. Ce groupe repose sur la confiance, qui permet à un membre de France Nature Environnement (FNE) de siéger à côté d’un producteur de pesticides.

La première idée que nous retenons est « la nécessaire mobilisation des acteurs de terrain ». D’abord, des agriculteurs eux-mêmes. Nous avons auditionné M. Omont, conseiller agricole de la chambre d’agriculture de l’Eure, qui a réussi une chose absolument extraordinaire. Il a mobilisé une vingtaine d’exploitants en considérant qu’ils allaient s’approprier l’objectif du plan Ecophyto. De conseiller de la chambre, il est devenu l’accompagnateur d’un groupe. Lorsque ce groupe a proposé des solutions par son travail interne, il y a eu des échecs. Ce n’étaient pas ceux du conseiller, mais bien ceux du groupe. Aujourd’hui, ils parviennent à trouver des moyens d’action efficaces. Or, de nombreux agriculteurs ont ressenti que ces plans de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires arrivaient d’en haut et devaient être appliqués sans concertation.

La démarche de ce groupe nous a d’autant plus intéressés que nous tenons à ce que les recommandations du groupe de travail, validées par l’Académie, puissent nous permettre d’aborder les autres grands enjeux auxquels l’agriculture française est confrontée : la durabilité, le changement climatique, l’eau, la biodiversité – et les pesticides ne sont qu’une partie, certes non négligeable, de l’enjeu – la compétitivité, ou encore le renouvellement des générations d’agriculteurs. La démarche de M. Omont montre qu’une technique de création d’intelligence partagée au niveau du terrain s’applique ensuite à tous les sujets. Elle peut s’appliquer à l’avenir pour un problème de raréfaction d’eau par exemple.

De même, les échanges entre agriculteurs et citoyens ou citoyens consommateurs doivent être améliorés. Nous ne sommes pas encore parvenus à auditionner le maire de Salomé dans le Nord, qui avait été le premier en 2019 à prendre un arrêté – aussitôt retoqué par le préfet – imposant une distance de traitement de 150 mètres. Ce maire a constitué des groupes d’échange entre agriculteurs et riverains qui sont arrivés à un consensus, dont je ne connais malheureusement pas l’exacte teneur. Notre sous-groupe consommateurs a fortement souligné que, pour rétablir la confiance, la communication de terrain entre les agriculteurs et les citoyens, grâce aux visites de fermes ou à ce type de groupes, par exemple, était fondamentale. Il s’agit donc de dire : trouvons un moyen de mobiliser les acteurs, et réactivons la relation entre les agriculteurs et les citoyens consommateurs.

Notre deuxième recommandation porte sur la nécessaire transdisciplinarité à tous les niveaux. Ce point s’avère extrêmement compliqué. Des interlocuteurs ayant par exemple eu des responsabilités dans l’Inrae nous disent que faire évoluer cette approche par discipline scientifique sera compliqué. Ils réfléchissent à des solutions pour provoquer ce mouvement. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous en dire plus. Il s’agit d’une des limites de notre outil. L’audition d’Anne-Claire Vial nous permettra d’étudier des pistes de transdisciplinarité au niveau des instituts. Nous devrons également l’analyser au niveau des conseillers agricoles : comment dupliquer ce que M. Omont a mis en place ?

Notre troisième idée porte sur les agriculteurs de demain. Bertrand Hervieu et François Purseigle ont publié le livre Une agriculture sans agriculteur, titre qui ne comporte pas de point d’interrogation. Aujourd’hui, l’évolution fait que 15 % des exploitations sont de grande taille. Deux analyses sont alors possibles. Nous pouvons considérer que, finalement, 85 % des exploitations sont toujours de taille familiale. Or Bertrand Hervieu répond que ces 15 % d’exploitations représentent 40 % de la superficie agricole utilisée (SAU), un taux en croissance.

Certains membres du groupe notent qu’en plus, les statistiques nous informent mal. Lorsque l’exploitant d’un terrain de 80 hectares décède, la famille ne veut souvent pas vendre l’exploitation. Elle rejoint donc un groupe d’agriculteurs ou un établissement de travaux agricoles. Statistiquement, elle fait toujours 80 hectares, mais elle est en réalité gérée dans un ensemble de 4 000 hectares. À ce stade, notre groupe reste divisé. Certains estiment qu’il s’agit d’une catastrophe pour notre objectif. Ces établissements de travaux agricoles sont de grosses entreprises qui possèdent des critères financiers de rentabilité. Ils iront donc vers la simplification, qui est le contraire de la diversification que nous recommandons.

Au contraire, d’autres estiment que ces industriels peuvent assumer ce qui a été appelé « la charge mentale de l’innovation » précisément grâce à leur surface financière. Ils disposent des moyens d’embaucher des ressources humaines et d’acheter les équipements nécessaires. Le premier groupe pense quant à lui que ces industriels ne le feront pas. Une idée ressort actuellement. Les sociétés industrielles et commerciales sont soumises à des seuils sur les aspects sociaux. Pourquoi ne pas en fixer en fonction de la taille des exploitations ? Si cette évolution est inexorable, comment faire pour qu’elle s’inscrive dans nos objectifs et comment l’encadrer ?

Ensuite, concernant les consommateurs, nous souhaiterions aboutir à une recommandation claire auprès des industriels de l’agroalimentaire et des distributeurs pour leur montrer à quel point le marketing de la peur, fondé sur la surenchère des promesses, a été dévastateur pour tous les acteurs. Il faut établir de bonnes pratiques qui soient considérées comme précompétitives et des pratiques de communication identiques. Nous espérons bénéficier de suffisamment de connaissances dans ce domaine pour produire une recommandation crédible.

Pour finir, nous devons à présent dresser la liste des blocages sociotechniques et émettre nos recommandations pour les lever.

M. Dominique Potier, rapporteur. Merci beaucoup pour votre contribution et l’état d’esprit dans lequel vous animez votre travail. Nous nous réjouissons d’être destinataires de votre point d’étape et serons attentifs à votre résultat final. Nous connaissons également les travaux de François Purseigle et Bertrand Hervieu. Vous avez évoqué la question des seuils pour réguler ce phénomène d’accaparement des terres qui crée des concentrations de propriété ou d’usage, les deux interagissant. Quels sont ces seuils ? Si vous les avez trouvés, nous sommes très intéressés.

M. Jean François Molle. Nous n’en sommes malheureusement pas là, j’en suis désolé.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je souhaite à présent vous interroger sur deux sujets majeurs. Vous avez dit à juste titre, et cette pensée est désormais largement partagée, qu’il n’y a pas de solution unique sur les pesticides. Il faut une démarche globale d’agroécologie, la solution reposant grosso modo à 80 % sur l’agronomie et à 20 % sur les technosolutions. Cependant, vous n’avez rien dit du plan stratégique national (PSN). Nous disposions d’un instrument extraordinaire avec ce PSN. L’avez-vous analysé comme indicateur de l’agroécologie ?

M. Jean François Molle. Non. Nous avons consulté la présentation extrêmement fouillée du PSN, mais nous ne nous en sommes pas servi.

M. Dominique Potier, rapporteur. L’autre indication porte sur les marchés. Pour créer une mosaïque paysagère, une succession de cultures voire des mélanges d’espèces sur une même parcelle, il faut posséder derrière une infrastructure de commercialisation, de tri, ainsi que des marchés et des filières. Or, parmi ces filières, celle des oléoprotéagineux et celle de la diversification vers les légumineuses à destination de la consommation humaine apparaissent aujourd’hui en panne. Nous souffrons d’un réel problème d’indicateurs de marché. Fait-on preuve de mauvaise volonté ? Sommes-nous mal protégés à nos frontières ? Est-ce dû à un déficit de recherche, à un déficit de protection aux frontières européennes ? Sans une évolution du marché pour faire valoir des filières alternatives aux grandes cultures céréalières, notamment d’exportation, existe-t-il réellement des solutions crédibles en la matière ?

M. Jean François Molle. La question de la demande des consommateurs en fonction des évolutions des pratiques agricoles apparaît effectivement centrale et en appelle d’autres. Quelle rémunération pour ces nouvelles pratiques ? Quelle couverture du risque et qui le prend à sa charge ? Notre groupe a émis quelques idées, mais sans doute pas suffisamment abouties.

M. Dominique Potier, rapporteur. Il faut distinguer deux types d’assurance. Il est impossible d’assurer contre l’absence d’un marché. Le risque porte sur l’expérimentation de nouvelles solutions. L’assurance de ce risque technique peut favoriser les expérimentations par les agriculteurs. Aujourd’hui, les opérateurs économiques en Europe créent-ils des indications de marché, notamment dans des écosystèmes comme les bassins céréaliers, qui nous aident pour évoluer vers une plus grande diversification ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous l’avons peu abordée, mais la question des risques est majeure. Lorsque différentes contraintes sont imposées à un agriculteur, si elles ne fonctionnent pas, c’est alors la totalité de sa récolte et de son revenu qui est en jeu. La possibilité de couvrir ces risques a été très souvent abordée par les membres du groupe.

De même, ceux-ci ont souvent abordé les règles à l’international, tant sur les produits phytosanitaires que sur tout l’environnement de l’agriculture. Des distorsions existent déjà au niveau européen. Or les retours en arrière sont ensuite rédhibitoires en termes de crédibilité. Ainsi, si nous imposons des normes pour des produits nationaux, celles-ci doivent être identiques pour les importations.

M. Jean François Molle. Nous avons évoqué les plans alimentaires territoriaux qui sont sans doute un bon moyen pour induire les changements localement et favoriser la mise en place des filières. Des assureurs nous avaient annoncé fièrement que le big data permettrait d’assurer les récoltes de façon plus fine qu’aujourd’hui, ce qui générerait donc des primes d’assurance plus faibles. Or, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Si les primes d’assurance ne sont pas excessives, elles peuvent fonctionner, sur les récoltes évidemment, pas sur les marchés.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons évoqué la question du plan stratégique national et des marchés comme grands indicateurs d’une transition agroécologique. La réduction des produits phytosanitaires, notamment des CMR 1 et 2, est principalement passée à ce jour par la voie réglementaire, et non par la bonne volonté ou par l’innovation technologique. Avez-vous l’impression que le mikado d’Écophyto est piloté ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Il faut dissocier les évolutions quantitatives et qualitatives, pour prendre en compte l’impact des produits et leurs dangers sur l’environnement et la santé humaine. De nombreux membres de notre groupe estiment nécessaire de développer la toxicologie et l’écotoxicologie. Il faut en parallèle s’accorder sur la mesure des usages des pesticides. C’est une question compliquée.

Le plan Écophyto constitue en effet un mikado. Il n’y a pas eu de volonté politique de pousser ces objectifs dans le temps. Les agriculteurs ont été placés sous le feu des projecteurs, et de temps en temps les industriels lorsqu’ils fabriquaient en France des produits interdits à l’étranger. Les solutions sont multiples et ne dépendent pas uniquement du réglementaire.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avez-vous le sentiment que le programme Écophyto a été piloté ?

M. Jean François Molle. Non. Étant ingénieur, j’en étais très surpris. Supposons qu’un industriel rencontre des problèmes de cassure de ses biscuits, si une solution est trouvée au bout de cinq ans, tout le monde l’adopte ensuite dans les six mois. Dans le cas présent, nous avons noté des résultats positifs grâce au réseau Dephy. Dans tous les contextes pédoclimatiques, nous possédons des solutions qui produisent des résultats. Pourtant, elles ne sont pas déployées. Il faut un décodeur de ce qui a été fait à tel endroit pour que les principes puissent en être appliqués ailleurs. Or ce décodeur n’a pas été élaboré, laissant l’impression d’un gâchis de tous les bons résultats suscités par Dephy.

M. Jean-Yves Le Déaut. À ce titre, Einstein disait : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à des résultats différents. » Or c’est bien ce que nous constatons dans ce dossier. Les actions ont toujours été similaires, et surtout sans innovation dans le pilotage.

Nous sommes parfaitement d’accord pour affirmer que l’agroécologie constitue la base des solutions de demain, mais à condition qu’elle s’inscrive dans un bouquet de solutions. Les bouquets de solutions sont fondamentaux. Le biocontrôle et l’agroécologie sont bien développés et des solutions génétiques et de mécanisation liées à la robotique doivent sans doute également être approfondies. De nombreuses solutions peuvent s’avérer utiles, en complément d’une action forte sur les structures. Il est vrai que, sans action sur les structures, apporter de la technique demeurera inutile. Certains acteurs doivent également admettre que des solutions techniques fortement critiquées par le passé progressent aujourd’hui et méritent des discussions.

M. Jean François Molle. Il faut en effet ce bouquet de solutions, conjugué à une modification des structures.

M. le président Frédéric Descrozaille. Sur la partie aval, vous avez évoqué ce qui relevait d’une approche précompétitive. Pourriez-vous développer ce point ? Les interlocuteurs du réseau Dephy que nous avons auditionnés ont notamment parlé de « verrouillage par le marché ». Ils peuvent réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques jusqu’à 40 %, avec une moyenne de 26 %. Leurs difficultés ne portent pas sur des enjeux pédoclimatiques ou de filière, mais bien sur un « verrouillage par le marché ».

En outre, après quinze ans de politiques publiques, les objectifs n’ont pas été atteints et les quelques résultats ont été obtenus dans la douleur. Peut-être n’avons-nous pas sollicité les bons acteurs. Nous avons ciblé les politiques agricoles alors que les acheteurs ne prennent aucune responsabilité. Dans l’objectif de briser les silos et de développer une approche transversale, comment mettre en place une horizontalité au niveau des clients de l’agriculture ? Comment créer une incitation par le marché au changement attendu côté agricole ?

M. Jean François Molle. Personnellement, et en tant qu’ancien salarié de Danone, je crois que les acteurs de la distribution et de l’agroalimentaire peuvent être prêts à cette approche précompétitive. Celle-ci reposerait sur un cahier des charges des pratiques agricoles liées à leur approvisionnement qui représenterait un socle, et ne serait plus différenciant de leurs produits.

J’avais par le passé fondé l’association Sustainable Agriculture Initiative, dont le but était de développer des cahiers des charges pour le chocolat, le lait, ou encore les céréales, le tout par grand secteur de production agricole et avec les grands acteurs, principalement de l’agroalimentaire. Notre groupe de travail pourrait faire le point sur l’avancée de ce genre d’initiatives. Où en est l’application des cahiers des charges, qui posaient cependant des difficultés non négligeables pour s’entendre avec les agriculteurs ? Le mouvement sera considérable si les grands distributeurs, les grands de l’agroalimentaire, s’entendent sur les conditions normales d’accès au marché et d’achat des matières premières et de rémunération. Les industriels et les distributeurs représentent des entreprises commerciales dont le but est de générer des bénéfices. Or, sur le long terme, ils devraient analyser la chute de la confiance des consommateurs des trente dernières années. Ces surenchères marketing ont fait beaucoup de mal, y compris aux grands groupes agroalimentaires eux-mêmes. Je pense personnellement que nous pouvons les mobiliser, non pas par fascination des grands groupes, mais parce qu’ils jouent souvent un rôle d’entraînement des autres.

Mme Laurence Heydel Grillère (RE). Je partage pleinement nombre de sujets que vous avez abordés, notamment la question des silos au niveau de la recherche et du conseil. On retrouve ce fonctionnement en silo dans nos organismes de contrôle, y compris à l’échelle de l’État, pour les contrôles au niveau de la politique agricole commune (PAC) ou des services vétérinaires. Nous fonctionnons souvent par filière, voire par représentation. Bien souvent, lorsque les organismes de contrôle analysent une même exploitation, ils aboutissent à des conclusions incompatibles entre elles, sans pour autant chercher de solutions. Ce fonctionnement en silo est l’une des caractéristiques principales du monde agricole. La focalisation sur les pesticides relève de ce même écueil. Au lieu de nous intéresser globalement à l’impact de notre agriculture sur l’environnement et sur la santé au sens large, nous nous focalisons sur les pesticides. Nous pourrions tout autant cibler les emballages ou les déchets. Avez-vous également analysé cette problématique de silotage chez les autres acteurs que vous n’avez pas cités aujourd’hui ?

Ensuite, vous avez évoqué les surenchères à l’échelle de l’agriculture. Les surenchères entre les différents syndicats agricoles ne contribuent-elles pas également à cette situation ? Historiquement, les syndicats agricoles sont nés par des oppositions et par des décisions individuelles. Ils se retrouvent à présent sur certains sujets, et non sur d’autres. Les pesticides représentent une forme de séparation entre eux. Or, à ma connaissance, aucune pratique agricole n’est exclusivement réservée à un type d’agriculture. Le désherbage mécanique se pratique aujourd’hui à la fois en agriculture dite conventionnelle et en agriculture dite bio. Le tout crée une méconnaissance dans l’esprit du consommateur et renforce la méfiance que vous avez évoquée. J’aimerais votre avis sur ces points. Votre orientation nous permet de percevoir l’agriculture sous un autre angle, sachant que le premier objectif de l’agriculture est d’abord de nous nourrir, tout en ayant les impacts les plus raisonnables vis-à-vis de l’environnement et de la santé, et en préservant un revenu raisonnable pour les agriculteurs.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez largement résumé notre pensée. Nous observons que le développement agricole est uniquement vertical. Il faudrait au contraire associer les acteurs du terrain et de la filière. Trouver une solution par la recherche et l’imposer de manière descendante, y compris par de la vulgarisation, ne fonctionne pas. Or des expériences qui ont fonctionné dans certains départements ne sont pas dupliquées ailleurs, précisément car des coupures existent à tous les niveaux.

En vue de notre audition, de nombreux membres du groupe nous ont transmis des contributions. Un des membres a notamment suggéré que des médiateurs, peut-être des jeunes en service civique, puissent intervenir sur un terrain associant des ingénieurs, des réseaux d’agriculteurs, l’Inrae et des consommateurs. Ils recevraient des directives pour intervenir sur ce territoire sur une durée de deux ou trois ans. Nous avons bien constaté que les silos constituaient un problème fondamental. Il faut s’appuyer sur les savoirs, mais également les transmettre. Bien souvent, l’innovation n’est finalement pas technologique, mais sociale ou d’ingénierie par exemple. Ces petits groupes pourraient favoriser la mise en place de systèmes innovants.

Paradoxalement, nous estimons que tous les ingrédients d’une position consensuelle sont présents. Au-delà du bouquet de solutions techniques, le progrès ne résultera que d’une modification des approches, avec davantage d’agronomie et de transversalité. De même, il faut mieux mobiliser les acteurs de terrain afin de rendre ces évolutions attrayantes. Des modifications de structure et d’organisation s’avèrent également indispensables. La question des moyens pour y parvenir doit être débattue de manière plurielle, en associant tous les acteurs, décideurs, chercheurs, conseillers, formateurs, agriculteurs, citoyens, consommateurs, industriels et médias.

M. le président Frédéric Descrozaille. Pour finir, la question de la confiance apparaît également centrale. Elle concerne l’homologation des produits mis en marché et l’approbation des principes actifs au niveau européen. Or nous avons auditionné de nombreux acteurs qui remettent en cause ce principe, et mettent en doute le caractère objectif des travaux de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa). Pensez-vous que la loi de 2014 qui a confié l’analyse et la gestion du risque à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) garantit cette confiance ? Tous les acteurs de la filière estiment que cette loi est mauvaise, car parler de risque revient à parler du risque acceptable, de l’exposition acceptable au danger, ce qui relève par nature d’un choix politique. Fallait-il aller jusqu’à cette loi pour rétablir la confiance ? Faut-il transférer à l’Efsa l’analyse et la gestion du risque ? Ou bien faut-il revenir sur cette loi de 2014 pour réhabiliter le politique ? Comment le politique peut-il contribuer à rétablir la confiance en assumant la responsabilité du risque acceptable ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Nous n’avons pas encore abordé ce sujet dans notre groupe de travail, mais nous le ferons. J’estime personnellement que confier la gestion du risque à l’Anses était pertinent. Nous ne pouvions pas garder un système avec plusieurs organismes qui traitaient le même type de questions. Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) travaillait par exemple en même temps que l’Anses. À terme, il faudra transférer cette responsabilité au niveau européen. Les réglementations différentes selon les pays représentent un réel facteur de rupture de confiance. Les allers-retours sur des autorisations ou des interdictions de pesticides sont incompréhensibles et rédhibitoires. Il faut donc que nous aboutissions à un moment à des règles uniformisées au niveau européen.

En parallèle, le politique a effectivement besoin d’être réhabilité. Celui-ci doit prendre des décisions sur la base de certitudes scientifiques molles, ce qui est éminemment complexe. Il doit aussi témoigner de plus de courage. Il n’a par exemple pas pris ses responsabilités sur divers sujets alors que le savoir lui permettait de les prendre. Pour finir, il faut impérativement lancer des études d’impact avant les textes de loi, puis contrôler l’application de la loi.

M. Jean François Molle. Par ailleurs, vous avez auditionné Robert Tessier, longtemps académicien et longtemps responsable des homologations au ministère de l’Agriculture. Il est membre de notre groupe de travail et a hier été nommé président de la plateforme de dialogue de l’Anses sur les autorisations. Nous serons donc accompagnés des meilleurs intervenants pour traiter ce sujet.

 

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

 

Présents.  M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, M. Jean-Luc Fugit, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Nicole Le Peih, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier