Compte rendu

Commission d’enquête
sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire

 Table ronde sur le contrôle des produits phytopharmaceutiques dans l’alimentation 2

 Table ronde avec des chercheurs sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027              18

 Audition de M. Loïc Madeline, représentant de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB) au conseil d’administration du Collectif Nourrir sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027              29

 Présences en réunion................................39


Jeudi
9 novembre 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 29

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Frédéric Descrozaille,
Président de la commission

 


  1 

 

 

Jeudi 9 novembre 2023

La séance est ouverte à neuf heures dix.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

————

La commission entend lors de sa table ronde sur le contrôle des produits phytopharmaceutiques dans l’alimentation :

M. le président Frédéric Descrozaille. Nous reprenons les travaux de cette commission d’enquête relative à la réduction des usages et des impacts des produits phytopharmaceutiques. Il s’agit plus exactement d’analyser l’échec des politiques publiques au regard des objectifs que s’était fixés la nation il y a maintenant quinze ans.

Nous arrivons au terme de ces travaux démarrés en juillet 2023. À travers l’audition de ce matin, nous souhaitons approfondir le sujet particulièrement sensible du contrôle. Il s’agit ici de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre pour en améliorer l’efficacité et pallier certaines incertitudes concernant la présence de produits phytosanitaires dans les aliments. Le contrôle dont il est question est celui des frontières, pour les aliments en provenance de pays tiers, mais aussi celui des denrées produites au sein du marché unique européen.

Ce travail d’approfondissement est d’autant plus nécessaire que beaucoup de nos concitoyens doutent de la réalité et de l’efficacité de ces contrôles. Ils s’interrogent sur la présence de certains produits qui avaient pourtant été interdits. Par ailleurs, nous devons creuser la question des écarts de compétitivité et de concurrence, perçus comme déloyaux.

Je remercie nos interlocuteurs de la DGAL, de la DGCCRF et de la DGDDI de s’être rendus disponibles pour échanger avec nous ce matin sur ces différents enjeux. Avant de vous laisser la parole, je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Éric Dumoulin, M. Gabriel Caraballo, Mme Marie Brunet, Mme Odile Cluzel, M. Florian Simonneau et Mme Céline Thiriot prêtent successivement serment.)

M. Éric Dumoulin, sous-directeur de la sécurité sanitaire des aliments (DGAL), ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. La politique de contrôle des produits phytopharmaceutiques a fait l’objet d’une nouvelle structuration administrative en juin 2022, dans la foulée de la réorganisation du schéma de la politique de sécurité sanitaire des aliments qui en a unifié la mise en œuvre sous la tutelle du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Cette évolution importante a eu pour effet de rattacher au ministère de l’agriculture de nombreuses thématiques qui relevaient autrefois de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sein du ministère de l’économie. Ce transfert, acté au mois de juin 2022, a été mis en œuvre progressivement tout au long de l’année 2023.

Le début de l’année a été marqué par la réorganisation de l’administration centrale ; la DGAL pilote ainsi désormais toute la politique de la sécurité sanitaire des aliments. Jusqu’au mois de septembre 2023, chaque administration territoriale au sein de la DGCCRF ou de la DGAL continuait d’opérer selon la répartition historique. Aujourd’hui, la DGCCRF ne gère plus le contrôle de terrain à l’exception du secteur de la « remise directe », à l’aval de la filière alimentaire, concernant notamment la distribution. Dès le 1er janvier 2024, le pilotage complet du contrôle effectué sur le terrain sera assuré par la DGAL. Le secteur de la remise directe sera contrôlé sous la forme d’une délégation de service public. Ainsi, la politique relative à la sécurité alimentaire sera entièrement mise en œuvre par le ministère de l’agriculture, dont les agents de la DGAL seront les acteurs de terrain.

Un autre point clé de la réforme concerne les conditions d’autorisation de la mise en circulation des substances sur le marché. Un vaste travail sera réalisé autour de sa traduction sur le plan réglementaire et de la déclinaison des contrôles qui seront mis en œuvre.

Ainsi, le périmètre de contrôle sera établi très largement en aval et en amont, allant de la production alimentaire à la transformation et la distribution. Nous défendons ainsi un modèle de schéma intégré.

La DGAL a toujours veillé à ce que sa politique de contrôle soit assise sur une méthodologie standardisée et uniforme sur l’ensemble du territoire. Les agents de terrain sont formés et disposent des mêmes compétences ; leur recrutement est minutieux et requiert la possession d’un BAC + 2. Il s’agit principalement d’inspecteurs qui suivent une formation au sein de l’Institut national de formation des personnels du ministère de l’agriculture (Infoma). Celui-ci leur apporte un enseignement général tout en les spécialisant sur leur futur domaine d’intervention, à travers ce que nous nommons en interne le parcours qualifiant, qui s’appuie sur le modèle du tutorat. Ainsi, l’expérience des agents aguerris bénéficie aux nouveaux.

Un système d’audits internes a été mis en place pour réaliser des évaluations annuelles au sein de tous les services de contrôle.

L’objectif est de mettre en œuvre un schéma harmonisé et transparent, par l’intermédiaire de la DGAL qui assure la réalisation régulière de bilans, tels que le rapport d’activité annuel. Cette transparence est prolongée par l’outil Alim’confiance qui publie la totalité des contrôles réalisés dans le secteur alimentaire et les bilans de nos inspections dans les établissements de la filière agroalimentaire.

Mme Odile Cluzel, sous-directrice des produits et marchés agroalimentaires à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Comme l’a rappelé Éric Dumoulin, la compétence de la DGCCRF ne porte plus sur le contrôle de la présence de résidus de produits phytopharmaceutiques dans l’alimentation. Elle intervient désormais sur le contrôle de la conformité et de la loyauté des produits phytopharmaceutiques soumis à une autorisation de mise sur le marché. La DGCCRF est ainsi en charge du contrôle du bon fonctionnement du marché des produits phytopharmaceutiques. Ce travail se traduit par des enquêtes menées sur l’ensemble de la chaîne de commercialisation des produits, qu’ils soient destinés à des utilisateurs professionnels ou amateurs.

La contribution de la DGCCRF à l’atteinte des objectifs fixés par les différents plans Ecophyto qui se sont succédé dans la réglementation est ainsi indirecte.

L’action de la DGCCRF dans ce domaine se traduit par l’établissement de plans annuels de contrôles portant à la fois sur la conformité des pratiques aux autorisations de mise sur le marché et sur le respect de la réglementation en la matière. Il existe en effet un certain nombre de règles destinées à encadrer l’utilisation de ces produits telles que des conditions de certification, la séparation du conseil et de la vente mais aussi l’interdiction de commercialiser en ligne des produits à des jardiniers et amateurs, parmi d’autres.

La DGCCRF vérifie également l’absence d’allégations environnementales sur ces produits dans la mesure où celles-ci sont interdites. Elle contrôle le respect des dispositions issues de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim). L’administration veille particulièrement au respect de l’interdiction des remises et rabais sur la vente de ces produits.

Chaque année, les agents de la DGCCRF en charge, au sein des directions départementales, de la protection des populations, réalisent une enquête sur ces différentes questions. En 2022, environ quatre-vingt-treize agents ont participé à ces contrôles sur l’ensemble du territoire. Chaque année, environ 500 entreprises sont contrôlées, et une centaine de produits est prélevée puis analysée en laboratoire au sein du service commun basé à Lyon.

La DGCCRF a organisé un réseau spécifique relatif aux produits phytopharmaceutiques afin d’harmoniser et de mutualiser les connaissances en la matière, et d’accroître l’efficacité des services. Une coordination locale avec les services du ministère de l’agriculture est organisée lorsque cela est nécessaire.

Je vous disais qu’en 2022, 108 produits ont été analysés. Parmi eux, trente se sont révélés non conformes, ce qui représente un taux d’anomalies d’environ 28 %. Les anomalies constatées ont donné lieu à 199 avertissements, quarante-et-une injonctions et dix procès-verbaux.

Le contrôle de la présence de résidus de pesticides, mission dévolue à la DGCCRF jusqu’en 2022, a été transféré à la DGAL comme l’a évoqué Éric Dumoulin. Je pourrai à cet égard vous apporter des indications sur la manière dont ces travaux étaient organisés. Par ailleurs, jusqu’au 1er juin 2023, la DGCCFR pilotait l’effectuation des contrôles sanitaires à l’importation, vérifiant ainsi les taux de résidus de pesticides dans les produits importés. Cette mission a été transférée selon un calendrier échelonné à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

M. Florian Simonneau, chef de bureau « Restrictions et sécurisations des échanges » à la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Notre administration agit sur le périmètre de la frontière et de la marchandise. Nous nous assurons du respect, lors du passage à la frontière, d’un certain nombre de critères réglementaires. Dans le domaine des marchandises licites, ce contrôle représente l’activité principale de la douane. À ce titre, l’objectif est principalement de vérifier l’existence d’un document d’ordre public certifiant la conformité du produit aux caractéristiques attendues avant d’autoriser sa mise sur le marché du territoire de l’Union européenne. Ces actions relèvent en quelque sorte de la mission historique de la douane.

À cette mission s’est ajoutée, depuis le 1er janvier 2020, avec une mise en œuvre échelonnée, celle de la réalisation des contrôles à l’importation. Ces contrôles situés en amont du dédouanement concernent les denrées alimentaires d’origine non-animale.

S’agissant en particulier des produits phytosanitaires, nous pratiquons trois types de contrôles. Il s’agit tout d’abord des contrôles dits sanitaires, lesquels peuvent être soumis à des contrôles renforcés ou à des mesures d’urgence. Ce dispositif est mis en œuvre au niveau européen pour les denrées d’origine non-animale. Une liste de denrées est soumise à un contrôle obligatoire. Dans certains cas, la douane décide d’effectuer des prélèvements, en fonction des risques identifiés et selon une fréquence adaptée. Ceux-ci sont analysés par les services communs des laboratoires qui mesurent les résidus de pesticides présents, nous permettant ainsi de décider ou non de la mise en libre pratique des produits. Dans le cadre du contrôle sanitaire, le dépassement des limites maximales de résidus (LMR) empêche la mise sur le marché des produits.

Par ailleurs, nous effectuons des contrôles sur les produits issus de l’agriculture biologique. Ici, le système fonctionne selon une approche à double détente. Si des résidus de pesticides sont trouvés dans ces produits sans toutefois dépasser les LMR, ils peuvent être mis en circulation sur le marché en tant que produits issus de l’agriculture conventionnelle.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous vous remercions pour votre présence et pour la clarté de vos propos liminaires. Nous sommes satisfaits de voir à l’œuvre cette réunification des contrôles dans les périmètres de la production et de la commercialisation des produits alimentaires, que nous défendions à l’occasion des débats sur la première loi Egalim. Sans nous prononcer sur l’identité du service qui devait en avoir la charge, nous estimions que cette harmonisation était importante, alors que les systèmes d’alerte s’étaient révélés défaillants face à certaines crises ; les temps d’intervention nécessaires entraînaient une perte d’efficacité. Cela démontrait la nécessité d’une culture commune. L’État a été capable d’organiser cette réforme et nous en voyons aujourd’hui la mise en œuvre, ce dont nous nous réjouissons.

Afin de mieux comprendre l’architecture du contrôle, nous vous demanderons certainement de préciser à nouveau la répartition des rôles qui sont les vôtres. Nous avons compris que le contrôle des produits alimentaires relevait désormais du ministère de l’agriculture, que les produits phytosanitaires stricto sensu entraient dans le champ de compétence de la DGCCRF, tandis que les douanes assurent les contrôles relatifs aux échanges internationaux.

Nous souhaiterons donc focaliser notre analyse sur la question des produits phytosanitaires au sein de chacun de ces trois niveaux de contrôles.

Par ailleurs, je tiens à souligner une nouvelle fois l’importance de cette table ronde pour mieux identifier l’équilibre à trouver entre la qualité du contrôle, le respect des règles d’un côté et leur acceptabilité de l’autre. L’effort relatif à l’affranchissement progressif des produits pharmaceutiques ne peut se réaliser sans que l’on s’assure de l’importation de pratiques et de produits conformes à ce que nous attendons.

À l’occasion d’un déplacement à Bruxelles où nous avons rencontré diverses autorités, nous avons ressenti une forme de satisfecit laissant croire que le taux de contrôle à nos frontières était idéal et que le système ne présentait pas de difficulté majeure. Or, il existe un très grand décalage avec le ressenti de la population et c’est cet écart qu’il s’agira de comprendre aujourd’hui.

Nous souhaitons vivement que ce travail permette d’apporter un éclairage sur les actions précises qui resteraient à mener. Nous estimons que notre commission d’enquête offre l’espace approprié pour recevoir les idées que vous pourriez avoir à ce sujet.

Je souhaite vous soumettre une première question sur la question des moyens. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a fait état d’un manque de moyens budgétaires pour atteindre les objectifs fixés. Au sein des trois directions ici représentées, à savoir la DGCCRF, la DGDDI et la DGAL, estimez-vous disposer de suffisamment de moyens pour mener à bien votre mission ?

M. Éric Dumoulin. Au sein de la DGAL, j’estime que nous disposons d’un schéma d’organisation plutôt bien structuré, à l’œuvre depuis plusieurs décennies, avec des moyens ventilés au sein de chaque grand domaine d’intervention. L’un de ces domaines a trait à la santé et à la protection animale., un autre concerne la santé et la protection des végétaux – c’est là que s’organise le contrôle des résidus de produits phytosanitaires. Nous avons également un domaine d’intervention relatif à la sécurité sanitaire des aliments en dehors des abattoirs. Ces grands périmètres d’action ont donc été, au fil des priorités définies par les politiques publiques, éprouvés et perfectionnés avec l’attribution de moyens permettant la mise en œuvre des contrôles sur le terrain. Ce mécanisme nous permet d’associer plus de moyens à l’un ou à l’autre des grands domaines, en fonction des priorités définies sous l’effet, parfois, de la pression médiatique.

Par ailleurs, le travail de quantification des moyens à mobiliser se réalise en lien avec la programmation des inspections et des contrôles à mener sur le terrain. Ainsi, nous établissons chaque année depuis l’administration centrale – et en lien avec nos obligations communautaires – un plan annuel d’inspection. Nos objectifs sont donc définis chaque année.

Ce plan est ensuite traduit par chaque direction départementale et par chaque direction régionale de l’agriculture et de l’alimentation sous la forme d’un plan d’activité identifiant les moyens à mobiliser pour chacune des missions établies. À cette étape, la gestion de ces arbitrages fait l’objet d’un dialogue afin d’envisager d’éventuelles marges d’ajustement. Il peut être question par exemple d’un renfort à apporter à un département en difficulté, dans le contexte d’un plan de contrôle prioritaire de l’année N+ 1.

Une certaine flexibilité est donc au cœur de ce schéma qui permet d’être relativement réactif par rapport à des évolutions conjoncturelles, voire structurelles.

Parallèlement aux rouages que je viens de décrire, la question de la bonne adéquation entre les moyens mis à disposition et les résultats attendus reste pendante, notamment lorsque l’on tient compte de l’importance d’une stratégie à moyen et long terme.

M. Dominique Potier, rapporteur. Afin de répondre plus directement à la question des moyens, pourriez-vous nous indiquer si un accroissement du nombre d’inspections sur le terrain permettrait de détecter davantage de fraudes ? Le dispositif de sécurité sanitaire et d’évitement des concurrences déloyales a-t-il été amélioré ?

M. Éric Dumoulin. Sur 5 000 inspections réalisées aujourd’hui dans les exploitations agricoles, 1 000 d’entre elles donnent lieu à des prélèvements pour détecter des résidus de produits phytopharmaceutiques.

Dans le périmètre de la transformation alimentaire, pas moins de 2 400 inspections ont été programmées pour 2024 comprenant tout le secteur du végétal. Certaines d’entre elles donneront lieu à des prélèvements, car il s’agit d’effectuer une inspection globale sur un établissement. Quatre-vingt-seize équivalents temps plein (ETP) sont aujourd’hui mobilisés pour cela.

Nous avons également mis en place des plans de surveillance et de contrôle visant spécifiquement à effectuer des prélèvements de substances dites de matrice, afin de rechercher des résidus dans les produits. Près de quarante ETP y sont dédiés ; ils effectuent environ 3 400 prélèvements par an sur les denrées alimentaires.

Est-ce c’est suffisant ? Je dirais qu’aujourd’hui, les bilans et analyses que nous avons établis en lien avec les deux grandes agences d’évaluation que sont l’Efsa et l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) traduisent une bonne visibilité du niveau d’exposition de nos populations aux produits phytopharmaceutiques à risque. Se pose ensuite la question de notre volonté d’aller plus loin ou non dans cette démarche, notamment à l’égard des produits venant de l’extérieur.

M. Dominique Potier, rapporteur. C’est effectivement l’objet de ma question, est‑ce que des moyens supplémentaires permettraient d’aller plus loin ? Sur les 1 000 prélèvements effectués, combien s’avèrent anormaux ?

M. Éric Dumoulin. Concernant les contrôles exercés sur les exploitations agricoles, que nous nommons « contrôles en production primaire », les taux d’anomalies sont de 2,5 % à 3 %.

M. le président Frédéric Descrozaille. Pourriez-vous à cet égard nous transmettre l’évolution de ces taux dans le temps ? Cela nous permettrait d’évaluer si les services pourraient se trouver débordés en cas d’aggravation de la situation, ou s’ils pourraient au contraire absorber la charge, du fait d’une capacité importante d’ajustement des moyens. Ce point nous semble d’autant plus important lorsque Mme Cluzel évoque un taux de non-conformité de 28 %, qui nous semble stupéfiant.

M. Éric Dumoulin. Les résultats de ces trois dernières années sont relativement stables, s’agissant des contrôles de non-conformité en production primaire, avec des taux de non-conformité situés entre 2,5 % et 3 %. Nous ne sommes pas en présence d’indices nous alertant d’une éventuelle dégradation des pratiques quant à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Par ailleurs, s’il arrivait que de tels signaux apparaissent sur une production ou une substance en particulier, nous mettrions alors en œuvre notre plan de surveillance.

Nous avons ainsi deux niveaux de contrôle. Le premier consiste en une série de prélèvements aléatoires, afin de fournir une photographie de la qualité des produits mis sur le marché. Le deuxième niveau permet de cibler avec plus de précision les anomalies, à travers un plan de contrôles. Ainsi, face à un signal d’alerte, établi par exemple par un taux de non-conformité passant de 2 % à 6 %, les investigations menées permettraient d’évaluer si ces anomalies concernent une ou plusieurs catégories de produits. Un plan de contrôle serait alors appliqué, permettant de cibler beaucoup plus précisément les produits non conformes.

Notre système repose ainsi sur une vigilance sensible, qui nous permet de basculer facilement d’une situation de surveillance à un système d’intensification des contrôles.

Mme Odile Cluzel. Le taux d’anomalie est également assez stable concernant le périmètre de la DGCCRF. Je dirais même qu’il est en légère baisse par rapport à celui des années précédentes. J’ai sous les yeux la liste des principales anomalies constatées dans le cadre du plan de l’année 2022. Je pourrai vous communiquer les comptes rendus détaillés.

Elles semblent être principalement dues à une méconnaissance de la réglementation, ce qui soulève la nécessité d’un travail pédagogique. En ce sens, nous réfléchissons à une action de communication à l’attention des professionnels, pour leur permettre de mieux appréhender le contenu de la réglementation.

Les principales anomalies constatées sont liées à la vente de produits phytopharmaceutiques sans agrément, ou à la vente de produits dont l’autorisation de mise sur le marché a été retirée. Il peut également s’agir de produits ne respectant pas exactement les termes de l’autorisation de mise sur le marché.

S’agissant des moyens, je ne suis pas mandatée pour vous donner une réponse officielle de la DGCCRF. Si vous demandez à un responsable administratif s’il pourrait faire mieux avec davantage de moyens, je pense que la réponse sera positive.

Pour nuancer mes propos, dans le cadre du transfert de la mission relative à la sécurité sanitaire de l’alimentation, la DGCCRF a obtenu le maintien d’un certain nombre d’emplois. Cela a permis de redéfinir les priorités et de renforcer l’action de l’administration sur ses missions, notamment sur le contrôle de loyauté des produits.

La DGCCRF reste en effet compétente sur ce point, notamment pour les produits présentant une allégation « sans résidu de pesticides ». Elle continue ainsi de veiller au bon fonctionnement concurrentiel du marché et à la loyauté de ces allégations, vis-à-vis du consommateur et des concurrents respectueux de la réglementation.

La DGCCRF est compétente sur la quasi-totalité des secteurs économiques. Elle doit donc effectuer des arbitrages, de la même manière que la DGAL. Elle doit s’adapter en permanence aux besoins dont elle a connaissance et doit pouvoir réorienter avec souplesse son action.

Concernant la mission de contrôle du marché à l’égard des produits phytopharmaceutiques, le plan mis en place annuellement répond aux attentes des autorités européennes. L’administration communique chaque année les résultats de ces contrôles à la Commission européenne. Ce plan couvre donc de manière satisfaisante le marché national. Il convient de le poursuivre tout en cherchant à améliorer la connaissance par les opérateurs de la réglementation, dans le but de faire baisser le taux d’anomalies.

M. Florian Simonneau. Nous manquons de recul pour vous répondre sur la question des moyens. Nous venons en effet de reprendre, le 1er juin, la mission de contrôle sur l’importation des denrées alimentaires d’origine non-animale. Nous travaillons toutefois à l’établissement d’indicateurs afin de nous assurer de pouvoir répondre aux objectifs qui ont été fixés.

Cette mission est d’autant plus complexe que la réglementation européenne est très prescriptive en la matière, avec un certain nombre de contrôles obligatoires. Si l’on ne parvient pas à atteindre le nombre de contrôles prévus, la question de l’accroissement des effectifs se posera. Pour le moment, les taux sont atteints pour l’ensemble des vingt-cinq points de contrôles que nous avons créés. Les agents ont été formés au sein de ces nouveaux services et sont parfois entièrement positionnés sur ces missions quand, face à l’importance des flux, certains domaines nécessitent une spécialisation. Des analyses sont en cours pour affiner la part de travail dévolue aux agents non positionnés à 100 % sur ces nouvelles missions.

La mise en œuvre de ces indicateurs sera réalisée dans le courant de l’année.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous avons retenu les chiffres suivants : 2 % à 3 % d’anomalies au stade de la production primaire, 28 % d’anomalies sur des produits phytosanitaires en circulation alors qu’ils ne bénéficient plus de l’AMM. Est-ce correct ?

La logique implique qu’en l’absence d’anomalies, les contrôles sont suffisants. Mais s’il y a des anomalies significatives, il convient alors d’intensifier les contrôles. Qu’en pensez‑vous ?

Mme Odile Cluzel. Les principales anomalies constatées en 2022 concernaient la vente de produits sans agrément ou avec une autorisation de mise sur le marché expirée. Le chiffre de 28 % correspond au total des anomalies constatées dans le cadre de l’enquête. Cela concerne également parfois l’étiquetage, qui ne respecte pas la réglementation, ou des produits non phytopharmaceutiques, qui sont vendus avec des allégations phytopharmaceutiques. Il peut encore y avoir des allégations valorisantes sur des produits n’ayant pas reçu d’AMM.

La réglementation prévoit également d’identifier correctement la zone de vente dans les magasins de produits phytopharmaceutiques. Il peut arriver que cette organisation ne soit pas respectée. Les vendeurs doivent posséder un agrément et l’afficher dans le lieu de vente. Or, cet affichage n’est pas toujours respecté. Il faut également tenir un registre de vente.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ce taux de 28 % nous semble extrêmement élevé. S’agit-il de points de détails, de simples règles de forme qui n’ont pas été respectées ? Pourquoi des produits continueraient-ils à circuler s’ils sont interdits ? Dans le cas où l’étiquette n’est pas valable, cela pose un enjeu de prévention, notamment pour l’utilisateur. Il s’agit donc un sujet grave. Ce chiffre de 28 % constitue, je pense, une alerte.

Vous allez nous transmettre le document dont vous avez parlé. Pourriez-vous aussi nous présenter le niveau des sanctions qui ont été délivrées ? Quelle est la conséquence, lorsque vous constatez la commercialisation d’un produit interdit ?

Mme Odile Cluzel. Je ne vais pas pouvoir vous donner ces précisions, notamment sur la ventilation des anomalies. Le résultat de 28 % est un taux que l’on calcule de manière classique.

M. le président Frédéric Descrozaille. Je me permets d’insister dans la mesure où vous parliez de pédagogie vis-à-vis des acteurs. Nous pouvons imaginer que vous présumez de la bonne foi du metteur en marché. Or, je pense qu’il existe un problème de prise de conscience. Nous ne pouvons imaginer un tel taux sur les produits vendus en pharmacie. Nous nous situons pourtant dans un domaine où la réglementation relève d’un même niveau d’exigence, si l’on tient compte de la confiance des consommateurs et de la protection de la santé. Il s’agit d’un sujet important. Dans les recommandations, nous pourrions être conduits à signaler qu’il y a un problème de prise de conscience des metteurs en marché sur des produits dont la réglementation doit refléter cette exigence.

Encore une fois, nous sommes impressionnés par ce taux qui nous invite à réfléchir sur la possibilité d’une initiative législative ou réglementaire. Parfois, rien n’est plus pertinent que la dissuasion en matière de pédagogie.

M. Dominique Potier, rapporteur. Pour revenir sur la question que nous vous posons, avez-vous accès au niveau des sanctions ? Votre administration réalise le contrôle que le procureur sanctionne. Cela entraîne-t-il une sanction administrative, financière voire pénale ?

Mme Odile Cluzel. Ce sont les services de la DGCCRF qui déterminent les suites données aux contrôles. Je n’ai pas le détail de ces suites mais je pourrai vous les communiquer ultérieurement. Ce que nous appelons les « manquements mineurs » commis par des professionnels de bonne foi donne lieu à des avertissements, en l’occurrence un rappel de la réglementation. Lorsque l’on constate une certaine gravité, les services émettent des injonctions de remise en conformité, voire des procès-verbaux transmis directement au procureur. Je pourrai vous apporter la ventilation détaillée des suites.

M. Dominique Potier, rapporteur. Nous sommes effectivement désireux de recevoir un état des sanctions établies et de connaître la gradation appliquée.

Je partage le même étonnement face au nombre d’anomalies sur un sujet aussi sensible. Il convient de connaître la nature de ces anomalies et celle des sanctions pour réfléchir à la nécessité de légiférer ou de soumettre des propositions réglementaires.

Vous avez par ailleurs la charge du contrôle de la séparation du conseil et de la vente. Or, de nombreux acteurs nous ont affirmé que cela était incontrôlable. Il doit être extrêmement difficile pour vous d’assumer cette tâche. Nous sommes face à une situation où la loi promulguée établit un protocole invérifiable.

Mme Odile Cluzel. C’est l’un des points de contrôle qui est inclus dans l’enquête. Je comprends que selon ce que vous me dites et les éléments issus des précédentes auditions, ces contrôles seraient jugés insuffisants ou peut-être inefficaces.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ils sont par nature inefficaces. Il est impossible d’empêcher quelqu’un de parler au bout d’un champ ou au sein d’un bureau d’affaires. Ce contrôle est de facto incontrôlable et tout le monde nous l’a signalé. Avez-vous été confrontée à ce décalage énorme entre l’injonction prévue par la loi et la réalité du terrain ?

Mme Odile Cluzel. Je vous avoue que je n’ai pas une connaissance précise de ce sujet. Il arrive que certaines dispositions législatives aient pour objectif de modifier les comportements des opérateurs. La loi permet alors de donner un signal clair aux opérateurs renseignés sur ce qu’ils ont ou non le droit de faire. À l’occasion de leurs contrôles, je pense que les enquêteurs rappellent l’existence de cette règle. Je n’ai honnêtement pas davantage de précisions à vous apporter à ce sujet.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous invite à répondre maintenant à deux nouvelles questions de manière précise et rapide si possible, avant de laisser la parole aux commissaires. La première concerne les produits traversant la frontière espagnole par les Pyrénées, moins abordée que celle des frontières situées à l’est de la France. Nous savons qu’il existe désormais deux mandats permettant aux douanes d’ouvrir les coffres afin d’effectuer les contrôles. Ce sont des dispositions tout à fait récentes. Mais l’administration parvient-elle à contrôler la livraison d’un produit commandé par voie numérique ? Sait-elle contrôler les produits tout au long de leur circulation ?

La seconde question est liée à la notion centrale des limites maximales de résidus (LMR) de produits phytosanitaires dans l’alimentation. Le contrôle consiste à envoyer des prélèvements de produits au sein d’un laboratoire. Ces LMR rendent-elles compte de la réalité de l’usage des produits interdits chez nous ? Offrent-elles un bon outil de protection ? Faisons-nous suffisamment afin d’assurer la sécurité des produits alimentaires ? Les contrôles sont-ils correctement effectués et suffisants ?

Par ailleurs, la notion de LMR est-elle réellement pertinente ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’imposer des clauses miroir ? Mais est-il possible d’effectuer des contrôles in situ dans le pays exportateur ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Les éléments fournis concernant le taux de contrôle sont insuffisants, car nous savons bien qu’il existe différents types de contrôle.

Le premier d’entre eux est le contrôle documentaire, qui consiste en un examen des documents commerciaux et des certificats, notamment sanitaires. Le second, ce sont les contrôles d’identité, principalement visuels, qui permettent de vérifier la conformité des produits aux documents. Enfin le troisième, ce sont les contrôles physiques, qui permettent de vérifier les denrées alimentaires à travers des prélèvements. Par conséquent, il est indispensable de préciser à quel périmètre est relié le taux de contrôle. Il peut s’agir de simples vérifications documents au travers d’un scan.

Par ailleurs, nous savons bien qu’il existe des pratiques d’autocontrôles au sein des entreprises. Dès lors, il est beaucoup plus compliqué de traiter les données qui sont remontées par les entreprises elles-mêmes. Quel est donc le positionnement de l’administration concernant ces autocontrôles ? Consiste-t-il en une confiance totale à l’égard de ces données ?

Enfin, la réglementation européenne impose des audits ciblés impliquant une analyse en profondeur. Les effectuez-vous ? Le cas échéant, quels sont les domaines d’intervention de ces audits et quels en sont les résultats ?

M. Florian Simonneau. Concernant les services de la douane, je vais revenir sur le dispositif des contrôles documentaires, d’identité et physiques. Dans le champ des importations, la réglementation européenne impose l’application de taux de contrôles physiques à travers la réalisation de prélèvements. Cette réglementation s’applique au triptyque « marchandises », « origine » et « risques ». Ces taux varient de 5 % à 50 % selon le risque.

Au titre de la réglementation, trente-neuf triptyques concernent des produits exigeant un contrôle renforcé et vingt-cinq triptyques relèvent de mesures d’urgence en lien avec des résidus de pesticides. À titre d’exemple, l’arachide originaire du Brésil se voit imposer un taux de contrôle physique de 30 %. Cela signifie que nous devons effectuer des analyses sur 30 % des flux.

La fixation de ces taux dépend donc de l’analyse du risque effectuée par la Commission européenne. Cette mesure est basée sur la probabilité de dépassement en fonction des résultats qui avaient été obtenus précédemment. Les taux sont modulés tous les six mois. Nous avons une réunion semestrielle avec la Commission, lors de laquelle nous rediscutons de la fixation de ces taux.

Sur le plan des résultats, pour vous fournir une idée du volume d’envois visé par la réglementation, jusqu’à 17 000 lots ont été notifiés en 2022 pour des raisons sanitaires. Les contrôles documentaires ont été effectués à 100 % et des contrôles physiques ont ensuite été organisés en fonction du pourcentage approprié. Le domaine de l’agriculture biologique concernait environ 13 500 lots.

Sur la base de ces lots, un certain nombre d’analyses ont ensuite été effectuées. Nous avons, pour la même année 2022, traité 860 analyses en résidus de pesticides. Un peu moins de 80 % d’entre elles ne contenaient pas de traces détectables. En revanche, ces produits étaient concernés par un certain nombre de non-conformités remontées auprès de la Commission européenne. Le domaine sanitaire en comportait quatre-vingt-neuf et le domaine de l’agriculture biologique, quatre.

S’agissant des produits issus du commerce numérique, tout produit traversant la frontière est enregistré en douane. Il est donc tracé à cette étape. Nous n’avons en revanche pas de traçabilité lorsque le produit est déjà entré sur le marché, français ou européen, s’il est en transit depuis un autre pays de l’Union européenne. Pour autant, nous conservons le pouvoir d’effectuer des contrôles à la circulation en accédant au contenu des camions et en analysant les documents relatifs à ces marchandises. Il n’y a donc pas de traçabilité des produits nous permettant d’identifier la localisation des camions sur la route. La libre circulation ne permet pas d’atteindre ce niveau de recensement des données.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je me permets d’insister sur ce point. Vous expliquez qu’il existe une traçabilité des produits lorsque ceux-ci entrent sur le marché par les voies traditionnelles, par le biais des distributeurs français ou européens. À l’inverse, s’agissant des commandes effectuées par voie numérique depuis des pays tels que Singapour ou le Brésil, n’existe-t-il aucun moyen de traçabilité ? Par conséquent, cette impossibilité ne pose-t-elle pas un problème de distorsion au niveau de la capacité de contrôle ?

Mme Céline Thiriot, cheffe de bureau « Politique des contrôles ». Lorsque nous parlons de frontières, nous évoquons les frontières tierces avec des pays extraeuropéens. En termes douaniers, il n’existe par exemple pas de frontière à proprement parler avec l’Espagne.

La traçabilité est totale, y compris pour le commerce électronique, lors d’importations extérieures. Un colis importé depuis Singapour fait l’objet d’un enregistrement. Ce n’est que lorsque le produit, une fois arrivé en France, circule vers un autre pays, que nous perdons la visibilité sur son parcours. Dans ces situations, nous avons toujours la possibilité de recourir au contrôle de la circulation.

M. le président Frédéric Descrozaille. Il s’agit dans ce cas de s’interroger sur la capacité des services douaniers des pays recevant les produits importés à effectuer des contrôles tout aussi exigeants que les nôtres. Ces éléments nous éclairent en tout cas sur les mécanismes qui permettent la coordination entre les différents services douaniers des pays de l’Union européenne.

Mme Céline Thiriot. L’aéroport de Roissy représente par exemple une frontière tierce en termes de commerce électronique. Par ailleurs, comme M. Simonneau l’a évoqué dans le domaine qui est désormais le nôtre, toute non-conformité est remontée systématiquement à la Commission européenne qui informe les États membres concernés. Il existe une réelle une circulation de l’information donnant à chacun les moyens d’agir si nécessaire.

Mme Nicole Le Peih (RE). J’ai été interpellée par une entreprise de ma circonscription au sujet de l’arrivée depuis la Chine d’engrais biologiques certifiés Ecocert grâce, semble-t-il, à l’achat d’un tampon Ecocert au marché noir. Confirmez-vous le taux de 80 % de fraudes sur les engrais biologiques chinois importés ?

Dans quelle mesure est-il possible d’effectuer des vérifications sur place, quel que soit le pays exportateur ?

Mme Odile Cluzel. Je ne suis pas en mesure de vous confirmer le chiffre de 80 % de fraude sur les engrais biologiques chinois, car je n’ai pas cette donnée. Votre interrogation concerne donc la manière dont nous contrôlons les engrais importés de Chine. Les produits introduits sur le marché français par l’intermédiaire de distributeurs français sont contrôlés dans le cadre de nos enquêtes. J’avoue que je ne possède pas de données spécifiques sur les contrôles effectués sur des produits en provenance de Chine.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Pour revenir sur les taux de non-conformité relatifs à la circulation des produits phytosanitaires que vous évoquiez, pourriez-vous préciser à quels types de publics ces commandes étaient adressées ?

Pourriez-vous également détailler le type d’anomalies relevées lorsque vous ciblez l’organisation de l’espace de vente ou la formation des vendeurs ? Il ne s’agit pas en effet du même type de gravité si l’anomalie concerne un produit interdit en raison de la présence d’une molécule présentant un risque de toxicité ou s’il est question d’un problème d’organisation de l’espace de vente, bien que ces règles comptent aussi, notamment lorsque l’acheteur est un non-professionnel.

Enfin, concernant les denrées agricoles importées en tant que matières premières ou que produits transformés, il existe parfois une vraie problématique liée au traçage. Je suis originaire d’un département producteur de cerises. Depuis que le diméthoate a été interdit il y a plusieurs années, de nombreux acteurs du milieu agricole ont affirmé que des importations de cerises arrivaient sur le territoire avec des résidus de diméthoate impossibles à détecter en raison de l’utilisation de produits masquants. Provenant de Turquie, elles entrent sur le marché européen par la Belgique et reçoivent la qualification de cerises européennes permettant d’exclure la suspicion de diméthoate. Pourriez-vous nous partager votre point de vue à ce sujet et nous expliquer dans quelle mesure il est possible de détecter réellement l’utilisation de produits interdits en France, transformés ou non ?

Mme Odile Cluzel. Concernant la destination des produits contrôlés, les résultats de notre enquête aujourd’hui ne me permettent de ne fournir que les données globales. Notre enquête porte bien sur l’ensemble des produits destinés indifféremment aux producteurs agricoles ou aux jardiniers amateurs. Elle vise toute la chaîne de production et de commercialisation, donc aussi bien les fabricants que les conditionneurs, les détaillants ou les grossistes. Ce sont des résultats globaux. Je peux essayer de réaliser des extractions sur les différentes catégories de produits.

M. Éric Dumoulin. Nous sommes convaincus que nous devons nous efforcer d’améliorer les performances dans les techniques analytiques pour identifier les produits masquants. C’est une lutte identique à celle contre le dopage ; une véritable course se joue pour anticiper les stratégies de triche. Il conviendra d’effectuer un effort concernant le travail des laboratoires nationaux de référence, têtes de proue de l’évolution des techniques de détection et de dépistage.

Nous sommes face à deux objectifs. Le premier est l’amélioration des performances en termes de réduction des seuils de détection et de dépistage, malgré les effets masquants. Le second est la lutte contre l’introduction et l’européanisation de produits extraeuropéens et traités avec des substances que nous interdisons. Cela nous ramène aux réflexions européennes relatives aux mesures miroirs.

Pour reprendre l’exemple de la cerise traitée par le diméthoate, mais aussi par le tout aussi dangereux phosmet, une clause de protection est prévue par le cadre européen, dite « clause de sauvegarde ». Elle offre un outil de protection du consommateur et des populations qu’il est pertinent d’utiliser. Nous l’utilisons au sein de l’administration française.

Concernant l’ensemble des substances catégorisées comme étant dangereuses et, pour certaines, n’ayant pas obtenu l’homologation européenne, il est nécessaire de redéfinir totalement les limites maximales de résidus. Comment accepter une situation où un producteur européen se voit interdit d’utiliser des substances autorisées sous la forme de résidus lorsqu’elles viennent d’autres pays ? Il est nécessaire de trouver des outils performants permettant la mise en place de limites de quantification de plus en plus basses.

Sur un autre plan, se pose la question de l’établissement des clauses miroirs. Les produits importés doivent alors suivre les mêmes conditions de production que celles établies sur notre marché. Un vaste travail doit être accompli à ce sujet, comme nous l’avons fait pour le bœuf aux hormones. Nous sommes parvenus aujourd’hui à canaliser les flux d’importation de viande bovine en provenance de pays tiers, le Canada en l’occurrence. Les négociations ont porté sur la construction d’une filière d’importation dédiée et certifiée, pour garantir une viande sans hormones ou autres substances interdites sur le marché européen.

Cette négociation peut être appliquée à d’autres domaines comme celui des filières végétales. Pour y parvenir, le travail est colossal et ne doit pas être mené de manière isolée. Il suppose la mise en place d’un schéma de contrôle dans les pays tiers, qui doit être évalué et audité régulièrement. Ce travail d’audit revient à la directrice générale en charge de la santé au sein de la Commission européenne.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Il existe une réelle difficulté à ce sujet, car il n’y a pas de définition européenne de la notion de fraude alimentaire. Existe-t-il un consensus au niveau européen pour définir cette fraude ?

M. Grégoire de Fournas (RN). Ce sujet mériterait une commission d’enquête qui lui soit entièrement dédiée, tant il est important et vaste. Notre groupe politique a proposé l’établissement d’une mission qui n’a pas été retenue par le bureau. Elle gagnerait à être collectivement instaurée aujourd’hui.

Si j’ai bien compris, l’efficacité du contrôle repose sur une forme de confiance à l’égard de toutes les douanes de l’Union européenne. Nous pouvons nous interroger sur ce mécanisme alors que M. le rapporteur nous rapporte une forme de désinvolture de la part des services de Bruxelles lorsqu’ils sont questionnés sur les dysfonctionnements. Or, la réussite du contrôle repose sur le travail de chacun et ne peut fonctionner si un seul État se montre davantage laxiste. Dans quelle mesure l’État français peut-il effectuer un second contrôle sur un produit introduit dans l’Union européenne ?

Pour le contrôle des résidus de pesticides, vous avez évoqué 860 analyses, qui ne me semble pas très élevé. Ces prélèvements révèlent un taux de non-conformité de plus de 10 %. Nous pouvons en déduire qu’un certain nombre de productions alimentaires sont importées sur le territoire européen sans avoir fait l’objet de contrôles : je doute que 860 analyses suffisent pour fournir un contrôle efficace. Ainsi, une certaine quantité des produits alimentaires consommés en France ne respectent pas les conditions sanitaires exigées.

Par ailleurs, nous savons que 10 % des productions biologiques françaises contiennent des résidus de pesticides parce qu’elles ont été contaminées, par exemple par les terres avoisinantes. Quel est le taux correspondant à cette contamination accidentelle pour les produits biologiques importés ?

Sur la question des OGM, quelle est la capacité de contrôle et quelle est la sanction lorsqu’une telle production arrive sur le territoire européen ? C’est une vraie question.

Je souhaite enfin interroger Mme Cluzel sur la question de l’importation des vins espagnols. Ceux-ci comportent parfois des étiquetages trompeurs présentant des illustrations de châteaux à l’image des domaines français, mais inexistants. Par ailleurs, un certain nombre de vins sous étiquette française contiennent un pourcentage de vin produit en Espagne. Quels sont les contrôles mis en œuvre à ce sujet ?

M. Florian Simonneau. Je reviens sur la question relative à l’harmonisation au niveau communautaire. Les taux de contrôle sont définis au niveau européen. Parallèlement, des audits de la Commission européenne sont effectués dans chaque État membre. Ils ont été réalisés en France à plusieurs reprises afin de vérifier que les taux de contrôles sont appliqués par les différentes autorités compétentes. Les conclusions des audits sont d’ailleurs accessibles sur le site internet de la Commission européenne. J’imagine que s’il y avait des problèmes majeurs dans certains États membres, la Commission saurait rappeler à l’ordre ces derniers et leur prescrire un certain nombre d’évolutions.

Vous avez raison au sujet du taux de 10 % de non-conformités détectées sur les échantillons prélevés. Toutefois, je souhaite souligner que la base sur laquelle le calcul est réalisé est elle-même issue d’une analyse des risques de la Commission européenne. Il s’agit ainsi de flux davantage sujets aux risques de non-conformité. Les produits importés peuvent en effet tout aussi bien être prélevés dans le cadre des contrôles sur le marché. L’analyse des risques est basée sur ces contrôles pour déterminer les axes de contrôle des produits importés. Mais j’ai bien conscience que ce taux de 10 % peut interpeller.

Nous sommes parfois amenés, face à certains triptyques pour lesquels les contrôles physiques révèlent un trop grand nombre d’anomalies, à élever les taux de contrôles. Le cas échéant, nous passons même aux mesures d’urgence. Elles diffèrent des contrôles renforcés en imposant à chaque opérateur soumis au contrôle d’envoyer le résultat d’une analyse effectuée avant le départ de la marchandise.

Nous parlons de progressivité des contrôles à l’importation. Le dispositif est prévu ainsi afin d’élever la pression à l’égard des pays tiers exportant leurs produits dans l’Union européenne. Une coopération existe également entre l’administration du pays tiers et la Commission européenne, pour améliorer les pratiques de production.

Concernant les produits biologiques, je vous avais donné le chiffre de quatre non‑conformités détectées. Il convient de souligner que, pour ces productions, l’ensemble des lots est notifié et que le taux de contrôle n’est pas imposé par la Commission européenne. Nous tentons d’atteindre en France un taux de 5 % de contrôles physiques sur l’ensemble de ces notifications.

Concernant les OGM, la problématique est traitée de la même façon que pour les résidus de pesticides. Il existe des contrôles sur le marché auxquels peuvent s’ajouter des contrôles renforcés à l’importation et des mesures d’urgence. C’est d’ailleurs le cas pour les riz de Chine, soumis à une mesure d’urgence. Cette mesure impose un taux de 100 % de contrôle des lots qui arrivent sur le territoire.

M. Éric Dumoulin. Je reviens sur la question relative à l’existence éventuelle d’une définition homogène et consensuelle de la fraude sur l’usage de ces produits. Je pense que le critère existe et nous renvoie à la LMR : il y a fraude lorsque les LMR sont dépassées. Dès lors qu’une substance a été autorisée, une LMR y a été associée par la Commission européenne. Aussi, les vingt-sept États membres appliquent ce même critère de référence. J’estime que ce dispositif est rassurant, car il n’offre aucune marge d’interprétation sur la nature frauduleuse ou non d’un produit.

Par ailleurs, aux contrôles mis en place lors de la mise sur le marché s’ajoutent d’autres plans de contrôles établis par notre administration. Ils sont diffus et s’appliquent à l’ensemble du marché, des exploitations agricoles aux établissements de transformation, tout en étant renforcés par le contrôle documentaire.

Ce contrôle porte sur un grand nombre de données : le registre des produits phytosanitaires, les produits rentrés dans l’exploitation, leur quantité, la taille de la parcelle. Ces informations sont recoupées à travers une comptabilité analytique afin d’établir une corrélation entre le stock et les achats. Cette traçabilité est mise en œuvre de la même manière dans les établissements de transformation. À cet égard, le plan d’autocontrôle est un indicateur déterminant désormais pour nos services.

Ce système de surveillance continue, indépendamment de l’origine des produits, peut avoir pour conséquence d’imposer un changement dans le mode de fonctionnement d’un établissement industriel. En cas de dysfonctionnement, les agents mettent l’opérateur en demeure de corriger les défauts. Dans le cas où ce travail n’est pas réalisé, la chaîne de production est revue entièrement et cela peut déboucher sur une procédure pénale.

Lorsqu’il existe un ciblage des risques sur certaines catégories du produit, le contrôle consiste à effectuer des prélèvements en chaîne. Par conséquent, les contrôles sont d’abord globaux, documentaires avec, dans un deuxième temps, la réalisation de prélèvements de manière aléatoire ou ciblée. Nous suivons un schéma de contrôle en cascade. Il ne s’agit en aucun cas de laisser tous les produits circuler sans surveillance une fois passé le filtre de l’entrée dans l’Union européenne.

M. Grégoire de Fournas (RN). Je renonce à mon autre question relative au vin espagnol par manque de temps – ce que je regrette tant il y a encore à discuter. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par « non-conformité » des quatre lots de produits biologiques à l’importation ? Quelle est la part de produits biologiques d’importation où sont détectés des résidus de pesticides ?

M. Florian Simonneau. Dans le cadre des contrôles physiques effectués sur des produits biologiques représentant 5 % des lots, une analyse des résidus de pesticides est effectuée. Elle rend compte du respect par l’opérateur du pays tiers de la réglementation propre à l’agriculture biologique. La présence de résidus de pesticides est un marqueur indirect prouvant que la réglementation n’a pas été respectée.

Notre système fonctionne selon une double détente. Si la LMR pour le pesticides en question est dépassée, le produit ne peut pas entrer sur le territoire. L’administration envoie alors une notification appelée Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF), spécifique aux problématiques sanitaires. Si en revanche des résidus sont détectés en-deçà de la LMR, le produit est conforme d’un point de vue sanitaire, mais il ne l’est pas à l’égard du critère biologique. Nous demandons dans ce cas le déclassement du produit qui pourra être mis sur le marché, mais sans l’étiquette biologique. C’est à ce titre que nous avons eu quatre notifications de non-conformité aux exigences de l’agriculture biologique.

M. le président Frédéric Descrozaille. J’ai bien conscience, chers collègues, que cette audition pourrait être légitimement prolongée par une autre. Je laisse la parole à M. le rapporteur pour conclure.

M. Dominique Potier, rapporteur. Il s’agit d’un sujet tout à fait essentiel que nous n’avons fait qu’effleurer. Nous ne pouvons nous satisfaire des résultats existants face aux défis qui sont les nôtres et nous souhaitons travailler sur des perspectives d’amélioration. Je retiens de cette audition une grande inconnue qui va être étayée par l’envoi à venir de documents. Elle porte sur le taux de 28 % d’anomalies détectées sur les produits phytosanitaires contrôlés.

Le régime des sanctions nous intéresse également et nous serons attentifs aux documents que chacun d’entre vous pourrez nous fournir à ce sujet. Nous souhaitons notamment comprendre si des triches peuvent persister au terme des mises en demeure. Ce point est essentiel pour saisir la cohérence du système mis en place. Pour ma part, je pense qu’il faudrait que les LMR soient établies à zéro dès lors que le produit n’est pas autorisé dans l’UE.

Vous évoquez la pertinence d’audits de filière en prenant l’exemple de ce qui a pu être pratiqué à l’égard des antibiotiques dans les productions animales. C’est une piste importante.

Nous aurions souhaité une réponse plus claire sur la question des LMR. Nous pouvons nous demander si elles rendent compte objectivement et suffisamment des conditions de production. Il demeure également des interrogations sur les registres de produits phytosanitaires que vous contrôlez. Plusieurs personnes ont évoqué l’opportunité de les numériser et de les rendre consultables à distance afin de fournir des systèmes cohérents.

Même si cela semble compliqué, nous allons étudier la possibilité de reprogrammer une heure de temps d’échange d’ici la fin des auditions. Face à la qualité de vos interventions, nous souhaiterions aller plus loin dans l’investigation, à la fois sur l’établissement du diagnostic et sur les solutions à apporter. L’objectif est de réduire cet immense décalage existant entre une forme de satisfaction de l’administration européenne et la forte inquiétude populaire sur ce sujet.

Puis, la commission entend lors de sa table ronde avec des chercheurs sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027 :

M. le président Frédéric Descrozaille. Je vous prie de bien vouloir excuser le retard avec lequel nous démarrons cette table ronde. Nous avions planifié un temps trop court, lors de la précédente audition, avec les représentants d’administrations centrales en charge des missions de contrôle, alors que ce sujet est au cœur des débats de notre commission d’enquête et conditionne la confiance que les citoyens accordent à l’action publique.

Nous parvenons au terme de notre cycle d’auditions qui débouchera sur la rédaction d’un rapport.

Nous sommes heureux d’accueillir M. Hervé Guyomard, directeur de recherche en agronomie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), et M. Jean-Christophe Bureau, président du département sciences économiques, sociales et de gestion à l’école AgroParisTech.

Cette audition portera sur le plan stratégique national (PSN) qui décline, en France, la politique agricole commune (Pac) sur la période 2023-2027. Nous souhaitons ici questionner les objectifs poursuivis par ce plan, mais également sa lisibilité, la hiérarchisation de ses priorités et son ambition. Sur ce dernier point, il s’agit de déterminer si le plan adopté se donne suffisamment les moyens de réduire l’usage et les impacts des produits phytopharmaceutiques.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que cette audience est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Hervé Guyomard et M. Jean-Christophe Bureau prêtent serment.)

M. Jean-Christophe Bureau, docteur en économie, AgroParisTech. Je pense que les dispositions du plan stratégique national (PSN) à l’égard des produits phytosanitaires manquent d’ambition. Différents plans sont intervenus pour accompagner la réduction de leur utilisation depuis le Grenelle de l’environnement en 2007, mais ils n’ont pas eu d’effets sensibles. Une diminution de l’utilisation de ces substances a été remarquée ces dernières années, cependant elle faisait suite à une hausse significative. Surtout, nous sommes très éloignés de l’objectif fixé d’une réduction de 50 % des produits phytosanitaires et phytopharmaceutiques, avec une première échéance manquée en 2020.

Nous nous alignons désormais sur l’objectif communautaire de réduction de 50 % des produits phytosanitaires à l’horizon 2030. L’échéance est repoussée, mais les résultats actuels ne sont pas probants.

Pourtant, ces produits décisifs du point de vue des rendements et de la compétitivité de l’agriculture ont des coûts cachés. Peut-être avez-vous pris connaissance d’une étude publiée il y a deux jours par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui tente d’évaluer ces coûts non pris en compte dans la comptabilité traditionnelle et notamment dans la comptabilité nationale. L’impact est important en termes de santé, avec la promotion de régimes trop gras et trop sucrés. Les conséquences sont également environnementales, avec des pollutions azotées et des atteintes sur la biodiversité, dont les coûts induits du fait de l’utilisation des pesticides sont toutefois assez mal estimés.

Nous sommes face aux mêmes problématiques d’un point de vue scientifique : il existe de nombreux sujets d’incertitude, et ceux-ci offrent des prétextes à l’inaction. Nous savons toutefois que l’utilisation de ces pesticides a un impact médical en ce qui concerne les maladies neurodégénératives. Sans avoir de preuve formelle, nous avons aussi de fortes suspicions de lien de causalité avec les cancers et les perturbations endocriniennes. On observe notamment des cas extrêmement troublants de pubertés précoces.

Les effets de ces produits sur la santé humaine portent toujours sur le long terme, ce qui rend les relations causales difficiles à établir pour les spécialistes de médecine. Nous sommes néanmoins face à un faisceau d’indices impossible à ignorer.

Nous cherchons également à mesurer les effets de ces pesticides en travaillant sur différents leviers qui rendent possible la réduction de l’utilisation de ces produits. L’un d’entre eux, la taxation associée à un mécanisme de redistribution aux agriculteurs, fait depuis longtemps l’objet de nombreux débats en France. Cette piste est semée d’obstacles administratifs, car nous n’avons pas toujours l’autorisation d’utiliser les rares données que nous réussissons à obtenir sur le sujet. Il y a un véritable embargo sur celles-ci, ce qui empêche même de combiner les bases de données existantes. Cette situation doit être éclaircie afin que la recherche puisse progresser.

Parmi les autres scénarios étudiés, figure celui où le conseil joue un rôle dans l’induction d’un changement de pratiques. Le principe de la séparation entre les activités de conseil et de vente, adopté récemment, va dans ce sens.

M. Hervé Guyomard, docteur en économie, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Dans la continuité de ce qui a été dit, je souhaite évoquer les possibilités d’une taxation des pesticides sans incidence financière pour les agriculteurs, en lien avec les éléments que je vous ai transmis.

Je tiens à souligner que je ne suis pas docteur, mais ingénieur en agronomie et que je suis, tout comme Jean-Christophe Bureau, docteur en économie. C’est surtout en tant qu’économiste que je m’exprime devant vous aujourd’hui.

En France ou dans les différents États membres, la réduction des produits phytosanitaires est un objectif atteignable par le biais de la conditionnalité, des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec) et des écorégimes. En France, ces derniers ont trait aux pratiques agricoles de diversification sur les cultures arables.

D’après nos analyses, dans le PSN français, la conditionnalité n’est sans doute pas assez renforcée. Par ailleurs, les Maec ne disposent pas de moyens budgétaires suffisants, notamment au regard de la programmation précédente. Quant à l’écorégime, ses effets sont mesurés, car les agriculteurs y ont accès sans avoir à faire évoluer leurs pratiques. La notion de réduction de l’usage des produits phytosanitaires n’est même pas mentionnée, tant en France que dans de nombreux autres États membres.

Aussi, ces trois leviers ne sont pas suffisants pour porter les ambitions qui sont les nôtres. Différentes actions ont été menées. Elles ont connu un succès modéré. De nouvelles tentatives sont en cours de préparation et nous travaillons à l’émergence de dispositifs plus efficaces. Nous estimons qu’il devrait y avoir des incitations nettement plus fortes ; la taxation constitue l’un de ces leviers fondamentaux. Dans la mesure où nous cherchons à préserver l’agriculteur des effets financiers de cette mesure, nous défendons un modèle visant à taxer les pesticides sans pénaliser les agriculteurs.

Le diaporama que je vous ai transmis présente les avantages et les inconvénients classiques du principe de la taxation, tels que les effets négatifs sur les revenus. Il s’est agi de trouver une solution permettant de conserver les atouts en remédiant à l’inconvénient principal des revenus. Nous avons élaboré un mécanisme permettant une taxation couplée à une redistribution à l’agriculteur du produit de la taxe. Plusieurs modèles permettent une répartition en fonction de différents taux, toutefois il est parfaitement possible d’atteindre 100 % de redistribution. Ce taux doit bien entendu être défini afin de maintenir les incitations à la réduction des usages de pesticides.

Ce qui peut sembler compliqué à mettre en œuvre a pourtant été expérimenté au sein de la Pac. En 1992, lors de la baisse des prix garantis sur les céréales notamment, une compensation moyenne avait été établie. En France, par exemple, les compensations étaient différentes selon les régions, en fonction de leur potentiel de rendement. Ce précédent au sein de la Pac gagnerait à être mis à profit pour expérimenter ce dispositif de taxe avec redistribution.

La page sept du diaporama intitulée « effets simulés d’une taxation de 100 % sans redistribution – effets sur les utilisations de pesticides par hectares » présente des données issues de grandes exploitations spécialisées dans les cultures de la betterave, du blé, du colza, de l’orge ou du pois, situées dans l’est de la France. Simulant les effets d’une taxe, le graphique rend compte de la distribution des réductions de pesticides par hectare. La taxation s’accompagne ainsi d’une baisse de 25 % de leur usage.

Il convient de souligner que le niveau de la taxation est proportionnel à celui de la diminution d’utilisation de pesticides obtenue. Toutefois, l’impact de la réduction est variable selon les cultures : 43 % pour l’orge et 12 % pour le colza. Le graphique suivant présente les effets de cette simulation sur la question des rendements, avec une baisse de 9 % en moyenne, plus ou moins importante selon la culture – plus marquée pour celle du pois que pour la betterave – et selon le type d’exploitation agricole.

La page neuf du diaporama représente l’impact sur les marges, indicatrices du revenu de l’exploitant. Nous avons mis en évidence une perte de 165 euros par hectare, largement accrue pour la culture de la betterave et mineure pour celle de l’orge.

La page suivante expose l’impact sur les marges lorsqu’un mécanisme de redistribution est prévu. Dans cette situation, 100 % du produit de la taxe est redistribué en sur la base d’un nombre d’hectares représentant une exploitation de taille moyenne. Les courbes en pointillés représentant la perte de marge sans redistribution sont mises en perspective avec celles rendant compte du dispositif de redistribution. Nous pouvons observer une perte de revenus limitée à vingt euros par hectare. Toutefois, cet effet sera accru si la baisse de la demande en produits phytosanitaires implique l’évolution du prix de ces produits. Aussi, il nous semble tout à fait possible d’allier réduction des pesticides et maintien des revenus des exploitants agricoles.

La page onze du diaporama compare les effets du modèle, avec ou sans compensation. Nous notons dans les deux cas une réduction de l’usage des produits phytosanitaires, quelle que soit la culture. Cela entraîne une baisse des rendements pour toutes les cultures et l’impact sur les revenus est proportionné à la quantité de pesticides que l’exploitant utilisait. La compensation permet de réduire très fortement la baisse des marges et des revenus tout en agissant sur le prix.

Enfin, je tiens à revenir sur ce que Jean-Christophe Bureau a évoqué au sujet de la question de l’accès aux données. Ce sont elles qui nous permettront de poursuivre ce travail accompli aux côtés de chercheurs de l’Inrae de Rennes. Nous devrions avoir accès aux informations relatives à l’usage des différents pesticides au sein des exploitations françaises, sans être poussés à émettre des hypothèses qui fragilisent nos études.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je souhaiterais que vous reveniez sur vos propos concernant le manque de pertinence du PSN. Celui-ci est révisable. Nous pouvons même travailler à son amélioration dès 2024. D’ailleurs, le plan Écophyto 2030 du gouvernement envisage cette évolution, ce qui constitue bien un aveu que le PSN n’est pas à la hauteur des enjeux et qu’il convient de le doter d’outils plus performants.

Auriez-vous à cet égard étudié les voies d’amélioration des Maec, de l’écorégime ou de la conditionnalité ? Nous souhaiterions connaître votre point de vue sur les possibilités de révision du PSN pour en faire un outil de réduction de notre dépendance aux pesticides, au-delà des labels tels que la certification « haute valeur environnementale » (HVE). Nous songeons à des mesures qui ne se cantonneraient pas à encourager au résultat, mais emporteraient une obligation de moyens agronomiques, portée par une matrice améliorée du PSN.

Nous reviendrons ensuite sur votre modèle de taxation, qui est extrêmement intéressant.

M. Jean-Christophe Bureau. La conditionnalité ne comporte pas, à ce jour, d’objectifs relatifs aux produits phytosanitaires. Les écorégimes en lien avec la voie des pratiques et de certaines certifications demeurent relativement laxistes. Un article très intéressant auquel a contribué Hervé Guyomard démontre que presque toutes les exploitations auront accès à ces éco-régimes sans avoir à modifier leurs pratiques agricoles. Il est toutefois possible de renforcer les conditions. Enfin, les Maec constituent des dispositifs originaux, qui comprennent parfois des obligations de résultat sur la réduction de l’indice de fréquence de traitement ; elles mériteraient d’être développées. Cependant, les Maec sont extrêmement complexes en France et manquent de lisibilité pour les agriculteurs, ce sont de véritables « usines à gaz ». Par ailleurs, elles impliquent des coûts de gestion relativement élevés.

Enfin, le budget alloué aux Maec, qui s’élève à 500 millions d’euros, est faible, comparativement aux 14 milliards d’euros dévolus aux concours publics à l’agriculture française, si l’on prend en compte les premier et second pilier de la Pac et les mesures de défiscalisation, selon les données de l’Insee. Si ce budget dédié aux concours était destiné aux exploitations, cela représenterait un investissement de 40 000 euros par exploitant de taille moyenne et offrirait un immense levier de réduction de l’utilisation des pesticides et de transformation de la culture conventionnelle vers l’agroécologie. Ce n’est pas la stratégie adoptée dans le PSN.

M. Hervé Guyomard. En complément, j’insiste sur le fait que l’écorégime concentre d’importants moyens, avec un budget de 1,6 milliard d’euros environ. Effectivement, nos travaux ont démontré que dans le système actuel, un très grand nombre d’agriculteurs allaient en disposer, sans avoir à changer de pratiques. Ainsi, l’accès au plus grand nombre a été privilégié, ce qui ne permet aucune amélioration sur le plan climatique ou environnemental.

Par ailleurs, l’écart entre le niveau standard et le niveau supérieur de l’écorégime est de l’ordre de vingt euros. Cet écart est largement insuffisant pour encourager les changements de pratiques. Il conviendrait d’augmenter la rémunération des agriculteurs faisant l’effort de passer au niveau supérieur. Certains curseurs mériteraient ainsi d’être déplacés, notamment au niveau de la diversification des cultures arables.

Je dois tout de même préciser que de nombreux autres États membres adoptent des PSN également peu exigeants sur les plans climatique et environnemental, ce qui nous permet de relativiser la situation française.

M. Dominique Potier, rapporteur. Intégrez-vous à votre chiffrage de 14 milliards d’euros la défiscalisation, en plus des aides publiques à l’agriculture ? Confirmez-vous qu’ils sont constitués par le budget des 9 milliards issus de la Pac et des 6 milliards issus de la dette française, en partie constitués par la défiscalisation sur les amortissements, la plus-value et d’autres indicateurs ?

M. Jean-Christophe Bureau. Depuis trente ans et jusqu’à il y a trois ans, le ministère de l’agriculture publiait une synthèse intitulée « Les concours publics à l’agriculture ». Elle a disparu sous le ministère de M. Denormandie sans que nous en connaissions les raisons. L’accès à l’ensemble des données est absolument nécessaire.

Concernant le volume de la défiscalisation, mes calculs l’évaluent à 3,8 milliards d’euros et mes collègues de Rennes l’estiment à 4,1 milliards. Ce montant s’ajoute aux environ 8 milliards d’euros du premier pilier et 2 milliards du second pilier, également alimenté par le budget national.

M. Dominique Potier, rapporteur. Pourriez-vous expliciter votre propos lorsque vous évoquez l’existence d’un véritable embargo sur les données ?

M. Jean-Christophe Bureau. Depuis près de vingt ans, nous demandons le droit de coupler les enquêtes de pratiques culturales et la comptabilité. Cette démarche est importante, car elle permettrait de disposer des aspects économiques tels que les revenus ou les coûts, mais également de connaître les pratiques d’utilisation des produits phytosanitaires. Aujourd’hui encore, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ne nous permet pas d’effectuer ces travaux malgré des demandes répétées ces dernières années. Nous sommes assez démunis, en France, pour coupler des indicateurs de pratiques à des indicateurs environnementaux. Cette méthode nous permettrait pourtant d’analyser la portée d’incitations économiques telles que les taxes ou les assurances, pour réduire l’utilisation de produits phytosanitaires utilisés uniquement à titre de précaution, pour prévenir des attaques de bio agresseurs.

Même s’il est parfois difficile de quantifier certains processus, beaucoup d’avancées seraient possibles si nous avions accès aux données existantes. C’est à ce niveau qu’il existe, je pense, un véritable embargo envers la recherche en France.

M. Dominique Potier, rapporteur. Des demandes précises en ce sens de l’Inrae au ministère de l’agriculture n’ont donc pas donné suite ? Cela me semble incompréhensible dans la mesure où il n’est pas question de secret des affaires. La comptabilité agricole devrait permettre l’émergence de données statistiques sans que la confidentialité du revenu soit remise en cause. Par ailleurs, les données de pratiques culturales peuvent être documentées par le biais des registres, même si l’absence de numérisation ne les rend pas faciles à exploiter.

Au-delà des besoins de la recherche, ce sujet constitue un enjeu essentiel pour le pilotage du plan Écophyto et pour la définition du PSN. Nous interrogerons les ministres concernés sur cette situation totalement incompréhensible.

Je souhaite connaître votre point de vue sur les chiffres présentés par vos collègues de l’Inrae lors d’une précédente audition. Les produits phytosanitaires représentent-ils bien, en France, 2,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires ?

En instituant une redistribution à hauteur de 100 %, vous proposez ainsi de doubler la ligne comptable des charges, qui s’élèveraient à 4,4 milliards d’euros. Différents scénarios de redistribution seraient ensuite possibles, la compensation des revenus pouvant porter aussi bien sur les 28 millions d’hectares de surface agricole utile (SAU), que sur des cultures et régions bien identifiées – ce que vous proposez. Selon un autre scénario, une partie de la taxe pourrait nourrir un fonds d’orientation en contribuant au financement des mouvements de filières et du conseil agricole.

La logique sous-jacente implique que l’intérêt à réduire l’utilisation des pesticides est proportionnel au coût de cet usage, ce que la garantie du revenu vient renforcer. Mais lorsque le prix de ces produits baisse drastiquement, avec un coût divisé par deux d’ici 2030, la taxe et la redistribution baissent de concert. Ainsi, la perte demeure malgré la baisse des coûts. Le modèle reposant sur une baisse de 20 à 40 euros par hectare semble le plus acceptable pour les agriculteurs.

M. Hervé Guyomard. Le raisonnement est un peu différent. Il ne s’agit pas de taxer les pesticides pour utiliser les fonds qui en sont issus sur d’autres thématiques. L’objectif est de lancer un signal fort sur la réduction des pesticides. Il s’agit de prendre en compte l’impact sur les revenus déjà marqués par une baisse, comme pour les céréaliers. Aussi, il est moins question de suivre un mécanisme en deux temps, avec une taxation suivie d’une redistribution. Il s’agit au contraire d’un ensemble dynamique.

Nous avons travaillé à limiter au maximum l’impact d’une incitation taxée sur les revenus, car c’est un point régulièrement dénoncé, à raison, par les agriculteurs. Dans le même temps, la taxe doit être suffisamment élevée pour avoir un impact concluant sur le volume de pesticides utilisés. La redistribution doit ainsi être déterminée de telle manière qu’elle n’ait pas pour conséquence de diminuer l’effet incitatif recherché. Le mécanisme doit être établi sur la base des exploitations de taille moyenne, comme cela avait été fait par la Pac de 1992.

Selon les exploitations, la baisse des rendements d’environ 20 euros par hectare de fait de la taxe intègre une diminution du coût de l’usage des pesticides, ainsi qu’une baisse des rendements et des recettes. C’est justement l’écart entre la recette et les coûts, auxquels s’ajoute la redistribution, qui entraîne la baisse moyenne de 20 euros par hectare.

M. Dominique Potier, rapporteur. Vos collègues de l’Inrae affirment que, par le fruit de la recherche et de l’innovation, les rendements peuvent être préservés. Votre dispositif profondément ingénieux ne tient pas compte de cette possibilité. Le modèle économique induit par votre dispositif encourage l’exploitant agricole à diminuer l’utilisation des pesticides mais ne favorise pas l’essor, par la recherche agronomique, de nouvelles pratiques telles que la rotation, la mosaïque paysagère, la diversification des variétés. La baisse globale des rendements n’est pas un scénario que nous pouvons accepter facilement face au défi de nourrir les populations. C’est l’un des points de réserve que j’émettrais sur le modèle que vous nous soumettez.

M. Hervé Guyomard. Parmi les scénarios que nous avons étudiés, l’un d’entre eux prévoit de redistribuer 80 % ou 90 % de la taxe. Ce sont des paramètres modifiables permettant de prévoir une part de redistribution à la recherche également.

Sur un même territoire, deux exploitants utilisant des proportions différentes de pesticides sont plus ou moins pénalisés par la taxe. Le plus faible consommateur de produits phytosanitaires est récompensé à la mesure de la régionalisation de la taxe.

Le programme de recherche que nous développons, aux côtés d’Alain Carpentier, consiste justement à étudier ces dynamiques. Nous avons imaginé, en miroir avec les taxes dissuasives, des mécanismes de récompense des bonnes pratiques, en faisant baisser le niveau de la taxe. Cela nécessite là encore l’utilisation de données déterminantes pour réussir à rendre compte de la complexité de cette dynamique. Des milliards de simulations peuvent être effectuées à condition d’avoir les informations disponibles.

M. le président Frédéric Descrozaille. Je trouve très intéressante et prometteuse la passerelle que vous appelez à établir entre pratiques agricole et économie. Le dispositif que vous nous avez présenté repose sur l’économie agricole. Avez-vous envisagé de l’étendre à l’ensemble des acteurs, en prévoyant une forme de responsabilisation du consommateur final ?

Dans la mesure où l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sécurise des niveaux de rendements produisant les plus faibles coûts d’achat à l’unité, serait-il possible de prévoir l’augmentation du prix final des denrées issues d’une grande utilisation de pesticides ? Un chercheur de l’Inrae, responsable du réseau IPMworks, nous a cité l’exemple d’une variété populaire de pommier très dépendante des pesticides, présentant des récoltes précoces et tardives. L’augmentation du prix des pommes de cette variété permettrait de détourner les consommateurs de cet achat et de les rendre peut-être moins exigeants quant aux aspérités présentes sur les fruits.

Avez-vous ainsi intégré des scénarios où l’ensemble de la chaîne d’acheteurs est mise à contribution, sans faire peser les coûts induits sur les agriculteurs qui ont déjà assez peu de marges de manœuvre ?

M. Jean-Christophe Bureau. La taxation des distributeurs dans le but d’orienter leurs choix vers des produits moins calibrés n’a pas été vraiment étudiée car, suivant le modèle de taxation qui vous a été présenté, elle se répercute déjà sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Même si ce que vous évoquez constitue un levier potentiel, je n’ai pas connaissance d’études faites sur ce sujet.

Je souhaite toutefois nuancer le propos en soulignant que tous les produits phytosanitaires ne se valent pas et que tous ne sont pas substituables de la même manière. Au Danemark par exemple, les herbicides ont été assez largement taxés parce qu’ils sont substituables. Mais si un verger est touché par la mouche japonaise, il est plus difficile de trouver d’autres produits. Cette absence d’uniformité est prise en compte dans les travaux d’Alain Carpentier.

Je rejoins les propos de M. Potier lorsqu’il évoque la nécessité d’associer à la taxe des incitations complémentaires, en mobilisant l’ensemble des leviers possibles pour parvenir à nos objectifs. Mais j’insiste sur l’opportunité de mettre en place des incitations qui sont pour le moment trop faibles. L’agriculture biologique a souffert de l’augmentation des prix et sera davantage affaiblie si l’aide au maintien disparaît. Elle n’est pas suffisamment soutenue par les politiques publiques de transition agroécologique, largement abordées au sein des écoles d’agronomie, mais qui ne se concrétisent pas dans la pratique. Les aides actuelles, telles que les paiements directs à l’hectare, ne sont pas structurées de manière à favoriser un véritable changement.

Avec le mécanisme actuel, l’importance des paiements directs par hectare est inversement proportionnelle au risque supporté. Aussi, l’agriculteur qui en bénéficie n’a pas d’incitation à diversifier les assolements. Le PSN et la Pac n’incitent pas au changement et la taxe permettrait d’apporter une incitation forte et claire suivie d’effets.

M. Hervé Guyomard. Nous pouvons théoriquement parvenir à inclure l’ensemble de cette chaîne de valeur, en intégrant en amont les caractéristiques des différents pesticides et la réaction des prix, mais nous buterons là encore sur l’inaccessibilité de certaines données. Le réseau d’information comptable agricole (Rica) offre un outil pertinent mais non exhaustif. Faute d’informations, nous nous bornons à établir des scénarios.

Mme Laurence Heydel Grillere (RE). Si j’ai bien compris, vous n’avez pas pris en compte l’usage des pesticides par l’industrie agroalimentaire. L’application de votre modèle n’empêcherait pas, par conséquent, l’utilisation des pesticides sur ce segment.

Par ailleurs, votre affirmation selon laquelle aucun changement de pratiques n’a été réellement visible est-elle quantifiée par les recherches effectuées au sein de l’Inrae ? Il me semble pourtant qu’il y a eu des évolutions, avec l’interdiction ou la diminution des doses à l’hectare de certains produits, à l’instar de l’atrazine, substance utilisée en grandes quantités et remplacée pas d’autres en plus faible proportion.

Dans votre étude qui porte essentiellement sur des territoires situés à l’est de la France, il me semble que vous vous êtes limités à des exploitations de taille relativement importante, qu’il s’agisse de polyculture ou d’élevage. Or nous savons qu’il existe une grande diversité de pratiques. D’ailleurs certaines d’entre elles, comme l’arboriculture ou les plantes aromatiques et médicinales, ne sont pas concernées par ces mécanismes. De quelle manière votre modèle pourrait-il proposer des solutions pour ce type de cultures ? En tenant compte de la diversité de la « ferme France », de quelle manière les variables économiques intégrées à votre modèle rendent-elles compte de l’impact des mesures sur le long terme ou encore de la situation particulière des pesticides non substituables ?

Pourriez-vous enfin détailler le rôle de la taxe assurantielle en substitution ou en complément de la taxe prévue par votre modèle ?

M. Hervé Guyomard. Pour dissiper tout malentendu, l’étude que l’on nous a invités à vous présenter aujourd’hui porte sur un type de productions basées effectivement dans l’est de la France, mais elle n’exclut en rien les travaux que nous effectuons par ailleurs sur d’autres périmètres.

Ce sont les données du ministère qui nous ont permis de fonder nos affirmations concernant l’accès au niveau standard de l’écorégime pour 90 % des agriculteurs avec, pour corollaire, l’absence d’impact significatif sur les pratiques. Nous estimons que les exploitants peuvent atteindre le niveau standard sans changer leurs pratiques. Le changement ne peut venir dans ce cas que d’une décision individuelle et volontaire ou relever d’autres mécanismes, indépendamment de l’écorégime.

Concernant votre question sur l’industrie agroalimentaire, nous pouvons lui appliquer le même mécanisme. Nos échanges permettent de faire évoluer nos pistes de recherches.

La diversité des productions sera bien entendu prise en compte dans chacune des déclinaisons de cette étude. Originaire de Bretagne où les élevages sont importants, j’ai bien conscience des disparités d’enjeux et de moyens à envisager pour appliquer cette taxe. Il s’agit donc de nos premiers travaux. À cet égard, nous avons remarqué que la plus grande part de réduction des produits phytosanitaires était observée dans les productions qui comportaient des prairies. Ce constat majeur peut avoir une portée importante, dans la mesure où la France est riche de ses prairies où sont associés culture et élevage.

Ensuite, la notion d’accessibilité de ce dispositif pour les producteurs est au cœur de nos travaux. Nous avons bien conscience que la taxation sera rejetée si elle pèse sur les agriculteurs. Nous sommes également bien conscients des difficultés rencontrées au fil de l’adoption des différents plans nationaux et communautaires. Nous voulons justement trouver des mécanismes nouveaux et complémentaires, ce que permettra la recherche. À cet égard, il me semble que le plan Écophyto tient compte de l’importance du financement de la recherche pour faire émerger de nouveaux dispositifs, tout en limitant l’impact négatif sur les revenus.

Sans être docteur en agronomie, mon expérience en tant que directeur de l’agriculture à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), avant sa fusion avec l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea), m’a permis d’observer de nombreuses pratiques résilientes, telles que l’assolement, les rotations, le potentiel des cultures et des sols, etc. Nous prenons en compte ces éléments sur la base des statistiques disponibles.

M. Jean-Christophe Bureau. Il y a effectivement eu des changements de pratiques grâce au plan Écophyto avec, par exemple, un effet de sensibilisation, le contrôle des buses et des épandeurs ou les bandes tampons enherbées localisées le long des cours d’eau, que l’on trouve dans la conditionnalité environnementale. Des pratiques telles que l’épandage sur des cultures de maïs avec un pulvérisateur atteignant largement le périmètre de la Saône ont disparu. Ces changements de pratiques résultent surtout de l’interdiction de certaines molécules. L’atrazine a ainsi été interdite vers 1979.

On ne peut toutefois qualifier ces modifications de révolution agroécologique, selon le terme utilisé par les ONG ou les écoles d’agronomie. Cette situation s’explique par l’absence d’incitations pertinentes à diversifier les cultures, à inciter à la polyculture ou à l’allongement des rotations. Ces changements demeurent fondamentaux pour atteindre un objectif de réduction des produits phytosanitaires. La Pac ne présente pas aujourd’hui de tels dispositifs d’ampleur, excepté certaines mesures précédemment évoquées.

De la même manière, la taxe ne peut être pertinente si elle n’est pas intégrée à un mouvement d’ensemble.

Les produits phytosanitaires sont effectivement en partie utilisés par précaution, à la manière d’une assurance, à l’instar des traitements à la bouillie bordelaise en cas de suspicion d’une contamination au mildiou. Nous sommes alors tentés de penser qu’une véritable assurance pourrait constituer une forme de substitut aux produits phytosanitaires préventifs.

Toutefois, les assurances comportent des effets boomerangs car, en dehors des assurances contre la grêle, phénomène imprévisible, ces mécanismes de protection réduisent l’effort de l’agriculteur pour diversifier ses cultures et accroissent le poids du risque. En effet, la réponse assurantielle incite à la spécialisation des cultures. La simplification des assolements qui en résulte accroît l’exposition des terres aux risques.

Aussi, je considère que les actions du ministère en faveur de ces mécanismes entretiennent un système peu vertueux et en amplifient les inconvénients.

Mme Nicole Le Peih (RE). En tant qu’agricultrice et Bretonne, je souhaite soumettre une question à M. Hervé Guyomard concernant le tableau, figurant à la page dix-sept du diaporama, sur l’impact comptable en euros par exploitation. J’ai pu, grâce à cet outil, calculer facilement les coûts négatifs induits sur mon exploitation. Les résultats m’ont fortement étonnée.

Ce modèle serait-il duplicable à d’autres secteurs économiques, tels que les voies ferrées gérées par la SNCF, grand consommateur de produits phytosanitaires sur les 30 000 kilomètres de voies qu’elle exploite ? Est-il encore duplicable aux structures industrielles et aux autres acteurs de l’économie ?

Par ailleurs, nous souhaiterions pouvoir vous rencontrer à nouveau, par exemple sur le secteur Grand-Ouest, moins abordé par votre étude, avec M. Chassaigne aux côtés duquel je travaille sur un rapport sur le PSN. La région, marquée par une baisse de l’élevage laitier, connaît des difficultés importantes. Votre étude concernant la variable induite par les prairies permettrait d’éclairer la problématique dans cette région.

M. Hervé Guyomard. J’étudie l’agriculture depuis la mise en place des quotas laitiers, c’est-à-dire depuis longtemps. La duplication du modèle à d’autres secteurs selon les contraintes précises d’un territoire sera tout à fait envisageable, mais elle nécessite de collaborer avec d’autres chercheurs spécialistes de ces domaines.

Je connais le territoire de votre exploitation. Nous nous situons au milieu de la Bretagne, au sein de la Communauté de communes du Kreiz-Breizh. Les difficultés rencontrées par les éleveurs sont parfaitement identifiées.

À travers notre travail, nous voulions démontrer que la France a opté, comme de nombreux autres États membres, pour un système faiblement ambitieux et demandant peu d’efforts. J’ai conscience que ce choix a été fait pour préserver les revenus. Néanmoins, si nous voulions véritablement relever, ne serait-ce qu’à court terme, ce défi climatique et environnemental, il est nécessaire d’investir des moyens.

Cette approche permettra d’accompagner l’émergence de pratiques innovantes, évoquées par M. Potier, et qui ne peuvent pas être instantanées. Il convient d’allouer des moyens significatifs pour accompagner cette phase de transition. Le rapport de M. Jean Pisani-Ferry sur la transition écologique en rend compte. Des ressources additionnelles doivent être mobilisées. Par exemple, la diminution de l’utilisation des pesticides a pour conséquence la réduction des coûts induits par le traitement de l’eau. Cette économie représente une ressource additionnelle mobilisable. Le secteur agricole et agroalimentaire doit être intégré dans l’économie générale. Ainsi, ces mesures additionnelles représentent un outil intéressant pour constituer un fonds de transition pour soutenir les éleveurs, face aux difficultés résultant de l’évolution de leurs pratiques.

Cette opportunité n’est pas assez traitée au sein du système actuel qui repose trop fortement sur les budgets alloués par la Pac. L’obtention d’un consensus autour du vote des crédits centralise tous les efforts et monopolise beaucoup trop de temps et d’énergie. Il serait nécessaire d’organiser cette réflexion en même temps que sont élaborées les stratégies à mettre en place. Ce travail décloisonné demanderait de la volonté de la part des États membres.

Mme Nicole Le Peih (RE). Dans quelle mesure le bilan comptable annuel relatif aux exploitations agricoles peut-il rendre compte de pratiques plus vertueuses ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Nous serons effectivement très désireux de pouvoir approfondir ces sujets avec vous pour accompagner nos réflexions sur l’élaboration du PSN.

Par ailleurs, je vois une forme de contradiction avec la fixation des objectifs climatiques, soutenus par de nombreuses analyses, contraignant à la réduction du volume d’élevage. Ce mouvement implique un accroissement des cultures végétales, pour l’alimentation humaine ou pour nourrir le bétail. Au-delà de la lutte contre l’effet de serre du aux émanations des animaux, cette évolution, sans changement de pratiques importantes, ne risque-t-elle pas d’augmenter la dépendance aux produits phytosanitaires, alors qu’elle cherche à réduire les effets portant atteinte au climat ?

M. Jean-Christophe Bureau. Le Green Deal, ou Pacte vert, assez mal engagé, rend compte d’une logique qui peut être critiquée, mais conserve une forte cohérence. Il porte un objectif de réduction de la consommation animale et de libération des terres pour permettre des cultures de type extensif. Le débat reste ouvert pour analyser tant l’opportunité de cet objectif que son caractère réalisable. Certaines voix préconisent de localiser les modes de culture, avec des zones de fortes pratiques intensives et des espaces ouverts.

La contrainte climatique ne s’est pas encore réellement manifestée sur l’agriculture. Il s’agit d’un secteur encore peu régulé au regard du marché du carbone, mais qui le sera bientôt, notamment autour de la production de méthane par les ruminants. Cela fait écho au changement d’affectation des terres et foresterie en lien avec la prise en compte d’émissions indirectes, par exemple lorsque les cochons sont alimentés en maïs et en soja. Tous les élevages sont donc concernés, pas seulement l’élevage de bovins. À cet égard, il existe en France un biais anti-élevage bovins assez fort. Et il n’est pas exclu que la question du méthane des bovins puisse être réglée par des évolutions techniques, ce qui changerait la donne.

La cohérence du Pacte vert ne s’applique pas vraiment en France et en Europe. On observe en effet un remplacement des prairies par les grandes cultures, y compris dans les bocages normands dont la situation écologique est très fragile sur le plan de la gestion des eaux ou du stockage du carbone. Par ailleurs, la consommation de viande est plutôt marquée par une baisse de la consommation de viande bovine qui s’accompagne d’une hausse de la consommation de poulet, sans que la consommation de viande globale soit réellement impactée.

M. Hervé Guyomard. Dans le prolongement de ce qui a été dit, nous pouvons nous questionner sur l’approche retenue autour de l’objectif fixe de réduction des cheptels. Dans quelle mesure n’existe-t-il pas d’autres voies possibles ? La France partage une spécificité avec l’Irlande autour de la dissociation entre races laitières et races allaitantes. Les troupeaux spécialisés produisent moins de gaz à effet de serre. Mais lorsque la production est mélangée, l’activité serait moins polluante avec des races mixtes. Ce cas de figure renvoie à l’opportunité d’envisager différentes opportunités avant de se diriger vers des orientations binaires.

M. Dominique Potier, rapporteur. Seriez-vous en mesure de nous confirmer que la matrice de la Pac, telle qu’elle est conçue, peut absorber 2 milliards de taxes redistribuées en tenant compte de l’objectif d’acceptabilité, qu’elle concerne la complexité administrative ou les revenus ?

Par ailleurs, votre modèle permettrait-il d’intégrer les coûts climatiques des engrais azotés, véritable enjeu climatique qui fait l’objet de toutes les attentions malgré un certain attentisme du Gouvernement ? Ces dynamiques sont très largement couplées en termes d’impact sur la santé et la biodiversité et requièrent une même décroissance des pratiques.

M. Hervé Guyomard. Cela induirait bien entendu des coûts administratifs, mais on possède déjà tous les mécanismes permettant sa mise en place. Il me semble opportun d’utiliser notamment le dispositif de redistribution des paiements directs pour agir au niveau régional, à côté des Maec. De manière générale, la taxe est, je pense, le dispositif le moins coûteux sur le plan administratif.

Au sujet de l’azote, comme du phosphore et du potassium, l’absence de données d’utilisation nous empêche, là encore, d’effectuer des analyses rigoureuses.

M. Jean-Christophe Bureau. J’estime également que les sujets peuvent être couplés. À cet égard, la réaction au prix est encore plus facile à comprendre sur le plan de la recherche concernant la consommation d’azote, en comparaison de la grande diversité des produits phytosanitaires qui ont des modélisations différentes. De la même manière, il est plus facile de chiffrer le coût social de l’utilisation de l’azote. Le coût des pollutions azotées en Europe s’élève à environ 100 milliards d’euros. Rapporté à sa valeur ajoutée estimée à 180 milliards d’euros, ce coût externe est assez important, ce qui pose bien sûr la question de sa pertinence.

Mais le grand public, attentif au sujet du climat depuis trente ans et à la question de la biodiversité depuis trois ans, n’est pas encore réceptif à ce sujet. Les médias eux-mêmes n’ont pas compris les notions de cycle ou de cascade de l’azote et les coûts induits très importants en termes de pollution.

Enfin, la commission procède à l’audition de M. Loïc Madeline, représentant de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) au conseil d’administration du Collectif Nourrir sur l’objectif de réduction des produits phytosanitaires au regard du Plan stratégique national 2023-2027.

Mme Laurence Heydel Grillere, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons à présent nos travaux avec une seconde audition dédiée à la question du plan stratégique national (PSN). Dans la continuité des échanges que nous venons d’avoir avec les chercheurs Hervé Guyomard et Jean-Christophe Bureau, nous aborderons notamment la compatibilité du PSN avec nos ambitions en matière de réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques. Cette audition nous permet de recueillir le point de vue de la société civile.

Pour mémoire, le collectif Nourrir est une plateforme inter-organisations qui constitue un espace commun de réflexion et d’action. Il œuvre à la refonte du système agricole et alimentaire. Nous l’avions auditionné en septembre 2023 dans le cadre d’une table ronde à vocation générale. Nous souhaitons ici porter notre attention sur les améliorations possibles du PSN, pour en faire un levier adapté à nos ambitions en matière de réduction des produits phytopharmaceutiques.

Le collectif est aujourd’hui représenté par M. Loïc Madeline, membre du conseil d’administration et également représentant de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), spécialiste de la question du PSN et de la Pac. Nous vous remercions de votre présence.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Loïc Madeline prête serment.)

M. Loïc Madeline, représentant de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) au conseil d’administration du Collectif Nourrir. Merci de me convier à l’épilogue d’une thématique extrêmement complexe. Je suis paysan et producteur en agriculture biologique en Normandie, établi sur une ferme de 84 hectares. J’exerce selon un système diversifié dit de polyculture-élevage, et je produis de la viande bovine et des cultures variées ; j’ai également un atelier de pommes de terre en diversification.

Je représente le collectif Nourrir, où je participe au comité de pilotage en tant que représentant de la FNAB. Pour la fédération, je suis membre du bureau et coordonne le secrétariat national en charge des aides et de la politique agricole commune (Pac). Je connais davantage le périmètre de la Pac que celui des pesticides, dans la mesure où je pratique l’agriculture biologique depuis mon installation en 2012.

Pour comprendre les enjeux, tant de la Pac que de l’utilisation des pesticides, il est nécessaire de s’intéresser à l’augmentation de la taille des fermes. Celle-ci remonte à une histoire récente qui a vu la modernisation, l’agrandissement et la spécialisation des systèmes de production. Lorsqu’un système est spécialisé, il devient dépendant. Lorsque cette dépendance a lieu à l’égard d’un seul marché, la recherche de performances pousse l’exploitant à intensifier ses pratiques et à recourir aux intrants, donc aux produits phytosanitaires.

Nous, agriculteurs biologiques, défendons un modèle d’agriculture qui utilise le moins de pesticides possible, et pas de pesticides de synthèse. Nous considérons que dans la Pac actuelle, l’agriculture biologique n’est pas assez soutenue et défendue, notamment en ce qui concerne l’« écorégime », anciennement « paiement vert », le périmètre « vert » de la Pac. Nous appelons à ce que cette agriculture biologique, transformatrice du modèle agricole sur le long terme, puisse accéder à un écorégime fort.

Lorsque l’on observe l’ensemble du système agricole français, on s’aperçoit que les dépenses liées à la Pac sont dispensées en grande partie sans conditions. Il existe le droit aux paiement de base au sein du premier pilier à côté d’un certain nombre d’autres aides conditionnelles qui ne produisent pas de résultats avérés. Il s’agit en particulier de l’écorégime, perçu aujourd’hui pas de nombreux agriculteurs qui n’ont pas besoin de faire œuvre réformatrice.

Certaines dépenses conditionnelles sont définies à travers la fixation de résultats espérés, comme dans le cadre des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), dont le budget est établi à 260 millions d’euros. Il y a également les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) qui représentent 800 millions d’euros et visent à préserver les systèmes d’herbage et d’élevage.

En dernier lieu, la Pac met en œuvre des dépenses conditionnelles avec des résultats avérés. Parmi elles, figure l’aide à la conversion, relativement ralentie aujourd’hui, ou encore des mesures fiscales telles que le crédit d’impôt bio et le crédit d’impôt glyphosate.

Nous considérons que la Pac est inégalement répartie entre les dépenses inconditionnelles qu’elle prévoit et les autres dépenses qui visent une transformation pérenne et durable des systèmes. C’est la raison pour laquelle nous défendons des propositions qui permettront à l’agriculture biologique d’être reconnue comme un élément clé de la transition. Nous souhaitons la rendre accessible et tangible pour les producteurs qui souhaiteront se diriger vers ce mode de production à l’avenir.

Je pense que deux approches permettraient de résoudre la problématique des pesticides. La première consisterait à agir selon une logique de marché, en stimulant les systèmes peu ou pas utilisateurs de pesticides, dont relèvent pleinement les agriculteurs biologiques. Ce cadre peut être fixé par la Pac, à travers les paiements pour services environnementaux (PSE). On pourrait également prévoir un prix d’intervention qui offrirait aux exploitants de productions variées une garantie sur les prix. Cette logique nécessite donc d’intervenir sur le terrain des prix.

La seconde approche correspond davantage à une logique de préservation de l’environnement en suivant la voie de la conditionnalité totale des aides, plus difficile d’accès, à travers le principe du « pollueur-payeur ». J’estime que cette piste, malgré sa grande efficacité, est moins réaliste, car nous ne sommes pas prêts pour ce genre de mesures. La solution est peut-être à trouver à travers la combinaison de ces deux stratégies.

Nous considérons par ailleurs que la reconception des systèmes agricoles est au cœur des enjeux de transformation. Or, le niveau de spécialisation atteint au sein des exploitations rend difficile la transmission des bons outils et renforce au contraire largement la recherche de performance sur une production et un segment précis de marché. Cette position empêche le paysan d’imaginer d’autres scénarios pour sa ferme.

Il convient néanmoins de contourner ces biais pour entrer véritablement dans une dynamique de réduction des pesticides.

Je suis passé à l’agriculture biologique alors que la ferme de mes parents était exploitée en agriculture conventionnelle, certes tournée vers le pâturage, mais utilisant un certain nombre de produits comme cela se faisait beaucoup à l’époque. J’ai décidé d’opérer une rupture douce en reprogrammant progressivement mes pratiques. À cet égard, j’ai commencé par établir des rotations.

Or, ces rotations sont l’un des points faibles des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) prévues dans le PSN. Seuls les systèmes spécialisés cherchant la performance à n’importe quel prix ne pratiquent pas la rotation. Ceux-ci deviennent dépendants du marché et donc de la technique. Il est dès lors extrêmement difficile de sortir de ce schéma entièrement programmé.

Aussi, l’enjeu est d’apporter de la variété dans ces systèmes agricoles, tout en gardant à l’esprit que l’objectif principal des pratiques agricoles est de produire des aliments pour nourrir la population. Il s’agit en même temps de se questionner sur la notion de rendement. Peut-on comparer le rendement d’un hectare de blé produisant 70 quintaux de produits et 6 tonnes de matières sèches à celui d’un même hectare de maraîchage produisant 50 tonnes de légumes et 10 tonnes de matières sèches ? La diversification est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction du recours aux pesticides.

Enfin, conformément à la logique de préservation de l’environnement que j’évoquais plus en amont, la création d’une taxe sur les produits phytosanitaires pourrait être envisagée. Le produit de cette taxe, établie à 15 % ou 25 %, pourrait alimenter les écorégimes ou le co‑financement du second pilier de la Pac. Cela permettrait d’accompagner un changement des pratiques par la stimulation croisée du marché et des systèmes plus vertueux.

Mes collègues passés en agriculture biologique il y a quatre ans – je pense notamment à l’un d’entre eux – ont pris cette décision non pas en raison de la plus grande générosité des aides, mais essentiellement en raison de l’attractivité du prix, des prix a priori garantis sur le long terme et de l’opportunité de se détacher de l’usage de son pulvérisateur. La bascule s’est faite sur la base de ces éléments pour cet ami qui s’est dit qu’à 45 ans, il souhaitait rester en bonne santé et offrir à sa pratique une dynamique différente. Ce qui a été déterminant, c’est donc la garantie sur le prix et la bonne rémunération rendue possible par le niveau du prix, couplées à son désir de faire évoluer sa ferme en expérimentant la coexistence de quatre ou cinq cultures avec un assolement de cinq à sept ans.

Nous avons également de nombreuses propositions à soumettre pour faire évoluer les pratiques concernant l’usage des produits phytosanitaires. Elles sont fortement liées à l’agriculture biologique qui constitue un réel outil de réduction de l’utilisation des pesticides. L’agriculture biologique est d’ailleurs plébiscitée par les agences de l’eau, notamment en ce qui concerne les aires de captage, et, si elle n’est pas encore parfaite selon certains critères, elle va en s’améliorant et produit déjà des bénéfices certains qu’il convient d’encourager.

Nous souhaitons donc sensibiliser les parlementaires à de cette question afin de donner à cette agriculture davantage de soutien. Ce dernier doit prendre la forme d’un renforcement de la communication à l’attention des consommateurs. Il doit ensuite se concrétiser dans la Pac, à travers l’écorégime et les paiements pour services environnementaux. Nous défendons enfin l’idée que l’agriculture biologique puisse bénéficier de prix garantis.

Je pense que c’est à travers ces trois mesures que l’on parviendra à convaincre les acteurs de l’agriculture d’opter pour des pratiques plus durables.

M. Dominique Potier, rapporteur. Merci pour cet exposé liminaire très complet basé sur votre expérience personnelle et votre engagement au sein du collectif Nourrir. Après avoir convenu des faiblesses du PSN, nous souhaiterions concentrer notre attention sur les possibilités d’amélioration et le calendrier afférent.

Quelle stratégie politique incarnez-vous au sein du collectif Nourrir ? Par ailleurs, dans la mesure où il est possible de prévoir des révisions à mi-parcours, avez-vous travaillé sur un projet de PSN dès 2024 ? Devrions-nous envisager un transfert entre le premier et le deuxième pilier ? Le collectif Nourrir a-t-il déjà travaillé sur une nouvelle maquette chiffrée du PSN que vous pourriez nous adresser ?

M. Loïc Madeline. Nous sortons tout juste d’un travail effectué sur l’actuel PSN. Nous ne disposons donc pas encore d’éléments, mais nous avons déjà commencé à y travailler et à rassembler des propositions au sein des institutions qui composent le collectif. À la FNAB, nous étudions la possibilité de réajuster le PSN dès 2024 car certains crédits concernant l’aide à la conversion risquent de ne pas être consommés.

Le collectif est effectivement également très attaché à l’idée du transfert entre le premier et le second pilier. Nous défendons un taux plus élevé que les 7,5 % qui ont été retenus. Un taux de l’ordre de 15 % permettrait d’alimenter les dispositifs de transition prévus dans le second pilier.

M. Dominique Potier, rapporteur. Ce transfert entre piliers est-il possible en restant dans le cadre de la Pac ?

M. Loïc Madeline. Le transfert des crédits du premier au deuxième pilier est effectivement possible à chaque révision du PSN.

Nous projetons que, dans le cadre du PSN actuel, l’écorégime va être largement consommé. Cela peut constituer un échec si notre objectif est de changer les pratiques. Le budget de l’écorégime s’élève à 1,8 milliard d’euros dans le premier pilier, ce qui représente 25 % des 7,5 milliards globaux. Il est dommage que cette somme soit si peu transformative. C’est un premier échec.

Au sein du collectif, nous estimons qu’il convient de reconsidérer les allocations à l’intérieur de cet écorégime car les moyens sont insuffisants. L’écorégime comprend trois niveaux, un niveau minimum, un niveau supérieur et un troisième niveau « top-up » pour l’agriculture biologique, mais qui n’est pas suffisant. L’écorégime doit marquer une différence notable et efficace pour différencier véritablement les systèmes qui apportent une valeur verte ajoutée à ce premier pilier. Ensuite, il importe de traiter la situation dans laquelle des producteurs peuvent bénéficier de ce dispositif sans nécessairement transformer leur activité. La solution pourrait consister à supprimer le premier niveau, trop facile d’accès. Il peut s’agir également de réviser les critères d’accès de manière à ce que l’écorégime joue pleinement son rôle de transformation des cultures et de réduction de la consommation de pesticides.

M. Dominique Potier, rapporteur. Concernant les écorégimes, le choix du gouvernement a été de procéder à une baisse homogène de la rémunération. Vous considérez que nous aurions pu profiter dès à présent de l’opportunité de différencier les trois niveaux de certification.

Vous parlez de l’une des trois voies d’accès à l’écorégime. Concernant les deux autres voies, estimez-vous que les critères sont trop faciles d’accès, qu’il existe des biais diminuant leur portée ? Le non-labour des prairies permanentes, pratique somme toute basique, nécessitait-il l’attribution d’une aide spécifique, ne pourrait-il pas être régulé par la voie règlementaire ? La notion de diversité des cultures repose-t-elle sur un niveau de diversité suffisant ? Enfin, je souhaiterais connaître votre avis concernant la prise en compte des infrastructures agroécologiques pour le calcul de la surface agricole utile (SAU).

M. Loïc Madeline. L’ensemble de ces critères est insuffisant. L’accès à l’écorégime peut se faire par la voie de la certification ou par celle des pratiques agricoles. Cette dernière repose sur trois systèmes, dont le non-retournement des prairies permanentes. Mobiliser de l’argent pour préserver des espaces de biodiversité et de stockage de carbone ne semble effectivement pas très fondé.

En rentrant dans le détail les critères pour l’accès aux écorégimes par la voie des pratiques, notamment ceux relatifs à la rotation, nous observons qu’ils sont effectivement très peu contraignants. Une ou deux rotations annuelles suffisent et le dispositif reconnaît même l’alternance entre une culture principale et une interculture, soit une pratique basique de couverture des sols pendant l’hiver. Si vous analysez le diagramme de Gantt qui s’applique à mes parcelles, vous verrez que la diversification des cultures sur les parcelles est un incontournable en agriculture biologique. Aussi, le critère qui fait du couvert hivernal un élément de la rotation me semble être une réelle hérésie agronomique. Il ne s’agit en aucun cas d’une culture à proprement parler. Ce point serait à améliorer.

Nous considérons qu’il conviendrait au minimum d’imposer trois cultures avec des rotations sur quatre ans. Personnellement, je travaille sur une planification de cinq, six voire sept ans, dont trois années en prairie. Cette méthode est indispensable lorsque l’on renonce aux intrants chimiques. C’est ainsi que nous parvenons à obtenir des rendements convenables, qu’il s’agisse de la pomme de terre ou des céréales. La rotation est la clé d’un système varié et variable.

M. Dominique Potier, rapporteur. Avez-vous travaillé au sein du collectif sur la taille des parcelles ? L’Inrae en avait fait une proposition dans le passé, laquelle n’avait pas été accueillie positivement. Il avait défendu l’idée que des parcelles de quatre ou cinq hectares permettaient d’offrir des écosystèmes propices et résilients face aux bioagresseurs.

M. Loïc Madeline. Nous avons étudié cette question au sein de la FNAB à l’occasion de la création du label FNAB sous forme de grille de points basée sur des critères plus exigeants que le label bio concernant le domaine de la biodiversité. Il prévoyait notamment la limitation des parcelles à six hectares en tenant compte des infrastructures agroécologiques.

Même si cela est complexe à démontrer, notre travail est sensible aux effets de corridors ou au déplacement d’espèces, il est en lien permanent avec la biodiversité vivante. Par conséquent, nous évitons de travailler sur de trop grandes parcelles dénuées de haies ou de zones d’infrastructures agroécologiques.

M. Dominique Potier, rapporteur. À l’égard du label « haute valeur environnementale » (HVE), les auditions que nous avons menées nous ont permis de constater que ce critère n’est pas forcément l’adversaire de l’agriculture biologique comme cela a pu être décrit. Toutefois, nous pouvons regretter qu’il n’ait pas été le levier de transition agroécologique qu’il aurait pu être, du fait de son cahier des charges. Je fais partie de ceux qui estiment qu’une certification de l’agroécologie est pertinente, mais que celle-ci a échoué en raison de la défaillance du cahier des charges de la HVE, notamment en matière de phytopharmacie. Quelle est la position de la FNAB à ce sujet ?

M. Loïc Madeline. Notre position est claire : nous sommes très peu favorables à la certification HVE, dont nous avons d’ailleurs attaqué le principe en justice. L’avoir inscrit dans le PSN, s’agissant d’un critère franco-français qui n’avait pas démontré son efficacité, s’avère être un acte de concurrence non légitime au label agriculture biologique. Au sein du collectif Nourrir, nous espérions que le cahier des charges soit plus exigeant afin de constituer un réel outil de transition, mais cela n’a finalement pas été le cas.

Selon différentes études, et notamment celles de Philippe Pointereau, ancien directeur de Solagro, chacune des deux révisions du cahier des charges de la HVE a entraîné une augmentation de la matrice qui permettait d’obtenir les points. La conséquence est proche de « l’effet écorégime » : un accès au plus grand nombre malgré la restriction de certains critères marginaux. Aujourd’hui, il est un outil favorisant le statu quo.

En tant qu’agriculteur bio, je considère que nous devons défendre l’agriculture biologique qui représente un horizon commun. Par ailleurs, je considère que c’est une erreur de concentrer les efforts sur les paliers intermédiaires en perdant de vue le parcours global de progression vers l’agriculture biologique, sans engrais chimiques ni pesticides ou organismes génétiquement modifiés (OGM). Aussi, en intégrant des étapes intermédiaires, les dispositifs nuisent aux paliers suivants.

À titre d’exemple, j’ai souscrit il y a cinq ans à une Maec ouverte dans mon secteur. Puisqu’il s’agit d’une mesure non contraignante, un certain nombre d’agriculteurs exerçant en conventionnel sont revenus à leurs anciennes pratiques au terme des cinq ans.

Aussi, dès lors qu’il n’existe pas d’obligation de résultat, les politiques publiques entretiennent une déformation temporaire du système, alors que l’agriculture biologique propose une transformation permanente du système.

La certification bio est aussi le parcours d’un encadrement, en l’occurrence celui d’organismes agréés par le Comité français d’accréditation (Cofrac). Ce système nous maintient dans une exigence environnementale que l’on ne peut trahir.

M. Dominique Potier, rapporteur. Concernant les paiements pour services environnementaux en agriculture (PSE), s’ils offrent une voie d’avenir, comment pourraient-ils être financés ?

M. Loïc Madeline. Nous estimons que les PSE pourraient relever des écorégimes, ce qui correspondait à la promesse initiale. Nous avions d’ailleurs présenté une proposition chiffrée à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE). Fixés à 145 euros, niveau correspondant à peu près à la disparition progressive de l’aide au maintien depuis 2017, ces PSE permettraient de restituer à l’agriculture biologique la valorisation des services environnementaux qu’elle rend.

Il existe d’autres voies comme celle, évoquée plus en amont, d’une taxe sur les produits phytosanitaires dont le produit participerait au financement des pratiques plus vertueuses, comme l’agriculture biologique.

Enfin, les agences de l’eau financent elles-mêmes certains PSE au niveau des aires d’alimentation des captages. Mais les agriculteurs bio n’ont pas facilement les moyens d’y souscrire. Ainsi, ce mécanisme leur bénéficie assez peu, alors qu’ils participent activement à cette gestion qualitative de l’eau. Nous souhaiterions que ce point soit réexaminé.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). À l’occasion d’un déplacement récent dans la Drôme, j’ai reçu l’information que Carrefour exigerait de la part de producteurs bio de doubler la certification de leurs produits avec le label HVE. Cela montre que la certification HVE est en marche pour supplanter le label bio, puisqu’on laisse penser qu’il lui est même supérieur. Auriez-vous reçu des informations complémentaires à ce sujet ?

Par ailleurs, dans la mesure où vous avez travaillé sur une analyse comparée des stratégies d’autres pays de l’Union européenne, auriez-vous identifié certaines pratiques concernant l’objectif de réduction des produits phytosanitaires qui pourraient nous inspirer ?

M. Loïc Madeline. Nous sommes effectivement en concurrence avec le label HVE pour de mauvaises raisons. 55 % du chiffre d’affaires de l’agriculture biologique est réalisé dans les grandes et moyennes surfaces (GMS). Lorsque les GMS décident de référencer des produits labellisés HVE au détriment du bio, nous sommes face à une situation de concurrence directe. Intermarché a, par exemple, procédé à de nombreux référencements de produits labellisés HVE, ce qui induit inévitablement une concurrence au bio, alors même que la certification HVE n’apporte aucun changement majeur des pratiques. Dans nos entourages respectifs, nous pouvons observer que les produits HVE apparaissent comme une alternative proche du bio. Ils sont favorisés par la faiblesse du pouvoir d’achat. En résumé, il s’agirait d’une concurrence loyale si le système promu était vertueux. Or ce n’est pas le cas.

Mme Laurence Heydel Grillere, présidente. Le label HVE se distingue du bio par le fait qu’il repose sur quatre piliers. Nous savons que la FNAB a travaillé sur un cahier des charges comprenant le pilier de la biodiversité. Du reste, la question des pesticides n’est pas l’unique critère et les deux labels contiennent chacun des dispositions qui leur sont propres. Cette diversité est à souligner.

Lorsque vous évoquez la concurrence face aux GMS, certains producteurs labellisés HVE estiment qu’il n’y a pas de valorisation de leurs pratiques à l’égard des agriculteurs exerçant en conventionnel, à l’inverse des exploitants bio. Ce point est d’autant plus vrai, notamment pour les produits que je connais le mieux, les fruits et légumes, dans la mesure où la concurrence se joue au niveau des importations de produits, déterminées par le prix plutôt que par les niveaux de certification.

Vos propos semblent affirmer que seule l’agriculture biologique permettra aux systèmes agricoles de progresser. Comment impliquer dès lors les autres exploitants dont les systèmes ne sont pas transposables au bio ? S’agit-il de stopper leur activité ? Je pense notamment aux producteurs de volailles qui n’ont pas l’espace nécessaire pour un élevage en plein air.

M. Loïc Madeline. C’est précisément l’inverse que j’énonçais lorsque je défendais l’idée d’un horizon commun et d’une planification dans la durée. Il ne s’agit pas d’instituer une sorte de gendarmerie du bio contrôlant de manière binaire les pratiques, mais de produire les conditions d’une conversion lente. Actuellement, cette conversion nécessite cinq ans, dont trois pour obtenir la certification. Il est tout à fait envisageable de prolonger cette période.

Par ailleurs, obtenir la conversion – ne serait-ce que de 30 % – des agriculteurs en conventionnel serait déjà une réussite et offrirait une réelle plus-value au regard de l’objectif de réduction des pesticides. Cet horizon commun difficilement définissable peut parfaitement se construire avec des critères à géométrie variable. Certains partent effectivement de très loin et il ne s’agit pas d’instituer une concurrence entre les collègues paysans.

Cependant, la Pac est l’outil d’application des politiques publiques à travers le programme national nutrition santé, la directive nitrate, la directive-cadre sur l’eau et la directive sur la protection des oiseaux. Ces outils offrent un cadre de transformation relativement lent permettant de valoriser les efforts fournis. Pour ma part, j’ai pu stabiliser mon activité au bout de dix ans. Si, à l’époque de la reprise de la ferme de mes parents, je m’étais vu opposer des délais courts, je n’aurais pas pu réussir ma transition. Ce contexte où un agriculteur est rejeté du système n’existe pas.

Pour résumer, nous promouvons des transitions longues et accompagnées financièrement. Cette reconnaissance passe par les aides à l’agriculture biologique et les PSE et requiert une communication positive et claire sur la nature, les effets et la portée de l’agriculture biologique, sans confusion qui puisse lui être dommageable.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NUPES). Estimez-vous que la concurrence est davantage induite par les politiques publiques que par les agriculteurs ?

M. Loïc Madeline. Personnellement, je ne me sens pas en concurrence avec mes collègues agriculteurs en conventionnel, avec qui je m’entends bien. Nous apprenons les uns des autres.

J’estime que le moyen de les mobiliser est de leur offrir un meilleur horizon, qui peut être l’agriculture biologique, en posant la question de la transition sur un temps long, la conversion pouvant prendre trois, cinq voire huit ans. Nombre d’agriculteurs seraient, dès lors, prêts à franchir le pas. Il s’agit d’une intention politique avant tout. Je considère qu’une grande partie d’agriculteurs prêts à transformer leurs pratiques attendent d’être davantage sécurisés. Cette assurance passe par la garantie des prix, le soutien, mais aussi la reconnaissance des efforts consentis, notamment la reconnaissance de la durée nécessaire pour la période de conversion.

Au-delà de la réduction des pesticides, il s’agit véritablement de répondre à un objectif de préservation des systèmes agricoles dans leur globalité.

M. Dominique Potier, rapporteur. À l’égard de la durée de la période de conversion que vous évoquiez, nous faisons effectivement face à un faible taux de conversion dans la durée. Lorsque l’on sait l’investissement que ce travail a demandé et l’espoir qu’il a suscité, ce retour en arrière peut sembler profondément décourageant. Au-delà des effets produits par le marché ou des renoncements pour des raisons personnelles, les démarches opportunistes sont les plus dommageables. Par conséquent, un allongement de la durée de conversion pourrait-il s’accompagner d’un engagement à se maintenir en agriculture biologique sur dix ou quinze ans ?

M. Loïc Madeline. Ce mécanisme peut tout à fait être envisagé. Pour nuancer, la pratique opportuniste que vous désignez est tout à fait récente. La « déconversion », terme que je n’approuve pas complètement, était extrêmement minoritaire et touchait par exemple, en 2021, 1,4 % des surfaces. Elle relevait assez peu de choix volontaires répondant à des aspects agronomique ou économique. Cette situation a évolué cette année en lien avec les effets d’aubaine créés par le marché.

Même si cette pratique opportuniste est marginale, il ne serait pas incompatible d’envisager des moyens de contrôle de la pérennité de la transformation. Je pense en particulier aux Maec. Mais cela concerne toutes les pratiques comme celles encadrées par la labellisation HVE, qui bénéficient d’un crédit d’impôt sans contrepartie dans le temps.

M. Dominique Potier, rapporteur. J’ai une dernière question à vous soumettre concernant l’actualité. Nous avons eu récemment un échange avec le ministre qui a affirmé que l’aide au maintien de l’agriculture biologique était largement compensée par les mesures agro‑environnementales contenues dans le premier et le second pilier, et par le crédit d’impôt.

Est-ce le cas, tant pour les petites exploitations qui ne bénéficiaient pas réellement de l’aide au maintien, que pour l’ensemble des agriculteurs ? L’augmentation du crédit d’impôt de 3 500 euros à 4 500 euros pourrait-elle être considérée comme une aide à l’actif à la manière d’un système de redistribution, que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux ? L’éclairage des militants de l’agriculture biologique nous intéresse sur cette question.

Nous vous remercions vivement de votre concours, de la clarté de votre argumentation et de la force de vos convictions.

M. Loïc Madeline. Je suis un paysan avant tout. Je milite pour les pratiques dans lesquelles je crois. Nous avions effectivement réalisé un chiffrage sur ce point que nous avions transmis au ministre. La situation serait équivalente si l’écorégime était reconnu en tant que PSE, fixé à 145 euros, ce qui compenserait la disparition de l’aide au maintien. Le crédit d’impôt augmenté était une mesure défendue par la FNAB, qui est moins un syndicat qu’un organisme de développement et de promotion de l’agriculture biologique. À cette mesure s’ajoutait la promotion d’une aide à la conversion dont nous observons aujourd’hui les limites.

Par ailleurs, un défaut de communication s’est cristallisé autour des produits bio. Un manque de reconnaissance et des doutes s’installent sur sa capacité à nourrir la population, à être conforme à ses critères, à renouveler les cycles d’azote, de phosphore et de potassium, etc. Le pouvoir conféré à l’agriculture biologique sur le long terme est actuellement déprécié.

Nous sommes satisfaits d’avoir obtenu l’accord sur les 1 000 euros qui constituent effectivement une aide à l’actif plutôt qu’à l’hectare. Néanmoins, ce chiffre est soumis chaque année à une révision à travers la loi de finances. La Pac constitue l’outil le plus adapté pour rémunérer les pratiques en faveur de l’agriculture.

 

La séance est levée à midi cinquante-quatre.

———


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. André Chassaigne, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, Mme Nicole Le Peih, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud’homme

Excusés. – M. Jean-Luc Bourgeaux, M. Éric Martineau