Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Audition, ouverte à la presse, de M. James Blateau, président de la Fédération française de gymnastique, et M. David Vallée, directeur exécutif              2

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj, co-présidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT)              18

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bruno Gares, ancien président de la Fédération française d’escrime, et de Mme Jacqueline Felzine, présidente de la commission d’éthique et de déontologie de la Fédération française d’escrime (en visioconférence)              27

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Aurélie Pankowiak, chercheuse post-doctorante au sein de l’Institut pour le sport et la santé à l’université de Victoria, Australie (en visioconférence)              40

– Présences en réunion................................49


Jeudi
26 octobre 2023

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 32

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente

 


  1 

La séance est ouverte à neuf heures.

La commission auditionne M. James Blateau, président de la Fédération française de gymnastique, et M. David Vallée, directeur exécutif.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. James Blateau, président de la Fédération française de gymnastique (FFG) depuis 2013, et M. David Vallée, directeur exécutif.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête sur l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et de sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Pourriez-vous commencer par revenir, dans un propos liminaire, sur les faits dont vous avez eu connaissance en lien avec le périmètre de notre commission, et sur la manière dont vous y avez répondu ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. James Blateau et David Vallée prêtent serment.)

M. James Blateau, président de la Fédération française de gymnastique. Comme toutes les fédérations, nous sommes une association « loi 1901 », libre et indépendante. Nous fédérons, nous affilions d’autres associations elles-mêmes libres et indépendantes. Cela étant, nous avons reçu une délégation de service public, ce qui nous confère bien sûr des obligations.

Notre fédération est de taille moyenne, puisqu’elle compte 325 000 licences, bien loin du football donc, mais aussi des toutes petites fédérations. Elle compte 85 % de licenciées féminines, ce qui constitue une singularité dans le paysage. Cette fédération abrite une grande diversité de disciplines, certaines olympiques, d’autres non, et développe également des programmes liés à la psychomotricité. Notre sport est amateur, et il est encadré par des professionnels.

Bien avant la loi de 2022, nous avons fait un certain nombre de choix touchant à la gouvernance, concernant la rémunération de certains dirigeants, le scrutin de listes avec projet, ou la limitation du nombre de mandats. Pour que tous les candidats aient une chance d’être élus, nous avons fait des choix financiers et techniques. Sur ces sujets, nous estimons être plutôt en avance ; nous affichons une volonté de progrès plutôt qu’une position conservatrice, comme cela est souvent reproché aux fédérations. Notre fédération applique la parité depuis 2007, à tous les échelons de l’organisation. Sur les sujets qui vous préoccupent, et qui nous préoccupent aussi, nous avons fait des choix importants, et nous nous sommes toujours montrés offensifs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quels sont les faits intéressant notre commission dont vous avez eu connaissance pendant votre présidence, et comment les avez-vous traités ?

M. James Blateau. Depuis 2013, nous avons été sensibilisés à ce sujet, d’abord par sensibilité personnelle, puis du fait du déclenchement de l’affaire Nassar, en 2017. Larry Nassar est un médecin américain qui a posé de gros problèmes à l’équipe de gymnastique américaine. Nous nous sommes demandé comment nous réagirions si nous étions confrontés à la même situation et si nous étions mieux armés en matière de lutte contre les violences. Nous avons considéré que le problème américain était aussi le nôtre, et nous avons engagé une réflexion sur le sujet. Nous nous sommes d’abord penchés sur les violences sexuelles puis sur les violences en général et enfin sur la notion d’emprise.

À partir de 2018, la parole s’est libérée autour de ces sujets. Avant que cela ne soit la mode, nous avons signé une convention avec l’association Colosse aux pieds d’argile.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je précise ma question : quels signalements, quelles affaires avez-vous eu à traiter en tant que président de la Fédération, sur les sujets qui nous intéressent, à savoir les violences sexuelles ou sexistes, les discriminations, le racisme, les questions financières ? Lorsque vous avez été saisi de ces signalements ou de ces affaires, quelles procédures ont été instituées ?

M. James Blateau. Depuis 2013, nous avons eu une cinquantaine d’affaires. Elles sont identifiées et pourront être précisées ultérieurement. Très peu d’affaires concernent des violences sexuelles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quel est leur nombre ?

M. James Blateau. Peut-être deux ou trois.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quel sujet ?

M. James Blateau. Je ne sais pas vous dire.

M. David Vallée, directeur exécutif de la Fédération française de gymnastique. Je peux vous donner des précisions sur le nombre de procédures disciplinaires ouvertes depuis 2013, sachant qu’il peut y avoir concomitamment des signalements auprès du procureur de la République et de la cellule du ministère des sports, Signal-sports. Selon les faits, les actions que nous menons peuvent être différentes.

Au total, quarante-quatre dossiers ont été traités et six sont encore en cours. Notre commission disciplinaire a lieu demain. Les agressions sexuelles et les viols représentent onze dossiers, les faits de harcèlement sexuel, cinq dossiers, les faits de harcèlement moral, huit dossiers, les insultes et propos malveillants, deux dossiers, les faits de non-respect de l’intégrité physique des gymnastes, trois dossiers, les agressions physiques, un dossier. Nous pourrons vous les transmettre. Nous n’avons pas de dossier de discrimination raciale.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous nous transmettrez le dossier, s’il vous plaît.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur la question des agressions sexuelles, des violences sexistes et sexuelles (VSS) et des viols, nous ne sommes donc pas à trois ou quatre dossiers, mais à onze, auxquels s’ajoutent les cinq dossiers de harcèlement sexuel. Pouvez-vous nous préciser quelles procédures ont été instituées et la manière dont vous avez traité ces affaires ? Avez-vous eu des signalements pour lesquels vous avez estimé qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin, d’engager des procédures ou de faire des signalements « article 40 » ?

M. James Blateau. Nous avons intégré dans nos statuts le fait de se porter partie civile à chaque fois. Nous avons organisé les signalements de sorte qu’ils remontent à la fois vers la Fédération, vers Signal-sports, la structure d’État, et vers Colosse aux pieds d’argile, afin de donner le plus de chances à chacun de signaler facilement.

M. David Vallée. L’information nous parvient de diverses manières. Elle peut être communiquée directement à la Fédération, nous être transmise par des acteurs comme Colosse aux pieds d’argile ou encore par notre réseau, nos comités départementaux, nos comités régionaux.

Au sein de la Fédération, un comité traite ces dossiers. Il se compose du président, de la secrétaire fédérale, du directeur technique national, de la responsable juridique et de moi‑même. Lorsqu’un dossier portant sur des violences remonte à la Fédération, nous partageons et analysons l’information, et nous engageons les différentes procédures que je vous ai décrites. Pour traiter ce qui nous semble relever du pénal, nous sommes accompagnés d’un avocat-conseil qui nous oriente et nous aide dans la qualification des faits.

Presque systématiquement, une procédure disciplinaire est ouverte. C’est le président qui a la responsabilité de saisir la commission disciplinaire. Cela étant, nos prérogatives s’exercent à l’égard des personnes licenciées à la FFG. Nous ne pouvons pas ouvrir de procédure disciplinaire à l’encontre de personnes qui ne sont pas affiliées à nos organisations. Celles-ci font l’objet d’un signalement auprès du procureur de la République ou d’une communication auprès de la cellule Signal-sports.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Derrière la Fédération, les comités départementaux et régionaux, il existe beaucoup de clubs et de bénévoles. Quelles actions menez-vous auprès des présidents de club, qui sont souvent bénévoles, pour les informer sur les démarches qu’ils doivent impérativement engager lorsque des jeunes signalent un harcèlement par texto ? Les présidents d’associations reçoivent la personne en cause, qui se met parfois à pleurer en disant qu’elle ne recommencera jamais. Il s’ensuit une rupture conventionnelle et le problème se déplace dans une autre structure. Certaines associations ont parfois du mal à trouver des bénévoles, et n’osent pas bouleverser la vie de ceux-ci.

M. James Blateau. Nous avons pris conscience de cela dès 2017, avant que des réflexions ne soient engagées et avant que des orientations ne soient données par le ministère des sports. Nous nous sommes demandé comment nous allions défendre les victimes, d’une part, et les entraîneurs et dirigeants pouvant être accusés à tort, d’autre part. Très rapidement, nous avons demandé à Colosse aux pieds d’argile de faire de la sensibilisation et de l’information. Nous nous sommes formés ainsi, et nous avons pris en compte des éléments que nous n’identifiions pas auparavant.

En 2017, nous ne savions pas comment agir lorsqu’un fait survenait dans nos structures. Nous avons répercuté l’information vers nos comités régionaux et départementaux en prévoyant, dans nos conventions, la possibilité de diffuser l’information auprès des clubs, afin que chacun prenne conscience que ces sujets ne concernent pas seulement le club d’à côté.

Nos clubs comptent en moyenne 230 licenciés, ce qui en fait d’assez grosses structures. Le président du club est bien ennuyé quand un entraîneur professionnel est pris en défaut sur ce sujet ; il se demande comment il va faire tourner son club. Nous les informons et les sensibilisons. Nous proposons de nouveaux plans pour aller plus loin et mener une réflexion plus aboutie autour de sujets liés à la violence, en nous focalisant sur les violences et sur l’emprise. Cela étant, nous n’avons pas de solution miracle, si ce n’est d’arrêter l’activité du club, ce qui est toujours un problème.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous êtes président de la Fédération et êtes entouré d’un bureau. Il est de votre responsabilité que les jeunes licenciés puissent pratiquer une activité sportive en étant protégés et en ne courant aucun risque. Le risque zéro n’existe certes pas, mais il faut inventer les dispositifs permettant que cela n’arrive plus, ou en tout cas le moins possible.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l’association Colosse aux pieds d’argile. Avez-vous conclu une convention avec eux ? Quel montant leur attribuez-vous pour leurs interventions ?

M. David Vallée. Nous avons signé une convention pluriannuelle, qui court de 2018 à 2023. Nous sommes en train de travailler sur sa reconduction jusqu’en 2028, ainsi que sur le renforcement de cette collaboration. La convention prévoit, moyennant un versement de 4 000 à 5 000 euros par an, huit interventions chaque année, dans toutes les régions, au sein des assemblées générales, des comités régionaux, des pôles espoirs et des pôles France, ou auprès des éducateurs sportifs. Nous avons programmé un plan d’intervention.

L’association Colosse aux pieds d’argile compte aujourd’hui des intervenants dans tous les territoires, ce qui n’était pas le cas lorsque nous avons contracté avec elle en 2018. Au démarrage, en 2018 et 2019, notre travail était très orienté sur les violences sexuelles. Il s’est ensuite développé autour des violences en général et de l’emprise sur les enfants, sachant que nous avons de très jeunes mineurs dont les volumes de pratique sont importants.

L’autre volet de notre collaboration est l’accompagnement des victimes. Nous avons beaucoup appris sur la capacité à accueillir et recueillir la parole. Nous avons compris que ce n’était pas à la Fédération de mener les enquêtes, qu’il fallait faire des signalements au procureur de la République, et qu’il ne fallait pas garder l’information pour nous, mais la transmettre aux sachants.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Depuis la création de la commission d’enquête, nous avons reçu de très nombreux témoignages concernant votre fédération, qui mettent en avant des violences physiques, du harcèlement psychologique, des violences sexuelles, de la maltraitance. Ces témoignages nous ont été adressés par mail, par les réseaux sociaux et par la plateforme que nous avons créée. Nous sommes bien au-delà des cas que vous avez évoqués. Ces faits se sont produits au cours des dix dernières années.

Beaucoup ont parlé d’omerta. Vous avez certes institué des dispositifs, mais je pense que certains n’ont pas osé tout confier à la Fédération ou aux clubs. Il y a certainement des choses à construire.

En mai 2023, des témoignages ont été dévoilés lors de l’émission « Stade 2 ». Quelles mesures avez-vous prises pour lutter contre les violences au sein de la Fédération après ces révélations ? Cette émission a consacré un grand format à la maltraitance dans la gymnastique. Six ex-gymnastes de l’équipe de France féminine ont révélé des violences physiques et psychologiques dont elles disent avoir été victimes.

Comment expliquez-vous que l’entraîneur visé par ces témoignages ait pu exercer alors qu’il était connu depuis au moins 2007 pour avoir employé des méthodes problématiques et qu’il avait déjà été mis en cause en 2019 par une gymnaste mexicaine ?

M. James Blateau. Vous dites que vous avez eu beaucoup de remontées diverses. C’est bien sûr notre combat également.

Je vous ai indiqué que nous faisions preuve de volontarisme. Malgré cela, en dépit de nos plans et de notre organisation, des choses restent à faire. Nous en avons conscience. Notre nouveau plan s’articule autour de quatre thématiques : le signalement, la sensibilisation, la formation et la responsabilisation.

Concernant le signalement, nous avons identifié ce qui était fait et ce qui ne l’était pas. Nous avons complété la page d’accueil de notre site internet pour indiquer ce qui avait été réalisé, en plus de la suspension des personnes concernées.

Pour ce qui est de la sensibilisation, nous avons à nouveau réalisé des chartes et des affiches pour informer les uns et les autres.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous parlez des principes généraux de votre travail mais, ce qui m’intéresse, c’est de savoir si des choses ont évolué depuis cette émission. Quand avez-vous été informé de ces affaires ? Les avez-vous apprises à l’occasion de l’émission ou étiez-vous déjà au courant ?

M. James Blateau. Je vous parlais du plan d’action institué à la suite de l’émission. Nous avons complété un certain nombre de sujets. Nous avons travaillé sur les signalements, la sensibilisation et la formation. Nous faisons travailler différentes personnes sur la formation, notamment en matière de violence et d’emprise, et sur la différence entre exigence et violence. Nous avons organisé des assises autour de l’éthique et de la gymnastique de performance. Nous menons également une réflexion sur la responsabilisation des acteurs, c’est-à-dire des entraîneurs, mais aussi des dirigeants et des parents. Ces derniers souhaitent que l’on ait de grandes ambitions mais on décèle parfois chez eux une certaine confusion.

S’agissant des témoignages, il y a des choses qui tournaient dans le milieu, mais dont je n’étais pas précisément et spécifiquement au courant. Un éclairage a été apporté durant l’émission.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous dites que des choses « tournaient dans le milieu » dont vous n’étiez « pas au courant ». Que voulez-vous dire ?

M. James Blateau. Comme dans tous les milieux, des choses se disent : « Il s’est passé ceci ou cela à tel moment. » Franchement, nous ne savions pas.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourtant, vous aviez des témoignages, mais vous ne saviez pas ?

M. James Blateau. Non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avant l’émission, vous ne saviez pas ? Vous n’aviez-vous pas reçu de signalements ?

M. James Blateau. Non, il n’y avait pas de signalement sur le sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites qu’il y avait un bruit de fond sur ces affaires. Avez-vous décidé d’enquêter par vous-même ? Avez-vous ouvert des procédures pour en savoir plus ?

M. James Blateau. Parlez-vous d’un des entraîneurs de l’équipe nationale, qui a été licencié dès 2013 ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je parle de l’émission de mai 2023. Vous avez découvert précisément ce qu’il en était lors de cette émission, mais avant cela, des bruits circulaient. C’est sur ces cas que je vous interroge. Avez-vous diligenté des enquêtes internes pour savoir ce qui se passait ?

M. James Blateau. Non, il n’y a pas eu d’enquête interne sur ces sujets.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Les propos qui nous ont été transmis évoquent de « jeunes gymnastes victimes d’un autoritarisme inconvenant ». « Leur entraîneur, leurs parents, des bénévoles, des associations ne méritent pas d’être maltraités, harcelés, discriminés. »

Où en êtes-vous dans vos échanges avec la ministre des sports ? À la suite de l’émission, elle a exprimé sa conviction profonde que « les pratiques décrites dans le reportage, où sont confondues l’exigence avec la violence, la discipline avec la maltraitance, traduisent une conception de la haute performance d’un autre âge ».

M. James Blateau. Sur ce sujet, nous sommes en phase. Nous avons vu la ministre après l’émission, et nous avons établi un plan global autour des quatre thématiques dont j’ai parlé tout à l’heure. Une des thématiques concerne la formation et la transformation ; il s’agit de voir comment les gens agissent pour enseigner la gymnastique. Nous sommes en train de développer des modules de formation autour de l’éthique, dont l’un s’intitule « violence et emprise ». Nous mettons autour de la table des gens du milieu – entraîneurs, juges, gymnastes, formateurs…

Mme la présidente Béatrice Bellamy. S’agit-il du partenariat avec Colosse aux pieds d’argile ?

M. James Blateau. Non, c’est autre chose. Nous traitons de la violence et de l’emprise, et nous essayons de différencier l’exigence de la violence. Nous n’avons pas les solutions en nous-mêmes. Nous interrogeons les entraîneurs, les psychologues, les sociologues. Ensuite, nous construirons des modules destinés à tous nos entraîneurs. Nous espérons ainsi faire changer les pratiques, qui nous semblent à nous également d’un autre âge.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’aimerais que l’on aille jusqu’au bout concernant ce documentaire de 2023. Ce qui nous intéresse, c’est de comprendre ce qui ne fonctionne pas pour pouvoir faire des propositions destinées à améliorer les choses et à accompagner les fédérations et les clubs. L’objectif est de traiter correctement ces affaires et de faire en sorte qu’elles arrivent le moins souvent possible dans le mouvement sportif.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’enquête à ce moment-là ? Quasiment toutes les victimes indiquent que chacun savait. Quand il y a eu des agressions, du harcèlement, tout le monde était informé, mais il ne se passait rien. Soit les gymnastes décident de parler et elles sont ostracisées, à l’instar des adultes qui témoignent à leurs côtés ; soit il ne se passe rien, et personne ne parle. Il nous intéresse de savoir pourquoi, même lorsque tout le monde sait, aucune enquête n’est lancée.

Le ministère des sports est-il informé de ce qui se passe ? Vous avez été sollicité par les journalistes de « Stade 2 » mais n’avez pas souhaité répondre. Pourquoi ? Cela aurait pu alimenter votre réflexion dans un sens ou dans l’autre. Nous aimerions comprendre pourquoi les faits n’ont pas été traités plus en amont jusqu’à ce qu’ils soient révélés dans cette émission.

M. James Blateau. Concernant la sollicitation des journalistes, il y avait un contexte particulier, une arrogance et une violence particulières. J’ai cru bon de ne pas répondre, non pas en raison du thème, mais parce que les journalistes faisaient preuve d’une violence très importante. Cela étant, ce sujet est notre combat. Je n’ai pas envie de fuir le problème ou de ne pas poser les bonnes questions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Puisque vous ne voulez pas fuir ce sujet et que c’est un combat essentiel, pourquoi n’y a-t-il pas eu d’enquête ? J’essaie de comprendre. Tout le monde en parlait.

M. James Blateau. Vous dites « tout le monde en parlait », mais ce sont de petits cercles qui parlent et s’animent entre eux. Nous n’avons pas forcément toute l’information au bon moment. Il faut aussi dire que nous n’avons pas de gros moyens d’enquête. C’est un fait.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je l’entends, mais à partir du moment où cela circule, vous pouvez vous autosaisir, et par exemple solliciter le ministère ou d’autres acteurs pour vous accompagner. Il y a bien sûr l’enquête disciplinaire, mais il existe aussi l’enquête administrative, la justice. Pourquoi ce choix de ne pas réagir face à tout ce qui circulait ?

Cela revient beaucoup dans les témoignages. On nous parle d’entraînements violents, de violences sexuelles, de harcèlement psychologique… Vous avez de nombreuses mineures sous votre responsabilité, qui ne vont pas forcément frapper à votre porte pour témoigner de ce qu’elles vivent. Vous êtes les adultes référents au sein de la Fédération. Si vous n’avez pas la capacité d’enquêter, d’autres acteurs du mouvement sportif peuvent le faire. Ou bien estimez-vous qu’il n’y avait pas de référent, de personne à contacter, de moyens pour enquêter ?

M. James Blateau. Depuis le début, nous faisons preuve de volontarisme, nous essayons de libérer la parole. J’entends ce que vous dites. Je suis un peu démuni. Nous n’avons pas pensé, dans le contexte de l’époque, qu’une enquête permettrait de trouver la solution. Les faits étaient déjà anciens ; ils remontaient à 2008, alors que j’ai été élu en 2013.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Concrètement, comment un sportif qui souhaite faire un signalement procède-t-il au sein de la Fédération ?

M. James Blateau. Il existe trois canaux. Le premier est la page d’accueil du site internet, sur laquelle se trouve un petit bouton rouge permettant de signaler un fait. Si la personne préfère s’adresser à Colosse aux pieds d’argile, elle peut le faire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Lorsque le sportif fait un signalement sur le site de la Fédération, où cela va-t-il ?

M. James Blateau. Le signalement parvient au référent éthique de la Fédération, qui est David Vallée. Le troisième moyen de faire un signalement consiste à s’adresser directement à Signal-sports.

M. David Vallée. Cette plateforme de signalement est nouvelle. Elle fait suite, entre autres, au reportage de « Stade 2 ». Elle faisait partie des actions visant à simplifier les signalements auprès de la Fédération. Le dispositif existe depuis début juin 2023. À cette date, nous en avons reçu vingt-quatre. Lorsqu’un signalement arrive, il est traité par le service juridique de la Fédération que nous avons constitué pour traiter l’ensemble des dossiers. En fonction des éléments fournis, nous ouvrons ou non une procédure.

Sur les vingt-quatre dossiers reçus, six concernent des violences de type sexuel. Sont également signalés des faits de favoritisme lors de jugements, des difficultés de communication avec des familles d’accueil... Cette plateforme est aussi une porte d’entrée pour nous parler de problèmes existants au sein du club. Lorsque les faits ne justifient pas le lancement d’une procédure, nous pouvons trouver des solutions aux problèmes exposés.

Le fait que quarante-quatre dossiers disciplinaires aient été traités depuis 2013 ne signifie pas que seules quarante-quatre personnes sont concernées. Un dossier peut recéler de nombreux témoignages. C’est le cas dans certaines affaires.

Le reportage de « Stade 2 » de mai 2023 a eu un retentissement médiatique important, mais certaines affaires de violence sexuelle, notamment à Saint-Étienne, dataient d’avant les années 2000. Nous avons fait des signalements à leur sujet, écouté les victimes, et nous nous sommes portés partie civile. Des signalements ont été réalisés auprès du pôle de Marseille en 2020 pour des faits de harcèlement et de maltraitance, ainsi que pour des propos malveillants. Nous avons pris des mesures ; il y a eu un procès et des condamnations.

Un nombre croissant d’informations nous sont remontées. Entre 2001 et 2012, nous avons ouvert six dossiers, alors qu’entre 2019 et 2023, nous en avons ouvert quarante-six, soit huit par an. Les traitements augmentent, ce qui nous a conduits à nous organiser en interne, en particulier dans mon service juridique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous ai demandé comment se déroulaient les procédures en cas de signalement. Informez-vous systématiquement le ministère des sports lorsque vous avez des signalements à traiter dans votre structure ? Un fait de VSS ou de discrimination est-il systématiquement communiqué au ministère des sports ?

Quand vous entendez des bruits de fond, même s’il n’y a pas de signalement, en parlez-vous entre vous ? À quel niveau ces choses se discutent-elles ? À quel moment la décision d’ouvrir une enquête ou non est-elle prise ? Partagez-vous ces inquiétudes avec le ministère des sports ? On pourrait imaginer qu’à la suite de faits remontant des clubs et du terrain, vous avertissiez le ministère des sports, même sans élément factuel, ce qui permettrait d’aller plus loin.

M. David Vallée. Les dossiers d’agression sexuelle et de harcèlement sexuel sont transmis à la cellule Signal-sports. En cas de harcèlement moral, nous enquêtons ; nous transmettons le dossier à la cellule en fonction de la gravité des faits. Les signalements auprès du procureur de la République ne sont pas systématiques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avant la mise en place de la cellule Signal-sports, remontiez-vous systématiquement ces informations au ministère ?

M. David Vallée. Non. Les premières affaires de violence sexuelle sont remontées en 2018-2019. Cela a commencé avec l’ouverture de la cellule Signal-sports. Nous avons organisé le partage d’informations avec le ministère à ce moment-là.

En 2017, la Fédération fait l’objet d’une inspection du ministère des sports. Nous passons en revue l’ensemble des dossiers traités par la Fédération. À aucun moment, le sujet des violences sexuelles ou de la lutte contre les violences n’a été abordé. Ce sujet n’occupait pas la place qu’il détient aujourd’hui. Notre organisation a évolué, tout comme nos relations avec le ministère et avec la cellule Signal-sports. Ils nous interrogent régulièrement, nous leur transmettons des signalements et partageons l’information. Le ministère et la Fédération tiennent également des réunions pour faire le point sur l’avancée des dossiers.

M. Frédéric Zgainski (Dem). Je voudrais compléter la question de Mme la présidente concernant les dispositifs de prévention. Si des parents veulent inscrire leur enfant à la gymnastique, pouvez-vous leur garantir que son intégrité physique et morale sera préservée ? Si oui, comment ? Vous avez répondu en partie en évoquant les trois dispositifs d’alerte. Concrètement, lorsqu’on s’inscrit dans un club de votre fédération, reçoit-on un document ? Les lieux de pratique comportent-ils des affichages mentionnant les trois niveaux d’alerte possibles ? Si on baignait dans un environnement un peu plus sécurisé, si les parents, les adultes faisant de la gymnastique et les enfants disposaient des informations nécessaires, cela empêcherait probablement certaines personnes de passer à l’acte. L’information est-elle suffisante ? Tous les parents la reçoivent-ils ?

Vous avez parlé de Colosse aux pieds d’argile, mais pouvez-vous confirmer l’indépendance du traitement qui est opéré ? L’association a-t-elle la possibilité de transmettre les faits au procureur de la République, en application de l’article 40 du code de procédure pénale ?

M. James Blateau. Pour sécuriser les uns et les autres, nous déployons un nouveau plan, qui prend appui sur l’ancien. Nous avons facilité les signalements. Nous avons accompli un certain nombre d’actions complémentaires autour de la sensibilisation. Nous avons réécrit les chartes. Nous avons également élaboré des affiches destinées aux clubs pour faciliter les signalements en cas de nécessité. Nous pensons que c’est un des éléments qui peuvent sécuriser les parents.

Par ailleurs, dans le cadre de notre nouveau plan, nous avons rendu la formation continue obligatoire, notamment au sujet des violences, sexuelles ou non. Nous allons instaurer des modules particuliers destinés à tous les entraîneurs de gymnastique du pays, pour pouvoir avancer sur ce sujet et sécuriser les parents. Pour faire bouger les choses auprès des dirigeants et des entraîneurs, nous avons besoin d’un temps de réflexion.

À chaque cran de la gymnastique, du club au comité départemental ou régional, dans les pôles d’entraînement ou à la Fédération, nous installons des référents intégrité qui seront sensibilisés et formés, pour faciliter les signalements et sécuriser l’ensemble.

M. David Vallée. Ce point est important : au plus proche du gymnaste et des familles, nous identifions un référent intégrité au sein des clubs. Ce référent sensibilisé et formé pourra aussi être un relais, un point d’information. Nous nous structurons avec un réseau de référents intégrité dans les comités régionaux. Ils seront formés par l’association Colosse aux pieds d’argile et seront en lien direct avec la Fédération. Il est déjà arrivé que des éléments remontent par notre réseau mais ne soient pas traités. L’idée est donc de préciser le rôle de chacun, ainsi que l’organisation à suivre quand ce type d’information est fournie.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Vous avez indiqué que vous aviez un avocat et que vous vous portiez systématiquement partie civile. L’objectif est-il de protéger la Fédération ou de protéger les victimes ?

Monsieur Vallée, vous êtes à la fois le directeur général de la Fédération et son référent éthique. À l’Assemblée nationale, nos déontologues sont indépendants, ce qui est sécurisant pour l’institution et nous pousse à la vigilance. Ne pensez-vous pas, monsieur Blateau, qu’il serait beaucoup plus protecteur de faire appel à un organisme indépendant ?

On constate que les enfants de la génération actuelle ont des capacités moindres. L’évolution de leur santé est préoccupante. Être gymnaste de haut niveau impose une exigence terrible. Comment être exigeant sans être violent ? Avez-vous créé une cellule médicale auprès des enfants ? Un enfant est-il capable, moralement et physiquement, de faire de la gymnastique de haut niveau ?

Vous avez des gymnastes de milieux défavorisés, dont beaucoup vivent dans des villes, et qui peuvent ne pas avoir de véhicule. Comment organisez-vous les déplacements lorsque les parents n’ont pas de véhicule et que l’enfant se rend seul à une compétition avec son entraîneur ?

M. James Blateau. La gymnastique est exigeante, en effet. L’un des points de notre plan s’intitule « formation – transformation ». Nous voulons transformer les comportements. Comment le faire sinon par la formation ? Nous devons faire réfléchir les personnes concernées à la différence entre l’exigence et la violence. On peut avoir des objectifs de haut niveau sans pour autant être violent, mais il y a des choses à mettre en place.

Nous avons une expérience particulière. Aujourd’hui, notre meilleure championne s’entraîne aux États-Unis. Nous avons échangé avec elle : elle est arrivée au bout de sa démarche en France, son parcours passe par les États-Unis. Elle est entraînée par des entraîneurs français mais dans une ambiance américaine, beaucoup plus responsable que celle qui existe en France. Nous aspirons à ce que les gymnastes, y compris de grands adolescents, de jeunes adultes, soient responsables de leur pratique, et que les entraîneurs ne soient pas des gourous mais des accompagnateurs de la performance.

Si le souhait du gymnaste est d’aller vers la compétition, nous l’accompagnons, y compris vers la compétition de haut niveau. En France, nous avons des entraîneurs qui pensent pouvoir diriger la vie des gymnastes. Nous aspirons à ce que ces derniers deviennent autonomes. Les entraîneurs doivent être des accompagnateurs, et seulement des accompagnateurs. C’est pourquoi nous sommes passés de la violence sexuelle à la violence, puis de la violence à l’emprise. On entend souvent les entraîneurs dire aujourd’hui : « J’ai fait tant de médailles. » Non, ce n’est jamais l’entraîneur qui fait la médaille, c’est le gymnaste. L’entraîneur est l’accompagnateur.

En ce qui concerne les déplacements, l’organisation préconisée antérieurement par l’État consistait à rassembler les gymnastes dans les pôles. Nous avons souhaité développer une politique de clubs formateurs de façon à ce que les gymnastes restent le plus longtemps possible chez eux, dans leur club d’origine. Pour autant, on ne compte que 1 400 clubs. Les uns et les autres assument les déplacements, que nous ne prenons pas en charge.

M. David Vallée. Une partie de notre travail avec Colosse aux pieds d’argile a consisté à fixer des consignes par rapport aux déplacements. Nous interdisons aux entraîneurs d’aller dans les vestiaires. Nous leur interdisons d’être seuls dans un véhicule avec un gymnaste, mais, s’il n’est pas possible de faire autrement, nous demandons que l’enfant soit assis à l’arrière, ce qui permet d’éviter des contacts physiques. Le salut doit se faire par un check, alors que dans notre environnement, tout le monde se fait la bise pour se dire bonjour.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment faites-vous pour transmettre ces messages, ces informations ? Avez-vous une charte, un document écrit et signé, ou s’agit-il seulement de consignes communiquées oralement ?

M. David Vallée. Ce sont des actions de sensibilisation et d’information, que nous menons avec Colosse aux pieds d’argile. Ces messages visent à bousculer certaines habitudes. Dans la très grande majorité de nos organisations, les entraîneurs font très bien leur travail, mais nous avons parfois rencontré ce genre de problème. Nous invitons les entraîneurs à préserver les gymnastes, mais également l’encadrement, le dirigeant, le bénévole. Nous ne faisons pas signer à tous nos bénévoles un document les obligeant à placer l’enfant à l’arrière quand ils se déplacent.

M. James Blateau. Pour l’ensemble des bénévoles et des professionnels, tout est cadré par l’honorabilité. Ils ont pris un engagement. Nous avons des chartes, que nous avons diffusées à nouveau auprès des clubs et que nous faisons vivre. Depuis un moment, les premières minutes de chaque action de formation dispensée au sein de la FFG, quel que soit le niveau concerné, sont consacrées à des échanges autour de ces chartes, afin que les aspects éthiques deviennent prioritaires. Cet engagement est-il assez puissant ? Je ne sais pas. Je ne crois pas, finalement. En tout cas, c’est notre effort.

Par ailleurs, nous essayons d’avoir des référents éthiques à tous les niveaux. M. David Vallée est le référent éthique national. C’est vers lui que convergent l’ensemble des dossiers avant qu’ils ne basculent, selon les cas, vers la justice, Signal-sports, ou ailleurs. Serait-ce une évolution naturelle qu’une personne indépendante traite ces sujets ? Je n’y serais pas du tout opposé, même si se pose la question des moyens au sein de notre fédération. Nos amis canadiens ou américains ont des instances indépendantes. Il serait pertinent d’y réfléchir. Une instance indépendante, auprès de laquelle nous ferions remonter les actions, ne serait-elle pas plus adaptée ? Nous y aspirons.

Nous collaborons bien évidemment avec nos amis canadiens. Un entraîneur sanctionné ici ne va-t-il pas se retrouver dans un autre pays ? Si, bien sûr. Avant, il arrivait qu’un entraîneur sanctionné dans un département se retrouve dans le département d’à côté. C’est moins le cas aujourd’hui. En revanche, un entraîneur sanctionné en France va nécessairement aller en Italie, aux États-Unis ou ailleurs. Nous essayons d’avoir des contacts de président à président, d’un pays à l’autre, lorsque l’on veut recruter quelqu’un qui vient de l’étranger. Selon les pays, il existe différentes instances, plus ou moins performantes. J’aspire à ce qu’il y ait une instance indépendante.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. J’imagine qu’à la suite de l’émission « Stade 2 », vous avez pris contact avec les sportives citées dans le reportage. Les noms des entraîneurs étaient floutés. Où en êtes-vous ? Que sont devenus ces entraîneurs ? Font-ils toujours partie de la FFG ?

M. James Blateau. Deux cadres sont mis en cause. L’un d’eux est un cadre d’État. Une procédure d’État, qui est une procédure disciplinaire interne à la Fédération, est en cours. L’autre cadre fait l’objet d’une enquête administrative, en dehors de notre enceinte, ainsi que d’une procédure disciplinaire interne à la Fédération.

M. David Vallée. Ces deux dossiers seront traités en commission disciplinaire demain. Ils font partie des dossiers en cours ouverts à la suite du reportage. Dans le cadre des procédures disciplinaires encadrées par le code du sport, les délais pour rendre nos décisions sont très courts. La commission disciplinaire rendra sa décision demain et fera le choix de prononcer ou non une sanction – elle est libre et indépendante.

Dans les jours qui ont suivi l’émission, nous avons échangé très régulièrement avec le ministère, y compris avec la ministre, en particulier dans le cadre la cellule Signal-sports, afin de se partager de l’information. La situation était particulière, car l’un des entraîneurs était un fonctionnaire de l’État. Nous avons contacté par courrier les victimes identifiées – six gymnastes – pour leur faire part de notre émoi et leur proposer un entretien. Nous avons eu un entretien avec deux de ces gymnastes, trois d’entre elles n’ont pas répondu, et la dernière nous a dit qu’elle ne souhaitait pas s’entretenir avec la Fédération. Ensuite, des procédures disciplinaires ont été ouvertes à l’encontre des deux entraîneurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Parallèlement à la conduite de l’enquête disciplinaire et de l’enquête administrative, vous avez aussi la possibilité de suspendre ou de mettre à l’écart une personne à titre conservatoire. L’avez-vous fait ? À votre connaissance, une inspection ou une mission du ministère des sports a-t-elle été diligentée à la suite de l’émission ?

M. David Vallée. Ni le président ni moi-même n’avons la capacité de prendre une mesure conservatoire. Cette mesure est du ressort du président de la commission disciplinaire. Celui-ci, qui a été sollicité par le président, n’a pas pris ce type de mesures à l’encontre de l’entraîneur qui n’est pas cadre d’État. Le fonctionnaire de l’État, lui, a été mis de côté à la suite du reportage par les services du ministère.

M. James Blateau. L’entraîneur en question dispose d’une carte professionnelle, ce qui cadre son métier. Une enquête administrative doit débuter ou est en cours. Nous sommes assez impatients d’en connaître l’issue. Le retrait de la licence est une mesure définitive. Nous aimerions avoir le résultat de l’enquête administrative avant de l’envisager. S’agissant de l’autre cadre technique, il est suspendu.

Nous avons des inspections en permanence, mais il n’y en a pas sur ce sujet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il n’y en a pas tout le temps. Il me semble que cela fait un moment qu’il n’y en a pas eu à la FFG.

M. James Blateau. Nous avons beaucoup de contrôles en tout genre, fréquemment.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous transmettre les rapports des missions et inspections réalisées dans votre fédération ? Vous devez en avoir quelques-uns maintenant. Cela serait utile pour le travail de la commission.

Le choix de ne pas avoir procédé à une mise à l’écart ou à une suspension à titre conservatoire a-t-il été motivé ? Si oui, sur quelle base ? Le ministère des sports a pris une décision différente de celle de la Fédération. Je ne sais pas s’il s’agit officiellement d’une suspension à titre conservatoire ou d’un détachement le temps de l’enquête administrative.

Quand vous avez connaissance de faits par des bruits, contactez-vous les clubs en question pour en savoir plus ? Au moment de l’affaire « Stade 2 », avez-vous fait part au ministère des sports de votre inquiétude, ou du fait que des bruits de couloir circulaient sur ces faits en particulier ?

M. James Blateau. Deux cadres sont concernés. L’un d’eux, qui est un cadre d’État, est suspendu aujourd’hui. L’autre fait l’objet d’une enquête administrative et d’une procédure disciplinaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous avez indiqué que le président de la commission n’avait pas souhaité prendre de mesure à titre conservatoire. Je vous demande sur quel fondement il a pris cette décision, étant donné que le ministère des sports a fait un choix différent.

M. David Vallée. Le ministère n’a fait pas un choix différent. Deux entraîneurs sont identifiés. S’agissant du fonctionnaire d’État, une enquête administrative et une procédure disciplinaire sont en cours. Cette personne a été suspendue et est en arrêt maladie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Être en arrêt maladie et être suspendu à titre conservatoire sont deux choses différentes. S’il est en arrêt maladie, il n’est plus en poste aujourd’hui, mais ce n’est pas une mesure conservatoire. C’est pour cela que je vous demande de préciser. Une mesure ou des mesures conservatoires ont-elles été prises ? Visiblement, il n’y en a pas eu du côté de la Fédération. Pourquoi ce choix ? Il aurait été possible de mettre cette personne à l’écart pour protéger d’autres victimes éventuelles. Le ministère a-t-il fait le choix d’une mesure conservatoire ou cette personne est-elle simplement en arrêt maladie ?

M. James Blateau. Le cadre technique mis en cause dans le reportage est suspendu. Le fait qu’il soit en arrêt maladie est un autre sujet. Une procédure disciplinaire est ouverte contre cette personne.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Je reviens sur ce sujet, car nous n’arrivons pas à comprendre. Vous avez parlé tout à l’heure d’une carte professionnelle. Le cadre dont nous parlons est-il salarié de la FFG ou est-il indépendant ? Le président de la commission de discipline de la Fédération est sous la responsabilité du président de la Fédération, comme toutes les instances de la Fédération. Vous pouvez aller au-delà des décisions de la commission disciplinaire, surtout quand il s’agit de mesures conservatoires. Cela nous interroge.

Les personnes qui ont témoigné estiment que les fédérations ont souvent tendance à minimiser les faits et à protéger les entraîneurs au détriment des victimes. Je ne parle pas forcément de la gymnastique ; c’est une remarque générale. Le fait que vous n’ayez pas suspendu de façon conservatoire la personne intervenant pour la Fédération pose question. On dit souvent l’État timide en la matière, mais il est allé plus loin que la Fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Une instruction est en cours et vous êtes en train de travailler dessus. Pouvez-vous nous transmettre les éléments, pour que l’on comprenne comment fonctionne le dispositif et comment on arrive à prendre la décision d’une mesure conservatoire ou non ?

Puisqu’il n’est pas suspendu à titre conservatoire, cet entraîneur est-il en poste aujourd’hui ? Travaille-t-il auprès de gymnastes ? Ou a-t-il des autorisations d’absence, des congés ? Expliquez-nous comment cela se passe sur le terrain.

M. James Blateau. Vous parlez de « l’entraîneur de la Fédération », mais il n’est pas salarié de la Fédération. Il fait partie du milieu de la gymnastique et est salarié d’un club lui-même affilié à la Fédération. Nous n’avons pas de prise sur son emploi – ni pour le recruter, ni pour le licencier. C’est l’employeur qui décide. En 2013, cet entraîneur a été salarié de la Fédération. Sur cette base, nous l’avons licencié.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous dites qu’en tant que président de la Fédération, vous ne pouvez pas imposer à un club qu’il inflige une suspension à titre conservatoire à un entraîneur qui, comme cela a été clairement établi, a commis des faits de violence ? Je souhaite que nous comprenions bien le fonctionnement entre la Fédération et le club.

M. James Blateau. En 2013, il avait la responsabilité des équipes nationales. Il a été licencié par la Fédération cette même année, et nous sommes allés aux prud’hommes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous nous préciser pourquoi il a été licencié en 2013 ?

M. James Blateau. À ce moment-là, c’était pour un manque de résultats et des comportements qui ne nous semblaient pas satisfaisants.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quels comportements ?

M. David Vallée. Les blessures nous semblaient trop importantes au sein de l’équipe de France. En revanche, il n’y a pas eu de remontée de mauvais traitements ou de violence verbale. Les résultats de l’entraîneur et le fait que les gymnastes étaient souvent blessés nous ont amenés à prendre la décision de le licencier. Nous sommes allés aux prud’hommes et avons perdu ; la position que nous avons défendue en tant qu’employeur n’a pas été reconnue.

Concernant l’évolution de notre organisation, 2013 n’est pas 2023. La prise de conscience n’était pas tout à fait la même à l’époque. Mais déjà nous avions licencié un entraîneur de l’équipe de France, ce qui était une mesure forte.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. En 2013, cet entraîneur est licencié pour des mauvais résultats et pour quelques faits dont vous avez connaissance. Ensuite, vous allez aux prud’hommes. En quelle année cet entraîneur a-t-il été recruté par un club ?

M. James Blateau. Pendant une période intermédiaire, il a voyagé dans beaucoup de pays du monde. Nous avons perdu sa trace. Il y a un an ou deux, il a été recruté par un club de Rouen.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne pouvez pas, en votre qualité de président de la Fédération, imposer au club de prendre une mesure disciplinaire ou de le suspendre à titre conservatoire au vu des faits dont vous avez connaissance à la suite du reportage ?

M. James Blateau. Aujourd’hui, non.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le club est affilié à votre fédération. Si vous estimez que c’est un problème, avez-vous le pouvoir de ne plus affilier le club ?

M. James Blateau. Nous avons le pouvoir de ne pas affilier un club, mais dans des conditions très cadrées et très strictes. La procédure est longue et demande une analyse assez poussée. En l’occurrence, le problème ne porte que sur une personne, qui a sa carte professionnelle. Les éléments ne me paraissent donc pas réunis, sachant que ça ne relève pas du président de la Fédération, mais de la commission. Il y a de multiples intervenants. Nous pouvons licencier, mais derrière il y a les prud’hommes, et l’administration a délivré la carte professionnelle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Où est cet entraîneur aujourd’hui ? Est-il au contact de gymnastes, ou est-il en congé, en autorisation d’absence ? Je suppose qu’en tant que président de la Fédération, votre objectif est de protéger d’autres victimes éventuelles. Au moment où vous aviez connaissance des faits – sans en avoir une connaissance parfaite – aviez-vous alerté le ministère des sports ?

M. David Vallée. Je n’étais pas en responsabilité en 2013. D’après les échanges que nous avons eus, je ne pense pas que la Fédération ait communiqué une information au ministère et que ce dernier ait pris des sanctions en 2013.

Ce que nous savons, c’est que cette personne a une licence d’entraîneur dans un club de Rouen. Est-il malade ou en congé ? Cela relève de la relation entre l’employeur et son salarié. Notre commission disciplinaire se réunit demain pour traiter de ce cas. Des sanctions seront prises ou non. Cela dépendra des éléments qui auront été transmis et des éventuels signalements.

Après le reportage, nous avons mené une enquête et essayé de réunir des éléments, mais un certain nombre de gymnastes contactées par la Fédération n’ont pas voulu se rapprocher d’elle. Le dossier, concernant ces trois gymnastes, est creux. On sait que cette personne entraîne mais je ne suis pas capable de vous en dire plus sur sa situation actuelle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pour nous, il est très perturbant que la Fédération soit incapable de nous dire si cet entraîneur exerce toujours auprès de jeunes athlètes. Quelle est sa situation ? S’il n’est pas au contact d’athlètes, quelle est sa situation administrative ? Est-il en congé, en autorisation d’absence ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Le club de Rouen est affilié à la FFG. N’avez-vous pas la possibilité d’assurer une traçabilité de l’entraîneur en question et de contacter le club de Rouen ?

M. James Blateau. Bien sûr que si. Nous pouvons être en contact avec les clubs affiliés. Cela étant, ils ont une certaine liberté. Lorsqu’ils recrutent, ils ne passent pas par la Fédération. Ils le font directement. Quand ils donnent des congés ou suspendent un entraîneur, ils le font directement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je comprends très bien. Vous-même, en tant que président de la FFG, vous devez-vous, en tout cas moralement, de contacter ce club et de le prévenir au sujet de cet entraîneur ?

M. James Blateau. Évidemment, c’est signalé. Il a été demandé à ce club s’il était sûr de faire le bon choix.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Comment le signalez-vous ?

M. James Blateau. C’est signalé si on est au courant avant le recrutement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’il y ait recrutement ou non, sans faire d’ingérence dans un club, vous avez la possibilité d’appeler le président du club et de discuter avec lui de son recrutement ?

M. David Vallée. Oui, nous pouvons le contacter et faire part de nos interrogations sur cet entraîneur, mais le club – association loi 1901 –, en tant qu’employeur, a toute liberté pour signer un contrat de travail avec qui il veut. La sanction que nous pourrions prendre vis-à-vis d’un cadre, s’il est bien licencié, consisterait, dans le cadre d’une procédure disciplinaire, à lui retirer sa licence. Dès lors qu’il n’a plus de licence, il est compliqué pour un club de gymnastique de l’employer comme entraîneur.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous parlé avec le président du club de gymnastique de Rouen pour lui parler de l’histoire de cet entraîneur et évoquer le reportage de France 2, qui est récent ? Le président est-il informé ?

M. James Blateau. Bien sûr, mais il était informé avant que nous ne le contactions. Il cherche, sur le plan mondial ou national, des entraîneurs. Il identifie les uns et les autres. Cela ne passe pas par la Fédération. S’il a sa carte professionnelle, il n’y a pas d’obstacle. En tout état de cause, la décision ne nous appartient pas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous le comprenons. Depuis cette émission, vous avez certainement eu des échanges avec le président de ce club. Comment justifie-t-il que cet entraîneur reste en fonction auprès d’un jeune public ? Même si vous n’avez pas de pouvoir décisionnaire, quelle est la nature de vos échanges avec le président ?

M. James Blateau. Je ne sais pas bien vous répondre. Je pourrais vous dire que le président du club cherche absolument un entraîneur, qu’il y a pénurie sur le marché, que la personne en question est sous surveillance au sein du club – choses auxquelles je ne crois que moyennement.

J’appelle votre attention sur le fait que beaucoup de structures sont en place et se contredisent parfois. Assez rapidement, on se situe au niveau international. Nous avons nos réflexions nationales, qui sont légitimes, mais à l’international, nous sommes dans autre chose. Même en France, on constate chaque jour les écarts entre les positions de la police, de la gendarmerie, de la justice, de la Fédération – nous ne nous plaçons pas à l’extérieur. On nous fait porter des choses qui sont difficiles à porter, d’une certaine façon, parce que le rythme n’est pas le même. Le rythme de la justice n’est pas le nôtre. Il nous est demandé si nous avons suspendu un entraîneur, alors que la justice prendra sa décision dans cinq ans. Nous sommes volontaires, nous voulons faire mieux, mais parfois nous sommes un peu démunis et un peu seuls aussi.

Mme Claudia Rouaux (SOC). Cette discussion est très intéressante, car elle montre les problèmes rencontrés par le club, les difficultés des entraîneurs, l’espoir d’un club d’avoir un athlète de haut niveau, et l’action de la justice. En l’occurrence, un reportage télévisé a évoqué la personne dont nous parlons, mais je ne suis pas sûre que des plaintes aient été déposées ensuite. Cet entraîneur a été licencié de la Fédération en 2013, mais depuis il se promène, il revient ; il a même gagné aux prud’hommes, donc il est blanchi. C’est une vraie difficulté.

Quel pouvoir une fédération a-t-elle en cas de suspicion de violences ? Peut-elle suspendre un entraîneur qui détient une carte professionnelle et qui est en contact avec des licenciés de la Fédération ? Il existe peut-être un manque juridique ou législatif. Selon moi, le cœur du problème est là.

Ce reportage dessert la Fédération. Vous avez dit que vous aviez un avocat. Pourquoi la Fédération ne s’est-elle pas constituée partie civile contre cet entraîneur ? Pouviez-vous le faire ?

M. David Vallée. Pour se porter partie civile, il faut qu’il y ait un procès. Pour l’instant, ce n’est pas possible. Vous nous avez demandé tout à l’heure pour quoi et pour qui nous nous portions partie civile. C’est avant tout pour défendre les intérêts des licenciés, et pas seulement ceux de la Fédération. Il est arrivé – mais pas sur cette affaire – que le juge refuse que nous nous portions partie civile alors que nous le souhaitions.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi, dans cette affaire, la Fédération n’a-t-elle pas choisi de porter plainte ?

M. David Vallée. Le point de départ est la mise en place de notre procédure. Notre règlement et notre pouvoir disciplinaire sont liés à nos statuts. Quand nous agissons, c’est par rapport à notre environnement, ce qui nous permet, si le président de la commission disciplinaire le décide, de prendre une mesure conservatoire et de mettre ce licencié de côté tout de suite.

Dans le cas dont nous parlons, le préfet de Normandie n’a pas pris de mesure d’interdiction d’exercer. J’imagine qu’il n’avait pas les éléments qui lui auraient permis de le faire. Nous sommes dans la même situation : un reportage, même sur une chaîne de grande écoute, avec des noms floutés et quelques phrases identifiées, ne suffit pas à constituer un dossier disciplinaire qui permettrait de prendre des mesures. Le préfet de Normandie n’a pas pris de mesure d’interdiction, et il laisse cet entraîneur exercer dans son club auprès d’un public plus ou moins jeune – je ne sais pas auprès de qui il intervient.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie, messieurs. N’hésitez pas à revenir vers nous pour les documents que nous avons sollicités.

La commission auditionne Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj, co-présidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Chers collègues, nous accueillons à présent Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj, coprésidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT). Madame, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions.

Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux se déclinent autour de trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport, les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif bénéficiant d’une délégation de service public.

Vous avez effectué la quasi-intégralité de votre carrière professionnelle au sein de la FSGT, en tant que responsable des relations internationales, puis comme coordinatrice générale et, depuis 2017, comme coprésidente. Parallèlement et depuis cette même année, vous êtes membre du conseil d’administration du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Vous siégez également depuis 2019 au conseil d’administration de l’Agence nationale du sport (ANS).

En 2021, vous visez la succession de Denis Masseglia en présentant votre candidature à la présidence du CNOSF. Vous arrivez en troisième position de cette élection, qui porte Brigitte Henriques à la tête de l’institution. Lorsque cette dernière démissionne en 2023, vous êtes à nouveau candidate à la présidence, avec l’objectif de « mettre le sport au service du développement harmonieux de l’homme en vue d’encourager l’établissement d’une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ».

Pouvez-vous, à titre liminaire, après avoir présenté la FSGT, indiquer le nombre et la nature des cas de violences sexuelles et sexistes, de violences psychologiques, de racisme ou de discrimination dont vous avez eu connaissance dans le cadre de vos fonctions à la Fédération ? Pourriez-vous également nous exposer les réponses que vous y avez apportées ? De quelle manière votre action s’est-elle inscrite dans les trois axes précités qui intéressent notre commission d’enquête ?

Par ailleurs, le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner les actes de violence dans le sport vous paraît-il adapté ? Votre audition sera aussi l’occasion de partager votre vision de la gouvernance dans le sport.

Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj prête serment.)

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj, coprésidente de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT). La FSGT est une fédération dite affinitaire et multisports, comme il en existe une quinzaine en France. Le terme « affinitaire » renvoie au fait que ces fédérations ont un lien, dans l’histoire, avec un mouvement ; en ce qui nous concerne, c’est le mouvement sportif ouvrier. La FSGT a un double agrément : sport et éducation populaire.

Nous nous distinguons des fédérations dites délégataires par le fait que nous n’avons pas de délégation de l’État pour délivrer des titres de champion ou de championne de France ou définir les règles techniques de sécurité. Le code du sport nous autorise toutefois à organiser les règles sportives comme nous le souhaitons.

La FSGT regroupe 4 200 clubs et 220 000 pratiquants, issus majoritairement des quartiers populaires. Notre fédération est parmi les plus implantées dans ces quartiers. Un club peut choisir d’être affilié à plusieurs fédérations : c’est particulièrement intéressant pour les activités compétitives, car cela permet de participer à davantage de compétitions.

Les valeurs que nous défendons sont l’émancipation par le sport et la formation de citoyennes et de citoyens éclairés. L’une de nos convictions est que le sport n’est pas éducatif en lui-même. On parle souvent des valeurs du sport, mais elles n’existent que si on les construit ; de même, ses vertus doivent être enseignées. Les fédérations multisports élaborent des contenus qui donnent à l’émancipation par le sport une place centrale. Il est très important de rappeler – et le travail de votre commission le montre – que le sport peut émanciper comme il peut oppresser, qu’il peut épanouir comme il peut humilier.

Notre objectif est de permettre à toutes et à tous, quel que soit le niveau de pratique, d’accéder à une activité, d’y progresser et d’y prendre du plaisir. Ce que nous mettons au cœur de notre démarche pédagogique, c’est le jeu, et nous organisons aux niveaux départemental, régional et national des compétitions et des rassemblements autour d’une trentaine de disciplines. Certains athlètes de la FSGT ou d’autres fédérations affinitaires ont un parcours sportif de plus haut niveau, parfois même mondial ou olympique.

La structuration de la Fédération s’appuie sur des comités départementaux. Généralement, dans le sport, le pilier principal est la ligue régionale. Nous avons privilégié les comités départementaux afin de maintenir un lien de proximité avec les clubs, d’un point de vue aussi bien démocratique qu’organisationnel. Ce sont nos comités départementaux qui disposent de l’essentiel des moyens, notamment de ce que paient les clubs et les licenciés. Les ligues régionales sont essentiellement en charge de la formation. Quant au siège fédéral, il pilote la mise en œuvre du projet.

Nous avons opté pour un format original de gouvernance, avec une direction fédérale collégiale, composée de seize membres, qui se réunit chaque mois, et une coordination qui se réunit chaque semaine, soit à un rythme assez soutenu. Surtout, nous avons un modèle unique de coprésidence femme-homme, qui est plutôt une coresponsabilité légale, puisque le terme de coprésidence n’est même pas mentionné dans nos statuts. Nous avons la volonté de ne pas favoriser le présidentialisme – j’y reviendrai.

Comme je l’ai dit, le sport ne porte pas de valeur positive intrinsèque : il faut créer les contenus et l’environnement adaptés. Lorsque c’est le cas, il peut offrir un espace où l’on prend du plaisir, où l’on s’approprie son corps et son esprit, en progressant et en prenant pleinement conscience de son environnement. Il permet de mieux comprendre la société qui nous entoure. Notre objectif est d’aider les jeunes sportifs et sportives à être les citoyens et citoyennes de demain, responsables, lucides et émancipés.

Le sport n’est pas en dehors de la société. Les violences et les discriminations sont partout et il y en aura toujours, dans tous les milieux sociaux. Cependant, plus on créera les conditions d’un environnement adapté, plus on préviendra ces violences, et plus les pratiquants et pratiquantes gagneront en autonomie.

Quand on promeut une politique sportive de la performance, synonyme de sélection à outrance dès le plus jeune âge, l’idée s’installe qu’il existe des bons et des mauvais pratiquants. Les mauvais sont invités à ne jamais progresser, ou peu, et éprouvent parfois un sentiment de dévalorisation. À l’inverse, les bons entrent dans une logique élitiste très concurrentielle, parfois sans limites, qui peut avoir des conséquences graves sur les plans physique, psychologique et social.

S’il se fait dans de bonnes conditions, l’accès à l’éducation physique et sportive dès le plus jeune âge permet d’acquérir des compétences physiques, mais aussi cognitives. Mais lorsque les enfants font l’objet d’une hyperspécialisation trop tôt, leur développement moteur et cognitif peut être affecté. Ils sont alors fragilisés dans leur capacité à s’approprier pleinement leur corps, à s’adapter et à résister aux différentes situations qui se présenteront à eux ; ils seront aussi moins aptes à se protéger en cas de violences physiques et psychiques et en cas d’emprise. C’est pourquoi nos fédérations essaient de promouvoir une conception omnisports dès le plus jeune âge. Nous soutenons pour les mêmes raisons la place de l’éducation physique et sportive à l’école. De nombreuses études confirment que l’envie de gagner passe par le plaisir éprouvé dans la pratique sportive. Pour cela, les capacités cognitives des sportifs doivent se développer autant que leurs capacités physiques.

Il y a un lien entre le projet de la Fédération et le système de gouvernance qu’elle se donne, comme il y en a un entre les politiques publiques impulsées par un exécutif et les choix démocratiques de ce dernier. Ce qui fonde ou devrait toujours fonder le fonctionnement des fédérations sportives, c’est le principe de la loi de 1901 sur la liberté d’association, à savoir qu’une association naît de la volonté de plusieurs personnes de se réunir autour d’un projet commun ou d’une cause commune. La gouvernance doit donc être partagée.

Si l’on compare la gouvernance des fédérations sportives à celle d’autres grandes fédérations et associations coordonnant par exemple des actions humanitaires ou médico‑sociales, on constate qu’une forme de présidentialisme s’est accentuée au sein des premières depuis quelques années – c’est l’un des éléments rapportés par l’inspection générale concernant la Fédération française de football. Cela nous éloigne des principes de la loi de 1901, puisque le pouvoir est de plus en plus concentré entre les mains d’une personne ou d’un cercle très réduit d’individus. Il s’agit presque toujours de personnes de sexe masculin, dans la mesure où le système est encore assez patriarcal : le sport a été créé par des hommes et reste encore fortement dirigé par eux. Ce phénomène concerne davantage les fédérations olympiques. Les fédérations délégataires, elles, comptent plus de femmes et la moitié des fédérations multisports est coprésidée par un homme et une femme. Il faut repenser l’organisation du pouvoir et trouver des moyens de briser le plafond de verre qui empêche les femmes de prendre des responsabilités, même si cela ne règle pas tous les enjeux, bien évidemment.

J’en viens aux modes de financement des fédérations sportives. Certaines fédérations, les plus grandes, bénéficient de droits de marketing et de sponsors. D’autres, comme la nôtre, dépendent essentiellement des licences, qui représentant 80 % des ressources, auxquelles s’ajoute la subvention de l’État. Les dernières, enfin, dépendent essentiellement des subventions publiques, car elles comptent peu d’adhérents. Il s’agit essentiellement des fédérations olympiques.

Les fédérations, surtout depuis la crise liée au covid-19, cherchent à multiplier les sources de leurs revenus pour ne pas dépendre d’une seule ressource. Le système de financement public favorise les clubs et les associations qui sont déjà structurés, avec une logique d’appels à projets et un seuil minimal de demande de subventions. Aujourd’hui, il n’y a plus de subventions de fonctionnement, seulement des subventions d’appels à projets. Une telle situation est problématique, car seuls les clubs et fédérations qui en ont les moyens y ont accès. Or, pour partager le pouvoir, il faut des ressources.

La plus grande ressource, ce sont les bénévoles. Au sein de notre fédération, ils sont 300 à animer nos commissions et nos collectifs fédéraux. En France, neuf associations sportives sur dix sont animées exclusivement par des bénévoles. Or elles sont soumises à des démarches administratives de plus en plus nombreuses, qui peuvent leur donner le sentiment qu’on se défie d’elles. Je pense par exemple au contrat d’engagement républicain, par lequel les associations s’engagent à respecter les principes de la République. C’est une obligation qui était déjà contenue dans la loi de 1901 et qui pouvait, en cas de manquement, conduire au retrait de l’agrément. Ce contrat nous a fait passer d’un climat de confiance, qui est au fondement du principe associatif en France, à une situation où il faut d’abord montrer patte blanche. Nous estimons par ailleurs que ce contrat d’engagement républicain peut nuire aux fédérations les plus militantes, en fonction des politiques publiques mises en place.

L’avenir sera associatif. Nous avons besoin des associations, parce que les inégalités sont de plus en plus importantes et que le sport marchand ne peut répondre à toutes les demandes, pas plus que le service public. Je pense qu’il y a un lien direct entre l’objet de votre commission et la dégradation du service public du sport, car la prévention contre les violences sexistes et sexuelles et contre les discriminations est un enjeu régalien, dont le ministère des sports doit se saisir, à tous les échelons.

Or la réforme de 2021 organisant le rattachement des directions régionales et départementales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale au ministère de l’éducation nationale a eu un effet négatif, avec la création des délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) et des services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) au niveau local. D’après le syndicat national de l’éducation physique affilié à la Fédération syndicale unitaire (Snep-FSU), les effectifs en charge de la jeunesse et des sports ont chuté de 45 % en dix ans, alors que leurs missions n’ont pas été réduites – elles vont au contraire s’accroître avec le service national universel. Or il existe un véritable enjeu de proximité entre nos clubs et nos comités départementaux. Il doit en être de même pour les SDJES.

Par ailleurs, les bénévoles ne s’engagent pas dans les associations pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ; ils s’engagent d’abord pour animer le sport et faire vivre un projet. Quand ils y sont confrontés, ils éprouvent de grandes difficultés à les gérer. Sur ce point, les fédérations ont évidemment un rôle de prévention à jouer, mais l’État et le service public doivent aussi jouer le leur.

Je rappelle qu’un tiers de la population française n’a pas suffisamment accès au sport. La condition des enfants sur le plan physique et cognitif s’est beaucoup dégradée : ils ont perdu, en vingt ans, un quart de leurs aptitudes cardiovasculaires et ont des difficultés croissantes avec la motricité de base, certains d’entre eux ayant même des difficultés à courir. Le droit pour toutes et tous de pratiquer une activité sportive est donc un enjeu crucial. Dans la mesure où l’accès au sport est socialement déterminé, il est de notre devoir à tous – mouvements sportifs, collectivités, État –, en lien avec l’Agence nationale du sport, d’en créer les conditions.

Depuis que je copréside la FSGT, je n’ai eu connaissance que de trois signalements. Dans le premier cas, il ne s’agissait pas précisément d’un signalement : le président de l’un de nos comités départementaux a été arrêté par la gendarmerie pour des faits graves. Même si l’enquête a ensuite montré que ces faits n’étaient pas intervenus dans le cadre sportif, cet événement a secoué le comité départemental, notamment les bénévoles investis depuis des années : ils ont été profondément choqués et se sont sentis désarmés face à cette situation. La gendarmerie a auditionné d’autres responsables de ce comité et, dès que nous en avons été informés, nous avons pris des dispositions pour que cette personne ne participe à aucune manifestation sportive. Cet éloignement a été pris à titre conservatoire. Nous nous sommes alors adressés au tribunal judiciaire, qui n’a jamais répondu à nos demandes de précisions sur l’enquête, alors que nous cherchions à prendre les meilleures dispositions possible.

Une autre affaire concernait l’un des entraîneurs d’un club de tennis de table doublement affilié. C’est au moment de son arrestation que nous en avons eu connaissance. Nous avons alors accompagné le comité départemental, acteur de proximité du club, dont le responsable connaissait, de plus, parfaitement les équipes locales. Il y a eu un réel accompagnement psychologique.

Le troisième signalement concernait un club d’équitation, lui aussi doublement affilié. Il s’agissait d’un cas d’emprise d’un entraîneur sur une athlète, qui a été difficile à caractériser dans le temps, car les deux personnes avaient noué une relation de couple. Dès que nous en avons été informés, nous avons pris contact avec la délégation ministérielle à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui était à l’époque dirigée par Fabienne Bourdais. Nous avons suivi toutes les procédures et fait en sorte que l’auteur des agressions ne soit plus autorisé à encadrer.

J’ajoute un dernier cas, dont nous avons été informés en septembre, alors que les faits remontent au printemps : un entraîneur de volley-ball attendait ses joueuses à la sortie du lycée et leur envoyait des messages. Il s’agit également d’un club doublement affilié à la Fédération française de volley-ball. Le club a d’abord recadré le coach mais il a recommencé à attendre ses joueuses à la sortie du lycée. Le club a alors décidé de le suspendre de ses activités et de saisir les deux fédérations concernées. Nous avons fait un signalement auprès du ministère des sports. Notre directrice technique nationale (DTN) a enclenché la procédure de l’article 40 du code de procédure pénale et nous avons saisi hier la commission de discipline de la Fédération, pour avis.

Pour moi, il y a un lien évident entre le contenu de l’activité, les modalités d’organisation de celle-ci et les risques de dérives, qu’il s’agisse de racisme ou de violences sexistes et sexuelles. Notre fédération ne compte pas d’athlètes de haut niveau : c’est à mon avis l’une des raisons pour lesquelles il y a moins de cas visibles. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risques : la prévention des violences n’était pas au cœur de nos politiques, parce que nous n’étions pas informés, mais nous sommes désormais au fait des procédures de signalement. J’appelle votre attention sur le fait que nombre de fédérations n’ont pas de DTN. Nous en avons une depuis avril 2022 et cela nous aide beaucoup.

Enfin, nous travaillons avec l’organisme privé Égaé, qui fait de la formation sur l’égalité entre les genres et la prévention des violences sexistes et sexuelles, à la mise en place de formations à destination de nos salariés, mais aussi de nos présidents, trésoriers et secrétaires.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci beaucoup pour ce propos liminaire. Pourriez-vous nous préciser que ce que vous entendez par club doublement affilié ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Lors de sa création, un club choisit de s’affilier à une ou plusieurs fédérations. L’adhérent de la Fédération n’est pas le licencié, mais le club : une fédération sportive est d’abord une fédération de clubs. Chaque fédération a sa propre organisation et ses propres valeurs. En adhérant à plusieurs structures, le club a plus de possibilités. C’est notamment le cas dans le judo : de nombreux clubs de la FSGT sont également affiliés à la Fédération française de judo, qui a des offres de compétitions à destination des enfants très différentes des nôtres.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant des affaires survenues dans des clubs d’équitation et de volley-ball, pour lesquelles vous avez fait un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, savez-vous si, de leur côté, les fédérations d’équitation et de volley-ball ont également instruit ces dossiers ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Je ne sais pas, car nous sommes essentiellement en relation avec notre club. En outre, l’affaire concernant le club de volley-ball est assez récente. Je pense toutefois que les fédérations ont agi à leur niveau.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous vous êtes présentée à deux reprises à la présidence du CNOSF. Pourriez-vous nous expliquer très rapidement les lignes du projet que vous défendiez ? Avez-vous l’occasion d’échanger avec le président David Lappartient ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. En 2021, au moment du départ de Denis Masseglia, et alors que les clubs étaient en grande difficulté du fait de la crise sanitaire, ma fédération a choisi de porter ma candidature, car il y avait alors une opportunité pour proposer un projet différent. J’ai défendu le caractère associatif du sport et sa capacité de résilience.

J’ai également plaidé en faveur d’un sport inclusif et défendu l’idée que le sport n’a pas de valeur positive en soi mais qu’il faut la construire. Si on ne le fait pas, l’essentiel est manqué, aussi bien pour les athlètes de haut niveau que pour le plus grand nombre. Je suis convaincue que cet engagement pour une meilleure inclusion doit se réaliser à tous les niveaux et que ce travail doit aller plus loin que la simple intégration. Il s’agit pour les clubs de s’adapter aux personnes, quelle que soit leur condition sociale, physique ou géographique. De la même manière, il est essentiel d’offrir aux personnes en situation de handicap la garantie qu’elles seront accueillies dans de bonnes conditions.

Ma candidature a reçu un écho plutôt favorable, puisque j’ai terminé troisième. Ce résultat a été pour moi une surprise, car je ne suis pas une championne : je n’ai jamais reçu de titre olympique ou mondial et je n’ai jamais joué en équipe de France. Ma candidature avait donc quelque chose d’inattendu, mais c’est peut-être ce qui fait que j’ai été entendue, notamment sur la question de l’inclusion, qui est mieux prise en compte désormais.

En 2023, j’ai à nouveau présenté ma candidature, parce que je refusais l’idée d’une candidature unique et qu’il me paraissait important qu’il y ait un débat. Je me suis présentée aussi comme garante de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous expliquez avoir souhaité faire évoluer la gouvernance du CNOSF. Quel constat en faites-vous ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. J’estime que les instances de gouvernance du CNOSF n’abordent pas assez les questions politiques liées au sport. Le contrat d’engagement républicain, par exemple, n’a pas été débattu au sein de l’institution. De même, la candidature aux Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de 2030 n’a pas fait l’objet de débats suffisants. Je souhaite que nous ne soyons pas un simple gestionnaire des fédérations sportives mais un lieu où le mouvement sportif, dans toute sa diversité, puisse élaborer et enrichir sa contribution aux politiques publiques. Un mouvement de mutualisation des ressources entre les fédérations est toutefois en cours et mérite d’être remarqué, car il prend en compte les petites fédérations, parfois assez isolées.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des contacts avec le président actuel ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Je n’ai aucun contact particulier avec lui. Nos relations sont bonnes et je le croise au conseil d’administration, mais nous ne sommes pas à proprement parler en contact.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur le site internet de votre fédération, un lien permet de signaler des violences : il renvoie directement à la cellule Signal-sports du ministère. Nous avons reçu des fédérations qui ont fait le choix de filtrer d’abord les signalements à leur niveau et de commencer à les traiter avant de les faire remonter à Signal-sports. La procédure que vous avez choisie implique-t-elle que vous ne soyez pas informés de tous les signalements réalisés ? Ou bien avez-vous un dialogue permanent à ce sujet avec le ministère des sports ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Nous avons fait ce choix de fonctionnement, qui est expliqué sur tous nos supports de communication. Nous y mentionnons aussi le nom de notre DTN, qui est la référente concernant les violences sexuelles et sexistes. C’est par ce biais que nous avons eu connaissance du récent signalement concernant le milieu du volley-ball. Nous n’avons pas eu de retour du ministère sur d’éventuels signalements.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dispensez-vous des formations relatives à la prévention des violences sexistes et sexuelles à destination des clubs affiliés à votre fédération ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Pas à ce jour, mais c’est une démarche en cours d’élaboration, avec le soutien, d’ailleurs, de certaines collectivités territoriales, qui demandent aux clubs souhaitant percevoir des subventions d’attester qu’ils ont introduit ce genre de formation. Par ailleurs, nous sensibilisons les clubs à la question des discriminations, en lien étroit avec la dimension d’éducation populaire et l’agrément qui lui est relatif.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous comment se déroulent les contrôles d’honorabilité dans les clubs affiliés ? Sont-ils réalisés systématiquement sur l’ensemble des bénévoles et des personnes en lien avec les sportifs ? Savez-vous si ces contrôles incluent la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et le fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. La FSGT, comme les autres fédérations, est soumise au contrôle d’honorabilité. Les deux premières saisons de mise en œuvre ont été difficiles, car notre système d’affiliation n’y était pas adapté. Le taux de pénétration du contrôle d’honorabilité n’était pas encore maximal. Le système d’affiliation pour les rentrées 2023 et 2024 a été modifié et le contrôle d’honorabilité est devenu automatique.

Pour compléter ma réponse à la question précédente, nous avons aussi engagé un travail sur la question de l’égalité de genre et la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes trans, notamment. Nous collaborons avec la Fédération LGBTI+ et travaillons à la création d’un agrément de la Fondation inclusion pour un environnement respectueux (Fier) sur ces questions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans votre dossier de candidature à la présidence du CNOSF, vous avez dit vouloir agir efficacement contre les violences sexuelles et toute forme de discrimination. Pouvez-vous dire ce que vous entendez par là ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Ces sujets n’étaient pas centraux il y a encore peu de temps. Ce sont les révélations de Sarah Abitbol, puis celles d’autres victimes, qui ont poussé la ministre Roxana Maracineanu à s’emparer de ces questions. J’ai voulu les mettre au cœur de la campagne et je ne suis pas la seule : Brigitte Henriques a fait de même.

Jusque-là, lorsqu’il y avait des cas de violences sexistes et sexuelles, les fédérations étaient plutôt préoccupées par leur image que par les victimes. Un travail a commencé pour changer les choses, au sein du CNOSF et de la commission présidée par Catherine Moyon de Baecque. Il importe d’accompagner les fédérations, surtout celles qui sont uniquement composées de bénévoles, car ils ne sont pas formés à la prévention de ces violences.

En tant que coprésidente de la FSGT, je suis rémunérée, mais l’autre coprésident, qui est à la retraite, est bénévole. Nous n’avons jamais reçu de formation pour devenir président. Au sein de notre institution, ces compétences s’acquièrent dans la durée, car on ne devient pas président du jour au lendemain, mais toutes les fédérations ne fonctionnent pas de cette manière. Dans certaines d’entre elles, il arrive que des candidats soient élus par surprise et qu’ils se rendent compte de l’immense responsabilité qui leur incombe. Le rôle du CNOSF est de former à cela, ainsi qu’à nombre d’autres questions, du racisme à la gestion financière.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Si ma mémoire est bonne, il n’y aurait que 19 femmes dirigeantes sur les 117 fédérations existantes. Qu’en pensez-vous et que proposiez-vous dans votre dossier de candidature pour faire évoluer cette situation ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Sur ces 19 femmes, 15 évoluent au sein de fédérations multisports. Par ailleurs, le conseil d’administration n’est pas paritaire, parce que le système électoral ne garantit pas la parité. Une avancée remarquable a été faite lorsqu’en 2021, des fédérations sportives, présidées par des hommes, ont présenté des femmes à la vice-présidence. Nous sommes toutefois très loin d’atteindre la parité. Or je souhaite qu’elle puisse exister au sein des instances du CNOSF, car le système patriarcal existant empêche encore les femmes de prendre la parole lorsqu’il y a une situation de domination. Je n’ai pas été personnellement victime de sexisme délibéré de la part de mes collègues mais, lorsque je me suis de nouveau portée candidate en 2023, un de mes collègues a tenu de propos ironiques qu’il n’aurait pas adressés à un homme.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans la loi de mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, estimez-vous que la parité a été recommandée ou rendue obligatoire ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Elle est obligatoire dans les fédérations et les structures régionales, mais pas, me semble-t-il, au niveau départemental. Elle ne s’applique pas au sein du CNOSF, même si son bureau est actuellement paritaire, du fait d’un choix politique qu’avait fait à l’époque Brigitte Henriques.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez évoqué la commission de lutte contre les violences sexuelles et sexistes du CNOSF, dont nous avons auditionné les deux coprésidents. Quels sont vos rapports avec cette commission ? Pouvez-vous nous dire comment elle travaille ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Je ne fais pas partie de cette commission, mais je crois savoir qu’elle a organisé un tour de France et qu’elle travaille avec les comités régionaux olympiques et sportifs (CROS). Je n’ai pas davantage d’information à vous transmettre à ce sujet.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles responsabilités avez-vous au sein du conseil d’administration du CNOSF ?

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Je n’en ai pas. La présidente m’avait proposé un poste au sein du bureau exécutif, mais j’ai décliné cette proposition, pour conserver une indépendance et une liberté d’action. La composition du bureau n’a pas été renouvelée avec l’élection de 2023.

Mme Claudia Rouaux (SOC). On est très loin de la parité dans les conseils d’administration et au niveau de la gouvernance des fédérations : la loi ne devrait-elle pas l’imposer ? Pour rappel, en 2001, la parité a été institutionnalisée au sein des communes de plus de 3 500 habitants, mais pas au sein de l’exécutif des communes. Cette obligation est aujourd’hui inscrite dans la loi. Ne faudrait-il pas faire de même pour les fédérations ? Il est évident que l’absence de parité n’est pas liée à l’absence de candidates, comme cela a pu être dit, aussi, dans le monde politique.

Mme Emmanuelle Bonnet Oulaldj. Effectivement, je suis convaincue qu’il n’y a pas de difficulté à identifier des femmes pour entrer au conseil d’administration du CNOSF. La question est plus difficile dans les instances départementales, où un véritable travail reste à accomplir. La loi pourrait inciter les comités à prendre les mesures nécessaires.

Concernant le CNOSF, deux leviers d’action sont identifiés : la loi, mais également la refonte des statuts. Ce travail n’a pas été engagé depuis 2021.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions vivement de votre disponibilité. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des informations complémentaires à nous transmettre.

La commission auditionne M. Bruno Gares, ancien président de la Fédération française d’escrime, et Mme Jacqueline Felzine, présidente de la commission éthique et déontologie de la Fédération française d’escrime (en visioconférence).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. Bruno Gares, ancien président de la Fédération française d’escrime, et Mme Jacqueline Felzines, présidente de la commission d’éthique et de déontologie de cette même fédération.

L’Assemblée nationale a décidé de la création de cette commission d’enquête à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs ainsi que de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations. Nous avons entamé nos travaux le 20 juillet dernier. Ils portent sur trois thèmes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous êtes tous deux d’anciens escrimeurs. Monsieur Gares, vous avez également été armurier. En septembre 2020, vous avez été élu président de la Fédération française d’escrime (FFE). Trois ans plus tard, vous démissionnez pour « raisons personnelles », selon vos propres termes, à moins d’un an des Jeux olympiques de Paris. Un article du journal Le Monde du 29 septembre dernier indique que la direction des sports du ministère aurait été alertée en début d’année de dysfonctionnements en lien avec le président de la Fédération française d’escrime. Une mission d’inspection générale lancée en mars serait d’ailleurs toujours en cours.

Pouvez-vous confirmer et préciser ces informations et nous apporter des éléments sur le contexte de ce départ et sur ce qui vous serait reproché ? Pouvez-vous également nous indiquer le nombre et la nature des violences sexuelles et sexistes, des violences psychologiques ou des actes de racisme ou de discrimination dont vous avez eu connaissance dans vos différentes fonctions, en particulier à la FFE, et les réponses que vous y avez apportées ? En quoi votre action sur les trois axes qui intéressent notre commission a-t-elle consisté ? Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner ces actes dans le sport vous paraît-il adapté ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bruno Gares et Mme Jacqueline Felzines prêtent serment.)

M. Bruno Gares, ancien président de la Fédération française d’escrime. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je réfléchis à démissionner de mon poste de président de la Fédération ! Depuis le mois de janvier, je m’interroge. Je suis bénévole ; cette mission très compliquée m’a épuisé. J’ai également rencontré des problèmes très personnels, familiaux. Vous citez la commission d’enquête de l’inspection générale. Fort heureusement, de telles enquêtes existent ; elles visent à accompagner les fédérations et à en améliorer le fonctionnement. Cette enquête est toujours en cours ; je n’ai pas eu de retour particulier sur les différents éléments.

Les facteurs qui m’ont incité à me retirer sont nombreux. En premier lieu, il y a la fatigue : j’ai repris le travail ; les allers-retours permanents m’ont fatigué, car j’habite dans le Sud. Le travail dans cette situation n’est pas compatible avec le bénévolat pour une fédération olympique à ce niveau. J’ai donné trois ans de ma vie à 120 %.

Vous m’interrogez aussi sur le nombre de cas de violences que nous avons connus. J’ai été saisi d’environ vingt-deux affaires qui ont été transmises en commission de discipline et jugées par elle, avec différents niveaux de sanction.

Mme Jacqueline Felzines, présidente de la commission d’éthique et de déontologie de la Fédération française d’escrime. Je remercie la commission d’enquête de nous donner la possibilité de nous exprimer, notamment la commission d’éthique et de déontologie que je représente aujourd’hui. Je souhaiterais présenter sommairement les membres qui composent cette commission : M. Denis Lemuhot, M. Florent Feutrier, et nous sommes précieusement soutenus par Mme Laurence Rakoute, conseillère technique sportive (CTS).

Nous avons élaboré un plan de prévention des violences qui intègre le signalement, et la signature de conventions avec les associations Les Papillons et Colosse aux pieds d’argile. Nous avons pu bénéficier des apports de Mme Virginie Thobor, l’ancienne directrice technique nationale (DTN), qui vient du monde de la lutte, pour créer une cellule de déclaration de faits graves composée du DTN, M. Jean-Yves Robin, Mme Laurence Rakoute et moi-même. Je suis en effet référente « violence et honorabilité » auprès du ministère. Nous avons ainsi mis en place un dispositif de signalement dès 2021 ; il permet aux pratiquants victimes de violences de procéder à une déclaration.

Je tiens au demeurant à remercier la cellule Signal-sports, notamment MM. Fabien Proust, Laurent Bonvallet – qui a largement contribué à accompagner notre dispositif – et Eddy Demolombe. Nous ne manquons pas de les solliciter systématiquement dès lors que nous recevons une déclaration de faits graves. Pour la saison sportive 2021-2022, nous en avons recensé dix-huit, et pour la saison 2022-2023 qui s’est achevée en août 2023, huit.

Nous aurions pu nous estimer satisfaits de cette baisse significative des déclarations de faits graves, et penser que les actions de sensibilisation que nous avons menées avaient été efficaces. Ainsi, nous avons rédigé une charte d’éthique et de déontologie, accompagnée d’un guide de prévention des violences, qui a été remise à chaque club. Malheureusement, lorsque nous l’avons remise en mains propres lors d’une compétition d’escrime qui s’adressait à huit cents tireurs de moins de quinze ans, nous avons recueilli trois déclarations de faits graves en deux jours. Clairement, nous ne pouvons qu’en déduire, à regret, que les violences n’ont pas diminué.

Nous avons soulevé un certain nombre d’hypothèses. L’issue des mesures disciplinaires a-t-elle amené les victimes à moins nous contacter ? Avons-nous, en tant que membres de la commission d’éthique et de déontologie, été moins présents pour communiquer, faire campagne auprès des pratiquants et les sensibiliser ?

Nous avons rédigé un rapport d’activité dans lequel le nombre exact de déclarations de faits graves est détaillé, ainsi que les éléments statistiques qui caractérisent les faits de violence et les mesures – judiciaires, administratives et fédérales – de traitement. Nous avons pu constater des disparités en matière de traitement de ces violences.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Gares, vous avez indiqué que votre choix de démissionner venait en partie de la complexité du rôle de présidence de fédération. Pouvez-vous nous en dire davantage, au-delà de la question des trajets et de l’incompatibilité avec une reprise de profession ?

Vous avez par ailleurs cité vingt-deux affaires ; s’agit-il bien de vingt-deux faits graves en trois ans ?

M. Bruno Gares. J’en compte vingt-deux mais j’ai entendu que Mme Felzines en avait cité davantage. D’autres affaires ont dû remonter entre-temps.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez cité dix-huit affaires entre 2021 et 2022, huit entre 2022 et 2023, puis trois nouvelles déclarations sont remontées pendant les trois jours évoqués par Mme Felzines. C’est bien cela ?

Mme Jacqueline Felzines. Les trois déclarations supplémentaires comptent parmi celles de l’année 2022-2023 : nous avons reçu trois déclarations de faits graves en un week-end.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces trois déclarations font donc partie des huit déclarations évoquées.

Mme Jacqueline Felzines. En effet.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Gares, pouvez-vous maintenant revenir sur les difficultés rencontrées en votre qualité de président de la FFE ?

M. Bruno Gares. La première difficulté, c’est que j’étais mis à disposition : je n’avais donc pas de ressources financières. J’ai ainsi perdu 10 000 euros par an, puisque j’étais bénévole. Je travaillais pourtant vingt-quatre heures sur vingt-quatre : avec les salariés pendant la journée, puis le soir et les week-ends avec les élus. La charge de travail fut considérable, notamment parce que j’avais un programme très dense pour essayer de faire vivre une fédération et d’aller chercher des médailles dans la haute performance. Je voulais insister d’abord sur la formation pour amener du développement sur les territoires, puisqu’à la sortie du covid, nous sommes tombés à 29 000 licenciés. Nous sommes aujourd’hui remontés à 55 000 licenciés. Nous n’avions que treize maîtres d’armes en formation ; soixante-cinq ont commencé cette formation. Ce travail bénévole pour faire bouger les équipes m’a épuisé et, je le disais, je me suis retrouvé dans une situation compliquée financièrement. C’est la raison pour laquelle j’ai repris le travail.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Monsieur Gares, pouvez-vous préciser les procédures suivies par la FFE lorsqu’il y a un signalement ? Comment les informations remontent-elles ? Des mesures disciplinaires sont-elles prises en amont ?

M. Bruno Gares. Nous avons mis en place un plan de prévention des violences qui n’existait pas avant mon arrivée. Nous avons aussi instauré une commission d’éthique et de déontologie. Cette commission est autonome : elle peut saisir le président directement afin qu’il y ait des remontées.

Les sportifs, les présidents de club, les dirigeants ou les bénévoles peuvent effectuer un signalement à n’importe quel moment, par l’intermédiaire de la cellule Signal-sports, de la commission d’éthique et de déontologie ou encore de notre site internet. Les faits remontent ensuite auprès de Mme Felzines et de la cadre technique d’État. Je suis ensuite en mesure de saisir la commission de discipline.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La nature des affaires n’a pas été précisée ; s’agit-il d’agressions sexuelles, d’homophobie, de racisme, de discrimination, de violences physiques, de harcèlement ? Pouvez-vous par ailleurs détailler les mesures prises ? La commission disciplinaire est-elle saisie ? Une enquête administrative est-elle diligentée ? Une saisine de la justice ?

M. Bruno Gares. Nous avons principalement eu connaissance d’agressions sexuelles et de violences psychologiques.

Une fois l’affaire remontée au président, celui-ci saisit la commission de discipline. Nous avons essayé de travailler avec Signal-sports et les différentes délégations régionales académiques à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes) qui disposent de pouvoirs d’investigation bien plus importants que ceux d’une fédération. La commission d’éthique et de déontologie a parfois saisi le procureur de la République en vue d’obtenir des informations. Il arrive en effet que nous ne détenions que des bribes d’informations.

Nous avons essayé de trouver des moyens d’agir. Grâce à notre système d’accompagnement des victimes par internet – je n’aime pas le mot de dénonciation –, des faits nous sont rapportés ; nous saisissons alors le juriste de la Fédération qui recueille les témoignages. Ensuite, des décisions sont prises soit de manière administrative par la Drajes, en commun avec la Fédération, soit par la Fédération – suspensions, résiliations…

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le signalement peut donc être fait sur votre site, où je suppose qu’il y a un onglet spécifique. Où ce signalement arrive-t-il ensuite ? Chez le président ? Chez Signal-sports ?

M. Bruno Gares. Mme Felzines connaît mieux que moi les détails. J’interviens pour ma part en deuxième instance. Le signalement est automatiquement transmis à la commission d’éthique et de déontologie et à la cadre technique d’État. La cellule Signal-sports est ensuite saisie et l’affaire remonte auprès du président de la Fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous est-il déjà arrivé de prendre des mesures disciplinaires à titre conservatoire pour des faits d’agression sexuelle en vue de mettre l’auteur présumé à l’écart ?

M. Bruno Gares. Le président de la Fédération ne peut pas prendre de mesures conservatoires ; c’est le rôle du président de la commission de discipline.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Et cela est-il arrivé ?

M. Bruno Gares. Il nous est arrivé de prendre une mesure conservatoire ; il me semble que la personne en question a fait appel.

Je vais dire ce que tout le monde pense tout bas : pour prendre des mesures conservatoires, il est nécessaire de détenir des informations claires et des dossiers clairs. Nous devons être sûrs de ne pas être retoqués juridiquement. Dans l’affaire où nous avons pris une mesure conservatoire, la Drajes avait ordonné une suspension administrative qui a été annulée un mois plus tard. La Fédération s’est alors retrouvée sans dossier. C’est pourquoi il est impératif d’avoir à disposition des dossiers clairs, qui s’appuient sur des enquêtes. Mais seule la justice peut mener des enquêtes : les fédérations ne peuvent rien faire d’autre que recueillir des témoignages. La Drajes, le ministère des sports peuvent agir.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends tout à fait le circuit en l’occurrence. En ce qui concerne le cas des agressions sexuelles, on considère souvent maintenant que la première étape est de croire la victime. Un signalement est ensuite opéré, bien sûr, et le dossier instruit. Nous avons très souvent entendu que les personnes suspendues à titre conservatoire ou autre se retournaient parfois contre les clubs ou contre les fédérations. La priorité pour une fédération ou un club ne serait-elle pas plutôt de préserver et de protéger les autres athlètes, notamment lorsqu’ils sont mineurs, qui évoluent au sein de ces clubs – même au risque d’une plainte par la suite ?

M. Bruno Gares. Si la Fédération transmet l’information à Signal-sports, la cellule peut également décider d’une mesure conservatoire. Nous n’avons pas les moyens de prendre des mesures conservatoires. Gardez à l’esprit que si la Fédération suspend un entraîneur pendant un an, et qu’elle perd en justice après une plainte, elle devra verser un an de salaire, soit 100 000 euros. La fragilité est en l’occurrence financière.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous nous dites que le ministère des sports pourrait, lui, décider d’appliquer contre quelqu’un une mesure à titre conservatoire, même s’il ne s’agit pas d’un cadre d’État.

M. Bruno Gares. Oui, bien sûr. Dans une affaire que nous avons, c’est la Drajes qui a pris une mesure conservatoire. C’est elle qui dispose des moyens d’enquêter.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons par ailleurs eu l’occasion d’auditionner M. Fabien Canu, qui nous a notamment parlé d’un athlète exclu définitivement de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) pour des faits graves. La Fédération d’escrime est intervenue pour demander sa réintégration au sein de cet établissement. Pourquoi être intervenu en ce sens ?

M. Bruno Gares. D’abord, ce n’est pas la Fédération qui est à l’origine de la demande de réintégration mais le sportif lui-même, par l’intermédiaire de ses avocats. Une enquête menée par le procureur de la République a en effet abouti à un non-lieu. L’avocat a mis en avant cette absence de condamnation : l’athlète ayant été, selon lui, accusé à tort, nous avons été obligés d’effectuer une demande auprès de l’Insep pour que l’athlète puisse reprendre l’entraînement. Mais il est mis sur des situations externes, accompagné ; il se rend à l’entraînement et ressort. Il ne passe pas par les services médicaux ou services psychologiques. Il est chaperonné, en quelque sorte. Mais c’est bien le procureur de la République qui a mis fin à cette affaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’il n’a rien à se reprocher, pourquoi est-il chaperonné au sein de l’Insep ?

M. Bruno Gares. L’athlète qui l’a dénoncé se trouve toujours au sein de l’Insep. Afin d’éviter aux deux personnes de se croiser, nous avons essayé d’être prévoyants et d’agir dans l’intérêt général des deux athlètes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui a décidé que l’athlète devait être chaperonné ?

M. Bruno Gares. C’est le directeur de l’Insep et moi-même.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourriez-vous expliciter les raisons de ce non-lieu ? Était-ce par manque de preuves ?

M. Bruno Gares. Je vais vous dire ce que j’en sais, car l’affaire s’est déroulée le mois de mon arrivée, en septembre ou octobre 2020, alors que je n’avais pas encore pris mes fonctions. Il y a eu une dénonciation sur les réseaux sociaux : une athlète a raconté des choses. Par prudence, avec le directeur de l’Insep de l’époque, Ghani Yalouz, et avec l’ancien DTN, Éric Srecki, nous avons décidé de prendre des mesures conservatoires. Des enquêtes ont alors été menées par la police judiciaire et le procureur ; puis il y a eu un non-lieu. C’est à partir de là que le sportif s’est réservé le droit de porter plainte contre la Fédération et contre l’Insep pour une mesure conservatoire qui n’avait pas lieu d’être, puisqu’il avait gagné en justice.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. J’entends, mais nous avons compris que l’Insep n’était pas forcément favorable à sa réintégration et que c’est avec l’appui de la Fédération d’escrime que le sportif a insisté pour être réintégré au sein de l’Insep.

M. Bruno Gares. Non, nous n’avons pas insisté. Le sportif a demandé à réintégrer l’Insep ; en contrepartie, il a accepté de retirer sa plainte contre l’Insep.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Il réintègre l’Insep en contrepartie du retrait de sa plainte.

M. Bruno Gares. Voilà.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est perturbant, mais pourquoi pas…

Compte tenu de la gravité de la question des violences sexuelles, des engagements particuliers étaient attendus sur ce sujet. La FFE devait procéder à la désignation d’un référent « violences sexuelles » chargé de mettre en place des actions de prévention. Cela a-t-il été fait ?

Vous avez cité Colosse aux pieds d’argile. Que contient la convention avec cette association ? Quel montant versez-vous à l’association dans le cadre de cette convention ?

M. Bruno Gares. Mme Jacqueline Felzines est la référente de la Fédération.

Nous avons signé une convention d’accompagnement avec Colosse aux pieds d’argile ; elle court jusqu’à la fin du mois de juin. Nous avons cependant souhaité y mettre fin pour plusieurs raisons. La Fédération payait 10 000 euros par an pour accompagner les régions qui mettaient ensuite en place une formation et payaient de leur côté 2 000 euros.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La Fédération avait donc une convention avec Colosse aux pieds d’argile pour 10 000 euros par an pour faire de la prévention. En sus, Colosse aux pieds d’argile facturait 2 000 euros – par club ?

M. Bruno Gares. Non, les régions payaient 2 000 euros.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette facturation de 2 000 euros aux régions revenait à appliquer ce qui était en place dans le cadre de la convention ?

M. Bruno Gares. C’est la sensation que j’ai eue, raison pour laquelle j’ai mis fin à la convention avec eux. J’ai choisi quelque chose de plus transversal, de plus global. Les violences sexuelles ne sont pas les seules violences à mon sens. Il me semble important de prendre en compte toutes les victimes, de harcèlement scolaire, de harcèlement quotidien, les victimes de la route que l’on a tendance à oublier. Des personnes peuvent également être victimes d’accidents de la vie. Nous avons donc choisi France Victimes, qui a un lien direct avec le judiciaire et qui est beaucoup plus transversale. Les sujets s’étendent en effet du viol jusqu’aux accidents de la vie de tous les jours, par exemple les accidents de la route. Colosse aux pieds d’argile peut continuer à travailler dans les régions, en fonction des formations dont nous avons besoin. Mais ce sont les régions qui payent, pas la Fédération.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Des doutes quant au management de Hugues Obry ont été émis ; il a été question de harcèlement moral. Cet entraîneur fait-il toujours partie de votre club ?

M. Bruno Gares. J’étais président de la Fédération et non d’un club. M. Obry est cadre d’État de la Fédération et cadre technique du ministère des sports. Il fait toujours partie de l’effectif et de l’entraînement. Certaines problématiques de management ont effectivement été observées à la sortie du championnat du monde de Milan. Lors de ces championnats, nous avons failli être battus dans le tableau de seize par l’Arabie Saoudite. Il y a eu le soir un recadrage sévère des sportifs ; cela s’est avéré efficace puisque le lendemain, nous avons battu deux nations importantes, dont la Corée. Nous avons toutefois perdu en finale. Certains mots ont effectivement été durs, certainement blessants. Nous avons travaillé avec lui et les sportifs afin d’éviter ce genre de débordements. Une nouvelle façon de travailler a par la suite été instaurée pour que nos athlètes soient mieux dans leur tête et que M. Obry soit vigilant sur les paroles qu’il prononce.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il fait donc toujours partie de l’effectif de l’équipe de France masculine.

M. Bruno Gares. Oui.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous vous exprimer sur le départ de M. Lionel Plumenail, entraîneur du fleuret féminin ?

M. Bruno Gares. Lionel Plumenail est arrivé à bout de sa mission, physiquement et mentalement. Il devait subir deux opérations, en septembre puis en janvier. Il n’est pas possible d’être entraîneur national à dix mois des Jeux avec des arrêts maladie répétés. Il a donc choisi de sortir du groupe, ce qui est bien dommage puisqu’il avait qualifié l’équipe pour les Jeux olympiques. Mais l’investissement physique et mental pour les Jeux était trop grand. Il a aussi fait un choix personnel quant à sa vie de famille.

Au reste, il avait certainement fait un mauvais choix en ce qui concerne son adjoint. Cela a dû le fatiguer aussi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qu’en est-il de M. Alain Coicaud, entraîneur de sabre masculin ?

M. Bruno Gares. Ce très bon entraîneur va mettre de la rigueur dans le groupe et instaurer de l’accompagnement dans le management. Nous avons été obligés d’opérer un changement en urgence quand nos équipes de sabre ont perdu trois tableaux de seize : il était nécessaire de réagir rapidement. Cette décision de changer d’entraîneur était bonne, puisque nous avons terminé cinquièmes lors de sa première coupe. Nous avons ensuite été champions d’Europe et sommes arrivés quatrièmes aux championnats du monde. Nous sommes ainsi en position qualifiable. Il est vrai qu’il demande beaucoup de travail et de rigueur. Aujourd’hui, certains sportifs n’ont pas la patience nécessaire.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Mme la présidente a cité l’article du Monde daté du 29 septembre dernier mentionnant que la direction des sports du ministère avait été alertée en début d’année de dysfonctionnements en lien avec le président de la Fédération française d’escrime. Une enquête a été entamée. Pouvez-vous revenir sur ce sujet ? L’article parle bien de dysfonctionnements en lien avec le président. Pouvez-vous expliquer précisément ce qu’il en est ?

M. Bruno Gares. Je n’arrive pas à savoir puisque je n’ai pas de retour. Je connais mon caractère, qui est dur ; je demande beaucoup de travail. Je ne suis certainement pas d’un caractère facile.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez eu aucun échange avec la direction des sports ?

M. Bruno Gares. Non. Je pense qu’il est question du changement de DTN. Je voulais vraiment que nous nous concentrions sur la formation et le développement. La DTN s’intéressait plutôt au haut niveau, et je n’étais pas tout à fait d’accord. Il y a des entraîneurs spécialistes du haut niveau ; quand vous êtes DTN, que vous êtes personnel de la Fédération, vous devez vous occuper de la totalité de la Fédération, de façon transversale, et pas uniquement du haut niveau.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je ne suis pas sûre de comprendre. Selon vous, c’est ce changement de DTN qui est à l’origine du lancement d’une mission de l’inspection générale.

M. Bruno Gares. Je pense que cela a dû jouer.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous ne savez pas ce qui vous est reproché ?

M. Bruno Gares. Non. L’enquête est toujours en cours.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avez-vous été entendu par l’inspection ?

M. Bruno Gares. Je l’ai été au départ, c’est normal, afin de présenter la Fédération, d’en préciser le fonctionnement. Cela se passe toujours de la même façon.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Au cours de cette audition, avez-vous été interrogé sur des sujets spécifiques ?

M. Bruno Gares. Non, nous avons parlé de façon générale : les actions que j’ai pu mettre en place en matière de développement, de formation, d’éthique et de déontologie, de haut niveau ; la façon dont j’ai pu aller chercher des sponsors…

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’accent n’a pas été sur un sujet en particulier ? De votre côté, rien ne vous a alerté ?

M. Bruno Gares. Je n’ai pas de retour spécifique.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pourquoi l’enquête serait-elle en lien avec le changement de DTN ? Le changement s’est-il mal déroulé ? Êtes-vous à l’initiative de la demande du changement de DTN ?

M. Bruno Gares. Je ne le suis pas spécifiquement. La demande de changement de DTN vient de mes équipes et de la direction générale des services qui avaient du mal à travailler avec cette personne. J’ai eu des relations très conflictuelles avec elle.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Pouvez-vous préciser la nature de ces difficultés ? C’est un peu vague. Des personnes vous ont confié que cela se passe mal. Qui suggère alors de changer de DTN ?

M. Bruno Gares. Plusieurs personnes, notamment le directeur de la performance et la directrice générale des services, m’ont remonté des dysfonctionnements sur des sujets particuliers. J’ai par conséquent demandé à réorienter sa fiche de mission vers le développement et la formation afin de laisser le haut niveau tranquille. Plus on touche le haut niveau, plus il est sensible. Cette personne n’a pas accepté cette nouvelle fiche de mission.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Madame Felzines, confirmez-vous ces propos ?

Mme Jacqueline Felzines. J’ai écouté les propos de M. Gares avec attention. Je suis très ennuyée parce que la commission d’éthique et de déontologie a vocation à protéger nos pratiquants et à prévenir les violences dans notre sport. Nous avons mis en place un plan de prévention qui comprend les signalements ainsi qu’une formation initiale et continue. En bout de chaîne, la commission de discipline met en avant l’idée de protéger en premier lieu le président et ensuite la Fédération.

J’entends ces dysfonctionnements, à la hauteur de ce que nous voyons, nous, sur le champ de la prévention. La commission d’éthique et de déontologie se désolidarise et rédige régulièrement un rapport d’activité qui met en avant un certain nombre de dysfonctionnements. Les différends existant au sein de la gouvernance se soldent par des départs. Je découvre les difficultés évoquées avec les entraîneurs nationaux. Nous n’avons pas toutes les informations. J’ai entendu les propos sur le harcèlement venant d’athlètes de haut niveau. Je suis pour le moins stupéfaite parce que nous mettons en place une cellule de déclaration de faits graves qui devrait permettre aux pratiquants, quel que soit leur profil, de dénoncer de tels faits. Nous avons à cœur de défendre nos pratiquants. Des décisions disciplinaires pour le moins sidérantes ont pu être prises, s’agissant par exemple de personnes condamnées inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijaisv). En outre, il y a des disparités : untel est suspendu pour dix ans alors que tel autre peut continuer à pratiquer son sport parce qu’il aurait le droit d’être réhabilité.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous préciser vos propos ? Nous avons véritablement besoin d’éléments précis.

Mme Jacqueline Felzines. Des agresseurs sont reconnus coupables. Ils sont inscrits au Fijaisv, donc reconnus comme délinquants sexuels. Les deux mis en cause que je citais sont un maître d’armes et un président de club. Le mis en cause maître d’armes a été suspendu pour dix ans. Le président de club, qui est de surcroît éducateur fédéral, a été reconnu coupable de détention d’images pédopornographiques. Pour des raisons qui nous échappent, la commission de discipline lui permet de garder une licence et de tirer, c’est-à-dire de s’entraîner, avec des escrimeurs qui ont plus de quinze ans. Nous nous interrogeons.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant d’affaires qui ont été traitées, nous vous demandons de citer les noms des personnes concernées. Ces personnes fichées au Fijaisv sont-elles toujours en poste ?

Mme Jacqueline Felzines. Non. Le maître d’armes a été suspendu pour dix ans. La deuxième personne a été condamnée en décembre 2022 et elle est passée en commission de discipline en janvier 2023. Il était présidente de club et il a été condamné et fiché au Fijaisv. Mais la commission de discipline l’a autorité à tirer, en qualité de simple tireur : il perd certes son poste de président ainsi que son titre d’éducateur, mais il peut continuer à évoluer au sein de la Fédération en qualité de simple tireur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui prend cette décision, au sein de la commission disciplinaire ?

Mme Jacqueline Felzines. Le président de la commission de discipline. Ils sont souverains dans leur décision.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Qui est le président de cette commission ?

Mme Jacqueline Felzines. Il s’agit de M. Erik Serri.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cette commission est composée de plusieurs personnes. Je comprends que seul le président rend une décision. Aucun vote n’est effectué ?

Mme Jacqueline Felzines. Si, il y a un vote. Sauf erreur de ma part, la commission comprend quatre personnes. M. Erik Serri est avocat, donc spécialiste du droit. D’une façon générale, les décisions qui sont prises opposent le droit à l’éthique. Nous posons souvent des questions sur ces mesures disciplinaires. Le délai de traitement est parfois dépassé : plutôt que d’être prise en dix semaines, une décision peut nécessiter un an et demi. Nous posons aussi des questions sur les disparités de traitement : une personne qui est condamnée n’est plus « présumée innocente », elle est identifiée et reconnue coupable. Pour quelles raisons y a-t-il des disparités dans les sanctions ?

Pourquoi y a-t-il des difficultés à caractériser des faits ? Lorsqu’une victime dénonce une agression sexuelle – et une main aux fesses est une agression sexuelle – il existe en effet des difficultés au sein de la commission à identifier et à caractériser le fait comme une agression sexuelle. Nous soulevons une multitude de questions dans notre rapport d’activité annuel. Nous n’avons pas encore obtenu de réponses, sinon sur le champ du droit. Dans le cas, par exemple, d’une personne qui a le droit de bénéficier d’une licence au sein de la Fédération alors qu’elle a été reconnue coupable et qu’elle est fichée au Fijaisv, on nous dit qu’il a droit à la réhabilitation. Il nous a également été indiqué dans un compte rendu d’audience que la personne n’était pas un prédateur sexuel.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. De quelle manière la commission d’éthique peut-elle agir sur ce point ? Vous évoquez votre rapport d’activité ; disposez-vous à ce jour d’autres leviers pour agir ? J’entends le cas que vous évoquez.

Mme Jacqueline Felzines. Cette personne a la possibilité de se licencier, mais n’a pas renouvelé sa licence cette année. Mais, au lendemain de sa condamnation, au mois de janvier 2022, elle figurait parmi les licenciés. Autrement dit, rien n’interdit à cette personne d’aller dans n’importe quel club et d’obtenir une licence en qualité de simple tireur.

S’agissant des leviers, il est vrai que nous sommes souvent très désemparés. Nous sollicitons énormément Laurent Bonvallet ainsi que Signal-sports. Lors de mon introduction, j’ai insisté sur le fait que ces personnes absolument remarquables nous aident dans les assauts que nous menons. Comment protéger nos pratiquants quand nous sommes face à des directives qui s’en tiennent au champ du droit, sujet dont nous ne sommes pas légitimes pour débattre avec les membres de la commission disciplinaire ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je voudrais une précision sur la caractérisation des faits. Nous avons eu le même débat sur la question de l’homophobie. Vous nous avez donné l’exemple de la main aux fesses qui est une agression sexuelle. Je comprends qu’il y a encore des débats au sein de cette commission disciplinaire sur la caractérisation des agressions sexuelles.

Mme Jacqueline Felzines. Cette commission de discipline essaye de mener une enquête pour savoir si les faits sont avérés, alors qu’elle devrait statuer sur un fait déclaré. Ils recueillent des témoignages qui permettront à la commission de discipline de statuer. Elle conclut qu’il n’y a pas eu de main aux fesses, mais décide d’infliger un blâme. Pourquoi infliger un blâme si on ne reconnaît pas cette agression ?

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le dossier de cette agression sexuelle a-t-il été transmis à la cellule Signal-sports ou s’arrête-t-il au blâme ?

Mme Jacqueline Felzines. Nous établissons de façon systématique une interaction forte avec Signal-sports. Nous transmettons systématiquement les décisions disciplinaires. Signal-sports nous aide souvent à lire les déclarations faites, à caractériser le fait. Mais, en bout de chaîne, il y a une réticence à sanctionner, car on risque alors d’être attaqué par le mis en cause qui, de surcroît, a un avocat – les victimes, elles, n’en ont pas. Je tiens à souligner que depuis cette année, fort heureusement, tous les licenciés bénéficient d’une extension d’assurance, avec un accès à des juristes et à une aide psychologique pour les victimes. Les victimes bénéficient ainsi des mêmes éléments de droit que le mis en cause.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. C’est pour cela que je disais que l’étape numéro un est toujours d’écouter et de croire la victime. Vous avez raison : il ne s’agit pas d’enquêter ni de savoir s’il y a un coupable ou non, mais bien de croire la victime et d’instruire le dossier. Si le risque d’être attaqué par la suite stoppe l’instruction, alors plus rien ne sera traité.

Pensez-vous qu’en mettant du temps à caractériser les agressions, on limite la libération de la parole ? Les victimes font-elles alors moins confiance à la Fédération et préfèrent-elles se tourner vers l’extérieur ? Par l’intermédiaire de la plateforme Balance ton sport lancée dans le cadre de cette commission d’enquête, nous avons reçu des témoignages concernant l’escrime.

Mme Jacqueline Felzines. Tout à fait. Nous sommes passés de dix-huit déclarations de faits graves, c’est-à-dire une déclaration de faits graves tous les dix-sept jours l’an dernier, à huit déclarations l’année suivante. Cette réduction doit faire l’objet d’une analyse en profondeur. Nous formons l’hypothèse que les décisions disciplinaires contribuent à réduire la prise de parole, la dénonciation de faits.

La commission d’éthique et de déontologie n’a peut-être pas été assez active en matière de communication, puisqu’en occupant le terrain d’une compétition, nous avons récolté trois déclarations de faits graves en deux jours. Enfin, les victimes commencent de plus en plus à nous solliciter, à nous contacter, à nous poser des questions : pourquoi faut-il autant de temps pour prendre une décision ? Pourquoi, quand nous repensons notre règlement disciplinaire, ne précisons-nous pas que les victimes ne peuvent consulter le dossier du mis en cause, comme il peut le faire lui-même ?

Des réflexions doivent être menées sur notre règlement disciplinaire qui, aujourd’hui, ne parle d’ailleurs pas de victime, mais de plaignant : c’est dire l’écart entre le droit et l’éthique. Une telle réflexion nous bouscule puisque plus de deux ans ont été nécessaires pour essayer d’obtenir l’adhésion des membres de la commission de discipline à l’idée de réfléchir à la révision de notre règlement disciplinaire. Nous avons également fait face à une bagarre rhétorique pour introduire des barèmes de sanctions par exemple. Leur souhait est plutôt de personnaliser la sanction, alors que nous demandons que tous les mois, toutes les personnes inscrites au Fijaisv soient identifiées, avec une mesure de suspension.

Nous entendons le droit ; les personnes ont certes le droit à la réhabilitation, mais peut-être pas le lendemain de la condamnation ! Nous sommes parfois seuls à mener ces réflexions, malheureusement. Nous avons sollicité Mme Bourdais sur ces questions : le règlement disciplinaire doit-il être strictement standardisé ? Ne doit-il pas répondre également à l’expression d’un besoin qui nous est propre ? Certes, la prévention des violences et la caractérisation des faits de violence existent. Pour autant, nous connaissons parfaitement nos mis en cause qui sont à 90 % des éducateurs sportifs. Nous devons pouvoir inscrire dans ce règlement disciplinaire la possibilité de suspendre de façon systématique toutes les personnes qui manquent à l’honorabilité. Or le fait de le mentionner apparaît comme un élément discriminant. Cette réflexion nous est propre et nous bouscule en profondeur.

Je suis moi aussi bénévole, comme les membres de la commission d’éthique et de déontologie. Nous sommes avant tout des citoyens. Dans la sphère de la Fédération française d’escrime, nous espérons introduire le bien vivre ensemble, avec ces réflexions qui nous viennent de l’extérieur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Quelle a été la réponse de Mme Bourdais lorsque vous l’avez sollicitée ? Vous avez par ailleurs évoqué la question du manque à l’honorabilité. Que se passe-t-il aujourd’hui lorsque cela arrive ?

Mme Jacqueline Felzines. Mme Bourdais nous accompagne. Précisons que le règlement disciplinaire est régi par le code du sport et les règles du Comité national olympique et sportif français. Il y a donc une standardisation. Je signale que le handball a rédigé un règlement disciplinaire très ambitieux. Toutefois, tant que nous ne serons pas d’accord au sein de la Fédération, notamment tant que la commission de discipline et la commission d’éthique ne s’accorderont pas, nous ne pourrons pas réviser notre règlement dans l’harmonie et nous continuerons de dépendre d’un règlement disciplinaire standardisé. Et quand bien même nous réussirions à définir un règlement disciplinaire ambitieux, encore faut-il vouloir le faire appliquer.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Monsieur Gares, étiez-vous informé de ce que dit Mme Felzines ?

M. Bruno Gares. Oui, puisque nous avons travaillé avec les services de l’État, avec la commission de discipline et avec la commission d’éthique et de déontologie pour trouver une solution pour écrire tous ensemble un règlement de discipline qui améliore la vie de tous nos escrimeurs. Nous nous sommes effectivement heurtés à des barrages légaux : c’est la loi qui interdit certaines choses. Des avocats siègent dans les commissions de discipline et connaissent le code du sport. Ainsi, je soutenais pour ma part la commission d’éthique et de déontologie concernant l’impossibilité pour un individu inscrit au Fijaisv de prendre une licence de la Fédération française d’escrime. Or, la loi nous interdit de prendre cette mesure : cette personne a le droit de faire du sport. Nous sommes donc bloqués par des textes de loi qui nous empêchent d’aller plus loin.

Les règlements intérieurs des clubs, les règlements de discipline ou les statuts des fédérations sont clairs. Pour les réformer, un travail mené par les commissions passe en bureau, puis en comité directeur. On attend ensuite l’assemblée générale annuelle l’année suivante pour l’adopter. Ce n’est donc pas si aisé ; je sais que la commission d’éthique et de déontologie y travaille.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Madame Felzines, vous n’avez pas répondu à la question portant sur l’honorabilité.

Mme Jacqueline Felzines. Je suis référente honorabilité avec Laurence Rakoute. Nous procédons au contrôle des bénévoles, arbitres et présidents de club. Un peu de temps a été nécessaire pour nous mettre en ordre de marche, la logistique étant compliquée. Mais c’est fait, et nous procédons maintenant au téléversement des fichiers : sur les 4 900 personnes soumises au contrôle d’honorabilité, nous avons téléversé l’équivalent de 3 000 fichiers au mois d’octobre. Notez que 500 fichiers nous sont retournés avec la mention AIA (aucune identité applicable) : l’identité de la personne n’est pas juste, un trait d’union ou un tréma manquent certainement.

Nous menons d’autre part une importante campagne auprès des clubs concernant la saisie, car de la qualité de la saisie dépendra la qualité du contrôle. C’est un sujet majeur.

Nous espérons avoir contrôlé l’intégralité des personnes concernées d’ici au mois de février. Je précise que Laurence Rakoute et moi-même bénéficions de l’aide précieuse des agents techniques informatiques au sein de la Fédération, Jérémy Cadot et Olivier Hanicotte. Sans leur concours, nous aurions été très en peine de fournir des fichiers qui garantissent la protection des pratiquants.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous d’autres éléments à ajouter, Madame Felzines ?

Mme Jacqueline Felzines. Non. J’avais préparé mon propos mais il a malheureusement été un peu brouillon sous l’effet de l’émotion, car c’est un sujet sensible.

Vous nous donnez la chance de nous exprimer. Vous souleviez la question des leviers, madame la rapporteure. Cette commission d’enquête contribue à mon sens à lever les freins pour que nous fassions en sorte, ensemble, que la violence disparaisse. Nous parlons ici de prévention, mais aussi de lutte. C’est très ambitieux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. N’hésitez pas à revenir vers nous si vous avez des informations complémentaires : sous le coup de l’émotion, il est possible d’oublier certains points. Vous pourrez bien évidemment nous transmettre tous les documents évoqués précédemment.

Monsieur Gares, souhaitez-vous ajouter d’autres points ?

M. Bruno Gares. Je tiens à féliciter les différents services : il a fallu modifier la totalité de l’informatique de la Fédération pour téléverser ces fichiers relatifs à l’honorabilité. Cela a demandé énormément d’investissement de la part de tous les bénévoles des clubs : les saisies sont bien plus longues et plus administratives. Lorsque nous avons mis ce dispositif en place, les critiques ont été dures ; on nous a demandé pourquoi il fallait contrôler des bénévoles. Les réseaux sociaux ne nous ont pas ratés ! Nous avons ainsi continué à avancer pour que la Fédération puisse avoir un téléchargement.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Merci. Nous aurons besoin de documents à propos de tout ce que nous avons évoqué : la commission de discipline, le travail que vous menez pour faire évoluer les choses, les liens avec le ministère des sports.

La commission auditionne Mme Aurélie Pankowiak, chercheuse post-doctorante au sein de l’Institut pour le sport et la santé à l’université de Victoria, Australie (en visioconférence).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons à présent Mme Aurélie Pankowiak, chercheuse à l’Institut pour la santé et le sport à l’université de Victoria en Australie. Madame, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions depuis l’Australie.

Nous avons entamé le 20 juillet dernier les travaux de cette commission d’enquête sur les défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du monde sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des fédérations sportives et des organismes de gouvernance du monde sportif.

Vous avez souhaité livrer votre témoignage à cette commission et nous vous en remercions. Nous avons pu prendre connaissance des éléments que vous nous avez adressés par écrit. Pour certains de mes collègues et pour ceux qui nous écoutent, accepteriez-vous de partager avec nous ce qu’il vous est arrivé et la raison pour laquelle vous témoignez devant nous aujourd’hui ?

Vous êtes chercheuse et vos travaux portent sur les violences commises dans le milieu du sport, notamment celles exercées contre les enfants ou à un niveau local. Pourriez-vous partager avec nous votre appréciation du cadre existant et nous dire dans quelle mesure il permet ou non de prévenir, détecter, signaler et sanctionner les violences sexistes et sexuelles dans le sport ?

Votre implantation à l’étranger vous offrant peut-être des éléments de comparaison, auriez-vous connaissance de bonnes pratiques qui pourraient inspirer les travaux de notre commission ?

Je rappelle que cette audience est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Aurélie Pankowiak prête serment.)

Mme Aurélie Pankowiak, chercheuse postdoctorante au sein de l’Institut pour le sport et la santé à l’université de Victoria, Australie. Je tiens tout d’abord à prévenir l’audience et le public que je vais évoquer des faits de violences sexuelles et des événements traumatisants. Je m’exprime aujourd’hui en tant que victime de violences sexuelles commises au sein d’un petit club de basket-ball dans lequel je jouais au plus bas niveau. J’estime qu’il est important de le souligner, car la parole ne nous est pas souvent donnée. Or les athlètes de haut niveau ne sont pas les seules victimes de ces violences.

Je m’exprime également en tant que professionnelle et je souhaite vous présenter mon expertise concernant le dysfonctionnement des procédures disciplinaires et le manque de soutien aux victimes tout au long de leur déroulement, sans prise en compte du traumatisme.

Les faits remontent aux années 2005-2008, pendant mes trois années passées en catégorie cadette. Durant cette période, de mes seize ans à mes dix-neuf ans, j’ai été violée de manière persistante par un entraîneur de basket qui était alors mon coach. Il avait lui-même entre vingt-neuf ans et trente-deux ans, soit deux fois mon âge. J’ai porté plainte contre lui le 12 septembre 2008, j’avais dix-neuf ans. La procédure judiciaire a été très éprouvante. J’ai souffert d’amnésies traumatiques concernant certaines épreuves, notamment lors de ma confrontation au commissariat de police avec mon agresseur.

Ce dernier a été condamné le 28 mai 2010 pour atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans, abusant de l’autorité de ses fonctions. La qualification d’une condamnation pour viol était conditionnée à la preuve d’une contrainte ou d’une force exercée à mon égard. Aussi, je tiens à souligner qu’il est extrêmement difficile pour une adolescente de dix-neuf ans, manipulée et traumatisée par un homme de deux fois son âge, d’apporter cette preuve. La loi française n’en tient absolument pas compte. J’ai été contrainte du fait de sa position et de son âge. En tant qu’enfant, nous ne devrions pas à avoir à apporter la preuve de la contrainte ou de la force. La loi actuelle est à mon sens inadaptée d’un point de vue scientifique, mais aussi en tenant compte des droits de l’enfant.

En raison du niveau de sa condamnation, l’entraîneur n’a pas été enregistré sur la liste des agresseurs sexuels, de même que le tribunal ne lui a pas interdit de poursuivre son métier. Aussi, il continue d’entraîner à l’heure actuelle.

Lors de sa condamnation, mes parents avaient prévenu différents membres du club. Les réactions de ces membres variaient entre incompréhension ou négation de l’information. Cet entraîneur avait su créer un fort soutien autour de lui. Les membres du bureau du club n’avaient à notre connaissance réalisé aucun signalement auprès de la Fédération française de basket-ball (FFBB).

D’après mes informations, il est entraîneur dans le même club depuis sa condamnation. Il s’agit du club dans lequel il a grandi et au sein duquel il est protégé grâce au président actuel, membre du club depuis des dizaines d’années. Il existe donc un environnement de protection fort à son égard.

Lorsque le tribunal a rendu sa décision, en 2010, je terminais ma licence. J’ai quitté la France à vingt et un ans et je ne suis jamais revenue. En 2017, j’ai participé à un entretien de recherche sur les violences sexuelles dans le sport. J’ai parlé de mon histoire pour la première fois et libérer ma parole au bout de dix ans a déclenché une importante crise de stress post-traumatique. J’ai alors arrêté ma thèse et mon travail pendant un an. J’ai commencé une thérapie au cours de laquelle j’ai commencé à comprendre ce qu’il m’était réellement arrivé. Surtout, j’ai cherché à comprendre comment un entraîneur de basket condamné pour violences sexuelles sur mineur avait pu continuer à entraîner.

Le 4 mars 2020, j’ai reçu l’appel téléphonique d’une vice-présidente de la FFBB. Elle m’avait contactée à la suite de mes témoignages dans les médias. À sa demande, je lui ai envoyé une copie du jugement du tribunal. Elle m’a assuré par écrit qu’un dossier disciplinaire serait ouvert. Le 6 juillet 2020, n’ayant aucune nouvelle de cette femme et voyant sur le site internet du club de basket que mon agresseur allait devenir entraîneur de l’équipe première pour la saison 2020-2021, je l’ai relancée. On m’a répondu que le dossier avait été transmis à la direction régionale pour enquête, que la crise sanitaire en avait ralenti la procédure, mais qu’elle se poursuivait et que je devais recevoir un retour rapidement.

Presque deux ans s’écoulent ensuite sans nouvelle. Mon état ne me permettait pas alors de relancer la procédure qui s’éternisait d’une manière incompréhensible face à des faits de violences sexuelles sur mineur. Je finis par écrire à nouveau à la vice-présidente le 4 février 2022 et la relance le 2 mars. Elle me répond alors que le jugement devait être renvoyé avec la totalité de ses pages. Cela a été difficile de recevoir un retour d’une telle nature après deux ans d’étude de mon dossier. Il m’a semblé également incompréhensible que celui-ci n’ait pas été instruit par une commission disciplinaire et que toutes les pièces nécessaires à son instruction n’aient pas été demandées plus tôt, vu la gravité avérée des faits.

Le 14 avril 2022, mon avocate m’informe qu’une enquête disciplinaire a été ouverte contre l’entraîneur. Nous recevons une lettre officielle de la Fédération nous invitant à leur adresser nos observations avant l’examen du dossier en commission disciplinaire programmée le 19 avril 2022. Mon avocate leur signale qu’il est important que je sois entendue par les membres de la commission. J’ai eu alors le 15 avril une conversation téléphonique avec une personne de la commission fédérale chargée de réceptionner mon message. Je ne reçois à ce moment-là aucun détail ni sur la composition de la commission ni sur la manière dont mon témoignage serait diffusé. Je choisis de le leur transmettre par écrit. Je ne sais toujours pas aujourd’hui comment ces éléments ont été utilisés. Entre la fin du mois d’avril et la fin du mois de mai, mon avocate et moi-même avons essayé d’obtenir des informations sur la suite de la procédure, en vain. Nous ne recevons aucune réponse à nos mails.

Du point de vue de la victime, ce manque de communication est très difficile à vivre. J’étais alors dans un état de détresse psychologique dont je fais part à mon avocate. Nous essayons toutes deux de joindre les services juridiques de la FFBB par mail et par téléphone, mais personne ne nous répond.

J’envoie un message le 31 mai 2022 au président de la Fédération pour porter à sa connaissance l’impact du silence de l’institution sur mon état mental. Je n’ai jamais reçu de réponse de sa part, mais je reçois le même jour un retour du service juridique.

Comment est-il possible qu’une victime soit obligée d’écrire au président d’une fédération sur les réseaux sociaux pour pouvoir entrer en contact avec ses services alors qu’il est question d’une procédure disciplinaire dont l’institution est à l’origine ?

Dans la réponse du service juridique de la FFBB, une mention brève évoque une interdiction d’exercer de l’entraîneur dont il fait appel. Ce mail est l’unique communication que nous recevons de la Fédération depuis la commission disciplinaire du 19 avril 2022. Sa nature floue nous pousse à demander des clarifications. Malgré plusieurs relances, personne n’y répond.

Je comprends qu’il puisse exister des raisons liées au manque de temps ou à la pression travail face à une requête individuelle. Mais lorsque la victime explique clairement l’impact de la procédure sur son état, elle attend un peu de bienveillance et de respect.

Entre-temps, j’aperçois le visage de mon agresseur sur une photographie publiée sur le site internet et les réseaux sociaux du club, le montrant parmi l’équipe encadrante. Je demande par mail comment un entraîneur qui a été interdit d’exercer par une commission disciplinaire quelques mois auparavant peut apparaître sur cette publication. Je ne reçois là encore aucune réponse. Nous n’avons aucune visibilité sur la décision rendue par la commission.

Je reçois finalement une information concernant la date de la procédure d’appel, le 22 juin 2022, à laquelle je n’ai pas le droit d’être entendue. Le 12 juillet, nous recevons une lettre officielle de la FFBB nous indiquant que la séance d’appel avait eu lieu, mais qu’il avait été décidé de rouvrir les débats. À cette occasion, je suis convoquée avec l’agresseur à une audition, marquant une troisième étape dans la procédure. Les fondements de la convocation étaient assez peu clairs, mais cette dernière mentionnait l’existence d’éléments contradictoires entre mon récit et l’un des témoignages que j’avais partagés dans la presse.

J’insiste sur le fait que ces débats intervenaient alors qu’il s’agissait de violences sexuelles avérées et sanctionnées par un tribunal. Cette remise en cause de ma parole m’a profondément choquée et plongée dans un réel état de détresse. Je ne comprenais pas le besoin de débattre sur les violences que j’avais vécues. Je précise également que le service de la FFBB était en possession à ce moment-là de tous les documents issus des conclusions du tribunal.

Mon avocate et moi-même échangeons par écrit avec la chambre d’appel auprès de laquelle nous demandons des détails précis sur le déroulé de l’audience. Nous demandons de programmer mon audition en amont et de ne pas me mettre dans le même espace ou de me confronter directement à mon agresseur. Cela était extrêmement important pour moi et nous avons reçu un accord par écrit validant cette organisation.

L’audience est programmée le 9 septembre 2022 par visioconférence en raison de la distance géographique qui nous éloigne, mon avocate et moi, de Paris. À son démarrage, deux hommes se présentent. Ils sont placés devant un panel composé de plusieurs membres qui ne me sont pour leur part à aucun moment présentés. Il me semble important sur le plan humain de permettre à la victime qui s’apprête à livrer un récit grave et intime de savoir à qui elle s’adresse.

Connaissant pourtant le détail des violences, aucune personne n’exprime un mot reconnaissant la gravité des faits explicités ou l’impact de la procédure sur ma santé. Je ne suis à aucun moment mise en confiance.

La première question qui m’est alors posée par l’un des hommes coordonnant l’audition est celle de savoir si j’accepterais de répondre au souhait de l’entraîneur et de son conseil de programmer une confrontation. J’en ai été d’autant plus étonnée que j’avais exprimé préalablement très clairement mon besoin d’être entendue sans être confrontée à mon agresseur pour des raisons impérieuses tenant compte de ma santé psychologique. J’ai ressenti cette question comme une violence extrême qui a provoqué une importante angoisse. J’ai pleuré durant les trente minutes de l’audition et me rappelle très peu du contenu de nos échanges, du fait de mon état traumatique. Parmi les éléments dont je me souviens, je me rappelle que mon avocate a demandé quelles étaient les raisons de notre convocation. Je me souviens également vaguement qu’il m’a été demandé si je souhaitais compléter mon témoignage sur les faits exprimés dans les articles de presse. Mon avocate leur a répondu qu’il s’agissait des mêmes éléments que ceux contenus dans la condamnation qui leur avait été adressée. Ils m’ont demandé ensuite si je souhaitais m’exprimer, ce à quoi j’ai répondu en pleurs que je n’étais malheureusement pas en état de le faire. Ma parole avait été brûlée à nouveau.

Les mois de septembre et d’octobre s’écoulent. Je reçois le 24 octobre 2022 une lettre de mon avocate m’informant que la chambre d’appel avait rendu sa décision, mais que l’entraîneur avait demandé qu’elle ne soit pas communiquée au titre du respect de sa vie privée.

Je trouve inimaginable que la victime d’une agression sexuelle commise durant son adolescence par un entraîneur au sein de la pratique d’un sport réglementé par une fédération ne puisse pas être informée par celle-ci si son agresseur continuera d’entraîner ou non d’autres adolescentes.

J’étais en grande souffrance au lendemain de cette annonce. J’écrivais aussitôt quelques lignes dont je vous soumets un extrait : « Hier quand j’ai reçu la nouvelle, j’étais sous le choc, en colère. Je riais nerveusement et je n’avais pas d’appétit. La nuit, j’ai fait des cauchemars, des insomnies. Je me suis réveillée ce matin le cœur brisé, humilié. En pleurs, j’ai commencé à écrire ce récit. Je suis triste, épuisée, il ne me reste que ma parole et mon combat pour les autres victimes et c’est pour cela que je la partage aujourd’hui. »

Cette réunion auprès de la chambre d’appel est le dernier contact que j’ai eu avec le FFBB. Cette dernière étape a été la plus traumatisante de toutes. Cela est triste et désolant pour une victime, car cette étape aurait pu faire partie de ma reconstruction si elle avait été menée correctement. Elle a été au contraire d’une violence inouïe et m’a enfermée dans un silence insupportable. Ma parole a été de nouveau volée.

Je n’ai jamais connu la décision qui a été rendue par la FFBB concernant l’interdiction. J’ai appris par quelqu’un que mon agresseur avait été de retour dans son club.

J’ai en parallèle effectué un signalement auprès du ministère des sports. Je n’entrerai pas dans le détail de cette procédure qui dure depuis plus d’un an. Toutefois, les deux procédures se rejoignent dans le manque de communication entre les instances centrales et décentralisées et dans la dureté des interactions que je qualifierais encore de traumatisantes. De manière générale, elle n’a pas pris en compte l’état de la victime et son traumatisme.

Je me sens épuisée, mais je n’abandonnerai pas, car je souhaite protéger les autres. Je souhaite dénoncer un système qui protège les agresseurs et les rend encore plus puissants. J’ai été traumatisée une fois par l’entraîneur de basket qui a abusé de moi et une seconde fois par une fédération sportive qui ne prend pas en compte les expériences et le traumatisme des victimes.

Certes le sport peut être un outil de développement personnel et promouvoir le bien-être. Cependant ceci n’est le cas que s’il offre un milieu sécurisant et bienveillant, aussi bien dans les clubs qu’à l’intérieur des procédures fédérales. Comment un jeune pratiquant ou une jeune athlète peuvent-ils être écoutés et entendus quand la famille et le système sportifs protègent les agresseurs ?

Je viens de vous partager mon récit, mais il y a des recommandations que je souhaiterais vous soumettre concernant la prévention et le soutien aux victimes.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de votre récit fort et poignant. N’avez-vous reçu depuis lors aucun contact avec la FFBB, ni vous ni aucune personne de votre entourage ?

Mme Aurélie Pankowiak. Non, je n’ai reçu aucun contact de la FFBB. Je suis en contact avec une ancienne coéquipière, une amie qui vit aujourd’hui dans le sud de la France.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous connaissance d’une évolution concernant l’accompagnement des victimes au sein de la FFBB ?

Mme Aurélie Pankowiak. Pas à ma connaissance.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Votre témoignage est important pour faire émerger des recommandations et poursuivre le travail afin de faire en sorte que ce qui vous est arrivé n’arrive pas à d’autres victimes et plus largement, qu’il n’y ait plus de victime.

Votre premier signalement avait-il été fait auprès de votre club ou auprès de la Fédération ? Comment le processus se met-il en place au sein de la Fédération au moment des faits ? Comment expliqueriez-vous la posture de la Fédération alors que vous vous tournez vers elle à maintes reprises ? Savez-vous par ailleurs auprès de quel public exactement votre agresseur continue d’entraîner ?

Mme Aurélie Pankowiak. J’ai porté plainte en 2008 directement auprès de la police. Ce sont mes parents qui ont assuré la communication avec le club. Les membres du bureau du club à l’époque avaient connaissance de la condamnation de l’entraîneur, mais n’en avaient a priori pas transmis l’information à la Fédération. J’ai quitté la France dès la fin du procès. Mes parents étaient focalisés sur mon bien-être et n’ont pas fait à l’époque remonter le dossier auprès de la Fédération. Cela n’explique pourtant pas qu’il ait continué d’entraîner parce qu’il avait désormais un casier judiciaire.

En 2020, après avoir réfléchi à ce que j’avais vécu et découvert qu’il continuait d’entraîner au sein du club, je suis entrée en contact avec des associations, notamment avec le Comité éthique et sport. Je n’avais pas confiance en la Fédération pour traiter la situation, j’avais plus largement perdu confiance dans le milieu du sport et doutais que ma parole puisse être entendue et crue. Mon moyen d’expression était de partager mon témoignage sur les réseaux sociaux. C’est à la suite de ces publications que j’ai été contactée par une vice-présidente de la FFBB. Elle souhaitait avoir une discussion avec moi, m’affirmant que le sujet serait pris en compte. Son approche était rassurante.

Si mon agresseur entraîne toujours, c’est avant tout parce qu’il avait été condamné pour atteinte sexuelle, entraînant l’enregistrement de sa condamnation sur le bulletin n° 2 de son casier judiciaire. Cela implique une période de réhabilitation de dix ans, conditionnée à l’absence d’autres condamnations pour des faits graves durant cette période. Lorsque la procédure disciplinaire a été lancée, le délai des dix ans était dépassé. Le jugement avait été rendu le 28 mai 2010, entraînant le retrait de la condamnation de son casier le 28 mai 2020. Cela est assez ironique, car si la Fédération avait agi dans un délai de deux mois à la suite de notre appel en mars 2020, mon agresseur aurait été interdit d’entraîner. Son casier étant devenu vierge par la suite, la loi l’autorisait à exercer de nouveau son activité.

Cependant, il est incompréhensible qu’il n’existe pas de politiques sportives au sein de la Fédération qui interdisent d’exercer durablement à une personne ayant été condamnée pour des actes de violences sexuelles sur mineur.

Une autre explication relève des liens particuliers existant entre mon agresseur et le club au sein duquel il a grandi. Il est très proche du président qui le défend.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quel club s’agit-il ?

Mme Aurélie Pankowiak. Je préfère vous le transmettre en privé. Je crains malheureusement les représailles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pendant cette période de vos seize ans à vos dix-huit ans, y avait-il des personnes qui savaient ou pouvaient suspecter quelque chose et qui n’auraient rien dit dans le but de protéger l’entraîneur, le club, la Fédération, ou dans celui de se protéger ?

Mme Aurélie Pankowiak. Je pense que beaucoup de personnes se doutaient qu’il se passait quelque chose dans les bornes d’une relation amoureuse entre un homme plus âgé et une adolescente. C’est tout à ma connaissance. Les faits s’étaient déroulés dans différents lieux du club, le gymnase, la loge du gardien, les douches, etc., alors je pense que les gens se doutaient tout de même qu’il se passait quelque chose.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Avait-il eu à votre connaissance des comportements de ce type avec d’autres joueuses à l’époque, avec qui vous auriez pu vous entretenir ?

Mme Aurélie Pankowiak. Lorsque j’ai commencé à comprendre ce qu’il m’arrivait, j’ai eu une conversation avec l’une des joueuses de mon équipe avec qui il avait des relations sexuelles. Elle était dans mon souvenir tout juste majeure. Il avait donc une compagne et me violait en même temps qu’il entretenait une relation avec cette autre joueuse de mon équipe. Il y a eu également une autre histoire avec ma meilleure amie qu’il a essayé de contraindre à l’embrasser chez lui à l’occasion d’un repas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Ces faits avaient-ils été signalés à la Fédération ?

Mme Aurélie Pankowiak. Ces faits étaient retranscrits dans les documents de la condamnation, car ma meilleure amie de l’époque et la joueuse de mon équipe avaient apporté leur témoignage. Le témoignage de l’autre joueuse est également remonté à la Fédération.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Ces deux femmes n’ont pas porté plainte ?

Mme Aurélie Pankowiak. Non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous pu échanger avec elles à ce sujet ? Ont-elles témoigné lors de votre procès ?

Mme Aurélie Pankowiak. Mon amie a témoigné par écrit. Pour l’autre joueuse, ce sont nos échanges par mails qui ont été insérés au dossier. De son point de vue, à l’époque, il s’agissait d’une relation consentie. Je n’ai pas pris contact avec elle depuis. Notre dernier contact remonte à 2009-2010.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons eu l’occasion d’entendre en audition Sarah Abitbol. L’une de ses recommandations consiste à reconnaître l’amnésie traumatique. Est-ce une chose qui vous semble pertinente ? Elle propose également de mettre en place l’imprescriptibilité des viols sur mineur. Quel est votre avis sur ce point ? Quel regard portez-vous sur le sport et sur ces dysfonctionnements ?

Mme Aurélie Pankowiak. Je soutiens absolument cette proposition de la reconnaissance de l’amnésie. J’ai eu la chance si l’on peut dire d’avoir écrit assez rapidement les agissements dont j’ai été victime après leur commission, pour les besoins du procès. Lorsque j’ai relu dix ans plus tard les documents relatifs à l’enquête policière, à la confrontation avec mon agresseur, je n’avais plus ces souvenirs en tête. Les experts de la mémoire traumatique pourront en parler mieux que moi.

En plus de ces propositions, il faudrait à mon sens que toute investigation disciplinaire au sein des fédérations soit conduite par des gens formés et instruits sur le fonctionnement du traumatisme. Il me semble nécessaire que soit mis en place un environnement de confiance et de bienveillance à l’égard de la victime, tout au long de la procédure, car j’ai été une nouvelle fois traumatisée par ces procédures.

Il serait pertinent également de mettre en place une procédure d’accompagnement, n’obligeant pas les victimes à rapporter les agissements à plusieurs reprises, les confrontant chaque fois à leur traumatisme. Les victimes doivent être soutenues sur ce plan-là.

Le site de la FFBB communique sur la présence de l’association Colosse aux pieds d’argile pour les personnes qui nécessitent un soutien. La page y est toutefois extrêmement difficile à trouver et figure tout en bas. La Fédération n’a proposé à aucun moment de me mettre en relation avec eux. J’avais des ressources personnelles et intellectuelles pour mettre en place mon soutien, mais ce n’est pas toujours le cas chez les victimes. Ce soutien doit vraiment être institutionnalisé dès que les procédures disciplinaires sont mises en place, notamment dans les cas où la situation comporte un fort risque traumatique.

Enfin, la mise en place de cette procédure doit être rapide. Lorsque j’ai lancé la procédure disciplinaire en mars 2010, la condamnation de mon agresseur figurait toujours dans son casier judiciaire. Si l’administration de la Fédération avait agi dans le délai habituel de deux mois, mon agresseur aurait reçu une interdiction d’exercer auprès des mineurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La condamnation qui a été décidée contre votre agresseur était de six mois avec sursis. À votre connaissance, avait-il été suspendu à titre conservatoire au moment de l’enquête ou continuait-il d’exercer auprès des jeunes de la Fédération ? Pendant les dix ans qui suivent sa condamnation, a-t-il continué à entraîner ?

Mme Aurélie Pankowiak. Je ne sais pas s’il avait continué à entraîner lors de l’enquête policière. En revanche, le président du club d’alors lui avait demandé de quitter l’équipe. J’ignore s’il était allé exercer ailleurs. Il a ensuite repris son activité dans mon ancien club où il travaille a priori toujours.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous n’avez jamais été informée de sanctions éventuelles prises contre lui pendant la période de l’enquête ? Des contacts existaient-ils entre vous et le club à ce moment-là ?

Mme Aurélie Pankowiak. Peut-être que mes parents en avaient, mais j’ignore s’ils se souviendraient des échanges qu’ils avaient pu avoir.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous vous remercions sincèrement pour votre présence aujourd’hui et pour les recommandations que vous nous avez soumises.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je m’associe fortement à ces remerciements. Vous faites partie des personnes qui nous ont contactés dès qu’elles ont eu connaissance de la création de cette commission d’enquête. Votre témoignage est extrêmement important. Cela nourrit notre réflexion pour améliorer la manière dont les fédérations doivent prendre en compte la parole des victimes et l’accueillir. La parole doit continuer à se libérer de manière à lever l’omerta qui existe dans le milieu sportif. Nous avons cru comprendre que vous attendiez un retour du ministère des sports, n’hésitez donc pas à revenir vers nous si vous avez de nouveaux éléments. Nous les intégrerons à la réflexion de notre rapport.

La séance s’achève à treize heures vingt.


Membres présents ou excusés

 

Présents.  Mme Béatrice Bellamy, Mme Claudia Rouaux, Mme Sabrina Sebaihi, M. Frédéric Zgainski