Compte rendu

Commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bakary Meïté, ancien joueur de rugby 2

– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Perreau-Bezouille, président de la Fédération française des clubs omnisports (FFCO), et de M. Denis Lafoux, directeur               10

– Audition, ouverte à la presse, de M. Julien Issoulié, directeur technique national de la Fédération française de natation (FFN) 22

– Présences en réunion................................32


Mardi
31 octobre 2023

Séance de 14 heures 30

Compte rendu n° 37

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
Mme Béatrice Bellamy,
Présidente

 


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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

 

La commission auditionne M. Bakary Meïté, ancien joueur de rugby.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. Bakary Meïté, ancien joueur de rugby.

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Ancien joueur de rugby franco-ivoirien, vous avez évolué au sein d’une dizaine de clubs français, dont le Stade français. Vous avez fait partie de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire. En 2021, vous mettez fin à votre carrière de joueur professionnel et rejoignez le groupe d’entraîneurs de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire. Vous devenez également entraîneur du club Rugby Entente du Cabardès dans l’Aude.

Vous avez révélé avoir été victime de racisme de la part de votre adjoint au sein de ce club. Pourriez-vous revenir sur les détails de cette affaire et les réponses qui y sont apportées ? Le club a mis fin à sa collaboration avec l’entraîneur mis en cause. Vous avez décidé de porter plainte et de quitter le club. Vous vous êtes souvent exprimé pour dénoncer les discriminations et le racisme. Vous avez par exemple affirmé dans un entretien au journal L’Équipe d’octobre 2023 : « N’importe quel événement raciste dans un stade doit dépasser le cadre du sport. On ne doit pas attendre les sanctions de la fédération de tutelle mais porter plainte automatiquement et attendre que ce soit réglé au pénal. »

Quelles appréciations portez-vous sur l’ampleur du racisme dans le sport et son évolution ? Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler, sanctionner ces actes vous paraît‑il adapté ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Meïté Bakary prête serment.)

M. Bakary Meïté, ancien joueur de rugby. En propos liminaire, je souhaite dire que j’ai déposé plainte et qu’une instruction est en cours. L’audience au tribunal est prévue le 6 décembre 2023. Je ne pourrai donc pas approfondir certains points puisque l’affaire n’a pas encore été jugée.

En tant que joueur de rugby professionnel, j’ai eu la chance de pouvoir m’exprimer sur des sujets qui me tiennent à cœur. La lutte contre toute forme de discrimination en fait partie. Je ne pensais pas être un jour auditionné par une commission de l’Assemblée nationale. Mais je saisis cette opportunité et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous partager avec nous votre expérience personnelle concernant les discriminations dont vous avez pu être témoin ou victime au cours de votre carrière sportive ?

M. Bakary Meïté. Dans une interview récente réalisée par le journal L’Équipe, j’ai raconté qu’il m’avait fallu attendre d’avoir été victime de discrimination à trois reprises pour décider de porter plainte. Le premier de ces événements s’est produit tôt dans ma carrière de joueur. J’étais alors un joueur de rugby amateur. Ma première réaction avait été de répondre par de la violence – une violence encadrée sur un terrain de rugby, c’est-à-dire que je voulais alors attraper l’auteur des insultes sur le terrain et dans le respect des règles.

La deuxième fois a été plus difficile. J’ai décidé de taire l’événement et de me résoudre à ce que font beaucoup, c’est-à-dire le recouvrir par le folklore du stade.

Le troisième événement est également survenu dans un stade, alors que j’étais en position d’encadrant. La personne avec laquelle je collaborais depuis plusieurs mois m’insultait à mon insu, mais publiquement. Je l’ai su, et j’ai décidé, enfin, de porter plainte, ce qui n’a pas été sans difficulté. Il m’a fallu franchir la porte de deux commissariats pour que ma plainte soit enregistrée. La première fois, au commissariat de Carcassonne, je n’ai pu déposer qu’une main courante et l’on m’a fait comprendre que le motif de ma plainte n’était pas réel. Le lendemain, j’étais en déplacement en région parisienne et j’ai poussé pour la seconde fois la porte d’un commissariat, à La Défense ou à Puteaux. Ma plainte a été enregistrée en bonne et due forme, c’est-à-dire de manière circonstanciée.

J’ai appris par la suite que l’instruction et l’enquête menées par la gendarmerie de Conques-sur-Orbiel s’étaient heurtées à de nombreuses réticences de la part de différents témoins, qui m’avaient pourtant assuré de leur témoignage dans un premier temps. J’en ai été informé lorsque j’ai reçu mon avis à victime, qui officialisait l’instruction et l’audience du 6 décembre.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Quelles ont été les réactions de votre entourage, notamment du monde sportif, à la suite de votre dépôt de plainte ?

M. Bakary Meïté. Les réactions ont été diverses, sachant que les absences de réaction sont également très révélatrices. J’ai reçu de nombreuses marques de soutien de la part de l’immense majorité des personnes de mon entourage : de la part de joueurs qui avaient également été victimes et qui comprenaient ma position, de la part d’encadrants, d’entraîneurs connus et moins connus et de la part de supporters. Mais une minorité silencieuse n’a pas réagi, non pas parce qu’elle considérait que j’aurais pu ne pas dire la vérité, mais plutôt par crainte de présenter leur « corporation » sous un mauvais jour.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. S’agissant du troisième événement, j’ai compris de votre intervention que vous n’étiez pas présent au moment où ces propos ont été tenus. Les personnes qui y ont assisté vous les ont rapportés. J’ai également compris que l’auteur de ces propos les avait répétés auprès de vous. Quelle a été la réaction des personnes présentes au moment où l'auteur de ces propos les a effectivement prononcés ? Certaines les ont-elles signalés à d’autres instances ? Avez-vous essayé de comprendre la raison pour laquelle certains témoins s’étaient, par la suite, rétractés ?

M. Bakary Meïté. L’événement a suscité beaucoup d’émotion au moment où les faits se sont produits et une grande sympathie m’a été témoignée à cet instant. J’ai néanmoins eu la sensation d’avoir été le dernier informé, par les présidents du club. Beaucoup de personnes savaient que ces propos étaient tenus à mon encontre et peu se sont manifestées. De nombreux joueurs, présents dans ces occasions, ont décidé de se taire et ne m’ont témoigné leur sympathie qu’après avoir su que j’étais informé, que j’avais décidé de quitter le club et de porter plainte.

Je n’ai pas connaissance du fait que d’autres signalements aient été effectués.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Savez-vous pourquoi certains témoins se sont rétractés ?

M. Bakary Meïté. La première raison invoquée par ceux avec lesquels j’ai pu discuter tenait à l’importance de préserver le club. Lorsque j’ai pris la décision de quitter le club et de porter plainte, j’ai prévenu les deux présidents, avant même de m’exprimer publiquement sur le sujet. Par la suite, la question qui revenait sans cesse était de savoir comment le club allait gérer cette situation qui était inédite. Il semble que cette question ne se soit pas posée au moment où l’auteur présumé des propos les avait tenus. J’ai la sensation que le club s’est retrouvé dans une impasse. Les présidents avaient décidé de me prévenir. Ils ne s’attendaient toutefois pas à une telle réaction de ma part. Ils pensaient qu’en se séparant de l’auteur des faits, je continuerai à collaborer avec eux.

Lorsque j’ai décidé de quitter le club et de porter plainte, « l’environnement club » est devenu leur priorité. Je pense que c’est ce qui explique que certains se soient ensuite rétractés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’éclairage que vous apportez est essentiel. Pour que tout le monde comprenne bien la situation, je vais préciser les propos qu’aurait tenus l’entraîneur concerné. Il vous aurait traité, en votre absence et devant plusieurs personnes dans un vestiaire, de mangeur de bananes à la suite d’une altercation. Il aurait également dit, à propos d’une discussion qu’il aurait eue avec vous : « Ben quoi, le mangeur de bananes, je l’ai toujours dit ». Ce même entraîneur aurait également expliqué que M. Meïté était parti en « Bananie » alors que vous étiez en déplacement au Sénégal ou en Guyane.

Vous dites aujourd’hui que les présidents du club étaient informés de ces propos. Des procédures disciplinaires ou des sanctions ont-elles été envisagées par le club ?

Il est étonnant que les présidents vous aient eux-mêmes prévenu de ces propos sans envisager de faire un signalement. Est-ce bien le cas ?

M. Bakary Meïté. C’est effectivement ce qui m’est apparu par la suite. Il convient de préciser qu’au moment de la révélation des faits, l’entraîneur concerné n’était plus en odeur de sainteté au sein du club.

Les propos tenus l’avaient déjà été par le passé, a priori sans faire de vague. C’est alors qu’il n’était plus désiré au sein du club que certains se sont rendu compte qu’il pouvait être raciste dans ses propos. Lors des échanges que j’ai pu avoir avec quelques-uns, il m’a été rapporté que certains au sein du club auraient tenté de le raisonner en lui expliquant qu’il ne pouvait pas tenir de tels propos, sans aller plus loin toutefois.

Par ailleurs, certaines personnes, qui m’avaient assuré de leur témoignage et qui avaient entendu ces propos, se sont montrées plus réfractaires par la suite et ont donné du fil à retordre à la gendarmerie, certains par amitié pour cette personne, d’autres par connivence, d’autres encore par peur – sans doute – de l’ampleur que prenait cette affaire. Je me suis en effet exprimé sur différents réseaux sociaux. L’affaire a également fait la une des journaux locaux. Je pense que certains ont été impressionnés et ont décidé, pour ces raisons j’imagine, de faire machine arrière.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous apprenez donc les faits par la voix des deux présidents. Vous décidez de porter plainte et de quitter le club. Que s’est-il passé par la suite ? L’affaire a-t-elle été remontée à la Fédération ? Avez-vous été contacté pour être accompagné ?

Nous souhaitons comprendre les dysfonctionnements conduisant au fait que certaines victimes ne soient pas accompagnées et que certains faits, pourtant connus, ne soient pas dénoncés et remontés.

M. Bakary Meïté. Je sais que l’affaire a été remontée au moins jusqu’à la ligue Occitanie de rugby puisque deux personnes de la ligue m’ont contacté, dont le président, Alain Doucet, qui m’a témoigné de toute sa sympathie. Il m’a laissé entendre que la ligue Occitanie pouvait se porter partie civile dans cette affaire. Je ne sais pas ce qu’il en est.

L’affaire est, semble-t-il, également remontée jusqu’à la Fédération française de rugby. Mais à l’époque des faits, son président, M. Bernard Laporte, était lui-même empêtré dans des histoires judiciaires et la Fédération était très occupée à gérer cette affaire.

Depuis lors, je n’ai pas eu de nouvelles, ni de la part de la Fédération ni de la part de la Ligue. Une commission de discipline devait être mise en place. Je ne sais pas si celle-ci s’est réunie ni si des décisions ont été prises. Je sais en revanche que l’entraîneur concerné a tenté de retrouver un poste dans un autre club de l’Aude – le club de Montréal, dont il venait. Il me semble qu’il y est effectivement retourné – ce qui reste toutefois à confirmer, et il ne semble pas que l’affaire ait posé un quelconque problème à ce club.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Si je comprends bien, et pour que les choses soient très claires, vous vous êtes exprimé sur le sujet il y a un an de cela et vous n’avez jamais été entendu par une commission disciplinaire, par exemple, dans le cadre de cette affaire, au regard des propos tenus.

M. Bakary Meïté. Je n’ai jamais été entendu par une commission de discipline au regard des propos qui ont été tenus. Je n’ai été entendu qu’une seule fois, à mon initiative, dans un commissariat de police.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Avez-vous eu connaissance de commissions mises en place par la Fédération française de rugby pour écouter les personnes victimes de racisme ou pour les confronter aux personnes ayant proféré des insultes racistes dans d’autres cas que le vôtre ?

M. Bakary Meïté. Je ne dispose pas de cette information. Je sais, parce que les affaires sont reprises par des médias locaux ou nationaux, que des commissions sont saisies ou se saisissent d’affaires.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Quelle est la procédure à suivre lorsqu’un joueur, un supporter ou un arbitre est victime de racisme dans le domaine du rugby et souhaite porter une réclamation ?

M. Bakary Meïté. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je sais qu’il existe des commissions de discipline et une commission d’éthique. Mais je ne connais pas la marche à suivre.

J’ai en mémoire un jeune joueur du club de Limoux qui avait été victime de propos racistes lors d’un match et qui m’a appelé. Il m’a expliqué que j’étais la première personne qu’il contactait car il connaissait mon histoire et qu’il avait besoin d’aide. Je n’ai pas été en mesure de l’orienter correctement. Ma seule recommandation a consisté à l’inciter à porter plainte dans un commissariat ou une gendarmerie. J’ai beaucoup insisté pour qu’il le fasse en lui expliquant que ce type de propos est puni par la loi. Les sanctions des commissions de discipline sont manifestement circonscrites au terrain et se limitent à des suspensions durant deux, trois ou quatre matchs, ce qui me semble parfaitement dérisoire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pensez-vous que le traitement de ces dysfonctionnements au sein de la Fédération française de rugby est, ou non, en amélioration ou que l’omerta continue de régner et que mieux vaut finalement se taire pour éviter les ennuis ?

M. Bakary Meïté. Je ne pense pas qu’il y ait d’omerta puisqu’aujourd’hui, tout est rendu public et que des commissions existent. Dans mon cas personnel, je ne sais pas si la commission a statué ou non.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Depuis quand existe-t-elle ?

M. Bakary Meïté. Je ne suis pas en mesure de vous répondre. Je sais qu’il existe une commission nommée « la Cadet », créée très récemment je pense.

Encore une fois, il n’y a, à mon sens, pas d’omerta. Mais j’insiste sur le fait que des propos discriminatoires qui enfreignent les lois de la République ne doivent pas uniquement être traités au sein d’une commission disciplinaire sportive ou d’une commission d’éthique d’une fédération.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous préciser ce point ?

M. Bakary Meïté. Je pense qu’il faut systématiser les dépôts de plainte et les signalements et que les sanctions prises sur le terrain doivent être beaucoup plus lourdes et immédiates. Il ne faut pas renvoyer dos à dos les différents protagonistes, mais augmenter le pouvoir des arbitres, garants du déroulement du match. Il s’agirait de premiers signes, forts, prouvant que ce type d’événement est pris au sérieux.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Précédemment ou à l’occasion de ces faits, avez-vous eu connaissance d’un mode opératoire de la Fédération de rugby pour signaler ce type de comportement ?

M. Bakary Meïté. Non. Les réactions des membres de la Ligue et de la Fédération se sont limitées à des témoignages de sympathie à mon égard.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Êtes-vous favorable à l’interruption d’un match lorsque de tels événements se produisent ?

M. Bakary Meïté. Je suis favorable à toute mesure permettant d’enrayer ce type d’événement, jusqu’à l’interruption d’un match s’il le faut lorsqu’ils touchent les acteurs du jeu. Encore une fois, des signaux forts me semblent nécessaires. Sur le terrain comme dans les tribunes, de tels propos sont proférés. Or j’ai la sensation que cette lutte a été quelque peu abandonnée dans les stades, au motif que ceux-ci sont le reflet de la société et que, le racisme existant au sein de la société, il est normal de le retrouver dans les stades. Je considère pour ma part qu’une enceinte sportive doit être sanctuarisée compte tenu du caractère rassembleur du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez proposé de donner davantage de pouvoir aux arbitres. À quelle mesure précise pensez-vous ?

M. Bakary Meïté. Je pense à la possibilité pour un arbitre d’arrêter un match. Il me semble qu’avec la Cadet, l’arbitre a la possibilité, s’il entend des propos discriminatoires en tribune ou sur le terrain, d’arrêter le match et de faire venir les présidents sur le terrain pour qu’ils délivrent un message avant que le match ne reprenne. Je pense sincèrement que cela ne suffit pas. De mon point de vue, l’arbitre doit pouvoir arrêter le match, consigner les propos entendus et les signaler en vue d’une plainte éventuelle.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Avez-vous observé une évolution concernant les faits de racisme depuis que vous évoluez dans le milieu du rugby ? La situation s’est-elle améliorée ou, au contraire, dégradée ? Leur caractérisation a-t-elle, ou non, évolué ?

M. Bakary Meïté. Le rugby est un sport très médiatisé, le deuxième après le football. C’est sans doute la raison pour laquelle certaines affaires éclatent au grand jour. La France compte une trentaine de clubs de rugby professionnels et des milliers de clubs amateurs. Je pense qu’il ne se passe pas un week-end sans un incident de ce type sur les terrains de rugby amateur. Les nombreux témoignages qui me sont remontés lorsque j’ai fait le choix de m’exprimer publiquement visaient en particulier à me remercier de l’avoir fait, car des personnes issues des minorités sont victimes de propos à caractère raciste, en région parisienne comme en province, sans que beaucoup de personnes ne s’en émeuvent.

Je ne saurais pas vous dire si la situation s’est améliorée ou dégradée au fil du temps. En revanche, la tenue de propos à caractère raciste est une réalité.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De votre point de vue, quels sont le rôle et la responsabilité d’un entraîneur pour éviter ces discriminations au sein d’un club amateur comme d’un club professionnel ? Est-il possible d’intervenir ? Le cas échéant, de quelle façon ?

M. Bakary Meïté. La lutte contre les discriminations fait partie du parcours de formation dans le cadre de l’obtention du diplôme d’entraîneur et de la carte professionnelle permettant d’encadrer des sportifs. Tous les encadrants et entraîneurs y sont donc formés et devraient pouvoir agir face à ce type d’événement.

Vous avez toutefois pu le constater : dans l’affaire qui me concerne, je suis confronté à un encadrant. Comment imaginer que ce dernier agisse lorsqu’il entend des propos à caractère raciste sur le terrain ?

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À quoi les entraîneurs sont-ils précisément formés ? Avez-vous, vous-même, bénéficié de cette formation ? Est-elle obligatoire ou simplement proposée ?

M. Bakary Meïté. Ce module de lutte contre les discriminations et de lutte contre les violences faites aux femmes et aux différentes minorités fait partie de la formation préalable à l’obtention de la carte professionnelle nécessaire à l’encadrement des sportifs. Mais cela reste théorique. Dans la pratique, les personnes concernées ne savent pas forcément de quelle manière réagir.

Dans ma pratique d’entraîneur, j’ai observé un certain nombre de mes joueurs être dans une forme d’embarras face à ce type de situation, faute de savoir quoi faire. Peut-être faudrait-il que les joueurs soient informés et formés pour être en mesure de réagir. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Comment la Fédération, la Ligue ou les clubs accompagnent-ils les entraîneurs dans la prévention, le signalement et la prise en charge des discriminations, des violences sexuelles et sexistes, des faits de violence et de harcèlement ? Des outils et des éléments d’information et de communication sont-ils mis à leur disposition sur la manière de prendre en charge les victimes qui se signalent ?

M. Bakary Meïté. Non. C’est le genre de dispositif que personne n’aimerait devoir utiliser. Des processus existent, mais ils sont relégués. Je serais incapable de vous dire quels sont ces outils tant le sujet est peu abordé.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Cela signifie que vous n’êtes pas, tout au long de votre carrière d’entraîneur, accompagné sur ces questions par la Fédération, la Ligue ou le club. Connaissez-vous la cellule Signal-sports ?

M. Bakary Meïté. J’en ai eu connaissance il y a une dizaine de jours, alors que je participais à une table ronde sur les discriminations dans le sport. Je n’en avais jamais entendu parler auparavant.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le fonctionnement et le périmètre de la cellule vous ont-ils été expliqués à cette occasion ?

M. Bakary Meïté. Non. Je me suis moi-même renseigné. Et je suis certain que 99 % de mon entourage dans le monde du rugby ne sait pas ce qu’est Signal-sports.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La cellule Signal-sports est une cellule de signalement des violences sexuelles et sexistes. Nous avons évoqué le sujet avec Olivier Klein, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. L’une des propositions serait d’étendre cette cellule aux actes de racisme et de discrimination. Quel est votre avis sur ce point ?

M. Bakary Meïté. Cette extension me semble une très bonne chose. J’y avais moi-même songé, avec l’objectif de donner aux athlètes la possibilité de signaler immédiatement ce type de situation. Dans la pratique, la difficulté tient en effet à l’environnement de l’événement sportif, marqué par l’adrénaline. À l’issue du match et une fois cette ambiance retombée, le doute s’installe quant au fait d’avoir véritablement entendu les propos discriminatoires tenus. Il s’agit d’autant de freins au signalement par la victime. À cet égard, la possibilité d’un signalement immédiat est effectivement une proposition à laquelle j’avais pensé.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi avez-vous quitté le club Rugby Entente du Cabardès ?

M. Bakary Meïté. J’ai décidé de quitter le club parce que j’ai vécu une période très difficile au moment où j’ai pris connaissance des faits. J’ai eu le sentiment de ne plus être à ma place. Comme je vous l’ai dit, j’ai été la dernière personne à en être informée, alors que j’étais le principal intéressé. Je l’ai su un vendredi. Le week-end qui a suivi a été marqué par les témoignages de sympathie des joueurs et des différents dirigeants du club. J’ai pris ma décision durant ce même week-end et l’ai annoncée dès le lundi. Cette période a été l’une des plus difficile de ma vie. Je n’avais ni la force ni la capacité de continuer à entraîner et à me présenter devant les joueurs et les dirigeants qui avaient entendu ces propos et qui avaient fait le choix de se taire. J’ai considéré que je ne pouvais pas poursuivre dans de telles conditions. C’est pourquoi j’ai décidé de quitter le club, ce qui m’a coûté car j’aimais mon activité au sein de ce club et les résultats montraient que les choses se passaient bien avec les joueurs.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Que faites-vous aujourd’hui ?

M. Bakary Meïté. Il faut préciser qu’il ne s’agissait pas de mon métier, mais d’une activité secondaire. Aujourd’hui, je m’occupe de la carrière de joueurs professionnels. J’exerce le métier de player welfare manager, dans une société d’agents de joueurs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La Coupe du monde de rugby vient de s’achever. Quel est votre point de vue sur la sélection de Bastien Chalureau qui a été condamné pour violences racistes, d’autant que France 2023 était la première organisation de grands événements sportifs à se voir décerner le label « terrain d’égalité » ?

M. Bakary Meïté. J’ai fait partie de ceux qui se sont exprimés publiquement sur cette histoire. J’ai été interviewé à la radio et dans la presse écrite. J’ai dit que je ne trouvais pas normal que ce joueur soit sélectionné en équipe de France. Néanmoins, le calendrier dans lequel cette question s’est posée était beaucoup trop tardif.

Le sujet a en effet fait grand bruit parce que des acteurs extérieurs au monde du rugby s’y sont intéressés du fait de l’organisation de la Coupe du monde de rugby en France. Ce joueur avait déjà été sélectionné en novembre 2022, sans que cela fasse de vagues. Le sujet avait donné lieu à quelques titres dans la presse spécialisée, laquelle a donné la parole à Bastien Chalureau et lui a donné l’occasion de s’expliquer. Sa présence en équipe de France m’a semblé choquante. Une fois que celui-ci a fait partie du groupe, la communication de la Fédération française de rugby a été plutôt très claire puisqu’elle l'a envoyé s’expliquer devant la presse, ce qui est révélateur.

J’indiquais précédemment qu’il ne se passe pas un week-end sans que ce type d’événement se produise. Ceux-ci sont relayés par les médias locaux, mais pas davantage.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Avez-vous des recommandations à formuler auprès de notre commission d’enquête, dans le cadre des trois axes que j’ai cités en introduction ?

M. Bakary Meïté. Je me pose régulièrement la question et ne parviens toujours pas à m’expliquer pourquoi le monde du sport, qui est aussi un monde de divertissement, n’arrive pas à prendre le sujet à bras-le-corps, alors que la loi le permet. Je n’irai pas jusqu’à dire que le monde du sport bénéficie de passe-droits. Mais pour prendre un exemple, il arrive – et cela s’est encore produit le week-end dernier – que des saluts nazis soient effectués dans les tribunes de stade. Toute personne qui serait témoin d’un tel geste dans la rue le signalerait et l’auteur des faits serait traduit devant les tribunaux. J’ai la sensation que la permissivité est bien supérieure dans les stades et qu’il est bien plus aisé d’y effectuer ce type de geste sans être inquiété.

Face à cela, il me semble nécessaire de rappeler la loi et d’expliquer que la celle-ci constitue notre socle commun et que le sport et les enceintes sportives ne doivent pas s’y soustraire. Les fédérations ont beaucoup de règles, de codes, de commissions. Mais elles doivent en premier lieu appliquer la loi. J’incite fortement la commission d’enquête à le rappeler à l’ensemble des fédérations sportives.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous avons effectivement vu des images extrêmement choquantes ce week-end. Je rappelle que les saluts nazis ont suivi le caillassage du car d’une équipe et des chants homophobes. D’après les informations dont nous disposons, les supporters lyonnais, à l’origine de ces saluts nazis, étaient interdits de stade à Lyon mais pas à Marseille, ce qui signifie que ces gestes ne sont pas possibles à Lyon mais qu’ils le sont à Marseille. Cela soulève plusieurs questions.

Êtes-vous favorable – la Grande-Bretagne le fait dans des cas extrêmes – à des interdictions de stade à vie pour les personnes tenant des propos racistes ou homophobes ou auteurs de gestes tels que ceux que nous avons pu observer ce week-end ?

Se pose également la question de transformer les interdictions de billetterie – ce qui était le cas de ces supporters lyonnais – en interdictions édictées, par exemple, par le ministère de l’intérieur pour interdire à ces supporters l’accès à tout stade après avoir commis un délit de ce type, puisque le racisme est un délit. Y seriez-vous favorable ?

M. Bakary Meïté. Je suis en total accord avec ces propositions, qu’il s’agisse des interdictions de stade ou des interdictions à vie. Les événements actuels sont trop importants pour que les tribunes des stades ou des enceintes sportives deviennent des plateformes pour ce type de propos. Il faut que ces personnes soient administrativement empêchées d’agir comme elles le font. L’Angleterre et l’Espagne ont la capacité d’intervenir sur-le-champ contre un individu qui tiendrait des propos interdits, de l’exclure immédiatement du stade et de lui interdire d’y remettre les pieds.

La France, malgré les technologies et les stades neufs dont elle dispose, n’est pas en mesure de faire de même. Nous avons pourtant constaté sur les images disponibles dans les médias ou sur les réseaux sociaux que les individus à l’origine de ces gestes étaient parfaitement reconnaissables.

Vous indiquez par ailleurs que des supporters interdits de stade à Lyon ont pu se rendre au stade à Marseille. Ces dysfonctionnements sont, de mon point de vue, aberrants. Il me semble indispensable de revoir la doctrine de la France à cet égard. Je suis donc pleinement favorable aux propositions que vous avez évoquées.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je vous remercie pour la qualité de cet échange. Si vous constatez que vous avez des informations ou des remarques supplémentaires à nous communiquer, vous avez la possibilité de nous les adresser via l’adresse mail avec laquelle nous vous avons contacté.

M. Bakary Meïté. Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer sur un sujet qui me tient à cœur.

La commission auditionne M. Gérard Perreau-Bezouille, président de la Fédération française des clubs omnisports (FFCO), et M. Denis Lafoux, directeur.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Nous accueillons M. Gérard Perreau-Bezouille, président de la Fédération française des clubs omnisports, et M. Denis Lafoux, directeur général de la FFCO.

Messieurs, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de votre disponibilité pour répondre à nos questions. Nous avons entamé les travaux de notre commission d’enquête le 20 juillet 2023. L’Assemblée nationale a décidé de sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs, et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois thèmes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales et les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Monsieur Perreau-Bezouille, vous avez été élu municipal de la ville de Nanterre de 1989 à 2014 et adjoint au maire chargé des sports de 2008 à 2014. Ancien joueur de handball, vous avez dirigé le club omnisports de l’entente sportive de Nanterre avant de devenir président de la FFCO. Vous êtes par ailleurs administrateur du think tank européen Sport et citoyenneté.

Monsieur Lafoux, vous êtes directeur général de la FFCO depuis juin 2022. Vous aviez déjà exercé cette fonction de 2007 à 2015. Vous avez été conseiller sport, santé et développement de la ministre des sports Roxana Maracineanu. Depuis 2014, vous êtes également intervenant professionnel au sein du master « gestion du sport et développement territorial » de l’université de Bordeaux. De 2015 à 2020, vous avez été administrateur du Conseil social du mouvement sportif (Cosmos).

Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous présenter la FFCO et nous indiquer quels sont les faits, dans le champ de cette commission d’enquête, dont vous avez eu connaissance et les réponses que vous y avez apportées dans les différentes fonctions que vous avez exercées ? Pouvez-vous préciser les actions menées et l’organisation instaurée par la FFCO dans les domaines qui intéressent cette commission ? Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler, sanctionner ces actes vous paraît-il adapté ?

Avant de vous donner la parole, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Gérard Perreau-Bezouille et M. Denis Lafoux prêtent serment.)

M. Gérard Perreau-Bezouille, président de la Fédération française des clubs omnisports. Je vous remercie de nous avoir convoqués pour témoigner. Il n’est malheureusement pas fréquent que l’on convie des acteurs ayant un positionnement un peu décalé ou atypique à exposer un point de vue et à partager un autre regard sur le sport, son fonctionnement et sa gouvernance.

Je parle de regard atypique parce qu’il provient du terrain, par la grande proximité que nous entretenons avec les clubs adhérents. S’agissant de ces derniers, nous tenons au terme d’« adhésion » plutôt qu’« affiliation » car nous fonctionnons sur la base d’une adhésion volontaire des clubs, sans contrainte pour eux. Ce qui peut être perçu comme une fragilité est pour nous une force et une nécessité. L’adhésion est une force car elle nous donne tout le crédit pour prendre la parole au titre des 1 200 clubs de notre réseau et des 750 000 pratiquants de ces clubs. Elle une nécessité car elle nous oblige à rester au plus près des attentes et des besoins des structures adhérentes et à nous remettre régulièrement en question. C’est aussi, à notre sens, un réflexe de bonne gouvernance.

On retrouve cet « autre regard » dans les titres de tous les ouvrages que nous avons publiés. Il est aussi la pierre que nous apporterons au temps fort que sont les Jeux olympiques avec notre projet « Jeux sensibles 2024 », qui rassemblera les regards de divers auteurs-photographes sur les pratiques sportives en France.

Le mouvement sportif est structuré autour de deux contraintes systémiques dominantes et omniprésentes, qui peuvent bloquer les évolutions : d’une part, une vision et une organisation topdown, verticalisées, disciplinaires à outrance ; et d’autre part, un modèle centré sur l’élite, construit à partir de la chaîne « entraînement, compétition, sélection, équipe de France, médaille. »

Comment dépasser ces freins sans perdre pour autant les avancées obtenues par ce modèle ? Je n’interviens pas du tout en donneur de leçons ou d’une manière externe. Les clubs omnisports sont marqués par ces mêmes contradictions, ces mêmes tendances. Ils sont dans le sport, en son cœur.

Il est donc difficile d’hybrider, de féconder quelque chose de nouveau ou de réfléchir à des « Jeux olympiques 3.0 », comme je l’exprimais dans la conclusion de l’ouvrage Paris 2024 : d’autres regards sur les Jeux ou comme je le proposais dans un texte envoyé à Denis Masséglia, alors président du Comité olympique.

Notre fédération est agréée par l’État. Elle est membre du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). Elle se situe dans l’héritage, mais aussi dans le dépassement du secteur affinitaire et multisports. Elle intervient dans le cadre d’une vision humaniste qui ne conçoit pas le sport comme porteur de valeurs de manière univoque et absolue, de vertu a priori, mais, parce qu’il est dans la société au même titre que toute activité humaine, comme porteur, voire comme miroir grossissant, de ses contradictions, des débats entre les femmes et les hommes qui en sont les actrices et les acteurs à des degrés divers. Comme le disait Marcel Mauss, le sport est un fait social total, c’est-à-dire un phénomène où s’expriment à la fois et d’un coup toutes les institutions de la société.

Les clubs adhérents sont les continuateurs de traditions et d’histoires très diverses, et nous assumons totalement ce pluralisme : il est fécond et il nous est utile. Ces clubs se retrouvent dans une fédération parce qu’elle est pour eux un lieu de ressources, un espace d’échange d’expériences, de solidarité, d’action, de défense, parfois de mutualisation, un lieu dont ils ont besoin. Parallèlement, ils sont toujours adhérents d’autres fédérations, délégataires ou affinitaires. Nous promouvons d’ailleurs cette multi-affiliation. Comme chaque année, les fédérations seront exposées au salon Sport Asso & Co, qui se tiendra à Clermont-Ferrand, du 16 au 18 novembre.

Au fil des années, ensemble et avec d’autres, nous avons construit une culture fédérale autour de quatre piliers : clubs omnisports et gouvernance ; clubs omnisports et responsabilité sociétale ; clubs omnisports et territoires ; devenir des clubs omnisports. Nous cherchons aujourd’hui à aller plus loin autour du concept de littératie physique – le sport de chacun, tout au long de la vie –, que nous défendons en France et à l’international, en relation avec plusieurs réseaux.

Nous pensons que le sport, partie intégrante de la culture, du développement des individus et des collectivités, lieu d’agir ensemble, est un droit et que, pour faire exister ce droit, un service public est nécessaire, dans toutes ses composantes – État, collectivités, structures délégataires.

Nous ne remettons pas en cause ce qui marche bien, qui a fait ses preuves – dans le domaine de la compétition en particulier –, mais nous voulons contribuer à développer la pratique, à élaborer et à mener des politiques publiques ambitieuses, à les faire vivre au quotidien avec efficacité.

La demande sportive a profondément évolué, tant pour ce qui est des besoins, avec l’allongement de la durée de vie, notamment, ou d’autres aspects relatifs à la santé, par exemple en relation avec le manque d’enseignants à l’école, que pour ce qui est des aspirations. Les gens veulent accéder à plus de mobilité, à un zapping touche-à-tout, à des pratiques authentiquement multidisciplinaires, à une activité prolongée, avec des horaires mieux adaptés.

Selon une enquête du Comité national olympique, près de la moitié des associations se réclamant du sport ne seraient pas fédérées. Dans les clubs, une proportion de plus en plus importante d’adhérents ne sont pas licenciés. Je tiens à votre disposition une étude réalisée sur les clubs de la FFCO.

L’offre est rigide et par trop conservatrice. Ce qui était proactif – la cogestion – s’est parfois sclérosé en s’institutionnalisant et a pu devenir un frein.

Notre fédération n’est pas très ancienne. Son existence comble un manque. Une poignée de dirigeants ont créé le Groupement national des clubs omnisports (GNCO) en 1978. En 1989, à la demande de l’État et avec le soutien de Roger Bambuck, secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports, le groupement s’est transformé en fédération. Avec la ministre Marie-George Buffet, nous obtenons notre premier – malheureusement resté unique – conseiller technique national (CTN).

En dix ans, nous avons observé un triplement du nombre de clubs adhérents, un passage de cinq salariés à une quinzaine aujourd’hui, un déploiement dans tous les territoires, y compris en outre-mer. Si nous disposons de comités régionaux et départementaux, c’est simplement pour assurer l’animation de proximité. En revanche, il n’y a pas de représentation pyramidale. Les clubs sont membres directs de la fédération nationale et ont un droit de vote proportionnel à leur nombre d’adhérents. C’est d’ailleurs ce qui marque l’une de nos différences fondamentales : les électeurs ont toujours été les clubs.

Les quatre plus grands clubs omnisports ont chacun plus d’adhérents que les trois plus petites fédérations olympiques. Il s’agit du Levallois Sporting Club (17 000 adhérents), du Cercle Paul Bert de Rennes (12 000 adhérents), du Paris Université Club (8 000 adhérents) et du club omnisports de Sarcelles (9 600 adhérents).

Tous nos clubs adhérents sont, dans les territoires, les animateurs de la vie sportive dans de nombreuses dimensions. Nous les encourageons à s’insérer encore davantage dans leur écosystème local. Lors de l’instauration de l’Agence nationale du sport, et particulièrement de sa régionalisation, nous demandions qu’une place leur soit accordée. La décision a été d’en rester à la représentation habituelle, c’est-à-dire la représentation disciplinaire et olympique.

Les écoles multisports, les centres de loisirs sportifs et centres de vacances, ce sont les clubs omnisports. Mais on leur doit aussi les premières expérimentations des démarches sport santé ou les propositions pour le troisième âge équilibrées, pluridisciplinaires. Au moment où l’on oppose faussement pratiques dites libres et pratiques organisées, les clubs omnisports innovent, tout en pouvant s’adapter, évoluer, être inventifs et proposer des réponses au carrefour de toutes les exigences de notre époque.

Rappelons que plusieurs disciplines sportives doivent leur développement puis leur existence autonome fédérale, parfois olympique, aux décisions politiques de clubs omnisports qui ont créé des sections pour ces sports et fait le pari de leur consacrer des moyens et de dégager des créneaux horaires dans les équipements. Nous sommes loin de la licenciation obligatoire actuellement pensée.

Pour terminer, permettez-moi d’exposer deux éléments qui illustrent le poids économique du club omnisports. Pour ce qui est de l’emploi, souvent cité comme l’avenir du mouvement sportif, sans opposer bénévoles et salariés, il convient de noter que moins de 15 % des associations sont employeurs, contre 85 % des clubs omnisports. Concernant la dimension financière, selon les derniers chiffres du baromètre de l’omnisports 2023, le budget moyen d’un club omnisports est de 800 000 euros.

M. Denis Lafoux, directeur général de la Fédération française des clubs omnisports. Je vous remercie pour cette audition, preuve, s’il en fallait une, que les parlementaires et la Fédération partagent cet intérêt pour une vision plurielle des choses et pour un regard intégrant le terrain.

J’interviendrai plutôt pour présenter quelques outils, quelques actions et quelques dispositifs de la Fédération. L’objectif est de vous donner une vision d’ensemble des enjeux des clubs omnisports, qui sont relayés et structurés nationalement par notre fédération.

Je commence par la question des violences dans le sport, un thème d’actualité majeur dont votre commission s’est saisie. Nous intervenons sur différents aspects regroupés au sein d’un kit de prévention des violences comprenant des éléments en matière d’accompagnement juridique, de sensibilisation, de formation, voire du contrôle dans le cadre de la nouvelle procédure d’honorabilité. Un des actes fondateurs de la Fédération a été la mise en commun de moyens de clubs issus d’une diversité de fédérations pour structurer un service juridique permettant d’accompagner les dirigeantes et les dirigeants sportifs dans leur gestion quotidienne comme dans les situations de crise. La Fédération des clubs omnisports est, à l’origine, constituée de clubs issus de différentes fédérations : soit des fédérations multisports affinitaires telles la FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail) ou la FSCF (Fédération sportive et culturelle de France) ; soit des clubs universitaires qui pratiquent tous la multi-affiliation.

Sans aller jusqu’à les conseiller devant la justice, situations dans lesquelles nous les orientons plutôt vers des avocats spécialisés, notre équipe accompagne quotidiennement nos membres et répond à 3 500 questions par an, soit par e-mail, soit par téléphone. C’est la preuve d’un accompagnement direct et important de la part de notre fédération.

L’accès au service juridique reste direct et discret pour les dirigeants et dirigeantes. Il ne passe pas par des filtres de structure départementale ou nationale. Un club, un dirigeant ou une dirigeante de club qui veulent interpeller directement le président de la Fédération ou le directeur ou la directrice adjointe de la Fédération ont la possibilité de le faire.

Dans le cadre de nos interventions sur la question des violences, nous collaborons avec des partenaires locaux. L’objectif est qu’au-delà de notre intervention, le club puisse se saisir de la question et continuer son travail avec des acteurs référencés dans son territoire. C’est d’ailleurs ainsi, en intégrant l’association Colosse aux pieds d’argile dans notre fédération, que nous avons accompagné Sébastien Boueilh dans la structuration professionnelle de sa structure.

Nous travaillons évidemment avec d’autres structures de recueil de la parole et d’accompagnement des victimes, telles que l’association Les maltraitances, moi j’en parle !

Nous avons également conçu une exposition, à partir du travail d’un de nos clubs lyonnais. Fondée sur le principe de la libération de la parole, par des interactions avec les éducateurs, les pratiquants et les dirigeants, elle est désormais reconnue.

Je souhaitais ensuite la question de la gouvernance, notamment la féminisation des instances. Par ses nombreuses formations à destination des dirigeants bénévoles, la FFCO accompagne les élus, actuels et futurs, des associations sportives afin qu’ils montent en compétence. Nous rappelons chaque fois les principes de transparence, de bonne gestion, d’éthique qu’ils se doivent d’avoir en tête. C’est aussi un atout que notre service juridique apporte dans son accompagnement quotidien.

Le fonctionnement même des clubs omnisports est caractérisé par une nécessaire transparence, car une majorité d’entre eux sont liés avec les collectivités avec lesquelles ils travaillent par des conventions d’objectifs. Étant donné leur budget et le dépassement des seuils, les clubs omnisports sont soumis dans leur quasi-totalité au contrôle de commissaires aux comptes. Il n’est pas rare que des contrôles de l’Urssaf et des services déconcentrés du ministère des sports soient menés au sein de nos clubs omnisports puisque, compte tenu de leur taille, ils sont souvent considérés comme de petites ou de moyennes entreprises. C’est souvent ce qui rassure les financeurs publics : octroyer des subventions à un acteur qui fait l’objet de contrôles réguliers permet d’assurer une certaine transparence et une certaine régularité dans la gestion.

En ce qui concerne la féminisation de nos instances, de nos clubs et de nos comités, dès 2019, et sous l’impulsion d’Audrey Prieto, présidente de l’Union sportive métropolitaine des transports (US Métro) et dirigeante de la Fédération, la FFCO a lancé un appel, ensuite partagé avec des dirigeantes de clubs issus de différentes fédérations, comme la FSGT ou des fédérations d’entreprises telle l’Association sportive des postes, télégraphes et téléphones (ASPTT). Nous avons ensuite lancé le dispositif Omnisports pour elles qui, bien avant la loi du 2 mars, a pour vocation d’instaurer, à terme, une parité au sein de nos instances. Ce travail est complété par des formations et, tout dernièrement, par un week-end d’immersion faisant la part belle au développement personnel de nos dirigeantes ou futures dirigeantes.

Le sport santé est l’un des autres thèmes que la Fédération met en avant depuis de nombreuses années. Plus de vingt-trois clubs adhérents sont labellisés maisons sport-santé et plus d’une centaine de clubs défendent le sport santé. Là encore, il s’agit d’initiatives de clubs – le club omnisports des Ulis ou la VGA Saint-Maur – qui, en confrontant leurs expertises et leur approche et en mutualisant leurs connaissances, ont permis de créer le programme « 1 000 clubs pour le sport et la santé » ainsi qu’une formation, laquelle est aujourd’hui développée par la Fédération.

L’insertion par le sport est d’actualité : depuis deux ans, la Fédération œuvre dans ce domaine dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC), en lien avec le ministère du travail et six autres fédérations, celles de boxe, de judo, de natation, de basket-ball, de badminton et de tennis de table. La question, activement relayée par les médias et les acteurs politiques depuis quelques jours, est traitée par le prisme d’un seul acteur national. Cela ne révèle malheureusement pas l’engagement important des acteurs de terrain que sont les associations sportives, qu’elles soient fédérées ou non.

Notre fédération est d’ailleurs administratrice de l’Association nationale de la performance sociale du sport, qui réunit la majorité de ces acteurs de terrain, comme Rebonds ou Breizh Insertion Sport. Elle coordonne le travail remarquable réalisé depuis deux ans au sein du PIC : plus d’une trentaine d’associations permettent à des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (Neet) de se réinsérer dans l’emploi.

Dans ce cadre, nous déployons le dispositif Prépa-sports, lancé par le stade bordelais puis le stade montois, et que nous essayons d’étendre, à Grigny ou Courbevoie, par exemple : 80 % des clubs qui entrent dans ce dispositif aboutissent à une formation qualifiante ou à un emploi. Chaque année, quarante jeunes de chaque structure sont ainsi accompagnés, ce qui démontre la capacité « d’industrialisation » de ce type de process au sein des clubs omnisports.

Vous l’aurez compris, notre fédération conduit des politiques sportives et offre des services en adéquation avec les attentes des dirigeants comme des pratiquants, à l’image du récent lancement de notre licence omnisports. Celle-ci a certes fait débat par son faible tarif, mais elle satisfait les nombreuses sollicitations des clubs et des pratiquants.

L’analyse des besoins et la connaissance du terrain et des pratiquants de nos clubs sont la genèse de toutes les politiques sportives que mène la Fédération. La demande a largement évolué ces dernières années, tant pour ce qui est des modalités que des nouvelles pratiques. Nous en accompagnons un certain nombre avec la mise à disposition ou l’accompagnement au financement d’équipements comme les murs digitaux ou les tables de teqsport, et la création d’un groupe de travail dédié au e-sport. En tant que fédération agréée, l’objectif est de tenir compte de ces enjeux avec une vision globale, sans opposer sports compétitifs et sports amateurs, sports professionnels et sports de loisirs, pratiques disciplinaires et pratiques multisports. En effet, toutes ces composantes sont présentes au sein des clubs omnisports. En tant que fédération issue de nos clubs, nous nous devons de les soutenir toutes.

Pour conclure, je rappelle que toutes les actions déployées par nos clubs sont possibles grâce à la forte professionnalisation de ces structures, et à la collaboration étroite et complémentaire entre les professionnels et les bénévoles dans les clubs. La FFCO s’est engagée très tôt sur ces questions – elle a d’ailleurs été à l’origine de la création du Cosmos, l’organisation patronale la plus représentative dans la branche du sport. Nous sommes toujours présents dans son conseil d’administration, aux côtés de Philippe Diallo, son président, et de Laurent Martini, son directeur général. Enfin, nous avons été l’une des fédérations pionnières dans la rédaction et l’instauration de la Convention collective nationale du sport.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Une première question se pose quant à la notion de délégation et d’agrément.

Le code du sport ne permet à l’État d’accorder une délégation de service public qu’aux fédérations monodisciplinaires. Ces fédérations disposent de prérogatives de puissance publique et se voient confier une mission de service public. À ce titre, elles disposent d’un monopole légal dans les domaines explicitement prévus par la loi ou le règlement. Les fédérations agréées participent cependant à l’exécution d’une mission de service public et ne peuvent se voir délivrer l’agrément qu’en raison de leurs capacités à participer à la mise en œuvre de la politique publique du sport. Elles doivent notamment souscrire le contrat d’engagement républicain et respecter un certain nombre d’obligations.

La distinction traditionnelle entre les fédérations agréées et les fédérations délégataires répond-elle bien à un objectif d’intérêt général ? Est-elle toujours adaptée aux enjeux du sport contemporain ? En particulier, l’absence de délégation de service public constitue-t-elle un problème pour votre fédération ?

M. Gérard Perreau-Bezouille. La question principale porte sur l’importance que l’on accorde à la délégation par rapport à l’agrément. L’agrément d’une fédération constitue le pas le plus important. L’existence d’une délégation est très liée à l’organisation de la discipline, à la notion de délégation de service public sur un aspect propre à une discipline.

Au sein du secteur multisports et affinitaire, nous débattons de la proposition consistant à créer des agréments multisports. Pourquoi pas. Pour les fédérations délégataires, il existe toutefois un monopole d’intervention tandis que notre domaine se caractérise forcément par une diversité nécessitant plusieurs agréments.

On a beaucoup trop privilégié un travail en silos, consistant à verticaliser toutes les structures, y compris les représentations dans les structures telles que le Comité national olympique ou les structures décentralisées. Ce fonctionnement ne permet pas de développer suffisamment la transversalité. Il en résulte une sous-représentation des fédérations affinitaires et des fédérations transversales.

Comme les autres fédérations, nous disposons d’un contrat d’objectifs et d’un conseiller technique national (CTN). À l’époque où ces conseillers ont été créés, Bercy souhaitait remettre en cause leur présence dans des fédérations où il n’y avait pas de technique. Aujourd’hui, on a bien compris que la conduite de politiques sportives repose sur des techniques et des besoins. Nous avons donc des CTN, mais la question de fond porte sur le déséquilibre du nombre de CTN entre les différentes fédérations. Une fédération comme la nôtre n’en a qu’un et un engagement a été pris concernant un second CTN en vue des olympiades : ce dimensionnement est complètement disproportionné par rapport au nombre de CTN présents dans les fédérations délégataires.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Lorsque l’on souhaite pratiquer un sport dans un club affilié à une fédération, il faut être licencié. J’ai l’impression que c’est le cas partout. Vous semblez opérer une distinction entre adhésion et licence. Est-ce bien le cas ? Pouvez-vous préciser ce point ?

Le CNOSF donne une majorité de droits aux fédérations olympiques dans son conseil d’administration. Pensez-vous que les fédérations non olympiques sont suffisamment représentées dans le Comité ? Existe-t-il des pistes d’amélioration qui permettraient de les prendre en compte ?

M. Gérard Perreau-Bezouille. Le premier geste des citoyens et des citoyennes qui veulent faire du sport ou faire faire du sport à leurs enfants consiste à adhérer à une association locale, non à une fédération. La licence intervient dans un second temps. Lorsque l’on veut faire de la compétition, il est logique de prendre une licence dans une fédération puisqu’il faut organiser les compétitions, payer les arbitres, structurer le fonctionnement, etc. C’est le modèle habituel du sport, et il ne pose aucun problème.

Un article du code du sport dispose toutefois qu’une fédération peut obliger un club à licencier tous ses adhérents. La question qui se pose est d’abord citoyenne. Au sein d’un club, lorsque la majorité des membres souhaitent pratiquer le sport comme une activité de loisir tandis que quelques-uns veulent s’engager dans la compétition, le club adhère à une fédération délégataire pour permettre la participation de ces compétiteurs. Cependant, cette décision contraint tous les autres membres à adhérer à la fédération.

Le législateur pourrait intervenir pour retirer cette possibilité, qui va trop loin dans les droits donnés aux fédérations délégataires et qui constitue un frein. Nous insistons beaucoup sur le fait que l’adhésion doit rester volontaire. Si nous ne proposons pas de bons services, conseils ou solutions, si nous défendons mal les personnes, elles n’adhéreront plus. Dans le système top-down, l’affiliation est obligatoire, mais uniquement dans le cas où des adhérents sont motivés par la compétition. Dans l’exemple que j’exposais précédemment, l’autre solution consisterait à ce que les personnes souhaitant faire de la compétition n’en fassent plus. D’une façon ou d’une autre, on limite les droits d’un certain nombre de sportifs.

Le CNOSF est le résultat de la fusion du Comité national des sports et du Comité olympique. Les travaux initiaux, très productifs, ont permis de développer le sport. Ensuite, il y a eu beaucoup de tergiversations. Il y a une vingtaine d’années, alors que j’étais l’un des animateurs des Assises nationales du sport, nous avions revendiqué la création d’une structure beaucoup plus large associant les syndicats d’enseignants, les parents d’élèves, les associations de quartier, c'est-à-dire tous les acteurs désireux de pratiquer un sport sans forcément s’inscrire dans un modèle compétitif. Le Conseil national des activités physiques et sportives (CNAPS) a été créé, mais il n’a pas poursuivi ses activités. Il est pourtant une bonne solution parce qu’il permet d’opérer une dissociation.

Il existe une contradiction car, dans ses statuts et en tant que membre du Comité international olympique (CIO), le CNOSF a l’obligation d’assurer que les fédérations olympiques sont majoritaires dans le conseil d’administration. Selon l’article L. 141-1 du code du sport, le CNOSF devrait pourtant représenter l’ensemble du mouvement sportif.

Je ne dis pas qu’il faut tout modifier, mais les besoins et les aspirations ont profondément changé. Autrefois, une carrière de sportif était finie à trente-cinq ans. Nous avons développé la notion de littératie physique et de sport tout au long de la vie et nous pensons que les clubs omnisports peuvent apporter des solutions parce qu’ils offrent la possibilité de passer d’une section à une autre. De l’école omnisports enfants, qui évite une spécialisation trop précoce, à une section de troisième âge ou à une activité santé, on peut exercer le sport d’une bonne manière dans un club omnisports.

M. Denis Lafoux. Le club omnisports représente une seule entité juridique comprenant des sections qui n’ont pas de personnalité juridique. Dès lors que le code du sport mentionne la possibilité de prévoir, dans les statuts des fédérations, que tout le monde doit être licencié au sein d’une même association, une fédération peut imposer à un club proposant différentes activités que tout le monde soit licencié auprès des différentes fédérations concernées, quand bien même les personnes ne pratiqueraient pas tous les sports. Les clubs, confrontés à ce type de situation, nous alertent sur cette question. La loi permet à certains dirigeants de comités locaux, de comités départementaux ou de ligues régionales, de peser sur les acteurs locaux que sont les clubs.

Par ailleurs, les financements de l’Agence nationale du sport (ANS) ont été délégués aux fédérations dans le cadre du projet sportif fédéral (PSF). En contrepartie, nous avons vu apparaître une « chasse aux sorcières » envers les clubs qui ne licencient pas tout le monde. Dans nos clubs, de nombreux pratiquants effectuent des cycles d’activité et pratiquent un sport donné pendant cinq semaines : il leur est désormais demandé de souscrire une licence annuelle dans chacune des fédérations concernées. Sans licence, les financements ANS ne sont pas octroyés.

Voilà donc deux exemples très concrets dont les clubs nous font part. Ils nous sollicitent pour que nous interpellions les parlementaires sur ces situations.

En ce qui concerne la place des fédérations olympiques, le code du sport dispose que les associations sportives et les sociétés sportives qu’elles ont constituées, les fédérations sportives et leurs licenciés « sont représentés par le Comité national olympique et sportif français ». La loi prévoit un représentant national, qui n’est pas un représentant unique – certains commettent cet abus de langage –, alors même que les statuts de cette structure sont imposés par une structure internationale. Nous avons eu l’occasion de nous en ouvrir auprès de Denis Masséglia, l’ancien président, qui nous a dit qu’il était pieds et poings liés par le CIO. Cette situation nous conduit tout de même à nous interroger.

M. Gérard Perreau-Bezouille. Les licences sont devenues un modèle économique et une façon pour les fédérations de se financer. Je ne leur jette pas la pierre, elles cherchent des moyens, mais il ne faut pas que cela devienne abusif. Je n’ai pas de solutions ; toutefois, il faudrait changer cela.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre fédération dispose de vingt-sept élus nationaux, dont 37 % de femmes. La parité devra être assurée à la fin de l’année 2024. Serez-vous en mesure de respecter cette obligation lors du renouvellement des instances ?

M. Gérard Perreau-Bezouille. Oui. Avant que ce soit imposé à la loi, nous en avons fait une orientation fédérale. C’est dans ce cadre que nous avons par exemple créé le dispositif Omnisports pour elles.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. C’est donc une obligation fédérale pour vous.

M. Gérard Perreau-Bezouille. Tout à fait. Nous nous la sommes imposée. Toutefois, ce n’est pas un travail facile car la majorité des présidents des clubs qui adhèrent à notre fédération sont des hommes. Seules 35 % des personnes assurant la présidence de clubs sont des femmes. Cette représentation est donc similaire à celle du conseil d’administration. De grands clubs omnisports sont présidés par des femmes, mais cela reste minoritaire. Nous travaillons sur cette situation en organisant des stages et en amenant des dirigeantes à y participer. Ainsi, sept femmes ont assisté à notre formation omnisports pour elles.

Quoi qu’il en soit, nous comptons poursuivre notre démarche volontariste. Élu à Nanterre, j’estime que ce qui s’est passé au sein des collectivités locales constitue un bon exemple. Nous avons poussé la démarche plus loin, dans des communes de moins de 3 500 habitants, dans des communes de plus de 3 500 habitants, dans des bureaux municipaux, etc. Dans les communautés d’agglomération au sein desquels il n’existe pas d’obligation en la matière, les hommes sont majoritaires. La démarche est complexe car la situation est aussi liée au fait que de nombreux hommes sont maires.

Le bureau de la Fédération respecte la parité. Je pensais créer une coprésidence avec une femme, mais elle a préféré saisir d’autres opportunités. Toutefois, j’ai exercé de nombreux mandats et j’arrêterai mon activité avec ce mandat olympique ; si tout se passe comme je l’espère, nous aurons une coprésidence, avec un homme et une femme, dans le prochain mandat.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Vous nous parlez des nombreux mandats que vous avez menés à bien. Que pensez-vous d’une limitation à trois mandats ?

M. Gérard Perreau-Bezouille. Cette mesure serait intéressante si elle s’inscrivait dans un dispositif comprenant des modalités permettant de la mettre en œuvre. Il faut donc limiter le nombre de mandats, créer les conditions pour que cela puisse se faire, mais aussi faciliter les formations permettant un engagement rapide.

Nous sommes passés de cinq à quinze salariés en dix ans, et nous avons passé nos quinze premières années avec deux salariés. Assurer une telle croissance nécessite un certain suivi. La génération de dirigeants bénévoles – la mienne – est en train de s’éteindre. Nous avons changé de génération en ce qui concerne le salariat, et nous employons aussi une majorité de femmes.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Le dispositif juridique que vous avez créé pour les clubs me semble intéressant. Vous avez indiqué que ce service traitait 3 500 questions par an. Avez-vous déjà eu à traiter des questions en lien avec les violences, les violences sexistes et sexuelles, les discriminations et le racisme dans le cadre de ce service ?

Vous avez expliqué que vous orientez les victimes vers des associations ou des avocats qui les aideront à porter plainte ou à engager des démarches. Vous est-il déjà arrivé d’effectuer des signalements auprès du procureur de la République pour des cas précis ? Connaissez-vous la cellule Signal-sports ? Avez-vous déjà eu affaire ou effectué des signalements à cette cellule ?

Enfin, comment le contrôle d’honorabilité fonctionne-t-il au sein de votre fédération ? Lors de nos auditions, chaque fédération que nous avons reçue nous a donné une version différente du contrôle d’honorabilité. Nous sommes donc impatients de connaître la vôtre.

M. Denis Lafoux. Nous délivrons la licence omnisports depuis seulement deux ans, et en comptabilisons 15 000 aujourd'hui. Par conséquent, le nombre de contrôles d’honorabilité que nous devons effectuer n’est pas très élevé. J’échange beaucoup avec mes collègues d’autres fédérations et nous nous inscrivons dans une collaboration étroite. Il est vrai que, dans le cadre de la conférence qui réunit les directrices et les directeurs des fédérations, quelques difficultés ont pu être pointées quant à la quantité d’informations.

De notre côté, nous rencontrons des difficultés lorsque les retours du contrôle d’honorabilité concernent des personnes qui ne sont pas identifiables ; il nous faut alors revenir vers les clubs. La procédure pourrait donc encore s’améliorer. Cela dit, nous avons été très actifs sur un certain nombre de thèmes auprès de Fabienne Bourdais, et nous sommes convaincus que c’est une bonne solution. C’est notamment parce qu’un certain nombre de personnes au sein de nos clubs omnisports – éducateurs, dirigeants – ne sont pas licenciées que nous avons mis en place le contrôle d’honorabilité.

Nous connaissons bien entendu la cellule Signal-sports. Notre fédération n’a cependant jamais eu à effectuer de signalement auprès d’elle. Nous employons une référente chargée de mission dédiée aux projets contre la violence, qui fait partie du service juridique et qui accompagne plusieurs clubs, notamment sur des aspects relatifs aux ressources humaines. De nombreuses associations nous contactent en effet à propos de questions juridiques et RH. Sans entrer dans les détails, on nous a rapporté une situation ambiguë entre un éducateur et une mineure, un problème de diffusion de vidéos sur des réseaux sociaux... Ce n’est pas forcément allé très loin, mais chaque fois, nous accompagnons les clubs afin qu’ils puissent gérer l’aspect relatif aux ressources humaines, se rapprocher du service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) et effectuer le signalement. C’est en effet au club ou au service déconcentré de l’État, non à la fédération, qu’il appartient de déclencher le signalement.

Pour l’instant, notre fédération n’a jamais eu à se constituer partie civile dans le cadre de procédures, mais cela pourrait arriver. Dans la mesure où notre mode de fonctionnement s’appuyait jusqu’à présent sur des adhésions et non des licences, nous n’avons jamais été confrontés à cette situation. En revanche, nous avons fourni de nombreux accompagnements, et c’est aussi pour cela que nous avons déployé un dispositif de prévention.

Nous nous trouvons dans la même situation que la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) : nos clubs sont multi-affiliés. J’ai moi-même été directeur d’un club omnisports en Gironde. Au-delà de l’adhésion à la FFCO, nous avions vingt-trois affiliations différentes au sein du club. Bien souvent, lorsque nos clubs rencontrent ce type de situation, cela concerne une section disciplinaire. Leur premier réflexe consiste alors à s’adresser à la fédération disciplinaire en vue d’un passage en commission de discipline dans ladite fédération.

Nous accompagnons les clubs pour des sujets relatifs aux ressources humaines, mais il nous est difficile de connaître la suite des affaires. Cela rejoint la question que vous avez posée à la coprésidente de la FSGT. Il faut franchir une étape supplémentaire pour que les fédérations travaillent entre elles sur de telles situations.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Sur son site internet, la FFCO indique qu’elle donne un accès à un guide juridique, conçu par les juristes de la Fédération, pour prévenir et lutter contre les violences dans le sport. En mars 2023, le ministère des sports a publié la cinquième édition du guide juridique sur la prévention et la lutte contre les incivilités, les violences et les discriminations dans le sport. Pourquoi proposer aux clubs omnisports affiliés un guide différent de celui du ministère des sports ?

M. Gérard Perreau-Bezouille. Nous l’avons dit, notre point de départ repose sur les ressources humaines, sur le Cosmos, etc. Par conséquent, notre guide juridique est axé davantage sur l’attitude des animateurs et des éducateurs que sur celle des victimes. Il vise aussi à rappeler à chacun ses droits et ses responsabilités, notamment en matière de signalement. Ce guide concerne donc plus les dirigeants que les victimes.

M. Denis Lafoux. Lorsqu’un événement se produit au sein d’une section disciplinaire, nous interpellons les dirigeants du club omnisports pour leur rappeler que ce sujet concerne le club en général, non la section uniquement.

M. Gérard Perreau-Bezouille. D’ailleurs, l’existence d’un club omnisports crée un échelon qui constitue une garantie supplémentaire. Nous expliquons souvent aux maires qu’il est intéressant de maintenir un club omnisports car des clubs tendent à disparaître. Dans le milieu sportif, le club omnisports est bien souvent vécu comme une contrainte car il faut fournir des feuilles de présence, des fiches de paye, des informations diverses et variées. Toutefois, il s’agit d’une obligation qu’une association individuelle serait tenue de remplir, mais dont elle ne s’acquitte pas forcément.

L’efficacité de politiques publiques, telles que la lutte contre les discriminations, est meilleure avec un club omnisports qui apporte de la cohérence aux actions au sein du territoire qu’avec des actions différentes, saupoudrées et non coordonnées sur le terrain. La question est souvent posée car il existe de nombreux dispositifs donnant droit à des financements dans lesquels les acteurs souhaitent s’inscrire en déployant des actions. Cela aboutit à des actions qui peuvent entrer en concurrence alors qu’une meilleure cohérence serait possible par le biais d’un club omnisports.

Je ne prétends pas que le club omnisports représente le monde idéal, car il y existe aussi des difficultés sur lesquelles nous devons travailler. En revanche, il a une carte à jouer en matière d’efficacité des politiques publiques car il a davantage de facilités à s’adresser au terrain, aux enseignants, aux médecins, commerçants, aux acteurs de la ville, et peut favoriser la cohérence de nombreux éléments dans la ville. Les petits clubs qui travaillent de façon séparée rencontreront quant à eux plus de difficultés. Ils ne peuvent pas tout faire car cela repose souvent sur les ressources dont ils disposent. Or 85 % des clubs omnisports emploient des salariés, contre 15 % des associations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Sur votre site internet, il est fait mention d’une formation dédiée aux dirigeants et aux éducateurs pour la prévention des violences dans le sport. Le rapport d’activité 2022 de votre fédération indique un total de cinquante-trois sessions de formation réalisées au cours de l’année. Pouvez-vous nous décrire brièvement les objectifs et le contenu de ces sessions ? Combien d’entre elles ont été consacrées à la prévention des violences, thème qui n’apparaît pas dans le catalogue de formation 2023-2024 de la FFCO ?

M. Denis Lafoux. Nous proposons de nombreuses formations destinées aux dirigeants, sur des thématiques très pratiques, relatives à la réglementation, aux ressources humaines ou encore à l’organisation d’assemblées générales. Ces sessions s’appuient sur une exposition, dans laquelle sont présentées des situations sportives et extrasportives. Nos interventions nous amènent à interroger des éducateurs sportifs, des dirigeants, mais aussi des pratiquants. J’ai eu l’occasion d’assister à une session concernant des enfants à qui l’on montrait des situations afin qu’ils déterminent s’il s’agissait ou non de situations de violences. Nous nous appuyons donc sur cette exposition pour libérer la parole.

Quand les formations sont destinées à des dirigeants ou des pratiquants, notre service juridique intervient pour expliquer notamment la façon dont on doit réagir, vers qui se tourner, comment interpeller le bureau de l’association.

En parallèle, nous essayons toujours de nous faire accompagner par une structure locale pour favoriser le recueil de la parole ainsi que la sensibilisation.

La prévention des violences fait bel et bien partie de nos enjeux et des formations que nous proposons durant la période 2023-2024. Nous interviendrons d’ailleurs d’ici une quinzaine de jours dans un club en Mayenne. Nous employons une chargée de mission dédiée à cette thématique et nous accueillerons prochainement une stagiaire qui viendra la seconder.

Je reviens sur la question de la délégation de l’agrément. Les fédérations sont toutes agréées et c’est cet agrément qui nous permet de conduire des politiques publiques. Elles travaillent régulièrement avec les services du ministère des sports, mais aussi avec les services d’autres ministères tels ceux du travail, de la santé, de la justice. Dans cette approche humaniste du sport, les fédérations affinitaires ont une vraie carte à jouer dans le déploiement des politiques publiques. Cela est davantage lié à l’agrément qu’à la question de la délégation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour cette commission d’enquête. Si vous avez des compléments d’information et des propositions à nous soumettre, n’hésitez pas à nous les transmettre par e-mail.

M. Gérard Perreau-Bezouille. Nous pourrons vous faire parvenir le contenu du kit de prévention des violences et de notre exposition, ainsi que nos arguments – qui ne sont pas validés par notre conseil d’administration – sur les questions des licences et de la représentation par le Comité olympique.

La commission auditionne M. Julien Issoulié, directeur technique national de la Fédération française de natation (FFN).

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Nous accueillons M. Julien Issoulié, directeur technique national (DTN) de la Fédération française de natation (FFN).

Nous avons entamé les travaux de cette commission d’enquête le 20 juillet dernier. L’Assemblée nationale a décidé sa création à la suite de très nombreuses révélations publiques de sportives et sportifs et de diverses affaires judiciaires ayant trait à la gestion de certaines fédérations.

Nos travaux portent sur trois axes : les violences physiques, sexuelles ou psychologiques dans le sport ; les discriminations sexuelles et raciales ; les problématiques liées à la gouvernance financière des organismes de gouvernance du monde sportif.

Monsieur Issoulié, vous travaillez depuis de nombreuses années dans le domaine de la natation. Vous avez été entraîneur, puis responsable de pôle à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) de 2007 à 2013. Parallèlement, à compter de 2009, vous avez entraîné le pôle France jeunes de water-polo. À votre départ de l’Insep, vous êtes devenu directeur du water-polo à la FFN puis directeur technique national depuis 2017.

Dans un bref propos liminaire, pouvez-vous nous dire quels sont les faits entrant dans le champ de cette commission d’enquête dont vous avez eu connaissance dans le cadre des différentes fonctions que vous avez exercées et les réponses que vous y avez apportées ? Pouvez-vous nous préciser le rôle et les missions du DTN et nous décrire les actions et l’organisation mises en place par la FFN dans les domaines qui intéressent la commission ?

Le cadre existant pour prévenir, détecter, signaler et sanctionner les actes vous paraît‑il adapté ?

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Julien Issoulié prête serment.)

M. Julien Issoulié, directeur technique national de la Fédération française de natation. Agent de l’État depuis 2009, j’ai exercé les fonctions d’entraîneur, de responsable de pôle et de directeur de la discipline du water-polo avant de devenir DTN en 2017.

Au cours de ma carrière, j’ai en effet été confronté à des situations qui intéressent votre commission d’enquête : j’ai encadré des athlètes, reçu et traité des signalements, contribué à faire évoluer la manière de traiter ces sujets avec les services fédéraux, mes collègues de la direction technique et les élus. Avant 2020, je n’avais pas conscience de l’importance de ces problématiques car aucune victime ne m’avait alerté. Ce n’est qu’à partir du moment où la presse s’est emparée du sujet et a publié des témoignages que nous avons eu des contacts plus directs avec des victimes. Nous avons alors pris des mesures et remis en question notre manière d’aborder ces problématiques. Nous nous sommes également employés à prévenir ces faits, en formant et en sensibilisant les athlètes, les encadrants et les dirigeants. Il y a vraiment eu un avant et un après les premières révélations. Nous avons dû nous adapter et tenter de remédier à la situation : il faut repérer les signaux et y apporter des réponses adaptées ; il faut surtout informer nos athlètes, potentielles victimes, sur leur environnement et la manière dont il évolue. Nous devons faire en sorte qu’ils soient, eux et leur famille, vigilants sur certains points.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. L’équipe dirigeante actuelle de la FFN a été élue sur une promesse de maîtrise des risques d’atteinte à la probité. Quelles mesures particulières ont été prises pour lutter contre ces risques ?

M. Julien Issoulié. Contrairement à l’équipe dirigeante, je n’ai pas été élu mais nommé après son arrivée. Des dispositions ont en effet été prises, notamment la désignation de référents, alors que les rares problèmes qui émergeaient jusqu’alors étaient traités par le service juridique. Dans le cadre de rencontres organisées sur le sujet, j’ai été vraiment marqué par Sébastien Boueilh, qui venait de créer l’association Colosse aux pieds d’argile. Étant tous deux originaires du Sud-Ouest, nous avons pris le temps de discuter. Il m’a parlé de son histoire, très impressionnante, et ouvert les yeux sur caractère massif de ces violences dans le domaine du sport mais aussi dans la société tout entière. Il m’a dit constater des remontées de tels faits dans tous les établissements scolaires où il avait l’occasion de se rendre.

À la FFN, mon adjointe a été nommée référente et chargée de recueillir les informations venant de toute personne de la fédération. Nous avons créé une cellule composée du président, du directeur général, du DTN, de la référente et du juriste, afin de prendre les bonnes décisions en cas de signalement d’où qu’il vienne. Généralement, il s’agit d’alerter le procureur de la République conformément à l’article 40 du code de procédure pénale. Dans certains cas, la procédure est déjà en cours et nous en sommes informés par une association partenaire, un avocat ou un plaignant. Nous vérifions alors que les personnes concernées sont licenciées à la FFN et que les faits dénoncés se sont produits dans le cadre des activités de la fédération. Nous essayons ensuite d’agir au mieux, en apportant la réponse adaptée le plus rapidement possible.

Parallèlement, nous déployons des actions de formation auprès des sportifs. Cette année, le formulaire de licence contient un flash code permettant d’accéder à la charte de bonne conduite des éducateurs, des entraîneurs, des athlètes et des parents. Cette charte constitue une première étape de sensibilisation. Elle permet d’alerter chacun sur les pratiques et attitudes à adopter ou à bannir. Elle décrit également les canaux à utiliser, le cas échéant, pour faire remonter les informations.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pouvez-vous nous parler de la convention de partenariat que vous avez signée avec l’association Colosse aux pieds d’argile ? Quel est son montant ? Combien d’heures d’intervention prévoit-elle ?

M. M. Julien Issoulié. Le coût s’élève à environ 32 000 euros sur quatre ans pour un nombre d’heures de formations et de sensibilisation que je pourrai vous communiquer ultérieurement car je ne m’en souviens pas précisément. Ce partenariat est très intéressant pour nous qui nous sentions un peu démunis en la matière, qu’il s’agisse de la réaction à adopter, de l’écoute des victimes ou de leur orientation. J’ai en tête le cas d’une jeune athlète dont le signalement nous a été transmis par Colosse aux pieds d’argile. Il a fallu expliquer aux familles les faits et les suites qui y seraient données. La présence de l’association à nos côtés nous a permis de bénéficier de l’apport d’experts, de trouver les bons mots, d’adopter les bons réflexes et de rassurer les familles.

La convention recouvre également un volume d’actions que nous pouvons déployer pour nos élus, nos cadres, nos dirigeants, nos territoires et nos clubs.

Une partie de la convention est dédiée aux structures de haut niveau relevant du projet de performance fédéral, de manière à ce que les athlètes ayant des pratiques très intenses soient véritablement encadrés. Les familles qui confient leurs enfants à un centre d’accession, un pôle France ou un centre national d’entraînement doivent recevoir l’assurance que nous respectons bien toutes les règles.

Lors des premières années, nous avons rencontré des difficultés à déployer pleinement la convention. Nous avions ciblé les clubs en fonction de divers critères : l’existence d’un signalement ; le nombre de jeunes de telle tranche d’âge ; l’importance de l’école de natation ; les performances en championnat. Mais lorsque je proposais une formation à un club, il arrivait que celui-ci m’indique en avoir déjà bénéficié par d’autres biais. La situation s’est améliorée grâce à de nouvelles initiatives. L’association intervient désormais dans nos formations régionales. Lorsque les titulaires du diplôme de moniteur sportif de natation (MSN) ou d’un brevet fédéral effectuent leur session de recyclage obligatoire, nous les incitons fortement à profiter, dans ce cadre, des formations de l’association Colosse aux pieds d’argile, que ce soit en région ou au sein de l’institut national.

Quelque 133 personnes ont bénéficié d’actions de sensibilisation que nous avons organisées lors de l’assemblée générale de la Fédération en 2020 et à l’occasion d’un colloque de natation artistique regroupant chaque année un nombre important de coachs et de dirigeants de la discipline. Des actions du même type ont été organisées en Centre-Val de Loire, en Bourgogne-Franche-Comté, en Occitanie et dans les Hauts-de-France. Nous avons formé tous les jeunes en contrat d’apprentissage qui suivent un cursus de formation fédéral – soit dix-sept jeunes en 2022 et huit en 2023. Quelque 120 personnes ont été sensibilisées à ces problématiques dans le cadre d’un séminaire de la FFN réunissant des dirigeants, des salariés et des conseillers techniques.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Pourquoi ces formations ne sont-elles par obligatoires plutôt que vivement recommandées ?

M. Julien Issoulié. Il convient de distinguer deux choses. Les formations de sensibilisation ciblent différentes populations identifiées en lien avec l’association Colosse aux pieds d’argile en fonction du degré de pertinence et de priorité. Encore faut-il que nos personnels appréhendent correctement leur périmètre de compétences.

Le caractère obligatoire concerne nos formations déployées dans les territoires.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. De quelles formations s’agit-il plus précisément ?

M. Julien Issoulié. Les diplômes d’état et les brevets fédéraux comprennent des heures de sensibilisation. À titre d’exemple, le brevet de MSN comprend trois heures de formation portant sur l’intégrité des pratiquants, des heures de formation sur l’accueil des mineurs ainsi que six heures trente de formation sur l’organisation d’un stage et le déplacement des mineurs. Le recyclage, prévu tous les deux ans, revient également sur ces sujets. Les apprentis bénéficient quant à eux d’une sensibilisation de deux heures. Ces sensibilisations obligatoires interviennent sous forme de contenus descendants mais également de temps d’échange entre participants ou encore d’études de cas.

Des sessions spécifiques peuvent également être organisées et être rendues obligatoires à l’occasion de regroupements. Je pense, par exemple, au regroupement récent des entraîneurs des centres d’accession, qui accueillent des jeunes de quatorze à dix-huit ans. Plusieurs cas particuliers leur ont été présentés à cette occasion, de même que la charte de bonne conduite. Le sujet a d’ailleurs soulevé des interrogations. Certains entraîneurs ont dit se sentir dévalorisés ou salis du fait des sujets soulevés par la charte – comme l’interdiction d’avoir des relations intimes avec un pratiquant –, dont ils estiment qu’ils ne les concernent pas. Ces sensibilisations sont donc l’occasion d’ouvrir des discussions avec les entraîneurs et d’échanger sur les situations qu’eux-mêmes rencontrent.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Votre fédération dispose-t-elle d’un comité d’éthique ? Le cas échéant, quelle est sa composition ?

M. Julien Issoulié. Nous disposons en effet d’un comité d’éthique dont le président vient de changer. L’ancien athlète Sébastien Rouault a été remplacé par Alain Contensoux, issu de la Fédération française de basket-ball. Ce comité est par ailleurs composé de membres « neutres » de la FFN, c’est-à-dire extérieurs au comité directeur et hors cadres techniques, qui sont nommés. Il me semble qu’un ou deux sièges sont actuellement vacants à la suite de mouvements. Les membres de ce comité se situent au même niveau que le président et sont libres de solliciter les personnes de leur choix. Ils sont régulièrement inclus à certains de nos travaux, comme celui portant sur la charte de bonne conduite. Nous nous employons à les intégrer dans nos échanges et à faire en sorte qu’ils puissent être moteurs dans certaines actions.

Le comité d’éthique est généralement sollicité par la FFN pour un avis ou pour convoquer telle ou telle personne afin d’échanger et, parfois, de faire un rappel aux règles de déontologie à certains de nos licenciés.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Je souhaite que nous en venions plus précisément au volet des violences sexistes et sexuelles (VSS). À la suite de la mise en examen de Yannick Agnel pour viol sur mineur en 2021, le président de la FFN avait reconnu qu’il était nécessaire de revoir tant l’accueil des jeunes que leur encadrement. Pouvez-vous nous préciser comment cette affaire avait été signalée et traitée à l’époque, ainsi que les évolutions intervenues depuis lors ?

M. Julien Issoulié. Cette affaire a été révélée par la presse. J’ai moi-même été prévenu par le père de la victime, cadre à la FFN, au moment du démarrage des championnats de France à Montpellier. En l’absence de signe avant-coureur, nous avions tous été surpris. Nous étions informés de relations tendues entre le club et Yannick Agnel, comme cela peut arriver régulièrement avec d’autres sportifs, mais pas davantage.

Lorsque nous en avons eu connaissance, nous nous sommes tout d’abord assurés que la victime et sa famille avaient les moyens de parler à quelqu’un et de pouvoir verbaliser. D’après ce que le père m’avait dit, la famille était informée de la situation depuis quelques semaines ou quelques mois et avait déjà fait un travail pour se préparer à la diffusion de l’information. Nous avons proposé à la jeune fille de bénéficier d’un accompagnement psychologique, ce qui n’a pas été nécessaire. Nous avons ensuite examiné la façon dont nous pouvions agir. À cette époque, Yannick Agnel n’était plus licencié auprès de notre fédération. Il était donc difficile d’agir contre lui. Quant à la victime, elle partait étudier aux États-Unis. Nous n’avons donc pas pu faire grand-chose d’autre que l’accompagner.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous avez fait état de relations tendues entre le club et M. Agnel. Avez-vous cherché à comprendre les raisons de ces tensions ? Le club a-t-il fait état des difficultés qu’il rencontrait avec lui ?

M. Julien Issoulié. Les tensions dont nous avions connaissance avaient trait à des affaires sportives ou extra-sportives, sans lien avec la victime et la famille Horter. Il y a régulièrement des chemins qui se séparent, des problèmes contractuels. Généralement, les choses se passent bien jusqu’au jour où les relations entre l’athlète et l’entraîneur se dégradent au point de conduire à la séparation, ce qui fait parfois ressortir des histoires financières, des rancœurs, des tensions sur l’entraînement. En l’occurrence, il ne s’agissait pas de cela. D’après ce que nous avions compris, il s’agissait de problèmes d’accords et de contrat entre M. Agnel et son club, qui ne concernaient donc pas la fédération.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous indiquez que vous n’aviez plus la possibilité d’intervenir dans la mesure où M. Agnel n’était plus licencié. Malgré cela, d’autres dispositifs auraient-ils pu être utilisés ? Je pense à un signalement auprès de la justice ou du ministère des sports. L’avez-vous fait ? Les dispositifs mis en place par la FFN ont-ils été modifiés depuis cette affaire ?

M. Julien Issoulié. Le signalement a été réalisé par le biais de la cellule Signal-sports, avec laquelle nous avons eu des échanges suite à l’article de presse.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. La FFN n’a pas elle-même fait de signalement ?

M. Julien Issoulié. Je ne voudrais pas dire de bêtises, mais je ne pense pas que nous ayons aussi fait de signalement sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale. En revanche, nous avons demandé à être partie civile, ce qui nous a été refusé en première instance. Nous avons fait appel de cette décision et sommes désormais partie civile. C’est une façon de nous impliquer dans cette affaire. Nous l’avions déjà fait en 2020, dans une affaire concernant un entraîneur licencié de la FFN, pour des faits survenus en dehors de la fédération. Nous nous étions alors constitués partie civile pour la première fois, considérant que c’était le meilleur moyen d’accompagner les victimes, en leur apportant l’environnement fédéral et en les aidant à aller au bout du procès.

Que faisons-nous pour éviter que ne se reproduisent des faits tels que ceux reprochés à M. Agnel ? Nous dispensons des formations et nous menons des actions de sensibilisation. Nous rappelons que, dans le cadre du projet de performance fédéral, nous ne souhaitons pas que les jeunes soient hébergés dans des familles. Il nous est arrivé d’échanger avec des parents qui souhaitaient que l’athlète rejoigne une structure, ce qui supposait qu’il soit accueilli chez l’entraîneur, alors que nous n’y étions pas favorables, tant pour le bien de l’entraîneur que pour celui du sportif. Certaines familles insistaient, arguant qu’elles n’avaient pas d’autre moyen d’hébergement pour leur enfant. Depuis ces faits, nous poussons le raisonnement avec les familles, les athlètes, les clubs et les entraîneurs, afin d’éviter que l’athlète vive chez l’entraîneur.

Nous effectuons également des actions de sensibilisation au sujet des déplacements, l’enjeu étant de s’assurer que le lieu d’hébergement est agréé et propice, que l’encadrement veille à ne pas laisser les mineurs seuls, que l’entraîneur ne se déplace pas seul avec un athlète. Nous l’avons encore fait ce week-end, à l’occasion des championnats de France. Nous cherchons à éclaircir au maximum les situations pour les athlètes et les entraîneurs, en ayant ce genre de discussions que nous n’avions jamais eues auparavant.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous évoquez des échanges avec Signal-sports dans le cadre de cette affaire. Quelles étaient les recommandations de la cellule à ce moment ?

M. Julien Issoulié. Elle nous a recommandé de vérifier s’il était ou non licencié à la FFN pour, le cas échéant, prendre une mesure conservatoire immédiate de suspension. Il s’agissait ensuite d’examiner la possibilité de traiter l’affaire au sein d’un organisme fédéral dans la mesure où les faits étaient survenus à l’occasion d’un stage et au sein d’un club de natation. M. Agnel n’étant pas licencié, nous n’avons pas pu procéder de cette façon, ce qui explique que nous nous soyons immédiatement tournés vers la justice pour nous porter partie civile et pouvoir participer au traitement de cette affaire.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Qui nomme les membres du comité d’éthique ?

M. Julien Issoulié. Je ne sais pas. Je vais me renseigner et je vous transmettrai l’information.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous faites désormais des recommandations concernant le déplacement des athlètes avec leur entraîneur. Ne vous semble-t-il pas nécessaire d’aller plus loin en définissant des obligations concernant les modes de déplacement et en imposant une interdiction d’être logé chez l’entraîneur ? Le règlement de la FFN ne permettrait-il pas de graver ce type de règles dans le marbre afin d’éviter que de telles situations se produisent ?

M. Julien Issoulié. Je pense qu’une personne qui souhaite vraiment faire du mal à une autre trouvera toujours le moyen de le faire, quelles que soient les règles qui auront été écrites. Je pense également que les échanges que nous avons avec les entraîneurs, de même que les formations, les actions de sensibilisation ou encore les documents que nous mettons à disposition permettent une prise de conscience des familles, des athlètes et des entraîneurs.

Prenons un exemple très concret. Les championnats de France représentant un coût élevé pour les clubs, certains font le choix de louer un hébergement sur Airbnb. Nous ne recommandons pas cette pratique. Nous recommandons plutôt l’hébergement en hôtel, en chambre individuelle, mais nous n’en faisons pas une obligation compte tenu de l’économie de la natation. Si nous le faisions, je pense que certains clubs ne pourraient plus entraîner les athlètes et accéder à ce niveau de compétition.

En outre, les compétitions ont parfois lieu dans des communes ne disposant pas d’un réseau hôtelier suffisant. D’autres solutions peuvent donc paraître plus fonctionnelles. Dans ce cas, nous recommandons que les chambres soient séparées, que l’encadrement soit logé dans un appartement distinct situé à proximité et de recourir à un maître d’internat ou un animateur en mesure de prendre en charge une partie du groupe en dehors des entraînements. Nous avons du mal à réglementer davantage compte tenu des contraintes qui en découleraient pour les clubs.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Tout en comprenant la contrainte économique, on se dit qu’en dehors de la sphère sportive, il semble évident qu’un sportif, mineur ou non, ne doit pas dormir dans la même chambre que son entraîneur. Or vous n’en faites qu’une recommandation et non une obligation. Il me semble nécessaire, sur ce point précisément, d’aller au-delà de la recommandation.

S’agissant de Signal-sports, comment communiquez-vous sur cette cellule auprès des licenciés, des clubs et de la FFN ?

M. Julien Issoulié. Notre site internet comprend, dans l’onglet « vie des clubs » une page relative aux violences et à l’ensemble des problématiques qu’elles sous-tendent. La cellule Signal-sports ne constitue pas, de notre point de vue, l’interlocuteur principal sur ces sujets. La FFN dispose en effet de son propre réseau fédéral, d’une référente et d’une procédure destinée aux victimes. Néanmoins, nos licenciés connaissent l’adresse de la cellule, qui est référencée dans l’ensemble de nos procédures.

En général, la cellule Signal-sports se tourne vers nous lorsqu’elle a connaissance d’un témoignage ou lorsqu’elle a reçu un signalement de la part de l’association Colosse aux pieds d’argile. À la mise en place de la cellule, les échanges étaient peu nombreux. La structuration a permis de les rendre plus simples et rapides. Cela étant, nous ne recommandons pas à nos licenciés confrontés à un problème de s’adresser à la cellule. Nous leur recommandons plutôt de se tourner vers la FFN, sachant que nous ferons obligatoirement un signalement auprès du tribunal et de Signal-sports dès lors que le problème en question concerne un acteur du monde de la natation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Dans certaines affaires, il arrive que les choses ne se passent pas de cette façon. Nous avons auditionné suffisamment de victimes dans le cadre de cette commission d’enquête pour le constater. Si la volonté de recueillir le témoignage existe, l’objectif est aussi de ne pas faire de vagues et de tenter de négocier en interne pour éviter que l’affaire ne s’ébruite à l’extérieur.

M. Julien Issoulié. Je pense que vous ne faites pas référence à des affaires qui concernent la natation.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. En effet, je ne parle pas de la natation. Je réagissais à votre volonté de tenter de gérer ces affaires en interne.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. L’objectif de Signal-sports était précisément de mettre en place une structure extérieure aux fédérations, aux clubs et aux ligues pour permettre aux victimes de passer par un autre dispositif. Nous avons reçu de nombreuses victimes qui, à chaque fois, nous ont indiqué ne pas avoir confiance dans les dispositifs internes des fédérations et des clubs – ces vases clos où tout le monde se connaît – pour gérer ces affaires. Plusieurs fédérations ont fait le choix de mettre en place leur propre dispositif de signalement, ce qui donne le sentiment d’une forme de filtre avant que le dossier ne remonte vers Signal-sports, dont l’objectif est de permettre aux victimes de faire elles-mêmes le signalement.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Il arrive également que le témoignage se retourne contre la victime au sein d’une discipline sportive.

M. Julien Issoulié. J’entends vos arguments. C’est pour ces raisons que la FFN référence Signal-sports et informe les licenciés de son existence.

Pourquoi privilégier un traitement en interne ? Il ne s’agit pas de cacher quoi que ce soit. En tant qu’agent de l’État, je travaille actuellement au sein de la FFN mais je pourrais occuper un autre poste à l’avenir. Dès lors qu’une victime se tourne vers moi, mon intention n’est pas de cacher les choses, quelles que soient les conséquences des faits rapportés. Les victimes doivent avoir conscience que nous sommes des agents de l’État dont le rôle est d’aider les licenciés. Ceux-ci doivent avoir confiance dans le système des fédérations car, je l’espère, de tels faits finiront par disparaître.

Au sein de la FFN, le référent n’est ni un salarié de la fédération ni un élu, mais un agent de l’État. La fédération dispose d’une cellule, composée du président, du DTN, du directeur général et d’un juriste, chargée de traiter ces affaires. Les membres qui la composent sont suffisamment nombreux pour qu’aucune affaire ne soit cachée, d’autant que les possibilités de communication immédiates par le biais des réseaux sociaux ou l’interview d’un journaliste sont nombreuses. À mon sens, il n’y a plus aucun intérêt à tenter de cacher quoi que ce soit. La porte que nous ouvrons au sein de la FFN vise plutôt à encourager les victimes à s’exprimer. D’ailleurs, à la suite d’une interview que j’avais accordée au journal Le Parisien il y a quelques années, une victime était venue témoigner auprès de moi de faits la concernant. Je crois qu’il faut rassurer les gens sur un point : nous ne sommes pas là pour cacher les choses. Une victime qui souhaite s’exprimer en a la possibilité. Il n’en est pas moins vrai que des événements de ce type sont de véritables bouleversements pour un club. Notre rôle est alors d’accueillir la plainte et d’accompagner les victimes et les élus vers les comités de déontologie.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Vous estimez que la cellule Signal-sports est connue de tous. Nos auditions tendraient plutôt à montrer que 80 % des personnes que nous avons reçues, y compris des présidents de fédération et des entraîneurs, ne connaissent pas cette plateforme. Elle est référencée sur le site de votre fédération, dites-vous, mais transmettez-vous des éléments d’information et de communication sur cette cellule auprès de vos licenciés ? Le ministère des sports vous a-t-il transmis des éléments vous permettant de le faire ?

M. Julien Issoulié. Lors de la création de la cellule, nous avons été accompagnés, notamment dans la refonte de nos documents ou de notre site internet, afin de ne rien oublier et de nous assurer que nous avions été suffisamment précis.

Il me semble difficile de considérer qu’un dirigeant de fédération pourrait ne pas connaître Signal-sports. Nous sommes très régulièrement confrontés à ce sujet dans nos échanges avec le ministère. Nous sommes également amenés à échanger avec Signal-sports au gré des affaires qui nous remontent. Certes, nous sommes une grande fédération comptant beaucoup de licenciés.

Pour notre part, nous souhaitons parvenir à informer un plus grand nombre de nos licenciés. Après les lettres d’information et les courriels – peu lus, notamment par les jeunes –, nous envisageons d’utiliser les réseaux sociaux pour toucher tout le monde. Puisque le jeune de treize ou quatorze ans ne lit pas la lettre d’information de la FFN où sont détaillés les projets fédéraux, il faut passer par un autre support. La FFN travaille actuellement à la refonte de son site internet et cherche à identifier les supports les plus pertinents pour atteindre tous ses licenciés.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. À la question de savoir ce qui vous manquait pour lutter contre les violences sexuelles, vous répondiez au journal Le Parisien : « Il faudrait que toutes les fédérations puissent avoir accès à une plateforme commune lors de la prise des licences. Vous entrez un nom, une date de naissance et s’il y a un souci, un message s’affiche, vous demandant, sans divulguer quoi que ce soit, de vous rapprocher de tel ou tel service de l’État. » Tel est le rôle du contrôle d’honorabilité. Êtes-vous satisfait de la manière dont il fonctionne actuellement ?

M. Julien Issoulié. Non, même si la situation s’est nettement améliorée. Nous avons manifesté notre volonté de participer à ce contrôle d’honorabilité dans la mesure où nous disposons d’une base de données très importante et où nous réfléchissons à la prise de licence.

En tant qu’athlète, j’ai rarement rempli moi-même le formulaire pour prendre ma licence, la tâche incombant souvent à un dirigeant. Quand mon fils s’est mis au football, il a dû remplir lui-même le formulaire, ce qui m’a semblé être une bonne chose. En accédant à sa licence par le biais de la plateforme, le licencié peut avoir toutes les informations disponibles. En outre, le processus permet ainsi de recueillir des informations complètes et justes, notamment l’adresse de la messagerie et le numéro de téléphone. La FFN compte 400 000 licenciés. Lorsque les données sont saisies par les clubs, sans contrôle par le licencié, les fautes de frappe sont fréquentes.

Dans le cadre du contrôle d’honorabilité, on peut considérer que 30 % des éducateurs ne passent pas parce qu’un champ est mal rempli. Nous avons également eu des difficultés avec les personnes nées en Corse, puis celles nées en Algérie française, puis celles nées dans certains arrondissements. À cet égard, ce contrôle n’est pas encore pleinement satisfaisant. La création d’une plateforme commune permettrait de s’assurer de la justesse des informations saisies et de disposer des coordonnées complètes du licencié et non de celles de son club, ce qui arrive dans le cadre des grandes campagnes de prise de licences. L’évolution du contrôle d’honorabilité se heurte cependant à un problème technologique. Pour sa part, la FFN s’efforce d’améliorer ses systèmes informatiques, ce qui est coûteux et chronophage. Les adaptations sont donc progressives.

La création d’une plateforme commune serait tout à fait intéressante, mais l’interconnexion des sites internet et des bases de données de licences de toutes les fédérations représente un chantier colossal. En revanche, il devrait être possible de rendre le remplissage de certains champs obligatoires, de même que l’inscription par le licencié lui-même.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Lors du contrôle d’honorabilité, êtes-vous informé quand un problème est identifié pour telle ou telle personne ? Sur ce point, nous avons obtenu des réponses différentes selon les fédérations.

M. Julien Issoulié. Nous avons des retours, mais ils ne sont pas précis. Nous sommes informés du fait qu’untel ou untel ne peut pas obtenir de licence. Il me semble que nous avons été confrontés à ce cas de figure à deux reprises l’année dernière.

Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure. Certaines fédérations nous ont dit qu’elles n’avaient pas de retour.

Nous avons également obtenu des réponses différentes concernant la procédure de signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Il nous a été rapporté, lors d’une précédente audition, qu’un président de fédération ne pouvait pas réaliser un tel signalement, que seul un DTN en avait la possibilité. Confirmez-vous cette information ?

M. Julien Issoulié. Je ne dispose pas de la même information. Je pense que toute personne qui représente une autorité publique, et donc un président de fédération, peut faire un signalement au titre de l’article 40. Le président de la FFN en a d’ailleurs fait. J’en ai également fait moi-même. Je dirais qu’il n’est pas nécessaire d’être fonctionnaire pour se saisir de ce dispositif, mais je ne suis pas un spécialiste de ce texte de loi.

Mme la présidente Béatrice Bellamy. Je vous remercie. Je vous invite à revenir vers nous si vous aviez des informations complémentaires ou des propositions à transmettre à la commission d’enquête.

 

La séance s’achève à dix-sept heures vingt.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Béatrice Bellamy, M. François Piquemal, Mme Sabrina Sebaihi