Compte rendu

Mission d’information
de la conférence des présidents
sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable

 Table-ronde avec des acteurs de l’immobilier : MM. Loïc Cantin, président, Jérôme de Champsavin, président adjoint et Emmanuel Chambat, secrétaire général de la Fédération nationale de l’immobilier ; Mme Danielle Dubrac, présidente, et M. Géraud Delvolvé, délégué général de l’Union des syndicats de l’immobilier ; M. Pierre Hautus, délégué général de l’association Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux              2


Jeudi
12 octobre 2023

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 07

2023-2024

 

Présidence de
M. Mickaël Cosson,
Rapporteur


  1 

La mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable a auditionné, dans le cadre d’une table-ronde avec des acteurs de l’immobilier : MM. Loïc Cantin, président, Jérôme de Champsavin, président adjoint et Emmanuel Chambat, secrétaire général de la Fédération nationale de l’immobilier ; Mme Danielle Dubrac, présidente, et M. Géraud Delvolvé, délégué général de l’Union des syndicats de l’immobilier ; M. Pierre Hautus, délégué général de l’association Connaître les loyers et analyser les marchés sur les espaces urbains et ruraux.

M. Mickaël Cosson, rapporteur. La présente mission d’information vise notamment à répondre aux différentes difficultés que rencontrent aujourd’hui nos concitoyens dans le cadre de leurs parcours résidentiels, aux différentes étapes de leurs vies : l’étudiant, pour accéder à un logement étudiant ; l’actif, pour pouvoir se loger ; le senior, pour disposer d’une offre qui lui permette d’être proche des commodités. La question est donc de pouvoir donner accès à une large gamme de logements pour toutes les bourses, pour tous les âges et en prenant en compte les spécificités des territoires.

Jusqu’à présent, on a toujours réfléchi en termes de quotité, mais pas nécessairement en termes de publics auxquels il faut apporter une réponse. Le tissu urbain s’étant déroulé depuis des décennies sur tous les territoires, il faut à présent réfléchir aux outils nécessaires pour répondre à la problématique de logement, selon que le territoire concerné accueille des entreprises ou une population vieillissante : la question, en effet, n’est pas de mettre sur le marché une masse de logements parfois incompatibles avec les besoins du territoire.

Face aux constats de la hausse des taux d’intérêt, du renchérissement du coût des matériaux et du durcissement et de la complexification des réglementations, qui mettent en difficulté tous les acteurs du logement, publics ou privés, comment disposer d’outils qui permettent de relancer la production de logements, alors que celle-ci reste durablement inférieure aux objectifs souhaités ? Cette situation tend encore un peu plus la demande et nous maintient éloignés de l’enjeu primordial, qui est de disposer d’un toit pour pouvoir ensuite s’épanouir sur un territoire.

Le but du rapport que nous préparons est de disposer une feuille de route pour le début de l’année 2024, avec des propositions concrètes qui permettront d’apporter des solutions pérennes – et non ponctuelles. Nous espérons donc que vous serez force de proposition pour que ce rapport soit, in fine, le plus fructueux possible.

Mme Danielle Dubrac, présidente de l’Union des syndicats de l’immobilier. L’Union des syndicats de l’immobilier (Unis) est un syndicat professionnel qui fédère cinq métiers du logement privé, à savoir les gestionnaires de copropriété, les administrateurs de biens, les transactionnaires, les experts immobiliers et les promoteurs-rénovateurs. A titre personnel, je suis administrateur de biens à Saint-Ouen et à Saint-Denis.

M. Loïc Cantin, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM). Née en 1946, la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) fêtera prochainement ses quatre-vingt ans. C’est une fédération de chambres syndicales représentées sur l’ensemble du territoire, forte de quatorze métiers liés à l’immobilier : promoteur, administrateur de biens, syndic de copropriété, agent immobilier, diagnostiqueur, expert, spécialiste des affaires rurales et forestières, etc. Le réseau est aujourd’hui maillé à travers sept mille adhérents et dix mille entreprises.

La politique du logement pose question pour l’ensemble des Français, aujourd’hui confrontés à une crise majeure et brutale. Cette crise résulte de la conjonction de plusieurs facteurs et événements.

Le premier détonateur a été la hausse subite et violente des taux d’intérêt, multipliés par quatre en dix-huit mois et bientôt par cinq. Cette hausse compromet largement la capacité d’emprunt des ménages, qui ne peuvent accéder à la propriété, et les force à rester locataires. Au final, des biens en location ne sont pas libérés, alors qu’ils pourraient être proposés à de jeunes cadres, des étudiants ou des catégories de la population qui rencontrent des difficultés à se loger. Par conséquent, toute la chaîne du logement est impactée et, notamment, le logement social dans toutes ses composantes.

La crise est d’abord conjoncturelle, parce que liée à des taux d’intérêt autrefois bas et sur lesquels nous nous sommes « laissés vivre » depuis 2009. La baisse continue des taux au cours des dernières années a finalement alimenté une hausse des prix ; aujourd’hui, leur hausse a l’effet inverse, puisqu’elle contribue à provoquer une baisse des prix et des volumes. Le chiffre annoncé de 950 000 transactions n’est pas catastrophique, puisqu’il n’était que de 850 000 il y a quelques années : il s’agit en revanche d’un coup d’alerte et d’un arrêt brutal de la dynamique que nous connaissions auparavant.

La crise est également structurelle. Savons-nous encore construire, maîtriser les coûts de construction et maîtriser toutes les composantes du parcours de réalisation d’un logement ?  Les secteurs dans lesquels la France a failli au cours des quarante dernières années sont l’industrie et le logement. L’industrie est largement délocalisée ; en revanche, le logement est in situ, nous maîtrisons l’ensemble des paramètres fonciers, réglementaires, fiscaux ou financiers, nous avons en main toutes les cartes pour que le logement soit de moins en moins cher… alors que c’est l’inverse se produit.

Il convient donc de s’interroger sur les échecs des politiques conduites. Les campagnes présidentielles successives – au moins, les trois dernières – n’ont jamais considéré le logement comme une question essentielle pour l’avenir des Français.

Aujourd’hui, l’ensemble de l’écosystème du logement et le monde politique sont confrontés à une urgence et à l’exigence de devoir repenser la politique du logement dans son ensemble.

Nous vivons une période historique, car l’ensemble de la classe politique est mobilisé, toutes tendances confondues, sur cette question du logement. Un seul intervenant n’est pas mobilisé : le Président de la République. En l’absence de prise de conscience au sommet de l’État, nous n’avancerons pas.

Le syndicat professionnel que nous sommes présente régulièrement des propositions et observations. Nous ne sommes pas entendus, que ce soit sur la rénovation énergétique, sur l’amélioration du cadencement, sur le financement de l’immobilier ou sur l’aide aux ménages. Nous avons été contributeurs, comme tant d’autres, au volet « Logement » du Conseil national de la refondation (CNR) : aucune issue pour l’instant. L’ensemble des professionnels de l’immobilier sont aujourd’hui déçus de ne pas avoir été entendus et de continuer à ne pas l’être.

Pourtant, la filière a su se mobiliser : une « Alliance pour le logement » s’est constituée, composée de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), de la Fédération française du bâtiment (FFB), de l’Union sociale pour l’habitat (USH), de la FNAIM, de l’Unis et des bailleurs sociaux. Tout un écosystème a pris conscience de l’urgence à réagir et la mission que vous êtes chargés de poursuivre en est un bel exemple. Encore faut-il qu’elle ne soit pas une mission de plus, après tant d’auditions pour arriver à si peu de résultats.

Mme Danielle Dubrac. Nous partageons ce qui vient d’être dit sur les crises de l’offre et de la demande. Nous construisons moins, les taux d’intérêt augmentent et la question de la rénovation pèse sur les copropriétés : au départ, le souhait est que les locataires fassent des économies, puisque ce sont eux qui paient les factures ; on se retourne ensuite vers les bailleurs, auxquels on impose de faire faire des travaux à peine de ne plus pouvoir louer… et comme 60 % du parc locatif privé sont dans des copropriétés, celles-ci se retrouvent en première ligne.

On a, par ailleurs, inversé les calendriers : on a imaginé, pour les copropriétés, un plan pluriannuel de travaux avec un diagnostic de performance énergétique (DPE) pour les bâtiments, alors que le calendrier propre au bailleur se situe en amont, puisque celui-ci a des objectifs de performance énergétique à satisfaire s’il veut pouvoir louer son bien.

Plus généralement, nous sommes déçus que la politique du logement ne soit pas une priorité nationale et qu’une vision d’ensemble synthétique fasse défaut. Aujourd’hui, la gestion du logement dépend du statut du propriétaire : logements sociaux, privés, intermédiaires... les objectifs devraient être identiques, à savoir un logement de qualité à un loyer abordable. Les politiques publiques sont cloisonnées, alors qu’elles devraient être guidées par un nouveau paradigme, prenant en considération le loyer de sortie plutôt que le statut du propriétaire.

Le ministre Patrice Vergriete évoque une « décentralisation de la politique du logement », avec des moyens et une « boîte à outils » : l’idée n’est pas inintéressante, mais encore faut-il avoir une vision commune des objectifs, de la volumétrie souhaitée et également de la typologie des logements de demain.

La situation écologique nous impose de rénover massivement le parc existant, mais les calendriers se bousculent et nous n’y parvenons pas.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Comme vous l’avez dit, nous avons eu l’habitude de travailler en silos. Il est bien d’avoir une vision sur l’ensemble des questions qui peuvent être posées aux différents interlocuteurs.

Mme Danielle Dubrac. Nous pouvons également avoir des idées, même lorsqu’il s’agit de prêt d’accession pour le logement social. Nous faisons confiance aux institutionnels pour régler la question du logement. Si vous n’avez plus de crédits pour les primoaccédants, ils ne quitteront pas leur logement. S’ils ne quittent pas leur logement, le turn-over est inexistant.

En l’absence de possibilité de financement, les travaux de rénovation ne sont pas réalisés. En l’absence de rénovation, les « passoires thermiques » partent à la vente. Cette situation « assèche » la location. Nous rencontrons vraiment des difficultés de raisonnement sur le sujet.

Je partage un souci avec la FNAIM : 2 millions de personnes en France attendent un logement social. Le problème est que sur les 12,8 millions de locataires, il existe 5 millions de logements sociaux. Or 70 % des locataires sont éligibles au logement social. Comme les logements sociaux sont insuffisants, 3 millions de logements du parc privé sont habités par des locataires qui pourraient habiter le parc social. En même temps, ces 2 millions de personnes qui attendent un logement social occupent soit des logements de mauvaise qualité, soit des logements du parc privé.

Le propriétaire privé peut apporter une solution de rénovation ou malheureusement une solution d’interdiction. Or la difficulté est que ce propriétaire privé est avant tout un copropriétaire. Si nous arrivons à résoudre la difficulté du formalisme des copropriétés, nous aurons sans doute résolu une partie du problème.

Le bailleur privé est capable de faire du logement intermédiaire. Il convient de s’entendre toutefois sur la terminologie du logement intermédiaire. Pour un bailleur privé, le logement intermédiaire se situe entre le loyer social et le secteur libre. Il convient de donner sa chance au bailleur privé pour, tout au long de l’exploitation de son bien, proposer un loyer abordable en dessous du secteur libre, à la condition qu’il bénéficie d’une fiscalité intéressante (par exemple, l’amortissement comptable de son bien tout au long de l’exploitation), que le logement soit ancien ou neuf. Or le logement ancien représente 80 % du parc actuel. Les constructions neuves sont insuffisantes. La difficulté de la rénovation porte sur les logements anciens. Le bailleur privé peut apporter une solution s’il bénéficie d’une fiscalité intéressante.

Aujourd’hui, le bailleur privé n’est pas reconnu. Or les bailleurs institutionnels ne représentent que 5 % du parc privé en France, contre 95 % pour les bailleurs privés particuliers.

En général, le bailleur privé particulier possède un ou deux logements. L’amortissement comptable ne coûte pas grand-chose à l’État. Il faut pouvoir proposer au bailleur privé une fiscalité intéressante à la condition qu’il propose des locations résidentielles de longue durée et que le loyer soit en-deçà du prix du marché. Si tel est le cas, le locataire sera content. Le bailleur privé paiera moins d’impôts et pourra bénéficier d’une capacité d’autofinancement pour réaliser les travaux de rénovation. Le bailleur privé doit absolument être préservé car il est une partie de la solution.

Le deuxième problème est le financement des travaux de rénovation. MaPrimeRénov’ n’est pas encore complètement au point. Des pistes de réflexion seront sans doute proposées.

M. Loïc Cantin. Sans rentrer dans le détail, la FNAIM avait émis une proposition en 2004 sur le statut du bailleur privé via une stratégie d’amortissement.

Quel que soit le système fiscal envisagé, il est important de restaurer une confiance perdue chez les propriétaires bailleurs et les investisseurs, en raison notamment de plusieurs impacts fiscaux qui viennent s’opposer à la location par des propriétaires. La loi Pinel, qui prendra fin, proposait le seul système fiscal intéressant qui permettait à des bailleurs de rester dans ce cadre locatif.

Aujourd’hui, être propriétaire d’un appartement et le louer représente tout de même un exercice compliqué. La fiscalité du bailleur est composée d’un taux marginal d’imposition (TMI) supérieur à 45 %, d’une contribution sociale généralisée (CSG) et d’une contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 17,1 %, soit 62,1 % en totalité. Lorsque son patrimoine dépasse 1,4 million d’euros, il est soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Il est aujourd’hui plus pénalisant d’être propriétaire d’un appartement que d’une œuvre d’art ou de voitures de collection. Etre propriétaire d’un bien immobilier, c’est être soumis à ce TMI plus élevé, alors que les produits financiers sont soumis à la flat tax au taux de 30 %.

Par ailleurs, l’immobilier a toutes les contraintes par rapport à d’autres secteurs qui sont déréglementés. Airbnb profite de toutes les largesses, car on se dispense de rénovation énergétique, il est possible de louer sans DPE, et une majorité de propriétaires (65 %) se dispense de passer par un intermédiaire, professionnel de l’immobilier. À chaque fois que l’on légifère, on « tape » sur le professionnel qui assure l’intermédiation, qui est respectueux et vertueux dans l’exercice de son métier.

Le permis de louer s’applique aux professionnels et représente une contrainte supplémentaire, sans oublier les nombreux diagnostics qu’il faut adosser au contrat de location et dont se dispensent de nombreux propriétaires. Les propriétaires ne sont jamais contrôlés. Or la réglementation doit s’appliquer à tous les bailleurs, sans exception.

Les étudiants ont été confrontés à une rentrée difficile, car ils n’ont pas trouvé de logement ou ont été exposés à des prix importants. À Paris, les meublés représentaient 11,4 % des logements il y a douze ans, contre 23,8 % aujourd’hui. Une partie des propriétaires s’exonère des règles de droit ou s’oriente vers des évasions fiscales plus intéressantes car moins contraignantes.

Il faut restaurer la confiance du bailleur notamment par un rendement supérieur. Les taux d’intérêt ont été un détonateur dans cette perte de confiance. Comment un investisseur peut-il se positionner sur du placement immobilier quand les taux de rendement dégagés sont inférieurs au taux d’intérêt bancaire auquel il a accès ? Le fait que les intérêts soient déductibles des revenus fonciers ne suffit pas. Le placement immobilier n’a plus les vertus du passé.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à une difficulté : l’État ne peut accompagner le financement du secteur immobilier en raison d’un « quoi qu’il en coûte » Désormais, il n’en coûtera rien à l’État. Nous avons bien compris le message et il nous faut trouver d’autres moyens.

En 1994, pour répondre à la crise de 1992, Édouard Balladur avait proposé une solution, s’apparentant à une fiscalité différée : lorsque vous achetiez un appartement neuf, vous étiez exonéré des droits de succession au moment de la transmission.

La FNAIM émet une proposition toute simple pour redonner confiance aux Français : lui permettre d’investir aujourd’hui et de défiscaliser demain, peut-être à échéance de douze ou quinze ans, au moment de la retraite. Le bailleur bénéficie d’un placement dont il tire des revenus locatifs exonérés d’impôt sur le revenu. Cette proposition représenterait un complément de retraite et serait novatrice dans notre pays. Cette solution serait préférable à une éventuelle possibilité d’institutionnaliser la détention du parc locatif privé en France, ce qui représenterait la pire des catastrophes.

Le parc privé est composé de 7,2 millions de logements. Il ne faut pas démembrer ce parc, mais au contraire l’accompagner, car il est nécessaire. Il assure en effet la mobilité résidentielle de nombreux ménages.

S’agissant du parc social, je serai plus sévère que d’autres. Le parc social est nécessaire car il est une composante du logement. Autrefois, il assurait la mobilité résidentielle des Français, qui devenaient ensuite locataires du parc privé ou accédaient à la propriété.

L’accession à la propriété est aujourd’hui en phase de paupérisation. Le phénomène s’accentuera dans les années à venir, et ce, de manière très rapide. La raison en est l’inversion de la pyramide des âges : les inactifs seront plus nombreux que les actifs, ce qui créera un déséquilibre dans la détention du patrimoine.

En tant qu’observateur immobilier, je suis pour l’équité fiscale et l’égalité totale de traitement de tous les acteurs. Je dénonce le système depuis quinze ans. Quand on est promoteur privé dans une ville et que l’on veut construire du logement social, de nombreux maires et élus amènent une contrainte, qui figure dans le règlement d’urbanisme du programme local de l’habitat (PLH). Ils imposent un prix de vente du logement construit par un promoteur privé à un bailleur social choisi par la collectivité elle-même. Lors du CNR logement, la FNAIM a proposé d’interdire cette pratique.

Nous sommes dans un pays de droit. La vente à perte est illégale. Faut-il assigner l’État devant la Cour européenne de justice pour mettre fin à ces pratiques ? Je pose la question car c’est là où se situe le problème.

Si nous voulons faire baisser le coût de l’accession à la propriété en France, commençons par la construction neuve en évitant cette contrainte budgétaire qui est totalement contraire à la réalité des prix du marché.

Les dispositifs de soutien au secteur social sont nombreux : exonérations d’impôt sur la société, bonification des taux d’intérêt, accompagnement par les collectivités, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) généralisée à 5,5 % en cas de livraison à soi-même, exonération de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB). Monsieur le ministre du Logement a par ailleurs annoncé récemment 1,2 milliard d’euros pour soutenir les bailleurs.

Le secteur privé ne demande rien, mais faisons preuve d’un peu d’équité, de logique et de pragmatisme. Il s’agirait de mettre fin à un courant qui est aujourd’hui la seule ressource du pouvoir politique en matière de logement. Dans une interview au journal Le Monde, Madame Christine Lagarde affirmait autrefois que « pour faire face à la crise du logement, il faut renforcer la construction de logements sociaux ». Selon moi, il faut renforcer la construction de logements à la fois pour le parc social et pour le parc privé.

Sur la construction de logements, les discours sont discordants. Lors du récent congrès HLM, la déléguée générale de l’USH a fixé les besoins en logements sociaux à 520 000 logements, alors que l’État affiche 250 000 logements. Il convient de nous accorder sur les objectifs à atteindre, sur quel territoire et pour quelle typologie d’habitants.

Mme Danielle Dubrac. Nous pourrions tirer de premiers enseignements de la politique actuelle. L’encadrement des loyers n’a-t-il pas raté sa cible ? Les plus modestes sont toujours mal logés. De plus, l’encadrement des loyers est complètement indépendant de la politique énergétique.

Concernant l’augmentation des prix du « neuf », l’obligation légale qui consiste à imposer à chaque opération un quota fonctionne-t-elle ou pas ?

Sur l’agenda de la rénovation énergétique, il existe une attrition forte de l’offre locative durable. Sera-t-elle compensée par une production neuve si celle-ci était réactivée ?

Nous pensons par ailleurs qu’il faut absolument arrêter le zonage dans les zones tendues car il n’a pas fonctionné.

S’agissant de l’accession à la propriété, il ne faut pas oublier que l’achat d’un bien immobilier est motivé essentiellement par la perspective de la retraite. Soit la personne compte habiter le bien acheté, ce qui pose la question des zones touristiques, soit elle envisage de le vendre pour acquérir un meilleur logement ou profiter de sa retraite. Le Français aspire à un logement, ce qui explique la politique de parcours résidentiel.

Concernant l’échelon des politiques et la décentralisation, il est possible que cet échelon soit l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Il existe de nombreux outils d’urbanisme et documents de programmation qui manquent de cohérence. Les politiques sont quelque peu diluées. Le permis de construire est délivré par les maires, alors que les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi) relèvent de l’EPCI. Les schémas directeurs régionaux examinent la politique foncière, la politique de logement, notamment en fonction des bassins d’emploi. Le chef d’entreprise est également demandeur de logements car il a besoin de recruter. Or pour accepter une mobilité et exercer son activité, le salarié a besoin de se loger. La situation est quelque peu complexe.

La politique du logement étant liée au territoire, la décentralisation nous intéresse. Le triptyque « transports, logement et emploi » doit absolument être préservé. Le foncier doit rester efficace. Or avec le plan Zéro Artificialisation Nette (ZAN), il sera difficile de construire. Il faudra peut-être déconstruire pour assurer la réversibilité immobilière, en raison d’un trop grand nombre de bureaux par rapport à un manque de logements.

Les documents d’urbanismes tels que les PLUi ou les schémas de cohérence territoriale (SCoT) doivent être cohérents et nous devons viser les mêmes objectifs. Les échelons politiques sont divers, et les régions vivent des situations économiques différentes. Si nous sommes d’accord sur les objectifs à atteindre, nous devrions pouvoir y parvenir.

M. Loïc Cantin. Le ministre du logement a fait part de son souhait de décentraliser la politique du logement. Est-ce véritablement nécessaire ? La loi relative à la solidarité et au renouvelle urbain (SRU) du 13 décembre 2000 a mis à disposition des élus un certain nombre d’outils. Elle a donné la compétence « habitat » à l’EPCI, qui repose sur différents outils, à savoir le plan local d’urbanisme (PLU) - ancien plan d’occupation des sols (POS) -, le PLH encadré par un SCoT, ainsi que sur des outils d’intervention foncière pour accompagner les politiques de l’habitat.

En tant qu’observateur, je serai plus critique. Le Code de l’urbanisme dans sa définition antérieure, avant la promulgation du PLU, précisait que le POS devait fixer de manière suffisante les espaces fonciers nécessaires au développement du territoire et à la croissance de sa démographie, tout en étant conforme au plan d’aménagement et de développement durable (PADD). Vingt-trois ans plus tard, avons-nous mis en place les espaces fonciers nécessaires alors que nous disposions de tous les outils pour ce faire ?

La loi SRU prévoyait notamment de lutter contre l’étalement urbain et de reconstruire la ville sur elle-même. Or les aires urbaines ont été multipliées par trois dans les grandes agglomérations. L’étalement urbain n’a pu être freiné. Aujourd’hui, nous nous retrouvons avec un dispositif ZAN, car les erreurs du passé nous ont permis d’artificialiser des sols alors que nous avions les moyens d’ouvrir des espaces à l’urbanisation, disposition que les élus de France n’ont pas saisie, notamment pour permettre de raccourcir le parcours résidentiel des Français.

J’entends qu’il faut décentraliser la politique du logement, mais j’apporterai de nombreux bémols. Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé. Tous les outils cités restent exclusivement entre les mains des élus. L’application du PLU et son impact sur les marchés de l’habitat ne sont jamais étudiés. Les marchés sont livrés à eux-mêmes.

La FNAIM a émis une proposition dans le cadre du CNR logement : que les politiques publiques puissent être évaluées tous les ans en concertation avec l’EPCI, par l’ensemble de l’écosystème de production de logements afin de vérifier que les mesures mises en œuvre sont efficaces. Ce dispositif d’évaluation est nécessaire.

La décentralisation fait peur. Certains élus utilisent abusivement le permis de louer dans des territoires alors qu’il devrait être circonscrit à un périmètre bien défini de logements insalubres ou soumis à une fréquentation importante de marchands de sommeil. Certains maires vont jusqu’à zoner tout le territoire de leur commune. Nous sommes régulièrement confrontés à ce dispositif. Ce permis de louer qui était auparavant monnayé ne l’est plus.

En tant que professionnels, nous ne voulons pas être confrontés à des abus et des dérives de cet ordre. Nous avons donc un avis extrêmement réservé sur la décentralisation de la politique du logement dans sa totalité. En revanche, en renforçant l’intervention de l’élu sur l’accompagnement de la politique du logement avec une évaluation régulière des objectifs à atteindre, nous éviterions des problèmes tels que ceux rencontrés notamment dans la région de Biarritz. Nous assistons à une attrition totale du parc locatif à destination des jeunes travailleurs, à une prédominance de locations meublées et à des excès en tout genre.

L’observation de l’habitat demande un consensus et un échange avec tous les acteurs de la société civile. Les élus de toutes les villes de France auraient intérêt à se rapprocher du monde professionnel pour travailler ensemble dans l’intérêt des Français et établir une véritable assise pour conduire une politique du logement délocalisée.

Mme Danielle Dubrac. Nous vivons une crise et assistons à un ralentissement du marché, avec des conséquences sur les finances publiques, qu’elles soient nationales ou locales. La baisse de la construction a pour conséquence une baisse de recettes de la TVA. Quant à la baisse des mutations, elle induit une baisse des recettes des droits de mutation. L’encadrement des loyers, avec la mise en place de l’indice de référence des loyers (IRL) a généré des moindres revenus fonciers pour les propriétaires.

Pour le propriétaire occupant, on aurait pu imaginer le maintien de la réduction des droits de mutation dans le neuf, voire leur suppression pour les primoaccédants dans le neuf et dans l’ancien, peut être pendant une période limitée. Ce dispositif aurait permis de désengorger la situation.

Aujourd’hui, tout le monde est perdant. L’actif immobilier des propriétaires se déprécie et ils ne peuvent pas revendre leur bien pour éventuellement en racheter un autre en fonction de leurs nouveaux besoins. L’aspect démographique doit également être examiné.

Le rendement dont bénéficient les bailleurs est tout de même faible. Il est faux de dire qu’ils sont rentiers.

Les ménages et les étudiants locataires sont bloqués dans leur logement et ne trouvent pas de location en adéquation avec leur lieu de travail ou d’études.

L’entrée dans l’accession des jeunes est littéralement décalée.

Les recettes de l’État et des collectivités locales diminuent, alors que leurs charges se maintiennent, voire augmentent.

Il faut absolument inciter à cet investissement locatif, qui bénéficiera aux finances, puisque les recettes augmenteront. Il correspond à un besoin de logements et également au marché de l’emploi. Les travaux de rénovation créent par ailleurs du chiffre d’affaires, notamment pour les professionnels.

Paradoxalement, l’État n’a plus de budget. En même temps, on entend partout que l’épargne des ménages atteint un record. Il faut absolument mobiliser l’épargne de ces ménages, et l’aiguiller sur les travaux de rénovation. Nous ne souhaitons pas que notre patrimoine immobilier parte à l’étranger.

Vous nous demandez si le prêt à taux zéro (PTZ) est un dispositif-clé et quel bilan nous dressons de ce dispositif. De notre point de vue, les modifications annoncées auront un effet malheureusement marginal. En effet, 28 % des accédants ont bénéficié de ce PTZ dans les décennies passées et 50 % des primoaccédants dans le neuf. Pour que le PTZ produise ses effets, il doit être sans zonage, partout en France. Le plafond des ressources doit absolument être augmenté, par ailleurs. Je crois que des travaux du Conseil national de l’habitat (CNH) iront dans ce sens.

Sur la gouvernance, à tous les échelons, il est très important que les schémas directeurs régionaux et les SCoT puissent fixer dans leurs orientations des objectifs chiffrés pour chaque forme de logement. Ces objectifs sont inscrits, parfois difficilement, dans les PLUi, en fonction des territoires. Il convient de vérifier que ces objectifs sont respectés tels que décidés dans la vision politique de chacun. Les professionnels pourraient être consultés et apporter leur vision et leur expertise du sujet. Or ils ne sont pas toujours associés à la rédaction de ces documents.

M. Loïc Cantin. Je voudrais revenir sur votre préoccupation qui est de donner une feuille de route à la politique du logement en France. Il est toujours intéressant de regarder d’où l’on vient pour savoir où l’on veut aller. Le moment est opportun pour réfléchir ensemble et ne pas reproduire les erreurs du passé.

Quand je parcours la politique du logement depuis quarante ans, les grands événements sont notamment la loi Quillot de 1982 et la loi du 23 décembre 1986 qui donne pour la première fois un avantage fiscal à un investisseur qui achète pour louer. Le mécanisme durera jusqu’en fin 2024, soit trente-huit ans d’une politique ininterrompue d’accompagnement d’un investisseur déjà propriétaire de son logement qui s’engage à louer. C’est l’expression la plus totale de l’inefficacité des politiques du logement que de n’avoir eu d’autre alternative que de reconduire un même dispositif sous forme de déductions d’impôt.

Entre-temps, qu’avons-nous retenu d’une politique d’aide aux ménages qui souhaiteraient accéder à la propriété ? Nous avons pu déduire les intérêts d’emprunt. Nous avons introduit le PTZ. Nous avons balayé les anciens dispositifs qui avaient fait la réussite de notre pays pour ne laisser subsister que ce dispositif. La loi Pinel a permis de soutenir la construction de logements neufs en France, avant que le dispositif ne soit réaménagé au 1ᵉʳ janvier 2022. Il permettait à un Français d’investir 21 % de son logement dans la limite de 300 000 euros, de bénéficier de 63 000 euros de réductions d’impôt, et par conséquent d’acheter un appartement à 237 000 euros pour un prix de base de 300 000 euros. Cependant, un ménage accédant à la propriété achetait l’appartement 300 000 euros car il ne bénéficiait d’aucun dispositif de soutien. L’équité n’était pas assurée. L’investissement locatif a été favorisé. Au bout de la période de défiscalisation, l’investisseur revendait son bien.

Ce genre de dispositif ne doit plus être reproduit. Il faut soutenir la construction par des incitations, mais ne pas se s’inscrire dans des positions qui déséquilibrent le marché.

J’ai connu un marché de l’immobilier neuf avec 80 % d’accessions à la propriété et 20 % d’investissements locatifs. Dès que la loi Pinel a été promulguée, la règle s’est inversée avec 80 % d’investisseurs et 20 % d’accédants à la propriété, voire 100 % d’investisseurs. Il faut restaurer cette stratégie car il est fondamental de permettre l’accession à la propriété de l’ensemble des ménages. L’échéance de la vie, c’est la retraite. Au moment de la retraite, s’ils n’ont pas de toit, de nombreux concitoyens rencontreront des difficultés.

Devenir propriétaire n’est pas un « vilain mot », mais un statut auquel de nombreux Français devraient pouvoir accéder. Entre la France des années 1980 et la France des années 2020, notre société s’est transformée, voire s’est déformée dans toutes ses composantes. Le marché du logement est composé d’une mosaïque de territoires et aucun marché immobilier n’est identique, ce qui explique la délocalisation d’une partie des politiques du logement.

Nous avons vécu une période de croissance pendant les Trente Glorieuses avec la création d’emplois. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une inversion flagrante des tendances, notamment sociales, entre la courbe des actifs et celle des inactifs. Notre service économique a mesuré cette inversion sur les territoires. Le déplacement des populations sera décisif sur la forme de la ville de demain, sur la manière de l’aménager et de l’accompagner. Les besoins en logements de demain ne sont pas ceux d’hier et doivent être anticipés.

Définir une politique du logement, c’est se projeter sur le long terme, en réalisant le bilan des expériences passées. Le moment est opportun : il faut penser les politiques du logement pour les vingt à trente prochaines années. La feuille de route est longue et c’est la volonté des parties qui permettra de la réaliser.

M. Lionel Causse (RE). Merci pour vos interventions riches. Je voudrais revenir sur le lien entre centralisation et décentralisation et sur le passé pour construire l’avenir. Notre système est complètement hybride, c’est-à-dire qu’il n’est ni centralisé ni décentralisé, car une importante partie de la politique du logement est portée par les bras armés de l’État, voire par un système paritaire tel qu’Action Logement. Elle n’a pas certainement pas été au rendez‑vous des besoins et des attentes pour construire l’avenir.

Je comprends que vous êtes plutôt favorables à un statut de l’investisseur privé avec des objets de défiscalisation permettant de relancer l’investissement des particuliers. Je partage le fait que des solutions sont possibles en termes de location intermédiaire.

En revanche, j’ai compris que vous étiez également critiques à l’égard des outils de défiscalisation mis en place ces trente-huit dernières années.

Sur les dernières décennies, au-delà des difficultés et des échecs, je retiens certains éléments positifs. Le nombre de logements en France est relativement important et ils sont globalement de qualité. Depuis la fin de la guerre, nous avons réalisé de nombreux aménagements, grâce aux politiques publiques menées. Je ne pense pas que nous puissions toutes les balayer, même si nous devons repenser structurellement la nouvelle politique du logement.

De votre point de vue, quels sont les éléments positifs importants sur lesquels s’appuyer pour définir la nouvelle politique du logement ?

M. Loïc Cantin. La question est longue et intéressante. Je serai extrêmement dur dans ma réponse. Depuis quarante ans, nous avons balayé tout ce qui fonctionnait.

Le système de financement des prêts à l’accession à la propriété ou des prêts conventionnés rendait les ménages éligibles à l’aide personnalisée au logement (APL) leur permettant d’accéder à la propriété. Le dispositif fonctionnait parfaitement et a été supprimé au fil dans ans. Au final, la politique du logement se résume très souvent à une ligne budgétaire au travers des lois de finances successives. Or la politique du logement est tout autre.

En 1978, j’ai connu des marchés immobiliers équilibrés, qui s’autorégulaient sans intervention excessive de l’État ou des collectivités. Pour autant, la population était tout aussi importante qu’aujourd’hui.

Lorsqu’un bailleur louait, il bénéficiait d’un abattement forfaitaire sur ces recettes locatives brutes de 35 %. Cet abattement a été supprimé au fil des lois de finances. Le statut de bailleur a été « déshabillé ».

Parallèlement, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) s’est transformé en impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui ne s’applique qu’aux seuls biens immobiliers, les autres étant exonérés. Le marché est de plus en plus compliqué, sur-réglementé, et impose sans cesse de nouvelles contraintes, de nouveaux diagnostics, de nouvelles obligations. Pour autant, les professionnels accompagnent ce mouvement.

À l’époque, nous avions un système fabuleux, qui alimentait l’Agence nationale de l’habitat (Anah). Le locataire payait la taxe de droit de bail de 2,5 % et le propriétaire payait une taxe additionnelle de 3,5 % sur les logements datant d’avant 1948. Le système a été abandonné et le fichier de suivi des locataires supprimé. Les subventions pour rénover l’habitat ancien ont donc disparu. Or nous aurions bien besoin de ces recettes aujourd’hui dans le cadre de la rénovation énergétique. Il ne faut pas se leurrer, les logements de classes énergétiques F et G sont plus nombreux sur les territoires les plus oubliés. Comment réaliser des travaux de rénovation énergétique dans des logements qui ont été laissés à l’abandon, aussi par les politiques publiques, depuis de nombreuses années ?

Voilà des exemples de systèmes qui fonctionnaient et qui ont été abandonnés ou oubliés. La location accession était un excellent dispositif. Aujourd’hui, on invente le bail réel et solidaire, sans réaliser de bilan des outils et mécanismes qui fonctionnaient. C’est le moment.

Le Crédit Foncier accordait via l’État une bonification des taux d’intérêt qui permettait à des ménages de devenir propriétaires, qui était le pendant du PTZ, mais avec une enveloppe beaucoup plus large.

Dans les quarante dernières années, nous avons taxé davantage, mais nous n’avons pas proposé de véritable stratégie innovante pour accompagner tout un pan d’un secteur qui est indispensable à la mise en place de logements pour les Français.

M. Lionel Causse (RE). L’USH a estimé le besoin en logements à 500 000 constructions lorsque Bercy en affiche 250 000. Avez-vous un chiffre à nous communiquer en fonction de ce que vous voyez sur le terrain ? Quel chiffre vous paraît le plus juste ?

Par ailleurs, l’autorégulation du marché est-elle une réponse à la crise actuelle ?

Mme Danielle Dubrac. Il serait temps de réaliser un bilan de la politique du logement avant de surajouter de la réglementation.

Aujourd’hui, est-il normal que la fiscalité déploie ou redéploie l’offre ? Quand on rencontre une difficulté en zone touristique ou en zone urbaine, on rajoute une sanction fiscale, une taxe sur les logements vacants, etc. C’est pour cette raison que je parle d’objectifs, de volumétrie, de vision, y compris sur le parc immobilier qui est vieillissant. Par ailleurs, la population française vieillit ou se recompose. Il existe des évolutions dans tous les domaines.

Il manque du logement intermédiaire pour les salariés, pour les professions essentielles largement évoquées pendant la crise sanitaire. Toutefois, avant d’étudier la question du logement intermédiaire, il faut s’accorder sur sa définition. Je ne critique pas le logement intermédiaire versus le logement institutionnel ou le logement privé.

Il faut faire confiance à l’épargnant et l’orienter vers du logement intermédiaire, qui permet de loger la plupart de nos salariés dans les bassins d’emplois.

En termes de données chiffrées, nous avons créé un observatoire réel et sérieux, l’observatoire Clameur. Les adhérents de l’Unis, de la FNAIM et les grands professionnels de l’immobilier donnent leurs données. Nous sommes en mesure d’observer à un instant donné la réalité du marché sur la base des baux signés. Nous disposons d’informations sur la typologie de l’appartement, sur la situation du locataire et même sur celle du bailleur. Nous pouvons réaliser des projections grâce à cet observatoire. Nous pourrions faire de même avec les charges, mais nous sommes pour l’instant très orientés vers l’observation des loyers privés. Nous sommes en mesure d’analyser les évolutions de prix car les baux signés sont une réalité, alors que les annonces ne sont que des intentions de louer.

Nous disposons de données fines qui manquent peut-être au gouvernement aujourd’hui ainsi qu’aux professionnels. Ces données sont importantes car elles permettent de dessiner la réalité et de se projeter dans l’avenir.

M. Loïc Cantin. Sur l’évaluation des besoins à construire entre le chiffre annoncé par l’USH et celui affiché par le gouvernement, la vérité se situe sans doute entre les deux.

Je défends toutefois la position que nous aurons de moins en moins besoin de logements. Nous avons en effet longtemps assisté à une équation très simple qui est qu’il faut 500 000 logements en France. Nous n’avons jamais atteint cet objectif, sauf dans les années 1975-1980. Le seuil le plus important a été atteint en déployant des efforts considérables lorsque Jean-Louis Borloo était ministre du logement, avec 470 000 logements sur un an.

La France avait besoin de construire, car elle était soumise jusqu’à présent à un solde migratoire naturel largement positif, dicté par une natalité forte, avec 350 000 habitants de plus par année. Par le doublement de la taille des ménages, le besoin en logements était identique. Nous avons répondu à ce besoin à un rythme de 350 000 logements, en fonction des évolutions et des variations.

Or le taux de natalité est passé de 2,40 à 1,70 %. Cette baisse de la natalité identifiée depuis deux à trois ans impactera largement les besoins en logement. Notre solde migratoire, évalué à 150 000 logements nécessaires par 150 000 habitants pour assurer l’équilibre de notre économie, deviendra peut-être le seul solde positif à alimenter la demande de logements.

L’équation n’est pas simple, et n’est plus mathématique. Le nombre de logements est similaire au nombre de ménages, avec même un excédent de 50 à 60 000 logements sans compter les logements vacants. Néanmoins, ces logements sont mal répartis géographiquement. La vraie question est : où les répartir demain ? Le positionnement des demandeurs de logements ne sera certainement pas dans les villes comme hier, mais ailleurs. Il est donc nécessaire de disposer de vraies projections tenant compte de ces évolutions démographiques et notamment de cette inversion dans la composition des actifs et des inactifs par territoire. Nous ne pouvons plus travailler sur une politique du logement sans véritable guide méthodologique pour parvenir aux objectifs fixés. Les besoins devraient être affinés en fonction des évolutions de notre société.

Il faudra également se poser la question de la transformation d’une partie du patrimoine qui sera exposé à une revente. Certaines populations ne pourront plus acheter comme nos parents ou nos grands-parents ont pu le faire avec des fortunes qui disparaîtront.

À la question de l’autorégulation, je répondrai qu’un marché ne peut s’autoréguler alors qu’il est soumis à une régulation forcée. Le principe d’une crise économique est qu’elle corrige les excès du passé, mais cette crise et les excès sont naturels. La demande vient sanctionner l’excès de production et les prix sont régulés.

Aujourd’hui, la hausse des taux d’intérêt s’oppose naturellement à la formation du prix et vient réduire le prix. Le cycle du logement est un cycle long, à l’opposé d’un cycle financier. Il n’y a pas d’immédiateté comme sur un marché boursier. Le marché du logement dispose d’une telle inertie que la crise et la régulation seront longues.

La crise de 1992 nous a enseigné que le temps de réajustement et d’adaptation des prix permettant de repartir sur une croissance en volume a été de quatre années minimum. Aussi, le temps de réadaptation et de réajustement sera très long, d’où la nécessité d’interventionnisme sur des points ponctuels, en mettant en place des actions curatives. Sans elles, le marché se dégradera extrêmement rapidement.

Mme Danielle Dubrac. Auparavant, les parcours résidentiels étaient classiques. Aujourd’hui, ils sont volatiles. Avec le télétravail, la charnière entre le logement et le travail est devenue compliquée. Le taux de natalité est en baisse, mais certaines personnes occupent des logements seules. Par ailleurs, la population vieillit et vieillira encore davantage d’ici 2030 et 2050. Il conviendra de s’adapter. Devant ces imprévisions et la difficulté de fournir des éléments chiffrés, la seule possibilité est d’imaginer des scénarios en fonction de bassins d’emplois ou de zones géographiques.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Pour avoir été vice-président d’agglomération en charge de l’attractivité, bon nombre de bureaux d’études élaborent des études auprès des EPCI pour les aider dans leurs décisions. Une multitude d’études existe déjà.

La pyramide des âges n’est pas connue de tous en matière de politique du logement. Aujourd’hui, nous nous heurtons d’ores et déjà à un mur qui est le problème d’adéquation entre les logements et les besoins. Nous connaissons le nombre de logements par rapport au nombre d’habitants mais ils ne sont pas adaptés et pas bien situés géographiquement.

Nous allons devoir agir pour éviter la bombe sociale. Pour cela, il nous faut des leviers. Vous avez évoqué les éléments positifs du passé. Néanmoins, face à la crise, il nous faut faire preuve à la fois d’innovation et de solidarité. Le plan de rénovation thermique est important et certains propriétaires bailleurs rencontreront des difficultés pour exécuter les travaux nécessaires. Pensez-vous que ces travaux puissent être pris en charge par la Banque des territoires grâce à l’épargne, qui récupérerait le montant de ces travaux au moment de la vente ?

Par ailleurs, le ZAN risque d’accélérer le prix de l’immobilier. Cette plus-value pourrait être adaptée à celles et ceux qui en ont la responsabilité et devenir une manne financière (250 000 hectares artificialisés) pour que la politique du logement ne soit plus du saupoudrage. L’idée est qu’elle s’oriente vers le particulier, vers l’intérêt général qui est avant tout de pouvoir loger la population selon sa génération et selon ses moyens.

Mme Danielle Dubrac. Je n’ai pas compris l’idée de la manne financière.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Imaginez 250 000 hectares au prix de 5 000 euros par hectare en zone agricole. Selon les territoires, le prix passe ensuite de 100 à 500 euros par mètre carré. Seul celui qui le vend « en voit la couleur ».

M. Loïc Cantin. Je n’ai pas du tout la même vision que vous en matière. J’ai vu une tentative de verser la plus-value sur le foncier à bâtir. Je vis dans une ville qui est pourtant une grande agglomération et les terrains à bâtir manquent. C’est la conséquence de l’absence d’ouverture à l’urbanisation des quinze dernières années. Aujourd’hui, la ville se reconstruit sur elle-même par un effet de démolition sur des friches et notamment sur de l’habitat de maisons individuelles. Une maison individuelle vaut plus cher quand elle est démolie que quand elle est debout, par la rente foncière qui est assise sur son terrain, au travers de droits à construire qui sont permis. La rente foncière est une vision du passé, avec certaines exceptions, des maires bâtisseurs ayant ouvert des espaces et des hectares à la constructibilité. Ce n’est pas le cas des grandes agglomérations françaises. Aujourd’hui, ce n’est pas une manne financière.

Je comprends que vous souhaitiez accompagner les Français dans l’accession à la construction. Il faut des espaces et il faut les maîtriser. Bien évidemment, un propriétaire qui obtiendra une autorisation d’urbanisation rendant un espace constructible sera doté d’une rente à laquelle il n’a pas contribué. Elle est la contrepartie de l’évolution du droit de l’urbanisme sur son sol. Un propriétaire qui n’a rien se contentera de mieux ; sinon, il n’aura rien.

La rareté du foncier a été et est le levier de l’augmentation de la charge foncière dans les bilans de promotion. J’ai réalisé un comparatif sur ma ville. En quinze ans, le foncier a augmenté de 1 200 % la charge foncière dans un bilan de promotion immobilière. C’est la réalité.

Si nous voulons nous attaquer au prix du neuf et rendre le logement moins cher, nous pouvons jouer sur une maîtrise foncière, notamment d’ouverture à l’urbanisation, et négocier avec le propriétaire un partage de la valeur, qui serait possible pour répondre à l’intérêt général.

Mme Danielle Dubrac. Il faut encourager les nouvelles formes d’habitat. Je pense notamment aux résidences intergénérationnelles comme les Maisons de Marianne, pour lutter contre l’isolement, ou à l’habitat participatif. Ces innovations sont importantes pour le « bien vivre ensemble ». Nous croyons beaucoup à ces formes d’habitat qui manquent aujourd’hui.

Une terre vide est aménagée, puis un transport est créé, parfois au pied du logement, qui prendra de la valeur par la suite. Pendant ce temps, des impôts auront été payés. En cas de revente, la plus-value est taxée. Par ailleurs, les établissements publics fonciers régulent le prix du foncier. Je comprends l’inquiétude sur ce point.

S’agissant de la rénovation, il faut aider les plus modestes et financer le reste à charge. La difficulté est qu’au lieu d’imaginer que l’habitat collectif est un acteur économique, on a fait des règles pour l’habitat individuel à travers le DPE et les obligations qui en découlent. Pour les copropriétés, il existe d’autres règles avec un autre calendrier et ces règles se percutent.

L’Unis et la FNAIM ont émis un certain nombre de propositions sur la priorité du DPE bâtiment par rapport au DPE individuel, car il est important que les travaux se réalisent. Nous ne sommes pas spécifiquement favorables à une obligation de travaux, sauf au moment de la vente. L’obligation de travaux signifie de trouver des financements pour tout et d’élargir encore « l’assiette ». Nous sommes en revanche favorables à l’incitation. Nous appelons de nos vœux la Banque de rénovation en insistant sur la solidarité. Tout a été fait pour désolidariser l’habitat collectif. La notion de propriété de partie privative n’a pas été reliée à la notion de propriété de partie commune.

Par conséquent, il faut relancer la solidarité et prioriser les travaux de rénovation collectifs. Le DPE bâtiment doit être supérieur aux DPE individuel. Le vote doit être rendu possible, tout comme les commandes groupées. La Banque de rénovation serait très importante pour trouver des prêts collectifs à cet habitat collectif et non pas à l’individu pris séparément dans cet habitat collectif. C’est une des solutions pour pouvoir réaliser ces travaux.

M. Guillaume Vuilletet (RE). Quand on ne fait pas les travaux énergétiques, on fait payer aux locataires une dépense énergétique supérieure. Il faut forcément trouver un équilibre sur ce point.

La réalité est un peu moins favorable que de dire : « quand on ouvre à l’urbanisme, on a une route qui arrive à la hauteur de la possibilité de construire ». La plupart du temps, quand un promoteur arrive avec son projet, le maire lui demande de le réduire de moitié.

Après les élections municipales de 2020, et suite à la crise sanitaire, des programmes sont apparus sur le thème « pas un voisin de plus ». Nous assistons aujourd’hui à une forme de réticence à la construction. La densification est forte dans de nombreuses communes. Il faut sans doute réinventer une histoire par rapport à cette situation.

Je reviens à la nécessité de logements pour la décohabitation, pour le vieillissement et pour les emplois-clés. Le discours est de coconstruire avec les élus locaux pour que le PLU soit effectivement respecté et que les besoins en logement soient objectivés. Tout l’enjeu est de faire en sorte que l’acte de construire soit ressenti de manière positive par les habitants.

Le logement doit correspondre à la réalité d’une situation à un instant T. Vous avez cité le télétravail. On pourrait citer les jeunes actifs qui devront de plus en plus changer de travail, et donc de logement, avant de pouvoir se stabiliser. Si l’on ne peut pas changer de logement, on doit renoncer au travail. Comment accompagner ce besoin de mobilité, qui n’est pas très simple à gérer, avec un besoin de revenus assurés pour une personne qui investit oui pour un propriétaire occupant qui va devoir changer de logement tous les trois ans ?

M. Loïc Cantin. Je reviens sur le cas du maire qui réduirait les possibilités de construction. L’urbanisme est un urbanisme réglementaire. Or les tendances et les pratiques ont fait en sorte que l’urbanisme devienne un urbanisme négocié. Ce ne sont pas les acteurs de la promotion qui n’ont pas envie de construire ou de densifier plus. On les empêche de le faire. Finalement, l’urbanisme réglementaire permet des droits à construire, mais l’instruction doit se faire. La véritable problématique est que le promoteur, face à une telle situation, pourrait très bien faire un recours devant le Tribunal administratif, notamment à l’encontre de la Ville, pour excès de pouvoir. En agissant ainsi, le promoteur peut « prendre sa valise et retourner travailler ailleurs ». Il faut un juge de paix sur le respect des droits et notamment du pétitionnaire, pour lui permettre de réaliser un objectif de construction qui soit conforme à la norme. Ses droits à construire ne doivent pas être bafoués par une vision politique ou protectrice.

Je suis un peu brutal, mais c’est la réalité. La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) a réformé le droit de l’urbanisme sur les recours, entre autres. Aujourd’hui, être maire-bâtisseur, c’est s’exposer à une sanction, alors que nous, nous avons besoin de logements. C’est un vrai sujet.

Mme Danielle Dubrac. Je ne fais pas de politique, mais le permis de construire est-il au bon échelon ? On comprend les difficultés que vous rencontrez. Des documents d’urbanisme existent, ils demandent du temps à être rédigés, à être partagés et à être validés. Or ils ne sont pas exécutés. La situation est compliquée, tout de même.

M. Mickaël Cosson (Dem), rapporteur. Hormis les grandes villes qui disposent d’un service instructeur, les permis de construire sont instruits par les services de l’État et depuis 2015 par les EPCI. Les documents d’urbanisme imposent des hauteurs maximales et des règles par rapport au tiers en matière de distance. Ne faut-il pas fixer des hauteurs minimales ?

L’audition s’achève à dix-huit heures quarante-cinq.


Membres présents ou excusés

Mission d’information de la conférence des présidents sur l’accès des Français à un logement digne et la réalisation d’un parcours résidentiel durable