Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de Mme Nathalie Casso-Vicarini, fondatrice et déléguée générale de l’association Ensemble pour la Petite Enfance et membre de la Commission dite des « 1 000 premiers jours » 2
Mercredi 31 janvier 2024
Séance de 16 heures
Compte rendu n° 5
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
M. Thibault Bazin,
président
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La séance est ouverte à 16 heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Nathalie Casso-Vicarini, fondatrice et déléguée générale de l’association Ensemble pour la Petite Enfance et membre de la Commission dite des « 1 000 premiers jours ».
M. le président Thibault Bazin. Mes chers collègues, nous recevons Mme Nathalie Casso-Vicarini, fondatrice et déléguée générale de l’association Ensemble pour la Petite Enfance et membre de la commission dite des « 1 000 premiers jours », présidée par Boris Cyrulnik. Éducatrice de jeunes enfants, juriste, universitaire, Mme Nathalie Casso-Vicarini dispose d’une expérience dans les enseignements, qui l’a notamment conduite à accompagner les pratiques des professionnels de la petite enfance dans plusieurs pays.
Elle a récemment co-signé avec Boris Cyrulnik, Isabelle Filliozat et Antoine Guedeney, l’ouvrage Là où tout commence, inspiré du documentaire « Les 1 000 premiers jours », qui a connu un fort retentissement lors de sa diffusion sur France Télévisions à l’automne 2021.
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse, retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main et à dire : « Je le jure ».
(Mme Nathalie Casso-Vicarini prête serment).
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Je souhaite également exprimer ma reconnaissance au président de la commission des « 1 000 premiers » jours, le professeur Boris Cyrulnik, mais aussi aux chercheurs, aux professionnels, aux cliniciens, à tous les professionnels de la petite enfance et aux rapporteurs de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dont le rapport a été fondateur.
Mon expérience professionnelle m’a conduite à travailler en France, mais également en Australie, au Québec, en Inde et dans les pays de l’Europe du Nord depuis trente ans. La petite enfance et l’éducation en général méritent une très grande attention et devraient toujours être traitées de façon interministérielle. C’est d’ailleurs le cas dans de nombreux de pays, en particulier les pays du Nord. Ce parcours de l’enfance en continu est extrêmement intéressant lorsqu’il est travaillé dans une forme de continuité éducative.
Ensuite, une multitude d’études démontrent depuis les années 80 que les mille premiers jours constituent une fenêtre d’opportunité unique dans la vie de tout individu. C’est à ce moment-là que l’impact environnemental est le plus puissant : si tout n’est pas prédéterminé – le professeur Cyrulnik a longuement développé la notion de résilience –, ce qui se passe dans l’environnement quotidien d’un enfant va laisser des traces. Ces mille premiers jours constituent selon lui une base, comme le socle d’une maison. Ensuite, l’attachement et la relation de qualité entre l’enfant et son environnement vont permettre de bâtir la maison et de poser les briques qui permettront au développement de se réaliser dans les meilleures conditions.
Si tout n’est pas joué, tout est important dans ces mille premiers jours, parce que le cerveau est à ce moment-là d’une extrême malléabilité ; l’enfant absorbe tout ce qui se passe autour de lui. Nous avons besoin des enfants pour construire la société de demain, pour trouver des solutions dans un monde qui ne va pas très bien.
Simultanément, le bébé est l’être le plus vulnérable qui existe. Il naît très immature et il est donc totalement dépendant de son environnement quotidien, et tout particulièrement de ses donneurs de soins, les personnes qui vont s’attacher à lui, qui vont lui procurer du bien-être. Les professionnels de la petite enfance ont ainsi énormément d’importance. C’est une profession à très haute valeur ajoutée sociale qui est peut-être la plus importante dans notre société.
Le professeur James Heckman, spécialiste de l’économie du développement humain, et qui a remporté le Prix Nobel d’économie en 2000, a ainsi élaboré « l’équation d’Heckman », régulièrement mise à jour. Elle nous précise tout l’intérêt d’investir massivement dans les trois premières années de la vie : un euro investi pour cette tranche d’âge évite ensuite de dépenser 13 euros dans la réparation des dégâts futurs. Investissons dans la prévention précoce.
Enfin, je pense que la commission que vous avez installée peut changer la donne et nous faire comprendre que nos discours ne peuvent plus continuer à se focaliser sur la quantité des places, mais qu’il faut surtout aborder les questions de qualité. La focalisation des parents sur la place de crèche à trouver les empêche parfois de penser au-delà.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements. Les établissements d’accueil de jeunes enfants ont été conçus comme une solution de mode de garde pour des parents qui souhaitaient avoir une activité professionnelle. Ce contexte est en train d’évoluer. Des solutions de garde les plus bénéfiques au développement et au bien-être de l’enfant sont recherchées.
Ma première question porte sur la différenciation entre la première et la deuxième année de l’enfant. Quelles sont vos recommandations pour les conditions de prise en charge de ces enfants, en particulier avant un an ?
Ensuite, comment jugez-vous la formation actuelle des professionnels de la petite enfance et comment celle-ci devrait-elle évoluer, dans l’intérêt des enfants ? Pouvez-vous évoquer le concept de financement universel pour tous les modes d’accueil ? Enfin, pouvez-vous également nous détailler les contours de l’instance nationale que vous appelez de vos vœux ?
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il est utile que 85 % des femmes travaillent. Les enfants doivent trouver une place de choix en relais de la fonction parentale. En effet, l’histoire des crèches était fondée sur une version très hygiéniste, dont nous nous sommes un peu affranchis ces dernières dizaines d’années, ce qui nous permet aujourd’hui de penser en termes de qualité.
Entre la première et la deuxième année de l’enfant, le développement du cerveau est exponentiel. À chaque seconde, à peu près mille nouvelles connexions neuronales s’établissent dans le cerveau d’un bébé. Les cinq sens sont la voie d’entrée des connaissances : un bébé a besoin de toucher, de sentir, d’écouter, de voir, d’être porté à tout moment. Lors de la première année, la qualité de l’attachement va lui permettre d’aller explorer son environnement. Cet attachement s’opère quand le donneur de soins ou la seconde figure d’attachement, le professionnel de la petite enfance dans la journée de l’enfant à la crèche, est attentif, disponible, et apporte une réponse inconditionnelle et immédiate aux besoins de tous les bébés dont il a la responsabilité.
Aujourd’hui, les conditions ne sont certainement pas réunies pour répondre aux besoins de ces bébés particulièrement vulnérables et immatures. Mon expérience dans les différents pays m’a conduite à observer de nombreuses carences affectives chez les bébés et des professionnels qui ne sont pas outillés pour comprendre les pleurs de ces bébés. L’alliance avec les parents est rarement installée et ces professionnels reconnaissent manquer souvent de connaissances sur le développement du jeune enfant. J’ai également observé de nombreux attachements désorganisés, « évitants » : les bébés qui ne reçoivent pas l’attention nécessaire et individuelle chaque jour de la part des professionnels qui les accompagnent auront des difficultés à explorer leur environnement, à faire des essais et erreurs, à expérimenter, à bâtir des connaissances, des compétences nécessaires pour les apprentissages.
En conséquence, entre la première et la deuxième année, ce stade de l’attachement sécure est fondamental. C’est le « socle de la maison », qui implique du temps, des connaissances et de la disponibilité individuelle. Ces éléments sont bien relevés par les comparaisons internationales, notamment les études de l’OCDE, qui mettent l’accent sur les ratios et toutes les conditions qui permettent à nos enfants de bien se développer. Un enfant qui se développe bien va nourrir son libre arbitre et devenir habile dans toutes ses dimensions cognitives, sensorielles, motrices, langagières, sociales ; il sera un citoyen actif de la société de demain.
Vous m’avez également interrogée sur la formation professionnelle. La formation initiale, pourtant très importante, est sujette à des manques très importants, selon les professionnels eux-mêmes. Cette formation initiale est notamment liée à une condition particulière, la mise à jour automatique des connaissances des formateurs, notamment dans le domaine des neurosciences qui étudient le développement de l’enfant. Les professionnels qui arrivent sur le terrain ont parfois des connaissances obsolètes. Or, en France, les bébés arrivent à dix semaines en crèche, c’est-à-dire très jeunes, et il faut être très outillé pour pouvoir les accompagner.
La formation continue intervient ensuite, mais vous savez que, dans tous les métiers, les résistances au changement constituent un frein à la connaissance et aux pratiques adaptées. Notre association a mis en place avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) la première approche d’amélioration continue des pratiques. Cette approche désormais validée en France est issue d’une longue recherche de trente ans au Québec, qui permet véritablement aux professionnels de la petite enfance de mettre à jour leurs connaissances dans toutes les dimensions du développement de l’enfant, à partir du projet d’établissement.
La question du financement universel a été également été évoquée. Un enfant sur cinq vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Certaines familles multiplient les facteurs de risque. Il s’agit des familles vulnérables, des familles allophones et des familles issues de l’immigration. Des difficultés peuvent également s’ajouter en cas de handicap chez l’enfant ou dans la famille, laquelle peut également éprouver des difficultés à tisser un lien de confiance avec l’institution, pourtant fondamental.
S’agissant du mode de financement, les crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip) proposent finalement très peu d’accès pour les familles vulnérables. Des essais de tiers payant ont également eu lieu. Des inégalités territoriales demeurent dans la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), notamment dans l’Ouest. D’autres freins importants ont également été évoqués par les inspecteurs de l’Igas sur le financement de la prestation de service unique (PSU) et ses dérives.
Il faut certainement mettre en place un mode universel qui permettrait l’accessibilité pour tous, quelles que soient les situations des familles, aux modes d’accueil. Mais cela ne suffit pas en soi : il faut penser le chemin pour parvenir à l’accueil formel, chemin qui est le fruit d’une relation de confiance avec les parents.
Enfin, l’une de nos propositions majeures porte effectivement sur une instance nationale interministérielle et un ministère commun – qui existe déjà dans certains pays – qui permet cette fluidité de passage de la maison à l’accueil formel préscolaire. Nous préconisons ainsi des outils de transition éducatifs très utiles, notamment dans la sécurisation affective des enfants. Nous formulons le vœu d’un ministère délégué pour l’enfance et d’un secrétariat d’État interministériel pour s’occuper de l’enfance et de sa protection.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Pouvez-vous évoquer la question des ratios d’encadrement et nous détailler la notion de parcours pour l’enfant ?
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Le premier déterminant de la qualité de la prise en charge est effectivement le ratio professionnels/enfants Les comparaisons internationales font état en moyenne des ratios d’encadrement suivants : trois enfants qui ne marchent pas et quatre enfants qui marchent pour un professionnel, dans la majorité des pays de l’OCDE. Au regard de la littérature scientifique internationale, la commission préconise un professionnel pour cinq enfants en moyenne dans une structure d’accueil collectif. Une première étape a été franchie avec l’évolution des normes, soit un professionnel pour six enfants en moyenne, ce qui constitue déjà une première étape.
La taille des structures, l’environnement quotidien, intérieur et extérieur de la crèche, ont également une très grande importance sur la santé globale de l’enfant. En conséquence, il faut du temps individuel, de la disponibilité auprès de chaque enfant pour l’accompagner dans ses potentialités et ses « bourgeons » de compétences.
Le professeur Boris Cyrulnik le dit bien : pour sécuriser l’enfant, il faut sécuriser ses parents et son environnement. Le parcours de l’enfant démarre très tôt, in utero. L’entretien prénatal précoce, autour de quatre mois de grossesse, est obligatoire, mais selon les sages-femmes, le nombre de parents qui s’y rendent n’a pas augmenté. Or il s’agit pourtant d’un moment crucial à un moment où la grossesse devient concrète, où les parents se posent de nombreuses questions légitimes, où l’on peut identifier des facteurs de risque et agir au plus tôt dans la vie des familles, pour donner le maximum de chances à cet enfant de naître dans les meilleures conditions.
Ensuite, nous avons lancé une expérimentation à l’échelle de trente-cinq maisons des 1 000 premiers jours, autour de groupes d’une dizaine de parents avec leurs enfants. Ces parents sont accompagnés par un professionnel très bien formé au développement de l’enfant, qui sera ce tiers de confiance de référence jusqu’à la fin des mille premiers jours et qui va les accompagner. Ce dispositif permet de réduire de 94 % l’isolement des familles, la dépression pré-partum et post-partum, mais également d’orienter les familles vers l’accueil formel de l’enfant, et surtout celles qui en ont le plus besoin, dans un parcours de confiance.
Mme Virginie Lanlo (RE). Je vous remercie pour vos travaux au sein de la commission des 1 000 premiers jours de l’enfant, qui nous offrent des pistes de réflexion très enrichissantes sur les besoins des très jeunes enfants et l’amélioration de leur prise en charge au sein des crèches. Dans la continuité de cette commission, un certain nombre de changements ont été initiés ou programmés, dont des contrôles plus fréquents des crèches, absolument nécessaires, et la création d’un référentiel des bonnes pratiques. Les professionnels de la petite enfance attendent évidemment une revalorisation des rémunérations, facteur important pour favoriser l’attractivité des métiers de la petite enfance, notamment pour créer 200 000 nouvelles places en crèche d’ici 2030.
Je demeure cependant très consciente des efforts à fournir pour nos crèches et nos enfants. Je souhaiterais avoir votre avis de spécialiste sur les répercussions sur l’enfant et son développement d’une prise en charge dans une crèche qui souffre de dysfonctionnements. Je tiens également à souligner l’importance des crèches dans l’accompagnement vers la scolarité des très jeunes ; vous parlez à ce titre de « continuité éducative ». Quelles sont vos propositions pour améliorer et fluidifier ce passage de la crèche à l’école maternelle, moment charnière dans la scolarité des tout-petits ?
En tant qu’ancienne première adjointe à l’éducation à Meudon, je suis évidemment très attachée aux questions relatives à ce sujet et au rôle des collectivités locales dans ce domaine. Quel rôle les communes peuvent-elles avoir dans l’amélioration de la prise en charge des enfants, pour garantir un accueil qualitatif, mais également dans l’aménagement des espaces ?
Enfin, je souhaite mettre en lumière le rôle de la protection maternelle et infantile (PMI), qui assure la protection sanitaire de la mère et de l’enfant, mais aussi un suivi très important. Ces PMI exercent souvent un contrôle sur les structures de crèche, tant sur le bâti que sur leur fonctionnement. Ces contrôles sont-ils suffisamment efficaces selon vous ? Faut-il plutôt laisser la compétence du bâti et du contrôle du bâti aux collectivités locales et territoriales, afin de recentrer le rôle des PMI vers l’accompagnement des structures dans leur fonctionnement ?
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Je préfère parler d’accueil que de garde des enfants, tant il est vrai que les compétences sont essentielles dans ce domaine. Le cadre général est fixé par un référentiel en dix points réalisé par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), auquel il faudra probablement adjoindre les indicateurs clés de l’OCDE, afin de le solidifier et d’accompagner l’ensemble des structures, quelle que soit leur spécificité.
S’agissant de la rémunération, pourquoi ne pas étendre le Ségur de la santé aux professionnels de la petite enfance, qui en ont bien besoin, surtout dans les zones très tendues des grandes villes, où il est difficile de se loger ? De fait, les métiers de la petite enfance, métiers de vocation, sont très peu rémunérateurs aujourd’hui.
Vous m’avez également interrogée sur la continuité éducative et le rôle des communes. « Accompagne-moi » est un projet expérimenté par notre association Ensemble pour l’Education de la Petite Enfance, qui permet d’accompagner les professionnels dans leur quotidien en mode projet et de fluidifier les passages de la maison à la crèche ou chez l’assistante maternelle jusqu’à l’école maternelle. Un pilote « Pilou et Filou », validé par l’Inserm après trente ans de travail conjoint avec d’autres pays est en cours.
Vous avez également mentionné l’aménagement de l’espace. Dans les pays du nord de l’Europe et au Québec, l’extérieur est la norme, jusqu’à moins vingt-sept degrés, facteur vent y compris au Québec. J’ajoute que pratiquement un tiers des professionnels de la petite enfance en Norvège sont des hommes. L’accueil en extérieur permet également une prise de risque plus favorable au développement et une amélioration de la santé globale.
S’agissant de la PMI, vous connaissez naturellement le rapport Peyron. Elle souffre d’un manque évident de moyens, qui a entraîné des fermetures, fragilisant le maillage territorial. Si cette compétence n’est pas assumée pleinement dans de bonnes conditions par les PMI, il faudra que les communes et/ou les financeurs s’attachent à l’accompagnement des structures.
Le terme de « contrôle » me semble complexe. Dans les pays que je vous ai cités, il est plutôt question de « soutien » et « d’accompagnement ». Lorsque j’étais directrice de crèche, lors des contrôles, le médecin de la PMI examinait les ratios d’encadrement, les portions congelées dans la cuisine, mais ce « contrôle » ne portait pas sur la « qualité ». La qualité concerne en réalité la relation et la connaissance fine de chaque enfant, dans chaque établissement. Mais je suis naturellement favorable à ce que la PMI bénéficie de plus de moyens.
M. le président Thibault Bazin. Je vous avoue que cet accueil à l’extérieur dans les pays où il fait très froid peut apparaître surprenant, de prime abord.
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Tout est question d’équipement, et les bébés dorment dehors très emmitouflés. Dans ces pays, les populations sont habituées à vivre avec le froid.
Mme Virginie Lanlo (RE). Je pense que les collectivités peuvent jouer aussi un rôle primordial dans le parcours éducatif.
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Le maire est responsable des enfants de sa commune et la compétence « petite enfance » est absolument nécessaire pour les communes.
Ensuite, la continuité éducative est extrêmement liée à la qualité, mais aussi à l’interdisciplinarité. À Saint-Malo, nous avons placé tous les professionnels de l’enfance autour de la table pour travailler ensemble sur un référentiel qualité, afin de fluidifier les passages, par exemple de la maison à la structure collective ou l’assistante maternelle, moment où les inégalités s’accumulent si les ruptures sont importantes. Il importe donc que les professionnels travaillent ensemble, à partir de leur projet d’établissement, avec leurs spécificités territoriales.
Ensuite, les parents doivent être absolument impliqués. Nous gagnerons la bataille en France quand nous aurons su mettre en place une alliance parents-professionnels, au-delà des conseils de crèches. Le préalable consiste ainsi à bâtir une culture commune de l’intérêt de l’enfant et du développement, mais également un espace de dialogue.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Vous avez insisté sur l’importance des mille premiers jours. Estimez-vous que le versement d’un salaire parental pendant un an, qui rejoint la neuvième recommandation de l’Igas, constituerait une avancée ? Ensuite, pouvez-vous évoquer les facteurs de risque que vous avez mentionnés lors de votre exposé ?
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Le groupe que j’ai coordonné dans le cadre de notre rapport a travaillé sur cette question des congés, du temps et de la disponibilité nécessaires pour tisser du lien d’attachement avec son bébé. Les comparaisons internationales démontrent que six mois sont nécessaires, au-delà de l’allaitement – pour les femmes qui le désirent – pour comprendre les besoins particuliers de chacun des bébés. Nous préconisons aussi l’augmentation du congé paternel de onze à vingt-huit jours, pour pouvoir tisser des liens avec les bébés, mais aussi gommer les différences entre les femmes et les hommes.
Il faut donc distinguer le congé de naissance du congé parental. J’ai compris des propos du Président de la République qu’un congé parental de six mois pourrait être créé d’ici 2027 pour les deux parents, rémunéré à 50 %. Dans notre rapport, nous avions préconisé un temps paternel allongé, qui n’a pas été étendu à certaines professions, notamment les professions libérales. Des écarts très importants subsistent, qu’il serait bon de combler.
Certains pays sont très avancés dans le versement du salaire parental (entre 75 % et 80 % jusqu’au premier anniversaire de l’enfant), particulièrement les pays du Nord ou le Québec. Le taux de 50 % risquerait peut-être de créer davantage d’écart entre les plus riches et les moins riches : dans un contexte d’inflation tel que nous le vivons actuellement, seuls les parents les plus aisés pourraient se passer de la moitié de leur salaire. Quoi qu’il en soit, la littérature scientifique indique que tous les parents, dans le monde entier, ont besoin de temps et de disponibilité pour tisser de la relation avec leur bébé et pour devenir des parents responsables et concernés.
Ensuite, vous m’avez interrogé sur les facteurs de risque. Les travaux des professeurs Nicole et Antoine Guedeney, qui reprennent eux-mêmes ceux de John Bowlby, sont extrêmement éclairants de ce point de vue. Pour pouvoir se développer, un enfant a d’abord besoin d’être attaché, de se retrouver dans le regard de l’autre. Un bébé dépense 80 % de son énergie à entrer en relation avec l’autre. Tel est le premier socle de son développement. Il a donc besoin de personnes de référence, idéalement ses parents.
Lorsque le bébé est confié, on parle alors d’attachement secondaire, avec une personne de référence. Si le parent est en confiance avec cette figure d’attachement secondaire, le bébé sera en confiance. De même, il a besoin de retrouver cette sécurité affective auprès du professionnel qu’il connaît le mieux dans la structure. Je pourrais d’ailleurs vous citer les références scientifiques sur des études qui ont été menées aux États-Unis à ce sujet.
Le risque identifié est celui d’un attachement désorganisé : si le bébé n’est pas en sécurité affective avec sa figure d’attachement secondaire à la crèche, il n’explorera pas son environnement et n’utilisera pas ses cinq sens, qui constituent pourtant la voie d’entrée des connaissances. Un professionnel avisé repère immédiatement ces attachements désorganisés et évitants lorsqu’il entre dans une crèche, ces bébés silencieux. Nous devons former les moins expérimentés à discerner ces signes.
M. le président Thibault Bazin. Les exemples que vous avez cités nous parlent : la semaine dernière, les membres de l’Igas nous ont mentionné les mêmes signaux.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Le rapport de la commission dite des 1 000 premiers jours a été publié il y a environ trois ans et demi. Je souhaiterais à ce titre que vous puissiez comparer la situation de l’époque et la situation actuelle, notamment concernant la question des dysfonctionnements dans le privé.
Il nous semble ainsi particulièrement nécessaire de bâtir un véritable service public de la petite enfance. En effet, il existe un enjeu de lutte contre les inégalités, qu’il s’agisse des inégalités sociales, des inégalités de classe, mais aussi des inégalités concernant la toute petite enfance. Un enfant dans une famille peut ne pas recevoir la même affection, la même attention, qu’un autre enfant, dans une autre famille. Les professionnels doivent aussi intervenir sur ces enjeux. Êtes-vous favorable à un tel service public national de la petite enfance ?
Je souhaite également revenir sur la question de la formation, aux origines des maltraitances. Les rapporteurs Peyron et Santiago soulignent ainsi que moins de 40 % des professionnels de crèche sont diplômés. Quelles seraient aujourd’hui vos préconisations en matière de formation professionnelle ? Par exemple, faut-il absolument renoncer à la formation à distance, la formation électronique ? Comment écarter les personnes maltraitantes et les comportements non voulus de maltraitance ?
Vous avez également évoqué les problématiques de rémunération, qui constituent un frein évident à l’attractivité de ces métiers. Ici aussi, quelles sont vos préconisations, à la lumière de ce qui se pratique dans d’autres pays ? Par exemple, quel serait un salaire digne pour des professionnels de la petite enfance ? Le logement doit-il aller de pair avec l’emploi ?
Ensuite, comment construit-on une carrière ? Quelles sont les perspectives d’évolution, toujours dans une optique comparative ? Quelles sont vos recommandations ?
Enfin, je souhaite revenir sur le congé parental. Le rapport de votre commission souligne qu’en Norvège, le recours à la crèche intervient dans 73 % des cas, contre seulement 50 % en France, en 2020. L’idée évoquée par le Président Macron d’un congé de naissance ne semble pas correspondre à vos préconisations, qui portaient sur un minimum de 75 % du revenu perçu.
Vous soulignez que les parents ont besoin de temps. Or des parents qui prennent un congé parental peuvent placer leurs enfants en crèche, ce qui leur laisse du temps libre pour être ensuite plus disponibles pour l’enfant. Je vous pose ces questions à dessein, car j’ai le sentiment qu’en trois ans et demi, la situation n’a guère progressé. Le rapport de l’Igas et les ouvrages des journalistes que nous allons recevoir lors de notre prochaine audition témoignent d’une situation d’urgence. Très franchement, estimez-vous que nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie ou au contraire que les pistes actuellement proposées au niveau gouvernemental sont loin de répondre à l’urgence qui est pointée maintenant depuis plusieurs années ?
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Les inégalités débutent dès les mille premiers jours, et même avant. Lorsqu’une famille décide d’avoir un enfant, des risques majeurs peuvent déjà impacter la vie et le parcours de cet enfant. Pour ma part, je suis extrêmement favorable à un service public de la petite enfance et surtout à un monitoring de la qualité, à partir d’une instance indépendante dont le financement soit le plus traçable et le plus neutre possible.
Sur la question de la formation, la députée Michèle Peyron évoque le chiffre de 40 % de diplômés. Parmi ces 40 %, 90 % quittent l’école en troisième et doivent apprendre le développement de l’enfant en un an, dans le cadre de la formation pour obtenir le certificat d’aptitude professionnelle (CAP) Petite enfance. Dès lors, je me demande si ces professionnels ne sont pas mis en danger, puisqu’ils ne sont pas suffisamment outillés. Comment, en un an, est-il possible de comprendre la complexité du développement d’un bébé ? Ce métier est extrêmement difficile. J’étais directrice de crèche et quand je m’occupais de plusieurs bébés, simultanément : j’en avais un dans le dos, un sur le ventre, j’en balançais un avec mon pied, et je parlais à un autre.
En Allemagne, aux Pays-Bas, mais aussi au Québec ou en Australie, trois ans de formation sont nécessaires, en présentiel, pas à distance. Il s’agit d’un métier de la relation, un métier de qualité relationnelle, de soft skills. Peut-on apprendre à dialoguer avec une équipe, à créer une alliance avec des parents, à entendre les besoins d’un bébé, à essayer d’identifier le besoin derrière le pleur de Thomas ou d’Alice en si peu de temps, à distance ? Je n’y crois pas.
La formation professionnelle de la petite enfance doit se réaliser au travers de stages dans différents milieux, sur l’ensemble du maillage territorial, autour d’un enfant et des services aux familles nécessaires. Nous avons besoin de 10 000 professionnels supplémentaires. Les régions doivent se mobiliser urgemment, pour ouvrir davantage de classes de professionnels et compléter la formation des professionnels diplômés. L’interdisciplinarité est extrêmement importante : il faut des intelligences multiples pour comprendre et accompagner les enfants. De même, la formation tout au long de la vie est bien entendu nécessaire.
Je propose à ce titre une approche méthodologique en plusieurs temps. Le premier temps consiste à savoir d’où nous partons, quels que soient les professionnels et la formation initiale. Quelles sont les connaissances acquises ? Un autodiagnostic est tout à fait possible, mais aussi très responsabilisant. À ce titre, nous mettons en place un « portrait des pratiques » et nous demandons aux professionnels quels sont leurs besoins et leurs défis, tout en travaillant sur leurs points forts. Par exemple, nous allons au bout de la théorie de l’attachement, pour cerner les manques de connaissances, avant de mesurer l’impact de leur acquisition, pour voir si les connaissances acquises ont été transformées dans les pratiques quotidiennes avec les enfants, avec les parents, avec les équipes. Nous appelons ce processus « l’amélioration continue des pratiques », tout au long de la vie.
De fait, ce domaine évolue tous les jours, grâce aux avancées sur l’épigénétique, l’impact environnemental et les travaux sur les neurosciences. Quasiment chaque semaine, de nouvelles recherches sont publiées, et il est dommage de ne pas les partager avec les professionnels, pour les transformer en pratiques.
Ensuite, vous avez mentionné l’attractivité. Il s’agit d’un métier de la relation, un métier de convictions. Il faut des conditions favorables, afin que les professionnels ne soient pas en difficulté, ce qui est le cas actuellement, comme en témoignent les taux élevés d’absentéisme ou de turnover. L’approche que j’ai évoquée a ainsi permis de diminuer au Québec le taux d’absentéisme de 30 %, grâce à l’amélioration continue des pratiques et au travail en mode projet.
Les conditions matérielles sont évidemment essentielles et elles passent par le salaire. Il serait à ce titre intéressant d’élargir le Ségur de la santé aux professionnels de la petite enfance. La question des logements est aussi incontournable dans les villes à flux tendus. Par ailleurs, il n’est pas possible de n’embaucher que des jeunes professionnelles – très peu d’hommes exercent ce métier. Un diplôme est évidemment très intéressant parce qu’il permet d’établir un lien entre la théorie à jour et la pratique, mais les équipes ont besoin de « sages », rien ne remplace l’expérience pour comprendre les enfants et comment mieux répondre à leurs besoins. Je crois beaucoup aux vertus du compagnonnage dans les métiers de la petite enfance. Une proposition consisterait ainsi à s’assurer qu’il y ait toujours un sage dans une équipe.
Par ailleurs, l’évolution de la carrière n’est pas évidente. Un auxiliaire peut bénéficier d’une validation des acquis de l’expérience (VAE) et devenir éducateur de jeunes enfants. De même, un éducateur de jeunes enfants peut prétendre à un poste en direction. Mais un poste de direction nécessite des compétences spécifiques, à la fois des soft skills, mais aussi des compétences en management, qui nécessitent des formations adaptées. Mais, ici encore, les salaires sont peu élevés, en comparaison des autres pays. Nous pouvons faire mieux, ces professionnels sont essentiels pour la société de demain.
Ensuite, dans notre rapport, nous avions préconisé que les congés parentaux – à distinguer des congés de naissance – s’établissent au minimum à neuf semaines et à 75 % de rémunération. De plus, se pose également la question de la qualité des structures d’accueil et de l’accompagnement des parents. Ces réflexions financières doivent être menées en amont pour mener à bien l’accompagnement des parents. L’accueil d’urgence dans les structures est intéressant, à condition qu’il soit de qualité.
L’étude Eden de l’Inserm, l’étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) et une étude américaine démontrent que la précocité de l’âge d’entrée et un nombre élevé d’heures passées à la crèche mettent nos enfants en difficulté et leur font perdre des chances dans leur développement. Nous observons ainsi des troubles du comportement chez les bébés, soit autant d’inégalités qu’il faut combattre. L’environnement stimulant et bien organisé fait partie de la qualité des structures d’accueil.
Mme Anne Bergantz (Dem). En vous écoutant, je suis préoccupée par les exigences très élevées qui pèsent sur les professionnelles et qui peuvent démotiver certaines de s’orienter vers ces carrières. Dans ma génération, le placement de son enfant en crèche était plutôt considéré de manière très favorable. Nous pensions que la sociabilisation précoce était très positive pour les enfants. Nous en sommes revenus, mais nous vivons une période de changement de mentalités, aussi bien des professionnels que des parents, qu’il faut accompagner. Aujourd’hui, un certain nombre de bébés arrivent à dix semaines dans un accueil collectif. Pensez-vous qu’un accueil collectif de qualité est tout simplement possible pour un bébé de dix semaines ? Si nous sommes revenus sur les bienfaits d’un accueil à la crèche précoce, nous savons qu’au-delà de douze mois, la sociabilisation engendre des effets extrêmement positifs sur le développement de l’enfant. Quel est l’âge moyen d’accueil dans les pays étrangers ?
Ensuite, je souhaite revenir sur la surprotection qui peut sembler à l’œuvre en France, comme en témoigne par comparaison l’exemple de l’accueil en extérieur dans les pays étrangers, y compris ceux exposés au grand froid. De même, nous mettons en place des protections « anti-pince-doigts » ou de la vaisselle en plastique, quand d’autres pays misent plus sur une forme d’apprentissage de la responsabilisation, des conséquences d’une action. Qu’en pensez-vous ? L’intervention législative conduit bien souvent à multiplier les normes. Allons-nous pour autant dans la bonne direction, propice au développement de l’enfant ?
Enfin, j’ai fait partie, il y a très longtemps, d’une halte-garderie parentale où je participais, sans diplôme, mais encadrée, à la garde des enfants. Il me semble que ce type d’expérience est particulièrement formateur pour tous les parents et permet de mieux comprendre le travail des professionnels auprès des enfants et la fatigue qu’il engendre.
Mme Nathalie Casso-Vicarini. Votre première remarque porte sur le croisement entre l’intérêt de l’enfant, sa protection et l’exigence qui pèse sur les professionnels de la petite enfance. Vous vous interrogez pour savoir si une trop grande exigence conduirait à une forme de démotivation des professionnels et vous indiquez que nous sommes actuellement sur un fil.
Mon équipe comprend des professionnels de terrain et nous dialoguons sans cesse avec la recherche. J’ai le sentiment que mettre l’accent sur les métiers, mettre en place un véritable projet d’amélioration continue des pratiques et instaurer un dialogue permanent entre le monde de la recherche et le monde des praticiens est extrêmement valorisant.
À titre d’exemple, il y a deux ans, nous sommes partis à Oslo en compagnie d’élus. À l’université d’Oslo, les universitaires nous ont expliqué qu’ils étaient liés en permanence aux professionnels de la petite enfance. Une directrice de crèche, un « kindergarten », leur avait indiqué que selon les professionnels de sa structure, les enfants éprouvaient des difficultés à trouver le sommeil. Elle sollicitait donc une étude de la part des chercheurs.
Deux étudiantes se sont ainsi rendues dans le kindergarten et ont transmis des questionnaires aux parents et aux professionnels. Ces questionnaires ont ensuite été traités et quelques semaines plus tard, les deux chercheuses sont venues présenter les résultats aux professionnels de la petite enfance. Les parents ont ensuite été invités à une deuxième réunion et tous ont réfléchi ensemble aux intérêts des enfants. Ce type de dialogue est extrêmement valorisant, car il permet de mettre en place une forme d’évaluation qui n’est pas un contrôle, mais plutôt une auto-observation de la réflexivité des pratiques.
Il me semble que cette approche d’amélioration continue des pratiques et ce dialogue avec la recherche sont extrêmement valorisants et permettent aux professionnels d’avoir des perspectives de carrière, de trouver un intérêt dans leur métier. De fait, tous les jours, ces professionnels constatent le besoin de redonner du sens à leur métier.
Ensuite, vous m’avez questionné sur l’accueil collectif. Lorsque j’étais directrice de crèche, j’aurais préféré ne pas avoir à accueillir des bébés de dix semaines. Le bébé humain est extrêmement vulnérable et dépendant ; il a besoin de sécurité affective, de ce lien d’attachement et d’une réponse immédiate et inconditionnelle de ses parents. Si tel n’est pas le cas, le bébé est en détresse. Aujourd’hui, les neurosciences nous apprennent que si l’on ne répond pas à ses besoins, le bébé apprendra le désespoir, deviendra un enfant qui manque de confiance en lui et éprouvera des difficultés à intégrer les apprentissages.
Cependant, certains parents n’ont pas le choix et doivent reprendre leur activité. En réalité, tout est question de dosage : la situation sera compliquée pour un tout petit bébé, s’il doit rester neuf heures ou dix heures d’affilée à la crèche, chaque jour. Dans les autres pays européens, l’âge moyen d’entrée à la crèche se situe entre six mois et un an, et plus d’un an dans les pays membres de l’Unesco. La situation de la France est assez singulière, marquée par une histoire hygiéniste. Les crèches ont été créées à la révolution industrielle, quand les femmes travaillaient, pour lutter contre la mortalité infantile.
Ensuite, les professionnels savent très bien que les normes sont parfois très envahissantes. Elles ne permettent pas aux enfants de développer leur plein potentiel. Par ailleurs, la socialisation n’est pas nécessaire ; un bébé est un être social déjà in utero. Il vivra certes d’autres expériences avec les autres, mais il est déjà un être social et empathique par nature.
Vous avez parlé de risque de surprotection vis-à-vis du monde et de l’extérieur. Il est essentiel de savoir que l’évolution en extérieur offre de multiples possibilités de développement chez un bébé. Je le redis : les cinq sens constituent la voie d’entrée des connaissances. Grâce au toucher de l’herbe humide le matin dans le jardin, tous les capteurs sensoriels permettent au cerveau d’engrammer des informations, de créer des connexions neuronales, qui, grâce à la répétition, vont développer des compétences qui ne s’apprennent pas sur un écran. Une pomme a une saveur, une couleur, un poids, une densité. Un bébé apprend la gravité en laissant tomber les objets.
Les expériences sont beaucoup plus riches lorsqu’elles interviennent dans la nature plutôt qu’entre quatre murs, avec des jouets en plastique. Idéalement, je souhaiterais que les crèches disposent d’autant d’espaces extérieurs que d’espaces intérieurs. Toutes les recherches nous démontrent que, pour la santé globale, il vaut mieux évoluer à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur. En Norvège, une expérience a par exemple été menée avec un petit garçon de deux ans muni d’une hache, qui évoluait dans la forêt en dehors de la crèche, sans délimitation de l’espace extérieur. Il n’y avait pas de barrières, les arbres étaient simplement peints en bleu et cela était suffisant pour les enfants, qui avaient appris que cet espace ne devrait pas être dépassé. Cela fait partie de la régulation émotionnelle des fonctions exécutives.
Une fois encore, pour mener à bien ces projets, il est nécessaire de partager ces informations entre parents et professionnels. En effet, si les professionnels mettent en place des conditions favorables au développement des capacités de l’enfant, mais si les parents sont simultanément inquiets, cela ne pourra pas fonctionner. Il est essentiel de partager une culture commune sur le développement de l’enfant.
Les normes sont extrêmement contraignantes en crèche et ont constitué une des raisons pour lesquelles j’ai cessé mon métier de directrice. En effet, je passais 70 % de mon temps à m’occuper de tâches administratives avec une équipe de 21 salariés, pour respecter des règles environnementales, sécuritaires, d’hygiène, de sécurité, les normes relatives au système d’analyse des risques et de maîtrise des points critiques (HACCP). Or ces règles et normes pourraient largement être élaguées, en se posant une question essentielle : quel est l’intérêt de l’enfant ? Cet aspect pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un travail conjoint intéressant avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Enfin, votre expérience en halte-garderie me semble très importante, dans la mesure où tout part de l’observation des enfants, de l’équipe, de l’environnement et de l’ensemble des impacts sur le développement.
M. le président Thibault Bazin. Au nom de mes collègues, je tiens à vous adresser mes vifs remerciements. Je salue votre humanité ; votre intervention nous permettra de nourrir nos travaux et nos questions aux futurs auditionnés. Nous auditionnerons la direction générale de la cohésion sociale, mais également les PMI. De fait, cette question des normes face à l’intérêt de l’enfant peut ainsi apparaître quasi existentielle. Elle guidera nos travaux, notamment sur les modèles. Nous nous réservons la possibilité de vous questionner à nouveau, puisque le contenu de votre audition était particulièrement dense.
La séance est levée à 17 heures 20.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 31 janvier 2024 à 16 heures
Présents. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sophia Chikirou, Mme Ingrid Dordain, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Virginie Lanlo, M. William Martinet, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago, Mme Sarah Tanzilli
Excusés. - M. Philippe Lottiaux, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes)