Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de Mme Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants, universitaire, auteure de Vivre en crèche, Remédier aux « douces violences »              2

 


Mercredi 7 février 2024

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 9

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
président

 


  1 

La séance est ouverte à 11 heures.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné Mme Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants, universitaire, auteure de Vivre en crèche, Remédier aux « douces violences ».

M. le président Thibault Bazin. Le titre de l’ouvrage de Mme Christine Schuhl, Vivre en crèche. Remédier aux douces violences, est à la croisée de nos principales préoccupations : la qualité de l’accueil et la bientraitance au sein des établissements d’accueil du jeune enfant.

Le hasard du calendrier fait, madame, que Julie Marty Pichon, dont vous avez tout récemment préfacé l’ouvrage J’ai mal à ma crèche, participera à notre table ronde cet après-midi. Au tout début de cette préface, vous écrivez que le domaine de la petite enfance est depuis longtemps l’objet de stéréotypes et de jugements selon lesquels les professionnels n’auraient qu’à aimer les enfants pour être capables de s’occuper d’eux, sans avoir besoin de connaissances. J’observe que ce constat s’applique quel que soit le mode de garde de l’enfant. Cependant, s’agissant plus précisément des crèches, toujours dans la même préface, vous qualifiez de très alarmante la situation actuelle. Ce propos ne peut que nous interpeller.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Christine Schuhl prête serment.)

Mme Christine Schuhl, éducatrice de jeunes enfants, universitaire, auteure de Vivre en crèche. Remédier aux douces violences. Je suis très touchée et honorée de pouvoir vous présenter mes travaux. Voilà plus de trente ans que j’accompagne les équipes de crèche, y compris celles des crèches familiales, ainsi que l’ensemble du secteur de la petite enfance – assistantes maternelles, animateurs en centre de loisirs –, que je fais de la formation, que je travaille auprès des professionnels sur le terrain, en accumulant beaucoup d’heures d’observation. La tâche est plus ou moins facile selon les équipes et le nombre d’enfants accueillis en collectivité, entre autres critères.

J’ai écrit Vivre en crèche il y a une vingtaine d’années. Le fait qu’il arrive aujourd’hui dans les hautes sphères et intéresse les politiques est un bel hommage, surtout pour les professionnels qui exercent ces métiers très complexes.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous sommes nous aussi ravis d’accueillir la professionnelle de la petite enfance et la chercheuse que vous êtes.

Vous avez inventé et popularisé la notion de douces violences sur les enfants. Il s’agit de pratiques qui se veulent éducatives, que nous pouvons tous connaître, mais qui ne sont pas toujours comprises par de jeunes enfants et constituent pour eux des agressions. Pouvez-vous détailler cette notion et nous donner une typologie précise des douces violences ?

Vous en dressez un tableau pessimiste, les estimant systémiques et en recrudescence. Comment sensibiliser les professionnels de la petite enfance à cette question, dans le cadre de leur formation initiale, mais aussi continue ?

Quelles conditions d’accueil des enfants, matérielles, économiques, physiques, humaines, sont nécessaires à la bientraitance au sein des crèches ? Je pense notamment aux conditions économiques, en particulier celles liées aux modalités de financement public de ces établissements.

Les neurosciences, sur lesquelles vous avez également travaillé, nous instruisent du développement du cerveau du très jeune enfant. En quoi les progrès de la science éclairent-ils d’un jour différent les besoins de l’enfant et quelles conclusions en tirez-vous quant à l’organisation de l’accueil du jeune enfant ?

Vous affirmez que l’aménagement de l’espace contribue à supprimer certaines douces violences dues à l’agressivité des enfants. En quoi l’aménagement des locaux peut-il favoriser la bientraitance ?

Mme Christine Schuhl. Voici comment j’ai été amenée à travailler sur les douces violences.

Pendant plusieurs années, j’ai fait de la formation au sein du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), ce qui m’a donné une vision très intéressante du territoire. Lors de ces formations, portant sur des thèmes récurrents du domaine de la petite enfance – l’accueil du tout-petit en collectivité, la place des parents, les activités, le respect du rythme de l’enfant –, les professionnels me parlaient toujours de telle ou telle collègue qui parlait un peu fort, qui pressait un peu les enfants, etc.

Vers 1995, je suis retournée visiter des établissements. Auparavant, j’avais travaillé dans une école Montessori pendant six ans, puis repris mes études et terminé mon cursus universitaire. En faisant de la formation, je me suis rendue dans ces lieux que je n’avais pas vus depuis une dizaine d’années. J’ai été très surprise de certains rituels – déshabiller les enfants pour les asseoir à table en body, serviette coincée sous l’assiette – et de certaines postures des adultes. En particulier, j’ai fait une sorte d’arrêt sur images en voyant la serviette sous l’assiette : on empêchait l’enfant de bouger ; c’était très difficile pour moi. J’en ai demandé la raison à une professionnelle ; très gentiment, elle m’a répondu : « En fait, je ne sais pas, on a toujours fait comme ça. » J’ai pensé que cette phrase et cette façon de procéder se retrouvaient peut-être dans d’autres pratiques, à d’autres moments.

À partir de là, j’ai fait beaucoup d’observation, pour comprendre les rythmes, les organisations, le travail avec des tout-petits en collectivité – ils y arrivent parfois dès l’âge de 10 semaines, alors que ce n’est pas un milieu naturel pour des enfants de moins de 3 ans : cela mérite réflexion.

Au départ, le concept de douces violences n’existait pas. Les formations que j’ai créées avec le CNFPT – lequel avait été tout à fait réceptif à mes remarques – portaient sur la violence institutionnelle. Mais cette notion ne correspondait pas à la situation.

Je me suis alors mise à étudier les raisons pour lesquelles, à certains moments, alors que l’on est bienveillant et tourné vers l’enfant, un point de bascule apparaît, pendant quelques secondes : le geste, la parole ne sont plus adaptés, on perd un peu patience, c’est la volonté de l’adulte qui prend le dessus – ce qui n’est pas non plus illégitime, car quand on a affaire à un groupe, il est plus confortable et facile que tout le monde fasse la même chose en même temps. Je me suis rendu compte que ces points de bascule étaient repérables. L’expression « douces violences » ne désigne pas l’acte en lui-même ou sa force, mais la manière dont le geste s’infiltre dans une pratique qui, au départ, est bien pensée en fonction de l’enfant.

À partir de là, c’est devenu vertigineux : il suffit qu’une personne soit vulnérable pour que les douces violences soient possibles ; on les rencontre donc de la crèche à la gériatrie, en passant par toutes les situations d’apprentissage, à l’école en particulier, et par l’hospitalisation. Je me suis focalisée sur la crèche parce qu’il s’agissait de mon domaine professionnel. J’ai décrypté toutes les situations de douces violences, je les ai abordées dans les formations du CNFPT. Je me suis ainsi retrouvée avec une mine d’informations, venues des personnes du terrain. J’ai considéré qu’il fallait transmettre ce trésor et je me suis mise à écrire.

J’étais loin d’imaginer que le livre allait avoir un tel effet. Comme la douce violence elle-même, il s’est infiltré dans les pratiques : du point de vue des professionnels, étant éducatrice de jeunes enfants, je faisais partie de leurs pairs, ce qui leur a permis de s’approprier mon propos. On a commencé à parler du livre, j’ai monté des formations avec le CNFPT et le concept a pris une place privilégiée au sein des formations initiales, tandis que je poursuivais mon travail sur le terrain, assurant des formations en intra, dans les collectivités, et repartant avec le savoir acquis, prête à distribuer le fruit de ces réflexions sur tout le territoire – et, aujourd’hui, jusqu’au-delà des frontières. Il est impressionnant de voir comme ce travail rencontre inévitablement un écho.

J’insiste beaucoup sur le fait qu’il ne s’agit pas de maltraitance. Celle-ci concerne une toute petite partie de la population, nous sommes nombreux à l’étudier et à la combattre. La douce violence, elle, concerne tout le monde. Je mets au défi quiconque de n’avoir jamais mouché un petit nez sans prévenir, discuté au-dessus de la tête de l’enfant, entre adultes, en parlant de lui à la troisième personne, ou senti ses fesses pour savoir s’il avait fait caca.

Ce sont des gestes de très courte durée, on les fait très vite et on se dit « bon, c’est pas grave, il est tout petit ». Pourtant, quand on énumère les situations de douces violences dans les formations, on en trouve jusqu’à quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, qui durent chacune une fraction de seconde, mais qui, répétées tous les jours, pendant trois ans, sur des enfants qui restent parfois en collectivité jusqu’à dix ou onze heures d’affilée, ne peuvent pas avoir des conséquences anodines.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Face à cette réalité, la clé est-elle la formation ? Suffira-t-elle ? N’y a-t-il pas aussi un enjeu lié au taux d’encadrement dans les crèches ? Dans cette hypothèse, même formées, même conscientes du problème, les femmes – car ce sont essentiellement des femmes – qui travaillent en crèche risquent de faire le geste qu’il ne faut pas si elles sont en permanence sous pression à cause du trop grand nombre d’enfants pris en charge.

Mme Christine Schuhl. Bien sûr, le taux d’encadrement joue énormément, mais il ne fait pas tout. La douce violence, c’est un geste, c’est ce qui est visible : je perds patience, je veux obtenir quelque chose d’un enfant qui est tout petit, donc je prends le dessus, en quelque sorte. Les conséquences, elles, sont invisibles. Le résultat, on l’a : on veut que tous les enfants soient assis à table en même temps, donc on les assoit, en poussant la chaise par derrière ; l’enfant n’a pas trop compris ce qui se passait, mais ce n’est pas un problème, puisque pour nous, adultes, ça y est, l’enfant est assis, on peut démarrer le repas. Évidemment, si on est toute seule avec huit enfants, il est compliqué de faire autrement.

Les recherches d’Alain Legendre montrent que le taux de cortisol, hormone du stress, augmente chez l’enfant lorsque le nombre d’enfants présents dépasse le seuil de quinze. Or, dans certaines collectivités, il existe des unités de vie où il y a vingt-deux bébés au sol. J’ai fait des observations dans ce cas de figure : quand ça commence à pleurer, on se demande ce qui a pris à l’adulte qui a eu l’idée de mettre autant de bébés en même temps sur un tapis. Cela vaut même si le taux d’encadrement est suffisant – d’ailleurs, s’il y a trop d’adultes, cela crée aussi du stress.

C’est la petite taille des unités qui permet de rassurer, de développer la sécurité affective, qui est vitale pour les enfants, comme pour nous tous – des adultes peuvent eux aussi être mis à mal par ces situations de groupe. C’est très endurant de travailler avec des tout-petits : leur demande est permanente ; il n’y a pas un moment où on se pose, sauf quand ils dorment – mais ils ne dorment pas toujours en même temps, d’où le développement de stratégies pour qu’ils le fassent. Et ces stratégies, à certains moments, sont légitimes : quand il faut être endurant à ce point toute la journée, on essaye de trouver des solutions pour que ça passe.

La douce violence vient à un moment qui constitue vraiment un point de bascule, où on ne sait plus comment faire. Nous travaillons cet aspect en formation, je l’aborde en conférence devant des centaines de personnes : tout le monde est sensibilisé, repart en se disant que ça le concerne, qu’il a besoin de travailler là-dessus. Mais ensuite, le quotidien revient, les exigences aussi, les tâches se multiplient. Le manque récurrent de personnel dans les collectivités est notoire, des services ferment ; les professionnels vivent un véritable épuisement. Julie Marty Pichon l’explique très bien dans son livre. En outre, ces métiers ne sont pas suffisamment valorisés. C’est le nœud du problème : les salaires sont tout petits.

M. le président Thibault Bazin. Toute personne travaillant en crèche peut-elle avoir accès aux formations ? Le public de vos formations et conférences travaille-t-il dans différents modèles de crèche, ou ne s’agit-il que d’acteurs publics ?

Certaines autorités de contrôle et de financement plaident plutôt pour l’augmentation du nombre de places dans les structures existantes, notamment publiques, afin d’améliorer la qualité grâce à des équipes pluridisciplinaires. N’est-ce pas contradictoire avec votre recommandation de plus petites structures ?

Mme Christine Schuhl. Ce n’est pas parce qu’on a suivi une formation sur le sujet et obtenu tel ou tel label qu’il n’y aura plus de situations de douces violences. Souvent, dans mes conférences, je ne conclus pas : on se passe le relais, pour rester tous attentifs et se redemander si, compte tenu des exigences du quotidien, ce n’est pas quelque chose à remettre sur la table. Nous en parlerons peut-être à propos de la charte : les outils ont besoin d’être retravaillés, présentés à nouveau plusieurs fois, pour faire naître un état d’esprit.

Mon auditoire, c’est tout le monde : secteur public, privé, parents, etc. Quant aux formations elles-mêmes, il y a autant de structures privées que de structures publiques qui les demandent ; je choisis d’aller plus ou moins dans tel ou tel secteur, mais c’est un choix qui m’appartient.

Nous multiplions les formations, les acteurs prennent note de ce qui y est fait et cela change vraiment les choses. Mais même après une conférence de trois heures, même après une journée pédagogique destinée à toutes les crèches d’un département – le matin, conférence, l’après-midi, travail de groupe très dynamique –, il faut que la démarche soit relayée sur le terrain. Or, sur le terrain, les statuts n’ont plus le même sens qu’avant. Il y a vingt ans, la direction se limitait à un travail de direction ; il s’agissait essentiellement de puéricultrices. Ensuite, les éducateurs ont revendiqué une place au niveau de la direction, ce qui est très bien ; mais, du coup, leurs tâches administratives se sont développées au détriment de leur rôle de garants sur le terrain qui faisaient la passerelle entre direction et personnel placé auprès des enfants. Du coup, le travail des auxiliaires de puériculture a glissé vers ce rôle auparavant dévolu aux éducateurs de jeunes enfants.

M. le président Thibault Bazin. Quel que soit le statut de la crèche ?

Mme Christine Schuhl. Oui.

Les non-diplômés ont pris le relais, jusqu’aux agents d’entretien, qui assurent aussi la surveillance de la sieste et peuvent donner à manger. Et comme il manque du personnel, désormais, tout le monde fait le ménage et la cuisine. C’est très bien, il n’y a pas de faux métier, mais toutes les fonctions ont glissé ; au milieu de tout ça, chacun fait comme il peut, et les douces violences surviennent comme un moyen d’accélérer le processus.

Mme Virginie Lanlo (RE). Merci d’avoir présenté vos travaux et évoqué les douces violences faites aux enfants, que l’on retrouve dans certaines de nos crèches. Je souligne que vous ne cherchez pas à faire culpabiliser.

Ces violences sont souvent dues au manque d’effectifs et de temps que le personnel peut consacrer à chaque enfant. En outre, le personnel n’est pas toujours suffisamment formé ni en mesure d’actualiser ses connaissances, ses compétences et ses pratiques. Que pensez-vous de l’instauration d’une formation continue ? Pourrait-elle être mise en œuvre au sein des crèches sous la forme d’une obligation ?

Il me semble également important d’intégrer davantage les parents au sein des crèches, par exemple grâce à des formations dispensées dans les établissements par les professionnels et à un échange pérenne avec ces derniers. Ainsi, les parents s’investiraient dans l’éveil de leurs enfants à la crèche en proposant de nouvelles idées pédagogiques et les professionnels pourraient renforcer leurs liens avec les tout-petits qu’ils accompagnent. Qu’en pensez-vous ? Quels pourraient en être les avantages sur le développement de l’enfant ? Peut-être cela permettrait-il aux parents de ne plus reproduire à la maison les violences ordinaires ou douces. Un accompagnement de ce type est déjà accessible aux familles dans le cadre de la PMI (protection maternelle et infantile). Les crèches pourraient-elles jouer ce rôle auprès des jeunes parents ?

Mme Christine Schuhl. Il est très intéressant de faire de la formation à l’intérieur des collectivités. La question est de savoir comment on organise cela matériellement.

Je fais de l’accompagnement et de l’analyse de pratiques. Dans ce cadre, je viens observer, je passe une matinée avec les équipes, qu’elles me connaissent ou non – merci infiniment d’avoir insisté sur le fait que mon rôle n’est pas de faire culpabiliser, mais de comprendre comment les choses se passent. Cette observation est suivie d’un temps de parole, qui dure une demi-heure ou trois quarts d’heure et, quand tout va bien, une heure : soit une professionnelle de chaque unité me rejoint, soit c’est une unité complète, avec les directrices, directrices adjointes et, souvent, les agentes d’entretien, lorsque ce moment a lieu pendant la sieste et qu’elles peuvent se relayer pour surveiller celle-ci. Il s’agit de réinterroger des pratiques, de poser des questions au sujet des enfants – n’étant pas psychologue, je donne mon point de vue, mais je n’interviens pas auprès des parents, ni directement auprès des enfants. À partir de ces discussions, nous élaborons des pistes. Mais il ne s’agit pas de formation à proprement parler. Le processus de formation implique de quitter le contexte dans lequel on est pour se poser des questions, recevoir et structurer des connaissances. Le faire sur place est très compliqué.

Quant à faire venir les parents, c’est bien sûr une magnifique idée, mais, dans la réalité, ce n’est pas toujours évident. Très légitimement, le parent a une vision en quelque sorte égocentrique : il s’intéresse à son enfant, à la tranche d’âge de celui-ci.

Les crèches parentales fonctionnent bien, mais elles correspondent à un type de parent, prêt à s’investir, y compris, s’il le faut, le dimanche pour refaire la peinture. C’est une philosophie : tout le monde met la main à la pâte.

Pour que votre idée devienne réalité, il faudrait beaucoup de temps, car elle ne correspond pas à la mentalité actuelle. Il faudrait déjà faire entrer les parents dans les établissements, avant de prétendre les former – même si je n’ai pas cette prétention.

Mme Virginie Lanlo (RE). À l’école, les parents se désinvestissent beaucoup. Même si cela prend du temps, ne faudrait-il pas leur faire comprendre qu’ils sont aussi acteurs de la démarche, bien qu’ils ne soient pas au côté de l’enfant pendant la journée ? En comprenant comment les choses se passent, ils pourraient s’investir dans la continuité éducative.

Mme Christine Schuhl. Je n’ai pas l’impression que les parents se désinvestissent. C’est un discours trop stéréotypé. Les lieux sont-ils pensés pour eux ? Leur laisse-t-on la place pour entrer, pour comprendre ce qui se passe à l’intérieur ? C’est la même chose à l’école : tout le monde reste sur le pas de la porte. Que peut-il se passer sur le seuil, à part quelques échanges et dire à l’enfant « voilà, tu es grand, ton doudou, tu le poses là, et maintenant tu rentres, et tu en as pour vingt ans » ?

La sécurité affective est primordiale pour tout le monde. Nous en manquons tous. Le parent aussi : on le culpabilise dès que quelque chose ne va pas ; peut-il comprendre ce qui se passe ?

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Vous vous intéressez depuis une vingtaine d’années aux violences quotidiennes infligées aux enfants, que vous avez exposées en 2011 dans votre livre Vivre en crèche – j’ai été très surprise de constater que l’alerte avait déjà été donnée il y a si longtemps.

Vous y expliquez très bien ces violences, souvent involontaires, qui commencent quand le rythme de l’adulte prend le pas sur celui de l’enfant. Il s’agit d’une rupture de contact avec l’enfant, plus précisément de la rupture de l’attention qu’on lui doit en tant qu’adulte : nous lui imposons nos attentes et c’est, par essence, une violence que nous lui infligeons ainsi. Le phénomène existe dans le cadre familial, qui n’est pas notre sujet même s’il a des incidences sur celui-ci, et dans les établissements d’accueil des jeunes enfants.

D’autres enquêtes – les livres Babyzness et Le Prix du berceau, ainsi que le rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) – ont montré que ces violences, que vous qualifiez de douces, ne sont pas anodines : les choses peuvent aller beaucoup plus loin, les violences peuvent être beaucoup plus systémiques : privation de nourriture, de change, maltraitance très grave, voire mortelle.

Vous avez écrit au Président de la République, en juillet 2022, une lettre que vous avez rendue publique et où vous mettez en cause l’existence de lieux accueillant vingt ou trente enfants de moins de 3 ans dans la même salle. Le Président de la République vous a-t-il répondu ? Si oui, quelle a été la réponse ? Sinon, comment interprétez-vous ce silence ?

En 2022, lors du congrès de la Fédération des acteurs de la solidarité, Emmanuel Macron avait reconnu que le système était à bout de souffle et que son premier quinquennat avait été un échec en matière d’ouverture de places en crèche, de formation et d’accompagnement. Il proposait un droit à la garde d’enfant, reprenant une idée du Cese (Conseil économique, social et environnemental), qui parlait d’un droit opposable. Qu’en pensez-vous ?

Après sept ans de promesses, dont la dernière était de créer 200 000 places chaque année, quel est votre point de vue sur l’inaction politique, malgré les alertes des scientifiques, des experts et la reconnaissance officielle par le Président de la République lui-même du fait que le système est à bout de souffle ? Est-ce une question d’argent ou faut-il revoir la totalité du système ?

Mme Christine Schuhl. Ce sont des questions très politiques !

Lorsque j’ai écrit au Président de la République, je l’ai fait sous le coup de la colère et parce que j’étais très inquiète pour la petite enfance. J’ai reçu une réponse que je qualifierais d’administrative, mais aucune suite n’a été donnée à mon courrier.

Il est vrai que de nombreux experts et scientifiques tirent la sonnette d’alarme. S’agissant du nombre de places, cependant, la promesse d’Emmanuel Macron relève de l’effet d’annonce et ne pourra pas être honorée. Aujourd’hui, on ferme des unités d’accueil. On peut certes construire de nouvelles crèches, mais on manquera toujours de personnel pour ouvrir des places.

La question de la formation mérite d’être posée, mais le problème de fond est celui de la faible attractivité des métiers. Les salaires sont trop bas, au regard notamment des difficultés rencontrées, et les métiers ne sont pas valorisés. Dans l’imaginaire collectif, les personnes qui travaillent avec des enfants sont forcément très gentilles mais n’ont pas nécessairement besoin d’être très intelligentes… Ayons pourtant conscience de leur engagement et de leur responsabilité vis-à-vis des enfants, et ce que cela représente pour la société de demain ! Aujourd’hui, il faudrait commencer par pallier le manque de personnel.

Je pense enfin que l’on ne peut pas associer le rapport de l’Igas avec Le Prix du berceau : les deux auteurs de cet ouvrage, qui sont journalistes, confondent en effet maltraitance et douces violences. Or je tiens à rappeler fermement que ce n’est pas la même chose : la privation de soins n’est pas une douce violence mais une maltraitance. La douce violence désigne le geste non intentionnel de l’adulte qui, tout en prenant en considération les besoins de l’enfant, dérape parce qu’il se trouve en difficulté. Ce geste ne doit pas être interprété de manière psychologique, et ne témoigne d’aucune perversité. L’adulte cherche certes à obtenir ce qu’il veut plus rapidement, mais il ne cherche pas à priver l’enfant de quoi que ce soit, à le maltraiter physiquement ou à le faire souffrir. Je tiens beaucoup à cette distinction. Dans de nombreux congrès, les douces violences sont citées comme étant une forme de maltraitance. Or la maltraitance ne concerne pas tout le monde, alors que les douces violences peuvent être commises par n’importe qui. Les actions de sensibilisation aux douces violences touchent de ce fait un public large et sont assez faciles à mettre en œuvre puisqu’elles visent à alerter sur des attitudes concrètes – un geste, une parole, un regard, un soupir, une cadence…

Mme Émilie Bonnivard (LR). Je vous remercie pour les éléments d’information très intéressants que vous avez partagés avec nous. La sécurité affective, en particulier, me paraît fondamentale, et je ne l’imagine pas possible, moi non plus, dans des structures de trente enfants.

À partir de quel âge, selon vous, la contrainte imposée à l’enfant en vue de son adaptation à la collectivité relève-t-elle de l’éducation et non plus d’une douce violence ?

Par ailleurs, le contenu des formations que vous prodiguez est-il  repris par d’autres organismes ? Avez-vous « fait des petits » ? Compte tenu des contraintes qui pèsent sur les structures d’accueil, la multiplication de telles formations permettrait, à tout le moins, que la situation n’empire pas. Avons-nous les moyens de faire en sorte qu’elles puissent être dispensées dans le plus grand nombre possible de crèches – et ce de façon répétée, pour tenir compte du turnover important du personnel dans ce secteur ?

Mme Christine Schuhl. L’éducation doit-elle passer par autant de contraintes ? Chacun est libre de sa réponse, mais c’est une question de fond. Il est vrai que le collectif impose un mode de fonctionnement qui complique un peu l’éducation de l’enfant dans le respect de son individualité. Il n’est pas difficile de respecter le rythme des tout petits bébés. C’est à partir du moment où l’enfant se met debout qu’il entre dans le collectif et doit commencer à manger et à dormir avec les autres – si bien que l’on aurait envie de lui dire de prendre son temps avant de se mettre debout !

On a tendance à vouloir rendre les enfants rapidement autonomes – et les plus autonomes possible. J’ai eu récemment un débat passionnant avec un groupe de professionnels au sujet des limites de l’autonomie. Si, pendant trois quarts d’heure, un enfant se déshabille, se lave les mains, change sa couche, mange et se couche tout seul – je caricature à peine ! –, où sont les valeurs de solidarité et d’entraide ? Ne sommes-nous pas justement auprès d’eux pour les aider ?

Pour moi, la crèche peut être un vrai lieu de vie sans contraintes, dans lequel on respecte le rythme de l’enfant, à condition que les structures soient de petite taille. En tant que formatrice, je conseille aux professionnels, au-delà de quinze ou vingt enfants dans la même pièce, de faire le plus souvent possible des petits groupes. Nous-mêmes, nous ne resterions pas dans la même pièce avec les mêmes personnes onze heures durant ! Lorsqu’un enfant est accueilli de sept heures trente à dix-huit heures – ce qui n’a rien d’exceptionnel –, deux adultes au moins se relayent auprès de lui, alors que lui est présent toute la journée. Ce ne sont pas les postures qui créent la douce violence, mais l’organisation institutionnelle.

S’agissant enfin des formations, on peut considérer que j’ai « fait des petits », comme vous dites, puisque j’ai travaillé avec l’éducation nationale ainsi qu’auprès de personnes âgées. Pour toucher les parents, il faut agir en dehors des crèches. Un projet me tient à cœur : je voudrais lancer une grande campagne nationale de sensibilisation sur le sujet des douces violences, pour favoriser une prise de conscience.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je vous remercie pour cet échange et pour vos explications limpides. Le terme « douces violences », que vous avez sans nul doute choisi avec soin, peut en effet donner lieu à un raccourci rapide et, si l’on reste à la surface de vos travaux, être associé à la maltraitance.

Dans votre ouvrage, vous évoquez l’application dans une crèche, à titre expérimental, d’une charte. Celle-ci a-t-elle été reprise dans la charte nationale d’accueil du jeune enfant, ou cette dernière est-elle différente ? Dans ce cas, avez-vous des préconisations pour la faire évoluer ?

Au sujet des formations, l’Igas préconise des évaluations entre pairs, à l’occasion de visites d’observation et d’échanges. Cette suggestion permettrait-elle, selon vous, de faire perdurer l’effet bénéfique des formations, qui finit toujours par s’estomper ?

Mme Christine Schuhl. La charte nationale d’accueil du jeune enfant s’inspire effectivement de celle que j’évoque dans mon livre et sur laquelle je travaille avec les équipes. Cette dernière porte toutefois davantage sur des postures précises : appeler l’enfant par son prénom, par exemple, ou se mettre à sa hauteur pour lui parler. Ces comportements sont faciles à mettre en œuvre et accessibles à tous, y compris à de jeunes stagiaires. Je ne parle d’ailleurs plus de charte mais d’attitudes incontournables. Toute personne entrant dans la crèche et se trouvant en présence d’enfants doit prendre connaissance de cette liste, qui compte une quinzaine de points.

La charte nationale est plus étoffée mais n’est pas nécessairement plus simple à comprendre. Elle est en effet très bien rédigée mais, les termes n’étant pas définis, elle veut tout et rien dire à la fois : la bientraitance, c’est bien, mais c’est un sujet dont on peut débattre pendant des jours ! Plus on est concret, mieux c’est.

Enfin, l’évaluation par des pairs est toujours intéressante mais impose la prudence et nécessite la plus grande sécurité affective. Pour les enfants, l’arrivée dans la crèche de trois ou quatre inconnus qui scrutent les lieux est une situation génératrice de stress. Les observations faites à ce moment-là ne correspondent pas nécessairement à la réalité et risquent de se traduire par des reproches faits au personnel.

Lorsque j’entre dans une crèche que je ne connais pas, je m’assois, je ne bouge pas, je ne dis rien et je me contente d’observer.

M. le président Thibault Bazin. Nous serons donc soucieux, lors des visites que nous envisageons de faire sur le terrain, de ne pas générer nous-même de douces violences !

M. Joël Aviragnet (SOC). Ayant été précédemment éducateur et directeur d’un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Iteb), je connais bien le terrain, les difficultés inhérentes au métier mais aussi tout l’intérêt de celui-ci. Travailler auprès d’enfants, c’est évidemment faire preuve de patience, de pédagogie et de bienveillance – laquelle est, selon vous, le préalable nécessaire à la bientraitance. Mais la bienveillance nécessite d’abord, à mon sens, la disponibilité. Dans un contexte de manque de personnel, il n’y a que les soins de base qui puissent être assurés ; il n’y a plus de place pour le reste, tout simplement.

Je ne parviens pas à concevoir comment l’on pourrait concilier l’intérêt supérieur de l’enfant avec une logique de rentabilité financière. Le fait que l’objectif premier d’une crèche privée à but lucratif soit la rentabilité a des conséquences évidentes sur l’encadrement des jeunes enfants : plus de profit, c’est moins de dépenses de personnel. Selon vous, la bientraitance est-elle compatible avec une logique de rentabilité financière ? Avez-vous constaté des écarts entre les établissements à ce point de vue selon qu’ils sont à but lucratif ou non lucratif ?

Mme Christine Schuhl. Même si j’ai mes propres convictions en la matière, mon expérience ne me permet pas de répondre à cette dernière question, qui est complexe. Pour moi, il est clair que le but ne peut être de faire de l’argent en accueillant des jeunes enfants, même si cette vision des choses existe. Avant de se poser cette question, il faut d’abord revoir la norme d’encadrement – qui est la même pour tous les établissements, publics ou privés.

M. le président Thibault Bazin. Si je vous comprends bien, les normes sont elles-mêmes génératrices de douces violences.

Mme Christine Schuhl. Bien sûr, c’est évident ! J’ai cité l’étude menée par Alain Legendre qui montre que le taux de cortisol des enfants augmente dès qu’ils sont plus de quinze dans la même pièce ; c’est un fait incontestable. Pourquoi abaisser le taux d’encadrement à un adulte pour huit à partir du moment où les enfants marchent, et non pas le maintenir à un pour cinq ? D’autant plus qu’à 2 ans et demi, les enfants bougent plus qu’à 1 an !

Il me semble essentiel de mettre un terme aux débats sur les taux d’encadrement et de trouver un consensus sur le sujet, car le manque de personnel produit inévitablement de la douce violence. On met celle-ci sur le compte des adultes, mais c’est d’abord l’environnement et le contexte qui sont en cause : comment concevoir, par exemple, que certains enfants ne sortent jamais ? Dans certaines crèches, au contraire, ils passent leur temps à l’extérieur, et cela se passe très bien !

M. le président Thibault Bazin. Même par – 27 degrés Celsius !

Mme Christine Schuhl. Oui ! Les Scandinaves disent qu’il n’y a pas de mauvais temps, seulement de mauvais vêtements. Il suffit de bien équiper les enfants !

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous nous accordons tous, au vu des travaux de notre commission, pour considérer le taux d’encadrement comme l’une des conditions de l’accueil bienveillant du jeune enfant en crèche.

Y a-t-il par ailleurs un âge minimal en deçà duquel les enfants ne devraient pas être accueillis au sein d’une structure collective ? L’accueil des enfants âgés de plus de 2 ans dans d’autres structures – des établissements scolaires par exemple, lorsque cela est possible – vous semble-t-il plus pertinent pour leur développement ? Ces deux pistes ne pourraient-elles pas constituer des solutions face au manque de places et aux pénuries de personnel ?

Quels sont selon vous les aménagements les plus favorables à la bientraitance des enfants ?

Enfin, est-il envisageable de faire évoluer les modalités de financement public, afin d’améliorer les conditions d’accueil ?

Mme Christine Schuhl. C’est à partir de l’âge de 18 mois que l’enfant se tourne vers le groupe. Il ne sert donc à rien de mettre un enfant en crèche à l’âge de 3 mois dans l’espoir de le socialiser ! Il lui faut d’abord du temps pour apprendre à faire la distinction entre lui et le monde extérieur. La socialisation ne commence que vers un an, un an et demi. Si l’on en conclut qu’il faut réserver les crèches aux enfants de cet âge, alors il faut allonger la durée du congé parental et le revaloriser, pour faire en sorte que les très jeunes enfants soient moins nombreux en collectivité. Je le redis cependant : le problème de la collectivité, c’est le nombre.

De la même façon, il peut être tentant de scolariser les enfants à partir de l’âge de 2 ans – y compris pour des raisons financières, puisque l’école n’est pas payante. Mais l’accueil des enfants de 2 ans dans l’école telle qu’elle existe aujourd’hui est impossible. Ce qu’il faudrait, ce sont de véritables classes passerelles au sein desquelles collaboreraient les enseignants et les éducateurs de jeunes enfants, dont le métier serait ainsi revalorisé. À l’âge de 3 ans, les enfants rejoindraient ensuite le cursus classique de l’école maternelle. Les expériences qui ont été menées à cet égard sont très intéressantes, d’autant plus qu’elles impliquent aussi une collaboration entre les collectivités territoriales et l’éducation nationale. J’organise quant à moi, avec le réseau Canopé, des formations couplées sur le sujet, notamment, des douces violences, destinées aux enseignants et aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem).

S’agissant des modalités de financement public, je ne saurais pas vous répondre.

En matière d’aménagement des bâtiments, enfin, je préconise de rendre obligatoire la présence d’un espace extérieur qui soit un vrai jardin : les sols souples, c’est bien, mais il faut de l’herbe, des plantes, des fleurs et de la terre ! Il me semble nécessaire également de veiller à ce que les adultes disposent d’une bonne visibilité dans la crèche et à ce que les enfants y circulent dans de bonnes conditions. En formation, il m’arrive régulièrement de faire l’expérience suivante : j’entre dans la crèche et je filme à la hauteur d’un regard d’enfant. Souvent, cela permet de constater que les enfants ne voient que des murs blancs, toutes les décorations étant placées à hauteur d’adulte ! Il est important que l’espace soit bien aménagé, car c’est l’écrin dans lequel exercent les professionnels et dans lequel les enfants prennent leur autonomie.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NUPES). Dans la lettre que vous avez adressée au Président de la République, vous écrivez que « les organisations d’accueil, qu’elles soient dédiées à la petite enfance, aux personnes âgées comme les Ehpad, aux malades comme les hôpitaux, ou aux handicapés, ne peuvent fonctionner avec les mêmes outils de gestion que les entreprises qui vendent des biens et services ». Quels sont les outils de gestion que vous estimez incompatibles avec les objectifs d’une crèche ? Quels sont ceux que les futures normes devraient exclure ?

Mme Christine Schuhl. Je ne dis pas que c’était mieux il y a vingt ans ; il faut reconnaître que les outils informatiques facilitent considérablement la gestion des structures. Mais, dans le privé sans doute davantage que dans le public, les outils de communication prennent une place beaucoup trop importante. Les équipes essayent de communiquer à tout prix sur ce qui se passe à l’intérieur de la crèche, alors qu’elles devraient se concentrer d’abord sur le quotidien des enfants. Sait-on encore s’asseoir, jouer avec un enfant et s’émerveiller ? Les normes sont importantes, car elles garantissent la sécurité. Mais il ne faut pas s’y enfermer, au risque d’oublier la part de l’humain. C’est ce qui me préoccupe le plus. N’oublions pas que nous parlons d’enfants de moins de 3 ans qui vont passer, ensuite, vingt ans à l’école. Préservons leurs trois premières années ! Tant pis si la crèche n’a pas de blog, ce n’est pas bien grave !

M. le président Thibault Bazin. Les évaluations que vous réalisez dans des crèches vous sont-elles demandées par les gestionnaires eux-mêmes ou par les autorités de contrôle ?

Lorsque vous préconisez de faire entrer les parents, suggérez-vous qu’ils puissent accéder aux salles de jeux ou aux dortoirs ? Dans ce cas, à quelles conditions ? Comment faire en sorte que leur présence ne soit pas source de douce violence pour les autres enfants ?

Mme Christine Schuhl. D’abord, on ne me sollicite jamais pour réaliser une évaluation mais pour parler des douces violences – non pas forcément parce qu’il y en a, mais parce que le sujet interpelle. Je n’ai jamais été mandatée ni par un organisme de contrôle, ni par une collectivité. Il peut arriver qu’au cours d’une conversation, un coordinateur me fasse part de dysfonctionnements, mais pour ma part je ne demande rien. J’observe en toute objectivité. Ils me donnent à voir ce qu’ils veulent bien me montrer ; souvent, il s’agit d’actes bienveillants. C’est encourageant, car cela signifie qu’ils en sont capables. Après plusieurs années d’observation, je suis en mesure de reconnaître les failles et les situations réellement compliquées.

Il est arrivé, lors d’accompagnements de plus long terme, que certains professionnels me fassent part de leur mécontentement. Peut-être remettais-je en cause leur pratique ? Quoi qu’il en soit, il n’est jamais facile de faire un contrôle dans un contexte que l’on découvre. Pour ma part, je ne souhaite pas faire partie d’une commission de contrôle ! Je suis très bien à ma place car, sans pratiquer l’évaluation ni le contrôle, je parviens à faire bouger les lignes.

Quant à l’accès des parents, il est déjà organisé dans certaines crèches, à l’occasion de temps de jeu auxquels ils peuvent participer à tour de rôle. Les parents en sont très satisfaits.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie de vous être rendue disponible pour cette audition et me permets de vous rappeler que, s’il vous apparaissait que l’une de vos réponses était incorrecte, vous avez le devoir de nous en transmettre la correction par écrit. Nous vous serions également reconnaissants de bien vouloir nous transmettre la liste des attitudes incontournables que vous avez évoquée.

La séance est levée à 12 heures 15.


Membres présents ou excusés

 

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 11 heures

 

Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Émilie Bonnivard, Mme Sophia Chikirou, Mme Virginie Lanlo, Mme Sarah Tanzilli

 

Excusés. - M. Thierry Frappé, Mme Élise Leboucher, Mme Isabelle Santiago