Compte rendu
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements
– Audition de représentants de l’Association des Maires de France (AMF) : Mme Clotilde Robin, co-présidente du groupe de travail de l’AMF sur la petite enfance, première-adjointe au maire de Roanne, Mme Nelly Jacquemot, responsable du service action sociale, éducation, culture et sport, et Mme Sarah Reilly, conseillère santé et petite enfance 2
Mercredi 28 février 2024
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 11
session ordinaire de 2023-2024
Présidence de
Mme Ingrid Dordain,
vice-présidente
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La séance est ouverte à quinze heures.
La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de l’Association des Maires de France (AMF) : Mme Clotilde Robin, co-présidente du groupe de travail de l’AMF sur la petite enfance, première adjointe au maire de Roanne, Mme Nelly Jacquemot, responsable du service action sociale, éducation, culture et sport, et Mme Sarah Reilly, conseillère santé et petite enfance.
Mme Ingrid Dordain, vice-présidente de la commission d’enquête. Chers collègues, nous reprenons le cycle d’auditions de notre commission d’enquête, sans notre président Thibault Bazin, dont je vous prie d’excuser l’absence.
Nous sommes heureux d’accueillir des représentants de l’Association des maires de France (AMF) en la personne de Mme Clotilde Robin, première adjointe au maire de Roanne, coprésidente du groupe de travail sur la petite enfance au sein de l’AMF, qui est accompagnée par Mmes Nelly Jacquemot et Sarah Reilly. Je précise que Mme Robin est également vice-présidente du conseil départemental de la Loire et qu’elle représente depuis 2022 l’AMF au Conseil de la famille.
C’est dans nos territoires que le modèle économique des crèches, si tant est qu’il n’y ait qu’un seul modèle, se déploie et, à cet égard, les communes sont concernées au premier chef par les enjeux liés à l’accueil de la petite enfance. Je pense au service de l’accueil en tant que tel mais également aux enjeux connexes : lien avec l’activité économique des crèches, recrutement de personnels, types de contrats locaux ou encore enjeux en matière d’immobilier.
Cette audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.
Avant de passer la parole à notre invitée pour un propos liminaire qui sera suivi d’échanges, il me reste à vous indiquer que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(Mmes Clotilde Robin, Nelly Jacquemot et Sarah Reilly prêtent successivement serment.)
Mme Clotilde Robin. Je vous remercie d’accueillir les élus locaux et je vous assure de notre engagement en matière de petite enfance puisque nous sommes gestionnaires de près de 70 % des établissements d’accueil du jeune enfant implantés sur notre territoire.
Nous avons à cœur de proposer à nos administrés non seulement une qualité d’accueil optimale mais surtout une offre de services visant à capter de nouveaux ménages et à favoriser le développement économique et l’attractivité de nos territoires. Nous soutenons l’accueil tant individuel que collectif, les élus locaux cherchant à organiser un maillage territorial pluriel.
Les communes et les intercommunalités développent en outre des actions de soutien à la parentalité. Nous avons vu évoluer la situation : si, il y a dix ou quinze ans, les familles étaient simplement à la recherche d’un mode de garde, elles attendent désormais beaucoup plus des professionnels. C’est la raison pour laquelle nous sommes très attachés à la professionnalisation des personnes qui travaillent dans les structures, ainsi qu’à l’accompagnement à la professionnalisation de l’accueil individuel.
Dans nos territoires, nous faisons bien souvent preuve d’innovation dans le soutien à l’accueil individuel par de la formation, directe ou indirecte, par le biais des relais que nous avons développés. L’enjeu est de proposer à nos administrés une pluralité de modes d’accueil – public, associatif, collectif, privé, individuel, préscolarisation, passerelle avec les écoles –, afin de répondre à la diversité des besoins dans les territoires.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Votre audition était attendue car l’accueil des jeunes enfants est une préoccupation majeure des communes et une condition importante de l’attractivité des territoires mais aussi parce que, depuis la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, les communes sont les autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant, ce qui les place en première ligne dans la politique de la petite enfance.
L’une des interrogations de notre commission d’enquête est de comprendre pourquoi, depuis une vingtaine d’années, le nombre de places en crèche créées par les communes stagne et pourquoi la plupart des ouvertures de berceaux se fait désormais dans le secteur privé. L’une des réponses tient au coût pour les communes d’une ouverture de « berceaux public », là où les « berceaux privés » n’affectent pas le budget municipal. Je crois toutefois que d’autres causes peuvent justifier cette situation. Je pense en particulier à la difficulté de recruter des éducatrices de jeunes enfants, qui peuvent travailler en secteur hospitalier et bénéficier ainsi des primes Ségur, qui ne s’appliquent pas aux personnels des crèches.
Mes questions s’articuleront autour de quatre axes. Tout d’abord, pourriez-vous nous indiquer quels sont les freins rencontrés par les communes pour créer des berceaux publics ? Le mode de financement est-il bien le principal obstacle à l’ouverture de crèches publiques ? Identifiez-vous d’autres freins ? Auriez-vous des propositions à formuler devant nous pour faire évoluer le financement des places de crèches dans une logique vertueuse permettant de mettre l’accent sur la qualité de l’accueil de l’enfant et offrant aux communes volontaires des ressources suffisantes pour ouvrir des crèches publiques ?
En cas de recours à une délégation de service public (DSP), estimez-vous que les communes disposent de moyens suffisants pour suivre la procédure et pour réaliser les contrôles nécessaires au respect des obligations contractuelles ?
Comment les communes conçoivent-elles leurs relations avec les différents organes de contrôle des crèches, en particulier la CAF (caisse d’allocations familiales), la PMI (protection maternelle et infantile) mais aussi les services compétents des préfectures ?
Enfin, comment envisagez-vous le rôle désormais dévolu aux communes d’autorités organisatrices de l’accueil du jeune enfant ? Êtes-vous satisfaits de l’octroi de cette compétence ? Souhaitez-vous être accompagnés dans ce nouveau rôle et, si oui, comment ? Avez-vous d’ores et déjà constaté que certaines communes avaient mis en place des instances ou des réunions d’échange avec l’ensemble des gestionnaires d’établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) sur leur territoire ? Quels en sont les résultats, tant en matière de qualité d’accueil que d’actions communes et de coordination de l’offre ?
Mme Clotilde Robin. Concernant le nouveau service public confié aux communes, ou aux intercommunalités quand la compétence leur a été transférée, nous attendons encore des précisions sur les annonces qui ont été faites dans le cadre de la Convention d’objectifs et de gestion (COG).
Nous, élus locaux, demandons à être accompagnés pour sécuriser l’existant car nous rencontrons de grandes difficultés en la matière. Nombre d’annonces portent sur le financement de nouvelles places. Or cela ne répond pas forcément à notre besoin, qui est de réussir à maintenir celles qui existent. Nous sommes parfois contraints de geler des berceaux, pour différentes raisons, sur lesquelles je reviendrai.
Nous avons également besoin d’inciter les professionnels à venir travailler dans les structures d’accueil collectives. Certains territoires sont obligés de geler des berceaux faute de personnel, du fait d’un manque d’attractivité du métier. C’est une vraie difficulté qui, jusqu’à présent, touchait plutôt les grandes villes et qui désormais atteint certains territoires plus éloignés, plus ruraux.
Le service public de la petite enfance est pluriel et propose une offre de service que nous voulons très large. Or le nombre d’assistantes maternelles baisse de façon inquiétante, avec pour conséquence des parents qui commencent à être confrontés à de réelles difficultés pour trouver un mode de garde. Les élus locaux appellent de leur vœux la création d’un plan métier et la remise à plat de toute la filière, la professionnalisation étant pour l’instant organisée en tuyaux d’orgue. Il faut favoriser le développement de passerelles et faciliter le passage d’une structure à une autre.
Par ailleurs, l’AMF ne remet pas en cause le principe de la PSU (prestation de service unique), qui permet à toutes les familles d’avoir accès à un mode de garde alliant socialisation des enfants et soutien à la parentalité. En revanche, nous aimerions que soit étudiée une modalité de financement sous forme d’un forfait permettant aux crèches d’assumer le temps du matin et le temps du soir, quand les enfants sont moins nombreux, sans que cela affecte les finances de nos structures.
Vous avez indiqué que le berceau privé n’avait pas d’incidence sur le budget des communes. Cela dépend de leurs orientations politiques, certaines communes n’hésitant pas à acquérir des berceaux dans des structures privées ou à leur apporter un soutien financier. J’ai en tête des territoires où existe un forfait identique pour toutes les micro-crèches de la communauté de communes.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. S’agit-il d’un soutien à l’investissement ou au fonctionnement, donc annualisé ?
Mme Clotilde Robin. Je parle bien du fonctionnement. L’investissement, je le mets vraiment à part car nous avons tous la capacité de trouver des leviers d’investissement et des subventions.
S’agissant des contrôles dans l’exécution des DSP, nous jouons des coudes, en faisant en sorte de participer aux conseils d’administration, aux réunions. Nous essayons de jouer notre rôle d’élus locaux autant que nous pouvons, avec quelques disparités parfois mais avec une volonté forte de notre part d’être le plus présents possible auprès des structures et des dirigeants.
Nous travaillons aussi en guichet interpartenarial avec les CAF et les PMI locales. Nous avons salué l’annonce, dans le cadre de la COG, de la création de nouveaux postes dans les CAF, dont les agents sont pour nous des partenaires essentiels de proximité. Toutefois, cela ne sera pas suffisant. Une centaine de postes devrait être créée, ce qui fait une personne par département : ce sera bien peu au regard de ce qui a été perdu.
Nous nous inquiétons beaucoup du coût par place qui est en train d’augmenter dangereusement – + 1 400 euros par place et par an entre 2022 et 2027 – et ce, quel que soit le modèle – associatif, gestion directe… Il a déjà beaucoup augmenté cette année, l’année dernière également, en raison de la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires ainsi que de la revalorisation, aussi souhaitable soit-elle, du point d’indice pour les structures en gestion directe. Nous avons vraiment besoin d’être soutenus budgétairement pour le financement du fonctionnement si nous voulons faire du qualitatif et prendre en charge l’enfant dans sa globalité et de la meilleure des manières.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. L’augmentation de 1 400 euros par berceau entre 2022 et 2027 correspond uniquement à la hausse des coûts alimentaires et de l’énergie, sans présager une évolution du taux d’encadrement : est-ce bien cela ?
Mme Clotilde Robin. Oui, en effet.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. S’agissant des crèches publiques, la commune est le tiers financeur dans un dispositif PSU. Or les ratios de reste à charge qui nous sont communiqués fluctuent selon les communes et les territoires. Quelle est votre opinion sur ce point ? Je comprends la préoccupation qui est la vôtre de sécuriser l’existant mais je pense que cela passe aussi par une bonne mesure du reste à charge des communes.
Mme Clotilde Robin. Vous avez raison, il existe une disparité entre les territoires. Cela peut tenir à la volonté politique, à la configuration du territoire, parfois à l’organisation choisie. Les amplitudes peuvent en effet être importantes.
Mme Nelly Jacquemot. La diversité peut s’expliquer par des politiques salariales qui peuvent varier selon les communes et tiennent à des problématiques de recrutement. Cette diversité peut être liée à des politiques de revalorisation salariale plus attractives dans certaines collectivités, ce qui génère des phénomènes de concurrence entre communes, que les élus déplorent.
Je précise que le chiffre indiqué par Mme Robin concernant l’estimation d’évolution du reste à charge des communes provient de la CNAF et non de l’AMF.
Mme Clotilde Robin. Certains territoires dégagent des lignes budgétaires plus ou moins importantes pour des raisons tenant à leurs orientations politiques, aux spécificités des territoires. Cela dépend également du nombre de familles monoparentales, du besoin plus ou moins fort de soutien à la parentalité. Certaines collectivités financent de la formation pour les assistantes maternelles, un accompagnement par des agents des collectivités, avec un maillage territorial plus important de temps d’accueil collectif rattaché aux relais petite enfance, avec même parfois des solutions innovantes, par exemple itinérantes, comme la mise à disposition de salles dans des territoires ruraux. Tout cela a un coût et dépend des orientations des élus, qui s’adaptent et dont certains s’emparent avec force de cette compétence qui n’était pas obligatoire.
Mme Virginie Lanlo (RE). Après avoir représenté l’AMF pendant quinze ans dans diverses instances, je suis très heureuse et un peu émue d’avoir changé de place.
Nous avons tous, à l’occasion de cette commission d’enquête, mené des auditions, effectué des déplacements dans différents types de structure – crèches parentales, associatives et municipales – et rencontré des représentants d’associations d’éducation populaire. Il en ressort une différenciation de territoires et de gestion. Ainsi, la déclinaison au niveau départemental des orientations budgétaires de la CAF peut varier, avec pour conséquence que les aides financières et l’accompagnement ne sont pas les mêmes d’un département à l’autre. J’aimerais connaître votre point de vue sur cette question.
Les PMI posent également un véritable problème, l’interprétation des normes pouvant différer d’un département à un autre, voire au sein d’un même département, et parfois même en fonction de chaque contrôleur se rendant sur site. Les PMI vont jusqu’à émettre des injonctions sur le bâtiment et sur l’aménagement des locaux, alors que cela relève plutôt de la compétence des collectivités. Il conviendrait sans doute de renforcer leur rôle pédagogique.
Concernant la PSU, vous dites que ce système vous convient globalement. Or les retours de la part des directeurs de crèche ne sont peut-être pas aussi enthousiastes, en raison de la lourdeur administrative de la gestion – il s’agit en effet d’une facturation à l’heure. De plus, on note une tendance des parents à pratiquer une forme de consumérisme, ce qui peut également poser un problème. Vous avez évoqué la possibilité d’appliquer un forfait, sans remettre en cause complètement la PSU.
Enfin, vous souhaitez une remise à plat de la formation. Nous aimerions vivement connaître vos propositions en la matière. Aujourd’hui, les professionnels de la petite enfance relèvent de trois ministères différents, avec peu de possibilités de passerelle entre les professions. Compte tenu des difficultés de recrutement, nous pourrions envisager de fluidifier les parcours et de permettre la polyvalence des postes, même si l’absence d’un diplôme peut poser un problème dans certaines PMI, toutes ne réagissant pas de la même manière.
Mme Clotilde Robin. L’interprétation des textes et des normes par les PMI et les CAF locales pose en effet d’énormes difficultés aux élus locaux car elle peut diverger au sein d’un même département, voire entre deux intercommunalités d’un même département. Il est donc nécessaire que nous soyons très présents, dans un cadre formalisé, par exemple par le biais des guichets interpartenariaux que j’évoquais précédemment.
La PSU incite en effet certaines familles à se montrer consuméristes mais nous restons attachés à la facturation sous ce format. Nous pourrions cependant étudier l’instauration d’un forfait, comme je l’indiquais un peu plus tôt.
Pour ce qui est des formations, l’AMF demande depuis longtemps une remise à plat des filières de formation, considérant que la professionnalisation est indispensable pour travailler dans le secteur de la petite enfance. Nous avions émis une alerte lors de la publication de l’arrêté du 29 juillet 2022 qui autorisait le recours à du personnel non formé en cas de pénurie dans certaines structures. L’AMF avait fait part de ses réserves sur ce point. Nous considérons qu’il faut être formé, aguerri et accompagné pour travailler dans des structures d’accueil de la petite enfance.
Nous avons essayé d’être force de proposition auprès des départements et surtout des régions, qui sont l’autorité compétente en matière de formation. Certaines d’entre elles font preuve d’innovation, proposent des bourses. Nous considérons toutefois que ce n’est pas satisfaisant car ce n’est pas le plan de formation que nous appelons de nos vœux. Nous essayons d’y travailler avec Régions de France mais notre marge de manœuvre est restreinte car ce ne sont pas les maires qui organisent les formations.
M. Thierry Frappé (RN). L’année dernière, une mission flash de l’Assemblée nationale portant sur les perspectives d’évolution de la prise en charge dans les crèches a constaté que les maires souffraient souvent d’un manque de visibilité sur les projets d’installation et apprenaient l’existence de ceux-ci au moment de la délivrance du certificat d’urbanisme. Pourquoi le maire est-il exclu du processus et comment l’y intégrer ?
Mme Clotilde Robin. Vous avez raison, les maires apprennent parfois l’existence d’un projet d’implantation d’une micro-crèche au moment du dépôt du certificat d’urbanisme : on l’oublie sans doute par facilité. En revanche, on se souvient de lui en cas de mécontentement et la porte du maire est la première porte à laquelle on vienne frapper pour se plaindre ! Nous invitons vivement les fédérations, les associations et les porteurs de projets privés à nous transmettre l’information en amont lorsque nous les rencontrons, afin que nous ne découvrions pas le projet dans la presse ou au moment de la demande du certificat d’urbanisme. Nous espérons que le déploiement du service public de la petite enfance mettra un terme à cette situation, grâce au regroupement de l’ensemble du dispositif et de l’offre de service.
Mme Nelly Jacquemot. L’article 18 de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi dispose que le maire doit être consulté pour tout projet de création, de modification ou de suppression d’une structure d’accueil du jeune enfant : cet article répond à une demande très forte que l’AMF avait fait remonter à l’échelon national.
M. Thierry Frappé (RN). Mais cette exigence d’information du maire n’est toujours pas satisfaite !
Mme Nelly Jacquemot. Au moins, cet impératif figure-t-il dorénavant dans la loi.
Mme Anne Stambach-Terrenoir (LFI-NUPES). La délégation de service public (DSP) est théoriquement ouverte au secteur public comme privé, lucratif ou associatif, mais nous assistons à une explosion des structures privées à but lucratif. En 2020, les crèches privées représentaient 31 % du parc contre 6,5 % en 2011, les crèches municipales et associatives ayant vu leur part décliner respectivement de 61 % à 46 % et de 30 % à 22 % au cours de la même décennie. Dans son livre J’ai mal à ma crèche, Julie Marty Pichon, professionnelle du secteur que nous avons auditionnée, qualifie de déloyale la concurrence du privé dans les appels d’offres : un groupe privé à but lucratif a, par exemple, été retenu car il avait promis de réserver des places à des entreprises, lesquelles sont plus rentables pour la collectivité. Si le prix s’impose parmi les critères, comment s’assurer que la concurrence entre les secteurs privé à but lucratif, public et associatif ne soit pas déloyale ? En outre, les conventions collectives qui couvrent les salariés du privé sont bien moins protectrices que celles du secteur associatif, ce qui pose la question, outre celle des conditions de travail, de l’attractivité du métier. Les grands groupes privés bénéficient par ailleurs d’avantages fiscaux et d’exonérations de cotisations sociales, à la différence des associations. Les dés semblent donc pipés, alors que le projet éducatif devrait prévaloir ; or les baisses répétées de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ne font-elles pas du prix le critère principal ? Quel est votre regard sur le sujet ?
Plus généralement, comment percevez-vous le développement des DSP ? Le système est une source de stress pour les professionnels, qui attendent tous les trois ou quatre ans de connaître le gestionnaire qui reprendra la délégation. Comment expliquez-vous l’augmentation du nombre de crèches privées à but lucratif ? Comment éviter la concurrence déloyale entre les différents types de crèches ? Ne craignez-vous pas que le service d’accueil des enfants et les conditions de travail des professionnels se dégradent ?
Mme Clotilde Robin. Les DSP à des crèches privées augmentent effectivement – nous avons à peu près les mêmes chiffres que les vôtres. L’accroissement des coûts de fonctionnement pèse trop fortement sur le budget des collectivités locales ; néanmoins, nous devons offrir un service d’accueil de la petite enfance à nos administrés et nous tentons de maintenir l’équilibre entre cette exigence et nos contraintes budgétaires. Nous veillons à ce que le prix ne soit pas le premier critère et nous accordons une grande importance à la qualité de l’accueil de l’enfant au travers du cahier des charges et du projet pédagogique.
Mme Ingrid Dordain, vice-présidente. Quel regard portez-vous sur les financements complémentaires alloués par les caisses d’allocations familiales (CAF), dans le cadre des conventions territoriales globales (CTG) et du fonds Publics et territoires ? Réduisent-ils le reste à charge des communes ? Ces financements devraient être des bonus pour les crèches, mais ils se transforment parfois en malus et mettent certaines d’entre elles en difficulté, comme je l’ai constaté la semaine dernière en rencontrant le personnel d’une structure d’accueil.
Mme Clotilde Robin. C’est là que les retours de terrain sont très importants pour nous, élus locaux. Les différents bonus, liés à la mixité ou au handicap, sont intéressants sur le papier, mais, sans aller jusqu’à représenter partout des malus, ils peuvent poser des problèmes.
Mme Ingrid Dordain. C’est comme cela que cette crèche m’a présenté la situation car elle se trouve en difficulté alors qu’elle développe un projet très intéressant pour les enfants.
Mme Clotilde Robin. Nous demandons que le bonus lié à la mixité soit calculé à l’échelon d’un bassin de vie et non à l’échelle de la structure – il y aurait également matière à revoir le bonus lié au handicap. Nous pourrons vous envoyer une note détaillée sur chaque bonus. Nous saluons toujours les nouvelles initiatives, mais nous émettons en l’espèce quelques réserves car l’application sur le terrain exige beaucoup de précautions.
Mme Nelly Jacquemot. Ces bonus sont souvent conditionnés à la signature d’une CTG ou à d’autres critères, qui n’épousent pas toujours l’objectif fixé : le bonus lié à la mixité peut, par exemple, aboutir à une concentration dans un même établissement d’enfants de familles en difficulté : nous alertons régulièrement la Caisse nationale des allocations familiales sur le sujet. En outre, les sommes annoncées par cette dernière sont élevées – plusieurs milliards d’euros pour les prochaines années –, mais les élus constatent que les montants effectivement versés sont souvent faibles.
La multiplication des bonus génère par ailleurs un surcroît de lourdeurs administratives pour les gestionnaires : il y aura encore plus de bonus dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion (COG) que dans la précédente, donc les élus et leurs services devront remplir davantage d’indicateurs.
M. William Martinet (LFI-NUPES). Le Gouvernement a fixé des objectifs ambitieux d’ouverture de places en crèche, à savoir 100 000 nouvelles places d’ici à 2027. Vous représentez les collectivités qui sont encore les principales gestionnaires des places en crèche, et j’imagine qu’une grande partie de ces 100 000 places seront créées par les collectivités territoriales : compte tenu des moyens déjà débloqués de manière transparente dans le cadre de la COG signée entre la CNAF et l’État et des moyens supplémentaires mis à la disposition de la CNAF au moyen de la PSU pour financer ces nouvelles places, pensez-vous que les collectivités parviendront à tenir les objectifs de création de places en crèche ?
Le Gouvernement a également annoncé des mesures de revalorisation salariale pour le secteur car le nerf de la guerre est l’attractivité du métier, qui passe par la rémunération. Ces métiers difficiles méritent d’être mieux rémunérés, et le Gouvernement a débloqué 200 millions d’euros à cet effet. Les collectivités territoriales seront accompagnées pour relever les rémunérations, à travers le régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep). Seront-elles capables, compte tenu des annonces du Gouvernement, d’augmenter sérieusement la rémunération des professionnels de la petite enfance qui travaillent dans leurs crèches ?
Mme Clotilde Robin. Je vous remercie de pointer les difficultés que nous rencontrons sur le terrain. Les maires et les élus locaux ne pourront pas tenir cet objectif à cause, principalement, du manque de professionnels : dans certains territoires, cette pénurie rendra impossible l’ouverture de nouvelles places. Si nous parvenons à réaliser des investissements, ce qui n’est pas certain et qui dépend des plans pluriannuels d’investissement (PPI), des volontés politiques et des dispositifs déployés, l’impact sur le coût de fonctionnement est tel que les collectivités ne pourront pas faire face aux dépenses.
Les salaires sont différents d’un territoire à l’autre, notamment du fait que certaines collectivités ont déjà appliqué le Rifseep, ce qui explique que le coût de fonctionnement des places diverge. Là encore, il sera très difficile de tenir l’engagement pris. Les élus qui s’emparent du sujet sont heureux que la compétence du service public de la petite enfance devienne obligatoire, mais les communes qui ne comptent qu’une secrétaire de mairie à temps partiel parviennent à peine à revaloriser son salaire et ne pourront pas dégager de crédits pour travailler sur la petite enfance.
Mme Nelly Jacquemot. L’AMF demande depuis plusieurs années à siéger au conseil d’administration de la CNAF pour peser sur la définition des objectifs de création de places en crèche et des modalités de cofinancement, afin que les communes, principales gestionnaires, aient leur mot à dire. Cette requête prend encore plus de sens au moment où elles s’apprêtent, en 2025, à accéder au rang d’autorité organisatrice de la petite enfance.
M. Philippe Lottiaux (RN). J’ai eu l’occasion, dans des fonctions antérieures, de gérer indirectement des crèches et de constater le coût que celles-ci représentaient après avoir essayé toutes les formes d’accueil, des crèches associatives aux crèches privées en passant par les DSP. Heureusement que le secteur privé existe, car les collectivités locales ne sont pas en mesure d’assumer seules les efforts nécessaires à l’atteinte des très ambitieux objectifs fixés.
J’ai l’impression que la PSU est une usine à gaz : tout semble fait pour complexifier le système, lequel contraint une partie du personnel de direction, déjà peu nombreux, à consacrer une partie de son temps à remplir des tableaux pour répondre aux exigences d’attribution de cette prestation. Ne pourrait-on pas élaborer un système plus clair, à l’heure où la simplification est l’un des leitmotivs du président de l’AMF ?
Vous avez dit que le prix n’était pas le critère principal pour les DSP, mais sa compression, imposée aux entreprises privées, n’a-t-elle pas dégradé la qualité du service ? En effet, des DSP ont été attribuées à un prix que l’on savait sous-évalué à cause des problèmes budgétaires. Des garde-fous ont-ils été installés ? Chaque collectivité est libre d’agir comme elle l’entend, mais fait-on passer des messages à ce sujet ?
Mme Clotilde Robin. Les communes ne cherchent pas uniquement des prix bas, surtout dans le domaine de l’accueil de la petite enfance ; si tel était le cas, il n’y aurait pas d’action de soutien à la parentalité, ni de temps d’accueil collectif délocalisé, ni de relais petite enfance (RPE) comme il en existe depuis des années dans certains territoires pour accompagner les familles et les enfants alors qu’ils ne sont pas très lucratifs. Je ne saurais être plus précise.
Mme Sarah Reilly, conseillère santé et petite enfance de l’AMF. L’AMF ne remet pas en cause le principe du barème des participations familiales, qui est le cœur de l’avancée que représente la PSU pour les familles puisqu’il permet à ces dernières d’avoir accès à un mode d’accueil indépendamment de leur capacité à le payer. Nous partageons le constat de la lourdeur administrative et du poids que représente la tarification à l’heure pour le gestionnaire, qui est le seul à le supporter. Voilà pourquoi nous nous interrogeons sur l’opportunité d’adopter une logique de forfait.
Mme Clotilde Robin. Certaines collectivités territoriales sont allées jusqu’à imposer aux professionnels travaillant dans les structures gérées en DSP de participer aux mêmes formations que celles suivies par les personnels qu’elles gèrent directement ; ces collectivités nouent des liens étroits avec les organismes gérant des structures dans le cadre d’une DSP.
Nous souhaitons avant tout être accompagnés pour sécuriser l’existant : là réside notre principal besoin, bien avant l’évocation de programmes de développement.
Mme Ingrid Dordain, vice-présidente. Nous avons bien pris note de cette requête, que nous soutenons.
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges. Nous comprenons tout à fait la différence entre le principe de la PSU – financée par les CAF, les familles, dont la situation financière est prise en compte, et un tiers – et le taux de facturation, dont le mécanisme a été élaboré pour accueillir le plus grand nombre d’enfants possible mais qui crée plusieurs biais.
Nous avons constaté, sur le terrain et en vous écoutant, une grande diversité entre les DSP selon les territoires : pourriez-vous nous transmettre les éléments que vous fournissez aux communes sur l’établissement des cahiers des charges et les modalités de mise en concurrence dans les DSP ? Nous avons sollicité les communes que nous avons visitées pour obtenir le plus d’informations possible et disposer d’une idée assez claire de la diversité des situations en matière de délégation de service public de crèche.
Mme Clotilde Robin. Souhaitez-vous que nous sollicitions les membres de notre groupe de travail pour répondre à votre demande ?
Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Avec grand plaisir.
Mme Virginie Lanlo (RE). Quelles sont les attentes des communes pour mieux accompagner et accueillir les enfants en situation de handicap et ceux dont les parents ont des horaires de travail atypiques et décalés ?
Mme Clotilde Robin. L’accueil d’enfants dans des plages horaires atypiques nous pose de grandes difficultés financières et organisationnelles, accentuées par la tarification à l’heure. Nous souhaiterions qu’un financement particulier aide les structures qui proposent de tels horaires. Nous voyons fleurir de nombreuses maisons d’assistants maternels (MAM), qui ouvrent à des horaires décalés grâce à des délégations d’assistants maternels agréés et qui répondent ainsi à des besoin spécifiques – certaines collectivités les accompagnent, d’ailleurs. Nous avons demandé à la Cnaf de mieux encadrer et de davantage valoriser les horaires atypiques, afin que nous puissions les instaurer plus facilement.
Nous sommes également insuffisamment accompagnés pour l’accueil des enfants en situation de handicap ; nous dégageons des crédits budgétaires pour investir dans nos structures avec beaucoup de bienveillance, mais nous ne sommes pas assez aidés pour la prise en charge des coûts de fonctionnement.
Mme Nelly Jacquemot. Il existe certes un bonus lié à l’accueil d’enfants en situation de handicap, mais les élus nous disent que la détection de besoins particuliers chez un enfant se produit souvent dans les structures d’accueil ; or la notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est indispensable à l’obtention du bonus.
Mme Ingrid Dordain, vice-présidente. La notification de la MDPH est-elle vraiment nécessaire au versement du bonus lié au handicap ? Si tel était le cas, il faudrait revoir le dispositif, car la détection du handicap s’effectue en effet au moment de l’accueil du jeune enfant ; or il serait préférable de pouvoir anticiper le relayage ou l’accompagnement de l’enfant.
Mme Clotilde Robin. Les choses ont évolué tout récemment, et il n’est fort heureusement plus nécessaire de disposer de la notification de la MDPH pour bénéficier du bonus.
Mme Ingrid Dordain, vice-présidente. Je vous remercie, mesdames, pour votre présence et pour ces échanges très intéressants et très riches.
La séance est levée à seize heures.
Membres présents ou excusés
Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements
Réunion du mercredi 28 février 2024 à 15 heures
Présents. - M. Joël Aviragnet, Mme Julie Delpech, Mme Ingrid Dordain, M. Thierry Frappé, Mme Virginie Lanlo, M. Philippe Lottiaux, M. Matthieu Marchio, M. William Martinet, Mme Anne Stambach-Terrenoir, Mme Sarah Tanzilli
Excusés. - M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Béatrice Roullaud, Mme Isabelle Santiago