Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

– Audition de représentants de la Fédération nationale « Familles rurales » : Mme Rita Ciccarella Vanderbeke, membre du bureau, référente petite enfance, présidente de la fédération des Bouches du Rhône, M. Vincent Clivio, directeur du développement et de la vie associative et M. Mickaël Philippe, conseiller technique « Solidarité & Cohésion sociale »              2

 


Mercredi 6 mars 2024

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 16

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à 15 heures.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de la Fédération nationale « Familles rurales » : Mme Rita Ciccarella Vanderbeke, membre du bureau, référente petite enfance, présidente de la fédération des Bouches du Rhône, M. Vincent Clivio, directeur du développement et de la vie associative et M. Mickaël Philippe, conseiller technique « Solidarité & Cohésion sociale ».

M. le président Thibault Bazin. Mes chers collègues, reprenons nos auditions. Je rappelle en préambule que « Familles rurales » est une association reconnue d’utilité publique, qui agit en faveur des familles sur tout le territoire et notamment en milieu rural et périurbain où vous êtes très actif dans ma circonscription.

L’association compte près de 120 000 familles adhérentes, est présente sur nos territoires à travers 1 850 associations locales et compte environ 25 000 bénévoles et 17 000 salariés.

Cette audition est retransmise en direct sur le site Internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Rita Ciccarella Vanderbeke, M. Vincent Clivio et M. Mickaël Philippe prêtent serment.)

Mme Rita Ciccarella Vanderbeke, présidente de la fédération des Bouches-du-Rhône de la Fédération nationale « Familles rurales ». Bonjour à tous. Merci de nous accueillir. « Familles rurales » constitue la première association représentant la famille, à l’échelle nationale. L’association exerce dans le milieu de la petite enfance, notamment par la mise en place d’établissements accueillant des enfants âgés d’au moins trois ans. Nous sommes également compétents en matière de jeunesse et de loisirs. Nous comptons par ailleurs des associations qui interviennent dans des espaces de vie sociale. Ainsi, nous sommes compétents dans tous les domaines relatifs à la famille. Nous sommes actifs et apolitiques. Nous prenons en charge la mise en place de dispositifs visant à accompagner la vie de famille et à permettre aux personnes désireuses de résider en milieu rural de bénéficier de certaines facilités d’accès.

En outre, nous connaissons bien le territoire. La force de « Familles rurales » réside dans sa capacité à effectuer des diagnostics. Nous sommes proches des élus. Nous considérons en effet qu’ils traduisent et rapportent le mieux les besoins qui sont formulés au cœur de leur commune.

Il existe des dispositifs qui permettent de mettre en place des établissements d’accueil, mais encore faut-il connaître les démarches à suivre et être en mesure de trouver des financements – auprès des régions notamment. Nos salariés sont experts en la matière et œuvrent, du diagnostic jusqu’à la mise en place des établissements.

Nous sommes force de proposition auprès des élus, mais travaillons également surtout à l’ingénierie et à la mise en place des établissements.

M. Vincent Clivio, directeur du développement et de la vie associative de la Fédération nationale « Familles rurales ». Notre association bénéficie d’un ancrage territorial et de services très larges, lesquels couvrent tous les âges, de la petite enfance – avec des microcrèches et des crèches – jusqu’aux personnes âgées. Nous nous préoccupons de l’ensemble des questions relatives à la vie des familles en milieu rural.

Notre association recense à ce jour plus de 250 structures qui accueillent le jeune enfant, dont plus de 120 microcrèches et de nombreux accueils collectifs de mineurs. « Familles rurales » compte en outre plus de 430 références liées à la petite enfance et organise des activités et ateliers – du baby gym et des ateliers d’éveil notamment ainsi que du soutien à la parentalité.

Notre réseau compte en effet 1 850 associations locales et 80 fédérations.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Mesdames, Messieurs, bonjour. Merci d’être avec nous pour évoquer le sujet des crèches associatives. Le champ de la commission d’enquête appréhende l’ensemble des acteurs de la petite enfance et en particulier ceux relevant du secteur des crèches. Il nous a ainsi semblé important de vous y associer et de vous entendre.

À ce jour, peu de places en crèches sont créées, dans le milieu associatif. Comment l’expliquer ? Quant à votre mode de financement, quel regard portez-vous sur la PSU et sur la PAJE ? Pensez-vous que ces modes de financement favorisent les crèches privées à but lucratif ? Comment les communes contribuent-elles au financement des crèches relevant du secteur associatif ?

Par ailleurs, certains éléments nous laissent penser que le berceau le moins onéreux relève du secteur privé associatif. Le confirmez-vous ? Dans votre réseau, quel est le prix moyen d’un berceau ?

Je souhaitais également vous entendre sur les différents mécanismes que les CAF ont mis en place – en vue de corriger le financement par la PSU –, à l’instar des bonus « inclusion handicap », « territoire » et « mixité sociale ». Ces mécanismes répondent-ils à vos besoins ? Dans quelle mesure participent-ils à corriger le financement par la PSU ? Quelles seraient vos propositions, en vue de faire évoluer et de rendre le modèle de financement plus vertueux et de prendre pleinement en considération le bien-être de l’enfant et son accueil dans les meilleures conditions pour son développement ?

M. Mickaël Philippe, conseiller technique « Solidarité & Cohésion sociale » de la Fédération nationale « Familles rurales ». Comme l’ont rappelé mes collègues, le maillage et l’ancrage territoriaux de « Familles rurales » sont particuliers. Nous sommes en effet présents sur l’ensemble du territoire. Ainsi, il existe des disparités de prix du berceau, selon les départements. À titre indicatif, le prix moyen du berceau s’établit entre huit et douze ou treize euros de l’heure. Ce prix intègre néanmoins des charges – à l’instar des fluides et des mises à disposition –, lesquelles diffèrent d’un territoire à l’autre. Le statut associatif nous permet par ailleurs de disposer de bénévoles, qui pour certains assurent des fonctions support. Ainsi, les particularités de « Familles rurales » ne nous permettent pas de vous indiquer un prix moyen du berceau, au centime près.

Autrement, nous avons interrogé notre réseau avant cette audition. La question du prix du berceau a interpellé, dans la mesure où le travail de l’association dépasse le sujet du simple prix. Notre association ne vend pas de marchandises. « Familles rurales » porte un projet et des valeurs associatives et s’inscrit dans une démarche éducative. Certains directeurs de fédération se sont donc étonnés de la question relative au prix moyen du berceau.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. En effet, le prix du berceau ne prime pas, en matière de politique d’accueil du jeune enfant. Néanmoins, notre commission d’enquête a pour objet la qualité d’accueil et le financement et vise à déterminer s’il existe une corrélation entre les conditions de financement et les difficultés identifiées en matière de qualité d’accueil. Dans ce contexte, il n’est pas question d’émettre de jugements de valeur, mais au contraire de tenter de trouver les leviers relatifs au financement qui permettront de renforcer la qualité d’accueil.

M. le président Thibault Bazin. Pourriez-vous du reste nous communiquer le coût moyen de la place ?

M. Mickaël Philippe. Je souhaitais simplement souligner le caractère associatif de « Familles rurales ».

M. Vincent Clivio. Nous vous communiquerons ultérieurement les données relatives au coût moyen de la place en crèche. Comme nous vous le précisions plus tôt, notre réseau compte des microcrèches rurales et des établissements de multiaccueil urbains.

M. le président Thibault Bazin. Connaissez-vous le coût moyen d’une place dans une microcrèche rurale ? Nous nous sommes déplacés sur le territoire pendant plusieurs jours et avons constaté que « Familles rurales » disposent de microcrèches. Nous serions intéressés de connaître le modèle économique des microcrèches gérées par le privé non lucratif.

M. Vincent Clivio. Lorsqu’une microcrèche est gérée par une association locale et des bénévoles et qu’un conseil d’administration se mobilise sur les fonctions support et traite les inscriptions, les coûts induits sont forcément inférieurs aux structures privées à but lucratif et aux établissements relevant des municipalités.

Ces coûts inférieurs constituent la force de « Familles rurales ». L’association réunit des personnes qui considèrent que les pouvoirs publics ne peuvent pas tout et que les populations doivent prendre des initiatives et les porter. Cette configuration induit néanmoins des fragilités. Nous travaillons par exemple à la mutualisation des fonctions support, à la formation et à l’accompagnement, de manière à techniciser et à professionnaliser ces missions.

Les fonctions support sont dans certains cas assurées par des plateformes ou des associations territoriales au niveau de la fédération, ce qui laisse l’association locale agir. La technicité de la gestion des crèches et d’autres services que portent les associations est à ce jour telle, qu’il est important de laisser aux populations ces responsabilités et initiatives et de les soutenir. Les changements de gouvernance peuvent en effet entraîner une perte de capacité de portage, cependant qu’elle est nécessaire pour pérenniser l’activité.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je souhaite revenir sur les questions qui vous ont été adressées, dont celle des financements relatifs à la PSU et à la PAJE et de leurs impacts sur les différents types de crèches. Diriez-vous que ces financements favorisent le secteur privé à but lucratif ? Quant à vos coûts, je souhaiterais vous entendre sur le recours aux contrats aidés. Comment sont-ils appréhendés, au regard du taux d’encadrement et de la réglementation NORMA ? Je souhaiterais en outre que vous évoquiez les différents bonus qui sont établis par les CAF. Avez-vous enfin des propositions à formuler, qui permettraient de faire évoluer les conditions de financement ?

Mme Rita Ciccarella Vanderbeke. En ce qui concerne les crèches associatives, nous travaillons avec les élus à déterminer les besoins. Sur le plan financier, la prise en charge est assurée par certains bénévoles dans des territoires. En revanche, les budgets sont calculés finement, mais la qualité est toujours recherchée – sur les postes alimentaires et sur les projets notamment. Nous n’optons pas pour des prix moins élevés qui dégraderaient la qualité d’accueil, sachant que notre association est à but non lucratif. La qualité d’accueil de l’enfant nous importe avant tout.

Quant aux différents modes de financement, la PSU représente environ 66 % des budgets des établissements. Ce système fonctionne bien.

Dans mon département, certaines zones affichent un nombre de places en crèche très faible – dans certaines zones blanches de Marseille et aux alentours notamment – et les CAF sont assez dynamiques. Je suis également administratrice au sein d’une CAF et j’ai connaissance de tout le travail qui est assuré par la CNAF et la CAF. La PSU est importante, autant que les prestations qui sont distribuées aux parents.

Nos salariés – dont les directeurs de crèche – sont également formés à optimiser ces financements. En effet, la PSU est calculée sur les heures effectives, c’est-à-dire réalisées. Il n’est pas toujours évident de les calculer, lorsque les familles fonctionnent par exemple avec des forfaits. Des familles demandent une garde ponctuelle de leur enfant. Nous leur téléphonons lorsque nous disposons de places. Nous faisons montre de prudence, pour ne pas dépasser un certain taux qui nous serait défavorable. Néanmoins, nous travaillons avec bienveillance et nous positionnons du côté des familles, en vue de faciliter leur vie quotidienne.

La PAJE constitue par ailleurs une bonne solution. Lorsqu’il existe des pénuries de places d’accueil, tous les dispositifs sont bons à prendre et la PAJE en fait partie. En revanche, passer par la PAJE pour obtenir une place en crèche s’avère bien plus onéreux pour les familles. Le dispositif ne s’adresse donc pas à tous les foyers et il faut en tenir compte, sachant que « Familles rurales » s’attache dans ses valeurs à accompagner toutes les familles.

Le bonus « territoire » est assez nouveau et il nous semble qu’il fonctionne correctement. Certaines conventions territoriales globales (CTG) ont néanmoins été mises en place de façon différée, pour laisser les communes concernées s’entendre à ce sujet. Le bonus « territoire » permet de fortifier les financements et propose des lignes intéressantes.

À ce jour, il faut garder à l’esprit le besoin d’optimiser les coûts, afin de pérenniser une structure. Je suppose que les crèches privées à but lucratif observent la même exigence. Celles-ci sont différentes du point de vue de l’organisation et de la communication. Pour notre part, nous nous concentrons sur la qualité des services que nous apportons aux territoires, en matière de soutien à la parentalité notamment. Les fonds excédentaires dont disposerait une structure donnée serviraient aux projets et à la formation de nos personnels.

Au sein de « Familles rurales », toutes les personnes qui ont travaillé dans le cadre d’un contrat aidé ont été pérennisées dans nos structures ou ont quitté l’association avec une qualification ou une formation.

M. Vincent Clivio. La PSU garantit en effet le financement dans une proportion intéressante et permet d’échanger ensuite avec la collectivité sur la participation au reste à charge entre les familles et elle. Cette approche est intéressante, dans la mesure où elle permet de collaborer avec les collectivités, sur la question de l’ajustement des tarifs et de l’ouverture des structures au plus grand nombre d’enfants.

Quant à la PAJE, nous disposons de témoignages, dont celui de la fédération du Doubs. Celle-ci compte plus de trente établissements sur son territoire entre les associations locales et la fédération. Cette fédération a rapporté avoir généré une offre de microcrèches en lien avec les collectivités, plusieurs années plus tôt, en calculant le tarif appliqué aux familles de sorte à leur proposer un reste à charge équivalent à celui qu’elles auraient dû payer si elles avaient confié leur enfant à une assistante maternelle. Cette disposition a permis d’équiper des territoires très ruraux en microcrèches là où ça n’intéresse pas le privé lucratif.

Avec les mêmes normes bâtimentaires, ces établissements n’auraient pas pu ouvrir. Ces microcrèches existent, mais ne répondent plus aux nouvelles normes.

À mon sens, le secteur s’apparente à celui du médico-social, en tant qu’il fait également l’objet d’une hypernormalisation. Des standards de qualité sont instaurés à tous les niveaux. Dans le même temps, le secteur connaît une pénurie d’encadrement et de qualification et les normes relatives aux diplômes tendent à se relâcher. Les normes sont rigides et très nombreuses et concernent également les familles.

« Familles rurales » compte des établissements d’accueil de loisirs et d’autres qui s’inscrivent dans un cadre périscolaire. Le niveau de normes y est moindre et les enfants ne sont pas pour autant mis en danger. Cette différence pose la question de notre rapport à la petite enfance et à la prise de risque. Tout aseptiser et tout vouloir contrôler ne garantit pas nécessairement une plus grande sécurité.

S’agissant des modes de contractualisation avec les communes qui n’apparaissent pas dans vos questions, la majorité de nos crèches obéit au régime de la subvention. « Familles rurales » était en effet à l’origine de ces projets. La circulaire Valls de 2014 a notamment permis, à partir de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) de doter la subvention d’un cadre juridique et de sécuriser juridiquement les partenariats qui existaient parfois depuis longtemps.

Nous sommes aujourd’hui en mesure d’organiser des activités, à l’initiative des habitants, qui s’inscrivent dans le régime de la subvention. Elles sont totalement réglementées et le cadre est sécurisant.

Néanmoins, nombre de directeurs de services et de fonctionnaires spécialisés qui ont été formés considèrent la délégation de service public comme la garantie de la sécurité juridique.

Cette initiative est possible et elle génère des économies pour la collectivité. Remettre en concurrence, comme c’est le cas aujourd’hui, des gestionnaires d’établissements tous les trois ans – voire tous les cinq ou six ans – ne nous semble pas apporter de plus-value pour la collectivité. Une temporalité de six ans pourrait être fixée au moyen d’un mandat. À ce jour, qu’est-ce qui légitime que des exigences annuelles ou triennales soient imposées ? Le travail qu’elles induisent est considérable pour la collectivité et lui coûte, en frais de gestion et de renouvellement. Ces exigences sont du reste insécurisantes, à la fois pour les gestionnaires et pour les salariés. En effet, comment se projeter dans un métier, quand on sait que notre employeur pourrait être exclu de la collectivité trois ans plus tard ?

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il s’agit à mon sens de deux logiques très différentes qui dépendent de l’origine de l’initiative. Lorsque la commune est à l’initiative, elle peut décider de travailler en régie ou opter pour la délégation de service public. Dès lors que l’initiative appartient au secteur privé – en l’occurrence au milieu associatif –, la mise en place de délégations de service public n’est pas justifiée. Pour autant, les financements communaux apportés au secteur associatif sont divers. Ce matin encore, nous découvrions l’existence d’une subvention calculée sur un tarif horaire, en fonction du nombre d’enfants accueillis et relevant de la commune en question.

Ainsi, de quelle façon les communes vous financent-elles ? Le dispositif de la PSU implique a priori la participation d’un tiers financeur et à l’exception des berceaux qui sont réservés par des entreprises, la commune doit assurer ce rôle. Dans le cas de votre association, comment cette participation du tiers financeur se formalise-t-elle ?

M. Vincent Clivio. Nous pourrons vous adresser ultérieurement des modèles économiques concrets. Notre réseau compte en effet 17 000 salariés, 25 000 bénévoles et 2 000 entités juridiques. Il est généraliste et seuls nos directeurs de fédération disposent de l’expertise territoriale qui permettrait de répondre précisément à vos questions qui portent sur le financement des structures.

M. le président Thibault Bazin. Nous vous avons interrogé à trois reprises sur la question de votre modèle financier. Je comprends que vous ne disposez pas dans l’immédiat des données afférentes et qu’il ne s’agit pas d’une volonté de ne pas nous répondre, mais qu’il existe plusieurs modèles au sein de votre organisation.

Mme Rita Ciccarella Vanderbeke. Notre modèle financier est simple : nous établissons des budgets que nous présentons ensuite aux élus. À ce jour, la CAF s’engage, lorsque d’autres financeurs participent. S’agissant des coûts pour la commune, je pense que les élus sont assez conscients des besoins des familles.

Par ailleurs, la délégation de service public ne représente pas forcément le dispositif le plus adapté au milieu rural.

Mme Anne Bergantz (Dem). Nous avons rencontré ce matin des représentants de France urbaine et évoqué avec eux leurs problèmes de recrutement. Connaissez-vous des difficultés comparables à celles des villes ? Avez-vous été contraints de fermer des berceaux, en raison d’un manque de personnel ?

Autrement, nous avons entendu lors de précédentes auditions que des structures connaissaient de grandes difficultés financières. Quelle est sur ce plan la situation de vos établissements ?

M. Mickaël Philippe. Nous connaissons en effet de grandes difficultés en matière de recrutement, lesquelles sont de plusieurs ordres. En premier lieu, les métiers de la petite enfance ne sont pas du tout attractifs, pour des questions de rémunération et de conditions de travail notamment. Certaines particularités sont en outre liées au milieu rural. Des structures peinent à trouver des candidats résidant dans la commune et les personnes doivent être en capacité de se déplacer depuis un pôle urbain. Il existe par ailleurs parfois des problèmes de logement. Son coût empêche les personnes d’emménager près de leur lieu de travail. L’inflation que connaissent les carburants empêche également certains professionnels de se rendre au travail.

Autrement, un problème a trait aux fédérations frontalières. À poste équivalent, la rémunération est notamment par exemple multipliée par trois en Suisse. En début de carrière, le poste français est en effet rémunéré au SMIC, tandis que les personnes percevraient 5 000 euros en Suisse.

Des berceaux ont en effet dû être fermés. Des fédérations nous ont indiqué réfléchir à la modification des horaires d’ouverture de leurs structures qui manquent de personnels. Nos structures envisagent également de budgéter les absences.

Par ailleurs, un lien peut probablement être établi entre les problèmes de recrutement et la formation, eu égard à la baisse du niveau des stagiaires et à l’émergence de formations en ligne. Pour autant, les fédérations qui mènent des réflexions sur la formation et la qualité de vie au travail connaissent un taux d’absentéisme moindre dans leurs structures voire pas du tout d’absence.

M. Vincent Clivio. Dans l’Aveyron – département très rural qui ne compte que deux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) –, la fédération a pris l’initiative quelques années plus tôt de développer des CAP Petite Enfance.

Certaines structures et fédérations connaissent des difficultés économiques. La question de l’accompagnement à la gestion, au remplissage des places et à la bonne tenue des charges se pose. « Familles rurales » relève encore de l’accord de branche non étendu, mais des négociations collectives ont cours, en vue de faire passer une grande partie du réseau vers la branche Éclat. Une centaine de structures dont l’activité porte principalement ou exclusivement sur la petite enfance viennent du reste de passer sous le régime de la branche professionnelle des Acteurs du lien social et familial (Alisfa).

L’appartenance des structures aux branches professionnelles pose des difficultés de renchérissement de la masse salariale. Elle pose en outre question, quant au rapport au reste à charge entre les familles et la collectivité. Les difficultés s’accroîtront par ailleurs, après l’annonce faite la veille d’une augmentation de la rémunération de 100 euros et de 150 euros nets par mois. Bien que l’abondement de la CNAF porté à 66 % soit intéressant, la question du financement du reste à charge continuera de se poser, entre la famille et les collectivités.

La question du reste à charge des familles se pose dans une moindre mesure, dans le cadre des établissements relevant du secteur privé à but lucratif. Néanmoins, elle constitue la première entrée, au sein d’associations comme « Familles rurales ». Nous devons travailler avec le réseau, sur la réalité des coûts et non uniquement sur la réduction du coût pour les familles.

M. le président Thibault Bazin. Vous avez laissé entendre à plusieurs reprises que le coût pour les familles représente la variable d’ajustement. Or il me semble que dès lors qu’un établissement est conventionné par la CAF, le tarif que paie la famille est fonction de ses ressources et n’est pas variable.

M. Vincent Clivio. Le tarif des différentes tranches pourrait augmenter dans le barème de la CAF. Des augmentations de cette nature sont régulièrement effectuées.

M. le président Thibault Bazin. Il n’existe pas d’autre variable d’ajustement que le barème. Je comprends que votre modèle ne prévoit jamais le maximum des différentes tranches du barème.

M. Vincent Clivio. La collectivité et la CAF locale pourraient décider de rehausser chacune des tranches du barème.

M. le président Thibault Bazin. Il nous a été rapporté que les barèmes sont appliqués aux familles. Il semble ainsi que seule la subvention d’équilibre puisse faire office de variable d’ajustement, contrairement à la participation des familles.

M. Joël Aviragnet (SOC). Je suis élu dans une circonscription rurale du Sud-Ouest et me satisfais que notre commission d’enquête vous auditionne ce jour. Les enjeux que connaît le milieu rural diffèrent de ceux du monde urbain. Chez moi, il est difficile d’accéder au soin, à des services publics de proximité et a fortiori à un mode de garde adapté, pour ses enfants.

Considérez-vous que les territoires ruraux comptent suffisamment de places en crèche ? Dans quelle mesure l’accès à ces établissements est-il simple ?

Par ailleurs, je souhaiterais connaître votre avis sur les crèches privées à but lucratif, en votre qualité de représentants de familles. Avez-vous connaissance de différences systémiques de traitement et d’encadrement des jeunes enfants, en fonction du type de structure ? Les enfants sont-ils en somme mieux encadrés au sein des structures – publiques ou privées – à but non lucratif que dans les établissements privés à but lucratif ? Nombre d’ouvrages et d’études ont en effet prouvé que la quête de rentabilité des crèches privées à but lucratif impacte négativement les conditions d’accueil des jeunes enfants.

Avez-vous enfin perçu des différences de fonctionnement interne, entre les crèches publiques, les crèches privées à but non lucratif et les crèches privées à but lucratif, en matière notamment d’activités et de conditions de travail des employés de ces établissements ?

M. Mickaël Philippe. Les territoires ruraux ne comptent pas suffisamment de places en crèche. Dans l’ouest de la France, certains parents sont contraints de s’arrêter de travailler pour garder l’enfant, en raison du manque de places en crèche. Des deux parents, c’est la femme qui s’arrête en général de travailler.

Nos structures qui accueillent les parents tâchent de les informer sur les différents modes de garde existants, et ce avant la naissance de leur enfant. En revanche, dans la mesure où le nombre de places en crèche est insuffisant et le nombre de personnes qui travaillent dans ce secteur en recul, le problème semble insoluble.

Il manque beaucoup de places en crèche dans les milieux ruraux. Les familles sont ainsi obligées d’élaborer des stratégies et de décider qui des deux parents gardera l’enfant et dans quelles conditions.

M. Vincent Clivio. S’agissant de l’accès aux établissements, nous avions été interrogés lors d’un précédent rendez-vous sur la question de la création d’un guichet unique. Nous avions indiqué que nous ne souhaitons pas qu’il existe une sorte de Parcoursup de la petite enfance ni que la prise en charge de l’enfant se transforme en compétition. Nous savons en revanche que les familles sollicitent dix structures différentes, pour s’assurer de trouver une place en crèche.

Mme Rita Ciccarella Vanderbeke. Par ailleurs, nous ne sommes pas en mesure de comparer les différents modèles de crèches, dans la mesure où nous connaissons mal les autres types d’établissements d’accueil.

Nos structures sont à but non lucratif. Nous sommes clairs auprès de nos élus : nous souhaitons apporter un service de qualité et ne pas réaliser d’économies sur les postes relatifs à l’alimentation ou aux projets pédagogiques. Nous sommes fiers de présenter aux élus des budgets qui considèrent la qualité d’accueil. Lorsque notre bilan est excédentaire, en fin d’année, nous réinvestissons les sommes dans du matériel et dans la formation de nos salariés. Celle-ci est importante et entretient un lien avec le bien-être au travail.

Je suis néanmoins contrainte de fermer un établissement pendant une semaine, car je ne suis pas parvenue à recruter. J’ai été obligée de recourir à l’intérim, ce qui a représenté une enveloppe de 20 000 euros. Même l’agence d’intérim spécialisée à laquelle j’ai recours n’est pas parvenue à recruter.

M. le président Thibault Bazin. Disposez-vous d’un cahier des charges spécifique applicable à l’ensemble des crèches relevant de « Familles rurales », qui dépasserait les normes ?

M. Vincent Clivio. Nous portons des engagements relatifs à la qualité.

M. le président Thibault Bazin. Je comprends qu’il n’existe pas de label « Familles rurales ».

Enfin, certaines de vos structures bénéficient-elles de financement de la part d’entreprises basées dans des territoires ruraux ?

M. Vincent Clivio. Oui.

M. le président Thibault Bazin. Nous serions intéressés de voir, dans les modèles financiers que vous nous adresserez, la manière dont vous conjuguez les subventions municipales ou intercommunales et les participations des entreprises.

Nous sommes tous attachés aux territoires ruraux et tenions à vous auditionner. Merci de vos réponses.

 

La séance est levée à 15 heures 57.


Membres présents ou excusés

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 15 heures

 

Présents. - M. Joël Aviragnet, M. Thibault Bazin, Mme Anne Bergantz, Mme Sarah Tanzilli

Excusé. - M. Thierry Frappé