Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

 Audition de M. Vincent Levita, président d’InfraVia Capital.....2

 


Jeudi 4 avril 2024

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à onze heures trente.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné M. Vincent Levita, président d’InfraVia Capital.

M. le président Thibault Bazin. Nous accueillons maintenant Vincent Levita, président d’InfraVia Capital, accompagné par Augustin Schneider-Maunoury. Nous avons pu au cours des deux dernières semaines échanger avec les responsables opérationnels des quatre grands groupes privés français gestionnaires de crèches et nous avons approfondi ces échanges en auditionnant les fondateurs de ces derniers. Il nous a semblé également intéressant de rencontrer les fondateurs des fonds qui ont investi dans ce secteur. C’est le cas d’InfraVia Capital, qui est présent au sein du capital du groupe Grandir Les Petits Chaperons rouges, dont nous avons auditionné le président fondateur, Jean-Emmanuel Rodocanachi, il y a quelques heures à peine. Nous comptons sur vous, monsieur Levita, pour nous exposer la logique qui a présidé à votre choix d’investir dans le secteur des crèches. Je vous propose de concentrer votre bref propos liminaire sur des éléments factuels, sachant que les questions de madame la rapporteure et des députés membres de la commission nourriront ensuite nos échanges.

Je précise que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. J’invite d’ores et déjà les collègues qui souhaiteront intervenir et poser leurs questions à la suite de la rapporteure à se manifester.

Il me reste à vous rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Monsieur Levita, je vous invite à lever la main droite et à nous dire : « Je le jure ». Je vous remercie et nous vous laissons la parole.

M. Levita prête serment.

M. Vincent Levita, président d’InfraVia Capital. Je vous remercie. Je suis très honoré de me trouver devant vous aujourd’hui. Je voudrais commencer par me présenter. Je viens de Montpellier. Mon père était professeur d’université et aussi élu local pendant quarante ans, à la fois municipal et régional. Je suis allé à Paris quand je suis entré à l’École polytechnique. J’ai 32 ans de vie professionnelle derrière moi et j’ai fondé InfraVia en 2008, qui a donc à 16 ans. J’ai 57 ans et je suis père de trois filles. Les éléments de mon parcours à la fois personnel et professionnel, même si ce n’est pas factuel, ce sont la science et l’industrie d’un côté, la chose publique et le social, et bien sûr l’économie et la finance, de l’autre. Aujourd’hui, je gère InfraVia, qui est une société de gestion, un fonds d’investissement.

Qu’est-ce qu’un fonds d’investissement ? C’est un véhicule entre l’argent des épargnants et l’économie réelle. Il est possible à un épargnant d’investir dans une société quand elle est cotée à la bourse, mais c’est plus compliqué quand elle ne l’est pas. Dès lors, les épargnants confient leur épargne à des sociétés d’assurance-vie et à des caisses de retraite, qui elles-mêmes investissent dans nos fonds.

Dans ce contexte, InfraVia est un fonds indépendant qui investit dans les secteurs qu’on appelle « essentiels » (infrastructures, transport, énergie, technologies, télécommunications, santé, éducation, loisirs, matières premières et immobilier). InfraVia est un fonds infrastructures d’abord. La logique des investissements privés dans les infrastructures est une logique de coopération public/privé qui existe en réalité depuis très longtemps dans les transports, dans l’énergie et dans les télécommunications. Par exemple, en matière d’énergies renouvelables, la France a fait appel à des capitaux privés et publics. De même, pour le haut débit, le plan qui a permis d’implanter la fibre dans les territoires a été public et privé. C’est toujours une logique organisée par l’État ; c’est son travail, sa prérogative, le privé pouvant aider à faire plus, plus vite, à améliorer les infrastructures existantes. Ce mouvement part toujours d’une politique publique, et nous en accompagnons, y compris quand il s’agit de faire appel à un financement privé pour l’exécution, toujours encadrée par une régulation gérant la coopération public/privé. Nous considérons que c’est un cercle éminemment vertueux : d’un côté, nous faisons fructifier l’argent de l’épargne, souvent celui de la retraite ; de l’autre, nous finançons les entreprises, les entrepreneurs et donc les populations actives, ce qui permet de développer des infrastructures. Nous finançons des services publics, de la qualité dans les territoires ; nous favorisons ainsi l’attractivité de ces derniers et donc le tissu économique. Finalement, il y a convergence entre les objectifs sociétaux et les objectifs économiques, entre les objectifs publics et les acteurs privés industriels et financiers.

Notre stratégie d’investissement est fondée sur des éléments assez simples, en tout cas à énoncer. Nous investissons toujours dans des secteurs en développement. Et ce dernier a toujours une valeur sociétale et évidemment économique. Nous choisissons des sociétés ou des partenaires de qualité avec lesquels nous sommes capables de partager l’ambition, l’objectif et le modus operandi, et nous essayons de les aider à se développer en leur apportant de la stabilité et du temps, puisque nous investissons à long terme – c’est un point important – du capital supplémentaire, qui peut être nécessaire quand le développement est rapide, ainsi que de bonnes pratiques de gestion que nous mettons à disposition des équipes de management.

En matière de RSE ou ESG, qu’on appelait avant le développement durable – aspect important quand on travaille dans le domaine de l’énergie et du transport, et encore plus dans celui du social, avec la santé et l’éducation, et même dans les télécommunications, d’ailleurs –, nous travaillons sur notre impact climat, sur notre impact social, sur l’emploi et sur la diversité. C’est ainsi que notre portefeuille d’investissement représente aujourd’hui vingt mille emplois environ et que nous avons créé sept mille emplois ces dernières années.

Notre investissement dans Grandir est parfaitement en ligne avec cette philosophie. C’est un service essentiel d’utilité publique. L’État a organisé – c’est votre prérogative, pas la mienne – la mise en place d’intervenants privés pour compléter le dispositif dans un cadre régulé. Quant à nous, nous avons choisi une société et un management qui ont fait leurs preuves, dont nous partageons l’ambition, la vision et aussi les pratiques, et dont les perspectives de croissance en France et à l’international se fondent sur une bonne vision et une bonne gestion.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie pour ces propos liminaires. Avant de céder la parole à madame la rapporteure, je souhaiterais des précisions sur vos fonctions et votre rôle en termes de gouvernance, pour que nous comprenions bien le modèle en jeu. En tant que fonds d’investissement, vous êtes donc au capital de Grandir, mais nous avons compris hier – si je ne me trompe pas – que vous n’aviez pas la majorité des droits de vote. Siégez-vous ou représentez-vous le fonds au sein d’un organe et lequel ? Vous êtes entrés au capital. Quand donc avez-vous prévu d’en sortir, conformément à la logique des fonds d’investissement ? Quelles sont vos attentes en termes de rendement, car si vous faites le lien entre l’économie réelle et les épargnants, ceux-ci ont des attentes, notamment de rentabilité ? Vous avez déclaré aller plutôt sur des secteurs en développement. Or, si ma mémoire ne flanche pas, il me semble qu’hier, le président exécutif du groupe Grandir nous a indiqué qu’il souhaitait un ralentissement du développement du secteur, si je reprends ses termes, face à la pénurie de ressources humaines, notamment. Dans cette orientation stratégique, selon laquelle il ne faudrait plus développer en volumes comme préconisé par la puissance publique, comment votre propre stratégique est-elle impactée et comment pouvez-vous modifier vos attentes par rapport à ceux auxquels vous devez rendre compte, et notamment vos épargnants ?

M. Vincent Levita. Sur la gouvernance, je n’ai pas bien compris si vous me demandiez quelle est ma position au sein d’InfraVia ou du groupe LPCR.

M. le président Thibault Bazin. Au sein de LPCR.

M. Vincent Levita. Je ne siège à rien au sein du groupe Grandir. Je suis président exécutif d’InfraVia.

M. le président Thibault Bazin. Et votre fonds n’a aucun droit de vote et ne siège dans aucune instance du groupe Grandir ?

M. Vincent Levita. Je n’ai pas dit cela. Le fonds est représenté dans les différentes instances de gouvernance du groupe Grandir, mais pas par moi, par monsieur Schneider-Maunoury ainsi que par un autre de mes associés. J’ai toutefois considéré qu’il était préférable que je vienne aujourd’hui vous présenter notre stratégie.

M. le président Thibault Bazin. Nous préférons toujours avoir les présidents.

M. Vincent Levita. Comment fonctionne la gouvernance d’une société ? M. Jean‑Emmanuel Rodocanachi est président exécutif de Grandir ; il a donc juridiquement tous les droits de représenter cette société et de prendre toute décision. Quant à nous, nous siégeons à l’assemblée générale ainsi qu’au conseil stratégique, dans lesquels nous pouvons discuter ces décisions, donner notre avis, formuler des suggestions. Jean-Emmanuel Rodocanachi avait une stratégie, des ambitions, un plan, et nous avons trouvé que ce secteur était à la fois d’utilité publique et que l’offre était inférieure à la demande, situation qui créait un potentiel important de croissance. Nous partageons aussi la vision et les ambitions du président. C’est pourquoi nous avons adhéré à son plan et il ne s’agit pas de lui imposer quoi que ce soit. Une certaine compatibilité personnelle, entre anciens joueurs de rugby notamment, a influé aussi. Autant nous avons choisi d’investir dans sa société, autant lui-même a choisi InfraVia comme partenaire.

Dans ce cadre juridique, la gestion opérationnelle est laissée à Jean-Emmanuel Rodocanachi et à ses directeurs.

M. le président Thibault Bazin. Vous êtes plutôt chez les avants et lui dans les arrières. C’est l’inverse du rugby.

M. Vincent Levita. Effectivement, il jouait plutôt devant et moi derrière !

Au sein des conseils stratégiques, nous revoyons l’avancement de la société par rapport à ses objectifs. Evidemment, nous validons les gros investissements, ce qui fait partie de nos accords, même si juridiquement il peut décider seul. Un actionnaire ne peut pas faire de la gestion de fait. C’est la loi.

En ce qui concerne la transaction, nous sommes rentrés il y a bientôt trois ans, en deux temps : nous sommes tout d’abord rentrés dans le groupe Grandir, puis une transaction a été conclue avec Sodexo quelques mois plus tard. Il en résulte que nous disposons d’une grande partie des droits économiques, mais la gouvernance est laissée à Jean-Emmanuel Rodocanachi. En général, nous investissons dans une société dans l’idée de doubler la taille de celle-ci et notre investissement en six ou sept ans. Il s’ensuit un rendement significatif pour nos épargnants, en balance avec une certaine prise de risque et aussi de temps, puisqu’il s’agit d’un investissement dit bnon coté, dont nous ne pouvons donc sortir en claquant des doigts.

Pour Jean-Emmanuel Rodocanachi comme pour nous, la délivrance d’un service de qualité est essentielle, évidemment parce que notre contribution sociétale est aussi importante pour nous que notre contribution financière. Mais c’est important aussi du point de vue des affaires. Qui sous-investit dans la qualité le paye : il perd ses clients, sa réputation, ses salariés et finalement la valeur de son investissement. Nous soutenons donc la qualité, parce que nous sommes « des gens bien », mais aussi parce que c’est congruent avec nos intérêts.

Il ne faut évidemment pas faire de la croissance en mettant en risque la qualité. Lorsque Jean‑Emmanuel Rodocanachi vous dit qu’il faut sacrifier un peu de croissance pour maintenir la qualité, il est évident qu’il a raison et que nous le soutenons.

Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Monsieur le président, merci d’être avec nous et merci pour vos propos liminaires, qui nous ont déjà permis de comprendre les conditions de votre intervention au capital de Grandir Les Petits Chaperons rouges.

Au risque de vous faire vous répéter, quelles étaient vos attentes au moment de votre investissement, en 2021, c’est-à-dire relativement tard dans la progression de ces grands groupes que nous voyons évoluer depuis une vingtaine d’années ? Quelle perspective de croissance avez-vous vu dans le secteur de la petite enfance ? Comment avez-vous pris la décision d’investir dans les crèches privées ? Les dirigeants de LPCR sont-ils venus vous chercher pour financer leur croissance ? Des intermédiaires sont-ils intervenus ? Aviez-vous déjà investi dans le secteur de la petite enfance, et plus particulièrement celui des soins à la personne, et avez-vous de nouveau investi dans ce secteur depuis ? Avez-vous enfin une nomenclature de vos investissements selon leur niveau de risque et de rentabilité ? A quelle catégorie appartenait le secteur des crèches au moment où vous avez investi et, depuis, l’avez-vous fait évoluer de catégorie ? Pouvez‑vous nous expliquer les critères d’appréciation posés sur le secteur des crèches privées lucratives ?

M. Vincent Levita. Même si tout dépend de la maturité des entreprises dans lesquelles nous investissons, la moyenne de nos attentes est de doubler nos investissements en six ou sept ans, parfois plus et parfois moins. C’est un peu la norme et cela correspond aux attentes de nos souscripteurs.

Le fait que nous ayons investi tardivement dans Grandir est un jugement que je vous laisse. Cela voulait dire que la société avait déjà fait ses preuves, et en particulier son management, et qu’il restait des perspectives de croissance importantes. Bien sûr, Grandir gère des crèches en France, mais le groupe a aussi une activité à l’international. Nous avons ainsi jugé que les perspectives de croissance dans d’autres pays que la France étaient importantes. Le cadre n’est pas forcément le même, mais le besoin l’est. Nous avons aussi noté des perspectives de croissance dans la petite enfance en France au-delà du segment 0‑3 ans. Nous sommes-nous trompés ou pas, l’avenir le dira, c’est la beauté de notre activité.

Est-ce notre seul investissement dans la petite enfance ? Oui. Nous interférons avec ce secteur par le biais de notre mécénat, mais cela n’a rien à voir, même si cela révèle notre intérêt au sens large. En tout cas, nous n’avons pas investi ailleurs dans ce secteur et nous n’en avons pas l’intention, parce que nous pensons que LPCR est le bon groupe pour le faire.

M. le président Thibault Bazin. Pour le développement, votre pari portait-il surtout sur l’international ?

M. Vincent Levita. Il me semble que l’offre de crèches est encore déficitaire en France par rapport aux besoins. Il demeure donc de la place pour en développer, le privé à but lucratif représentant 20 % des crèches. Il reste aussi des choses à faire dans l’autre secteur de la petite enfance. Le développement à l’international dépend quant à lui de notre capacité à trouver des points d’entrée et évidemment du cadre réglementaire de chaque pays.

Nous surveillions ce secteur depuis longtemps, puisqu’il faisait partie des secteurs essentiels. Nous avions des contacts qui ont permis de créer des liens et, quand le moment est venu, nous avons pu nous positionner de manière dynamique.

En ce qui concerne les catégories, nous classons par secteur : les transports, l’énergie, les télécommunications et les infrastructures sociales comme la santé et l’éducation. A cet égard, nous avons investi dans la santé et, je ne l’ai pas précisé, notre spectre est européen. En termes de catégorisation, le niveau de régulation et sa stabilité sont également importants. Le risque représente une troisième catégorisation : à cet égard, Grandir est un actif déjà bien développé, le modèle fonctionne et l’équipe de management aussi. Le risque principal qui subsiste est lié à l’évolution de la réglementation. Ce groupe est inscrit dans la catégorie value-add (« valeur ajoutée »), ce qui signifie que nous investissons dans cet actif dans l’idée de le développer et que la rentabilité que nous espérons passera nécessairement par une plus‑value de revente, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce que nous faisons. En finance, il existe des valeurs de rendement, qui délivrent un rendement courant, et des valeurs de croissance, qui se développent beaucoup, la rentabilité étant réinvestie pour le développement, de sorte que la rentabilité est perçue au moment de la revente.

Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Finalement, si je comprends bien, dans la mesure où vous n’attendez pas une rentabilité de rendement, mais plutôt liée à la croissance, pouvons-nous nous dire que, bien que les acteurs déclarent aujourd’hui que le secteur est faiblement rémunérateur et a des contraintes de coût importantes, vous ne considérez pas que l’investissement dans un tel groupe est à risque, hormis la question de l’évolution de la réglementation, sur laquelle je reviendrai ? Le besoin n’est pas pleinement satisfait sur le territoire national et il existe encore des marges de croissance pour les crèches privées lucratives. Par ailleurs, investissez-vous dans l’immobilier lié au secteur des crèches ou dans des produits pour les bébés (couches, nourriture ou autres) ?

M. Vincent Levita. Non, nous n’investissons pas dans des secteurs liés à la petite enfance, immobilier, couches ou autres. De toute façon, si c’était le cas, de tels investissements sont réglementés et nous devrions déclarer et traiter d’éventuels conflits d’intérêt.

En ce qui concerne les risques, il y en a toujours, c’est la beauté de notre métier, et nous devons les évaluer et les gérer. Le risque principal tient à l’évolution de la réglementation. Ensuite, il engendre des risques liés au suivi de la qualité et de la demande. Quand une nouvelle crèche ouvre, un risque de montée en puissance apparaît. Pour autant, notre évaluation du management de Grandir nous permet de penser qu’il sait gérer ce type de risques de manière très professionnelle. En tout cas, je ne peux pas laisser dire qu’il s’agit d’un investissement sans risque. La croissance n’est jamais certaine, mais nous avons jugé que les conditions étaient réunies pour la délivrer.

Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Merci d’avoir apporté ces précisions. Au regard de nos auditions, nous avons constaté que les acteurs du secteur, quand ils expliquent pourquoi ils ont eu recours à des fonds, évoquent le rôle de conseil que vous avez pu leur apporter, en particulier dans le développement, notamment à l’international, en apportant votre connaissance du milieu et de la réglementation nationale applicable. Pouvez-vous nous détailler les modalités de mise en œuvre de cette mission, car on pense naturellement qu’un fonds sert d’abord à apporter du capital et de la trésorerie, mais on connaît moins ce rôle qui, au regard de ce qu’on nous a rapporté, semble néanmoins assez important ?

M. le président Thibault Bazin. Est-ce vous le coach dont on nous a parlé ?

M. Vincent Levita. C’est moi, mais j’ai la chance d’avoir une équipe fournie, avec des parcours et des expériences complémentaires. Je peux coacher Jean-Emmanuel Rodocanachi sur certaines aspects et Augustin Schneider-Maunoury ainsi que le reste de l’équipe sur d’autres sujets. Nous sommes un actionnaire engagé dans tous les sens du terme. La société peut donc compter sur nous. Toutefois, notre principale contribution, vous avez raison de le dire, est financière. Nous apportons du capital, du temps, de la stabilité, qui permettent d’assurer un développement dans la durée.

Le développement international passe bien souvent par des opérations d’acquisitions externes. C’est un sujet que nous maîtrisons et c’est notre pain quotidien, sur lequel nous pouvons coacher et aider. Pour autant, je ne connais pas mieux les États-Unis, par exemple, que Jean-Emmanuel Rodocanachi, qui les connaît très bien. En revanche, prendre des sociétés à un certain état et les aider à grandir – c’est le cas de le dire ! -  en taille, c’est une activité que nous avons souvent pratiquée dans tous les secteurs. Nous connaissons les pièges à éviter dans la gestion des systèmes, des processus ou des personnes. Plus précisément, nous avons mis notre savoir-faire à la disposition du management de Grandir sur deux sujets assez importants : la RSE, qui est essentielle parce que notre contribution sociétale est clé dans cette activité et aussi parce que c’est ainsi que nous gérons notre niveau de risque et l’architecture IT du groupe, sujet lourd sur lequel nous avons une expertise.

M. le président Thibault Bazin. L’enfance est un secteur un peu spécifique, avec une sensibilité un peu différente que les transports ou l’énergie. La dimension humaine n’est pas la même que celle qui prévaut dans la fibre ou les panneaux photovoltaïques. Ce domaine est particulièrement sensible. Avez-vous une sensibilité particulière à cet égard ?

Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. Qu’en est-il concrètement ? Vos équipes interviennent-elles à titre gratuit, de façon totalement informelle par le biais d’échanges entre managers ? Ou bien est-ce formalisé de manière plus concrète ? Du personnel de votre fonds est-il détaché auprès de Grandir ?

M. Vincent Levita. Il n’est évidemment pas pareil de gérer un aéroport ou des crèches. De toute façon, comme indiqué précédemment, dans aucun de ces cas, nous ne les gérons. Les spécialistes du secteur, c’est eux. Nous ne nous mêlons d’aucune décision opérationnelle. En revanche, nous pouvons aider sur un point : des sociétés qui doublent de taille se heurtent à des questions qui sont souvent les mêmes, quelle que soit leur activité (organisation du siège, organisation du système informatique, etc.). En revanche, en matière opérationnelle, notre valeur ajoutée est assez limitée.

Nous ne dédions pas de personnel. Certaines personnes sont consultées, de manière régulière dans des groupes de travail, le cas échéant, mais sans que ce soit davantage formalisé.

M. le président Thibault Bazin. Ils sont donc financés par vous et non par Grandir.

M. Vincent Levita. C’est cela.

M. le président Thibault Bazin. Vos émissaires aux assemblées générales et aux conseils stratégiques ne sont donc pas payés par Grandir.

M. Vincent Levita. C’est cela.

Mme la rapporteure Sarah Tanzilli. En ce qui concerne les conditions d’accueil au sens large, comme vous le savez, ce secteur est aujourd’hui en tension et les contraintes financières qui pèsent sur lui semblent avoir des répercussions sur le terrain. Au cours des travaux que nous avons menés, nous avons pu constater de façon générale ce qu’on a pu appeler de « douces violences » et des problèmes liés à la consommation de consommables à destination des enfants. Ma question sera assez directe : interférez-vous d’une manière ou d’une autre sur les conditions d’accueil des enfants au sein des crèches et en particulier sur des problématiques qui permettraient une diminution des coûts ?

Je comprends que la régulation soit pour vous une préoccupation, car en matière de petite enfance, la législation et la réglementation définies par la puissance publique s’impose et peut avoir un impact sur le fonctionnement des acteurs et sur leur capacité de développement, qui vous intéresse au plus haut point. Depuis que vous avez pris une participation dans Grandir, avez‑vous pu influer d’une manière ou d’une autre sur la législation ? Avez-vous été contactés ou avez-vous pris des contacts avec des ministres ou d’autres acteurs politiques, quels qu’ils soient, comme des parlementaires ?

M. Vincent Levita. Jamais je n’ai parlé de ce sujet avec aucun représentant de l’État, ni à l’Assemblée nationale ni au gouvernement. En général, quand nous parlons à l’État, c’est à sa demande. Par exemple, nous avons été consultés dans le cadre de la réflexion à propos de l’évolution politique sur la transition énergétique. Récemment, l’État a lancé une stratégie absolument critique sur l’approvisionnement en métaux et en matières premières. Nous avons été consultés. Il en est de même dans la tech. Sur la petite enfance, en revanche, nous n’avons jamais parlé à personne et personne ne nous a jamais demandé notre avis jusqu’à aujourd’hui.

Sur la régulation, j’attire juste votre attention sur un point que vous connaissez sûrement déjà : le système a fonctionné. Le secteur était en tension, il l’est toujours, un petit peu moins. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur la politique de natalité de la France, ni sur ses conséquences. Tout le monde a son avis dessus. Attention cependant à ne pas abîmer quelque chose qui fonctionne, même si ce n’est pas parfait. Jean-Emmanuel Rodocanachi et la Fédération ont quelques propositions à cet égard.

Quoi qu’il en soit, depuis deux ans, nous sommes passés dans un monde en inflation, ce qui n’avait pas été le cas depuis longtemps. Si les tarifs réglementés ne suivent pas l’inflation, tout le système s’en trouve déséquilibré. C’est un risque. La gestion de l’inflation dans un système régulé fait partie des risques.

En ce qui concerne les questions de qualité, ai-je à un moment donné imaginé donner la moindre instruction ou demandé à Augustin Schneider-Manoury d’en donner une sur la diminution des coûts ou la commande des couches ? Évidemment non. Ce n’est pas du tout notre manière de travailler. Nous n’en avons pas de toute manière les moyens, et de plus, dans la mesure où nous avons l’intention de revendre dans quelques années, nous nous tirerions une balle dans le pied si la société était abîmée. Nous n’allons pas le faire parce que nous sommes des gens bien ; nous n’allons pas le faire parce que nous n’avons pas de pouvoir opérationnel ; nous n’allons pas le faire parce que ce serait absurde au regard de nos propres intérêts.

En revanche, les problèmes de qualité que vous avez évoqués nous interpellent. Nous avons suivi attentivement le travail qui a été effectué pour améliorer la surveillance, la remontée d’informations, le traitement des problèmes, quand il en est survenu, vous les connaissez, je crois. Ces aspects nous intéressent au plus haut point.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je vous avoue que je parle de vous depuis plus d’un an. Je suis donc très heureux de vous avoir en commission d’enquête pour pouvoir vous poser des questions et vous écouter. Je tiens d’ailleurs à remercier le président d’avoir accepté la demande de La France insoumise d’auditionner les fonds d’investissements actionnaires des groupes de crèches. Ce sera très utile.

L’un des reproches adressés aux fonds d’investissement est que la distance et eut-être même la déconnexion entre d’un côté le lieu de la décision financière et les exigences de rentabilité, et de l’autre le terrain, la vie opérationnelle d’une entreprise, encore plus quand elle s’occupe de publics vulnérables comme les enfants, peuvent expliquer les dérives qui ont été rencontrées. Dans Le Prix du berceau, le groupe LPCR a été gravement mis en cause sur ses objectifs de rentabilité et la maltraitance économique qu’ils pouvaient provoquer auprès des enfants. Avez-vous lu ce livre et comment avez-vous réagi quand vous avez entendu parler de ces reproches ?

M. Vincent Levita. Je ne l’ai pas lu, mais je sais ce qu’il contient et j’ai lu le rapport de l’IGAS, qui traitait le même sujet avec plus d’équilibre. Cela nous a évidemment interpellés. Pour nous, je vous l’ai dit, la qualité est la pierre angulaire de notre travail dans tous les secteurs. J’ai essayé de vous démontrer qu’elle est importante parce que nous sommes des gens bien et également parce qu’elle est corrélée à nos objectifs. Nous avons donc demandé des explications à la société, qui nous les a fournies comme à vous. Nous avons été convaincus qu’un événement problématique s’était produit et qu’il avait été réglé avant la sortie du livre que vous évoquez. Il l’a été bien, je crois. Les autres situations représentaient des cas malheureux mais isolés, mais ils ont également été réglés. Nous avons regardé quel était le système de surveillance permettant que les incidents remontent mieux et plus vite. Nous avons été convaincus de l’attachement à la qualité de Jean-Emmanuel Rodocanachi et de son équipe, ainsi que des efforts menés pour améliorer le système de surveillance.

Quant à la distance entre les financiers et le terrain, je suis un peu embêté avec cette question. Bien sûr, il y a une distance. Chacun fait son travail, et je ne vais pas vous dire que c’est moi qui gère les crèches. Cette question de la distance peut être appliquée à tout le monde. Je ne sais qui est le plus distant de qui. En tout cas, nous faisons notre travail le mieux possible pour investir au côté de personnes qui maîtrisent leur sujet aussi bien sur le plan de la contribution sociale que de la contribution économique qui, dans ces secteurs, sont toujours corrélées.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Si j’ai bien compris, votre entrée au capital de LPCR est passée par une opération dite de LBO, c’est-à-dire de rachat d’actions avec effet de levier. Vous créez une holding ; la holding s’endette auprès des banques et c’est avec cet argent que sont achetées les actions. Cet effet de levier décuple la capacité d’investissement des souscripteurs de votre fonds. Ai-je bien résumé et pouvez-vous m’expliquer très précisément comment s’est déroulée votre entrée au capital de LPCR ?

M. Vincent Levita. Il s’agissait effectivement d’une opération de LBO, mais « décupler » n’est pas le bon terme, puisque l’ordre de grandeur entre fonds propres et endettement est le même. Il s’agit donc plutôt de « fois deux » que de « fois dix ».

M. le président Thibault Bazin. Monsieur Martinet s’enquérait du taux d’endettement. En gros, est-il de 50 % ?

M. Vincent Levita. Oui. J’ajoute que, lors de la création de la holding que nous avons dotée de fonds propres et qui s’est endettée à peu près dans des proportions similaires, compte tenu de la dette en place, nous avons essentiellement procédé à un rachat d’actions.

M. le président Thibault Bazin. Vous avez essentiellement récupéré la dette existante ?

M. Vincent Levita. Essentiellement. Techniquement, nous créons une société et nous en achetons une qui a déjà une dette en place, laquelle roule de facto.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Pouvez-vous nous parler concrètement de cette dette ? En effet, son niveau et ses conditions exercent une pression indirecte sur la holding et sur l’entreprise qu’elle coiffe, puisqu’il faut bien la rembourser.

M. Vincent Levita. C’est sûr, mais il s’agissait de faire en sorte qu’en taille comme du fait de sa structuration, la dette n’exerce pas de pression.

M. le président Thibault Bazin. Soyons bien clairs. Il n’en va pas comme dans le cas d’une dette bancaire, où on a des échéances. S’agit-il d’une dette in fine ?

M. Vincent Levita. Oui, on peut le dire. C’est notre métier. Nous avons toujours à cœur, quand nous utilisons le fameux effet de levier, de donner plus de moyens à la société achetée. Nous le calculons toujours de sorte qu’il ne pèse jamais. De toute façon, le résultat de Grandir découle de son activité opérationnelle. Le fait qu’il y ait de la dette ou pas ne change pas l’activité opérationnelle.

M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, c’est la revente dans quelques années qui remboursera la dette.

M. Vincent Levita. Oui. C’est une dette in fine. Il n’est pas nécessaire de remonter tous les ans des dividendes ou du cash-flow. L’opération se soldera financièrement au moment du transfert.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Nous avons bien compris que nous étions sur une valeur de croissance et non de rendement, mais cela n’enlève pas la pression financière, car lorsqu’il faudra rembourser la dette in fine, vous avez intérêt que l’acteur dans lequel vous avez investi, en l’occurrence Grandir LPCR, ait une croissance suffisamment importante pour qu’elle permette de payer la dette. Êtes-vous d’accord pour dire qu’une opération de LBO met plus de pression que si vous aviez simplement racheté les actions de Grandir LPCR avec vos fonds propres ?

M. Vincent Levita. Je voudrais réagir sur le mot « pression », que je ne comprends pas. La pression porte sur les points suivants : délivrer le service, délivrer la qualité, délivrer la croissance. Or les objectifs de croissance sont plutôt fixés par le régulateur que par l’actionnaire. Objectivement, je ne comprends donc pas ce que signifie « pression ». Ai-je intérêt à ce que la société au moment de sa revente vaille plus qu’auparavant ? Oui, c’est sûr. La dette fait-elle peser un risque ? Je ne sais pas. Quand vous achetez un appartement, vous mettez un peu de dette pour en acheter un plus grand en fonction de ce que le banquier est disposé à vous prêter. Et lui-même effectue ses calculs en fonction de vos revenus. C’est pareil. Nous, nous dimensionnons la dette pour qu’elle ne fasse pas peser plus de risque sur la société achetée.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Diriez-vous quand même qu’une opération en LBO est plus risqué qu’une opération réalisée uniquement avec vos fonds propres ?

M. Vincent Levita. Si l’effet de levier est positif, nous avons une rentabilité meilleure. S’il est négatif, elle est moindre. C’est donc à la fois du risque et de l’opportunité.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Pour comprendre comment fonctionnent les fonds d’investissement, on m’a conseillé tout simplement de suivre l’argent. Partons des souscripteurs. Ont-ils investi dans un fonds spécifique Grandir LPCR ou bien mixte avec d’autres investissements ? Combien représente-t-il ?

M. Vincent Levita. Les investisseurs ont investi dans un fonds InfraVia, qui met en place une stratégie diversifiée dans les infrastructures et qui comporte plusieurs lignes d’investissement, dont celle-là.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Combien représente-t-elle, à peu près ?

M. Vincent Levita. Si je compte tous les véhicules dans lesquels nous avons investi, l’investissement dans Grandir LPCR s’élève à 2 % environ et à 8 % si je ne compte que le véhicule dans lequel il se trouve.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Il est donc mélangé avec d’autres investissements dans les infrastructures.

M. Vincent Levita. Oui.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Pouvez-vous nous indiquer le rendement attendu par les souscripteurs ? A quoi InfraVia s’est-il engagé vis-à-vis d’eux ?

M. Vincent Levita. Nous ne nous sommes engagés à rien, mais nous avons en revanche des attentes : doubler en sept ans.

M. William Martinet (LFI-NUPES). J’ai cru comprendre que des professionnels d’InfraVia étaient consacrés à la gestion de ce véhicule et qu’en cas de surprofit, c’est-à-dire au cas où la rentabilité serait plus importante que les attentes annoncées, un partage de valeur aurait lieu entre les souscripteurs et ceux qui gèrent ou pilotent ce véhicule.

M. Vincent Levita. Le fonctionnement des fonds d’investissement prévoit depuis toujours le dispositif suivant : nos investisseurs, qui sont des institutionnels, nous demandent d’investir à leurs côtés. Effectivement, en cas de bonne performance, cet investissement donne accès à un partage de la plus-value.

La dette est fournie par les banquiers. De notre côté, nous investissons en fonds propres à travers notre véhicule. Dans ce dernier figurent des investisseurs institutionnels ainsi que des gérants de fonds, donc nous-mêmes. Pour nos investisseurs, c’est un gage d’alignement, comme on dit.

M. le président Thibault Bazin. Vous êtes vous-même dans le véhicule.

M. Vincent Levita. Exactement.

M. le président Thibault Bazin. En tant qu’entité.

M. Vincent Levita. En tant qu’entité et en tant que personnes. C’est une pratique destinée à rassurer nos investisseurs sur le fait que nous allons bien gérer leur argent.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Vous nous avez expliqué que la logique était ancienne et en vigueur dans tous les fonds. Nous ne la remettons pas en cause, mais nous nous demandons s’il est pertinent de l’appliquer à la petite enfance.

Pouvez-vous nous détailler un peu cette politique d’alignement d’intérêts comme vous le dites ? Combien de collaborateurs sont concernés ? Combien peuvent-ils gagner en plus en cas de surprofit ?

M. Vincent Levita. Cette interrogation nous ramène à celle de savoir s’il est pertinent que des fonds investissent dans la petite enfance. Mon point de vue est que oui, puisque nous l’avons fait. Si celui du régulateur est différent, nous le respecterons évidemment. Je trouve que, dans le cas de fonds comme le nôtre, qui ont un objectif dit « infrastructures » – concept, je le comprends, un peu large –, nous avons estimé que de tels investissements avaient beaucoup de sens. Ces investissements se font dans la durée, pour lesquels le temps a de la valeur, qui sont fondés sur des mécanismes régulés et qui ont une contribution sociale et économique.

Le retour pour InfraVia et ses collaborateurs intervient en fin du processus, une fois que l’opération est réalisée et que le fonds lui-même a rendu de l’argent et des profits à ses souscripteurs. Il n’existe donc pas de risque de spéculation ; il y a au contraire un alignement qui joue sur la durée. J’insiste sur la durée, que vous balayez un peu vite, je trouve, parce que c’est la garantie non seulement que la qualité passera en premier, mais surtout que nous allons bien faire les choses et, au moment de vendre la société, nous assurer que nous la vendons à quelqu’un qui continuera à bien travailler. Nous le choisirons d’ailleurs consensuellement avec le manager.

M. le président Thibault Bazin. Vous n’avez pas été rémunérés depuis trois ans.

M. Vincent Levita. Non. Je sais que « dividende » est devenu un gros mot. Je ne comprends pas pourquoi. En l’occurrence, nous n’en avons pas pris, mais les dividendes sont juste la rémunération des fonds propres. Encore une fois, quand vous empruntez de l’argent à la banque, vous payez des intérêts et vous ne trouvez pas cela scandaleux. Il existe deux façons de financer les sociétés : la dette et les fonds propres. L’intérêt rémunère la dette et le dividende les fonds propres. L’avantage du dividende est qu’il se prend à la fin, une fois qu’on a payé les collaborateurs, la dette et les impôts. En ce sens, le dividende est plus risqué que la dette. D’ailleurs, les attentes en la matière sont en général supérieures. Il se trouve que, dans ce cas, nous n’en avons pas pris, parce que notre stratégie d’investissement ne correspond pas à cela.

M. William Martinent (LFI-NUPES). Si au bout des six ou sept ans évoqués l’attente du « fois deux » est remplie, quel sera le bonus – je ne sais pas quel est le mot approprié – pour les collaborateurs intéressés au véhicule qui concerne Grandir LPCR ? Si vous dépassez cette attente, de combien augmentera-t-il ?

M. Vincent Levita. Il ne s’agit pas d’un bonus. Il s’agit de la rémunération d’un investissement. Cela a été également organisé ainsi par la puissance publique. InfraVia et ses collaborateurs ont la possibilité d’investir dans le véhicule d’investissement. S’il performe, cet investissement donnera accès à une partie de la plus-value, selon l’accord passé avec les souscripteurs.

M. William Martinent (LFI-NUPES). En tant que gestionnaire du fonds, vous nous dites que c’est la qualité qui est la plus importante, que l’absence de croissance n’est pas un problème et que vous écoutez les décideurs publics et le président exécutif de l’entreprise. Vous présentez les choses comme si vous étiez d’une certaine façon désintéressés, alors qu’il existe des mécanismes rémunérateurs extrêmement concrets qui font que la croissance vous rapportera de l’argent et que son absence vous en fera perdre. Il y a une forme de contradiction à dire : nous sommes un fonds d’investissement, mais ne vous inquiétez pas, nous ne mettons pas de pression sur la croissance, alors qu’il y a derrière de l’argent sonnant et trébuchant, y compris individuellement pour les collaborateurs qui ont investi et gèrent ce volet du fonds. Ils y ont un intérêt financier extrêmement concret.

M. Vincent Levita. Nous ne sommes pas désintéressés. Je n’ai pas dit cela et je crois même que j’ai dit l’inverse. Ce que j’ai dit, c’est que nous ne mettons pas de pression sur les achats ou autres qui irait contre la qualité, pour trois raisons. Premièrement, nous sommes des gens bien, même si vous n’êtes pas obligés de me croire. Deuxièmement, parce que ce serait contre-productif pour la société elle-même et troisièmement pour nous-mêmes aussi. Au contraire, nous sommes très intéressés. Ce que j’essaie de vous faire toucher du doigt, si vous voulez bien me croire, c’est qu’il y a une convergence entre les objectifs de croissance et les objectifs de qualité. Nous ne sommes donc pas du tout désintéressés, bien au contraire. L’intérêt financier passe par une prestation de qualité et par une croissance. Nous avons intérêt à ce que cette société soit en croissance. C’est pour cette raison que nous sommes venus, parce qu’il nous semble qu’il existe un cadre nécessitant de la croissance et parce que l’ambition de cette société va dans ce sens. Ce que j’ai dit, c’est que si cette croissance s’accomplissait au détriment de la qualité, alors nous perdrions tout.

Quant à la « pression » – mot qui revient sans arrêt –, je ne sais pas ce que cela veut dire. Vous avez vu Jean-Emmanuel Rodocanachi hier. Avez-vous l’impression que c’est quelqu’un que je peux appeler le matin pour lui demander de baisser ceci ou cela, parce que ce serait mieux pour moi ? Ce n’est pas du tout ainsi que nous fonctionnons. Nous avons des discussions et il nous fait part de ses idées, de ses projets, parfois de ses difficultés. Nous lui donnons nos réponses avec notre expérience et notre savoir-faire. Et ensuite, il fait ce qu’il a à faire.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Merci pour la transparence de vos réponses, car je dois dire qu’en comparaison des réponses fournies par certains dirigeants de groupes de crèches, vous avez répondu plus clairement, ce qui nous permis de comprendre plus facilement les mécanismes en jeu.

Pour autant – et nous aurons sans doute du mal à tomber d’accord sur ce point –, dans les éléments que vous nous avez apportés pour mieux comprendre le système, j’identifie quand même deux sujets : avec le LBO, la dette financière et la pression qu’elle exerce sur le fonds d’investissement ; et une autre forme de pression, plus incitative, qui est le bonus – vous avez contesté le mot, mais je ne vois pas bien comment l’appeler autrement – des collaborateurs du fonds si la croissance dépasse les attendus. Ces deux mécanismes de pression interrogent sur votre rapport au groupe de crèches dont vous êtes partie prenante.

M. Vincent Levita. Si j’ai été transparent, tant mieux. Je suis même inquiet de l’avoir été trop.

M. le président Thibault Bazin. Ne soyez pas inquiet, vous avez prêté serment. Et vous pourrez vous réécouter.

M. Vincent Levita. Effectivement, je n’ai rien à cacher. Nous faisons un métier qui est passionnant. Et nous avons trouvé une manière de l’exercer qui fait – je l’ai dit et je le redis, c’est mon identité, ma personnalité et mon passé – que la contribution sociale que nous amenons fait écho à notre contribution économique, ce qui engendre de la performance financière, sur laquelle nous sommes absolument intéressés. Créer de la pression serait une négation du mode de fonctionnement d’une entreprise, en particulier aussi sensible. Une telle entreprise ne part pas de la pression et des objectifs, mais des besoins. C’est la seule manière de travailler. Il y a un besoin, il y a un cadre réglementaire pour y répondre, il y a une prestation de qualité dont dépend tout le reste. Si l’environnement au sens large, que ce soit le régulateur, le marché du travail, la demande ou les incitations fiscales, permet de croître, nous croissons. Si ce n’est pas le cas, nous croissons moins. Certes, nous gagnerons moins, mais nous avons trouvé un système dans lequel tous les objectifs s’alignent. Je suis donc très fier d’en faire partie. Et je suis particulièrement fier de notre investissement dans Grandir LPCR.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, monsieur Levita, d’être venu devant nous. Vous avez répondu à plusieurs reprises : « Parce que nous sommes des gens bien. » Je ne sais pas qui peut en juger et il n’appartient pas au Parlement de trancher sur ce point. Voulant en tout cas être des gens bien, avez-vous pour objectif d’entrer dans ce qu’on appelle les « fonds éthiques » ? Vous avez beaucoup parlé de développement durable, de RSE. C’est un questionnement qui traverse un certain nombre d’organismes d’assurance, bancaires ou mutualistes qui veulent investir dans des fonds respectant certains critères sociaux, environnementaux, humains. Quelle est votre position à cet égard ?

M. Vincent Levita. Vous avez raison, l’expression « gens bien » a une connotation morale qui n’a pas probablement beaucoup de sens dans cette instance. Ce que je voulais dire, c’est que nous sommes dans un secteur sensible avec des personnes vulnérables et que la manière dont nous nous y prenons nous renvoie à notre propre éthique. Dans notre cas, et c’est ce que je trouve vertueux dans notre modèle, il y a une incitation à se comporter bien parce que, en général, lorsqu’on fait de la qualité, il y a des répercussions financières.

Pour ce qui est de l’éthique, ce mot lui aussi a une connotation morale et est compliqué à utiliser. Nos premiers souscripteurs, il y a seize ans, étaient des assureurs mutualistes. Nous sommes donc nés dans un environnement où l’éthique au sens moral certes, mais surtout au sens de ce que c’est devenu dans le monde financier est importante. Oui, nous sommes un fonds éthique, article 8, selon la classification européenne. Cela signifie que nous respectons un certain nombre de critères sur l’environnement, le social, sur la gouvernance. Nous nous engageons à ce qu’ils progressent dans le temps et à avoir un impact positif sur tous ces aspects.

M. le président Thibault Bazin. Je vous remercie, monsieur Levita.

 

La séance est levée à douze heures cinquante.


Membres présents ou excusés

 

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements

 

Réunion du jeudi 4 avril 2024 à 11 h 30

 

Présents. - M. Thibault Bazin, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli