Compte rendu

Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil
des jeunes enfants au sein
de leurs établissements

 Audition de représentants de la Direction de la sécurité sociale (DSS) : M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur, Mme Marion Muscat, adjointe à la sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, M. Vincent Malapert, chef de bureau de la direction Prestations familiales et aides au logement, et Mme Elisa Bazin, cheffe de projet “service public de la petite enfance”“              2

 Présences en réunion..............................17


Mardi 9 avril 2024

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 45

session ordinaire de 2023-2024

Présidence de
M. Thibault Bazin,
Président


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La séance est ouverte à 18 heures.

La commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements a auditionné des représentants de la Direction de la sécurité sociale (DSS) : M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur, Mme Marion Muscat, adjointe à la sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, M. Vincent Malapert, chef de bureau de la direction Prestations familiales et aides au logement, et Mme Elisa Bazin, cheffe de projet “service public de la petite enfance”.

M. le président Thibault Bazin. Chers collègues, nous recevons maintenant plusieurs représentants de la Direction de la sécurité sociale : M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur, Mme Marion Muscat, adjointe à la sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, M. Vincent Malapert, chef de bureau de la direction prestations familiales et aides au logement et Mme Elisa Bazin, cheffe de projet. Je précise à toutes fins utiles qu’aucun lien de parenté ne nous relie.

Cette première audition d’une direction ministérielle marque l’entrée dans la phase finale de nos auditions. Je précise ainsi que nous recevrons demain matin le directeur général de la cohésion sociale, préalablement à l’audition finale de mesdames Catherine Vautrin et Sarah El-Haïry, qui aura lieu à la toute fin du mois d’avril.

L’article 6 du décret du 21 juillet 2000 relatif à l’organisation de l’administration centrale du ministère de l’emploi et de la solidarité et aux attributions de certains de ses services, qui s’applique encore à l’actuel ministère du travail, de la santé et des solidarités, prévoit que « la direction de la sécurité sociale est chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique relative à la sécurité sociale.

À ce titre, entre autres :

« - elle prépare les lois de financement de la sécurité sociale, veille à l’exécution de ces lois et assure le suivi financier des différents régimes de sécurité sociale ;

« - elle élabore et met en œuvre les politiques relatives aux prestations familiales ;

« - elle assure la tutelle sur les organismes de sécurité sociale ; elle prépare les conventions d’objectifs et de gestion conclues entre l’État et les organismes de sécurité sociale et en assure la mise en œuvre. »

Il est bien naturel que nous échangions avec vous à ce stade de nos travaux, avant que Mme la rapporteure n’entre, si j’ose dire, dans la phase d’incubation et nous fasse part de ses conclusions au mois de mai.

Je précise que l’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale et que l’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande.

J’invite d’ores et déjà les collègues qui souhaiteront intervenir et poser des questions à la suite de la rapporteure à se manifester.

Pour terminer, il me reste à vous rappeler, mesdames, messieurs, que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. Delaye et Malapert ainsi quet Mmes Muscat et Bazin prêtent successivement serment.)

M. Morgan Delaye, chef de service adjoint au directeur. Merci monsieur le président. Comme vous l’avez rappelé, la direction de la sécurité sociale au sein de l’État (DSS) veille à l’organisation de la sécurité sociale et à la conduite des politiques en matière de prestations familiales, avec le concours de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Ses prérogatives ne se limitent pas aux prestations légales et réglementaires, mais s’étendent bien à la branche dédiée à l’action sociale. Celle-ci est dite « extralégale », car son mode d’exercice fait davantage appel à une contractualisation locale, étant entendu qu’elle intervient dans le cadre du financement des prestations.

Autrement dit, le rôle de la DSS vise à définir les modalités de mise en place d’une offre de garde de jeunes enfants à l’échelle du territoire faisant converger des grilles tarifaires abordables et un niveau de qualité optimal. Ces objectifs sont consignés dans le rapport d’évaluation et de performance de la sécurité sociale, publié annuellement. Ce document que les députés de la commission des affaires sociales connaissent bien s’efforce de démontrer comment elle y satisfait, au moyen notamment d’une série d’indicateurs.

En pratique, la DSS établit la réglementation et la législation applicables à l’organisation de l’offre, aux modalités de financement des différentes offres de garde collectives ou individuelles et à ses aspects qualitatifs. Le volet dédié à la sécurité est d’égale importance. Il est partagé avec la DGCS. Ensemble, nos deux directions veillent à prioriser cette politique publique sur l’ensemble des financements de la sécurité sociale pour disposer des moyens financiers nécessaires pour répondre aux besoins des familles. Je rappelle que, depuis 2010, l’administration publique a nettement renforcé sa politique de financement consacrée au fonctionnement des structures d’accueil, et notamment d’accueil collectif. L’enveloppe allouée au fonds national d’action sociale (Fnas) a doublé en vingt ans, passant de 2 à 4 milliards d’euros. En parallèle, d’autres financeurs ont également revu leur participation à la hausse. Les collectivités locales y contribuent dorénavant à hauteur de 900 000 euros, à savoir que le financement de la sécurité sociale s’établit à 3 milliards d’euros. Autrement dit, la quasi-totalité des aides à l’investissement provient aujourd’hui des aides à l’installation de la sécurité sociale.

Pour atteindre ses objectifs, le système de sécurité sociale se doit de débloquer des moyens à hauteur de la demande. Il prévoit d’augmenter sa participation au financement de la garde d’enfants d’1,5 milliard d’euros par an entre 2023 et 2027. Cet investissement supplémentaire vise autant la constitution de nouvelles crèches qu’un quota supérieur de places disponibles et une revalorisation salariale du personnel existant. Il entend en dédier la moitié à un meilleur financement des places actuelles, ce qui dénote des tendances passées, davantage axées sur la mise à disposition de moyens destinés à la création de nouvelles places. Or nous avons pleinement conscience que sponsoriser la création de nouvelles structures ne rime pas nécessairement avec le concept de pérennité, et encore moins dans le contexte inflationniste que nous connaissons. Ce facteur d’influence peut amener les collectivités à reconsidérer la teneur de leur participation.

Si la sécurité sociale a pour vocation d’accompagner tous les types de structures, elle ambitionne particulièrement le relèvement du nombre de places en crèches relevant de la prestation de service unique (PSU) et de son niveau de qualité. Cet objectif sera ciblé sur des actions de formation et induira à la fois une révision des diplômes et une hausse du taux d’encadrement dans nombre de structures, sans effet majeur sur la participation financière des familles.

La sécurité sociale songe également à affecter des ETP dédiés dans chaque caisse à l’accompagnement des collectivités dans l’amélioration structurelle de leurs offres. Elle vise en outre à instaurer toutes les conditions favorables à la mise en place d’une offre de garde de qualité en ajustant ses financements et en appuyant les démarches ciblées sur l’amélioration des conditions de travail et salariales du personnel d’accueil. Or la pénurie des ressources représente un enjeu majeur pesant sur la qualité du service d’accueil dédié aux jeunes enfants et remédier à la baisse d’attractivité de ces métiers motive d’autant plus leur revalorisation salariale. Si l’État n’est pas seul moteur d’influence à cet égard, nous gageons que nos incitations financières donneront naissance à une meilleure dynamique de recrutement et de formation, dont découleront in fine une meilleure qualité de service et une disponibilité de places augmentée par davantage de créations de crèches.

M. le président Thibault Bazin. Sans vouloir empiéter sur les questions de notre rapporteure, j’ai quelques interrogations à vous soumettre.

Ma première question se rapporte à la gouvernance des conventions d’objectifs et de gestion (COG). Quels en sont les analystes et les décideurs ? L’évaluation financière relève-t-elle de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ? Quel organisme pilote la démarche de revalorisation professionnelle des métiers visant l’accueil d’enfants ? S’agissant des hypothèses de croissance retenues, pouvez-vous confirmer le nombre cible de places supplémentaires ?

Je me demande également qui est à l’origine des règles, calculs et arbitrages entre l’administration publique et la Cnaf. Cette question est fondamentale, car dans le cadre de notre commission d’enquête, nous avons pu entendre certains acteurs prétendre que la PSU et la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) n’étaient aucunement indexées sur l’inflation. La DSS émet-elle des préconisations en ce sens et, si tel est le cas, sur quoi reposent-elles ?

Nous avons le sentiment que certains calculs sont à la main des Caf et qu’ils s’assortissent d’interprétations diverses sur le bonus territorial et le bonus situation handicap. Pouvez-vous nous éclairer sur le logiciel utilisé et nous préciser s’il est centralisé à la DSS ou déployé au sein de vos services ? La diversité des réponses qui ont été apportées à cette commission crée de la confusion et nous plaidons en faveur d’une clarification relative aux aides de la Caf et aux taux de participation correspondants. Votre pilotage de la mise en œuvre de la politique publique est-il précisément affiné ou reste-t-il théorique en amont de l’évaluation de la COG ?

Par rapport aux modèles des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), nous observons que la DSS est en charge de la préparation du budget du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous nous demandons si la contribution de l’État se matérialise essentiellement par le crédit d’impôt famille (Cifam) pour le financement des places existantes et à venir, ou si la DSS considère, premièrement, que ce volet relève de la branche famille de la sécurité sociale et, deuxièmement, qu’elle doit contribuer à l’évolution des modèles.

Ma dernière question concerne les conventions établies entre l’État et les crèches publiques et privées. Exercez-vous un droit de regard sur la volumétrie, les modalités financières et la qualité réservée aux accueils ?

Étant entendu que la Cour travaille sur une évaluation de la politique publique depuis un an et que plus de la moitié des réservations en crèches sont réalisées au profit du secteur public sous ses différentes formes, réalisez-vous votre propre étude d’impact ? Il serait par ailleurs opportun d’évaluer la cohérence de vos pratiques à l’aune des évolutions de la COG préconisées par vos soins.

J’en ai terminé avec les questions liminaires et je vous invite à y répondre.

M. Morgan Delaye. Merci monsieur le président. Je vais m’efforcer de vous apporter des réponses en m’appuyant sur mes collègues.

La gouvernance des COG est partagée avec la Cnaf. Nous nous accordons sur les objectifs à atteindre et leur financement au moyen de différentes hypothèses que nous abordons lors de réunions ponctuelles avec les membres de son département des statistiques.

Permettez-moi d’entrer dans les détails des débats échangés sur la revalorisation pour illustrer mon propos. En envisageant un relèvement de 150 euros pour le privé et de 100 euros pour le secteur public en tenant compte de la recette, nous tâchons d’en établir le coût, les actions nécessaires et les moyens pour y parvenir. Nos échanges ont permis d’établir une estimation du nombre de salariés concernés sur l’ensemble des branches professionnelles du secteur. Nous l’avons confrontée au nombre de places pour définir le montant unitaire de la subvention, en sachant que la DSS dispose de son propre département statistique. Il prend la forme d’une sous-direction dédiée et intègre un bureau chargé des prestations familiales à même de contre-expertiser les données fournies par la Cnaf. Si les échanges amènent parfois des désaccords, nous nous efforçons ensemble d’arrêter des hypothèses suffisamment éclairées. Dans cet exemple précis, elles se basent notamment sur le calendrier de revalorisation des différentes branches professionnelles, mais aussi sur la hauteur de cette revalorisation et ses modalités de répartition. Une enveloppe de 238 millions d’euros a découlé de nos calculs, échanges et hypothèses mutuelles. La signature de la branche ALISFA a conforté nos conjectures.

Par ailleurs, vous n’êtes pas sans ignorer la mission Bozio-Wasmer, ciblée sur les effets des allégements généraux applicables aux augmentations de salaire. La revalorisation d’une rémunération plus ou moins alignée sur le SMIC de 100 ou de 150 euros induit un financement trois fois supérieur, visant à couvrir la part augmentée des cotisations sociales qui résulte de la perte d’exonération sur les faibles salaires. S’il ne nous appartient pas de fixer les salaires du secteur privé, notre mission consiste à calibrer l’enveloppe en fonction de nos estimations et de la répartition supposée qui en sera faite.

Après avoir essuyé un premier refus, le bonus de revalorisation a été approuvé par la commission d’action sociale de la Cnaf au début du mois d’avril. Il sera financé par l’enveloppe que nous avons définie à hauteur de 238 millions d’euros et nous espérons que d’autres branches s’engagent rapidement dans cette démarche.

Pour résumer, l’État exerce ses prérogatives d’arbitrage en amont de la signature des COG. Les décisions sont arrêtées sur la base d’une instruction contradictoire avec la caisse chargée de mettre cette politique publique en œuvre. Néanmoins, force est de constater une sous-exécution des crédits disponibles du fait du faible niveau de création de nouvelles places en PSU.

M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, l’enveloppe de 238 millions d’euros ne vise pas tout le monde, au regard de vos hypothèses de rythme.

M. Morgan Delaye. Effectivement, il est à noter que nos hypothèses reposent également sur des pratiques de cofinancement. Il n’en reste pas moins que l’enveloppe totale de la COG représente une dépense totale d’environ 238 millions d’euros à l’horizon 2027. Si le rythme de revalorisation s’accélère, nous pourrions être amenés à débattre à nouveau des modalités de financement applicables.

Mme Marion Muscat, adjointe à la sous-directrice de la direction de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail. Pour répondre à vos interrogations, je précise que le logiciel servant aux calculs est exploité par la Cnaf, qui pilote la politique de revalorisation. Il est déployé au sein des Caf, le rôle de la DSS se limitant dans ce cas à celui d’une tutelle.

En revanche, la DSS est pleinement actrice de la définition des modalités de dépenses du fonds national d’action sociale (Fnas) et des grands équilibres macroéconomiques. Elle veille également à l’arbitrage des propositions de la Cnaf en matière de mise en œuvre des bonus disponibles ou de compartiments cibles. Je rappelle qu’à l’inverse du complément de libre choix du mode de garde (CMG), le Fnas s’inscrit dans le cadre d’une dépense extralégale définie et adoptée par le Conseil d’administration de la Cnaf, dont toutes les décisions font l’objet d’une veille exercée par la DSS.

M. Morgan Delaye. Concernant les indicateurs, les rapports remis au Parlement permettent notamment d’exercer un suivi des taux de couverture et d’occupation des places. Si un indicateur synthétique présente quelque enjeu d’interprétation, soyez assurés qu’il répond à nos objectifs de relèvement du nombre de places, de remplissage des structures, de maîtrise du reste à charge et de cohérence d’accès à l’offre à l’échelle nationale.

Nous travaillons quotidiennement avec les Caf et la Cnaf pour établir les paramètres de la politique qu’elles sont chargées d’appliquer et de suivre, respectivement. Dans cet effort, nous prêtons une attention toute particulière aux évolutions du cadre réglementaire. Si les conditions d’utilisation du Fnas incombent à la Cnaf, elles font l’objet d’échanges.

Pour compléter les propos de Mme Muscat, les bonus sont déterminés suivant les circulaires de la Cnaf et rigoureusement appliquées par les Caf. Néanmoins, force est de constater certains écarts d’exécution budgétaire, notamment en lien avec le taux de participation. Par ailleurs, les Caf disposent d’une plus large marge de manœuvre sur les conditions d’investissement, ce qui joue sur la variation des taux. Une réflexion est menée à ce sujet. Leur standardisation à l’échelle des micro-crèches est évoquée dans le rapport de la mission d’inspection que vous venez d’auditionner. Les points d’harmonisation visent notamment à adresser les variations induites par l’interchangeabilité des acteurs locaux et par les contraintes, conditions et capacités du tissu associatif.

Concernant les conséquences de la suppression hypothétique du Cifam, les modalités restent soumises à dispositions légales. De plus, les relations financières entre l’État et la sécurité sociale sont nourries et permettent d’envisager une multiplicité de scénarios.

M. le président Thibault Bazin. D’après vous, comment s’effectuera le transfert dynamique des fonds jusque-là investis dans le Cifam vers la branche famille ?

M. Morgan Delaye. L’emploi de l’adjectif « dynamique » m’interpelle, au sens où les transferts financiers entre l’État et la sécurité sociale sont figés, la valeur d’une recette perdue prenant habituellement la forme d’une compensation par TVA. La TVA peut néanmoins être plus ou moins dynamique que certaines pertes de recettes. Au regard de l’éventuelle suppression effective du Cifam au profit du renforcement de l’offre de garde, il convient selon moi d’arrêter une politique sur sa valeur. Le transfert ne présente a priori aucune difficulté technique et peut prendre différentes formes, y compris celle d’un transfert de fiscalité pour lever tout risque.

S’agissant des réservations de places à la main du secteur public, l’approche de la DSS en matière d’offre de garde reste générale et distingue bien le rôle « financeur » du rôle « employeur » de l’État. Comme pour tout autre employeur, il s’agit de recenser les besoins en disponibilité et d’y satisfaire sans traitement particulier. Toute évolution des conditions de réservation serait néanmoins soumise à l’échange avec la direction générale des finances publiques (DGFP) et les collectivités.

M. le président Thibault Bazin. Autrement dit, je comprends à demi-mot que la part importante de réservations de berceaux à l’initiative des services publics n’exerce aucune influence sur la préparation de la COG.

M. Morgan Delaye. Effectivement. Elle repose sur le recensement des besoins de la population dans son ensemble, indépendamment de la nature publique ou privée des employeurs et aucune négociation particulière ne s’ouvre.

M. le président Thibault Bazin. Vous pourriez néanmoins prétendre à un droit de regard sur les attentes en termes de modalités d’accueil et de qualité.

M. Morgan Delaye. Je n’ai pas de doutes que le secrétariat général du ministère affecté à ce volet respecte à la lettre les conditions de sécurité et les exigences relatives au taux d’encadrement, tandis que la DSS exerce son rôle de régulateur et d’organisateur d’une offre nationale impartiale.

M. le président Thibault Bazin. Étant donné que les notions de réservation de berceaux et de tiers financeurs pèsent sur le modèle, la DSS pourrait exercer un regard sur le modèle qualitatif des accueils réservés aux enfants du secteur public.

M. Morgan Delaye. Il n’existe actuellement aucune mesure d’exemple, ce qui pourrait évoluer avec la suppression effective du Cifam, si elle voit le jour.

M. le président Thibault Bazin. Si je comprends bien, aucune étude d’impact n’a été menée en interne.

M. Morgan Delaye. Je vous le confirme. Les seules investigations réalisées à cet effet, du moins je l’espère, sont consignées au rapport de la mission que vous venez d’auditionner. Si la suppression du Cifam se concrétise, la DSS se chargerait naturellement d’en étudier les impacts à l’échelle d’un ministère ou d’un autre demandeur public.

M. le président Thibault Bazin. Je cède désormais la parole à la rapporteure.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Merci monsieur le président et merci à vous mesdames et messieurs. Nous attendions impatiemment cette audition.

J’aimerais avant tout vous consulter sur des questions relatives aux finances publiques. Puisque l’État finance indirectement les EAJE, je me demande si la DSS pilote ces dépenses budgétaires. Si oui, pourriez-vous nous en établir le détail ?

Par ailleurs, pouvez-vous préciser si la trajectoire financière 2023 de la COG est en ligne avec les prévisions et si vous disposez d’indicateurs pointant vers leurs réalisations d’ici à 2027 ?

Quant au relationnel DSS-Cnaf, j’aimerais comprendre dans quelle mesure la Cnaf est tenue par la COG. Quelles seraient les conséquences d’un dépassement de l’enveloppe budgétaire induit, par exemple, par le déploiement de la revalorisation que nous venons d’évoquer ?

Disposez-vous d’une vision prévisionnelle de la trajectoire financière de la branche famille en termes de dépenses, recettes et solde d’ici à 2030. Êtes-vous en mesure d’isoler la part des dépenses liées aux crèches ?

Enfin, la DSS a-t-elle pu évaluer les charges additionnelles issues de la prolongation du congé maternité et l’évolution du congé parental et imputables à la sécurité sociale ?

M. Morgan Delaye. Pour répondre à votre première question, la DSS ne pilote aucunement les dépenses budgétaires de l’État visant le financement direct ou indirect de l’offre de garde. Pour réserver des places, les ministères puisent dans des crédits négociés avec la DGFP dans le cadre de la politique de l’État en tant qu’employeur, dont la DSS bénéficie d’ailleurs. Il me semble opportun de maintenir ce système de gestion. Les différentes mesures de crédit d’impôt applicables à la garde d’enfants et aux autres services à la personne ne relèvent pas plus des attributions de la DSS, puisqu’elles sont pleinement intégrées aux dépenses de l’État. Le rôle de la DSS consiste à veiller à l’exécution des différents dispositifs de politique publique par les différents acteurs concernés et à tenir compte de tout effet indirect sur leur champ d’application, par exemple le crédit d’impôt.

Vous pourriez interroger le ministère de la fonction publique sur le détail des dépenses, ainsi que sur l’alignement de la trajectoire 2023 de la COG sur les données prévisionnelles.

S’agissant du Fnas, le plafond des dépenses prévues au titre de l’exercice 2023 n’est pas atteint et accuse un repli de plusieurs centaines de millions d’euros. Ce constat est assez ordinaire en début de période conventionnelle dans la mesure où la COG est habituellement signée a posteriori. Par ailleurs, le budget du Fnas enregistre une nette hausse ces cinq dernières années, mesurée à hauteur de 30 %. Or l’actuel taux de consommation frise les 93 ou 94 %, ce qui porte le solde de crédit non consommé à 400 millions d’euros. Ce solde étant passible d’un report, aucun dépassement n’est envisagé pour 2024, hors accélération exceptionnelle de la création de places en crèches, entre autres.

J’en viens à votre interrogation relative aux 238 millions d’euros. Ce budget étant verrouillé, son dépassement ne pourrait s’envisager que par le constat d’une erreur de calcul des données prévisionnelles. L’écart potentiel est difficile à mesurer, mais il serait a priori compensé par le report de crédit que nous venons d’évoquer ou des arbitrages de régulation budgétaire. En tout état de cause, la DSS n’exprime aucune inquiétude envers l’impact des revalorisations sur le budget prévu, même si je ne suis pas en mesure d’en estimer la valeur.

Mme Marion Muscat. Les dépenses globales de la branche famille devraient se chiffrer à 58 milliards d’euros en 2024. Elles intègrent les prestations légales et extralégales et la part que représente l’accueil des jeunes enfants atteint aujourd’hui près de 4 milliards d’euros du budget du Fnas. Toutes les dépenses de CMG structure et emploi direct viennent s’y greffer. Ces considérations dépassent l’objet de votre commission d’enquête, mais la DSS planche sur l’harmonisation des restes à charge entre la garde assurée par des assistantes maternelles et celle du ressort des EAJE en PSU. Notez bien que le congé parental et son indemnisation concourent également à la solvabilité des dépenses de la branche famille.

M. Morgan Delaye. Je reviens sur les réformes du congé de naissance envisagées. Je ne suis pas à même d’en estimer les charges, car elles font encore l’objet d’une phase de travail préparatoire partagée entre la Cnaf et d’autres administrations et qu’il est, dans tous les cas, difficile d’évaluer l’impact financier des effets de comportement particulièrement complexes. À ce stade, nos travaux dépendent d’arbitrages sur la durée de ce congé et son champ d’application et seule une stabilisation de ces critères pourra nous amener à calculer des estimations cadrées.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Je vous remercie pour vos éclairages, qui suscitent de nouveaux questionnements.

Quelle est votre position sur les modalités de transfert des provisions du crédit d’impôt famille au crédit de la branche famille de la sécurité sociale sans pour autant affecter les dépenses de l’État de quelconque manière ? Est-il envisageable de réaffecter le montant du Cifam à l’accueil du jeune enfant directement, au lieu d’en organiser la convergence depuis les caisses de l’État vers celles de la sécurité sociale ?

M. Morgan Delaye. Les modalités de transfert sont relativement simples à mettre en place. Augmenter une clé d’affectation de recettes entre l’État et la sécurité sociale se traduit par trois chiffres à modifier. Ces pratiques se réalisent chaque année pour équilibrer d’autres transferts de charge entre l’État et la sécurité sociale.

Dans le scénario que vous envisagez, l’État conserverait le gain réalisé par la suppression du Cifam et imposerait à la branche famille de consentir un effort de dépenses supplémentaires qui aurait un effet négatif sur son solde. Il relève d’un choix politique et s’il n’incombe pas à la DSS de se prononcer, j’attire votre attention sur le fait que nos services plaident plutôt pour un équilibre global de la sécurité sociale. Les dépenses supplémentaires envisagées par votre scénario n’affecteraient guère la branche famille puisqu’elle est effectivement excédentaire. En revanche, elles pèseraient sur la sécurité sociale en creusant son déficit de 1 milliard d’euros supplémentaire.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Nous approchons du terme de nos auditions et j’aimerais soumettre une série de propositions à vos éclairages, tout en vous consultant sur vos positions en matière de réforme du financement des EAJE.

L’instauration d’un service public de la petite enfance apparaît indispensable à l’évolution des crèches, depuis leurs niveaux de service jusqu’à leurs modèles économiques. Il relève des articles 17 et 18 de la loi pour le plein emploi, qui prévoient un certain nombre de décrets d’application conditionnant l’entrée en vigueur des dispositions législatives adoptées. Je me demande si ces décrets d’application sont en cours d’élaboration, tout en m’interrogeant sur leurs orientations et le calendrier qui les régissent.

Quant à mes propositions, que pensez d’une forfaitisation de la PSU, éventuellement assortie d’une déclinaison à la demi-journée, au lieu d’un taux horaire ? Cette solution pourrait apporter de la simplicité au mécanisme de calcul de la PSU et dégager du temps de gestion administrative au crédit des dirigeants d’établissements d’accueil, dont les efforts convergent vers un taux d’occupation inférieur aux attentes. Le fil conducteur d’une telle solution prioriserait la qualité de l’accueil par rapport au principe de remplissage des berceaux.

Ma deuxième proposition s’oriente vers l’indexation annuelle de la PSU sur l’inflation pour refléter au mieux la réalité du contexte macroéconomique.

Ma suggestion suivante fait écho à une proposition similaire émise par M. le député William Martinet lors de la dernière audition. Étant entendu que le fonctionnement du crédit d’impôt famille repose sur des tiers réservataires d’entreprise, sa suppression pose la question du maintien d’un tel mécanisme. Que pensez-vous d’introduire un versement petite enfance, inspiré du versement transport, pour alimenter le budget des communes et leur permettre de satisfaire leurs objectifs de maintien et de développement de l’offre d’accueil ? Il pourrait à terme prendre la forme d’un guichet unique dédié à l’accès à la place en crèche.

Pour terminer, pouvez-vous m’éclairer sur le bonus handicap ? J’ai le sentiment que ses conditions d’obtention ont évolué et qu’une notification à l’initiative de la maison départementale et métropolitaine des personnes handicapées (MDMPH) n’est plus nécessaire. Une telle évolution, si elle est effective, joue en faveur de l’accueil d’un jeune public, car la situation de handicap se révèle bien souvent avant l’âge de 3 ans, période pendant laquelle les enfants sont accueillis en crèche.

Quels sont les critères de mise en œuvre du bonus handicap ? Serait-il envisageable, dans une logique d’inclusion, d’affecter un montant supplémentaire à la forfaitisation PSU pour compenser les dépenses supplémentaires engagées dans le cadre d’une prise en charge d’un enfant en situation de handicap ? Enfin, pouvez-vous vous prononcer sur un quelconque mécanisme de financement des suppléments liés à l’accueil d’un enfant en situation de handicap ?

Mme Elisa Bazin, cheffe de projet. La DSS travaille à l’élaboration de plusieurs décrets avec le concours de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) qui développe par ailleurs ses propres décrets.

L’article 17 de la loi pour le plein emploi se rapporte au schéma d’orientation applicable aux collectivités et donne lieu à un décret.

En revanche, plusieurs décrets découlent de l’article 18. Le décret principal vise l’évolution de la procédure d’autorisation des Eaje en faveur de la prise en compte de l’avis conforme à rendre avant l’implantation de tout nouvel établissement. Il étend désormais cette procédure au secteur public et en adapte le champ d’application des conditions de cession, notamment en cas de changement de gestionnaire.

Un décret relatif au renouvellement de l’autorisation voit le jour, à raison d’une échéance de quinze ans.

Un autre décret définit les compétences du président du conseil départemental, du préfet et de la Caf en matière de contrôle, ainsi que les modalités du nouveau régime de gradation de sanctions.

Un décret établit les sanctions applicables aux Eaje en cas de manquement aux règles de convention des Caf.

Un autre décret précise la liste des documents de nature comptable et financière à fournir par les Eaje et les modalités de transmission aux Caf.

Un dernier décret relaie un article de la loi de finances instaurant l’obligation de nouvelles compétences aux autorités organisatrices et définit l’évaluation de la compensation financière qui en résulte.

M. Morgan Delaye. Notre objectif vise la rapide finalisation de ces décrets, à savoir que le calendrier prévoit la publication du premier dès le début de l’été. Les autres suivront d’ici l’automne. Une concertation assez forte sur les modalités d’application de ces sujets est de mise avec les acteurs concernés.

Depuis une dizaine d’années, la DSS veille à l’alignement des heures facturées sur les heures réalisées, sans dépasser l’indice de 107 %. Cette contrainte nouvellement introduite pèse sur le calcul de la PSU et concourt à sa complexité. Je rappelle que l’instauration de cet indice visait à éviter qu’un écart trop important ne se creuse entre les heures réalisées et facturées, au risque d’engager des frais pour les familles et la sécurité sociale au titre du financement des structures. Autrement dit, il visait initialement le maintien des marges. Or ce dispositif induit un effet de seuil assorti d’une très nette dégressivité, que la COG prévoit de rendre plus linéaire. Je plaide ainsi pour une stabilité des conditions de financement en vigueur qui malgré leur complexité sont garantes d’une stratégie de développement de l’offre réussie. S’il convient d’en corriger les effets néfastes rapidement, j’estime qu’une prise de position est prématurée.

Concernant l’indexation de la PSU sur l’inflation, l’indice mixte prix-salaire reflète la structure moyenne de coût et si constat peut être fait de distorsions, il vise l’indexation des financements.

Mme Marion Muscat. À l’image de tout autre modèle ou système de financement, la PSU induit effectivement des effets de seuil et des conséquences. Les stratégies précédentes reposaient sur un principe de forfaitisation et un taux unique. Or elles n’apportaient pas les résultats attendus.

M. le président Thibault Bazin. Je vous invite à réagir, madame la rapporteure, car il s’agit là d’un point capital.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Il me semble que ces réflexions relatives aux profondes transformations du système sont empreintes de bon sens à l’horizon de la prochaine COG. Si la Cnaf a précédemment évoqué le principe de linéarisation du taux, je reste circonspecte quant à son adéquation aux pressions exercées sur les gestionnaires de crèches en matière de recettes. Nous maintenons ainsi notre veille sur les meilleurs moyens d’y remédier et d’obtenir le meilleur taux de financement.

Si j’ai bien saisi l’objectif du mode de fonctionnement actuel de la PSU, il s’agit avant tout de relever le taux d’occupation des places en crèche. Or le bilan fait état d’une progression d’à peine un ou deux points et je m’interroge sur la pertinence de faire évoluer un système qui s’avère défaillant au détriment de réflexions axées sur une meilleure architecture de solution.

Mme Marion Muscat. La révision de la PSU vise à résoudre les contraintes quotidiennes des gestionnaires de crèches, mais aussi celles des familles. La nouvelle formule de facturation au forfait horaire pourrait convenir à nombre de parents dans le sens où la plupart des crèches ferment leurs portes dès dix-sept heures.

La DSS reste ouverte, tout en estimant que la révision de la PSU correspond mieux aux besoins des ménages. Outre la forfaitisation à la demi-journée, la nouvelle formule intègre la fourniture des repas et des couches dans certains établissements. Loin de s’orienter exclusivement sur l’optimisation du taux de remplissage des crèches, notre démarche vise un meilleur équilibre entre la quantité des places disponibles et la qualité des modalités d’accueil. La question essentielle reste ciblée sur la part de financement global des Eaje en PSU et revoir son principe de forfaitisation permet non seulement de relever le niveau de qualité de l’accueil, mais aussi d’encourager le bonus territoire à la main des collectivités.

La complexité d’attribution du bonus situation handicap s’apparente à celle du bonus mixité et la multiplicité des financements reflète une volonté de répondre aux conditions quotidiennes des EAJE exposées à ces situations.

M. le président Thibault Bazin. J’entends que des circulaires de la Cnaf définissent les règles d’attribution des bonus et que les Caf sont chargées d’instruire les dossiers suivant des critères d’éligibilité. Nombre de gestionnaires publics et privés ont témoigné de l’ampleur de la part opaque du financement qui freine leurs accès.

Mme Marion Muscat. Pour répondre à la question de Mme la rapporteure à propos du bonus handicap, la notification MDPH justifie la présence en crèche d’un enfant en situation de handicap, mais d’autres critères d’éligibilité s’appliquent.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. Déterminer si un enfant dont la situation de handicap n’est pas déclarée peut bénéficier du bonus handicap renvoie au principe de forfaitisation des subventions. Dans une optique d’inclusion, tout enfant en situation de handicap devrait pouvoir être accueilli en crèche, d’autant que le financement de la branche famille de la sécurité sociale le permet, à savoir que le dispositif s’accompagne d’un mécanisme de récupération du trop-perçu. Dimensionner les financements à l’aune de la réalité du terrain et des besoins des enfants et des structures nécessite l’ouverture d’un débat avec les collectivités.

M. Morgan Delaye. J’entends que votre concept vise un accueil quasi inconditionnel des enfants en situation de handicap au sein des crèches. Or chaque situation est unique et le bonus est déterminé en fonction des contraintes supplémentaires pesant sur la structure qui en découle. Il semble ambitieux de préparer les structures à accueillir l’ensemble des situations de handicap sans puiser dans les réserves du trop-perçu pour investir dans des équipements spécialisés, par exemple.

M. le président Thibault Bazin. Outre les critères d’attribution du bonus, l’enjeu majeur pointe le manque de réactivité de la Caf envers les sollicitations, le versement s’effectuant bien après l’engagement des dépenses nécessaires à l’accueil d’un enfant en situation de handicap, qui sont immédiates.

M. Morgan Delaye. Il me paraît plus simple de capitaliser sur la mutualisation des contraintes d’accueil pour débloquer les financements plus rapidement. Or il est impossible d’anticiper tous les besoins et s’écarter du schéma actuel me semble compliqué. La branche famille s’adapte aux situations de handicap auxquels les structures d’accueil font face, mais doit effectivement réagir plus rapidement.

Mme Marion Muscat. L’adaptation des structures à chaque situation relève de l’enjeu et pas seulement pour satisfaire les besoins des situations de handicap. La DDS travaille sur un cadrage visant à optimiser le parcours de détection et réfléchit à la nécessité d’un écosystème de prise en charge des enfants, notamment ceux en situation de handicap et à un moteur d’innovation au service des conditions d’accueil. Elle envisage de financer des appels à projet. Quoi qu’il en soit, la DSS est engagée en faveur de l’inclusion au sein des Eaje et, dans les faits, le bonus handicap sert à constater les charges supplémentaires qui sont en jeu.

M. Morgan Delaye. Je reviens sur le versement. Si le rapport de la mission d’inspection apporte de nombreux éclairages, il reste compliqué, mais la DSS s’efforce de le réguler. L’essor des micro-crèches participe au développement de l’offre de garde depuis environ dix ans. Le Cifam, déduction faite des sommes dues au titre de l’impôt sur les sociétés, représente une part importante de la participation des entreprises au financement des structures. Il leur permet en outre de valoriser les réservations de berceaux dans leurs politiques d’attractivité et de rétention du personnel.

S’agissant de la valeur réelle de réservation de ces places, le rapport constate que la dépense est moindre par rapport à celle des financements publics. Cependant, dans un contexte de tension financière des pouvoirs publics et des familles, il convient de s’interroger sur le maintien de ce dispositif pour assurer la continuité du développement du secteur de l’accueil de jeunes enfants. Dans ce scénario, déterminer la contrepartie pour l’employeur est déterminant.

Mme Sarah Tanzilli, rapporteure. En fait, le tiers financement issu des entreprises repose majoritairement sur de l’argent public et induit des inégalités de traitement envers l’accès aux places en crèches qui, selon moi, sont totalement incompatibles avec la notion d’un service public de la petite enfance. Forte de ce constat, j’estime que privilégier des solutions incitatives comme l’instauration d’un schéma d’intéressement pour les communes pourrait s’avérer une meilleure stratégie de réponse aux besoins d’accueil des jeunes enfants, dans leur propre intérêt et celui de leurs parents, mais aussi celui des entreprises, et jouer en faveur d’une qualité d’accueil mieux financée.

M. le président Thibault Bazin. Je passe la parole à M. William Martinet.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Sous son mandat, Mme Élisabeth Borne s’est engagée en faveur de la création de 100 000 places formelles en structures d’accueil individuelles ou collectives d’ici 2027. Cet engagement supposant un financement direct ou indirect de la Caf, comment expliquez-vous que la COG actuelle n’en tienne a priori pas compte ?

M. Morgan Delaye. La COG intègre l’engagement de la Cnaf à créer 35 000 places nettes en crèche PSU. Si je ne m’abuse, l’objectif de Mme Borne visait un objectif brut, ce qui pose la réflexion du nombre de places à créer en considérant un important quota d’évasion de places, notamment en accueil individuel. L’engagement à hauteur de 35 000 places nettes est ferme, dans la mesure où l’État a pourvu au financement nécessaire.

Une autre mesure visant à renforcer et à accompagner le développement de la garde d’enfants en accueil individuel est la réforme du CMG, portant sur le relèvement des dépenses prévues au profit des ménages les moins riches pour qui les restes à charge pèsent aujourd’hui trop lourd. La réforme du CMG entre en application dès 2025 et devrait étendre l’accès à ce mode de garde, mais aussi favoriser la création et le maintien de places.

M. William Martinet. J’entends ainsi que l’engagement de Mme Borne portait sur des places brutes.

M. Morgan Delaye. En fait, non. Veuillez accepter mes excuses. C’est une erreur de ma part, il s’agit bien de 100 000 places nettes.

M. William Martinet. Si je comprends bien, l’engagement à l’horizon 2027 se situe à hauteur de 65 000 places d’accueil supplémentaires au crédit des assistantes maternelles pour atteindre l’objectif de la COG et compenser les départs en retraite à venir, annoncés en grande proportion.

M. Morgan Delaye. Effectivement. Outre les structures d’accueil individuel inscrites dans le champ d’application de la COG, le quota de création de places nettes en micro-crèches n’est pas à négliger. Des mécanismes de contractualisation visant le développement de l’offre à la main des collectivités restent à identifier.

Mme Marion Muscat. L’essor des micro-crèches Paje participe nettement au delta que vous constatez dans le nombre de places nettes en PSU.

M. William Martinet. Je vous remercie pour cet éclairage. J’entends ainsi que l’engagement de création de places d’ici 2027 se situe à hauteur de 65 000 places.

Lors de l’audition précédente, les représentants de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF) nous ont sensibilisés à la nécessité de faire évoluer le cadre réglementaire des micro-crèches Paje en prévoyant notamment un renforcement du taux d’encadrement et l’embauche de personnel mieux qualifié, mais aussi leur conversion en crèches PSU.

Quel est votre sentiment sur la réalisation de l’objectif visant un quota supplémentaire de 65 000 places nettes d’ici 2027 ?

M. Morgan Delaye. Si l’objectif est ambitieux, les moyens nécessaires sont déployés pour y satisfaire. Par ailleurs, la conversion des micro-crèches Paje en crèches PSU n’entre pas dans le cadre de l’objectif visé, mais représenterait des places supplémentaires.

M. William Martinet). Estimez-vous que les investissements sous-jacents à la précédente COG étaient en ligne avec l’inflation des charges subie par les EAJE ?

M. Morgan Delaye. Force est de constater que la période conventionnelle visant les deux COG précédentes est marquée par la prépondérance croissante des financements en provenance de la branche famille dans la recette des EAJE. Dans les faits, les courbes se sont inversées et la branche famille contribue aujourd’hui près de dix fois plus qu’il y a une quinzaine d’années, quand les financements des collectivités s’affichent en repli, malgré la constance des sommes qu’elles consacrent à cet aspect de la politique publique. Ce repli est relatif car, en réalité, le rythme de croissance des besoins en accueil ou des subventions de la branche famille est supérieur à celui des investissements.

Pour répondre à votre question, au cours des périodes conventionnelles précédentes, la part de la PSU a enregistré la croissance la plus rapide. Il me semble que les besoins s’orientent vers le cofinancement et la loi sur le service public de la petite enfance (SPPE) vise à mieux doter les collectivités. Hors considérations financières, les collectivités doivent s’approprier les besoins de leurs territoires pour mieux y répondre et la COG actuelle y veille.

M. William Martinet. Suggérez-vous que les collectivités vont investir davantage dans les EAJE à la suite de la loi SPPE ?

M. Morgan Delaye. Leurs investissements restent stables, mais leurs dépenses de fonctionnement s’inscrivent à la hausse. Un meilleur accompagnement favorisera des investissements supplémentaires.

M. William Martinet. Autrement dit, l’objectif est-il de permettre aux collectivités d’arrêter des arbitrages prioritaires au service de la petite enfance ?

M. Morgan Delaye. Il ne m’appartient pas de définir la politique à suivre par les collectivités, mais effectivement l’objectif reste ciblé sur le développement de l’offre de garde mise en place par la branche famille. 66 % des revalorisations sont nées de ce système. En conséquence, les employeurs publics sont invités à porter leurs orientations en faveur de l’accompagnement des collectivités.

M. le président Thibault Bazin. Nous avons toutefois le sentiment que les priorités visent avant tout la sauvegarde des places existantes des structures publiques et privées non lucratives. Si la résolution des équations de cofinancement n’est pas si simple, le rôle des collectivités y apparaît majeur.

M. William Martinet. Je retiens que l’investissement en faveur de l’accueil des jeunes enfants atteindra 1,5 milliard d’euros supplémentaires par rapport à 2022.

M. Morgan Delaye. En effet.

M. William Martinet. Pouvez-vous nous éclairer sur la déclinaison envisagée de cette somme au titre de la création de nouvelles places, de l’augmentation du coût de fonctionnement des Eaje, de la formation et de la revalorisation salariale du personnel d’accueil ?

Une augmentation des salaires comprise entre 100 et 150 euros représente une dépense totale de 238 millions d’euros. Or l’augmentation du SMIC s’alignera sur l’inflation d’ici 2027 et constitue, in fine, une charge plus importante.

M. Morgan Delaye. Près de la moitié de l’enveloppe vise à financer l’exploitation des places existantes, donc 700 millions d’euros supplémentaires d’investissement qui tiennent également compte des revalorisations salariales alignées sur l’indice prix-salaires, ainsi que les évolutions dites tendancielles hors mesures nouvelles. S’y ajoutent les mesures nouvelles, dont les revalorisations salariales et leur montée en charge, qui pèsent 238 millions d’euros, mais aussi la création de nouvelles places.

Leur répartition dépend des hypothèses du calendrier de création, à savoir qu’une place supplémentaire représente une charge moyenne de 10 000 euros. Pour vous donner un ordre de grandeur, en multipliant cette valeur par le nombre de places envisagées, nous parvenons à un total théorique de 350 millions d’euros d’ici à 2027.

Il convient enfin d’y greffer les bonus et les subventions à l’investissement, soit environ 180 millions d’euros. En conclusion, le financement des structures existantes représente près de 40 % du total.

M. William Martinet. Pouvez-vous préciser où puiser le budget nécessaire à financer les heures de concertation et les journées pédagogiques des professionnels du secteur, dont les attentes à cet égard sont fortes ?

M. Morgan Delaye. Elles s’intègrent à l’enveloppe dédiée aux mesures nouvelles que nous venons d’évoquer, au même titre que les mesures orientées sur la qualité qui en font partie.

M. William Martinet. Pour terminer, confirmez-vous que le fonctionnement des Eaje actuels, le bonus d’attractivité et les ouvertures de places représentent un total de 1,1 milliard d’euros et que le solde servirait à financer les nouvelles mesures et les investissements à hauteur d’environ 300 millions d’euros ?

M. Morgan Delaye. Pour être précis, le solde affiche 180 millions d’euros pour l’investissement et pour les bonus, en données arrondies.

M. William Martinet. Je vous remercie pour toutes ces précisions.

M. le président Thibault Bazin. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour cette audition, riche en questions et en réponses. Je vous rappelle votre obligation d’apporter sous vingt-quatre heures toute correction à des propos que vous pourriez juger inexacts a posteriori, ou s’il vous semble utile de compléter vos réponses pour mieux éclairer les membres de la commission d’enquête. Nous vous invitons également à préciser les éléments de réponse aux interrogations de Mme la rapporteure.

Je vous propose de suspendre la séance et j’aurai plaisir à vous retrouver dès demain.

 

La séance est levée à 19 heures 50.


Membres présents ou excusés

Présents. – M. Thibault Bazin, M. William Martinet, Mme Sarah Tanzilli