Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Audition de M. François de La Guéronnière, conseiller maître, président de section, sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la formation continue des médecins, communiqué à la commission des affaires sociales en application des dispositions de l’article L.O. 132‑3‑1 du code des juridictions financières 2
– Examen, du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (n° 4) (M. Yannick Neuder, rapporteur général) 20
– Informations relatives à la commission......................45
– Présences en réunion.................................46
Mercredi
25 septembre 2024
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 4
session de septembre 2024
Présidence de
Mme Annie Vidal,
Vice-présidente
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La réunion commence à neuf heures.
(Présidence de Mme Annie Vidal, vice-présidente)
Mme Annie Vidal, présidente. Chers collègues, nous commençons nos travaux de la matinée avec l’audition de M. François de La Guéronnière, président de section à la sixième chambre de la Cour des comptes.
Le rapport de la Cour des comptes sur la formation continue des médecins a été réalisé à la demande de notre commission en application des dispositions de l’article L.O. 132‑3‑1 du code des juridictions financières. Nous avons également demandé à la Cour un rapport sur les urgences hospitalières, qui nous sera communiqué prochainement. Enfin, il reviendra à la commission de statuer d’ici à la fin de l’année sur le prochain sujet qu’elle souhaitera confier à la Cour.
M. Jérôme Guedj (SOC). Auparavant, pourrions-nous être informés des modalités qui seront retenues pour l’élection du nouveau président de notre commission ainsi que du calendrier de remplacement des députés qui sont devenus ministres ? Nous devons examiner, dans quelques jours, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 et il paraîtrait étonnant que nous n’ayons pas de président ou présidente de commission pour animer nos débats. Il serait de bonne gouvernance que nous sachions exactement comment nous allons nous y prendre.
Mme Annie Vidal, présidente. Je vous propose d’en parler après la présentation du rapport de la Cour, au début de l’examen du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale.
M. François de La Guéronnière, conseiller maître, président de section à la sixième chambre de la Cour des comptes. Merci de m’avoir invité à présenter ce rapport intitulé « La formation continue des médecins », dont je commencerai par préciser le champ. Alors que la formation médicale concerne l’ensemble des professionnels de santé, nous avons choisi, compte tenu des délais impartis à l’instruction, de concentrer l’enquête sur les seuls médecins, en couvrant en revanche tous les modes d’exercice – en libéral ou en établissement public ou privé de santé – et toutes les spécialités. Nous avons cherché à apprécier dans quelle mesure et à quel coût les dispositifs de formation permettent de renforcer l’efficacité du système de santé et la confiance des citoyens dans sa qualité.
L’importance de la formation continue des médecins tient à son rôle dans la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients. Au fil des évolutions thérapeutiques, les connaissances acquises par les médecins au cours de leur formation initiale peuvent en effet se périmer. Les entretenir régulièrement est une préoccupation consubstantielle à l’exercice de la médecine, qui apparaît dès le serment d’Hippocrate, il y a vingt‑quatre siècles, mais également dans celui adopté en 1948 par l’Association médicale mondiale. La rapidité des évolutions scientifiques et technologiques illustre son importance.
En France, la formation médicale continue constitue une obligation déontologique depuis la fin des années 1970, et son périmètre a été progressivement étendu. Elle repose désormais sur deux dispositifs. Tout d’abord, depuis 2009, le développement professionnel continu (DPC) oblige les médecins à s’engager dans un parcours individuel de formation au cours d’une période de trois ans. Les deux principaux objectifs poursuivis sont, d’une part, le maintien et l’actualisation des connaissances et des compétences et, d’autre part, l’amélioration des pratiques professionnelles.
En second lieu, depuis le 1er janvier 2023, une obligation de certification périodique impose non seulement aux médecins, mais également aux praticiens de six autres professions à ordre de suivre un parcours de formation distinct du DPC et comportant deux objectifs supplémentaires : l’amélioration de la relation avec les patients et une meilleure prise en considération de leur santé personnelle.
Le constat principal qui se dégage de ce rapport est que la formation continue des médecins n’est pas réalisée dans des conditions satisfaisantes, susceptibles de garantir de façon durable la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients.
D’abord, l’obligation de DPC reste méconnue des médecins. Cette obligation peut être respectée en suivant soit un parcours de formation de référence défini par les praticiens de la spécialité, soit un parcours libre intégrant, à l’initiative du médecin, des actions de formation, d’amélioration des pratiques ou de gestion des risques, soit enfin en s’engageant dans une démarche d’accréditation individuelle ou collective.
Malgré la souplesse de ce dispositif, seul un médecin sur sept a satisfait à cette obligation au cours du dernier cycle triennal 2020-2022, et 12 % des médecins se sont engagés dans un parcours de formation sans le finaliser. Cela laisse 73 % de médecins qui ne se sont pas du tout engagés dans un parcours de DPC. Ces résultats sont variables suivant les modes d’exercice : si plus de 26 % des médecins libéraux respectent leur obligation, le taux chute à environ 3 % pour les médecins salariés et hospitaliers.
Cela ne signifie pas que les médecins ne se forment pas, mais qu’ils ne respectent pas leur obligation de signaler les actions de formation auxquelles ils participent à l’ordre des médecins. Ces manquements ont des conséquences car les formations suivies en dehors du dispositif de DPC ne présentent pas les mêmes garanties, en termes de conformité aux parcours de référence, de qualité pédagogique et scientifique ou encore d’indépendance par rapport à l’industrie pharmaceutique.
Plusieurs raisons ont été mises en avant par les représentants des médecins pour expliquer ce très faible résultat : l’organisation de la formation continue serait trop complexe ; les actions de formation seraient trop nombreuses et souvent inadaptées à la réalité de l’exercice professionnel. Nous avons également constaté que l’ordre des médecins ne joue pas pleinement son rôle : simple chambre d’enregistrement des informations qui lui sont transmises, il ne fait que très peu connaître l’obligation de formation et ne mène aucune action de communication, ni collective, ni ciblée sur les médecins qui ne déclarent pas suffisamment. Il n’exerce pas assez son rôle de contrôle de la fiabilité des informations communiquées ni son pouvoir disciplinaire.
Le deuxième constat principal de ce rapport porte sur la nouvelle obligation de certification périodique. Plus de trois ans après son instauration par l’ordonnance du 19 juillet 2021, ses contours restent très imprécis. Malgré la publication des trois premiers décrets d’application, les médecins ne savent toujours pas comment la respecter, alors qu’elle est entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2023. Des décrets d’application sont encore attendus sur des sujets importants tels que les modalités de contrôle par les ordres professionnels et la gestion des comptes individuels.
La superposition de ces deux obligations, DPC et certification périodique, nous paraît nuisible car elles poursuivent des objectifs communs et ont des périmètres qui se recoupent en large partie. Dans les deux cas, les actions visent à actualiser les connaissances et les compétences des médecins et à renforcer la qualité de leur pratique professionnelle. Le maintien de deux dispositifs complexes, coûteux et peu compréhensibles non seulement semble difficile à justifier, dès lors qu’un seul pourrait suffire, mais pourrait se traduire par des décisions contradictoires de l’ordre face à un médecin qui respecte l’une des obligations mais pas l’autre. Comment expliquer cela clairement ?
Il convient donc de simplifier radicalement la formation continue des médecins en supprimant l’obligation de DPC pour ne maintenir que l’obligation de certification périodique. Cela permettrait d’alléger les obligations pesant sur les praticiens et de clarifier l’ensemble du dispositif tout en rationalisant les moyens, notamment s’agissant des systèmes d’information.
D’autres améliorations sont également souhaitables. Il faut en premier lieu veiller à ce que le niveau d’exigence de la certification soit le même partout, et donc que les obligations imposées aux médecins soient comparables, quelles que soient leurs spécialités. L’harmonisation des quarante-huit parcours de formation de référence constitue une étape essentielle. À la lecture de ces référentiels, les médecins doivent pouvoir identifier précisément les actions qu’ils doivent mener, de même que leur durée et leur fréquence, voire leur pondération les unes par rapport aux autres. Ils doivent également pouvoir connaître les justificatifs leur permettant d’attester de leur participation ou de leur réussite à des tests, voire à des examens.
Il faut en deuxième lieu renforcer le contrôle, afin que la formation continue des médecins contribue effectivement à garantir la qualité et la sécurité des soins. Un système purement déclaratif, comme le DPC, ruinerait la crédibilité du dispositif dans son ensemble. L’ordre des médecins, qui est chargé du contrôle, doit avoir une conception suffisamment précise et exigeante de son rôle. Pour mener sa mission, il doit avoir des garanties quant à la qualité des informations qui lui sont transmises. Il doit pouvoir s’assurer que les actions suivies sont réalisées dans des conditions satisfaisantes au regard des exigences pédagogiques et scientifiques, et que les actions déclarées sont effectivement suivies par les médecins. Ces contrôles existent et sont le plus souvent réalisés par les organismes qui financent la formation continue : il faudrait que l’ordre en ait connaissance pour pouvoir les vérifier.
Enfin, il faut évaluer l’impact des actions de formation continue des médecins sur l’amélioration effective de leurs connaissances et de leurs pratiques. Cette évaluation est prévue, mais pas encore réalisée en raison des difficultés d’accès aux données personnelles, même anonymisées. Il est par ailleurs nécessaire d’étendre cette évaluation à l’ensemble des actions de formation.
Troisième sujet : la régulation de l’offre de formation. L’expertise médicale dispensée lors des actions de formation doit être d’une qualité scientifique reconnue et indépendante de l’industrie des produits de santé. Quant à ce dernier point, les risques sont élevés, à en juger par les montants financiers versés aux acteurs de la santé, en toute transparence, par l’industrie pharmaceutique. Entre 2017 et 2022, le montant des conventions, rémunérations et avantages versés a dépassé 5 milliards d’euros, dont plus de la moitié à des académies, fondations, sociétés savantes ou organismes de conseil susceptibles de dispenser des formations. De surcroît, des situations de conflits d’intérêts persistent, notamment au sein des conseils nationaux professionnels qui définissent les parcours de référence, certains comptant des organismes de formation parmi leurs mandants.
Dans ces conditions, une régulation de la formation continue est souhaitable. Les organismes devraient disposer d’un conseil scientifique indépendant et ne pas recevoir de ressources de l’industrie pharmaceutique. Or les contrôles actuellement réalisés par les opérateurs de la formation continue des médecins ne sont pas d’une intensité uniforme. Les critères et donc les exigences des formations sont variables, alors qu’elles sont prises en considération sans distinction pour apprécier le respect de l’obligation de formation. Cela pèse à l’évidence sur la crédibilité de l’ensemble du dispositif. Pour pallier ces difficultés, nous recommandons la création d’un label unique à attribuer à tous les organismes de formation autorisés. Celui-ci serait délivré par un seul opérateur, sur le fondement de critères garantissant la qualité et l’indépendance des actions de formation. En complément, les contrôles a posteriori pourraient être renforcés, tout comme les sanctions.
Le dernier sujet que je souhaite aborder concerne le financement de la formation continue des médecins. Les sources de financement sont nombreuses. Sur les 140 millions d’euros de dépenses identifiés, plus de 115 sont financés par l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC), principalement pour des actions de formation suivies par les médecins libéraux. Les dépenses de formation des médecins hospitaliers ou salariés sont beaucoup plus limitées, de l’ordre de 13 et 6 millions respectivement, même si ces chiffres ne comprennent pas les dépenses assurées directement par les établissements publics et privés de santé dont les remboursements n’ont pas été demandés.
En tout état de cause, nous n’avons pas détecté de tension sur les financements, dont les montants sont restés stables de 2019 à 2023, exception faite des années 2020 et 2021 en raison du contexte sanitaire. La mise en œuvre progressive de la nouvelle obligation de certification périodique est toutefois susceptible d’entraîner un fort développement de la formation, qui mettra à l’épreuve la résilience financière du dispositif.
Le rapport souligne que les modalités actuelles de financement pourraient être plus efficientes, et que certains crédits disponibles ne sont pas utilisés.
Ainsi, la formation des médecins libéraux, dont la gestion a été confiée à l’ANDPC, donne lieu à des surcoûts par rapport aux actions financées par les autres opérateurs. De même, le versement d’indemnités aux médecins pour compenser la perte de ressources pourrait ne pas être justifié pour tous les professionnels et pour tous les types d’actions de formation. Ainsi, quand les médecins biologistes sont en formation, leurs laboratoires restent ouverts.
Pour les médecins hospitaliers et salariés, l’enjeu est de veiller à ce que les crédits disponibles soient effectivement mis à la disposition des médecins. Or, alors que des ressources sont inscrites à l’ANDPC, les conventions nécessaires à leur utilisation n’ont toujours pas été signées avec les opérateurs compétents.
Au terme de cette enquête, la Cour formule sept recommandations, dont trois nous semblent mériter plus particulièrement un examen de la part du législateur.
La première porte sur la fusion des dispositifs de formation continue des médecins, pour ne conserver que l’obligation de certification périodique. Elle requiert une disposition législative.
La deuxième porte sur l’homogénéisation des conditions de régulation des organismes de formation dans le secteur de la santé, avec la création d’un label spécifique et obligatoire, délivré par un opérateur unique.
La troisième consiste à élargir l’évaluation de l’impact des actions de formation continue à la certification périodique et à autoriser l’exploitation de certaines données relatives d’une part aux caractéristiques des formations suivies et, d’autre part, aux pratiques des professionnels de santé en matière de soins dispensés et de produits de santé prescrits. Ces données seraient bien évidemment anonymisées. Cette recommandation permettrait de faciliter les échanges entre les organismes chargés de cette mission d’évaluation et les opérateurs détenteurs des informations nécessaires.
Le rapport formule quatre autres recommandations portant sur l’harmonisation des référentiels de certification périodique ; la formalisation, dans un décret, des principes généraux de contrôle des actions de formation ; l’amélioration des conditions de développement du système d’information destiné à gérer les comptes individuels de certification périodique ; et l’intensification des contrôles a posteriori menés par les financeurs sur les actions de formation suivies par les médecins.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Thierry Frappé (RN). D’abord déontologique, puis obligatoire, la formation médicale continue associe maintenant le développement professionnel continu à la certification périodique. Le rapport met en avant l’échec de ce système qui semble « impuissant à rendre compte de l’engagement des médecins dans la formation continue ». En effet, 67,4 % des médecins ne sont pas actifs sur la plateforme de l’ANDPC. Cadre flou de la certification, défaut de décrets d’application, absence de sanction réelle au manque de formation continue, contrôle déclaratif : le résultat est que seul un médecin sur sept satisfait au DPC, pour une dépense de 140 millions d’euros – pour la certification, la dépense sur six ans s’élève à 2,475 milliards d’euros.
Nous sommes tous conscients de la crise que traverse la profession : pénibilité – près de 71 % des médecins généralistes sont en burn-out –, charge administrative – estimée à une journée de travail hebdomadaire –, désertification médicale – qui rend plus difficile l’accès à la formation, les professionnels étant contraints de fermer leur cabinet médical pour la suivre.
Ce rapport propose plusieurs pistes de réflexion concernant la pertinence des formations proposées par le ministère et les agences régionales de santé – répondent-elles aux besoins et aux attentes des médecins sur le terrain ? – et la fiabilité de la formation, tant dans sa conception que dans son déroulement et sa nécessaire indépendance. Ne faudrait-il pas contrôler le système de formation médicale sur des critères objectifs, plutôt que par une simple déclaration des organismes ?
M. Jean-François Rousset (EPR). La formation continue des médecins est un enjeu essentiel pour s’assurer de la qualité des soins dans notre pays. En effet, la médecine est une discipline scientifique en constante évolution. D’ailleurs, la France est au premier plan puisque nous investissons chaque année près de 3 milliards d’euros dans l’innovation et la recherche appliquée en santé. Grâce à ces importants financements, nous aboutissons à des évolutions technologiques, diagnostiques et thérapeutiques majeures. Je pense notamment à l’intelligence artificielle et au numérique, qui transforment les modalités d’exercice. Il est donc essentiel que les médecins en exercice se forment à ces nouvelles pratiques.
Pour cela, deux voies s’offrent à eux : le développement professionnel continu, dont les formations ne sont suivies que par un professionnel sur sept, et la certification périodique, centrée moins sur l’actualisation des connaissances que sur la relation professionnel-patient et interprofessionnelle. Toutefois, les référentiels de formation n’étant pas encore publiés, cette dernière obligation n’est pas encore effective.
Ce contexte soulève plusieurs interrogations. Comment expliquez-vous le faible recours au développement professionnel continu par les médecins ? Quels blocages identifiez‑vous concernant la définition des référentiels de certification ? Quelles sont les principales pistes d’amélioration ?
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le rapport souligne le paradoxe de la construction de la formation médicale en France : d’un côté, notre formation initiale est parmi les plus longues en Europe, très sélective et révisée périodiquement pour s’adapter aux besoins de santé ; de l’autre, les exigences et surtout les possibilités de formation diminuent très fortement dès lors que l’on entre dans la carrière.
Vous évoquez des retards dans la conception des référentiels des certifications périodiques. Avec qui serait-il souhaitable de discuter de leur contenu ? Qui sont les acteurs légitimes : les médecins, ou plus largement les soignants ? Cela soulève la question sous-jacente de l’objet de la formation continue médicale : s’agit-il d’augmenter le niveau de connaissance médicale, d’améliorer la connaissance des parcours de soins et des structures disponibles, ou encore de développer les pratiques de démocratie sanitaire ?
Par ailleurs, vous expliquez par plusieurs raisons la trop faible consommation des crédits alloués à la formation continue, à commencer par les conditions d’éligibilité, qui ont été mal acceptées. À quoi pensez-vous qu’il faille rattacher ces crédits si les orientations pluriannuelles prioritaires ne font pas consensus chez les praticiens ?
M. Guillaume Garot (SOC). La formation continue des médecins représente 140 millions d’euros chaque année. On comprend, à la lecture de votre rapport, qu’il reste de vraies marges de progression pour donner la plus grande efficience possible à cette dépense publique, sur les procédures comme sur le fond.
Je suis convaincu que la formation est une opportunité réelle et insuffisamment exploitée pour améliorer l’offre de soins dans les territoires. Nous sommes de plus en plus nombreux à considérer que la régulation de l’installation et de l’exercice médical est une piste d’avenir, mais il faut aussi optimiser le temps médical et l’exercice des soins. La formation continue des médecins constitue donc un véritable enjeu. Il faut travailler sur la formation à la prévention, au travail collectif, à l’utilisation des outils numériques. Or les DPC s’intéressent peu à ces sujets. Dans quelle mesure l’offre de formation financée par l’État peut-elle permettre d’optimiser le temps médical et de favoriser la pratique collective ?
Mme Sylvie Bonnet (DR). Le rapport met en lumière une situation préoccupante : seuls 14 % des praticiens ont rempli leur obligation de DPC au cours du cycle 2020-2022. C’est alarmant, car cela ne garantit pas la qualité et la sécurité des soins dans un contexte d’évolution constante des pratiques médicales.
Ce faible taux s’explique en grande partie par la complexité des dispositifs, mais aussi par le manque de sanctions efficaces. Je partage votre objectif de simplification par la fusion du DPC avec la certification périodique. Un système unique, clair et efficace permettrait de renforcer l’adhésion des médecins et d’assurer un contrôle plus rigoureux. Nous devons aussi veiller à ce que les formations proposées soient de qualité et indépendantes des influences de l’industrie pharmaceutique. Il est de notre devoir de nous assurer que nos praticiens soient toujours à la pointe des connaissances scientifiques dans l’intérêt de nos concitoyens.
La question de financement est cruciale. Le soutien de l’État doit être renforcé pour garantir une formation accessible à tous les médecins, libéraux ou salariés, en milieu urbain ou rural. Avec la certification périodique, comment le ministère de la santé pourra-t-il adapter les financements pour garantir que cette obligation supplémentaire ne mette pas en danger la stabilité financière des dispositifs de formation continue ?
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Alors que la moitié des médecins ont plus de 60 ans, et ont donc achevé leur formation initiale il y a plus de trente ans, la mise à jour régulière de leurs connaissances est déterminante pour garantir la qualité des soins prodigués aux patients et, plus largement, la santé publique.
Mais, alors qu’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales pointe que 98 % de la formation continue médicale est financée par l’industrie pharmaceutique, se pose la question de la qualité de la formation, dont le seul objectif doit être l’amélioration des pratiques. À l’heure où l’on ponctionne le budget de la santé pour faire des économies au détriment des plus vulnérables, le groupe Écologiste et Social s’interroge : quelle est la part de financement public dans l’organisation de ces colloques tous frais payés qui consistent parfois davantage en la promotion de certains médicaments qu’en une véritable formation ? Et quelle est leur influence, sachant que, selon une étude de 2022, les médecins n’ayant jamais reçu de cadeau prescrivent des médicaments moins coûteux pour l’assurance maladie ?
Dans votre rapport, vous recommandez de renforcer la certification des formations. Mais est-il pertinent de certifier des congrès organisés par les laboratoires pharmaceutiques ?
Sachant que ces congrès pallient aussi un manque de formation publique, quelles sont les perspectives d’une plus grande prise en charge par l’État de la formation continue des médecins, qui permettrait que les intérêts privés ne priment pas sur la santé ?
Enfin, les médecins sont libres de choisir leurs modules de formation continue. Mais, compte tenu de l’important déficit de formation des professionnels de santé dans certains domaines, ne faudrait-il pas en rendre certains obligatoires, pour renforcer une participation encore largement insuffisante à des modules primordiaux comme les soins palliatifs, la santé des femmes et des personnes transgenres, le handicap ou la détection des violences sexistes et sexuelles ?
M. Olivier Falorni (Dem). Dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, que j’ai eu l’honneur de présider, et des débats sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, j’ai pu constater à de nombreuses reprises que la culture palliative, trop souvent négligée, peinait à se diffuser dans le domaine médical, faute, sans doute, d’une discipline universitaire dédiée et d’un diplôme d’études spécialisées en médecine palliative, mais surtout parce que la formation initiale comme continue ne met pas suffisamment l’accent sur la fin de vie.
Aujourd’hui, les soignants et les médecins restent davantage formés à guérir qu’à soigner. La fin de vie est encore trop souvent envisagée sous le seul angle de l’échec thérapeutique, ce qui est un véritable problème. L’étanchéité entre médecine curative et médecine palliative n’a pas totalement disparu : cette dernière, perçue comme une forme de gestion de la mort, reste peu attractive. Pourtant, cette discipline de l’accompagnement et du soin, qui nécessite une expérience non seulement technique, mais aussi et avant tout humaine, pourrait être intéressante pour des médecins déjà installés depuis plusieurs années. Elle a donc toute sa place dans la formation continue.
On raisonne encore trop souvent en termes de performance – c’est logique, on veut guérir – mais je pense que la formation continue devrait apprendre davantage à soigner. Selon vous, quelles solutions permettraient de renforcer la formation continue en médecine palliative, comme le prônait l’article 1er de la loi Claeys-Leonetti ?
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Malgré les nombreuses réformes que le système français a connues, qui sont rappelées dans votre rapport, la formation continue des médecins, pourtant essentielle pour garantir la qualité des soins prodigués à nos concitoyens, continue de connaître des dysfonctionnements. Alors que le développement professionnel continu est un dispositif central dans la mise à jour des compétences des professionnels de santé, des défis persistent en termes de participation des médecins, d’organisation, de financement et d’efficacité.
En matière d’évaluation du dispositif d’abord, quels mécanismes inspirés de l’étranger pourraient être déployés pour pallier l’absence de suivi systématique et d’évaluation du DPC et mieux mesurer les conséquences des formations sur les pratiques médicales et l’amélioration des soins ?
Par souci de simplification et d’économie, vous proposez également de fusionner les dispositifs de formation continue des médecins pour ne conserver que l’obligation de certification périodique, instaurée en 2021 mais dont les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. Selon vous, quels sont les principaux freins à une fusion d’une telle ampleur ?
Enfin, quelles sont les pistes pour conjuguer la nécessaire redéfinition des modalités de financement de la formation continue avec la pérennité du système, comme vous le recommandez ?
M. Paul-André Colombani (LIOT). Ce rapport dresse un état des lieux assez complet de l’état actuel de la formation continue des médecins. En tant que praticien, je ne peux malheureusement que témoigner de ses dysfonctionnements.
Il y a une quinzaine d’années, nous disposions d’un système de santé pensé par et pour les médecins. La formation continue, dispensée par des associations locales, était axée sur des programmes que les médecins pouvaient adapter à leurs besoins. Cette proximité avait l’avantage de la qualité des échanges et de la convivialité, mais aussi – personne ne le niait – plusieurs inconvénients, comme le manque d’évaluation de l’impact de la formation sur la pratique. Ce système a donc été remplacé par le développement professionnel continu, un dispositif séduisant sur le papier mais qui a finalement généré une complexification administrative qui rebute énormément. Formations trop disparates, mal indemnisées, peu qualitatives ou trop gourmandes en temps médical disponible, financiarisation et manque de transparence du dispositif : les médecins ne peuvent que constater l’échec du DPC. Nous sommes donc passés d’un système perfectible à un système largement imparfait.
Je pense que les pistes d’améliorations qui doivent émerger de ce rapport doivent se concentrer en priorité sur la simplification administrative – c’est une demande forte du corps médical – et s’inspirer de modèles qui ont fait leurs preuves, notamment dans les pays voisins.
M. Yannick Monnet (GDR). Selon la Cour des comptes, le faible nombre de médecins qui satisfont à leurs obligations de formation est le fruit de plusieurs phénomènes : le manque de lisibilité et de cohérence des modalités d’accès à la formation, de son processus de validation et des moyens de valoriser la formation suivie, mais aussi l’absence des décrets d’application de la certification périodique, trois ans après sa création.
Je me demande si une partie de l’explication ne réside pas également dans l’ouverture à la concurrence du secteur de la formation médicale continue. Une partie des 2 000 signalements adressés chaque année par les professionnels de santé à l’ANDPC concerne un démarchage commercial souvent très agressif et éloigné du sérieux des enjeux de la formation continue en santé – un phénomène qui ne fait que perdre un peu plus encore les professionnels de santé. En août 2023, l’ANDPC a d’ailleurs adressé un courrier à la Commission nationale de l’informatique et des libertés pour lui faire part des pratiques déviantes de dix organismes. Elle avait dès 2018 publié une charte éthique afin d’encadrer les pratiques de ces organismes de formation, mais le principe économique de la rentabilité et la concurrence du marché de la formation sont pugnaces.
Soulignant le coût important de la formation continue des médecins au regard d’un résultat jugé peu satisfaisant, la Cour des comptes suggère d’en réformer les modalités de financement. Ne serait-il pas plutôt temps d’agir résolument sur les organismes de formation et de réformer ce marché, afin que les médecins puissent remplir plus facilement et plus efficacement leurs obligations de formation ?
M. François de La Guéronnière. Messieurs Rousset et Frappé, le faible recours au DPC – un médecin sur sept seulement – ne signifie pas que les médecins ne se forment pas, simplement qu’ils ne le font pas à travers le DPC. Au-delà de la complexité et du manque de lisibilité du système, et du cloisonnement en fonction de la spécialité des praticiens – par exemple, un médecin inscrit comme généraliste exerçant comme urgentiste n’a pas accès aux formations d’urgentiste –, nous constatons que les médecins sont peu incités à participer au système : l’ordre des médecins communique très peu sur le DPC, ses contrôles sont légers et les médecins qui n’y ont pas recours ou ne terminent pas leurs formations ne sont ni relancés, ni sanctionnés. User de son pouvoir disciplinaire pour sanctionner les praticiens qui refusent absolument de respecter leurs obligations de formation pourrait pourtant faire partie de ses missions, au titre de la déontologie médicale.
Face à cette situation, pour répondre également à la question de Mme Colin-Oesterlé, nous recommandons avant tout de simplifier drastiquement le système en supprimant le DPC au profit de la certification périodique, dont l’objet est plus large, d’autant que le double dispositif fait courir le risque de voir l’ordre des médecins prononcer des décisions contradictoires pour un même praticien, ce qui serait particulièrement nuisible. Dans un souci de simplification administrative, d’efficacité et de clarification, nous préconisons également, messieurs Clouet et Colombani, d’harmoniser les référentiels des parcours de formation, afin de les rendre plus lisibles pour les médecins mais aussi plus homogènes, pour que l’effort de formation soit bien réparti entre les spécialités. Cela devrait permettre, monsieur Falorni, de mieux en prendre en considération la médecine palliative. La pondération des actions permettrait en outre d’éviter que des formations lourdes comptent pour presque rien ou, à l’inverse, que d’autres qui demandent peu d’efforts permettent de s’acquitter à peu de frais des obligations de formation. Néanmoins, nous n’avons pas cherché à définir le contenu des référentiels : c’est une question complexe et, pour qu’ils soient gage d’homogénéité et de simplicité, leur élaboration doit associer largement les praticiens.
Monsieur Peytavie, nous avons effectivement constaté que l’indépendance des formations n’était pas toujours garantie. Par exemple, certains acteurs proposent, dans le cadre des formations qu’ils dispensent, de participer à des colloques ou séminaires qu’ils organisent. Pour garantir la qualité des formations, leur indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique et l’égalité de traitement des professionnels formés – des conditions tout à fait indispensables –, nous recommandons la création d’un label, qui serait décerné aux organismes de formation par un opérateur unique.
M. Christian Chapard, conseiller référendaire à la sixième chambre de la Cour des comptes. S’agissant du financement des formations, il faut avoir à l’esprit que le système de formation continue des médecins, comme celui de tous les professionnels de santé, a été conçu pour offrir une grande liberté de choix, tant sur le fond que sur la forme, puisqu’ils sont autorisés à choisir l’organisme dispensant la formation et à se former sur leurs deniers personnels. Parmi toutes les formations, seules celles qui répondent aux orientations prioritaires définies par le ministère chargé de la santé – il en existe plus de 200, ce qui offre un très large choix – sont prises en charge par les crédits publics, qui assurent en outre aux médecins libéraux une indemnité de compensation pour perte de ressources. Les fonds publics ne peuvent pas financer n’importe quoi. Certains opérateurs de compétences, comme l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier et l’Opco santé, imputent la sous-consommation de certains crédits à des contrôles trop poussés de l’ANDPC sur les formations dont ils demandent le remboursement, mais le fléchage des financements publics reste indispensable pour garantir la bonne utilisation de l’argent public et la qualité et l’indépendance de la formation financée par l’État.
Une régulation plus efficace et plus homogène permettrait également non seulement de limiter le coût de la formation continue pour les deniers publics, mais surtout de valoriser, dans le parcours des médecins, les formations d’une qualité pédagogique et scientifique avérée, dispensées en toute indépendance par des organismes agréés. Pour des raisons juridiques mais aussi pratiques, il est impossible d’interdire à l’industrie pharmaceutique de dispenser des formations : sa participation est d’autant plus incontournable qu’elle développe des médicaments et produits de santé auxquels les médecins doivent être sensibilisés, et ne consacre pas moins de 5 milliards d’euros à la formation – avec seulement 140 millions d’euros, l’État ne joue pas dans la même cour. Mais les médecins doivent aussi suivre des formations indépendantes.
Le fléchage vers des orientations prioritaires ne restreint en rien l’offre à destination des médecins, qui est tout à fait pléthorique. En revanche, l’existence même de cette régulation entraîne un surcoût considérable, de 15 % à 40 %, des formations financées par les crédits publics. Ce n’est pas normal. Les professionnels comme les établissements de santé doivent mettre davantage en concurrence les établissements de formation.
Au-delà de la régulation a priori, il faut également renforcer les sanctions a posteriori en cas de démarchage abusif ou de pratiques commerciales anormales. Par exemple, certains organismes proposent des formations à distance sans qu’on ait l’assurance que le formateur est un professionnel, voire des formations fictives – les financeurs s’en sont rendu compte et les ont sanctionnés. Il est donc important de renforcer les dispositifs de contrôle a posteriori, afin que ces organismes soient identifiés, sanctionnés et, le cas échéant, privés du label qui leur permet de profiter des crédits publics.
M. Robin Gonalons, conseiller référendaire en service extraordinaire à la sixième chambre de la Cour des comptes. Monsieur Garot, aujourd’hui, l’offre de formation dans le cadre du DPC est suffisamment large pour répondre aux enjeux, notamment en matière de prévention : les généralistes, par exemple, qui comptent des personnes âgées et des enfants parmi leurs patients, peuvent suivre des formations de prévention ciblées sur le public gériatrique ou pédiatrique.
Mais force est de constater que le système, jugé complexe et difficilement accessible, reste peu attractif. Nous préconisons donc de privilégier la certification périodique, qui couvre des objectifs plus larges – échanges entre les professionnels, santé des soignants –, ce qui renforce l’attractivité de la formation et sa contribution à l’exercice des soignants.
Pr Patrick Netter, conseiller-expert à la Cour des comptes. J’ajoute que la certification périodique, avec sa conception plus large, est plus appropriée dans certains domaines comme la prévention. Aujourd’hui, la formation doit permettre aux médecins de mieux appréhender et de s’impliquer davantage dans tous les domaines qui ne relèvent pas directement du soin, mais qui ont des conséquences sur la santé physique et mentale – consommation de tabac et d’alcool, environnement, politique de la ville par exemple. La prévention, en particulier, mérite toute notre attention, et doit être un enjeu essentiel de la formation continue.
M. François de La Guéronnière. Madame Colin-Oesterlé, l’un des défauts de notre système est effectivement qu’on ne mesure pas l’efficacité des formations. Pour pouvoir le faire, il faut disposer de données auxquelles les acteurs de la régulation du DPC n’ont pas accès aujourd’hui. C’est pourquoi nous recommandons de leur permettre d’utiliser ces données, une fois anonymisées.
Monsieur Monnet, un état des lieux international des systèmes de formation continue des médecins nous a permis de constater que, dans bien des pays, ce système était autrement plus contraignant qu’en France : en Allemagne ou au Québec par exemple, la mise à jour des connaissances est nécessaire pour pouvoir continuer à exercer. Nous nous en sommes inspirés pour proposer le renforcement du système français.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Je vous remercie pour la qualité de ce rapport, qui traite d’enjeux cruciaux.
Comme à d’autres collègues, il me semble nécessaire d’inscrire au cœur de l’offre de formation continue l’innovation d’usage, la transversalité de l’exercice professionnel et la prévention – dans les domaines que vous avez cités et aussi en matière de drogue ou de politique de la ville. Il me semble par ailleurs que la disponibilité, plus que le financement, est l’un des principaux freins à la formation continue, notamment pour les médecins hospitaliers ou libéraux, qui peinent à se faire remplacer et ne veulent pas, par leur absence, aggraver le déficit de l’offre de soins.
En outre, face à la complexité croissante des diagnostics et des traitements, les professionnels font de plus en plus appel à des technologies de pointe et à l’intelligence artificielle. Qui doit dispenser les formations à ces technologies ? Dès lors que les liens d’intérêt sont déclarés et que la délivrance des diplômes universitaires (DU) est contrôlée et encadrée – en particulier pour les DU dispensés essentiellement par l’industrie pharmaceutique, ou les DU à forte valeur financière, comme celui de médecine esthétique –, l’intervention du secteur privé, gage de formations très performantes, ne doit pas nous effrayer. Je n’oublie pas non plus que certaines innovations technologiques ne sont rendues possible que par les fonds investis par l’industrie pharmaceutique dans la recherche, bien plus importants que les investissements publics.
Enfin, comme vous l’avez souligné, la difficulté à faire reconnaître certaines formations en cas de mobilité professionnelle – changement de spécialité, par exemple – est un frein au DPC, et c’est fort dommage car cela permettrait de rendre certaines formations plus attractives, s’agissant par exemple des soins palliatifs, de la gériatrie ou de la psychiatrie.
M. Thibault Bazin (DR). À la page 23 de votre rapport, on peut lire : « Le fait qu’un médecin ne retrace pas les formations qu’il suit ne signifie cependant pas qu’il ne se forme pas. Une sous-déclaration est en effet possible, en particulier pour certaines catégories de praticiens. » Selon vous, quelle est l’ampleur de cette sous-déclaration ? Cette donnée pourrait changer totalement les enseignements que l’on peut tirer de votre rapport.
Par ailleurs, vous préconisez de supprimer l’obligation administrative de développement professionnel continu instaurée en 2009, redondante avec la certification périodique entrée en vigueur l’an dernier, au motif que cela permettrait d’alléger les obligations déclaratives – d’autant que leur absence de transmission à l’ordre des médecins n’est pas synonyme d’absence de formation – et de clarifier le système. À combien estimez-vous les économies susceptibles d’être réalisées grâce à cet allégement ?
M. Philippe Vigier (Dem). Dans votre rapport, vous soulignez que les décrets d’application de la certification périodique ne sont toujours pas publiés. Je vous invite à vous pencher sur les enseignements de la certification déployée il y a quelques années dans le domaine de la biologie médicale : a-t-elle entraîné une élévation globale de la qualité de l’ensemble des offres proposées, ou a-t-elle eu l’effet inverse ?
Ensuite, pour davantage d’efficacité, n’aurions-nous pas intérêt à confier le sujet de la formation continue à une autre structure que l’ordre, qui assure déjà de nombreuses missions ?
Enfin, vous l’avez très bien dit, la formation continue est un merveilleux moyen de rééquilibrage de l’hétérogénéité des formations, par exemple dans le domaine de la fin de vie ou de la pédiatrie. Avant de rendre obligatoire une certification qui n’est toujours pas opérationnelle, ne serait-il pas opportun de simplifier le système et de renforcer le recours aux formations à distance, pour éviter à des praticiens déjà surchargés par la gestion administrative d’avoir à parcourir 150 kilomètres pour rejoindre une fac où se former ?
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Comme M. Bazin, je pense que les médecins se forment bel et bien, mais pas toujours par des moyens comptabilisés dans le cadre du DPC, trop complexe – je pense notamment à la formation par les pairs.
Alors que nous nous apprêtons à découvrir l’état des finances de l’assurance maladie, il me semble plus que jamais nécessaire de responsabiliser l’ensemble des acteurs du système de santé, au premier rang desquels les pouvoirs publics, qui construisent chaque année le budget de la santé. Les professionnels qui dispensent des soins doivent également faire un effort en matière de délivrance d’arrêts de travail et de prescriptions, et éviter la multiplication des actes thérapeutiques.
Pour les responsabiliser, il faudrait aussi, dans le cadre de la formation initiale et continue, les sensibiliser aux problématiques du fonctionnement d’ensemble et du financement du système de santé, car aujourd’hui, à l’exception de quelques représentants de syndicats, personne ne sait ce que nous faisons ici, à l’Assemblée, par exemple.
Mme Justine Gruet (DR). En préambule, je salue la qualité et les compétences des professionnels de santé, qui sont la vraie valeur ajoutée de notre système de santé.
Quel est le coût administratif des contrôles et de la logistique mis en place pour s’assurer du caractère effectif de la formation continue ? Sommes-nous capables de reconnaître leur manque d’efficacité ? Nous créons une usine à gaz, mais en pratique les médecins et les professionnels de santé ne perçoivent pas nécessairement les effets bénéfiques des dépenses effectuées.
Il faut du bon sens, et il faut redonner confiance aux professionnels. Je pense notamment aux masseurs-kinésithérapeutes diplômés d’État, qui ont à cœur de se former continuellement pour parfaire leur exercice et qui sont parfois confrontés à l’absence de reconnaissance au titre du DPC de formations qui correspondent pourtant aux besoins de leurs patients. Et, même pleins de bonne volonté, les médecins manquent de temps pour se former.
Comment améliorer l’efficacité du dispositif ? Peut-être en s’appuyant davantage sur les communautés professionnelles territoriales de santé ou sur les ordres départementaux. Tel est l’enjeu d’une décentralisation permettant de recentrer les moyens sur le cœur du dispositif, afin de mieux former les médecins et les professionnels de santé.
M. Fabien Di Filippo (DR). Que peut-on obtenir de l’irruption de l’intelligence artificielle dans la médecine ? On voit des choses encore relativement embryonnaires mais qui paraissent très prometteuses et qui devraient être prises en compte dans l’orientation de la formation.
Quelles sont les économies que l’on peut envisager en matière de formation publique ? Les comptes sociaux plongent en effet dans le rouge et vont continuer à le faire. Vous avez évoqué l’idée de recourir davantage à des formations privées certifiées, sachant que 75 millions de crédits publics sont alloués chaque année à la formation des médecins.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Je souhaite revenir sur l’idée consistant à recourir davantage à des organismes de formation agréés, puisque cette piste avait déjà été empruntée à une époque pour éviter de recourir aux formations assurées par les laboratoires – dont les caractéristiques sont bien connues. Or je constate que ces derniers y consacrent encore 5 milliards d’euros, ce qui paraît quand même étonnant.
Ne pourrait-on pas fixer des orientations prioritaires de formation en rapport avec les besoins de santé publique et correspondant à ceux de la patientèle des médecins ? Avec Sandrine Rousseau, nous achevons une mission d’information sur la prise en charge des urgences psychiatriques. Au cours des déplacements, nous avons pu constater que de nombreuses formations sur la psychiatrie avaient été proposées mais qu’elles avaient pratiquement toutes été abandonnées faute de participants parmi les médecins généralistes – alors que ce type de pathologie représente 30 % de leur patientèle. Cela conduit à se poser un certain nombre de questions.
Il est exact qu’il est parfois compliqué de déclarer que l’on a bien suivi une formation, mais c’est nécessaire et l’on y arrive dans d’autres pays. Cependant, il existe aussi des difficultés liées à l’absence de compatibilité des systèmes d’information, laquelle conduit parfois à devoir faire une double saisie – ce que nous avons pu constater avec l’ordre national des infirmiers.
Enfin, la durée hebdomadaire de travail des généralistes est moindre qu’il y a vingt ans : ce sont plutôt les difficultés de remplacement qui posent un problème pour l’accès à la formation.
Mme Josiane Corneloup (DR). Force est de constater que, malgré les réformes de la formation continue des médecins qui se sont succédé depuis près de vingt ans, la satisfaction de l’obligation de DPC n’est attestée que par une minorité d’entre eux. En outre, la part des médecins qui l’attestent varie selon la tranche d’âge et elle est d’autant plus faible qu’ils sont plus âgés – ce qui pose évidemment un problème.
Je suis favorable à votre préconisation tendant à fusionner les dispositifs de formation continue des médecins pour ne conserver que l’obligation de certification périodique. Nous avons en effet besoin de beaucoup plus de lisibilité.
L’harmonisation des projets de référentiels de certification périodique me paraît également indispensable. Il faut qu’ils soient homogènes entre les spécialités médicales et qu’ils concernent des sujets essentiels comme la prévention, la médecine palliative ou l’exercice coordonné.
Par-delà la superposition actuelle des procédures et obligations, les modalités de validation de l’obligation de formation continue ne sont pas faciles à comprendre en France. Des systèmes de validation par points ou nombres d’heures ont été retenus au Canada, au Québec, en Allemagne, en Croatie ou en Suisse, qui permettent de faciliter l’appréciation du respect de son obligation par le médecin tout en simplifiant les contrôles. Pourrions-nous progresser dans ce domaine en nous inspirant d’autres modèles d’évaluation ?
M. Hendrik Davi (EcoS). L’industrie pharmaceutique a vraiment fait main basse sur la formation continue des médecins, qu’ils exercent en ville ou à l’hôpital. Pour l’anecdote, lors de certains colloques, les plages horaires où la fréquentation est la plus forte sont monopolisées par les laboratoires pharmaceutiques, lesquels financent d’ailleurs tout, de l’hébergement au transport des praticiens. Les visiteurs médicaux sont toujours aussi actifs pour vendre leurs produits. On entretient ainsi une confusion entre marketing et formation, ce qui est absolument délétère.
La formation continue des médecins est un enjeu crucial pour la santé des patients, mais aussi pour l’équilibre des comptes de la sécurité sociale. Sous-traiter la formation continue seulement à des entreprises privées n’est pas la solution. En caricaturant un peu, cela reviendrait à payer l’industrie pharmaceutique pour qu’elle fasse sa publicité. On ne régulera pas ce marché en attribuant des labels.
Il faut redonner des moyens au service public et aux véritables acteurs de la recherche. Je m’étonne d’ailleurs que, ce matin, l’on n’ait pas une seule fois évoqué la recherche médicale et les moyens dévolus aux centres hospitaliers universitaires (CHU). En tant que chercheur, je sais très bien qu’une formation continue de qualité doit être associée à la recherche. Or le nombre de professeurs des universités-praticiens hospitaliers et de maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers, qui dispensent un enseignement de très grande qualité, est passé de 7 800 en 1996 à 6 300 aujourd’hui, et ce alors que les enjeux de la formation initiale et continue des personnels de santé sont considérables.
Par ailleurs, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale est complètement absent des débats. C’est pourtant un établissement public à caractère scientifique et technologique qui réalise des recherches indépendantes sur les médicaments et qui pourrait être utilisé dans le dispositif général de formation pour contribuer à éclairer les médecins et la communauté médicale.
Il n’a pas non plus été question de la nécessité d’avoir une revue indépendante – comme l’excellente revue Prescrire, qui informe les médecins sur un certain nombre de dossiers, notamment de santé environnementale.
M. René Lioret (RN). On peut s’étonner de la différence entre les 140 millions d’euros de fonds publics et les 5 milliards d’euros de fonds privés sans pour autant condamner l’industrie pharmaceutique ou les médecins intéressés par les formations qu’elle dispense.
Je rappelle que la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social a interdit les cadeaux et les voyages. De plus, c’est l’industrie pharmaceutique qui organise des formations sur les nouvelles molécules et les médicaments génériques ou biosimilaires.
Un médecin qui s’installe en ville a été confronté aux pathologies lourdes, qui conduisent le patient à l’hôpital. En ville, il est confronté à des maladies plutôt bénignes, qui n’évoluent pas beaucoup. On peut considérer qu’au bout de trois, cinq ou dix ans, il est bien formé et ne ressent plus le besoin d’approfondir la question. En revanche, il serait utile de le faire bénéficier de modules plus objectifs sur les nouveaux médicaments et thérapeutiques, qui ne soient pas laissés aux seuls laboratoires pharmaceutiques. Pour avoir travaillé pendant quarante ans dans cette industrie, je sais qu’elle a plutôt intérêt à mettre en avant les molécules qu’elle propose.
M. François de La Guéronnière. M. Bazin a posé une question très précise qui est au cœur du problème. Grâce aux données fournies par le Conseil national de l’Ordre des médecins, nous savons combien de praticiens ont renseigné le système de déclaration et ont validé leur formation, y compris partiellement. Nous pouvons rapporter ce nombre à l’ensemble de l’effectif des médecins. Mais nous ne pouvons rien en déduire sur l’état de formation de tous ceux qui ne sont pas entrés dans le circuit.
Nous avons essayé d’évaluer l’ampleur de cette formation non déclarée, mais c’est extrêmement difficile. Comme l’a souligné M. Davi, on trouve dans les CHU des dispositifs de formation continue très actifs. Une grande majorité des médecins hospitaliers en bénéficient probablement, mais cela échappe complètement au système du DPC. Ce n’est pas satisfaisant et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous proposons de simplifier, unifier et rationaliser l’ensemble du dispositif.
Supprimer le DPC permettrait-il de faire des économies ? Pas forcément. Nous proposons de le fusionner avec la certification continue, laquelle n’est pas encore entrée en vigueur. Or si le système devient plus simple et mieux contrôlé, beaucoup plus de médecins y participeront. Il n’est donc pas du tout évident que cela se traduise par des économies, car il y a aura beaucoup plus de certifications à financer. En matière de financement, nos idées visent plutôt à rationaliser le système, à utiliser les crédits qui ne le sont pas et à faire davantage jouer la concurrence de façon à réduire le coût des formations. J’espère avoir rendu plus clair cet aspect de notre enquête, qui est très important.
M. Vigier s’est interrogé sur le rôle qui devrait être confié à l’ordre dans ce dispositif. Celui qu’il joue actuellement est central puisqu’il valide le respect de l’obligation de DPC. L’ordre des médecins ne souhaite pas abandonner cette responsabilité. Nous considérons que, s’il doit la conserver, il faut qu’il l’exerce dans des conditions plus rigoureuses – d’une part en relançant les médecins qui n’ont pas satisfait à leur obligation de formation, d’autre part en vérifiant les pièces qui sont remises avec les déclarations et non en se bornant à enregistrer ces dernières. Cela peut notamment l’amener à contrôler les formations à distance offertes aux praticiens. Il faut quand même vérifier qu’elles sont effectivement suivies et que l’on ne se contente pas d’appuyer sur un bouton de son ordinateur.
M. Christian Chapard. En ce qui concerne l’organisation du temps de travail nécessaire pour suivre la formation, les situations des médecins hospitaliers et libéraux sont complètement différentes et n’appellent pas le même raisonnement.
On sait pertinemment que les taux de DPC qui figurent dans le rapport pour les médecins hospitaliers ne sont pas représentatifs de la réalité. Ces praticiens se forment, mais ils ne déclarent pas les formations suivies. La certification périodique telle qu’elle est prévue par les nouveaux décrets constitue une amélioration car il est désormais possible pour ces médecins hospitaliers de valoriser dans leur parcours de formation la participation à un grand nombre de réunions internes – dont par exemple les revues de mortalité et de morbidité.
En revanche, pour les médecins libéraux ou les professionnels de santé tels que les kinésithérapeutes, l’enjeu est d’adapter l’organisation pour qu’ils soient remplacés pendant leur formation. C’est une question liée à la répartition des moyens et des professionnels de santé sur le territoire, avec les zones en tension que l’on connaît.
Nous abordons la question de la validation par points dans la partie du rapport qui traite de l’harmonisation des référentiels de certification. Les quarante-huit projets de référentiels auxquels nous avons eu accès sont très différents. Certains conseils nationaux professionnels avaient retenu un système par points qui a été écarté par le ministère. Nous insistons sur la nécessité de pondérer les actions mentionnées dans les parcours de référence : nous avons parfois trouvé sur le même plan l’abonnement à une revue, l’écriture d’un article scientifique et la participation à un enseignement universitaire !
Les référentiels doivent donc être harmonisés et précis, et établir la pondération des actions de formation. Cela permettra à chaque professionnel de hiérarchiser les actions à suivre pour remplir son obligation de formation, tout en facilitant le contrôle par l’autorité compétente. Nous avons recommandé à l’ordre des médecins d’intégrer d’ores et déjà cet aspect dans sa stratégie de contrôle, afin de pouvoir identifier les dossiers qui méritent le plus son attention.
La finalité première du DPC ou de la certification n’est en effet pas tant de savoir si un médecin a accompli 40 % ou 60 % de son parcours que d’identifier ceux qui ne suivent aucune formation. Ces derniers doivent être la cible prioritaire de l’ordre, qui doit adapter à cet effet ses actions de sensibilisation et d’information. Mme Corneloup a relevé que les médecins les plus âgés étaient souvent les moins formés et nous avons fait le même constat.
M. Bazin a évoqué la prise en compte de la mobilité professionnelle des médecins hospitaliers dans les parcours de formation. Il est exact que certaines formations continues ne sont pas accessibles à des médecins alors qu’elles correspondent à leur emploi, tout simplement parce que le dispositif reste fondé sur la spécialité figurant sur le tableau de l’ordre. Nous considérons que c’est beaucoup trop contraignant. Il faut donc faire évoluer le contrôle effectué par l’ordre, car c’est lui qui conduit à limiter l’offre de formation en fonction de la spécialité. Des travaux sont précisément menés par l’ordre et le ministère de la santé pour rendre le dispositif plus flexible et mieux prendre en compte l’emploi effectif du professionnel.
M. Robin Gonalons. M. Neuder a évoqué le sujet de la disponibilité des médecins pour suivre des formations, qui est évidemment un enjeu important, et la question du développement des formations en distanciel a également été abordée.
Cette modalité de formation a augmenté au cours des quinze dernières années et est majoritaire dans certaines spécialités. Nous considérons que les formations en distanciel peuvent être une première réponse et n’avons pas un avis négatif à leur égard, aussi longtemps qu’elles sont effectivement suivies par les médecins. Il est donc nécessaire de s’assurer que tel est bien le cas. Or, lors de nos travaux, on nous a fait part d’exemples où des sessions de formation à distance étaient ouvertes sans pour autant être suivies, avec pour seul but d’obtenir la validation de l’obligation de formation.
Une fois encore, comme l’a souligné M. Chapard, l’objectif du dispositif est prioritairement d’identifier les médecins qui ne souhaitent pas se former ou dont la démarche de formation n’est pas authentique.
MM. Neuder et Lioret ont évoqué l’encadrement de l’offre de formation relevant de l’industrie pharmaceutique. Le rapport fournit des exemples édifiants de voyages à l’étranger financés dans les années 1980 et 1990, où la part de la formation était somme toute modeste par rapport à d’autres formes d’activité. À notre connaissance, ces cas ont disparu.
Il existe encore des formations directement organisées ou soutenues par l’industrie. Ce n’est pas mauvais en soi. Ces formations sont pertinentes dans un certain nombre de cas, lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’une nouvelle molécule ou de nouveaux dispositifs médicaux. En revanche, nous insistons sur le fait qu’un médecin ne devrait pas pouvoir valider son obligation de formation en suivant uniquement ce type de formation. Pour avoir un dispositif cohérent garantissant l’indépendance de l’expertise sanitaire, il faut s’assurer que la validation de l’obligation de formation suppose aussi de suivre des formations sans lien avec l’industrie.
Pr Patrick Netter. Tout d’abord, même si c’est évident, il faut rappeler qu’in fine l’objectif de l’ensemble de cette organisation de la formation est que le patient bénéficie des meilleurs soins possibles.
Monsieur Davi, il n’y a pas de soins de qualité sans une recherche de haut niveau et le chemin entre la recherche fondamentale et l’application clinique est de plus en plus court – comme le montre l’exemple des CAR‑T cells pour le traitement du myélome.
La santé mentale doit être une priorité, et elle l’est d’ailleurs pour le Gouvernement. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Dubré-Chirat : il faut proposer davantage de formations dans ce domaine, mais il faut aussi que des praticiens puissent les suivre. C’est un point extrêmement important.
À l’hôpital, les personnes se forment naturellement, du fait qu’il y a beaucoup d’activité. Le médecin dont le cabinet se situe dans un territoire isolé a moins accès à la formation. Or elle est indispensable à leur pratique dans certains domaines, comme en cancérologie, où l’innovation thérapeutique est perpétuelle, ou en matière d’imagerie médicale et de médecine nucléaire. Il faut veiller à ce que les inégalités territoriales ne se creusent pas en matière de formation, car les patients doivent pouvoir bénéficier des meilleurs soins.
M. François de La Guéronnière. M. Isaac-Sibille a évoqué des formations concernant le financement du système de santé. Beaucoup de thèmes de formation sont en effet souhaitables. Cette question relève des conseils nationaux professionnels, qui doivent fixer les référentiels de formation. Nous avons recommandé que soit garanties la comparabilité, l’homogénéité et l’égalité de traitement entre les différentes spécialités.
M. Christian Chapard. M. Davi a regretté que les organismes de formation soient le plus souvent privés. On ne peut pas empêcher qu’existe un marché de la formation, ni que l’industrie pharmaceutique s’y immisce. En revanche, il faut faire en sorte qu’un professionnel ne suive pas que ces formations-là.
Dans le cadre de la certification périodique, il est prévu de valoriser les formations dispensées par les acteurs publics, qui ne seront plus obligés d’obtenir l’agrément qui était indispensable dans le cadre du DPC. On considère en effet que les critères notamment de qualité scientifique et d’indépendance sont d’ores et déjà respectés quand il s’agit d’une université ou même d’un établissement public de santé. Ces organismes publics étaient privés d’accès au marché du DPC par une rigueur administrative excessive. L’allégement des procédures va leur permettre d’étoffer une offre publique de formation que l’on sait de qualité et complètement indépendante.
Mme Annie Vidal, présidente. Messieurs, je vous remercie pour la qualité de vos rapports et de vos réponses.
La réunion est suspendue de dix heures quarante à dix heures cinquante.
Mme Annie Vidal, présidente. Avant de poursuivre nos travaux, je vais répondre à la question posée en début de réunion par M. Guedj.
Paul Christophe ayant été nommé ministre des solidarités, de l’autonomie et de l’égalité entre les femmes et les hommes, ce dont je me réjouis, je le supplée à la présidence de cette commission, conformément à la tradition, car je suis l’aînée des quatre vice-présidents.
J’assurerai l’intérim dès le moment où il aura fait parvenir sa démission du poste de président de notre commission et jusqu’à l’élection d’un nouveau président, laquelle devrait être organisée dans les meilleurs délais – on peut raisonnablement penser à mercredi prochain, mais je ne peux rien garantir.
Par ailleurs, le bureau ne s’étant pas réuni hier pour des raisons évidentes, il n’a pas été possible de préparer la désignation des référents de la commission. Cela aura lieu lors d’un prochain bureau.
M. Jérôme Guedj (SOC). Il est indispensable que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) puisse remplir son rôle alors que les travaux relatifs au projet de loi de financement de la sécurité sociale vont bientôt débuter. Marc Ferracci faisait partie de ses membres. Il serait nécessaire que son remplaçant soit rapidement désigné, afin que la Mecss puisse être opérationnelle.
La commission examine le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale de l’année 2023 (n° 4) (M. Yannick Neuder, rapporteur général)
Mme Annie Vidal, présidente. Nous allons à présent examiner le projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss). En effet, les dispositions organiques du code de la sécurité sociale prévoient que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l’année ne peut être mis en discussion devant une assemblée avant l’examen du Placss.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. C’est avec grand plaisir que j’ai accédé à la fonction de rapporteur général de la commission des affaires sociales en juillet dernier. La tâche qui nous attend est immense et j’entends travailler dans un esprit constructif, à l’écoute de toutes les sensibilités.
L’examen aujourd’hui du Placss de l’année 2023 est un exercice inhabituel à deux égards.
Premièrement, nous réexaminons un texte dont la commission s’était déjà saisie en juin, moins d’une semaine avant la dissolution de l’Assemblée. Elle l’avait alors rejeté, à l’instar du Placss de l’année 2022. L’examen du projet de loi n’ayant pu s’achever en séance, nous voici obligés de le reprendre en septembre avant de commencer la discussion PLFSS 2025. Nous y sommes tenus, puisque les dispositions organiques du code de la sécurité sociale conditionnent la possibilité d’examiner le PLFSS de l’année à venir au vote sur le Placss de l’année écoulée.
Deuxièmement, alors que la réforme du cadre organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), en 2022, renforce le contrôle de l’exécution desdites lois avec l’examen au printemps d’un texte dédié, la dissolution a mis un coup d’arrêt brutal à la séquence que nous avions entamée en juin. Il s’agit ici non seulement du Placss, mais également des missions menées par les rapporteurs de la Mecss dans le cadre du Printemps social de l’évaluation.
Il est regrettable que ces travaux ne puissent aboutir cette année, malgré le travail réalisé par nos collègues sur des sujets aussi importants que l’instauration d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) centres de ressources, la lutte contre la fraude aux prestations, le déploiement des maisons de naissance et la fiscalité relative aux organismes complémentaires d’assurance maladie. Je me réjouis toutefois que le bureau de la commission ait décidé de relancer les travaux menés par Hadrien Clouet et Stéphanie Rist sur la gestion de la dette sociale.
Le Placss 2023 redéposé par le gouvernement démissionnaire le 19 juillet est en tout point identique à celui que nous avions examiné sous la précédente législature.
Il expose tout d’abord la situation des administrations de sécurité sociale (Asso). Dans ce champ, qui intègre l’assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, l’article liminaire fait état d’un excédent de 12,9 milliards d’euros, en amélioration de 4 milliards par rapport à 2022. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette présentation qui intègre les recettes de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) et qui embellit artificiellement la situation financière des administrations de sécurité sociale.
En effet, la Cades a bénéficié en 2023 de 21,1 milliards de recettes, lui permettant d’amortir 18,3 milliards de dette. Après déduction du résultat de la Cades, qui correspond au remboursement de déficits passés, le solde des Asso serait donc légèrement déficitaire, d’un peu plus de 5 milliards.
L’excédent des administrations de sécurité sociale s’élève ainsi à 0,5 point de PIB, soit 0,2 point de moins que la prévision actualisée de la LFSS 2024 – bien qu’une partie de cet écart soit liée à une modification du périmètre comptable, j’y reviendrai.
La situation financière positive des administrations de sécurité sociale ne doit pas masquer l’état des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), présenté à l’article 1er. Alors que la LFSS 2024 prévoyait un déficit de 8,7 milliards d’euros, celui-ci atteint finalement 10,8 milliards. L’écart tient, selon le Gouvernement, à des recettes inférieures aux prévisions. Mais le solde reste en amélioration par rapport à 2022 : le déficit avait alors atteint 19,7 milliards, lors d’un exercice marqué par l’importance des dépenses liées au covid-19 – représentant 11,7 milliards. En 2023, ces dépenses n’ont plus été que de 1,1 milliard.
La réduction des déficits de l’année dernière tient donc en premier lieu à la disparition progressive des surcoûts liés au covid-19. À l’avenir, nous ne pourrons pas compter sur cette source d’économies : le rétablissement des comptes sociaux exigera de nouveaux efforts, que nous devrons définir collectivement lors de l’examen du prochain PLFSS. Ces efforts devront être d’autant plus colossaux que le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale de mai dernier anticipe un déficit de 16,6 milliards pour l’année 2024, soit une dégradation de 6 milliards.
La non-certification des comptes de la branche famille par la Cour des comptes est par ailleurs préoccupante. Certes, la Cour a fait état de progrès dans la fiabilisation du versement des prestations par le réseau des caisses d’allocations familiales, mais cela ne se traduit pas encore dans les comptes de l’année 2023. Le montant des indus et des rappels qui ne seront jamais recouvrés est estimé à 5,5 milliards, soit 7,4 % des prestations versées.
L’article 2 prévoit l’approbation du montant définitif des dépenses entrant dans le champ de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) ainsi que des sommes mises en réserve par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) et le FSV, ou amorties par la Cades.
Les dépenses relevant du champ de l’Ondam ont atteint 247,8 milliards d’euros, soit 2,7 milliards de plus que le montant prévu pour 2023 et 0,2 milliard de plus que l’objectif fixé pour 2024. Si l’on exclut les mesures liées au covid-19, les dépenses comprises dans l’Ondam sont en hausse de 11,4 milliards par rapport à 2023, soit une augmentation de 4,8 % qui équivaut à l’inflation hors tabac. Le dépassement de l’objectif initial s’explique pour plus de la moitié par la revalorisation du point d’indice de la fonction publique et de la rémunération des heures de garde la nuit et le week-end.
Nous savons tous combien la situation du système de santé demeure préoccupante. Il appartiendra à chacun de présenter ses propositions lors de l’examen du PLFSS.
La Cades est quant à elle parvenue à amortir 18,3 milliards d’euros en 2023. Cette bonne performance ne doit pas dissimuler qu’en raison de l’aggravation prévisible des déficits sociaux et de la diminution de ses recettes, le montant amorti chaque année sera bientôt dépassé par l’endettement supplémentaire résultant de la dégradation du solde des régimes obligatoires de base.
L’article 3, enfin, dresse le tableau patrimonial de la sécurité sociale. Il reflète, en rupture avec les trois années précédentes, une légère amélioration de la situation financière des régimes. Ne nous y trompons pas, ce n’est pas appelé à perdurer : une dégradation est attendue dès cette année. En mai, le rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale tablait sur un déficit prévisionnel de 16,6 milliards d’euros en 2024, soit 6 milliards de plus que les prévisions inscrites dans la dernière loi de financement.
Derrière une relative amélioration des comptes, le tableau dressé par le Placss 2023 cache donc une situation financière très préoccupante. Tel est le constat que la Cour des comptes formule avec force dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. En cohérence avec la position que les députés du groupe Les Républicains et moi-même avions adoptée en juin dernier, je voterai contre ce projet de loi.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le Placss 2023, aussi insincère que le précédent, appelle les mêmes remarques.
L’article liminaire, censé rassurer les acheteurs de la dette sociale française, ne les convainc guère. Certains s’inquiètent grandement de ces chiffres, qui reposent sur l’excédent de 18 milliards de la Cades et du FRR, ainsi que de la modification des règles comptables, qui rend impossibles les comparaisons avec les chiffres de 2022.
L’article 1er met au jour un mensonge que les députés du groupe Rassemblement National avient dénoncé en son temps : en raison d’une inflation totalement sous-estimée pour les années à venir et de recettes en baisse, le tableau d’équilibre des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale est erroné d’environ 100 millions d’euros, ce qui n’est pas rien. Il y a aussi un écart de plus de 2 milliards d’euros avec la prévision actualisée de la LFSS 2024.
Quant à l’Ondam, il a augmenté de 23,4 % entre 2019 et 2023 : tout ça pour ça ! De toute évidence, l’outil est inefficient. Les acteurs contraints sont rarement à l’origine de la dépense : ce sont les besoins croissants des patients et surtout la très mauvaise gestion des masses financières des cinq branches qui engendrent des déficits et des déséquilibres – la Cour des comptes le déplore d’ailleurs pour la vingt-neuvième année.
Enfin, les tableaux patrimoniaux des régimes obligatoires de base de sécurité sociale confirment la pérennité de la Cades, alors que celle-ci devait disparaître il y a plusieurs années. Non sans ironie, c’est elle qui sauve la face en masquant un endettement de 113,4 milliards d’euros, après un apurement de 416 milliards depuis 1996, soit 14 milliards par an.
Nous présenterons des amendements de suppression de tous les articles de ce projet de loi, auquel nous nous opposons bien évidemment.
Mme Stéphanie Rist (EPR). Les administrations de sécurité sociale, intégrant notamment l’assurance chômage et les régimes de retraite complémentaire, affichent un excédent de 13,2 milliards d’euros. C’est le fruit de la reprise économique consécutive à la crise sanitaire, ainsi que de l’efficacité des politiques de l’emploi et des réformes structurelles que nous avons menées, qu’elles aient porté sur l’assurance chômage ou les retraites.
Cela ne doit toutefois pas masquer le solde des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale qui, bien qu’en amélioration par rapport à 2022, reste largement déficitaire. Comme les années précédentes, ce déficit se concentre essentiellement sur la branche vieillesse et, surtout, sur la branche maladie : son déficit atteint 11,1 milliards d’euros et devrait s’aggraver ces prochaines années. Ce déficit étant structurel, il appelle des réformes tout aussi structurelles, parallèlement à la maîtrise des dépenses sociales que le groupe Ensemble pour la République continuera de défendre.
Par ailleurs, Hadrien Clouet et moi-même vous présenterons prochainement le rapport sur l’évaluation de la gestion de la dette sociale dont les travaux avaient été engagés dans le cadre de la Mecss.
Le présent Placss traduit la réalité des comptes de la sécurité sociale, dont la Cour des comptes confirme la sincérité et la régularité. Ne pas l’adopter reviendrait à rejeter une photographie simple de nos comptes sociaux, une réalité financière qui nous commande d’agir afin de poursuivre le redressement des comptes et la résorption de la dette sociale. C’est pourquoi notre groupe approuvera le projet de loi.
Mme Élise Leboucher (LFI-NFP). Permettez-moi de reprendre l’expression que vous avez employée en juin dernier, monsieur le rapporteur général : « Décidément, la semaine dernière fut rude pour le Gouvernement et ses Mozart de la finance ! » Pour une fois, nous sommes d’accord. La semaine dernière nous a en effet offert le spectacle lamentable d’un Premier ministre issu de la force arrivée en dernière place aux législatives et nommé par le président du bloc perdant, faisant mine de découvrir la situation catastrophique des comptes publics gérés par ceux qui, à longueur de journée, nous donnent des leçons de responsabilité fiscale.
Vous parliez d’insincérité budgétaire : la situation vous donne raison, tant Matignon et Bercy ont déployé d’artifices pour empêcher la commission des finances d’accéder aux lettres plafonds relatives au projet de loi de finances pour 2025. Même l’ancien président de la commission n’était pas en mesure de nous communiquer des éléments sur le prochain PLFSS. Alors que notre système de santé et de protection sociale s’enfonce un peu plus dans la crise, un huitième titulaire du ministère de la santé a été nommé en sept ans. La santé et la sécurité sociale sont devenues des variables d’ajustement des politiques d’austérité, et nous avons peu de doutes sur la saignée que subira une nouvelle fois le PLFSS.
Dans ce contexte, nous ne pouvons que rejeter le projet de loi. Chaque jour, les apôtres du néolibéralisme nous parlent du dérapage des dépenses de la sécurité sociale, quand cette dernière est excédentaire à 13 milliards d’euros. Plutôt que de tout faire pour la préserver, vous voulez en faire un outil de financement de la dette, laquelle résulte des innombrables niches fiscales consenties aux riches depuis sept ans, pour 8 milliards d’euros entre 2018 et 2022. Le Gouvernement poursuivra sans aucun doute sa casse des droits sociaux pour compenser le trou dans les recettes qu’il a lui-même creusé en ciblant tour à tour les personnes privées d’emploi et en arrêt maladie.
Nous sanctionnerons l’insincérité budgétaire révélée au grand jour par ce projet de loi, que nous ne voterons pas.
Mme Sandrine Runel (SOC). Les comptes de la sécurité sociale affichent un déficit de 10,8 milliards d’euros, qui illustre dramatiquement l’échec de votre politique de l’offre. Penser que l’allégement continu des exonérations sociales depuis 2017 ferait ruisseler la richesse et accroîtrait les recettes était une erreur. Vous avez cru que ces exonérations, notamment au-dessus d’un certain niveau de salaire, auraient un effet positif sur l’emploi et la compétitivité. Pourtant, les études s’accordent à dire qu’elles sont inefficaces : pourquoi insister ? Pourquoi vouloir priver la sécurité sociale de 73 milliards de recettes par an, alors qu’elle affiche un déficit de près de 11 milliards ? Vous avez vidé les caisses de la sécurité sociale et vous nous demandez maintenant très tranquillement d’approuver cette banqueroute !
Pire, ce déficit ne permet pas de répondre aux besoins des Françaises et des Français. L’hôpital public s’asphyxie faute de personnel et d’investissements dans la prévention, tandis que les restes à charge rompent l’égalité d’accès aux soins. Rien n’est prévu pour prendre en charge les personnes en perte d’autonomie ni pour accompagner le vieillissement de la population. Les conditions de travail se détériorent et les maladies professionnelles se multiplient. La branche retraite reste déficitaire sans que les enjeux de pénibilité, d’altération de l’espérance de vie, de carrières hachées ou d’égalité des pensions entre les femmes et les hommes ne soient pris en compte.
En 2023, le déficit de la sécurité sociale se sera creusé de manière vertigineuse pour la septième année de suite, sans que la prise en charge des Français ne se soit améliorée. Avec une telle trajectoire, le déficit atteindra 17 milliards d’euros en 2027.
En conséquence, les députés du groupe Socialistes et apparentés s’opposeront à ce projet de loi et présenteront des amendements de suppression de ses articles.
M. Thibault Bazin (DR). Loin d’être une simple formalité, l’examen du Placss 2023 est l’occasion de dresser un bilan de la gestion passée. Soyons clairs : les comptes sont mauvais. En 2023, le déficit a atteint 10,8 milliards d’euros, en aggravation de près de 4 milliards par rapport aux prévisions. Certes, des recettes inférieures aux prévisions expliquent en partie ce résultat dégradé, mais cela ne peut servir d’excuse car l’exécutif a l’habitude de retenir des prévisions trop optimistes : nous vous avions pourtant alertés, en vain.
Plus fondamentalement, ce résultat s’explique par l’absence de maîtrise des dépenses d’assurance maladie. Il est urgent de réagir, sans quoi 60 milliards de dette sociale s’accumuleront d’ici à 2027, selon le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS). Voici ce qu’écrit la Cour des comptes : « Cette perspective illustre le caractère insoutenable de la trajectoire actuelle de la sécurité sociale et la nécessité impérative de mettre en œuvre des réformes de l’assurance maladie visant à réaliser des gains d’efficience et à revoir les déterminants de ses financements. » Ces mots, nous devons les faire nôtres.
Certaines pistes d’économies simples n’ont jamais été exploitées. Ainsi, la Cour des comptes a de nouveau refusé de certifier les comptes de la branche famille pour 2023, au motif que le contrôle interne ne permettait pas suffisamment de prévenir et détecter les erreurs d’attribution et de calcul des prestations sociales. Elle fait état de « 5,5 Md€ d’indus et de rappels qui ne seront jamais détectés par les diverses actions de contrôle mises en œuvre », ajoutant que « la capacité de détection des erreurs par le réseau demeure très inférieure au risque induit par l’insuffisante fiabilité des données déclarées par les allocataires ».
Les députés du groupe Droite Républicaine voteront contre le Placss 2023. Nous en appelons à une reprise en main budgétaire pour ne pas faire peser les mauvais choix des derniers gouvernements sur les générations futures, et pour nous redonner les moyens de répondre aux défis majeurs de notre système de protection sociale.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Le groupe Écologiste et Social ne peut cautionner la gestion des comptes publics que reflète le Placss 2023. Si la Cour des comptes considère que les tableaux d’équilibre – comme le tableau de la situation patrimoniale – offrent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde, elle alerte à nouveau sur des données comptables insuffisamment fiables ou échappant aux mécanismes de contrôle.
Au-delà de l’insincérité manifeste des comptes, le projet de loi confirme la poursuite de la course à l’austérité qui menace la soutenabilité de notre modèle de protection sociale. Cette photographie des comptes publics de l’an passé traduit également le résultat sinistre des politiques de généralisation des primes Macron menées depuis 2017, qui, en amenuisant les cotisations sociales plutôt que d’augmenter les salaires pour tous, ont contribué à assécher les comptes de la sécurité sociale. Nous en voyons les conséquences terribles : un manque à gagner de plus de 8 milliards d’euros pour la sécurité sociale, dont les premières victimes sont nos concitoyens les plus vulnérables.
Cette situation s’aggravera sous l’effet du vieillissement de la population et, surtout, de la contraction des dépenses de santé prévue par le nouveau gouvernement, en parfaite continuité avec le précédent. Il est profondément exaspérant d’entendre certains s’émouvoir le lundi des dégâts de la privatisation sur les crèches et les Ehpad et, le mercredi, défendre des budgets qui réduisent les dépenses publiques et favorisent les intérêts de groupes privés voraces comme Orpea et People & Baby.
Notre groupe n’approuvera pas des comptes publics aussi peu fiables, qui confirment l’intention du Gouvernement d’assécher les comptes de la sécurité sociale sur le dos des Françaises et Français.
M. Nicolas Turquois (Dem). La mauvaise trajectoire des finances publiques, notamment dans le champ social, s’explique effectivement par une croissance économique et une évolution de la masse salariale plus faibles que prévu, limitant la progression des cotisations sociales. Au-delà, certains éléments méritent d’être soulignés. Ainsi, la forte augmentation des allégements généraux de cotisations liée à la hausse légitime du Smic a eu un effet amplifié dans le contexte. Par ailleurs, le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) se creuse de façon vertigineuse : nous devons nous pencher sur le sujet. Il convient également de travailler sur l’insincérité des comptes de la branche famille.
Les dépenses relevant du champ de l’Ondam ont atteint près de 248 milliards d’eurps, soit plus de 50 milliards supplémentaires depuis 2017. Il est tout de même paradoxal de dépenser 50 milliards de plus en sept ans et d’avoir l’impression que le système de santé remplit de moins en moins ses objectifs. Nous devons analyser les raisons de l’augmentation des besoins en santé, marquée par l’explosion des affections de longue durée. Pour y remédier, il est essentiel de travailler sur la prévention, notamment en matière de consommation de tabac et d’alcool ou d’alimentation, ainsi que sur le dépistage néonatal, qui permettrait d’intervenir en amont sur certaines pathologies infantiles.
Les députés du groupe Démocrate participeront aux travaux de la commission dans un esprit de responsabilité, afin de trouver de nouvelles pistes pour infléchir la croissance des dépenses de santé. Nous voterons donc le projet de loi.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (HOR). La loi organique du 14 mars 2022 a créé une nouvelle catégorie de lois de financement de la sécurité sociale : la loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, qui doit être déposée au Parlement chaque année avant le 1er juin. Celle-ci, présentée avec des annexes, renforce l’information du Parlement sur la situation des comptes sociaux et les résultats des politiques menées. Comme les lois de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’État, le Placss permet en théorie au Parlement d’examiner dès le printemps les comptes du dernier exercice clos, en amont du PLFSS de l’année suivante. Il est déposé ici pour la deuxième année.
Il en ressort que l’assurance maladie poursuit ses efforts de maîtrise médicalisée des dépenses, avec un objectif d’économies de 540 millions d’euros. La promotion des médicaments génériques et biosimilaires est encouragée pour maîtriser les dépenses pharmaceutiques, avec des taux de pénétration respectivement de 92,7 % et 32 % en 2023. Cependant, des efforts considérables demeurent nécessaires. Le groupe Horizons & Indépendants privilégiera toujours les réformes globales et structurelles qui traitent les problèmes en profondeur plutôt que les mesures isolées ou paramétriques qui n’apportent que des solutions temporaires.
Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas ici de discuter de réformes ni de prendre position à l’égard de la politique sociale du Gouvernement, mais d’acter des faits comptables et d’approuver les comptes qui nous sont soumis dans un souci de transparence. Notre groupe votera donc ce projet de loi.
M. Stéphane Viry (LIOT). Les critiques que nous avions formulées en juin sur ce Placss sont plus que jamais d’actualité. Comme en juin, les députés du groupe LIOT voteront contre. Les équilibres ne sont pas bons, la dette ne se résorbe pas, les recettes se tarissent ; la Cour des comptes a même refusé de certifier les comptes de la branche famille.
L’équilibre global du système est manifestement défaillant, à tel point que l’on s’inquiète de la pérennité du modèle de la couverture sociale qui est pourtant due aux Français. Cela appelle à réfléchir à la protection sociale de demain : il faut satisfaire les besoins, mais aussi et surtout trouver de nouvelles ressources. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Il est impératif d’absorber la dette des comptes sociaux qui gangrène notre capacité à apporter des réponses aux établissements de santé et médico-sociaux. Quant aux recettes, elles ne peuvent plus dépendre uniquement des cotisations sur le travail, que l’on s’efforce de réduire depuis des décennies par des mécanismes qui arrivent à bout de course.
Nous ne voterons donc pas ce projet de loi, mais nous appelons à réfléchir à un autre modèle de sécurité sociale. Si nous n’agissons pas, nous casserons la promesse républicaine qui garantit aux Français une protection face aux accidents de la vie. L’urgence est manifeste ; je pense en particulier aux Ehpad, qui sont en grande fragilité du fait de la hausse des dépenses énergétiques et de l’inflation alors qu’ils doivent répondre à des besoins croissants. Repartons d’une feuille blanche sur ces sujets importants.
M. Yannick Monnet (GDR). L’avis des députés communistes et d’outre-mer n’a guère varié depuis la précédente législature : nous nous opposons fermement à ce texte.
Comment pourrions-nous approuver les effets d’un budget avec lequel nous n’étions pas d’accord, et qui a été imposé par 49.3 ? Comment donner notre assentiment quand nous observons les effets calamiteux des dernières lois de financement de la sécurité sociale ? Le déficit des hôpitaux publics devrait dépasser 2 milliards d’euros en 2024 ; 85 % des Ehpad publics sont déficitaires et leur déficit cumulé est estimé à 1,3 milliard ; les renoncements aux soins vont croissant, et les restes à charge sont beaucoup trop élevés ; la réforme des retraites est inefficace du point de vue des comptes publics, mais ô combien douloureuse pour nos concitoyens.
Valider les comptes de la sécurité sociale de 2023, ce serait valider les décisions des précédents gouvernements qui ont amplifié une crise sanitaire et sociale déjà catastrophique. Ce serait valider l’idée selon laquelle la protection sociale est une variable d’ajustement pour équilibrer les déficits publics. Nous pensons bien au contraire que le budget de la sécurité sociale doit être sanctuarisé. Il doit être établi au vu des besoins des populations et des spécificités territoriales, après quoi les ressources nécessaires doivent être trouvées pour y répondre.
Valider ces comptes, ce serait acquiescer à la mauvaise manie des gouvernements d’Emmanuel Macron de produire chaque année un budget de la sécurité sociale volontairement insincère, un Ondam largement sous-évalué et des recettes macroéconomiques surévaluées. Ce serait valider l’acharnement à priver la sécurité sociale de ses moyens de fonctionnement. Même la Cour des comptes a dénoncé le manque à gagner colossal dû aux exonérations de cotisations sociales et à l’incitation à verser des primes plutôt que des augmentations de salaire.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce projet de loi.
Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Notre système de protection sociale semble avoir atteint un point de rupture. Si des mesures drastiques ne sont pas prises rapidement, il s’effondrera. Les deux défis majeurs sont sa soutenabilité et son efficacité. D’un côté, les besoins sociaux et de santé explosent, alimentés par le vieillissement de la population et la montée en flèche des pathologies chroniques. De l’autre, les recettes fiscales ne sont pas à la hauteur des prévisions.
Le constat est sans appel : le déficit de la sécurité sociale atteint le niveau presque insoutenable de 10,8 milliards d’euros, dont 5 milliards pour la seule branche vieillesse. Les causes en sont diverses, et connues. Nous assistons, impuissants, à la dérive du système de santé. Une refonte s’impose. La santé ne saurait se résumer au curatif. Depuis trop longtemps, notre système produit toujours plus de soins sans prévenir la dégradation de l’état de santé ni l’apparition de pathologies chroniques. Nous sommes piégés dans une logique de volume, quand nous devrions repenser l’anticipation des besoins et la qualité des soins.
Les dépenses de santé ont bondi de 50 milliards d’euros depuis six ans sans que l’état de santé général de la population ne s’améliore. Comment espérer soutenir une telle trajectoire et être dispensés de repenser notre modèle ? Les responsabilités sont partagées : nous, parlementaires, votons chaque année des objectifs de dépenses irréalistes dans le cadre des PLFSS. Il est temps de changer de cap. Nous devons également responsabiliser tous les acteurs du système de santé : professionnels, hôpitaux, organismes financeurs et patients. Chaque décision, chaque acte médical a un coût qui ne peut plus être ignoré.
Que proposez-vous pour responsabiliser chacun des acteurs en matière de soins et de prévention – offreurs de soins, hôpitaux, entreprises du médicament, patients ? Plutôt que de discuter d’un objectif de dépenses de santé, ne faudrait-il pas instaurer une enveloppe nationale fermée, à laquelle les acteurs devraient se tenir ?
M. Hendrik Davi (EcoS). La France dépense-t-elle trop pour la santé de nos concitoyens et concitoyennes ? La réponse est non. Nos dépenses de santé avoisinent 5 000 euros par habitant, contre 6 000 euros en Allemagne et 10 600 euros aux États-Unis. C’est bien la preuve que lorsqu’une dépense de santé est socialisée et publique, elle pèse moins sur l’ensemble de la société que quand elle est privatisée.
Certes, nous pourrions limiter certaines dépenses, par exemple grâce à un pôle public du médicament qui produirait des molécules facturées trop cher par les laboratoires. Nous pourrions aussi améliorer la prévention concernant la consommation de tabac et d’alcool et les maladies professionnelles.
Mais les budgets sont-ils aussi catastrophiques que cela ? Certainement pas. Les administrations de sécurité sociale présentent un solde excédentaire de 0,5 % du PIB, à 12,9 milliards d’euros. Faut-il s’en féliciter ? Non, car nous répondons de moins en moins bien aux besoins. L’hôpital est au bord de l’effondrement, vous devez en prendre conscience. Les soignants n’en peuvent plus. Bientôt, des malades mourront faute de prise en charge. Bientôt aussi, les arrêts de travail ne seront plus rémunérés pendant le week-end.
Nous devons donc dépenser plus pour l’hôpital et la prévention. Cela implique de revenir sur la politique d’exonération des cotisations sociales qui a cours depuis des années. Les taux de prélèvement à la charge des employeurs pour une rémunération au Smic sont passés de 42 % en 1991 à 7 % aujourd’hui. Ce déficit de recettes a en partie été compensé par de l’impôt : ce n’est pas la bonne solution. Il faut supprimer ces exonérations, notamment pour les hauts salaires.
M. Jérôme Guedj (SOC). Avec ce Placss, nous entrons dans le dur de l’examen du financement de la sécurité sociale.
Permettez-moi d’abord d’exposer la situation baroque, c’est un doux euphémisme, que nous sommes amenés à vivre. Notre rapporteur général, membre d’un parti désormais composante à part entière du Gouvernement et dont le Premier ministre est issu, nous explique avec des arguments que nous partageons pour partie qu’il ne donne pas quitus à la LFSS 2023, cependant que le nouveau gouvernement de coalition nous indique qu’il s’inscrit peu ou prou dans la continuation de la même politique. Sans vouloir parler de « schizophrénie », pour ne pas dévoyer un terme médical, nous assistons là à un dédoublement qui sera au cœur de la séquence budgétaire à venir – d’autant que le groupe Rassemblement National, qui s’oppose également au présent projet de loi, accorde un soutien sans participation à ce même gouvernement. Ce n’est pas tenable.
Il faut pourtant bien des réponses. La crise de la sécurité sociale, la Cour des comptes le pointe elle-même, est essentiellement une crise du financement et des ressources, due notamment à l’ampleur inédite qu’ont prise les exonérations de cotisations sociales. Monsieur le rapporteur général, êtes-vous prêt à reprendre les pistes que nous défendons depuis des années et que la Cour des comptes a incluses dans son rapport sur les niches sociales, s’agissant notamment des compléments de salaire, afin de dégager les ressources nécessaires pour réduire le déficit de la sécurité sociale et financer à hauteur des besoins l’hôpital public, les Ehpad publics et les différentes branches de la sécurité sociale ?
M. Michel Lauzzana (EPR). Tous les amendements que nous allons examiner visent à supprimer les articles de ce texte. Il me semble donc que les oppositions confondent complètement loi de financement et loi d’approbation des comptes. Le Placss ne contient qu’un résultat comptable. Il ne s’agit que d’une photographie des comptes de l’année 2023, une liste de « plus » et de « moins » – ceux qui sont ou ont été élus locaux ont l’habitude de l’exercice pour les comptes des collectivités. Nous venons d’entendre les oppositions tout mélanger et dire n’importe quoi en s’attachant surtout à ne pas parler de ces comptes. Si l’on refuse de voter un résultat de « plus » et de « moins », autant remettre en cause le principe des mathématiques !
M. le rapporteur général. S’agissant d’abord des amendements dont nous allons commencer l’examen, je suis défavorable à ce que nous supprimions des articles qui, comme vient de l’expliquer M. Lauzzana, ne font que relater une situation à laquelle nous ne pouvons rien changer. Les résultats de l’exercice 2023 sont comme ils sont : les supprimer n’aurait guère de sens. Je vous renvoie d’ailleurs à mon tour aux comptes administratifs sur lesquels ont à se prononcer les élus locaux : chacun décide s’il les approuvera ou non, peut-être dans l’espoir d’infléchir la politique menée, mais je n’ai jamais vu aucun élu demander la suppression des comptes administratifs de sa collectivité !
Monsieur Guedj, vous craignez que je ne sois schizophrène, mais auriez-vous apprécié que je devienne maniaque au cours de l’été, à la faveur du changement de gouvernement, en jugeant soudainement les comptes acceptables alors que Les Républicains s’y opposaient en juin ? J’aurais alors plutôt fait preuve d’une insoutenable légèreté de l’être ! Nous sommes simplement cohérents et, comme je l’ai déjà dit, je souhaite que nous travaillions ensemble, au-delà de nos divergences, pour sortir de cette situation.
Certains points sont susceptibles de faire consensus entre nous, et peut-être de trouver un aboutissement lors de l’examen du PLFSS 2025.
Plusieurs d’entre vous ont évoqué les déficits structurels, d’abord, qui ne trouveront certainement une solution que dans le cadre de réformes elles aussi structurelles et pas uniquement budgétaires.
Les politiques de prévention, ensuite, sur lesquelles vous avez été nombreux à insister, devront effectivement figurer en bonne place dans le PLFSS.
S’agissant des exonérations de cotisations sociales s’appliquant aux salariés touchant le Smic, je partage votre avis, monsieur Turquois, mais ne jetons tout de même pas le bébé avec l’eau du bain : renforcer le pouvoir d’achat des travailleurs était tout à fait nécessaire, la période électorale qui s’achève l’a bien montré. Quant à la CNRACL, je partage votre inquiétude. Nous réfléchirons à la part qu’elle pourrait prendre au fil du temps dans le déficit de la branche vieillesse.
Enfin, s’agissant de la responsabilisation des patients et des professionnels de santé qu’a évoquée Cyrille Isaac-Sibille, il reviendra à notre commission de décider des mesures à prendre. Des leviers existent, mais il faut assurer leur acceptabilité.
Il nous revient de nous montrer capables chacun de faire un pas vers l’autre sur ces questions, afin de ne pas avoir à subir de nouveau ces 49.3 que nous avons tous regrettés par le passé.
Article liminaire : Prévisions de dépenses, de recettes et de solde des administrations de sécurité sociale pour l’année 2023
Amendements de suppression AS2 de Mme Sandrine Runel, AS8 de M. Sébastien Peytavie, AS9 de Mme Joëlle Mélin et AS17 de Mme Élise Leboucher
Mme Sandrine Runel (SOC). Nous proposons la suppression de cet article, qui ne reprend que des éléments comptables. L’adopter reviendrait à ne présenter le budget de la sécurité sociale que sous forme de points de PIB, ce qui ne me paraît absolument pas pertinent. Nous avons plutôt besoin d’indicateurs qualitatifs, qui devraient être conçus et débattus par le Parlement – ce qui redonnerait d’ailleurs du poids à ce dernier.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Bien que l’article liminaire présente un solde positif de 0,5 %, les chiffres nous semblent avant tout démontrer l’échec du Gouvernement à maintenir durablement à flot les administrations de la sécurité sociale, et ce en raison d’une baisse des prélèvements obligatoires. Le HCFiPS rappelle lui-même que le nécessaire accroissement des dépenses pendant la crise du covid-19 a eu lieu au prix d’une limitation stricte des dépenses publiques.
La politique de réduction des prélèvements obligatoires menée depuis 2017 a ainsi eu comme première conséquence de diminuer les recettes fiscales, privant les comptes sociaux de ressources essentielles et creusant le déficit. Selon la Cour des comptes, les exonérations de cotisations sociales, qui abreuvent largement et sans contrepartie les grandes entreprises réalisant des superprofits, représentent 18 milliards d’euros de manque à gagner pour la sécurité sociale.
Il n’y aura aucun investissement supplémentaire pour répondre à l’accroissement des inégalités de santé, à la pénurie de médecins dans les zones rurales, à l’expansion des maladies chroniques. Il n’y aura aucun investissement supplémentaire non plus pour penser notre système de soins et de solidarité sur le long terme et faire face aux conséquences sanitaires et sociales de la crise climatique. Le groupe Écologiste et Social ne sera pas complice de cette chronique d’un marasme budgétaire annoncé.
Mme Joëlle Mélin (RN). Le groupe Rassemblement National s’est déjà exprimé sur le fond, je souhaite maintenant parler de la forme. Cet article liminaire est selon nous illégitime car il s’apparente à un exercice privé, dont le but est de rassurer le secteur bancaire ainsi que les investisseurs qui détiennent notre dette publique.
À ce titre, je tiens à lancer l’alerte. Imaginez que de nombreux investisseurs, comme l’évoque la presse depuis quelques jours, se désengagent brutalement des créances françaises en raison de leur volume et des modalités de remboursement : ce serait une véritable catastrophe sociale. Nous avons déjà été déclassés par les agences internationales et sommes sous la menace de l’être encore davantage. Nous ne pouvons donc accepter un article liminaire erroné, voire insincère sur le fond et illégitime sur la forme.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Pourquoi voulons-nous supprimer cet article liminaire ? Parce que nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était !
Vous, macronistes, venez de vous prendre une tôle aux élections : vous vous êtes effondrés. Quant à vous, collègues Républicains, vous n’avez obtenu que 6 % des voix. Il n’y a donc rien qui justifie de continuer comme avant, et surtout pas le positionnement d’Emmanuel Macron, qui est rejeté par les trois quarts des Français.
Vous nous demandez d’approuver des comptes de la sécurité sociale pour 2023 que nous n’avions même pas pu voter, car vous aviez utilisé le 49.3. Vous nous demandez de le faire pour permettre l’examen du PLFSS 2025, un texte préparé par un Gabriel Attal qui a perdu les élections, un texte qui sera déposé avec neuf jours de retard sur les délais que prévoit la Constitution. Et vous nous demanderez ensuite d’approuver ce PLFSS qui sera appliqué par Darrieussecq, Paul Christophe et Panosyan-Bouvet, des macronistes qui ont perdu les élections ! Il n’y a plus d’élections, plus de Constitution ! Il n’y a que vous, qui vous pensez supérieurs à tout le monde et qui nous demandez de faire comme avant.
Mais non. Nous sommes des élus et nous n’avons pas de mandat pour cela. Nous n’avons pas reçu de mandat pour que la sécurité sociale comble les déficits de l’État. Nous n’avons pas de mandat pour que la richesse de ceux qui n’ont que leur salaire pour vivre finance les cadeaux fiscaux que vous offrez aux 5 % les plus riches. Nous n’avons pas de mandat pour poursuivre les exonérations de cotisations sociales à gogo, alors qu’il manque 1 milliard d’euros aux hôpitaux et qu’une structure d’urgences sur deux a dû fermer pendant l’été. Et nous n’avons pas de mandat, alors que notre pays compte 6 millions de privés d’emploi, pour approuver votre photographie des comptes – tout comme, d’ailleurs, vous n’aviez pas de mandat du peuple français pour mener la réforme des retraites, passée, elle aussi, grâce au 49.3.
Pourquoi rejetons-nous ce projet de loi ? Parce que nous n’avons que ça à notre disposition ! Comme ni les élections, ni la Constitution ne comptent à vos yeux, nous utilisons le peu de pouvoir démocratique que nous avons pour vous imposer la volonté du peuple français, à savoir que vous dégagiez tous !
M. le rapporteur général. Je vais essayer de donner des réponses aussi factuelles que possible.
Monsieur Boyard, non, nous ne vous demandons pas d’approuver les comptes de la sécurité sociale. La loi organique nous impose simplement d’examiner le Placss afin d’enclencher la discussion du PLFSS 2025 : vous n’êtes en aucun cas contraint de voter pour. En revanche, supprimer ses articles tendrait à faire disparaître la mauvaise gestion que justement vous dénoncez. J’insiste, chaque député est libre d’approuver ou de rejeter les articles, mais ces derniers doivent être maintenus car nous devons en tenir compte dans l’élaboration du prochain PLFSS. Je donnerai donc des avis défavorables à tous les amendements de suppression.
Madame Runel, je suis d’accord avec vous, le Placss ne doit pas uniquement relever d’une approche comptable. Cela étant, les documents qui lui sont attachés sont complexes – je remercie d’ailleurs les administrateurs de m’avoir aidé à les décortiquer. On trouve dans l’annexe 1 bon nombre des éléments qualitatifs que vous appelez de vos vœux. Vous disposez ainsi de 800 pages consacrées à l’évaluation des politiques et des objectifs de branche, avec des indicateurs relatifs, entre autres, aux inégalités territoriales de répartition de la présence médicale, au taux de scolarisation des enfants en situation de handicap ou encore aux écarts de pension entre les femmes et les hommes. Je vous invite à découvrir ces informations.
Monsieur Peytavie, nous ne serons pas d’accord sur le fond. Contrairement à ce que vous avez dit, les comptes sociaux se sont bien améliorés en 2023 par rapport à l’année précédente – selon le HCFiPS lui‑même. En revanche, il est vrai que cette amélioration est essentiellement due à la forte diminution des dépenses liées au covid, passées de 11 milliards en 2022 à 1,1 milliard d’euros en 2023. Ainsi, mais c’est heureux, ce levier ne pourra plus être mobilisé les années suivantes.
S’agissant du manque à gagner dû aux exonérations de cotisations sociales, il ne faut pas perdre de vue, qu’on adhère ou non au dispositif, qu’un de ses effets a été d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés ou de leur fournir une protection sociale complémentaire.
Enfin, madame Mélin, vous avez raison, le solde des Asso intègre la Cades et son résultat structurellement excédentaire : je l’ai d’ailleurs déploré. En revanche, la CNRACL est elle aussi incluse dans le périmètre. L’excédent de 12,9 milliards d’euros intègre bien le déficit très préoccupant de cette caisse, qui s’élève à 2,5 milliards pour 2023. Cette situation très alarmante est appelée à encore se dégrader, pour des raisons structurelles : le nombre de retraités progresse et celui de cotisants diminue. Une mission a été confiée à l’Inspection générale des finances, à l’Inspection générale des affaires sociales et à l’Inspection générale de l’administration au sujet de la situation financière de la CNRACL. J’espère qu’elle nous donnera des éléments pour améliorer les choses.
En conclusion, je demande le retrait de ces amendements, à défaut de quoi mon avis sera défavorable. Je le répète, supprimer cet article viderait le Placss de sa substance.
M. Thibault Bazin (DR). Je suis un peu étonné par les exposés sommaires de ces amendements, qui laissent entendre que les éléments budgétaires contenus dans ce texte, sa logique comptable, sa présentation des recettes et des dépenses de la sécurité sociale seraient contestables.
Il me semble que nous avons tous soutenu la loi organique qui régit l’examen du PLFSS, laquelle impose, comme préalable, la discussion du Placss de l’exercice précédent. Nous souhaitions tous disposer de cette photographie de la situation budgétaire.
Les comptes sont-ils bons ? Non, et nous y voyons une part de mauvaise gestion. Faut-il pour autant supprimer la photographie des comptes ? Je suis convaincu que non, sinon nous irions vers une irresponsabilité totale. Il s’agit des comptes de la nation et la sécurité sociale est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Nous devons être en mesure d’évaluer la dette sociale, car elle emporte d’immenses conséquences pour la suite. On ne peut pas faire fi d’éléments comptables ou budgétaires.
Je préfère largement le rejet des articles à leur suppression, car ne pas disposer de cette photographie, même imparfaite, serait préjudiciable à notre système de protection sociale.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article liminaire est supprimé.
Article 1er : Approbation des tableaux d’équilibre relatifs à l’exercice 2023
Amendements de suppression AS3 de Mme Sandrine Runel, AS5 de M. Sébastien Peytavie, AS10 de Mme Joëlle Mélin et AS19 de Mme Élise Leboucher
Mme Océane Godard (SOC). L’article 1er vise à approuver l’aggravation du déficit de la sécurité sociale de 2,1 milliards par rapport à la loi de financement de 2024. Par notre amendement de suppression AS3, suite logique du précédent, nous regrettons l’absence de vision, de méthode et d’incarnation dont fait preuve la majorité depuis 2017. Nous refusons de voir l’appauvrissement de la sécurité sociale comme une fatalité qui éloigne les Françaises et les Français de l’idéal concret de démocratie et de solidarité.
C’est ce à quoi vous tendez en généralisant, sans condition, les exonérations de cotisations sociales et les allègements généraux, dont le montant a crû de 37 milliards d’euros en sept ans. Pourquoi ne pas les conditionner ? C’est ce à quoi vous tendez également en contournant le salaire, principale assiette de financement de la sécurité sociale, au profit de revenus essentiellement défiscalisés et désocialisés, comme la participation, la prime de partage ou l’intéressement.
Plus largement, depuis 2017, vous poursuivez une politique de gestionnaire, parfois arbitraire, sans vous poser la question ni de l’accès aux soins, ni du sens, ni de la qualité de vie des Françaises et des Français. Il conviendrait plutôt de s’attaquer aux vraies questions : comment améliorer l’accès aux soins dans les déserts médicaux, comment favoriser les départs à la retraite en bonne santé, comment réduire le nombre d’accidents du travail, comment faire face au défi démographique du vieillissement ? Pour ne prendre qu’un seul exemple, la question de l’amélioration des conditions de travail est absente de vos politiques publiques !
Pourquoi ne pas traiter les causes profondes des déficits répétés de la sécurité sociale, plutôt que de constater chaque année des chiffres surprises que vous annoncez avec un air à peine désolé ? Nous vous proposons de faire des débats budgétaires un vrai moment démocratique lors duquel seraient discutés les besoins sanitaires et sociaux, pour ne pas dire vitaux, de nos concitoyens.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Dans cet article 1er, le Gouvernement présente le tableau d’équilibre, pour chaque branche, des régimes de base de la sécurité sociale – équilibre qu’il faut selon nous largement nuancer, compte tenu des nombreuses irrégularités pointées par la Cour des comptes. Si cette dernière estime que les tableaux d’équilibre et le tableau patrimonial de la sécurité sociale pour 2023 offrent une représentation cohérente des recettes, des dépenses et du solde général, elle constate pour la deuxième année consécutive qu’elle est dans l’incapacité de certifier les comptes de la branche famille. Autrement dit, la Cour des comptes déclare que les comptes de cette branche, qui ont représenté 55,7 milliards d’euros de dépenses et 56,8 milliards de recettes en 2023, ne sont pas fiables. Cette situation a un impact très concret sur les citoyens et les citoyennes dans la mesure où, par exemple, un cinquième des prestations de revenu de solidarité active sont entachées d’erreurs ou ne sont pas versées.
Si la Cour certifie les comptes des autres branches, cela ne l’empêche pas de pointer de nombreuses autres anomalies ; elle estime notamment les moyens de contrôle, et donc les effectifs, insuffisants.
Le groupe Écologiste et Social ne peut souscrire à une présentation aussi insincère des comptes publics. Par cet amendement, il demande au Gouvernement de revoir sa copie.
Mme Joëlle Mélin (RN). Nous avons bien compris que ce texte propose une photographie des comptes de la sécurité sociale : ce que nous ne voudrions pas, c’est qu’elle soit retouchée. Or malgré de longs efforts, il est très difficile de mettre en concordance les chiffres consolidés des cinq branches, selon qu’ils proviennent du présent projet de loi ou de la Cour des comptes, c’est‑à‑dire du rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale ou du rapport de certification des comptes. De toute évidence, nous sommes dans le flou le plus total et nous demandons la suppression de cet article.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Merci pour cette belle séance de découverte de l’eau chaude s’agissant des régimes obligatoires de la sécurité sociale. Les comptes font état de moins-values : en langage plus ordinaire, cela signifie que moins d’argent que prévu est entré dans les caisses. Deux raisons principales, identifiées depuis longtemps par la Cour des comptes, expliquent cette situation.
La première est le ralentissement des salaires. En effet, depuis sept ans, vous vous efforcez de les remplacer par des primes. Nous avons passé ces sept ans à vous dire que, ce faisant, l’argent de la sécurité sociale allait finir par manquer : patatras, nous y sommes ! À elle seule, la prime Macron coûte près de 2 milliards d’euros – c’est une estimation : j’aurais aimé obtenir confirmation du ministère du travail mais il n’a pas trouvé le temps de répondre à la question écrite que je lui ai adressée le 11 juin 2023, il y a un an et demi.
La seconde raison tient aux exonérations de cotisations sociales en pagaille auxquelles vous avez procédé. Leur montant, qui s’élevait à 37 milliards d’euros en 2013, c’est‑à‑dire avant la nomination de M. Macron à Bercy, est passé à 74 milliards. Vous avez jeté par la fenêtre 40 milliards d’euros par an, ce qui correspond à 1 million d’emplois publics. Par exemple, pour les salaires inférieurs au plafond de la sécurité sociale, qui s’élève à 3 800 euros par mois, les cotisations sont passées de 22 à 20 %. Certes, c’est mieux que le score des Républicains aux dernières élections, mais cela demeure trop faible pour assurer le financement général de la sécurité sociale !
En définitive, vous avez doublé la charge qui pèse sur la sécurité sociale, faute d’une politique d’emploi rationnelle et efficace. En rejetant l’approbation des comptes, nous rejetons celles et ceux qui en sont responsables. Tel est le sens de l’amendement AS19.
M. le rapporteur général. Au risque de me répéter, le tableau qui figure à l’article 1er ne fait que décrire ce qui s’est passé en 2023. L’examen de ce projet de loi n’est pas le moment d’envisager ce qui pourrait être fait à l’avenir : c’est l’objet du prochain PLFSS. Supprimer cet article reviendrait à modifier la photographie des comptes, qui est pourtant un élément important pour améliorer notre compréhension de la situation ainsi que notre contrôle.
Mme Godard a évoqué le coût des exonérations sociales et M. Clouet a plaidé en faveur des revalorisations salariales plutôt que des primes. Ces questions sont importantes, étant donné que les recettes de la sécurité sociale sont issues des revenus des assurés. Il conviendra d’être vigilants, lors de l’examen du PLFSS, sur l’efficacité des niches sociales. De premiers éléments d’analyse figurent à l’annexe 2 du projet de loi, grâce au rapport d’information de Marc Ferracci et Jérôme Guedj. Par un courrier adressé hier au Premier ministre, j’ai également demandé la communication des premiers résultats de la mission actuellement conduite par Antoine Bozio et Étienne Wasmer sur ce sujet.
L’exposé sommaire de l’amendement de Mme Godard déplorait également la logique comptable adoptée par le Gouvernement. Encore une fois, des analyses qualitatives figurent dans les annexes au projet de loi. Par ailleurs, la reconstitution de la Mecss nous permettra bientôt de reprendre notre travail d’évaluation des politiques relatives à la sécurité sociale.
Monsieur Peytavie, je déplore comme vous l’absence de certification des comptes de la branche famille. Je redonne les chiffres, qui doivent nous interpeller : les versements indus, c’est-à-dire effectués à tort et qui ne pourront jamais faire l’objet d’un remboursement, se sont élevés à 5,5 milliards, soit 7,4 % de l’ensemble des prestations. Je partage votre inquiétude sur ce sujet.
Madame Mélin, l’exposé sommaire de votre amendement remet en question le tableau d’équilibre des régimes, à l’article 1er. Il est pourtant sincère ; c’est le même que celui du rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2023. C’est en fait un jeu d’arrondis qui explique le décalage que vous avez repéré. Pour la branche famille, les recettes se sont élevées à 56,750 milliards et les dépenses à 55,734 : le solde est donc de 0,986 milliard. Mais les chiffres arrondis sont de 56,8 et 55,7 milliards, et de 1 milliard pour le solde. L’incohérence n’est donc qu’apparente.
Vos autres questions, que j’entends, trouveront leur place lors de l’examen du PLFSS et non du Placss. Ce n’est pas en supprimant ces tableaux, qui dressent simplement un état des lieux de la situation en 2023, que vous améliorerez la prise en charge des patients.
Avis défavorable.
M. Thibault Bazin (DR). D’abord, ce texte n’est pas la « copie » du gouvernement actuel mais celle du précédent, démissionnaire, qui a déposé le Placss le 19 juillet.
Monsieur Clouet, vous imputez les moindres recettes à deux raisons, dont les exonérations sociales. Vous inventez des casse-tête ! Rappelez-vous la crise des « gilets jaunes » : l’objet des exonérations était justement de valoriser le travail et d’améliorer le pouvoir d’achat des travailleurs.
Si les recettes sont moindres que prévu, c’est à cause du ralentissement de l’activité. Pour qu’il y ait des exonérations, il faut des cotisations et pour qu’il y ait des cotisations, il faut du travail. Or il n’y a pas eu suffisamment de travail. Tout l’enjeu est là.
M. Nicolas Turquois (Dem). Je suis consterné : vous confondez la réalité des comptes de la sécurité sociale et le document qui la décrit.
Les comptes de la sécurité sociale sont mauvais. Le Placss le montre, et il explique même les raisons des difficultés. Nous pouvons ensuite juger sévèrement les politiques menées, nous pouvons faire le choix de mettre fin ou non aux exonérations sur les bas salaires, mais ne nous privons pas du document qui nous permet de nous forger un avis ! C’est comme si une entreprise, pour résoudre ses difficultés, déchirait le document fourni par l’expert-comptable ! Ces amendements ahurissants relèvent soit de l’incompétence, soit d’une remise en cause du fonctionnement institutionnel. On peut voter contre le Placss, mais pas vouloir supprimer ses articles.
M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous souhaitons tous rétablir l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, en trouvant les moyens de maîtriser les dépenses et d’abonder les budgets. Ce sera l’objet de cette législature.
Le présent texte est un thermomètre. Ce n’est pas en le cassant que vous guérirez le patient ! Tout est dit dans ce projet de loi, et de manière directe – je prends d’ailleurs mes responsabilités, car j’ai voté les budgets précédents. Cela ne sert à rien de se cacher les choses, regardons-les en face.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Mais si le thermomètre est défectueux, ne faut-il pas le casser et le remplacer par un autre ? C’est la nature des informations présentées dans ce texte qui pose problème. Par exemple, nous ne savons toujours pas combien coûtent les cadeaux faits aux très hauts revenus et aux très grandes entreprises. Il faut les ventiler, pour analyser la situation.
Monsieur Bazin, vous prétendez que les exonérations sociales ont permis de répondre à la crise des « gilets jaunes ». Mais enfin, aujourd’hui, même des salaires de 4 240 euros bruts sont concernés par les allégements de cotisations patronales ! C’est manifestement excessif. Et pourquoi faudrait-il faire des cadeaux aux employeurs pour qu’ils proposent des bas salaires ? Il faudrait plutôt les inciter à verser des salaires plus élevés.
M. Bazin explique qu’il faut des exonérations pour augmenter les salaires : non, il faut des salaires pour limiter les exonérations ! Actuellement, nous payons trois fois ces exonérations : à travers l’insuffisance des cotisations à la Sécu, à travers la contribution sociale généralisée et la contribution pour le remboursement de la dette sociale, qui visent à combler la dette créée par cette insuffisance, et enfin à travers la part des impôts affectée à la Sécu pour combler les deux premiers déficits. La vraie question est donc de savoir comment abonder les comptes de la Sécu avec l’argent des salaires.
M. François Gernigon (HOR). Ces amendements de suppression sont une aberration. Les tableaux qui figurent dans le texte offrent une vision synthétique, une photographie sur laquelle nous pourrons nous appuyer pour débattre du PLFSS 2025, exprimer nos désaccords et élaborer une stratégie. Tenter de les supprimer, c’est refuser d’y voir clair. Comme si une entreprise refusait son bilan !
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Ces amendements de suppression résultent d’une part de votre choix d’adopter le budget de la sécurité sociale par 49.3, d’autre part de celui de traiter un service public indispensable à la vie de nos concitoyens sous l’angle purement financier, en occultant les questions essentielles de la continuité territoriale, de la souffrance au travail, des burn‑out, des arrêts de travail, qui montrent toutes le rétrécissement du service public de santé. Pour régler la question de la sécurité sociale, c’est une réflexion sur la nature du service public et de la protection sociale dans notre pays qu’il faut mener.
M. Fabien Di Filippo (DR). Vos propos sont contradictoires. Si vous regrettez que le budget ait été adopté par 49.3, pourquoi refuser maintenant la possibilité de s’exprimer par un vote ? Votre position est contre-productive.
Par ailleurs, l’immense majorité des exonérations aujourd’hui portent sur les très bas salaires. Ne vous plaignez pas que quelques allégements existent aussi pour les salaires un peu plus élevés : en les supprimant, vous enfermeriez les travailleurs dans les salaires les plus bas. Actuellement, un employeur doit encore parfois débourser 500 euros pour augmenter un salarié de 100 euros. Si l’on veut rétablir les comptes sociaux, il faut que les gens aient de bons salaires.
Mme Joëlle Mélin (RN). Je comprends que l’on préfère discuter au fond plutôt que de « casser le thermomètre ». Sauf que cela fait vingt-neuf ans que la Cour des comptes répète qu’il manque un indicateur de risque permettant d’évaluer convenablement les comptes ! Tant pis pour la méthode, à un moment, il faut dire stop. Il faut tout remettre à plat et que chacun prenne ses responsabilités.
La commission adopte les amendements.
En conséquence l’article 1er est supprimé.
Article 2 : Approbation, pour l’exercice 2023, des dépenses constatées de l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, des recettes affectées au Fonds de réserve pour les retraites et celles qu’il met en réserve et du montant de la dette amortie par la Caisse d’amortissement de la dette sociale
Amendements de suppression AS4 de Mme Sandrine Runel, AS6 de M. Sébastien Peytavie, AS11 de Mme Joëlle Mélin et AS20 de Mme Élise Leboucher
Mme Sandrine Runel (SOC). Monsieur le rapporteur général, même si je suis nouvellement élue, je suis capable de lire une annexe de 800 pages et le groupe Socialiste est parfaitement équipé pour trouver les informations nécessaires.
Derrière son apparence technique, ce document sert uniquement à entériner la gestion comptable des dépenses de santé par le gouvernement – nouveau ou démissionnaire : nous ne voyons pas la différence, à part que le nouveau est encore plus à droite. Vous suivez aveuglément des indicateurs comptables et financiers, plutôt que de proposer des objectifs nationaux de santé publique et une loi de programmation pluriannuelle. Nous n’avons pas besoin d’indicateurs comptables, mais de personnel à l’hôpital, de soignants, d’accompagnants pour les plus vulnérables. Et nous avons besoin de recettes pour combler le déficit de la sécurité sociale tout en permettant à chacun de se soigner. Nous proposons donc de supprimer cet article.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’article 2 a pour objet l’approbation des 247,8 milliards d’euros de dépenses au titre de l’Ondam. Or, encore une fois, ces dépenses sont insuffisantes pour répondre aux besoins de santé de la population. Nous appelons donc à la suppression de cet article.
Le Gouvernement s’entête à cantonner l’évolution des dépenses de santé à un niveau inférieur à celle du PIB, et prépare de nouvelles économies sur le système de santé jusqu’en 2027. Vous ne prévoyez aucun investissement supplémentaire pour faire face aux inégalités d’accès à la santé, aux déserts médicaux, à l’accroissement des maladies chroniques et à la transition écologique ; ni aucune stratégie de long terme pour relever le défi de la santé de la population et de la soutenabilité de la sécurité sociale.
Les primes Macron, qui sont des exonérations de cotisations, n’ont fait qu’assécher davantage la sécurité sociale. Nous serons tous perdants avec cette politique qui ne jure que par la réduction des dépenses publiques, mais les premières victimes seront les plus vulnérables : les personnes âgées, les enfants et les 12 millions de personnes en situation de handicap, sans parler de tous ceux qui prennent soin au quotidien. Nous ne pouvons souscrire à cette cure d’austérité.
Mme Joëlle Mélin (RN). L’Ondam est le symbole d’un outil mal calibré, qu’il faut réformer. C’est à ce titre que nous demandons la suppression de cet article.
Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP). Le niveau de croissance de l’Ondam pour 2023 a été historiquement bas. De toute façon, nous contestons cet outil budgétaire qui ne cesse d’affaiblir notre système de protection sociale.
Les dépenses constatées au titre de l’Ondam pour 2023 s’élèvent à 247,8 milliards d’euros. Elles excèdent de 0,2 milliard les prévisions, ce que le Gouvernement explique par « l’octroi d’un soutien exceptionnel de 0,5 milliard d’euros aux établissements de santé publics et privés au titre de l’année 2023 ». Or la Fédération hospitalière de France demandait plus de 1 milliard pour compenser les surcoûts de l’inflation pour les seuls hôpitaux publics cette année‑là. Le soutien exceptionnel a donc non seulement été deux fois inférieur aux besoins des établissements publics, mais de surcroît dû être partagé avec le secteur privé. Pire encore, alors que les établissements publics attendaient de récupérer les 720 millions de sous-exécution de l’Ondam qui leur étaient destinés, seuls 470 millions leur ont été rendus. Cette ponction de 250 millions intervient alors que la Conférence des directeurs généraux des centres hospitaliers universitaires alerte : les difficultés actuelles sont peut-être les plus graves depuis la création de ces établissements en 1958 ; leur déficit a triplé en 2023.
Les deux sous-objectifs relatifs aux établissements et services pour personnes âgées et pour personnes handicapées enregistrent chacun une sous-consommation de 0,1 milliard. Les établissements médico-sociaux ont donc été privés de 200 millions d’euros, alors que 85 % des Ehpad ont été déficitaires en 2023.
Le Gouvernement s’est félicité d’ouvrir un fonds d’urgence de 100 millions en soutien aux établissements en difficulté dans la LFSS 2024. C’est deux fois moins que le montant de la sous-exécution budgétaire en 2023. Partout sur le territoire, les Ehpad publics et non lucratifs alertent inlassablement depuis dix-huit mois sur les risques de fermeture et la dégradation des conditions d’accueil. Tel est le sens de l’amendement AS20.
M. le rapporteur général. Madame Runel, je ne présumais en rien de votre inexpérience ou de votre manque d’équipement, je vous indiquais simplement où trouver des informations dans un rapport de 800 pages. Votre collègue Mme Battistel, qui est du même département que le mien, vous confirmera sans doute que nous avons habituellement des relations de travail plutôt bienveillantes.
Madame Rousseau, je condamne le recours au 49.3 pour l’adoption du PLFSS 2023 car il a privé l’Assemblée nationale de son rôle, mais ce choix ne change absolument rien à la sincérité des comptes administratifs pour 2023. Nous avons besoin d’une photographie de ces comptes et je suis donc défavorable aux amendements de suppression.
Nous devons aller plus loin dans l’amélioration des financements et du fonctionnement de notre système de santé, grâce à différents leviers dont nous débattrons lors de l’examen du PLFSS. En particulier, les capacités de formation des futurs professionnels de santé devraient être davantage définies en fonction des besoins du territoire ; le renforcement des politiques de prévention serait également bénéfique, tant pour la santé de la population que pour réaliser des économies.
Madame Hamdane, en tant que parlementaire et praticien hospitalier, je connais et je déplore comme vous les difficultés des hôpitaux. Rappelons néanmoins que l’Ondam hospitalier a progressé de 5,6 % en 2023, hors dépenses de crise, que les établissements de santé ont bénéficié de la restitution de crédits mis en réserve et qu’une aide exceptionnelle de 0,5 milliard d’euros leur a été versée au titre des besoins constatés à la fin de 2023. Même si c’est probablement insuffisant, il est difficile de parler de ponction sur le dos de l’hôpital public.
Je conteste l’opposition que vous établissez entre établissements de santé publics et privés. Dans ma circonscription, la désertification médicale impose aux deux de coordonner leurs efforts – d’ailleurs, la seule offre d’hospitalisation y est privée. Nous pourrons sans doute débattre de l’organisation du système de soins lors de l’examen du PLFSS. Si demain nous supprimions toute hospitalisation privée, le système public serait bien incapable d’absorber la file active des patients concernés. En outre, pour les patients, il importe peu que les structures soient publiques ou privées, du moment qu’ils sont soignés correctement et qu’il n’y a pas de dépassement d’honoraires. Quoi qu’il en soit, toute réforme du système devra tenir compte de l’ensemble des acteurs et respecter tant les structures d’hospitalisation publiques et privées que la médecine de ville.
Monsieur Peytavie, je n’ai trouvé nulle part dans la LFSS 2024 ni dans la loi de programmation des finances publiques le projet de maintenir la croissance de l’Ondam en deçà de celle du PIB et de l’inflation. Vous déplorez les appels à contraindre les dépenses de santé. Mais en tant que professionnel de santé, vous savez qu’il nous faut aussi rechercher l’efficience, à travers la prévention et la suppression des dépenses inutiles.
Madame Mélin, selon l’exposé sommaire de votre amendement, l’Ondam ne serait pas un élément pertinent de pilotage des dépenses d’assurance maladie car il ne porte que sur l’offre de soins. Je suis pour ma part ouvert à une réforme de l’Ondam, reposant notamment sur une programmation pluriannuelle des dépenses de santé, afin de permettre un meilleur pilotage.
En tout cas, si l’on veut éviter que la maîtrise des dépenses de santé ne se fasse sur le dos des patients, il nous faut un outil pour évaluer l’efficience de l’offre de soins financée par l’Ondam.
Cet article est la photographie d’une gestion, non sa validation. Si vous vous opposez à cette gestion, mieux vaut voter contre le texte que demander sa suppression.
M. Hendrik Davi (EcoS). Monsieur le rapporteur général, à la fin de 2023, une sous-consommation de l’hôpital public de 500 millions d’euros et une surconsommation de l’hôpital privé, due au covid, ont été constatées. La dotation de 500 millions a simplement permis de rendre au public l’argent pris par le secteur privé.
« Ce ne sont que des tableaux », dites-vous. Mais les tableaux et les comptes ne sont jamais neutres, ils sont toujours liés à une interprétation ! Nous avons le droit de penser que la vôtre ne convient pas, car elle repose sur de mauvaises questions.
Oui, les dépenses de soins hospitaliers ont augmenté de 4 % en 2022, mais le coût de la consommation de médicaments en ambulatoire a augmenté de 5 %, et celui des transports sanitaires de plus de 7 %. Pourquoi ? À cause de la dérégulation des transports sanitaires. Vous le voyez, les chiffres ne sont jamais neutres : on les choisit selon son point de vue.
M. Thibault Bazin (DR). Il y a une confusion : à ma connaissance, le covid n’a pas donné lieu à des crédits en 2023, ou quasiment pas – à ce titre, cette année marque un retour à l’équilibre.
Monsieur le rapporteur général, vous avez raison quant à l’approche pluriannuelle. Les établissements, notamment ceux qui s’occupent du handicap, en ont besoin, surtout pour discuter des investissements. Il est dramatique que certaines agences régionales de santé (ARS) n’aient pu discuter de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens depuis plusieurs années. Il faut en finir avec la logique des crédits non reconductibles. Les conseils d’administration et les conseils de surveillance naviguent à vue, parce que des lignes de trésorerie d’un montant considérable – parfois plusieurs millions d’euros – sont négociées en attendant la fin d’année. Cela empêche de construire des stratégies et déresponsabilise les acteurs. Redressons la barre avec des contrats pluriannuels qui lieront autorités de tutelles et établissements.
Mme Joëlle Mélin (RN). On s’étonne qu’une programmation pluriannuelle n’ait pas été instaurée beaucoup plus tôt : sa nécessité tombe sous le sens pour tous les établissements et professionnels de santé, ainsi que dans le domaine de l’innovation, qui était jusqu’à présent l’honneur de la France. Comment les industries pharmaceutiques ou de dispositifs médicaux, la medtech et l’intelligence artificielle pourraient-elles avancer sans une telle programmation ? Monsieur le rapporteur général, nous soutiendrons votre projet, non sans vigilance, vous vous en doutez.
Mme Justine Gruet (DR). Même si les ARS ont continué à fonctionner, il faut saluer le travail formidable des directeurs d’établissements, qui ont su maintenir le cap malgré l’absence d’un gouvernement et malgré d’importantes lourdeurs administratives.
Il faut ainsi des mois pour composer chaque année des bilans d’activité de 200 pages que personne ne lit, car ils ne présentent que peu d’intérêt pour le quotidien et le futur de l’établissement. Une loi de programmation pluriannuelle permettrait de fixer un cap et de redonner du sens au travail des équipes de direction. Peut-être pourraient-elles rendre des comptes tous les cinq ans, et non tous les ans, afin de gagner du temps administratif !
M. le rapporteur général. Monsieur Davi, supprimer les articles vous empêcherait d’exprimer votre opposition à ce texte, alors que je comprends vos arguments.
Quant aux 500 millions d’euros évoqués, qu’ils concernent les hôpitaux publics ou les cliniques privées, c’est l’arbre qui cache la forêt. C’est très peu par rapport aux 2 milliards d’euros de déficit cumulé des hôpitaux publics. Ce qui compte, ce n’est pas tant le montant du budget, que sa capacité à permettre le fonctionnement des établissements sans déficit. Il faut éviter le sous-financement de la sécurité sociale qui, s’il améliore en apparence les comptes, creuse le déficit bien souvent structurel des établissements publics d’hospitalisation.
Monsieur Bazin, je crois moi aussi à l’intérêt de la programmation pluriannuelle, que vous connaissez bien en tant que conseiller départemental, particulièrement dans le secteur médico-social – et je comprends, madame Mélin, qu’elle s’effectuerait sous votre survillance. Madame Gruet, oui, une simplification, une débureaucratisation permettraient de gagner du temps et de l’argent. Ces différentes pistes de travail sont intéressantes pour le PLFSS.
La commission adopte les amendements.
En conséquence l’article 2 est supprimé.
Article 3 : Approbation du rapport annexé sur le tableau patrimonial et la couverture des déficits de l’exercice 2023
Amendements de suppression AS1 de Mme Sandrine Runel, AS7 de M. Sébastien Peytavie, AS12 de Mme Joëlle Mélin et AS21 de Mme Élise Leboucher
Mme Sandrine Runel (SOC). Depuis 2017, les gouvernements successifs ont aggravé l’endettement de la sécurité sociale. Cette dégradation s’explique pour partie par les dépenses liées à l’épidémie de covid-19, mais également par l’amoindrissement structurel des ressources.
Nous préconisons de lutter contre les déserts médicaux, de réduire le reste à charge, d’avancer l’âge de départ à la retraite et surtout de résorber la pauvreté croissante, en particulier des familles monoparentales et des enfants.
M. Sébastien Peytavie (EcoS). L’article 3 retrace la situation patrimoniale des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement.
Le groupe Écologiste et Social déplore une présentation une fois encore entachée d’innombrables d’irrégularités, à l’instar de la gestion désastreuse des comptes publics que nous lèguent les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017. Il ne se portera pas caution d’une telle compression des dépenses sociales, au mépris des besoins de la population.
Pour répondre au rapporteur général, le texte prescrivant l’austérité jusqu’en 2027 auquel j’ai fait référence est l’article 4 de la loi du 18 décembre 2023.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). L’article 3 illustre le processus suivant : vous gelez les taux de cotisation des entreprises, donc la sécurité sociale manque d’argent pour soigner les gens, le déficit se creuse, il devient une dette que vous placez dans une caisse séparée, la Cades, laquelle emprunte sur les marchés financiers pour rembourser – ce qui n’annonce souvent rien de bon. L’addition des frais parasitaires – intérêts et commissions bancaires – dont la Cades doit s’acquitter s’élève, sur trente ans, à 91 milliards d’euros, selon les calculs de l’économiste Ana Carolina Cordilha – vous retrouverez ce chiffre dans le rapport d’information sur la gestion de la dette sociale que Stéphanie Rist et moi-même vous présenterons la semaine prochaine.
91 milliards ! Vous avez le culot de nous demander de valider vos opérations financières alors que vous avez détourné de la sécurité sociale l’équivalent de quatre-vingt-dix centres hospitaliers ? Cet argent aurait permis de payer trente mille médecins du travail ou cinquante mille infirmières pendant la même période. Non, nous refusons de valider des comptes qui ont tout du tour de passe-passe aux frais des citoyens. La sécurité sociale et la finance, c’est comme l’eau et l’huile, cela ne se mélange pas. Tel est le sens de l’amendement AS21.
M. le rapporteur général. Monsieur Clouet, votre rapport d’information éclairera utilement nos débats.
Je le répète, par vos amendements, vous ne manifestez pas votre refus, que je comprends, de valider les comptes : vous supprimez le tableau objectif décrivant la situation que précisément vous dénoncez. C’est la raison pour laquelle je donne un avis défavorable à ces amendements de suppression.
Madame Runel, je m’en tiendrai pour vous répondre au contenu de votre amendement, qui ne correspond absolument pas à votre présentation.
L’appauvrissement de la sécurité sociale au cours des trois dernières années tient aux déficits provoqués par la crise sanitaire, qui ont grandement endetté la sécurité sociale. En revanche, je partage votre avis quant à l’importance de la prévention. Nous devons la développer massivement. Néanmoins, les mesures en ce sens ne produiront leurs effets salvateurs, tant pour la santé de nos concitoyens que pour nos comptes sociaux, qu’à long terme. Dans l’intervalle, nous devons trouver les moyens de financer le renforcement de la prévention.
Monsieur Peytavie, les anomalies et insuffisances dans l’établissement des comptes des régimes de la sécurité sociale sont l’une des raisons pour lesquelles la Cour des comptes a refusé de certifier, pour la deuxième année consécutive, les comptes de la branche famille. Le nombre d’anomalies significatives qu’elle a relevées diminue – six contre onze pour l’exercice précédent – mais le compte n’y est toujours pas.
Enfin, il me semble que la loi du 18 décembre 2023 à laquelle vous vous référez n’est pas la loi de financement de la sécurité sociale mais la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, qui, elle, n’est pas contraignante. Nulle part dans la loi de financement de la sécurité sociale il n’est dit que l’Ondam ne doit pas suivre l’évolution de l’inflation et du PIB – mais cela n’enlève rien à la vigilance nécessaire dans ce domaine.
M. Thibault Bazin (DR). Je m’étonne que M. Clouet, dont la mémoire est habituellement infaillible, semble oublier que la dette sociale n’est pas apparue il y a trente ans. Elle est un héritage de 1981 et des années qui ont suivi – et elle n’est pas uniquement le fait des choix gouvernementaux, mais aussi des chocs pétroliers notamment. Je rappelle qu’en 1990 et 1991, le gouvernement, qui n’était pas de droite, n’avait pas réuni la Commission des comptes de la sécurité sociale, masquant ainsi les déficits d’alors.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Au tour de M. Bazin de voir sa mémoire lui faire défaut. La Cades a été créée en 1996 après qu’une grève générale avait abouti au retrait des mesures du plan Juppé. Pourquoi ? À partir de 1993, les déficits s’accumulent. À la suite de la réunification allemande, l’Allemagne mène un politique de déflation que nous subissons du fait de la parité franc-mark. Faute de solution monétaire, la France connaît une crise économique qui se traduit par une division par deux des recettes des cotisations sociales – la situation se rétablit quelques années plus tard grâce aux 35 heures.
La Cades est un outil conjoncturel : c’est une caisse de cantonnement ayant vocation à disparaître, comme nous en avons déjà connu. Elle disparaîtra un jour, mais en nous laissant une facture de 91 milliards d’euros dont auront profité des créanciers privés et de grandes banques.
Monsieur le rapporteur général, je suis en désaccord avec votre interprétation des amendements de suppression. Contrairement à ce que vous affirmez, le fait de voter contre le texte est bien une manière de critiquer les politiques qui ont été menées. En effet, je suis bien en peine de trouver dans les comptes que nous devons approuver les 91 milliards d’euros d’intérêts et commissions qu’a coûtés la Cades. Si les comptes étaient sincères, nous pourrions envisager de les valider.
M. Jérôme Guedj (SOC). Voilà qui me rend très impatient de débattre du rapport sur la gestion de la dette sociale ! Je doute que la responsabilité puisse en être imputée à mai 1981 : à l’époque, la croissance économique permettait encore d’absorber les dépenses sociales.
Alors que s’ouvre la séquence du PLFSS, il me semble utile de savoir de quelles informations dispose le rapporteur général. Dans un monde normal, le 25 septembre, nous devrions connaître les trajectoires retenues. Je crois connaître la réponse, mais je préfère lui poser la question en toute transparence : avez-vous connaissance, au moins, d’une maquette ? Il n’y a pas en notre matière des lettres plafonds comme celles que la commission des finances a eu tant de mal à obtenir, mais savez-vous si l’Ondam passera de 3,2 % à 3 % comme le prévoient le programme de stabilité et la loi de programmation des finances publiques ? L’Ondam hospitalier passera-t-il de 3,2 % en 2024 à 2,6 % en 2025 ?
M. Sébastien Peytavie (EcoS). Les dispositions auxquelles je faisais référence figurent dans l’article 18, et non dans l’article 4, de la loi du 18 décembre 2023. Il y est bien indiqué que l’objectif de dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale est fixé à 21,7 % du PIB en 2023 et à 21,8 % en 2027.
M. le rapporteur général. Monsieur Peytavie, il me semble intéressant de confronter nos analyses car nous ne parlons pas de la même loi. Je reviendrai vers vous avec de plus amples éléments de réponse.
Monsieur Guedj, après ma désignation en tant que rapporteur général, j’ai pris contact avec les ministres démissionnaires. Lors de notre rencontre en juillet, ils ne disposaient pas des scénarios que la direction de la sécurité sociale et la Caisse nationale de l’assurance maladie avaient élaborés. En tout état de cause, selon eux, leur qualité de ministre démissionnaire ne les aurait pas nécessairement autorisés à me les transmettre.
La semaine dernière, j’ai réuni les rapporteurs pour chacune des branches et nous sommes convenus d’adresser chacun des courriers au Gouvernement pour réclamer les éléments nécessaires à nos travaux – un par rapporteur et le mien, d’une tonalité plus générale. Nous sommes en attente de réponses. J’espère pouvoir discuter prochainement avec la nouvelle ministre de la santé et de l’accès aux soins, Mme Darrieussecq, du futur PLFSS.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 3 est supprimé.
La commission ayant supprimé tous les articles du projet de loi, l’ensemble de celui-ci est rejeté.
La réunion s’achève à douze heures cinquante-cinq.
Informations relatives à la commission
– La commission a désigné Mme Hanane Mansouri membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss)
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, Mme Céline Hervieu, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Élise Leboucher, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Hanane Mansouri, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, Mme Sandrine Runel, M. Arnaud Simion, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Nicolas Turquois, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Anchya Bamana, M. Paul Christophe, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistaient également à la réunion. – M. Guillaume Garot, M. Jean-François Rousset