Compte rendu
Commission
des affaires européennes
Mercredi
30 avril 2025
15 heures
Compte rendu n o 27
Présidence de
M. Pieyre-Alexandre Anglade,
Président
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 30 avril 2025
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 10.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Le premier point de la réunion de ce jour est l’examen de la proposition de résolution européenne de M. Philippe Bolo et Mme Marie-Noëlle Battistel visant à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence.
Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Nous sommes heureux de vous retrouver au sein de la Commission des affaires européennes afin de défendre, à travers cette proposition de résolution européenne (PPRE), la question des concessions hydroélectriques. Ce sujet d’intérêt général me tient particulièrement à cœur depuis plusieurs années.
L’avenir des concessions hydroélectriques est également une préoccupation largement partagée au sein de la Commission des affaires économiques, devant laquelle nous allons prochainement présenter les conclusions d’une mission d’information portant sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques. Cette mission d’information, soutenue par neuf des onze groupes politiques composant l’Assemblée nationale, fait largement consensus.
La proposition de résolution européenne vise à compléter le travail de la mission d’information sur son volet européen, eu égard aux imminentes évolutions du droit de l’Union européenne et des impacts que ces évolutions pourraient avoir sur les textes régissant l’hydroélectricité.
Afin de pleinement appréhender ce qui se joue, je vous propose tout d’abord de dresser un très bref état des lieux de la situation de l’hydroélectricité en France. L’énergie hydraulique est la première source d’électricité après le nucléaire, et la première source d’énergie renouvelable, avec une production estimée à 74 TWh en 2024, le niveau le plus haut enregistré depuis 2013. La France est par ailleurs la première puissance hydraulique de l’UE et compte 2 500 installations. Ce parc exceptionnel permet à notre pays de bénéficier d’une énergie peu coûteuse, pilotable, flexible et décarbonée.
Le régime d’exploitation des centrales hydroélectriques dépend de la puissance maximale brute. Le régime d’autorisation est obtenu lorsque les puissances installées sont inférieures à 4 500 kW, et le régime de concession est applicable au-delà.
Les installations sous régime d’autorisation appartiennent généralement à des particuliers - entreprises ou collectivités (environ 80 % des infrastructures du parc). Cette « petite hydroélectricité » n’est en aucun cas concernée par la PPRE.
Ce qui est d’intérêt aujourd’hui, c’est la « grosse hydroélectricité », sous le régime de concession, qui représente 90 % de la puissance cumulée du parc hydroélectrique. Les installations gérées sous ce régime appartiennent à l’État français et sont construites et exploitées par un concessionnaire pour son compte pour une durée maximale de 75 ans sur la base d’un cahier des charges prédéfini.
La durée des concessions doit permettre d’amortir les investissements réalisés par le concessionnaire. À l'issue de cette période, les biens en concessions sont de retour à l’État qui peut renouveler le contrat, ou l’attribuer à un autre opérateur.
Depuis la loi de nationalisation de l’électricité et du gaz élaborée en 1946, EDF est le principal exploitant du parc hydroélectrique sous concession. Aux côtés d’EDF se trouvent également deux opérateurs historiques : la compagnie nationale du Rhône (CNR) et la société hydroélectrique du midi (SHEM).
Le régime juridique des concessions et le statut juridique des opérateurs historiques ont profondément évolué sous l’impulsion de différents pans du droit de l’Union européenne.
D’abord le droit de la concurrence est venu encadrer le droit de la commande publique en posant différents principes : la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures. En outre, il interdit les accords qui restreignent la concurrence entre les entreprises, les abus de positions dominantes, certaines concentrations et acquisitions ainsi que des aides d'état.
Le droit de la commande publique a quant à lui été profondément réformé en France à la suite de l’adoption en 2014 de la directive dite « concessions ». Cette directive consacre et encadre les contrats de concession et rend obligatoire, sauf exception, la procédure d’appel d’offres en fin de concession.
Enfin, la libéralisation du marché de l’électricité a conduit le Gouvernement à adapter sa législation : EDF a changé de statut en devenant une SA en 2004, le droit de préférence a été abandonné. Une mise en demeure de la France par la Commission européenne en 2008 a par ailleurs conduit le gouvernement français à adopter un calendrier prévisionnel de renouvellement des concessions hydroélectriques pour démontrer sa bonne foi.
Faute de consensus général, ce calendrier prévisionnel n’a toutefois jamais été mis en œuvre. Afin de permettre la continuité des concessions arrivant à échéance, des alternatives à la mise en concurrence ont été trouvées mais ont eu pour conséquence deux mises en demeure de la Commission européenne. La première, qui date de 2015, met en cause des mesures qui « ont pour effet de maintenir ou de renforcer la position dominante d’EDF », laquelle serait abusive. La seconde, qui date de 2019, est fondée sur la directive « concessions ». Ici, la Commission reproche à la France le non-recours à des procédures d'appel d'offres lors du renouvellement des concessions.
Bien que les échanges entre la Commission européenne, le gouvernement français et le parlement durent depuis des années, aucun accord n’a été trouvé.
En revanche, aucun ouvrage n’a été mis en concurrence. Pour autant, cela ne permet pas la réalisation d’investissements substantiels, par manque de visibilité des opérateurs, alors même que le parc doit être modernisé, et développé notamment dans le domaine des STEPs. Cette situation ne peut pas durer. Ce flou juridique ne rassure personne.
Seule certitude à ce jour : les conditions d'acceptabilité politique et sociale d'une mise en concurrence des concessions hydroélectriques ne sont pas réunies. La très large majorité des acteurs se prononce en défaveur de l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques.
La directive de 2014 a été adoptée dans un contexte très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Les enjeux ont évolué autour de la question de la ressource en eau, de son partage, mais aussi de l’aménagement du territoire, des effets en matière de risque, et de la question évidente de la souveraineté énergétique.
La Commission européenne pourrait prochainement proposer une révision de la directive « concessions ». Elle a d’ailleurs lancé en décembre 2024 une consultation publique à laquelle nous avons participé en déposant une contribution en vue d’exclure les concessions l’hydroélectricité du champ d’application de droit de l’Union.
M. Philippe Bolo, co-rapporteur. En complément des éléments importants qui vous ont été communiqués par ma collègue, je dirai que la France n’a pas été seule dans cette situation de mise en demeure pour non-respect des procédures de mise en concurrence lors de l’octroi ou du renouvellement des ouvrages hydroélectriques. Les motifs peuvent être variables : il peut s’agir de manquements à une sélection transparente ou d’une sélection jugée impartiale ou d’absence d’appel d’offres. Huit pays, dont la France, sont concernés : l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la Suède, le Royaume-Uni, l’Italie et le Portugal.
Dans notre rapport figure un tableau qui répertorie les différences de législations entre pays européens. Évidemment, la nature juridique du régime d’exploitation est un élément déterminant des mises en demeure : dans le cas des concessions, leur renouvellement implique une mise en concurrence.
Si l’on regarde ce qu’il se passe dans des pays où le régime de concession est majoritaire, comme en Croatie, en Hongrie et en Slovénie, on constate la place primordiale de la puissance publique, à l’instar du système français. En Croatie, le principal exploitant des installations hydroélectriques est une société nationale. En Roumanie, la production est uniquement assurée par des opérateurs publics. En Slovénie, cent pour cent des infrastructures sont opérées par l’État car la loi est contraignante.
Dans le cas des pays où le régime de l’autorisation est dominant, comme en Finlande, en Grèce ou en Roumanie, la place de l’État et des acteurs publics est également centrale.
Ainsi, l’image d’une hydroélectricité cent pour cent ouverte à la concurrence n’est pas une réalité dans les situations que nous pouvons observer de façon comparative en Europe. La propriété privée apparaît à des proportions variables par rapport à la propriété publique. Cela dépend fortement de l’histoire de ces pays, de l’importance de l’hydroélectricité, de la caractéristique des actifs hydroélectriques, du profil de leur puissance, des lois qui existent. En Finlande par exemple, il existe une loi qui permet d’y accéder, via des permis.
En définitive, l’histoire, la géographie, l’hydrologie, le mix des capacités de production, avec une part de nucléaire ou non, orientent les organisations d’exploitation et de gestion des ouvrages hydroélectriques. Nous sommes face à un paysage fragmenté qui montre que la réalité des modes d’exploitation et de gestion reste largement dépendante de caractéristiques nationales.
Cela conduit à plusieurs interrogations : pourquoi les particularités historiques, géographiques, hydrographiques et technologiques françaises, avec le poids du nucléaire, ne seraient-elles pas prises en compte ? Mme Battistel nous a parfaitement indiqué en quoi l’hydroélectricité représente un couple avec le nucléaire en termes de flexibilité et de soutien d’étiage, notamment pour la capacité de refroidissement des centrales.
Ensuite, en quoi la directive aurait-elle une capacité à uniformiser les situations dans tous les pays et à faire en sorte que ce principe de mise en concurrence devienne une généralité ?
Enfin, il est pertinent de réinterroger le système, qui est ancien et qui a été mis en place à une époque où les enjeux étaient différents de ceux d’aujourd’hui.
Au cours de notre mission débutée en septembre, nous avons découvert cette consultation européenne qui visait à réinterroger la directive « concessions » et nous avons décidé de nous en saisir pour sortir du contentieux qui bloque aujourd’hui les investissements hydroélectriques français. L’objectif à atteindre est donc de débloquer ce verrou. Nous avons donc déposé notre propre contribution lors de cette consultation débutée en décembre 2024 et aujourd’hui terminée. Mais elle pourra être complétée lors de prochaines étapes. Il faudra être présents à chacune de ces étapes pour réaffirmer que l’exclusion de l’hydroélectricité du champ d’application de la directive « concessions » est la solution idéale.
Cette proposition de résolution européenne invite le gouvernement français à faire preuve d’ambition et de détermination sur ce sujet. Cette solution vient en parallèle des solutions nationales en cours d’étude dans le cadre de la mission d’information de la commission des affaires économiques. Ces deux chemins n’ont pas vocation à se concurrencer. Le deuxième chemin analyse les solutions possibles en France : la quasi-régie, le passage de la concession à l’autorisation, adossé ou non à différentes mesures compensatoires.
La mission d’information en cours s’effectue en lien avec les représentants des différents groupes politiques de l’Assemblée nationale. Nous vous donnerons rendez-vous dans quelques semaines pour vous présenter ses conclusions qui viendront en complément du débat que nous avons aujourd’hui ensemble.
Mme Isabelle Rauch (HOR). Je tiens à exprimer notre plein soutien à cette proposition de résolution européenne qui vise à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence systématique. En effet, cette résolution touche à un sujet central : notre souveraineté énergétique. Les concessions hydroélectriques représentent bien plus qu’un outil de production d’électricité ; elles incarnent une maîtrise publique d’un levier stratégique au service de la transition énergétique, de la régulation des crues, de l’irrigation agricole et même du refroidissement de certaines installations nucléaires.
Depuis l’entrée en vigueur de la directive 2014/23/UE, la pression pour ouvrir ces concessions à la concurrence s’est accentuée, au nom du bon fonctionnement du marché intérieur. Cependant, cette logique, si elle n’est pas encadrée, risque d’aller à l’encontre de nos intérêts stratégiques et environnementaux. La réalité est simple, et vous l’avez bien rappelée : depuis l’obligation de mise en concurrence, les projets de modernisation des barrages sont gelés et les investissements nécessaires pour améliorer la production et la sûreté ne sont pas réalisés par crainte qu’une entreprise publique comme EDF, opérateur historique et stratégique, soit évincée au prochain appel d’offres. Est-ce cela, l’efficacité économique que nous cherchons ? Certainement pas.
D’autres États membres ont su trouver des voies juridiques alternatives et nous devons étudier les différentes approches qui permettraient à la France de gérer les concessions hydroélectriques de manière souveraine tout en restant dans le cadre fixé par les traités européens. À défaut d’une solution trouvée au niveau national, il peut être intéressant d’exclure les concessions hydroélectriques en amont, au niveau européen, d’une future directive sur l’attribution de contrats de concessions. Notre groupe votera en faveur de cette proposition de résolution européenne.
Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. C’est effectivement très important et c’est aussi un message envoyé à la Commission européenne pour signifier la volonté et l’adhésion de la totalité, j’espère, des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Cette situation de flou juridique empêche tous travaux d’investissements. Aujourd’hui, nous avons des opérateurs qui font les travaux d’investissements, de maintenance et de sécurité car ils ont une obligation, en fin de concession, de rendre l’ouvrage dans l’état dans lequel ils l’avaient trouvé. Il faudrait faire une déclaration de fin de concession si nous parvenions à cette issue.
Mme Manon Bouquin (RN). Je tiens à saluer la présentation de cette résolution qui va enfin dans le bon sens. Depuis des années, nous alertons sur la menace que représente l’application de la directive 2014/23 de l’Union européenne pour nos barrages hydroélectriques. Nous dénonçons cette logique européenne qui impose la mise en concurrence de concessions stratégiques, au mépris des nécessités et de l’expérience françaises qui ont fait la souveraineté énergétique nationale et qui conditionnent largement la stabilité des systèmes électriques de nos partenaires. L’hydroélectricité est un atout national majeur, une énergie décarbonée, pilotable, qui participe à l’équilibre du réseau électrique, à la gestion de l’eau et à la sécurité des territoires.
Aujourd’hui, le cadre européen impose à nos exploitants historiques, dont EDF, une incertitude juridique et économique inacceptable. Cette situation bloque les investissements, freine les modernisations et fragilise la capacité nationale à répondre au défi énergétique et climatique. C’est un retour progressif à la situation de l’après-guerre, qui avait précisément conduit à la création d’EDF et d’un véritable service public de l’électricité. Ces barrages appartiennent au peuple français. Ils ont été financés par celui-ci et sont gérés au service de l’intérêt général. Cet héritage doit être préservé sous contrôle national.
Je me réjouis donc que cette proposition fasse enfin l’objet d’un consensus plus large. Le Rassemblement national continuera à défendre cette ligne sans ambiguïté et nous soutiendrons cette résolution. Dans ce même état d’esprit, notre collègue Nicolas Meizonnet avait défendu une proposition de loi visant à faire passer tous les ouvrages hydroélectriques sous un régime d’autorisation. Il n’est pas acceptable de se résoudre à abandonner ces atouts au nom d’un droit européen inadapté aux spécificités nationales. Il est temps que la France reprenne la main sur ses choix énergétiques et qu’elle protège ses infrastructures vitales des logiques de marché imposées par Bruxelles.
M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Notre proposition n’est pas un défi vis-à-vis de l’Europe, ni de ses règles, ni de la nécessité de la renforcer. Il s’agit de la nécessité de réinterroger des règles anciennes, construites à une époque où les objectifs de décarbonation n’étaient pas ceux que nous connaissons aujourd’hui, où les enjeux climatiques liés à l’eau et les conséquences qui en découlent n’étaient pas perçus de la même manière. La géopolitique n’était pas celle à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Les investissements dans la production d’énergie ou dans les industries vertes ne répondaient pas aux mêmes impératifs que ceux d’aujourd’hui. Parce que le monde évolue, les règles doivent également évoluer, sans pour autant défier véritablement les règles européennes ni l’ambition de s’inscrire dans une vision européenne favorable à l’ensemble des intérêts de l’Union, de chacun de ses pays membres et de la souveraineté énergétique propre à ces mêmes pays
Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens à exprimer le soutien du groupe Ensemble pour la République à cette proposition de résolution européenne visant à préserver les concessions hydroélectriques d’une mise en concurrence. Cette proposition s’inscrit dans un contexte délicat, ancien et complexe. Depuis plus de quinze ans, la France fait face à un contentieux avec la Commission européenne concernant la gestion de ces concessions hydroélectriques, dont plus de 90 % de la puissance installée, est exploitée par EDF, la Société hydroélectrique du Midi et la Compagnie nationale du Rhône. En 2025, 61 concessions seront échues, et continueront d’être exploitées sous le régime provisoire dit des « délégations de licences », qui ne présente pas que des avantages. Ce régime freine les investissements, fragilise la sécurité des approvisionnements énergétiques et ralentit le développement de l’hydroélectricité, pourtant indispensable à la transition énergétique.
Plusieurs voies de sortie de l’impasse ont été esquissées. La première est la mise en concurrence, conforme au texte européen, qui pourrait répondre aux attentes formelles du droit mais exposerait à une fragmentation extrêmement préjudiciable du parc hydraulique national, largement rejetée dans le pays. La deuxième voie envisagée est le modèle de la quasi-régie. Bien que prévu par la directive, confiant les concessions à une entité publique contrôlée par l’État, ce modèle nécessiterait une profonde réorganisation industrielle, et s’avère donc très complexe. La troisième hypothèse est celle d’un passage à un régime d’autorisation, ce qui entraînerait un basculement vers un régime juridique extrêmement incertain.
Dans ce contexte, une proposition de résolution européenne est défendue, avec une position claire : demander que les concessions hydroélectriques françaises soient exclues du champ d’application de la directive à l’occasion de sa prochaine révision, afin de reconnaître la spécificité du parc hydroélectrique national et l’importance de cette énergie pilotable, décarbonée, précieuse pour assurer l’équilibre du réseau électrique, mais aussi pour garantir une gestion durable d’une ressource en eau devenue plus vulnérable, incluant la prévention des crues, l’irrigation agricole, le refroidissement des centrales nucléaires. En plein accord avec notre vision européenne, avec les intérêts portés et la position défendue par le gouvernement français, le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement cette proposition de résolution européenne.
Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Nous avons rappelé la spécificité de l’hydroélectricité, son rôle extrêmement important dans l’équilibre du système électrique ainsi que dans la gestion du multi-usage et de la ressource en eau. Ces services sont rendus par les ouvrages hydroélectriques et sont « gratuits » pour les collectivités publiques. Il est souhaité qu’ils puissent le rester : c’est le sens de la démarche engagée.
Il s’agit de saisir l’opportunité que la Commission européenne a ouverte en lançant cette consultation publique. Aucune assurance ne peut être donnée quant à la révision effective de la directive, la procédure n’en étant qu’au stade de la consultation sur l’opportunité. Nous espérons que la directive parvienne rapidement au stade de la révision, mais il n’est pas possible de se permettre de perdre davantage de temps. L’examen des différentes solutions évoquées est donc conduit en parallèle. Une analyse de robustesse juridique est menée dans le cadre d’échanges entre les opérateurs, les parlementaires, les syndicats, les associations, la Commission européenne et le Gouvernement. La restitution de cette réflexion et de cette analyse juridique sera prochainement présentée en commission des affaires économiques.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Nos barrages hydroélectriques ne sont pas à vendre. L’hydroélectricité est la première énergie renouvelable de la France (14 % de l’électricité française). C’est également une énergie décarbonée, pilotable rapidement, indispensable à l’équilibre du réseau électrique et dont le développement par des investissements est essentiel. Il s’agit aussi d’une électricité très compétitive du point de vue du coût. Toutefois, les barrages remplissent un rôle plus large encore, avec la gestion des multiples usages de l’eau : gestion des étiages, écrêtement des crues, alimentation en eau potable, irrigation agricole, navigation, refroidissement des centrales nucléaires, etc.
C’est bien l’intérêt général dont il est question. En France, ces barrages appartiennent à l’État, qui en conserve la propriété publique et peut donc les mettre au profit du bien public, n’en concédant que l’exploitation, essentiellement à EDF, à la Compagnie nationale du Rhône et à la SHEM. Cela est insupportable pour la Commission européenne et les ayatollahs de la concurrence. Cette Commission exige la mise en concurrence de l’exploitation des barrages pour satisfaire l’appétit d’acteurs privés, français et étrangers. Pour l’Union européenne, peu importe la sécurité d’ouvrages aussi critiques et la gestion du cycle de l’eau face au changement climatique. Seule la rentabilité financière devrait compter. Cela doit cesser. Ces barrages ne sont pas à vendre. La directive européenne de 2014 doit être abrogée ou, à tout le moins, les barrages français doivent en être exemptés. Il existe un très large consensus dans la société, chez les syndicats, les partis, les élus locaux, pour préserver les barrages hydroélectriques français de la mise en concurrence.
Politiquement, il est réjouissant que tous les groupes politiques se rallient au refus de cette directive, refus défendu depuis l’adoption de cette directive en 2014, alors que Jean-Luc Mélenchon était député européen. Tant mieux si les libéraux prennent peur devant les conséquences du dogme de la concurrence ! Tant mieux si le Rassemblement national, qui avait proposé en octobre une proposition de loi pour privatiser la propriété des barrages, se rallie désormais à cette proposition ! Tant mieux si, chez les collègues socialistes, les opposants à cette mise en concurrence ont fini par l’emporter sur la position du gouvernement de François Hollande à l’époque ! Cela permettra un vote unanime.
Il faut sortir l’électricité du marché et protéger les barrages de la privatisation. Ils doivent demeurer une propriété publique. Le gouvernement français doit faire de cette bataille la priorité numéro un de la France en matière d’énergie dans les négociations européennes. Les barrages ne sont pas une monnaie d’échange pour d’autres sujets. Le groupe de La France insoumise votera cette résolution avec conviction.
M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Oui, nos barrages ne sont pas à vendre, et merci de vous joindre à cet élan commun qui milite en ce sens ! Je partage l’idée que c’est la première énergie renouvelable, une énergie décarbonée, pilotable et indispensable à l’équilibre du réseau. Elle permet aussi de satisfaire un certain nombre d’usages, tels que la navigation, l’irrigation, l’acheminement en eau potable, et la protection de la biodiversité avec le soutien d’étiage notamment. Au motif des principes d’accès au marché, les obligations de transparence et d’ouverture à la concurrence pourraient être envisagées de manière différente.
En effet, la gestion de l’eau dépend d’une organisation via un régime hydrographique, d’un climat qui apporte ou non de la pluviométrie, de la situation géographique et topographique et de la présence ou l’absence de montagne. L’homme a aménagé un certain nombre de cours d’eau et mis en place des infrastructures de production hydroélectrique. Ces sujets doivent être compris sous les prismes de la géographie et de l’histoire. L’enjeu est de pouvoir relancer les investissements indispensables à la préservation du climat et à la production d’une énergie abordable pour nos entreprises et pour l’ensemble des Français.
Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Je ne peux pas vous laisser, Monsieur Tavel, dire que vous étiez les seuls à vous battre contre cette mise en concurrence. J’ai moi-même par le passé rédiger des rapports et mené des combats sur ce sujet un peu toute seule d’ailleurs. Je n’ai jamais abandonné, et je suis satisfaite que ce combat afin de ne pas mettre en concurrence nos centrales hydroélectriques rassemble au fil du temps de plus en plus de monde. Il faut se réjouir de cette union collective, assez rare de nos jours, et continuer ensemble ce combat pour définitivement sortir de ce contentieux.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je partage ce qui vient d’être dit. Je connais l’engagement de Marie-Noëlle Battistel et celui d’autres collègues sur ces questions. Notre groupe ne peut qu’être à vos côtés et soutenir cette initiative. Vous l’avez rappelé, l’Europe est leader en termes de capacité hydroélectrique. La portée de cette proposition de résolution est d’autant plus significative qu’elle touche à la souveraineté énergétique et à la décarbonation de notre pays.
L’hydroélectricité est renouvelable et peu coûteuse, et représente aujourd’hui 11 % de l’électricité produite en France. Elle est à ce titre la première source d’énergie renouvelable de notre pays et donc un pilier fondamental de notre modèle énergétique. Premier producteur de l’UE, l’hexagone compte près de 340 concessions hydroélectriques, qui représentent plus de 90 % du total de la production hydroélectrique installée sur notre territoire. Ces concessions participent à la gestion durable des ressources en eau, tout en équilibrant notre système électrique, notamment grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage. Enfin, la filière constitue un vecteur de développement pour de nombreux territoires.
Dans ce contexte, le groupe Socialistes et apparentés ne peut que s’inquiéter de la mise en concurrence de ces concessions imposée par la directive européenne. Fragmenter un secteur stratégique comme l’hydroélectricité et introduire des logiques de marché pourrait affecter l’équilibre entre les différents usages de l’eau, et serait particulièrement grave pour l’environnement et les usagers. Il y a aussi une erreur de raisonnement : croire qu’une logique financière avec des prix par prestation est gagnante à tous les coûts, alors qu’une logique économique de secteur avec des coûts environnementaux et sociaux s’avère plus rentable pour tous. La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui rappelle à juste titre l’importance de préserver ce modèle de gestion publique de ces concessions hydroélectriques, pour protéger nos intérêts énergétiques, économiques et environnementaux.
Nous avions également deux questions. Alors que 61 % des concessions sont échues au 31 décembre, comment l’État français entend-il débloquer la situation ? Quelles initiatives va-t-il lancer pour convaincre la Commission européenne d’exclure les concessions ? Que pensez-vous de la stratégie pour développer des alliances entre États ayant les mêmes préoccupations au niveau européen ?
Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Effectivement, la résolution de ce problème favorisera très rapidement des investissements, tous les opérateurs nous l’ont certifié. Ils ont des projets prévus, qu’ils ne demandent qu’à pouvoir entreprendre, notamment les STEP, au vu de leurs atouts en matière de stockage et de flexibilité. Vous avez raison de dire que la concurrence n’entraîne pas forcément toujours des prix plus bas, surtout pour ce type d’équipement extrêmement contraint par la géographie et par les usages. C’est tout particulièrement le cas pour la ressource en eau, un bien commun qui n’est pas toujours très linéaire dans sa production et sans source de production extraordinaire qui permettrait à la concurrence de faire baisser significativement les prix.
Le gouvernement nous a assuré qu’il accorderait une attention toute particulière aux conclusions de la mission d’information et qu’il soutiendrait nos propositions en vue de porter auprès de la Commission européenne les différentes possibilités dans le cadre des négociations.
S’agissant des stratégies d’alliance, il faut savoir qu’à ce stade les autres pays ont résolu de manière temporaire leurs différends avec la Commission européenne. Certains ont commencé à mettre en concurrence un certain nombre d’ouvrages pour lever le contentieux, mais cela ne signifie pas qu’ils seraient défavorables à s’allier à nous. Donc si nous arrivons à sortir de ce contentieux, ces pays seront évidemment très attentifs à ne pas avoir à mettre en concurrence le reste de leurs installations. Il faudra donc mener un travail minutieux de contact avec les parlementaires de chacun de ces pays pour avoir le plus d’alliés possible dans la discussion européenne.
M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Nous souscrivons a tout ce que vous avez dit, du fait de l’immense importance des barrages hydroélectriques, qui sont au carrefour des usages et des conflits d’usages.
Les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) font entrevoir une baisse de débit de 30 % pour le Rhône d’ici à la fin du siècle. Cela fait peser de fortes inquiétudes, notamment pour les usages de l’agriculture, l’hydroélectricité, la pêche, le refroidissement des centrales nucléaires, mais également pour la population de la vallée du Rhône qui capte son eau potable dans les nappes d’accompagnement. Il est donc nécessaire de maîtriser la hiérarchisation dans les usages, et par conséquent les captages.
L’exemple de la Slovénie est un modèle à prendre comme référence. Au sommet de leur hiérarchie des normes, les Slovènes ont constitutionnalisé le droit à l’eau. Désormais, ils développent des politiques publiques pour vivre avec l’eau et pas contre l’eau. Cela les conduit à déplacer ou à refuser des sites d’activité en proximité des espaces dédiés à l’eau. Les inondations de 2023 les ont conduits à déplacer des quartiers plutôt que construire des digues. Les Slovènes ont employé un beau terme qui nous est commun à nous Les Insoumis et qui est de vouloir vivre en « harmonie » avec cet élément du vivant.
M. Philippe Bolo, rapporteur. Il y a des sans doute des usages de l’eau qui sont inconnus aujourd’hui, et qui trouveront peut-être leur existence dans les réservoirs hydroélectriques. Ces usages à venir représentent des enjeux qui, de notre point de vue, seront bien mieux servis par la puissance publique que par la puissance privée.
Aucun amendement n’ayant été déposé, la commission adopte l’article unique de la proposition de résolution européenne.
La proposition de résolution est par conséquent adoptée.
Mme Marie-Noëlle Battistel, rapporteure. Ce travail va pouvoir nous permettre de continuer nos négociations et de sortir de ce contentieux pour permettre un avenir serein à cette filière d’excellence qu’est l’hydroélectricité, tout en ayant à l’esprit évidemment la préservation de notre ressource en eau.
M. Philippe Bolo, rapporteur. Le travail n’est certainement pas terminé, ce n’est qu’une étape qui est franchie aujourd’hui pour aboutir à la révision de cette directive européenne.
Sur proposition de M. le président Pieyre-Alexandre Anglade, la commission a nommé :
– M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur sur la proposition de résolution européenne visant à augmenter les droits de douane sur les véhicules électriques importés de la marque Tesla (n° 1259) ;
– M. Pierre Cazeneuve, rapporteur sur la proposition de résolution européenne appelant à la préservation des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’État de droit en Turquie (n° 1258).
La séance est levée à 16 heures.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Gabriel Amard, M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, Mme Manon Bouquin, Mme Marietta Karamanli, Mme Constance Le Grip, M. Pierre Pribetich, Mme Isabelle Rauch, M. Thierry Sother, M. Matthias Tavel
Excusés. - Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Estelle Youssouffa
Assistaient également à la réunion. – Mme Sylvie Ferrer, députée, Mme Angeline Furet, M. Arash Saeidi, députés européens