Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Audition de M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche 2
– Dépouillement du scrutin sur la proposition du président de la République de nommer Mme Coralie Chevallier à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) et proclamation de son résultat 19
– Présences en réunion..............................20
Mercredi
19 février 2025
Séance de 16 heures 45
Compte rendu n° 28
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à seize heures cinquante.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je souhaite la bienvenue à M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le ministre, une semaine après avoir entendu Mme Élisabeth Borne, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur le sujet de l’enseignement scolaire, nous sommes heureux de vous recevoir. L’enseignement supérieur et la recherche concentrent des enjeux essentiels pour l’avenir de notre pays.
J’évoquerai d’abord la question des moyens, puisque le budget pour 2025 risque d’affecter lourdement le fonctionnement de l’ensemble de notre système d’enseignement supérieur et de recherche. Alors que le nouveau président de France Universités soulignait la semaine dernière les difficultés des universités, dont la majorité sont déficitaires, comment envisagez-vous de conforter leur financement pour assurer un fonctionnement normal ?
Le niveau des moyens budgétaires consacrés à la recherche est tout aussi préoccupant. Contrairement à plusieurs voisins européens, la France reste loin de l’objectif de Lisbonne, qui a fixé l’effort à 3 % du PIB. La situation ne s’arrangera pas à court terme puisque les paliers budgétaires fixés par la loi de programmation de la recherche (LPR) 2021-2030 ne seront pas respectés cette année. À cet égard, ne serait-il pas temps de s’interroger sur le bien-fondé du très coûteux crédit d’impôt recherche (CIR), du moins dans sa version actuelle ? Représentant un coût fiscal de 7 milliards d’euros par an, il bénéficie essentiellement aux grandes entreprises sans produire d’effets notables sur la part de l’investissement privé de recherche dans le PIB.
Enfin, un thème trop peu abordé, mais essentiel dans la vie de nombreux étudiants est celui de l’aménagement des études et de leur adaptation aux autres activités. Je pense notamment, mais pas exclusivement, aux sportifs de haut niveau qui ne disposent d’aucun statut alors même qu’ils contribuent au rayonnement de notre pays, comme l’ont mis en évidence les Jeux olympiques et paralympiques l’été dernier. Comment les situations de ce type pourraient-elles être améliorées ?
Monsieur le ministre, voilà des sujets d’interrogation très divers, mais nos préoccupations sont immenses.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je suis très heureux de répondre aux questions de la représentation nationale à l’issue de débats budgétaires qui ont pris du temps et demandé beaucoup d’énergie à l’Assemblée comme aux ministères. Dès ma nomination, j’ai eu à cœur de défendre le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESR), comme d’ailleurs la ministre d’État Élisabeth Borne, dont l’engagement a été déterminant. Je tiens à vous remercier aussi pour votre investissement : nous pouvons être fiers du budget obtenu dans un contexte difficile.
Ces moyens ne seront pas de trop. Notre société connaît en effet bien des divisions. La vérité y est mise à mal par la désinformation, que les réseaux sociaux et parfois l’intelligence artificielle (IA) amplifient. Dans ce maelström, la recherche doit être le gage de l’exactitude et l’enseignement supérieur préparer notre jeunesse à se saisir du monde dans toute sa complexité. Cette jeunesse, je le sais, fait face à des difficultés tant matérielles que psychologiques. L’université fait par ailleurs figure de loupe grossissante des tensions qui nous agitent collectivement, et le fait qu’au débat légitime se mêlent parfois le rejet, voire la discrimination et la violence, est une préoccupation. Si ces éléments plutôt négatifs rendent l’enseignement et la recherche essentiels aujourd’hui, ces derniers sont tout aussi précieux comme sources de joie, de découverte et de transmission.
Ma feuille de route repose sur une conviction, celle que l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) sont les clés de notre avenir. La recherche garantit notre souveraineté, c’est-à-dire notre capacité à nous projeter dans l’avenir, en Français et en Européens, malgré les incertitudes en matière de technologies de pointe, d’industrie, de démocratie et de valeurs. Elle nous permettra de ne pas dépendre d’autrui pour nos intérêts stratégiques. Quant à l’enseignement supérieur, il forme la jeunesse qui assumera bientôt la responsabilité de notre pays. Souveraineté et jeunesse : voici les deux axes de ma feuille de route, qui ont vocation à se concrétiser par un ancrage absolu dans les territoires.
Nous devons d’abord nous donner les moyens de préparer notre recherche, par l’anticipation. Notre recherche est structurée en agences de programmes, chargées d’identifier des priorités stratégiques et de piloter les recherches essentielles pour la France et pour l’Europe. C’est primordial dans des domaines comme le spatial, l’IA, la santé ou les composants électroniques, où l’incertitude et la concurrence règnent. Les sciences humaines et sociales ont elles aussi un rôle majeur à jouer pour nous aider à voir clair dans les brumes de notre temps. Il faut faire des choix pour éviter le saupoudrage des moyens et agir de manière efficace, pour et par la recherche.
Je mets au cœur de mon action la défense des valeurs qui fondent l’enseignement et la recherche. D’abord, les libertés académiques, qui ne souffriront aucun compromis. Ensuite, le refus absolu de toute forme de discrimination et de violence. Les violences sexistes et sexuelles, le racisme et, très particulièrement, l’antisémitisme feront l’objet d’un combat résolu. À cet égard, nous travaillerons prochainement ensemble sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, déposée au Sénat. Enfin, nos efforts en faveur de l’égalité hommes-femmes seront renouvelés, notamment pour accentuer l’attractivité de la science pour les femmes – chantier sur lequel nous travaillons main dans la main avec les équipes de la ministre d’État Élisabeth Borne.
Pour remplir ses missions, l’ESR doit avoir des moyens, qui soient utilisés au mieux au service des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des étudiants et des personnels non-enseignants. La LPR a permis de grandes transformations. Elle comportait une clause de revoyure : je m’en saisirai, avec toutes les parties prenantes, y compris les parlementaires, pour dresser le bilan de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire.
Afin de faciliter le travail de tous, des laboratoires aux amphis universitaires, je souhaite mener un chantier de simplification. C’est une demande forte, car l’ESR n’est pas plus épargné que le reste de la société par la bureaucratisation du quotidien. Par exemple, nous devons repenser en profondeur le modèle des appels à projets, mode de financement majoritaire de la recherche aujourd’hui. Il ne s’agit bien sûr pas de les supprimer – l’Agence nationale de la recherche par exemple fonctionne très bien ainsi, de même que les projets européens – mais tous les moyens ne doivent pas nécessairement être obtenus par ce mécanisme qui agace profondément la communauté scientifique.
Chercher des moyens consiste aussi à réfléchir à une meilleure articulation des recherches publique et privée – mon ministère les représente toutes les deux. La France est en retard sur ses objectifs en recherche et développement, largement à cause du manque d’investissements de la part des entreprises. J’entends accompagner la hausse de cet investissement privé au service d’une innovation bénéficiant à toutes et tous. Cela passe par l’examen de l’efficacité de tous les dispositifs existants, dont certains n’atteignent manifestement pas leurs cibles, et le CIR fera naturellement partie du travail.
Enfin, la question de la vie étudiante nous intéresse tous très directement. Il me semble possible d’apporter des solutions concrètes aux difficultés et aux besoins des jeunes. Beaucoup a déjà été fait, notamment avec la loi dite Levi visant à favoriser l’accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. Nous voulons continuer avec la réforme très attendue du système de bourses, grand chantier de justice sociale qui soulève des enjeux d’organisation et bien sûr budgétaires, sur lequel nous avancerons avec les organisations étudiantes. Nous sommes aussi en ordre de bataille pour tenir l’engagement du Premier ministre de créer 15 000 logements étudiants par an, en lien avec le ministère du logement. Enfin, nous serons particulièrement attentifs aux étudiants d’outre-mer, ou venus d’outre-mer pour étudier dans l’Hexagone. Nos équipes sont d’ailleurs très engagées à Mayotte pour apporter des solutions d’urgence aux étudiants.
Plus généralement, l’attention aux territoires sera au cœur de mon action. Nous devons y travailler ensemble car le lien avec tous les élus, à commencer par les élus locaux, est une condition nécessaire pour mener une politique d’enseignement supérieur efficace. Les besoins des territoires doivent être une boussole pour la définition des cartes de formation, afin de donner aux jeunes de réelles perspectives d’emploi. Tous les jeunes de France, où qu'ils se trouvent, doivent avoir accès à une formation de qualité, à proximité de leur lieu de résidence. La continuité entre bac ‑ 3 et bac + 3 sur les territoires sera donc une de mes priorités, dans une coopération indispensable avec le ministère de l’éducation nationale.
Toujours avec l’éducation nationale, nous sommes en dialogue constant pour améliorer et clarifier notre système d’orientation. Cela passe par une régulation du privé post-bac – je m’y engage. En outre, la plateforme informatique Parcoursup, qui a apporté beaucoup de solutions, suscite encore questions et angoisses. Nous ferons tout pour y répondre, en intégrant les enjeux d’orientation à une approche territorialisée qui favorise les chances d’études du plus grand nombre. Enfin, nous devons regarder en face le fait que l’enseignement supérieur est très souvent une voie d’échec pour les jeunes issus du baccalauréat professionnel. Je souhaite qu’ils soient au cœur de notre projet. À ce titre, la propédeutique voulue par le Premier ministre peut être une réponse.
Voilà à grands traits le projet que je porte pour le ministère chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. José Gonzalez (RN). La transparence dans la gestion des financements universitaires, en particulier celle de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), suscite de nombreuses interrogations. Des exemples récents ont montré que ces fonds destinés à améliorer les conditions de vie des étudiants servaient en réalité à financer des évènements à forte connotation politique, voire ouvertement militants. Certains prennent pour cible le gouvernement ou promeuvent des causes qui ne font pas consensus parmi les étudiants. Par ailleurs, universitaires et présidents d’université usent de plus en plus souvent de leur statut institutionnel pour diffuser des prises de position partisanes qui ne reflètent pas nécessairement celles des étudiants et des personnels.
Cette politisation croissante de l’université pose deux questions : celle du respect de la neutralité des institutions d’enseignement supérieur, et celle de la rigueur dans l’utilisation des fonds publics. L’université doit rester un lieu de savoir et de débat libres, pas un instrument de militantisme financé par des contributions obligatoires d’étudiants dont les sensibilités politiques sont très variées.
Quelle est votre position face à ces dérives et cette instrumentalisation idéologique croissante du monde universitaire ? Quelles mesures envisagez-vous pour garantir une gestion transparente et neutre des fonds publics et de ceux versés par les étudiants ? Enfin, comment comptez-vous rappeler aux présidents d’université leur devoir de réserve et de neutralité institutionnelle ?
M. Christophe Marion (EPR). Le 31 janvier dernier, vous avez introduit vos vœux aux acteurs de l’ESR par votre « priorité absolue » : l’inscription de l’enseignement supérieur dans les territoires. Selon vous, les formations publiques doivent « accentuer leur virage en direction de l’emploi » par « une articulation plus étroite avec les territoires » et les contrats d’objectifs, de moyens et de performance « refléter une meilleure répartition territoriale des capacités d’accueil post-bac ». Vous avez évoqué la formation aux métiers du soin et de la santé, dont les premières années pourraient être assurées par des antennes locales.
Étant élu d’un département où l’offre de formation supérieure est incomplète et la désertification médicale avancée, je ne peux qu’être en faveur d’un enseignement supérieur de proximité, pour en démocratiser l’accès et dynamiser les lieux d’implantation. Néanmoins, j’ai du mal à imaginer ce mouvement au vu de nos finances publiques et de nos effectifs. Pourriez-vous donner des détails concrets ? Comment garantir l’utilité et la qualité de ces formations déconcentrées ?
Le système de répartition des moyens à la performance et à l’activité (Sympa), créé en 2009, avait pour but de répartir emplois et crédits de fonctionnement entre les établissements d’enseignement supérieur selon des critères d’activité et de performance, de manière objective et incitative. Si le ministère s’est affranchi de ce système complexe et instable, ce dernier n’en a pas moins, selon la Cour des comptes, entériné des inégalités entre des universités sous-dotées – celle de Tours par exemple – et d’autres mieux dotées, pour ne pas dire sur-financées. Comment entendez-vous remédier à cette injustice qui conduit des universités à fonctionner avec parfois plusieurs millions d’euros par an non attribués de subvention pour charges de service public ?
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). La semaine dernière, face à l’urgence budgétaire, toute la communauté universitaire chantait « Plus de sous, on bloque tout » sous vos fenêtres. Vous prétendez avoir investi 200 millions d’euros pour renflouer les universités. Or la loi de finances de 2024 prévoyait 31,83 milliards pour la recherche et l’enseignement supérieur, et le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, 30,90 milliards : cela représente une baisse de 930 millions – 1,5 milliard avec l’inflation. Vous rayez d’un trait de plume l’équivalent de sept universités moyennes comme Rennes 2, ou de 147 000 bourses à l’échelon maximal, ou de 11 200 postes de maître de conférences.
Disons-le franchement, un plan social de masse se prépare dans les universités et les laboratoires. Les directions s’affolent, les étudiants s’organisent et, rejoints par les personnels, se réunissent en assemblées générales (AG) à Rennes, Strasbourg, Brest, Tours, Paris, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Caen. Pourtant, l’ESR était déjà à sec : en 2024, 60 universités sur 75 étaient en déficit. Ces déficits sont abyssaux : 25 millions d’euros à Lille, 17 millions à Montpellier, 13,5 millions à Rouen. Même avant votre saignée, la suppression de plus de 30 000 places en licence et en master pour la rentrée prochaine était déjà actée. Vous demandez aux universités de trouver des fonds propres, mais elles ont déjà tout raclé ! En deux ans, les fonds de roulement ont été ponctionnés à hauteur de 1,3 milliard. À ce rythme, dans deux ans, les universités ne seront plus en déficit mais en cessation de paiement. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), quant à lui, a menacé de retirer leurs financements aux trois quarts de ses laboratoires pour ne préserver que quelques laboratoires élitistes, les key labs.
En réalité, votre objectif n’est pas l’efficacité budgétaire mais la destruction programmée de l’université et de la recherche publiques pour imposer un système élitiste, payant et soumis aux intérêts privés. Votre austérité conduit inéluctablement au décrochage scientifique et technique de la France. Or la recherche et l'élévation du niveau général d’éducation sont nos remparts face à l’obscurantisme et nos leviers face au bouleversement climatique. C’est cet avenir-là que vous liquidez.
M. Emmanuel Grégoire (SOC). Monsieur le ministre, pour le dire avec d’autres mots, le contexte budgétaire place de nombreux établissements publics d’enseignement supérieur dans une situation quasi insurmontable. Ceux-ci vont devoir économiser alors qu’ils devraient chercher à augmenter leurs capacités d’accueil.
Quelle est selon vous la place de l’enseignement supérieur dans la préparation de l’avenir ? Défendez-vous un droit d’accès universel à cet enseignement et, si oui, avec quelle garantie d’effectivité ?
Dans la bataille mondiale de la connaissance, comment entendez-vous articuler excellence et égalité territoriale, en particulier pour les établissements des territoires les plus en difficulté ?
Comment assurer le développement de l’enseignement supérieur public en ce contexte d’économies budgétaires alors que les besoins sont croissants, notamment pour des filières sous-dotées en capacités d’accueil ?
Par quelles mesures comptez-vous mieux réguler l’enseignement supérieur privé lucratif, qui est, à raison, très critiqué ?
Enfin, même si cela ne fait pas directement partie de votre portefeuille, comment pouvez-vous faciliter le logement des étudiants et des chercheurs, dans un contexte immobilier extrêmement tendu, souvent insurmontable, qui amène de nombreux jeunes à renoncer aux études ou à vivre dans une insoutenable précarité d’hébergement ?
Mme Virginie Duby-Muller (DR). Dans notre rapport pour avis sur le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour 2025, Frédérique Meunier et moi-même avions souligné l’aggravation de la précarité étudiante.
Bien qu’imparfait, le budget de l’ESR a bénéficié d’un effort important – près de 200 millions d’euros – par rapport à 2024. Cela ne compensera toutefois pas l’inflation et il faudra trouver des économies structurelles et de nouvelles pistes de financement. Partagez-vous cette analyse ? Comment préserver au mieux les universités et la qualité de l’enseignement dans ce contexte budgétaire contraint ?
D’autre part, les violences venant de militants d’extrême-gauche se multiplient dans les universités, comme le 11 février à l’université Jean-Jaurès de Toulouse, ou fin janvier à Rennes 2, sans compter les dérives dans les instituts d’études politiques, surtout Sciences Po Paris. Il est d’ailleurs cocasse de voir certains syndicats étudiants s’offusquer de la casse du service public et de la dégradation des conditions d’étude quand des étudiants de la même mouvance détruisent leurs locaux. Ces faits choquants menacent la liberté d’expression dans l’enseignement supérieur. L’ancien ministre Patrick Hetzel s’était courageusement emparé de ce sujet en lançant en novembre 2024 une mission pour renforcer la sécurité et la sérénité sur les campus. Pouvez-vous nous assurer que cette mission se poursuit ? Quel regard portez-vous sur ces événements, face auxquels l’État doit se montrer implacable ?
Enfin, l’intelligence artificielle, levier majeur d’innovation, suscite de nombreuses interrogations. Selon une étude de la société Odoxa, 61 % des Français la perçoivent comme une menace plutôt qu’une opportunité. La qualité et l’utilisation des données sont cruciales, dans la mesure où elles conditionnent la fiabilité et l’éthique des modèles d’IA. Leur impact sur la recherche est considérable – des manipulations de données par les chercheurs à la certification de l’intégrité des publications scientifiques à l’heure de l’intelligence artificielle générative. Que ferez-vous pour garantir la fiabilité des données scientifiques et accompagner les chercheurs vers la maîtrise de l’IA générative ?
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Monsieur le ministre, je suis surprise des axes que vous annoncez comme prioritaires – la souveraineté et la jeunesse – au regard des réalités du budget 2025. Du côté de la souveraineté, les dotations de la recherche connaissent des baisses considérables, notamment dans des domaines majeurs tels que la recherche verte et la transition écologique, où il faudrait pourtant être les leaders au niveau international.
Et comment ne pas rester pantois devant vos déclarations sur la jeunesse ? Le budget 2025 comprend certes 82 millions d’euros de plus pour la vie étudiante, mais aussi 120 millions de baisse pour les bourses, dont les barèmes ne sont pas indexés sur l’inflation. L’instauration récente du nouveau système avait déjà conduit des dizaines de milliers d’étudiants à en sortir, tandis que les montants des bourses diminuaient, dans un contexte d’inflation galopante.
Sachant que la part d’étudiants auxquels il reste moins de 50 euros de reste à vivre par mois est passée de 24 % en 2023 à 27 % aujourd’hui, que 20 % ont recours à l’aide alimentaire et qu’une bourse à l'échelon maximal ne dépasse pas 56 % du seuil de pauvreté, vos déclarations me semblent relever au moins du paradoxe, voire du cynisme.
M. Erwan Balanant (Dem). J’ai déjà rappelé la semaine dernière que les parcours scolaires et l’orientation des élèves étaient encore trop souvent déterminés par leur origine sociale, plutôt que par leurs choix et leurs compétences. C’est une situation urgente à dénouer. En effet, 70 % des enfants d’ouvriers obtiennent un bac pro, et 75 % des enfants de cadres un bac général. Les étudiants ne choisissent pas toujours les études qui leur correspondent le mieux, ce qui aboutit à des taux d’échecs élevés.
Selon le classement 2023 du magazine L’Étudiant, le taux de réussite en licence est ainsi de 46,7 %, contre 80 % en BTS (brevet de technicien supérieur), et 90 % en IUT (institut universitaire de technologie). Le défaut de choix d’orientation, mais aussi le changement de cadre et de méthodes pédagogiques et d’apprentissage en sont les facteurs. Mais tout est lié : certains étudiants ont besoin de souplesse et s’adaptent bien à l’environnement universitaire, d’autres ont besoin de cadres et préféreront par exemple les BTS. La première année post-bac devrait donc permettre aux étudiants d’affiner leur choix de formation, et nous devrions encourager les passages d’une formation à une autre.
De quelle manière pourrions-nous promouvoir l’ensemble des formations post-bac, à l’issue d’un bac général comme d’un bac pro, et faciliter les changements à l’issue de la première année ?
Par ailleurs, comment comptez-vous encadrer l’enseignement supérieur privé à but lucratif qui profite de la candeur des étudiants pour proposer des formations non diplômantes à des tarifs excessifs ? Notre collègue Estelle Folest avait déjà relevé ce problème pendant la mandature précédente, comme l’a fait Emmanuel Grégoire aujourd’hui.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Monsieur le ministre, je regrette parfois la brutalité des propos tenus au sein de notre commission : s’ils font son charme, ils empêchent de voir la réalité dans toute sa complexité. Chercheur renommé, vous présidiez le Centre national d’études spatiales et je tiens à vous remercier d’avoir accepté, dans ce moment d’instabilité politique, de quitter cet établissement public de premier plan pour prendre ces fonctions de ministre.
Je rappelle à mes collègues de La France insoumise qui évoquent une « saignée » que le budget de l’ESR, qui était en 2017, à la fin du mandat de la gauche, de 22,5 milliards d’euros, atteint 26,8 milliards aujourd’hui. Est-ce suffisant, notamment pour lutter contre la précarité étudiante et garantir la souveraineté de la France en matière de recherche ? Sans doute pas. Mais une hausse de 4,3 milliards en sept ans représente un effort considérable et parler de saignée est un effet de manche plutôt contre-productif.
Monsieur le ministre, votre expérience de chercheur vous dit-elle quelque chose de la manière dont l’intelligence artificielle va percuter le monde de l’ESR ? Il s’agit d’un défi vertigineux pour la recherche, pour le travail de nos enseignants et pour celui de nos étudiants.
Par ailleurs, nos présidents d’université disposent-ils de l’ensemble des outils juridiques pour faire respecter les principes et les valeurs de la République, notamment la pluralité ?
Enfin, nous nous inquiétons du budget de la recherche et de sa capacité à garantir notre souveraineté, au moment où le président américain développe une stratégie ambitieuse, avec en bras armé ces géants du numérique que sont les Gafam.
M. Joël Bruneau (LIOT). Monsieur le ministre, chacun pourra qualifier l’environnement budgétaire selon ses positions politiques ; reste que, si le budget pour 2025 a été difficile à établir, celui pour 2026 risque de l’être encore davantage. Or votre ministère, sans disposer de l’administration ou du budget les plus importants, est crucial pour notre avenir collectif. Quelles pistes financières comptez-vous explorer, à partir de votre expérience de praticien de la recherche qui sera sans doute très utile pour dégager des marges de manœuvre et nous rapprocher de nos objectifs ?
À ce propos, je souligne l’importance de la participation des collectivités locales aux projets des universités : à Caen, ceux-ci n’aboutiraient pas sans l’investissement de la région et de la communauté urbaine.
Ma seconde question porte sur la dévolution du patrimoine immobilier des universités françaises. Il y a eu deux phases : la première s’est faite avec une soulte accordée par l’État aux universités volontaires, la deuxième sans cette soulte, ce qui pose la question de l’égalité des universités en matière d’accompagnement budgétaire – sans compter, si mes informations sont justes, l’impossibilité de récupérer la TVA.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). La première étape de la réforme des bourses sur critères sociaux a été engagée en 2023 sous l’impulsion de votre prédécesseure Sylvie Retailleau. Cette réforme inspirée des travaux de Jean-Michel Jolion a permis d’actualiser un barème inchangé depuis 2013 et de prendre en compte l’inflation avec une revalorisation forfaitaire de 37 euros par mois, quel que soit l’échelon. Quel bilan en dressez-vous ?
Je conduis actuellement avec Jean Laussucq une mission d’évaluation des aides sur critères sociaux pour les étudiants. Le constat est sans appel : le système est à bout de souffle. Il faut une réforme profonde pour mieux accompagner les étudiants, simplifier l’accès aux droits et rendre le système plus progressif. Patrick Hetzel avait annoncé une concertation au printemps 2025 pour amorcer la suite de la réforme, en 2026. Avez-vous prévu de relancer ce processus de concertation ? Le cas échéant, quelles seraient vos principales préconisations ?
Enfin, une enquête publiée ce mois-ci par l’association Linkee, qui distribue des paniers alimentaires aux étudiants dans le besoin, établit que 97 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, que huit sur dix disposent de moins de 100 euros par mois pour se nourrir et se soigner, et qu’un sur dix a dormi dans la rue ou dans son véhicule au cours des douze derniers mois. Comment votre ministère se saisira-t-il de la question de la précarité étudiante ?
M. Philippe Baptiste, ministre. S’agissant du budget d’abord, je souligne que la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (Mires) englobe différents programmes, dont trois dépendent du ministère de l’ESR : ils concernent les centres de recherche – CNRS, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria)… –, les universités, et les mesures pour la vie étudiante. Dans le reste de la Mires, divers programmes, allant jusqu’au démantèlement d’installations nucléaires par exemple, ont subi, c’est vrai, des décalages. Mais évoquer une baisse de l’ordre du milliard – 930 millions d’euros exactement – des crédits de la Mires en laissant penser qu’elle affecte les programmes consacrés à la recherche, aux universités et à la vie étudiante est tout simplement erroné.
En réalité, le budget des universités, autrement dit le programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire, progresse de 300 millions par rapport à la loi de finances de 2024. Cela permet de compenser de manière intégrale et pérenne le compte d’affectation spéciale Pensions, pour 200 millions, quand 100 millions sont dédiés au volet ressources humaines (RH) de la LPR. Des économies résiduelles de l’ordre de 40 millions seront faites sur des dispositifs transversaux qui n’affecteront pas les établissements.
Côté recherche, le programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires prévoit que le CNRS prendra à sa charge un prélèvement de trésorerie de l’ordre d’une centaine de millions d’euros. Le CNRS a en effet des réserves considérables, de 1,4 milliard. Une part significative de ces réserves sont fléchées sur des programmes existants. Le reste, libre d’emploi, sera utilisé pour garantir le bon fonctionnement du système. Aucun programme de recherche ne sera donc arrêté. Cet effort ponctuel permettra de préserver les mesures RH de la LPR – laquelle a, du reste, permis une augmentation significative du régime indemnitaire des chercheurs, des enseignants-chercheurs, des ingénieurs et des techniciens.
Quant au budget de la vie étudiante, il reste stable. Au total, le budget du ministère est donc en progression de 137 millions d’euros par rapport à 2024. Les diminutions de crédits de la Mires affectent d’autres ministères.
La CVEC, cotisation étudiante qui permet de financer la vie universitaire, est gérée par les établissements et les organisations étudiantes, lesquelles participent activement à la répartition des fonds. Son usage doit évidemment être conforme aux valeurs républicaines. Je n’ai pas connaissance de cas d’instrumentalisation de la CVEC : n’hésitez pas à me les communiquer. Cependant, l’université est le lieu du savoir, de la culture et de la pluralité des idées. On y vient avec ses convictions religieuses et politiques et on doit pouvoir en discuter. L’appréciation de la tenue ou non d’une conférence au regard des risques d’atteintes à l’ordre public relève des présidents d’université, qui s’emploient à les prévenir en lien avec les recteurs et les préfets. Les consignes sont extrêmement claires pour éviter ces troubles tout en permettant la tenue de débats au sein des établissements. Certains établissements posent comme condition à l’organisation d’une conférence la garantie d’une expression pluraliste. C’est une bonne idée, que France Universités pourrait inscrire dans une charte vouée à généraliser ces principes.
Monsieur Marion, le système Sympa, système d’allocation des moyens développé il y a une quinzaine d’années, fournit un algorithme de répartition des fonds entre universités. Cette répartition est complexe dans la mesure où il n’existe pas deux universités semblables : toutes abritent des formations et des types de recherche différents, plus ou moins coûteux. Comme vous l’avez dit, le système Sympa a été rapidement mis de côté du fait de sa grande instabilité. Nous nous retrouvons donc avec un système d’allocation des moyens insatisfaisant, très statique, puisqu’il se base sur les données des années précédentes. Nous allons réfléchir avec les universités à un modèle qui tienne compte de leur activité ainsi que des contrats d’objectifs, de moyens et de performance. Le rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur leur modèle économique permettra, avec un regard extérieur, de poser les bases du débat.
En matière de gestion, j’ai déjà évoqué le fonds de roulement du CNRS. Les sommes cumulées des fonds de roulement des universités dépassent, elles, les 5 milliards d’euros – certaines n’ont rien, d’autres beaucoup. Une part significative de ces moyens correspond à des programmes de recherche déjà engagés, mais dire que demain matin tout va s’effondrer est tout bonnement faux. Quand on a une trésorerie de 5 milliards au lieu de 3,4 milliards en 2018, quand le budget augmente de 300 millions pour 2025, quand la LPR apporte 2,2 milliards supplémentaires aux universités, il est difficile de parler de « saignée ». Et je ne compte pas les financements de France 2030 qui ont alimenté différents programmes de recherche.
En ce qui concerne le logement étudiant, le bilan 2018-2022 fait état de la création de 30 000 logements sociaux, dont 12 000 par les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires). Mais nous ne pouvons pas nous en satisfaire. Notre feuille de route 2023 prévoyait la rénovation de 12 000 logements vétustes et la création de 35 000 nouveaux logements à l’horizon 2027. Le Premier ministre a, lui, annoncé la création de 15 000 logements par an sur trois ans, en privilégiant le logement social et intermédiaire. Le travail avec le ministère du logement est entamé ; les préfets, les recteurs et les Crous sont mobilisés ; le repérage des terrains disponibles est en cours. C’est une priorité, malgré le manque de foncier qui pose problème.
S’agissant des blocages, il appartient aux présidents d’universités de garantir l’ordre public et la continuité du service public, d’assurer la sécurité des personnes et des biens et d’organiser le dialogue avec les étudiants. Ils ont des pouvoirs de police et peuvent recourir aux forces de l’ordre. Afin d’être plus efficaces en cas de difficultés, nous souhaitons avec le ministre de l’intérieur développer la coopération entre préfets, recteurs, forces de l’ordre et présidents d’université. D’autre part, nous avons travaillé avec le garde des Sceaux ces dernières semaines sur les faits liés à l’antisémitisme et au racisme : la dernière circulaire pénale désigne très clairement les procédures de l’article 40 du code de procédure pénale comme prioritaires pour les procureurs. J’ai demandé que tout signalement opéré sur cette base par un recteur ou un président d’université fasse l’objet d’un suivi, d’une instruction et d’un retour. Enfin, nous discuterons, dans la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, de l’installation de commissions disciplinaires plus efficaces qu’aujourd’hui. Nous sommes très vigilants sur ces questions.
S’agissant de la précarité étudiante, même s’il peut être difficile de la mesurer avec nos outils statistiques classiques, on considère qu’elle touche un étudiant sur quatre. Ce sont souvent des étudiants en décohabitation, situation dont l’actuel système de bourses ne tient que très mal compte et qui représente un enjeu fondamental de la réforme. Outre les bourses sur critères sociaux, qui constituent la plus grande part du programme Vie étudiante, il existe des aides monétaires pour les étudiants les plus précaires. Du côté de la restauration universitaire, 43 millions de repas ont été servis l'an dernier, soit 10 millions de plus qu’en 2023. Les repas à 1 euro représentent plus de 50 % des repas servis. Les conventionnements et les aides financières dédiées prévus par la loi Levi sont aujourd’hui sur la table. Peu de pays dans le monde font de tels efforts en faveur des étudiants les plus précaires, avec une couverture aussi large : c’est à souligner, même si ce n’est pas une raison pour s’arrêter là.
Nous disposons d’un ensemble de programmes, et même d’une agence de programmes, spécifiquement consacrés à la transition écologique. La recherche a en effet un rôle majeur à jouer en la matière. Plusieurs organismes y consacrent une part significative de leurs crédits – le CNRS, l’Inrae, l’Institut de recherche pour le développement, l’Inserm par exemple – et les communautés universitaires et de recherche, très impliquées, y sont extraordinairement sensibles. Il n’est pas question de modifier ces financements.
Autre enjeu majeur, l’intelligence artificielle. Toute la société en parle et voit arriver la vague dans de nombreux secteurs industriels. Or, dans les laboratoires de recherche, la vague de l’IA est déjà là. Peu de mes collègues n’utilisent pas l’IA générative comme aide pour rédiger des papiers. Mais surtout, des pans entiers de la recherche expérimentale sont bouleversés : la recherche en sciences des matériaux, en biologie, ou dans le domaine des médicaments, du traitement et de la contextualisation des données massives. Ce n’est que le début. L’IA bouleverse également le monde de l’enseignement, supérieur ou non. Il me paraît impossible de continuer à enseigner et à élaborer des maquettes pédagogiques sans en tenir compte : il faut évidemment intégrer l’IA aux formations. Très tôt, nous devons expliquer aux étudiants ce qu’elle est, comment fonctionnent ses algorithmes, ses enjeux et ses limites. En effet l’IA, qui ne fait que répéter et connecter ce qui existe déjà, quoiqu’avec une grâce supérieure à celle du perroquet, introduit et reproduit des biais qu’il faut repérer.
Le parc immobilier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel est l’un des plus vastes de l’État : 16 millions de mètres carrés. Pour les rénover et atteindre nos objectifs de décarbonation, les besoins sont de l’ordre de 15 milliards d’euros pour l’ESR. C’est gigantesque. Les établissements bénéficient de différents financements. Je citerai les contrats de plan État-région (CPER) – 925 millions d’euros pour 500 opérations entre 2015 et 2020, et plus de 1 milliard pour 460 opérations de 2021 à 2027 –, le plan Campus – 200 millions par an – et le plan de relance – 1 milliard. S’y ajoutent les plans de résilience 1 et 2. La loi de finances de 2025 – cela malgré la « saignée » ! – prévoit plus de 300 millions en crédits de paiement pour l’investissement immobilier.
Nous offrons également aux établissements différents leviers de valorisation de leur patrimoine. C’est une nouveauté et, dans la mesure où ils doivent se donner les moyens de cette valorisation, c’est aussi un défi, que certains d’entre eux relèvent. Je ne peux nier, monsieur Bruneau, que les établissements ayant récupéré la gestion de leur patrimoine en premier ont été grandement favorisés, et notre modèle de répartition des ressources ne peut pas, en l’état, corriger la situation. Il faut intégrer cette question à une réflexion plus générale sur l’attribution des moyens de l’État au bon fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur.
À propos de l’orientation, de l’égalité des chances et de la formation dans les territoires, souvenons-nous que le premier critère de l’inégalité d’accès à l’enseignement supérieur est géographique. Habiter en zone rurale est un frein à l’ambition et à la poursuite d’études longues, non seulement parce que le choix de formations de proximité est réduit, mais aussi parce qu’on voit moins d’étudiants et de personnes susceptibles d’être des exemples à suivre. Il est donc fondamental d’investir en faveur de la mobilité, qui est difficile pour les étudiants modestes. Aujourd’hui, 150 antennes universitaires accueillent près de 100 000 étudiants. Depuis 2019, 70 campus connectés ont été créés, ainsi que des formations en alternance dans les lycées professionnels. Je suis convaincu qu’il faut aller plus loin : la baisse démographique favorisera les opportunités pour de nombreux établissements scolaires, notamment en libérant des locaux. Il faut en tirer profit intelligemment, en dialoguant avec les régions et les recteurs, au plus près des territoires. Toutefois, les locaux ne suffisent pas : la création de telles antennes coûte cher également en rémunération d’enseignants et de formateurs, mais c’est un investissement fondamental pour l’avenir.
Enfin, depuis la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (loi ORE), nous avons travaillé à la réorientation des bacheliers professionnels vers les BTS, où ils se trouvent maintenant pour 54 % d’entre eux. C’est là où ils réussissent le mieux : près de la moitié obtiennent ainsi leur BTS en deux ans. On en compte aussi 7 % en licence. C’est un taux faible, et la situation de ces étudiants est catastrophique puisque leur taux de réussite est inférieur à 5 %. C’est une vraie difficulté. L’idée de la propédeutique est une voie intéressante à explorer : divers dispositifs de ce type existent déjà, comme les « oui si » de Parcoursup ou les Paréo – parcours pour réussir et s’orienter. Il faut absolument donner les moyens de réussir aux bacheliers professionnels qui auraient le rêve et la volonté de s’engager dans des études universitaires.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Anne Sicard (RN). Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, l’extrême-gauche « antifa » instaure un climat de terreur et transforme les universités en « ZAD » (zones à défendre) islamo-gauchistes. À Dijon et à Toulouse, des étudiants de l’Union nationale interuniversitaire (UNI) ont été lynchés par un commando de militants « antifa ». À Strasbourg et à Nantes, des étudiants ont été séquestrés ou ont subi des barrages filtrants les empêchant d’aller étudier dans leurs établissements. À Nantes toujours, la direction de l’université a même donné l’ordre à la police de ne pas intervenir pour faire cesser les AG d’étudiants d’extrême-gauche, alors que celles-ci servaient de lieu de préparation à des actions violentes contre des étudiants de droite. Enfin, à Lyon, c’est l’Issep, l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques cofondé par Marion Maréchal, qui est régulièrement victime d’intimidations, voire d’attaques, jusqu’à une tentative d’incendie criminel.
L’université est le lieu du savoir et des humanités, pas le laboratoire du wokisme ni de la violence d’extrême-gauche. Quelles mesures comptez-vous prendre pour garantir à chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, le droit d’étudier sereinement dans toutes, je dis bien toutes les facultés de France ?
Mme Violette Spillebout (EPR). Les travaux menés récemment à l’Assemblée nationale dans le cadre des États généraux de l’information ont montré l’impact de l’IA sur notre rapport à l’information. Nous en avons aussi beaucoup parlé la semaine dernière pendant le Forum mondial. Cela se fait pour le meilleur et pour le pire. En matière scientifique et médicale, l’IA est une opportunité pour la recherche comme pour la diffusion des savoirs, mais contribue aussi à accélérer la propagation de fausses informations. Ainsi, pendant la crise du covid, des études non abouties étaient débattues sur les plateaux de télévision. Aujourd’hui prolifèrent des revues dites prédatrices, aux contenus publiés sans l’évaluation par les pairs chère à nos universités. Dans ce contexte, et dans celui de l’actualisation du plan national pour la science ouverte, comment votre ministère entend-il sensibiliser les chercheurs et les institutions au bon usage de l’IA et au respect de l’intégrité scientifique ?
M. Aly Diouara (LFI-NFP). « Vous êtes le fils d’un salarié, ouvrier, employé, journalier agricole. Sauf hasard providentiel, votre destinée est de demeurer toute votre vie un salarié. » Ces mots de Léon Blum sont ceux des enfants auxquels la République refuse l’accès aux études supérieures. Depuis des décennies, l’accès des élèves de la voie professionnelle aux études supérieures est un parcours semé d’embûches. Ces obstacles sont symbolisés par Parcoursup et ses fameux algorithmes, qui, loin de favoriser la réussite scolaire et la démocratisation de l’enseignement supérieur, sont de violentes machines à trier les élèves, aux premiers rangs desquels les lycéens de la voie professionnelle.
Cette réalité frappe de plein fouet les jeunes issus de l’immigration, qui représentent trois quarts des élèves de la voie professionnelle selon l’association Une voie pour tous. Monsieur le ministre, la République ne peut accepter cette distinction arbitraire et ce système d’instruction nationale à deux vitesses, dans lequel l’avenir des jeunes est déterminé non pas par leurs capacités mais par leur origine sociale. – « Le destin au berceau », comme dit la sociologue Camille Peugny. Comment envisagez-vous de garantir l’égalité de traitement et d’accueil dans nos universités aux jeunes issus de milieux défavorisés ?
M. Arnaud Sanvert (RN). Le CNRS est un organisme public financé par l’impôt et censé garantir une recherche libre et indépendante. Pourtant, nous assistons à une dérive idéologique inquiétante. Avec l’initiative HelloQuitteX, des chercheurs du CNRS incitent les utilisateurs du réseau social X à migrer vers des plateformes alternatives jugées plus conformes aux standards de modération de l’extrême-gauche. Ce projet reflète une politisation croissante du CNRS et une instrumentalisation des fonds publics à des fins militantes. L’objectif affiché de lutter contre la désinformation et les discours haineux masque mal une tentative d’orienter le débat public en contournant les principes de neutralité institutionnelle. Monsieur le ministre, comment justifier que des chercheurs financés par l’argent des contribuables s’engagent dans une démarche relevant davantage du militantisme que de la science ?
Mme Céline Calvez (EPR). La LPR prévoit des investissements ambitieux et indispensables à la recherche scientifique, alors que le sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle a rappelé l’urgence d’investir dans les compétences et la formation pour faire face aux défis technologiques. Pour y répondre, la France ne peut se passer de 50 % de ses cerveaux : ceux des femmes. Or elles ne sont actuellement que 29 % des chercheurs scientifiques et 20 % des professeurs d’université.
La LPR prévoyait également des renforcements de la politique d’égalité entre les hommes et les femmes dans les secteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur, des rapports réguliers sur l’exécution du plan d’action pluriannuel sur l’égalité professionnelle, un recensement des bonnes pratiques par le ministère de l’enseignement supérieur, une veille de l’impact des politiques de recrutement et un soutien au développement de la recherche dans les domaines de santé touchant les femmes. Quelles sont les mesures correspondantes et quels sont leurs effets ?
Mme Farida Amrani (LFI). Lorsque des étudiants de Sciences Po se sont mobilisés pacifiquement contre le génocide à Gaza, ils sont devenus ennemis publics n °1. Déclarations outrées, indignations médiatiques, ministres sur place, menaces et pressions sur la direction pour exiger des sanctions : tout l’appareil macroniste s’est mobilisé pour criminaliser ces étudiants et relayer la propagande de l’extrême-droite. En revanche, lorsque l’UNI est impliqué dans la diffusion de contenus antisémites et de saluts nazis, plus rien ! Pas de mobilisation gouvernementale, pas d’injonctions aux sanctions, pas de ministre sur le terrain, juste un tweet laconique. Circulez, il n’y a rien à voir. Ce deux poids deux mesures est indéfendable. Quand des étudiants dénoncent une injustice, ils sont immédiatement réprimés. Quand l’extrême-droite propage la haine au cœur de l’université, le gouvernement détourne le regard. Allez-vous enfin prendre des mesures fermes contre la propagation des idées de l’extrême-droite nazie dans l’enseignement supérieur ?
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Vous suggérez, monsieur le ministre, que nous exagérons et que le budget n’est pas si mauvais. Peut-être qu’effectivement tout ne va pas s’effondrer demain matin, mais il n’en reste pas moins que l’enseignement supérieur public s’effrite petit à petit. Cela cause des dégâts, par exemple des fermetures de formations essentielles. Dans ma circonscription, des familles et des professionnels s’inquiètent de la décision de Sorbonne Université de tarir progressivement le financement de l’Institut de formation en psychomotricité. Les psychomotriciens sont des professionnels essentiels, qui sont déjà trop peu nombreux dans les territoires. Il est très difficile d’en trouver un pour ses enfants ou ses parents. Bref, le résultat de cette politique, ce sont des fermetures. Les coupes budgétaires amènent les universités à prendre des décisions néfastes pour nos territoires.
Mme Graziella Melchior (EPR). Monsieur le ministre, merci pour votre engagement au service de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont témoignent à la fois votre carrière et le budget que nous venons d’adopter.
L’augmentation du nombre d’étudiants en médecine depuis la suppression du numerus clausus que mon groupe a voulue ne nous exempte pas d’une réflexion globale sur le système de formation. La Paces (première année commune aux études de santé) n’était pas satisfaisante. Toutefois, le système actuel, qui associe Pass (parcours d’accès spécifique santé) et LAS (licence accès santé) reste perfectible. Il nous faut repenser l’orientation et la formation pour inciter les jeunes à choisir la médecine, afin de renforcer les effectifs médicaux au service de nos concitoyens. Nous devons susciter des vocations et mieux accompagner les étudiants. Pouvez-vous nous indiquer vos intentions sur la nécessaire réforme des études de santé ?
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). La création des key labs est un projet de la direction du CNRS visant à allouer toujours plus de moyens financiers, matériels et humains aux 25 % des laboratoires considérés comme les plus performants d’après les standards de la course à l’excellence. Quant aux autres, ils obtiendront des miettes et la certitude fatale de végéter en seconde division scientifique.
Les key labs sont révélateurs d’une idée de la recherche comme compétition qui a heurté une bonne partie de la communauté scientifique, au demeurant épuisée par le darwinisme et l’idéologie entrepreneuriale du PDG Antoine Petit, par les évaluations incessantes et par l’injonction à l’innovation. Plutôt qu’un sage retrait, vous avez choisi de temporiser, avec un moratoire et une concertation dilatoire. Me faisant le relais d’une communauté vent debout, je souhaite des précisions sur ce projet. Une liste de key labs serait en cours d’élaboration : quels seront les critères de sélection et les modes d’évaluation ? Qui sélectionnera les laboratoires ? Avec quelles formes de concertation ? Quelles seront les conséquences sur les disciplines et les labos mis hors-jeu ?
Plus globalement, quel est votre projet : démanteler le CNRS, cette belle maison née avec le Front populaire, et en faire une agence de moyens à la solde du capitalisme scientifique ? S’agit-il d’en finir avec l’idée d’une science autonome, désintéressée, collaborative et élargissant les corpus de la connaissance fondamentale ?
M. Salvatore Castiglione (LIOT). Vous avez d’ores et déjà apporté de nombreux éléments concernant la précarité étudiante, mais reste la question de la santé. De nombreux jeunes ne se soignent pas, d’une part parce qu’ils n’ont pas de mutuelle et que le reste à charge est important, d’autre part parce qu’ils peinent à trouver un médecin traitant, en particulier lorsqu’ils ont quitté leur territoire pour étudier.
S’agissant de l’égalité des chances dans l’accès aux classes préparatoires, si les prépas publiques donnent de très bons résultats en sciences et en lettres, c’est loin d’être le cas pour les filières économiques. Sur les dix meilleures classes préparatoires en économie, sept sont privées, avec des coûts moyens de plus de 5 000 euros à l’année. Qu’envisagez-vous pour donner une meilleure place aux prépas publiques, de manière générale et plus particulièrement dans la filière économique ?
Mme Béatrice Piron (HOR). La formation initiale des enseignants relève aujourd’hui du MESR, par le biais des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspe). Or c’est l’Éducation nationale qui définit les besoins et les compétences attendues et qui encadre ensuite les enseignants tout au long de leur carrière. Cette dichotomie entre l’entité qui forme et celle qui emploie se retrouve aussi dans les formations des spécialistes de santé : ces formations dépendent de votre ministère alors que certaines pourraient être rattachées au ministère de la santé. Cette séparation administrative n’est-elle pas un frein à l’adaptation rapide des cursus aux évolutions des besoins ?
Que pensez-vous de ces critiques ? Une telle réforme permettrait-elle de répondre aux défis actuels ?
M. Belkhir Belhaddad (NI). Notre parc universitaire, troisième patrimoine de l’État, compte 40 % de passoires énergétiques. Il sera impossible d’atteindre les objectifs fixés par l’État – 46 % de gain de performance énergétique d’ici à 2030 – sans investir massivement pour le rénover. J’insiste sur l’urgence à penser l’avenir énergétique du bâti universitaire. Assumer le coût des factures d’énergie comme celui de la rénovation énergétique semble hors de portée pour des universités au budget déjà contraint. L’emprunt pourrait être une solution : a-t-elle été étudiée ? Si l’emprunt était ouvert aux universités, l’État serait-il disposé à se porter garant afin de consolider leurs dossiers de prêt ? Cela pourrait-il ouvrir la voie à des partenariats privés ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Pour ce qui est de l’IA, des fausses informations et des publications bidon générées automatiquement, il faut avant tout faire confiance aux communautés scientifiques, y compris au niveau international. Celles-ci sont convaincues de la nécessité de se mobiliser. Il faut les accompagner et leur donner les outils nécessaires, comme ce qui a été fait par le ministère ces dernières années, voire décennies, autour de l’open source, de l’open data et du partage des données de recherche. Mais ensuite, les décisions ne doivent pas être nationales : les communautés scientifiques savent s’organiser pour agir, domaine par domaine, en aboutissant à des positionnements internationaux, autour par exemple des revues scientifiques.
Au sujet de la voie professionnelle et de l’égalité des chances, Parcoursup est un outil qui permet de réguler l’accès à un certain nombre de formations en imposant une priorité et des quotas pour des élèves boursiers. Avant la loi ORE, dont la plateforme Parcoursup n’est que le reflet, cela n’existait pas. Parcoursup a donc permis de redresser les choses dans les classes préparatoires, les BTS et les IUT. En cela, c’est un outil d’égalité des chances qui a le mérite d’exister, même si on peut se demander, comme vous le faites, s’il est suffisant.
HelloQuitteX est l’initiative de chercheurs issus d’un laboratoire mêlant sciences sociales et algorithmiques, très connu pour ses analyses sur les réseaux sociaux à partir d’outils mathématiques et de grands graphes. C’est dans ce cadre que des chercheurs ont travaillé, de manière au demeurant accessoire, sur HelloQuitteX. Après analyse, aucun manquement n’a été relevé à ce stade.
Je me suis déjà exprimé de façon générale sur les tensions dans les universités. La question spécifique du conflit israélo-palestinien et du sort de Gaza est aujourd’hui centrale dans notre société : une place pour ce débat doit donc exister dans les universités. Ce débat doit être pluriel, respecter un cadre républicain et ne pas dériver vers de l’antisionisme, qui dérive lui-même vers de l’antisémitisme, comme cela a été constaté de nombreuses fois et comme le prouvent les statistiques. Le cadre des universités doit être ouvert, mais aussi respectueux de la loi et des uns comme des autres. Au sujet du jeu de cartes antisémite et raciste créé par des membres de l’UNI auquel vous avez, il me semble, fait allusion, le recteur a déposé un signalement sur la base de l’article 40. Je n’ai donc pas de leçon à recevoir sur le sujet.
La place des femmes dans l’ESR n’est pas satisfaisante et elle est très hétérogène selon les disciplines. Dans l’enseignement supérieur, 56 % des étudiants sont des femmes, mais elles ne sont plus que 40 % dans les formations sélectives. De manière générale, elles sont moins nombreuses dans les disciplines scientifiques : elles ne représentent que 30 % des étudiants dans les filières d’ingénieurs ou en science fondamentale – et je ne vous donne même pas les chiffres dans mon domaine, l’informatique. Nous devons donc progresser. Dans les organismes de recherche, 22 % des chercheurs en mathématiques et en informatique sont des femmes. Enfin, du côté de la gouvernance, 14 femmes et 52 hommes présidaient des universités françaises au 1er janvier 2024. Bref, le seul chiffre à peu près satisfaisant est celui des ministres de l’ESR, qui, ces dernières années, étaient plutôt des femmes !
Nos principes directeurs, vous les connaissez : assurer l’égalité des chances entre femmes et hommes à toutes les étapes des parcours académiques et professionnels, promouvoir la mixité dans toutes les disciplines, garantir un environnement d’étude et de travail exempt de violences sexistes et sexuelles – énorme chantier à mener sur des pans entiers de l’université et dont on n’a pas forcément pris la juste mesure. De très nombreuses initiatives ont été lancées, comme le programme Tech pour toutes en 2023, qui doit encourager et accompagner 10 000 jeunes femmes dans leurs études techniques. Dans le domaine spatial, les role models féminins comme Claudie Haigneré jouent un rôle déterminant en suscitant des vocations.
La réforme des études de santé est également un chantier important. Avec la Paces, les étudiants qui réussissaient intégraient certes les études de médecine, mais ceux qui échouaient après deux années d’intense labeur repartaient à zéro, voire quittaient le système alors même qu’ils avaient une très bonne formation initiale. Un tel gâchis était insupportable. Le système des LAS et des Pass a cette vertu que les étudiants qui n’intègrent pas les études de médecine continuent leurs études de façon beaucoup plus automatique. Ils n’étaient que 20 % à le faire avec la Paces, et plus de 50 % maintenant : c’est une progression gigantesque. L’inconvénient du système actuel est sa diversité, puisqu’une grande liberté a été donnée aux universités pour construire ces parcours. Les familles et les étudiants se trouvent donc un peu perdus, notamment lorsqu’ils doivent choisir entre une LAS ou une Pass. Il faut simplifier l’ensemble, ce à quoi nous allons travailler avec le ministre de la santé et de l’accès aux soins Yannick Neuder.
S’agissant de l’Institut de formation en psychomotricité (IFP), je rappelle d’abord que Sorbonne Université, très bon établissement, n’est pas celui qui souffre le plus du manque de financements en France. Comme tous les instituts paramédicaux rattachés à l’enseignement supérieur avant 2024, l’IFP de Sorbonne Université est financé par le MESR. La subvention pour charges de service public versée chaque année à l’université est calculée pour couvrir les charges inhérentes à cette mission et n’a jamais été revue à la baisse. Contrairement aux rumeurs, aucun des engagements de l’État vis-à-vis de cette formation ou vis-à-vis de Sorbonne Université n’a été remis en cause. Il n’existe aucune volonté de fermer cette formation.
Les key labs sont une initiative prise par Antoine Petit, le président du CNRS, dans une période d’instabilité politique. Elle a suscité chez les personnels et dans d’autres établissements comme les grandes universités partenaires du CNRS des interrogations légitimes sur le dispositif, sa mise en place, ses critères de sélection. Il est tout à fait légitime que le CNRS définisse une politique scientifique : celle-ci n’est pas la somme des politiques scientifiques locales des universités, et le CNRS a une utilité majeure dans l’organisation de la recherche en France comme à l’international. Cependant, cette politique doit s’articuler avec celles des établissements et être discutée en amont avec le ministère, raison pour laquelle ce moratoire a été déclaré.
Enfin, la recherche n’est pas un système uniforme, pas plus en France qu’ailleurs dans le monde. Chacun sait bien qu’il y a de grosses différences de dotation, qu’il y a des établissements et des laboratoires incontournables, ne serait-ce que par leur capacité à aller décrocher des bourses d’excellence, des financements du Conseil européen de la recherche, des appels à projets. Chaque laboratoire n’en doit pas moins avoir la capacité de développer cette même excellence : il ne suffit pas de reconduire les financements des excellents laboratoires d’aujourd’hui, car ce ne sont pas forcément les excellents laboratoires de demain. C’est le travail du CNRS et des autres organismes de recherche, et nous aurons dans quelques mois les résultats de la concertation.
S’agissant de l’égalité d’accès aux classes préparatoires, les dernières enquêtes du MESR montrent qu’après quelques années de désaffection, ces dernières ont de nouveau le vent en poupe et que leurs effectifs connaissent une augmentation significative. Nous devons être capables d’avoir des prépas publiques au meilleur niveau. C’est le cas dans les filières scientifiques. S’il reste des doutes pour les filières économiques, il faudra mener des actions spécifiques et je serai attentif à cette question.
Je n’ai rien contre l’existence de l’enseignement supérieur privé, mais sa régulation est un enjeu. Certains établissements à but lucratif ont été créés pour bénéficier de l’appel d’air produit par l’apprentissage et proposent des formations qui relèvent de la répression des fraudes. Ils sont peu nombreux, mais c’est intolérable. Nous avons commencé par faire le ménage sur Parcoursup, mais en ne trouvant qu’un très petit nombre de formations à éliminer, puisqu’il y a une charte et des mécanismes de contrôle pour accéder à la plateforme. L’essentiel des établissements problématiques est donc hors Parcoursup : ce sont les publicités qu’on voit dans le métro – pas toutes, naturellement. Leur régulation est une mission neuve pour le ministère et nous la prenons très au sérieux. Nous travaillons avec le ministère du travail à la création d’un label conjoint sur l’apprentissage et à l’approfondissement du label Qualiopi pour y intégrer des caractéristiques propres à la formation. Cela permettra d’éliminer certaines formations hors des clous. Enfin, mais cela prendra un peu plus de temps, il faudra toiletter le code de l’éducation, fait de strates qui s’accumulent depuis 1872, pour l’adapter à cette nécessaire régulation.
Les universités ont toujours été le lieu de la formation des professionnels de santé, cela dans la grande majorité des pays du monde. Pendant leur formation, les étudiants sont en apprentissage et, au fur et à mesure de leur cursus, confrontés de plus en plus intensément aux réalités du soin. Cette formation universitaire est donc également pratique et se fait au quotidien en lien étroit avec les praticiens de la santé, les médecins et les centres hospitalo-universitaires. Il me semble important de garder les études de santé dans le périmètre de l’université. En effet, pour les futurs praticiens, amenés à exercer pendant quarante ans avec des outils en évolution rapide, la confrontation à la recherche et à l’interdisciplinarité – à l’informatique, aux mathématiques, à la physique, à l’IA – est essentielle. C’est la clé de la bonne recherche médicale et une nécessité pour ces secteurs amenés à profondément évoluer.
De la même manière, les futurs enseignants, formés dans les Inspe dont le cadre est universitaire, sont confrontés en permanence aux enseignants du second et du premier degré, qui interviennent au cours de leur formation. Le cadre est universitaire mais la pratique, essentielle, du terrain est constante. Il faut les deux.
Enfin, en matière de rénovation énergétique des bâtiments, les besoins sont très importants. J’ai déjà évoqué les crédits des CPER, du plan Campus et de la loi de finances de 2025. Compte tenu des besoins, j’aimerais vous annoncer que nous disposons de 3 milliards d’euros de plus par an, mais ce n’est pas le cas et il faut tenir sur la longueur. Enfin, sauf cas particulier, les universités n’ont pas de capacité d’emprunt. Cette question est d’ordre budgétaire, elle ne relève pas du MESR. En effet, si vous autorisez un établissement public à emprunter, vous l’autorisez à faire de la dette, ce qui n’est guère souhaitable. Mais je vous accorde que la difficulté est réelle et que l’on pourrait imaginer des mécanismes vertueux pour aller chercher des moyens à l’extérieur.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Merci, monsieur le ministre, de vos réponses.
*
La commission procède au dépouillement du vote au scrutin secret sur la proposition du président de la République de nommer Mme Coralie Chevallier à la présidence du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres).
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 56
Bulletins blancs ou nuls, ou abstentions : 12
Suffrages exprimés : 44
Avis favorables : 35
Avis défavorables : 9
La séance s’achève à dix-huit heures quarante-cinq.
Présents. – M. Erwan Balanant, M. Philippe Ballard, M. Arnaud Bonnet, Mme Soumya Bourouaha, M. Joël Bruneau, Mme Céline Calvez, M. Salvatore Castiglione, M. Pierrick Courbon, M. Aly Diouara, Mme Virginie Duby-Muller, M. José Gonzalez, M. Emmanuel Grégoire, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Tiffany Joncour, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Sarah Legrain, M. Christophe Marion, Mme Graziella Melchior, Mme Marie Mesmeur, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Béatrice Piron, M. Jean-Claude Raux, Mme Claudia Rouaux, M. Arnaud Saint-Martin, M. Arnaud Sanvert, Mme Anne Sicard, Mme Sophie Taillé-Polian
Excusés. – Mme Farida Amrani, Mme Béatrice Bellamy, M. Xavier Breton, M. Bruno Clavet, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Frantz Gumbs, M. Eric Liégeon, Mme Delphine Lingemann, M. Frédéric Maillot, Mme Nicole Sanquer
Assistait également à la réunion. – M. Belkhir Belhaddad