Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), table ronde de représentants des syndicats représentatifs des enseignants du public : MM. Brice Castel et Éric Nicollet, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ; Mme Karine Fromont, secrétaire nationale en charge de la qualité de vie et des conditions de travail du Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa), et Mme Caroline Briot, référente nationale des personnels d’éducation ; M. Christophe Lalande, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle – Force ouvrière (Fnec FP-FO) ; M. Christophe Bonnet, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) éducation, formation, recherche publiques, et M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral ; M. Xavier Perinet-Marquet, membre du bureau national et de la commission 1er degré du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc) ; Mme Marion Jasseron, co-secrétaire de la Fédération solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) éducation, et Mme Ange Fernandez, mandatée antisexisme pour SUD éducation 2
– Présences en réunion..............................23
Jeudi
3 avril 2025
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 48
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à onze heures cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne sous la forme d’une table ronde, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), des représentants des syndicats représentatifs des enseignants du public : MM. Brice Castel et Éric Nicollet, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ; Mme Karine Fromont, secrétaire nationale en charge de la qualité de vie et des conditions de travail du Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa), et Mme Caroline Briot, référente nationale des personnels d’éducation ; M. Christophe Lalande, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle – Force ouvrière (Fnec FP-FO) ; M. Christophe Bonnet, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) éducation, formation, recherche publiques, et M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral ; M. Xavier Perinet‑Marquet, membre du bureau national et de la commission 1er degré du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc) ; Mme Marion Jasseron, co‑secrétaire de la Fédération solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) éducation, et Mme Ange Fernandez, mandatée antisexisme pour SUD éducation.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Dans le cadre de l’enquête sur le contrôle étatique et la prévention des violences dans les établissements scolaires, nous accueillons aujourd’hui les représentants de syndicats représentatifs des enseignants du secteur public :
– MM. Brice Castel et Éric Nicollet, secrétaires nationaux de la Fédération syndicale unitaire (FSU) ;
– Mme Karine Fromont, secrétaire nationale chargée de la qualité de vie et des conditions de travail du Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa), et Mme Caroline Briot, référente nationale des personnels d’éducation ;
– M. Christophe Lalande, secrétaire général de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle – Force ouvrière (Fnec FP-FO) ;
– M. Christophe Bonnet, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) éducation, formation, recherche publique, et M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral ;
– M. Xavier Périnet-Marquet, membre du bureau national et de la commission 1er degré du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc) ;
– et Mme Ange Fernandez et Mme Marion Jasseron de la Fédération solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) éducation.
Notre objectif est de comprendre les modalités de gestion d’éventuels mauvais traitements dont des élèves seraient victimes de la part d’adultes présents au sein des établissements et les mesures préventives mises en place.
Nous entendrons ultérieurement les représentants syndicaux des personnels de direction, d’inspection, ainsi que ceux des différents personnels de l’enseignement privé.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Brice Castel, M. Éric Nicollet, Mme Karine Fromont, Mme Caroline Briot, M. Christophe Lalande, M. Christophe Bonnet, M. Laurent Kaufmann, M. Xavier Perinet-Marquet, M. Ange Fernandez et Mme Marion Jasseron prêtent serment.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pour commencer, j’aimerais savoir comment vos organisations ont vécu l’affaire Bétharram. Se sont-elles saisies en interne des problématiques soulevées ? Si c’est le cas, de quelle manière ?
M. Éric Nicollet, secrétaire national de la Fédération syndicale unitaire (FSU). En tant que première fédération syndicale de l’éducation, la FSU représente l’ensemble des métiers et des personnels.
Nous souhaitons souligner que les récentes révélations de violences en milieu scolaire, particulièrement dans les établissements privés sous contrat comme Bétharram, mettent en lumière les défaillances de l’État en matière de contrôle de ces établissements. Il est temps que l’État reconnaisse qu’il n’a pas su assurer la protection des victimes durant toutes ces années. Nous appelons à la mise en œuvre urgente d’une politique déterminée visant à éradiquer ces violences, qu’elles soient morales, physiques ou sexuelles, et à en assurer la prévention.
Bien que ces situations puissent survenir dans tous les établissements, elles restent heureusement des cas isolés dans le public, même si leur traitement n’est pas sans poser des difficultés. Cependant, force est de constater que, sans incriminer l’ensemble des établissements privés sous contrat, c’est principalement dans les établissements privés confessionnels que se concentrent des pratiques dites éducatives fondées sur la coercition, voire les sévices.
Mme Karine Fromont, secrétaire nationale chargée de la qualité de vie et des conditions de travail du Syndicat des enseignants de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-Unsa). L’Unsa Éducation, qui représente également l’ensemble des personnels, souhaite élargir le débat au-delà du cas des enseignants concernant cette problématique qui nous est chère. Nous n’avons pas attendu les récentes actualités pour nous soucier de cette question. Nous collaborons déjà avec le Comité national d’action laïque (CNAL) sur ces sujets depuis longtemps, ce qui démontre l’importance que nous avons toujours accordée au contrôle des établissements privés.
M. Christophe Lalande, secrétaire fédéral de la Fédération nationale de l’enseignement, de la culture et de la formation professionnelle – Force ouvrière (Fnec FP-FO). Concernant l’affaire Bétharram, nous notons l’exigence que la justice traite ces faits. Nous sommes surpris qu’il y ait eu si peu de réactions après 112 plaintes et qu’une telle affaire ait pu perdurer aussi longtemps, malgré des rapports apparemment positifs.
Je souhaite cependant recentrer mon propos sur la question du financement des écoles privées sous contrat. Nous nous interrogeons sur le nombre d’établissements privés potentiellement concernés par des pratiques douteuses qui bénéficient de fonds publics. Chaque année, entre 12 et 15 milliards d’euros de fonds publics sont détournés pour financer l’école privée, à 95 % catholique. La libre administration de ces écoles permet parfois la diffusion de propos problématiques. Par exemple, selon L’Express, il aurait été déclaré à Stanislas que tomber enceinte après un viol serait un « cadeau de Dieu ». Nous trouvons préoccupant l’amalgame qui peut exister entre un enseignement catholique privé et un enseignement public avec des personnels sous statut.
Le caractère propre des établissements privés catholiques implique certains fonctionnements spécifiques, ce qui soulève la question du contrôle. Nous regrettons de ne pas avoir pu être accompagnés d’un inspecteur de l’éducation nationale aujourd’hui. Celui-ci aurait pu témoigner de la surcharge de travail engendrée par la décision de Mme la ministre Borne de demander aux inspecteurs de contrôler les établissements privés, au détriment de leur mission principale de contrôle, d’aide et de soutien aux équipes des écoles publiques. Il existe donc une vraie question sur qui doit exercer ces missions de contrôle.
Pour limiter le développement parfois très volontariste de l’enseignement privé, notamment à travers des dispositifs comme Parcoursup ou la loi Blanquer, il faudrait revenir à la situation antérieure aux lois Debré : fonds publics pour l’école publique, fonds privés pour l’école privée.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je rappelle l’objet de nos travaux d’enquête qui ont trait aux modalités de contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires. Je remercie chacun de s’attacher à répondre aux questions précises que nous pourrons poser.
M. Christophe Bonnet, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) éducation, formation, recherche publique. La CFDT dispose de deux fédérations distinctes : l’une dédiée à l’éducation, la formation et la recherche publique, couvrant l’ensemble du système éducatif public, et l’autre consacrée à la formation et à l’enseignement privé.
Cependant, l’affaire qui nous occupe aujourd’hui — qui n’est pas un cas isolé puisqu’un conflit similaire a eu lieu dans le même département concernant une école de Pau et son interprétation assez large du caractère propre — nous amène, en concertation avec nos deux fédérations, à interroger les limites du concept de caractère propre. Certes, ce concept bénéficie d’une protection quasi constitutionnelle, mais son interprétation soulève des questions quant au contrôle. Nous le constatons notamment dans les débats sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, qui ne sont pas sans lien avec le sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. Il est difficile de faire entendre que le caractère propre n’emporte pas tout.
Cette situation nous incite également à nous interroger sur le système éducatif public, où des problèmes peuvent également survenir. Nous devons réfléchir aux outils mis en place et surtout à la manière dont nous préparons nos collègues à faire face à de telles situations, afin qu’ils sachent quels leviers actionner, qu’ils aient confiance en l’efficacité de ces actions et qu’ils soient formés à détecter ce type de situations. Nous sommes conscients que la formation continue des enseignants est dans une situation catastrophique.
M. Xavier Périnet-Marquet, membre du bureau national et de la commission 1er degré du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). Nous ne sommes pas surpris par cette affaire. Cependant, l’ampleur des faits est effectivement surprenante. Nous n’avions pas connaissance de faits aussi graves. De tels événements pourraient également se produire dans le secteur public. Néanmoins, la différence réside dans le caractère propre des établissements privés. Dans le public, les personnels sont fonctionnaires et sont donc soumis à un contrôle beaucoup plus rigoureux que dans le privé. Cette distinction est extrêmement importante, bien qu’elle n’exclue pas la possibilité de situations inacceptables dans le secteur public.
Mme Marion Jasseron, co-secrétaire de la Fédération solidaires, unitaires et démocratiques (SUD) éducation. À SUD éducation, nous nous interrogeons depuis plusieurs années sur la question des droits des enfants et des violences qui leur sont infligées. C’est un sujet dont nous nous saisissons de plus en plus. Les révélations de l’affaire Bétharram nous ont profondément indignés, comme l’ensemble de la société, et ont renforcé notre détermination à travailler sur ces questions, notamment en collaboration avec le Syndicat unitaire national démocratique des personnels de l’enseignement et de la formation privés (Sundep), membre de l’Union syndicale Solidaires.
Nos réflexions sur les événements survenus à Bétharram et dans d’autres instituts récemment mis en cause nous ont amenés à plusieurs constats.
Tout d’abord, nous observons une spécificité de l’enseignement privé qui, selon nous, peut être le terreau d’une éducation réactionnaire et traditionaliste, potentiellement propice à la diffusion d’une culture d’extrême droite niant les droits des enfants. Nous considérons cela comme extrêmement dangereux et préoccupant. Ces établissements scolaires ont déjà été pointés du doigt, notamment par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), qui a révélé de nombreuses violences sexuelles commises en leur sein.
Nous nous sommes également demandé si ces problèmes sont spécifiques à l’enseignement privé. Bien que les violences sexuelles soient moins médiatisées dans le public, cela ne signifie pas qu’il n’existe pas un système et une non-prise en charge au sein du ministère qui contribuent à invisibiliser ces violences sexuelles, physiques ou morales envers les enfants.
S’il existe une omerta générale sur les violences sexistes et sexuelles dans la société, particulièrement envers les enfants, il n’y a aucune raison que le ministère échappe à ce phénomène. La culture de l’inceste et la culture du viol existent dans notre société et traversent également le milieu scolaire. Rappelons que la Ciivise a rapporté que 10 % des témoignages concernant des faits de pédocriminalité avaient lieu dans des institutions et trois personnes sur dix indiquaient que ces violences se produisaient dans des établissements scolaires. Il est difficile de croire que seuls les établissements privés sont concernés.
De même, le Collectif féministe contre le viol a souligné, dans le cadre d’une ligne d’écoute mise en place à la suite aux travaux de la Ciivise sur la pédocriminalité, que les enseignants représentaient la troisième profession la plus citée parmi les agresseurs présumés. Il existe donc un problème spécifique à l’enseignement privé, mais également un problème plus général de prise en charge des violences faites aux enfants par le ministère, ainsi qu’une forme d’invisibilisation de ces violences.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. J’aimerais aborder le rôle que vous jouez, en tant que syndicats, lorsque des signalements sont effectués ou que des affaires sont révélées au sein d’un établissement.
Disposez-vous d’un service juridique dédié qui intervient sur les sujets de violences faites aux enfants par un adulte en position d’autorité ? Je précise que le cadre de notre commission d’enquête ne couvre pas le harcèlement scolaire ou la violence entre élèves.
Par exemple, lorsque des parents révèlent des faits ou se plaignent auprès du chef d’établissement ou qu’un enseignant révèle des faits qui seraient commis par un autre enseignant, s’adressent-ils à vous ? Quelles actions entreprenez-vous auprès de l’administration ? À quel niveau intervenez-vous ou êtes-vous déjà intervenus ?
Sur le plan judiciaire, avez-vous établi un protocole d’action ? Avez-vous déjà mené des actions, que ce soit des signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou des constitutions de partie civile ?
Quel est le rôle de votre syndicat et quelles actions avez-vous déjà entreprises, tant sur le plan administratif que judiciaire ?
M. Brice Castel, secrétaire national de la FSU. Pour la FSU, je tiens à apporter une réponse générale, notre organisation étant structurée en syndicats nationaux. Bien qu’il existe une convergence dans le fonctionnement, chaque syndicat national peut avoir son propre fonctionnement spécifique.
Nous disposons, dans plusieurs syndicats nationaux, de cellules juridiques offrant un éclairage sur la réglementation. Le sujet central concerne les sollicitations émanant des personnels, principalement des enseignants, lorsqu’ils ont connaissance de situations problématiques et ne savent pas comment agir. Cette difficulté est fréquemment soulevée, les personnels se trouvant souvent démunis face à ces situations. Nos sections locales interviennent en soutien pour les orienter vers les interlocuteurs appropriés afin de signaler ces situations. Lorsque cela est nécessaire, nous accompagnons notamment les personnels ayant recueilli la parole d’élèves ou identifié des problématiques de violence, et qui se retrouvent parfois seuls, sans soutien institutionnel face aux conséquences personnelles de leur action. Dans ces cas, nous intervenons pour solliciter les unités existantes, par exemple pour un accompagnement psychologique de ces personnels.
Concernant l’orientation vers les interlocuteurs compétents pour signaler les faits, faire cesser les situations problématiques et protéger les victimes, notre action se déploie sous forme de conseils. Nous guidons les personnels vers les procédures existantes et, si nécessaire, lorsqu’il s’agit d’un problème plus systémique, par exemple au sein d’un établissement où l’institution ne prend pas en charge la situation, nous intervenons en tant que représentants du personnel. Nous signalons alors la difficulté aux autorités de l’éducation nationale et nous assurons que les éléments remontés sont bien pris en compte.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Dans le cas de votre syndicat, vous limitez-vous au conseil et au courrier pour faire remonter les informations aux autorités dans le cadre de la démarche administrative, ou entreprenez-vous également des démarches judiciaires ?
M. Brice Castel. À mon niveau, je n’ai pas connaissance de démarches judiciaires.
M. Éric Nicollet. Effectivement, il n’y a pas de démarche judiciaire initiée par les premiers alertés, qu’il s’agisse des enseignants, des conseillers principaux d’éducation (CPE), des assistants sociaux ou des infirmières. Cette réflexion émerge de nos échanges entre différents métiers. Nous constatons que chacun s’interroge sur le devenir de son alerte une fois celle-ci émise. Le processus habituel consiste à alerter l’inspecteur de circonscription qui, selon la gravité du fait, intervient directement ou alerte à son tour le directeur académique des services de l’éducation nationale (Dasen). Cependant, nous observons rarement un retour sur le traitement de ces alertes.
Mme Karine Fromont. Notre action se concentre sur l’accompagnement et l’information, en aidant notamment à distinguer les différentes procédures existantes. Nous mettons l’accent sur la prévention, en expliquant comment activer une procédure, différencier une information préoccupante (IP) d’un signalement au procureur, afin que nos collègues maîtrisent précisément la démarche et l’action correspondante, ce qui peut parfois s’avérer complexe.
Nous menons également des actions de prévention pour expliquer aux collègues la capacité de réorienter, car nous ne sommes pas toujours en mesure d’agir de manière optimale au moment opportun. Nous abordons la question du fonctionnement de la voie hiérarchique.
En complément, nous proposons un accompagnement psychologique pour aider les collègues à gérer l’aspect émotionnel de ces situations.
Notre approche se concentre donc davantage sur ces aspects que sur la dimension judiciaire.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Qualifieriez-vous cette démarche de formation des enseignants ou plutôt d’information ?
Mme Karine Fromont. Je préfère parler de sensibilisation. La formation impliquerait une démarche plus approfondie, nécessitant plus de temps. L’information seule ne suffit pas, car il ne s’agit pas simplement de transmettre des données, mais d’expliquer davantage. On pourrait même évoquer le terme d’acculturation.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Cette approche est-elle systématisée au sein de votre syndicat ?
Mme Karine Fromont. Effectivement, nous l’intégrons dans un cadre plus global, incluant, par exemple, les questions relatives aux atteintes à la laïcité. Nous proposons ces formations sur diverses thématiques et sur les procédures qui en découlent dans le cadre de nos métiers.
M. Christophe Lalande. Le syndicat n’a pas vocation à se substituer à la chaîne hiérarchique. En tant que fonctionnaires d’État, nous avons l’obligation d’intervenir face à des situations de maltraitance constatées, en saisissant en premier lieu notre hiérarchie pour qu’elle agisse, soit en portant plainte au pénal, soit en prenant des mesures disciplinaires à l’égard des personnels concernés. C’est ce qui nous distingue notamment de l’enseignement privé, où les moyens d’action sont beaucoup plus flous. Je tiens à souligner que je n’ai pas connaissance dans le public d’une affaire ayant donné lieu à 112 plaintes sans aucune réaction.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous dites que vous en référez à votre hiérarchie. Avez-vous la possibilité de faire directement un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, sans passer par la hiérarchie, ou de vous porter partie civile dans une affaire en déposant plainte ?
M. Christophe Lalande. Au nom de notre organisation syndicale ou à titre personnel ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous avez indiqué que, pour votre organisation syndicale, il convient d’en référer à la hiérarchie.
M. Christophe Lalande. J’ai précisé qu’en tant que fonctionnaires d’État, nous avons cette obligation.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pour cette audition, vous parlez au nom de FO.
M. Christophe Lalande. Il n’y a pas de sujet syndical sur cette question. Notre syndicat n’a pas vocation à intervenir pour dénoncer telle ou telle affaire. C’est notre devoir de fonctionnaires d’État et de la hiérarchie d’intervenir pour protéger les élèves sous notre responsabilité.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Votre syndicat sensibilise les enseignants, syndiqués et non-syndiqués. Dans le cadre de cette sensibilisation, abordez-vous également la possibilité pour un enseignant qui aurait signalé une information à la hiérarchie d’utiliser un autre canal pour remonter une information grave ?
M. Christophe Lalande. Je ne vois pas quel autre canal serait envisageable.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Il y a la justice. Si, dans une classe, un élève fait une révélation gravissime, un adulte, quel que soit son statut, est avant tout un citoyen français. N’existe-t-il pas d’autre voie que le seul recours à la hiérarchie ?
M. Christophe Lalande. Ma réponse est que la responsabilité de protéger les élèves incombe à l’ensemble de l’éducation nationale. Notre statut de fonctionnaire d’État prévoit toutes les contre-mesures pour prévenir ce type de situation. Dans l’enseignement public, je n’ai pas constaté de multiplication de tels cas.
M. Christophe Bonnet. En tant que responsable du pôle juridique fédéral, j’ai été mandaté par ma fédération pour la représenter avec mon collègue.
Nous n’avons jamais eu à nous porter partie civile ou à effectuer un signalement au titre de l’article 40 en tant qu’organisation syndicale. Nous sommes plutôt dans l’information et l’accompagnement de nos collègues. Nous sommes rarement sollicités dans ce type de situations, ce qui souligne la nécessité de mieux informer nos adhérents et militants de notre capacité à les soutenir dans ces circonstances. Les sollicitations sont plus fréquentes dans le premier degré, où la structure tend à isoler les collègues, qu’il s’agisse des professeurs des écoles ou des inspecteurs de l’éducation nationale. Notre mission consiste donc à conseiller, à accompagner et, si nécessaire, à insister auprès de la hiérarchie pour que les signalements soient traités, car la simple construction statutaire ne garantit pas leur application effective. Nous jouons un rôle de facilitateur et, le cas échéant, de lanceur d’alerte au niveau plus informel, en veillant à ce que les signalements soient pris en compte. Bien que cela ne se soit pas encore produit, nous n’excluons pas la possibilité d’intervenir pour défendre les intérêts matériels et moraux de nos adhérents, conformément à notre mission syndicale. Cela pourrait impliquer de dénoncer des situations inacceptables et de s’assurer que la justice suive son cours.
M. Xavier Périnet-Marquet. Je confirme que nous disposons d’une cellule juridique, qui n’est pas spécifiquement dédiée aux violences sexuelles ou aux violences sur les élèves, mais qui traite l’ensemble des questions réglementaires ou juridiques que nos collègues peuvent rencontrer, nombreuses en raison du défaut de formation initiale et continue sur les sujets juridiques.
Concernant les révélations de faits par les parents, je n’ai personnellement jamais été confronté à cette situation. Nous avons cependant eu des cas où des personnels, comme des accompagnants d’élève en situation de handicap (AESH), nous ont signalé des comportements potentiellement abusifs de la part d’enseignants, sollicitant notre conseil sur la marche à suivre. Cela rejoint ce qui a pu être dit sur le conseil et la formation.
Nous n’avons jamais effectué de signalement judiciaire au titre de l’article 40. Les processus internes à l’éducation nationale exigent le respect du principe de loyauté. Des collègues ont déjà été sanctionnés pour déloyauté pour avoir effectué des signalements directs au parquet, sur la base de l’article 40, sans en avoir préalablement informé leur hiérarchie. La procédure normale implique de signaler d’abord à l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) dans le premier degré ou au chef d’établissement dans le second degré. Notre conseil est généralement d’attendre une dizaine de jours pour voir si une action est entreprise avant d’envisager un signalement direct.
Cette obligation de loyauté peut parfois freiner certains signalements, d’autant plus que les collègues ne sont souvent pas formés à ces procédures et craignent les conséquences potentielles, notamment en l’absence de preuve. Il existe un risque réel que le signalement se retourne contre eux si la matérialité des faits n’est pas établie, ce qui nous oblige à être particulièrement prudents dans nos conseils.
En principe, nous ne faisons pas nous-mêmes de signalement au titre de l’article 40, mais tout délit ou crime dont nous avons connaissance doit être signalé.
Mme Ange Fernandez, mandatée antisexisme pour SUD éducation. L’organisation de SUD éducation repose sur des syndicats départementaux fédérés au niveau national. Au niveau fédéral, des mandatés juridiques peuvent accompagner les militants et les équipes syndicales départementales.
Nous avons également mis en place une commission dédiée aux questions de sexisme et aux droits des personnes LGBTQIA+, ainsi qu’une cellule de veille spécifique pour les violences sexistes et sexuelles, avec des personnes formées à l’écoute des victimes et capables de conseiller les équipes syndicales.
Nous organisons des formations internes, ouvertes à l’ensemble de nos adhérents, axées sur les violences sexistes et sexuelles, notamment sur l’écoute de la parole des victimes et les violences faites aux enfants.
Enfin, nous produisons du matériel syndical sous forme de brochures et de tracts traitant des violences sexistes et sexuelles au travail, ainsi que des droits des enfants. Ces ressources visent à équiper nos équipes syndicales pour qu’elles puissent accompagner les personnes qui en font la demande.
Mme Marion Jasseron. Concernant le suivi des situations, nous recevons mensuellement des remontées de nos syndicats départementaux faisant état des cas de violences sexuelles ou physiques sur des enfants.
Au sein de SUD éducation, nous prenons en charge ces situations en accompagnant nos adhérents, mais aussi les collègues qui nous sollicitent pour obtenir des conseils. Plusieurs départements ont suivi des affaires de violences physiques ou sexuelles commises par des adultes sur des enfants. Notre intervention se déploie à différents niveaux. Nous assistons les témoins et les victimes. Je pense par exemple à un cas où une ancienne élève s’est tournée vers le syndicat pour signaler des violences subies par l’un de ses anciens enseignants. Nous aidons à effectuer des signalements auprès de la hiérarchie et intervenons parfois directement auprès d’elle pour rappeler les obligations légales, notamment celle de procéder à un signalement au titre de l’article 40 ou de faire un signalement dans « Faits établissement ». Nous agissons également auprès des ressources humaines pour demander la suspension d’agresseurs présumés afin de protéger les enfants. Dans certains cas, nous avons sollicité des enquêtes administratives ou des procédures disciplinaires.
Il est important de préciser qu’un signalement au titre de l’article 40 ne se substitue en aucun cas à un signalement dans « Faits Établissement ». Bien que certains de nos adhérents et militants aient pu faire des signalements au titre de l’article 40 en tant que témoins ou personnels d’établissement et que nous les ayons accompagnés dans cette démarche, il incombe en réalité au fonctionnaire ayant connaissance de violences d’effectuer ce signalement. De plus, un signalement au titre de l’article 40 ne remplace pas la transmission d’une IP. Face aux actes de violence, nous ne sommes plus dans le domaine de la simple préoccupation. Il incombe alors à la justice de prendre en charge ces faits.
Par ailleurs, nous défendons également les lanceurs et lanceuses d’alerte. Les personnes qui parlent au sein de l’éducation nationale subissent une répression conséquente, tant de la part de la hiérarchie que de l’administration. Des personnels ont par exemple été mutés dans l’intérêt du service après avoir dénoncé des situations de violence envers des enfants. Certains se retrouvent en arrêt maladie à la suite de situations terribles, tandis que d’autres ont quitté l’éducation nationale. Cette situation nous oblige à suivre les dossiers dans leur globalité.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il apparaît que vos syndicats et les personnels que vous accompagnez se saisissent du signalement dans le cadre de la procédure administrative par voie hiérarchique. Cependant, à l’exception de ce que SUD éducation nous a indiqué, le signalement à la justice sur la base de l’article 40 semble ne pas être pratiqué par les enseignants. Nous souhaiterions comprendre les raisons de cette situation. Est-ce dû à un manque de formation, d’information ou à la crainte d’un conflit de loyauté, voire d’une potentielle répression ? L’article 40 constitue une obligation pour tous les fonctionnaires. Bien que le signalement à la hiérarchie soit nécessaire, il n’est pas suffisant. En principe, la justice doit également être saisie.
Par ailleurs, vous avez évoqué des phénomènes systémiques et des chefs d’établissement qui semblent parfois bloquer la remontée d’informations au niveau supérieur. En tant qu’organisations syndicales, comment interpelez-vous le niveau hiérarchique supérieur dans ces situations ? Quelles réponses obtenez-vous ?
Concernant la procédure judiciaire, quelle est votre perception ? La position de lanceur d’alerte, qui peut être celle de certains enseignants, est-elle redoutée ? Les expose-t-elle à des risques professionnels ?
M. Brice Castel. Tout d’abord, il convient de considérer la situation de l’enseignant qui reçoit la confidence d’un élève ou qui repère des éléments préoccupants. La question cruciale est de savoir si l’enseignant est formé et sait comment agir face à cette situation. Dans la grande majorité des cas, l’enseignant qui reçoit ces informations est conscient de la nécessité d’agir. Le défi réside dans la manière d’agir et dans la capacité à s’affranchir de la notion de secret parfois confiée par l’élève, ce qui peut constituer un frein dans la relation élève-enseignant.
Nous portons la nécessité d’un étayage par les professionnels entourant les enseignants au sein des établissements. En tant qu’assistant social, je suis particulièrement sensible à cet aspect, mais d’autres professionnels sont également concernés, comme les infirmières et les personnels de vie scolaire.
Nous constatons que la difficulté réside, d’une part, dans la connaissance des procédures, telles que l’article 40, les signalements à la protection de l’enfance, au parquet ou à la cellule départementale de recueil des informations préoccupantes (Crip) et, d’autre part, dans la question de la voie hiérarchique. En effet, dans notre institution, il est complexe de transmettre un signalement ou un article 40 sans en référer à sa hiérarchie, avec toutes les incidences que cela peut avoir. C’est là que la question des équipes pluriprofessionnelles — comprenant l’assistant social, l’infirmière, le psychologue de l’éducation nationale (PsyEN) et le médecin scolaire – prend tout son sens. Les services sociaux de l’éducation nationale, en particulier, n’ont pas de lien hiérarchique avec le chef d’établissement et sont habilités à transmettre directement des écrits au parquet et à la Crip lorsque nécessaire. Ces équipes pluriprofessionnelles peuvent accompagner les enseignants dans la remontée d’informations, en expliquant les procédures internes au sein des établissements scolaires. Nous estimons qu’il est crucial d’avoir cet étayage, en complément d’une formation nécessaire sur la détection des signaux faibles, les signaux forts et les procédures à suivre. Ces personnels sont spécifiquement formés sur ces questions et peuvent faciliter les remontées d’informations.
Le blocage éventuel des signalements se produit, en effet. Au début de ma carrière d’assistant social, nous pouvions envoyer directement un signalement de protection de l’enfance au parquet, avec une copie à la direction de services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN). Aujourd’hui, on constate de plus en plus une demande de transmission préalable à la DSDEN pour un filtrage avant l’envoi au parquet. Ce protocole est bien souvent mis en place par la direction académique sous l’autorité du Dasen. Auparavant, nous étions responsables de nos écrits et de leur transmission, ce qui existe encore dans de nombreux endroits. Aujourd’hui, dans certaines académies et certains départements, il est demandé que les signalements passent d’abord par la DSDEN, qui décide ensuite de les transmettre ou non au parquet.
M. Paul Vannier, rapporteur. Avez-vous des exemples d’instructions écrites de ce type que vous pourriez transmettre à notre commission d’enquête ? Je fais référence à des instructions émanant du niveau académique ou du Dasen, qui demanderaient au personnel de ne pas transmettre systématiquement au procureur de la République et de passer obligatoirement par le filtre de l’inspection académique.
M. Brice Castel. Je dispose effectivement d’un compte rendu d’une réunion de service où cette demande est expressément formulée au niveau du service social en faveur des élèves. Cette situation s’est produite dans un lieu où, ces dernières années, des signalements concernant des comportements violents envers des élèves de la part de personnels ont été bloqués au niveau de la direction académique, empêchant ainsi une alerte appropriée au moment opportun.
Mme Karine Fromont. La formation des enseignants constitue un enjeu majeur concernant l’application de l’article 40. En effet, les enseignants n’ont pas forcément connaissance des procédures et des actions à entreprendre.
Par ailleurs, la pression liée à la notoriété des établissements scolaires représente un obstacle, qui peut dissuader les collègues de parler par crainte d’affecter la réputation de l’établissement concerné.
Il est également nécessaire de se soucier du traitement des dénonciations qui se révèlent non fondées et des mesures prises concernant une personne incriminée.
Les équipes pluridisciplinaires sont un rouage essentiel concernant la diffusion d’informations et la capacité à signaler davantage. La présence de personnels formés, tels que les assistants sociaux, les infirmières et les médecins scolaires permet d’apporter une aide en direct, de partager la parole et de déterminer ce que nous sommes susceptibles de dire. Cependant, nous constatons une diminution de la présence de ces personnels formés dans nos établissements, ce qui constitue un frein à la lutte contre cette problématique.
Mme Caroline Briot, référente nationale des personnels d’éducation du SE-Unsa. La gestion efficace de ces situations nécessite du temps. Il est essentiel que les collègues amenés à traiter ces cas puissent le faire dans un temps serein, et non dans un temps contraint. Souvent, nous empilons les situations à gérer dans une journée, ce qui ne participe pas d’un climat serein.
M. Christophe Lalande. Lorsque nous sommes saisis par des personnels, adhérents ou non, sur des situations de ce type, notre première recommandation est d’établir les faits et de saisir la hiérarchie, car c’est à elle qu’incombe la responsabilité d’agir. C’est également à la hiérarchie de guider les personnels sur la nécessité de témoigner ou de recourir à l’article 40.
Nous sommes aussi vigilants à la protection des personnels. Témoigner, notamment contre un collègue ou un supérieur hiérarchique, peut exposer. Dans ces cas, nous demandons systématiquement l’application de la protection fonctionnelle, un dispositif spécifique de la fonction publique. La hiérarchie se substitue aux personnels lorsqu’ils agissent en ce sens.
Notre rôle consiste également à suivre l’évolution de la situation. Une fois la hiérarchie saisie, notre interlocuteur devient le chef de service, qu’il s’agisse de l’inspecteur d’académie, du recteur ou de leurs services par délégation. Nous agissons à ce niveau, tout en restant vigilants quant aux relations individuelles qui pourraient exposer les personnels.
Il convient de noter que ces procédures concernent principalement le secteur public. Dans le privé, d’autres logiques peuvent entrer en jeu, notamment des principes de clientélisme, rendant parfois l’action plus complexe.
M. Christophe Bonnet. Nous constatons un manque de culture s’agissant de l’article 40 dans notre secteur de la fonction publique. Ce concept et sa portée ne sont pas suffisamment compris collectivement. Il est nécessaire d’apporter des explications claires sur les possibilités et les devoirs qu’il implique.
Cependant, un outil fréquemment utilisé, particulièrement dans le premier degré, est celui des IP. Cette procédure est particulièrement utile pour les collègues du premier degré qui sont souvent plus isolés, sans la structure d’un établissement. Cet outil leur permet de signaler leurs inquiétudes concernant le bien-être d’un enfant via ce canal de transmission. S’agissant de l’expression d’une préoccupation, l’avantage de cette approche réside dans la perception, par l’agent, d’une moindre nécessité d’établir les faits, ce qui peut faciliter une telle transmission.
M. Laurent Kaufmann, secrétaire fédéral de la CFDT. Nous sommes au cœur de la question du statut de la parole de l’élève dans notre institution. Bien que des évolutions soient perceptibles, cette question générale doit se poser. Les statistiques de la Ciivise révèlent qu’il existe, dans chaque classe, un pourcentage d’élèves qui subit des violences, que ce soit en milieu familial ou scolaire.
Des procédures existent, mais nous manquons de temps dans les établissements pour les faire connaître à l’ensemble des acteurs. De plus, nous constatons un déficit de formation initiale et continue sur ces sujets. Le recrutement des enseignants est centré sur la maîtrise disciplinaire, certes indispensable, mais néglige la formation de base au développement psychologique normal de l’enfant. Cette connaissance est pourtant nécessaire pour détecter des signaux d’alerte et mettre en place des processus de recueil de la parole des élèves afin de les orienter vers les professionnels présents.
Les équipes pluridisciplinaires sont incomplètes. Peu d’établissements disposent de tous les personnels nécessaires pour prendre en charge ces problématiques.
Bien que la culture juridique et le cadre législatif existent, le temps manque pour organiser ces dispositifs. Nous organisons une prérentrée dans un établissement scolaire du second degré sur une journée, ce qui est évidemment insuffisant.
Il est important de souligner que les systèmes éducatifs qui progressent sont ceux qui prennent en compte la parole de l’usager. Ce sujet constitue un fait de société. Considérant que l’école et le périéducatif accueillent l’intégralité d’une classe d’âge, ils constituent des lieux privilégiés pour agir.
M. Xavier Périnet-Marquet. Je souscris aux observations précédentes concernant la formation et les équipes pluridisciplinaires. Certains collègues peuvent se censurer par peur des conséquences. De nombreux collègues méconnaissent les procédures, notamment l’article 40 du code de procédure pénale et les IP.
J’ai récemment reçu une circulaire départementale particulièrement bien réalisée, élaborée en collaboration avec le parquet de Poitiers. Ce document, qui est vraisemblablement le fruit du travail d’un substitut du procureur, comprend une fiche technique, rappelant les textes et clarifiant la distinction entre IP et article 40. Je doute cependant que cette initiative soit généralisée à l’ensemble du territoire national.
Cette circulaire rappelle l’obligation d’informer les parents en cas d’IP, ce qui peut s’avérer problématique dans le premier degré où les enseignants côtoient quotidiennement les familles. Face à des signaux faibles, sans certitude absolue, les collègues peuvent hésiter à signaler, craignant notamment de se tromper. Nous constatons de nombreux cas de menaces ou de violences envers des enseignants ayant effectué des IP. L’absence de suivi des signalements est également décourageante. Des enseignants apprennent parfois des années après qu’une situation signalée a finalement évolué. Presque tous les enseignants du premier degré ont, au cours de leur carrière, effectué des IP apparemment sans suite, ce qui génère un découragement. La mobilité géographique de certaines familles complique le suivi, les systèmes de protection de l’enfance étant gérés au niveau départemental. Des cas tragiques, comme celui de la petite Marina dans les Pays de la Loire, illustrent les failles du système malgré de multiples signalements. Les enseignants, confrontés à l’absence de médecin scolaire ou à la surcharge de travail des infirmières, peuvent se sentir démunis, d’autant plus qu’ils risquent des confrontations difficiles avec les parents.
La circulaire précise en outre que, même pour l’article 40, sauf en cas de suspicion de violences sexuelles ou physiques graves, il faut informer les parents. Cette obligation inquiète. Les collègues, surtout dans le premier degré, se sentent souvent isolés face à ces responsabilités.
Mme Ange Fernandez. Le personnel éducatif, enseignant et non enseignant, y compris les assistants d’éducation (AED) dans le secondaire et les AESH, ne dispose pas de formation et de ressources pour signaler efficacement les situations de violence envers les élèves. La responsabilité du signalement incombe souvent aux chefs d’établissement ou aux directeurs d’école, qui ne sont pas nécessairement mieux formés. Cette situation est exacerbée par le manque de personnel médico-social dans les établissements, privant les équipes de professionnels qualifiés pour gérer ces situations délicates.
Mme Marion Jasseron. Nous constatons que la méconnaissance des obligations légales et du code pénal concernant les violences sexistes et sexuelles s’étend jusqu’aux niveaux hiérarchiques. Nous avons observé des cas où des proviseurs ignoraient la définition juridique du viol, d’une agression sexuelle ou de l’abus d’autorité. Cette méconnaissance engendre une désinformation au sein des établissements scolaires, auprès des personnels et des victimes.
Il est important de distinguer les procédures d’IP et d’article 40, qui relèvent de ministères et de personnels différents. Les IP sont traitées par des personnels sociaux, contrairement aux signalements effectués via l’article 40. Une fois un signalement effectué, l’administration a tendance à se défausser en disant que le travail est accompli. Or, la majorité des affaires sont classées sans suite.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous sommes au cœur du sujet de la commission d’enquête et du dysfonctionnement dans le processus de signalement. L’absence de suivi et de retour après les signalements est particulièrement décourageante et fera partie de nos propositions.
Nous sollicitons votre collaboration pour obtenir des exemples concrets, tels que des échanges de courriers, des copies d’IP, de signalements au titre de l’article 40 ou le protocole de Poitiers mentionné. Ces exemples nous seront utiles pour affiner nos questions, notamment lors des prochaines auditions, comme celle du ministère de la justice. Nous sommes preneurs de vos documents – y compris internes – relatifs à la formation, à la sensibilisation liée aux IP et au suivi des signalements.
Les travailleurs sociaux et les personnes formées de l’environnement médico-social des encadrants et des enseignants sont-ils les seuls à pouvoir remplir une IP ou les enseignants peuvent-ils également le faire ? Les procédures de rédaction et de transmission des IP vous semblent-elles suffisamment claires ? Pensez-vous qu’une clarification par voie de circulaire ou de protocole soit nécessaire ?
M. Brice Castel. Il est nécessaire de distinguer le premier et le second degré concernant les équipes pluridisciplinaires.
Dans le premier degré, la réalité est qu’il n’existe pas d’équipes pluriprofessionnelles, que les services sociaux sont quasiment absents et que la présence des infirmières scolaires reste marginale. Par conséquent, les enseignants se retrouvent souvent seuls face à ces problématiques. La transmission d’une IP ou d’un signalement soulève des questions délicates, particulièrement dans le premier degré où les enseignants côtoient les parents quotidiennement. Apprendre à mener un entretien pour informer une famille d’un signalement pour des faits de violences sexuelles révélés par l’enfant nécessite un étayage et un accompagnement. La présence d’une équipe pluriprofessionnelle est importante pour accompagner sur la question des IP.
Quant à savoir qui rédige ces informations, la réponse varie selon les situations. Des personnels sont spécialisés sur ces questions et seront sollicités spécifiquement sur ces situations. Lorsque le temps et les ressources en personnels le permettent, ces documents peuvent être rédigés à plusieurs mains. On distingue alors la partie relative au recueil de la parole de l’élève, rédigée par le professionnel ayant recueilli cette parole, et la partie évaluation, qui peut inclure les avis du service social et de l’infirmière scolaire. Nous essayons de croiser les points de vue pour rédiger une IP assez complète. Cependant, en cas d’urgence nécessitant une protection immédiate, on procède à un signalement direct au parquet plutôt qu’à une IP. Toutefois, dans le premier degré, les enseignants ne disposent pas de cet étayage autour d’eux.
Lors de la rédaction d’une IP, nous savons que certains éléments sont susceptibles d’accélérer la prise en charge, car le système de l’aide sociale à l’enfance (ASE) est engorgé. Le délai légal d’enquête et de mise en œuvre des mesures préconisées est parfois largement dépassé. Le fait d’avoir bénéficié d’une formation sur ces questions et d’en maîtriser les tenants et les aboutissants permet parfois d’accélérer ces délais ; cela ne devrait pas être le cas, mais c’est la réalité.
En définitive, la rédaction d’une information préoccupante implique à la fois la personne ayant recueilli la parole de l’enfant et, lorsqu’il y a un étayage autour, l’apport d’éléments complémentaires, voire le fait de recevoir à nouveau l’élève en présence d’un personnel spécialisé. Ce travail de dentelle dépend des situations ou des éléments.
M. Laurent Kaufmann. Je partage l’avis de M. Castel concernant la distinction entre les situations d’urgence, nécessitant une protection extrêmement rapide, et les autres. Un écrit qui aura une portée est un écrit rédigé à plusieurs. Dans le second degré, nous parvenons effectivement à travailler en équipe.
J’aimerais aborder un point particulièrement frustrant dans notre quotidien : le manque de retour d’information. Cependant, il faut également veiller à la protection de la confidentialité des enfants. Les situations qu’ils vivent n’ont pas à être connues de l’ensemble de la communauté éducative, y compris des équipes enseignantes.
Les retours sont parfois très lents en raison du temps nécessaire à la justice pour fonctionner et du manque criant de personnels dans le secteur de l’ASE. Actuellement, nous avons besoin de 30 000 éducateurs spécialisés supplémentaires, alors que les écoles n’en forment que 4 000. Nous avons besoin de cet étayage pour accompagner la prise en charge.
Par ailleurs, les infirmières, les assistants sociaux et les PsyEN devraient pouvoir mettre en place des démarches de prévention, notamment dans le second degré, mais ces personnels ont une telle charge de travail que ces démarches, qui constituent pourtant de priorités affichées, ne sont plus réalisées.
Mme Caroline Briot. Je souhaite attirer l’attention sur le rôle crucial des AED et des AESH dans le recueil de la première parole de l’élève. Ce moment important conditionne la suite du traitement de la situation. Il nous semble important de mettre en œuvre une formation des personnels sur ce recueil de la parole de l’élève. Cette formation devrait notamment insister sur l’importance d’éviter de faire répéter à l’élève ce qui lui est arrivé, par respect pour ce dernier.
M. Christophe Lalande. J’ai l’impression que notre discussion s’est élargie pour englober la violence et la maltraitance en général, y compris dans le cadre familial. Cette perspective nous ramène à des questions de budget, de moyens et de personnel nécessaires pour recueillir la parole de l’élève. Il existe effectivement des corps spécialisés pour traiter ces questions : les assistants sociaux, les infirmiers, les PsyEN, les CPE, les AED et les médecins scolaires. Ce dernier corps est malheureusement en voie d’extinction. Je tiens à rappeler que, dans le premier degré, les médecins scolaires sont les seuls habilités à ausculter les élèves et à constater certains signes de violence. Ces interlocuteurs doivent être privilégiés dans ces situations.
Malgré une communication abondante du gouvernement sur les questions de violence et de harcèlement, notamment avec la mise en place de protocoles comme le programme Phare de lutte contre le harcèlement à l’école, force est de constater que les effets concrets restent limités. Nous sommes confrontés à un budget d’austérité qui se traduit par une réduction drastique des postes. De nombreux corps de métier se retrouvent en sous-effectif notoire.
Mme Marion Jasseron. Je souscris entièrement aux propos tenus concernant la question des moyens et la communication du ministère. Bien qu’une communication intensive soit déployée, son impact au niveau local demeure limité, entravant ainsi la capacité des équipes à s’approprier pleinement les protocoles. Il est crucial que l’ensemble du personnel soit formé aux techniques de recueil de la parole des victimes. J’insiste sur ce point, car il revêt une importance capitale. Un enfant, à l’instar d’une victime adulte, ne ment pas. Les études démontrent que seulement 2 à 6 % des dénonciations de violences sexuelles sont infondées. Par conséquent, lorsqu’un enfant évoque des violences sexuelles, que ce soit dans le cadre familial ou impliquant un adulte à l’école, il est peu probable que ces allégations soient mensongères.
Je partage également l’avis exprimé concernant les Crip, qui sont aujourd’hui dépassées, conduisant à une prise en charge insatisfaisante des situations, dont beaucoup sont traitées très tardivement.
Concernant les IP, il convient de rappeler que l’éducation nationale a une responsabilité concernant les violences faites aux enfants à l’école. Certes, les Crip ont un rôle à jouer, mais des mesures peuvent être prises par les rectorats et le ministère. Dans les cas où des adultes sont impliqués dans des actes envers les enfants, des mesures de protection peuvent être mises en place. Trop souvent, le ministère et les rectorats se déchargent de leurs responsabilités sur d’autres ministères et administrations, alors qu’ils ont une obligation légale de réagir.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Ayant récemment participé à la commission d’enquête sur la protection de l’enfance, je confirme l’existence de problématiques liées au traitement des informations, aux délais de prise en charge et à la mise en place de mesures. Des magistrats ont, pour la première fois, signalé renoncer à prononcer des mesures de placement, sachant pertinemment qu’elles ne seraient pas appliquées. La Défenseure des droits s’est autosaisie et a mené une enquête dans plusieurs départements. Néanmoins, il convient d’apporter quelques nuances concernant les Crip, qui assurent malgré tout une certaine protection.
Une IP doit être émise dès qu’il y a un soupçon, non seulement de violences sexistes et sexuelles ou physiques, mais également de carences éducatives ou de problèmes liés au développement de l’enfant. Je m’interroge sur certains de vos propos. Les IP peuvent être anonymes et les enfants eux-mêmes peuvent en être à l’origine. En tant qu’adultes, nous pouvons contacter le 119 et communiquer notre numéro de téléphone à un enfant. Je ne comprends pas l’obligation qui vous est faite d’informer la famille, hormis pour éviter une crise ultérieure avec un parent surpris d’être contacté et qui pourrait se présenter devant l’école, engendrant des discussions, voire des comportements désagréables.
Par ailleurs, la distinction entre les IP et les signalements est ténue. Il s’agit de canaux différents. Dès qu’une IP faisant état de soupçons de violence sexuelle ou physique sur un enfant parvient à la Crip, cette dernière adresse directement un signalement au titre de l’article 40 au procureur. Dans tous les cas, ce dernier est informé, voire doublement informé si vous effectuez vous-même un signalement au titre de l’article 40.
Vous avez évoqué l’absence de culture relative au signalement au titre de l’article 40, ce qui ne me surprend guère, car ce n’est pas une pratique courante. Cependant, pour avoir échangé avec quelques Dasen, j’ai constaté qu’ils ne connaissent que cette procédure et méconnaissent les autres canaux, comme la Crip ou le 119. Je souhaiterais savoir s’il existe une culture de l’information préoccupante distincte de celle du signalement au titre de l’article 40 et comment vous gérez ces deux approches. En cas de signalement, privilégiez-vous les Crip, qui sont départementales, ou le 119, qui est un numéro national ?
La loi prévoit également un retour d’information au signalant. Je partage votre point de vue sur ce sujet, mais j’aimerais savoir si vous pensez que cela changerait la donne pour vos collègues si les personnels recevaient effectivement ces retours. Je n’en suis pas convaincue.
Enfin, mon groupe parlementaire estime que tous les secteurs concernés par la protection de l’enfance devraient pouvoir bénéficier de travailleurs sociaux formés à cette problématique. L’éducation nationale constitue le deuxième grand lieu de socialisation, regroupant le plus grand nombre d’enfants en dehors des familles. Je propose d’intégrer des éducateurs spécialisés au sein de l’éducation nationale, en complément des services sociaux. Ce travailleur social pourrait servir de référent pour évaluer, observer et recueillir la parole des enfants, faire le lien avec les Dasen ainsi que maîtriser les procédures, dispenser des formations et se consacrer exclusivement aux missions de protection de l’enfance. Une seconde option serait de nommer un responsable de la protection de l’enfance auprès du Dasen. De plus, nous souhaiterions, afin de permettre une meilleure coordination, voir un responsable de la protection de l’enfance auprès du préfet, car il s’agit d’une politique de l’État.
Il existe actuellement des comités de pilotage de la protection de l’enfance au niveau départemental et un comité national, qui comptent des représentants de l’agence régionale de santé (ARS), de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et d’autres structures. Cependant, l’éducation nationale n’y est pas représentée, alors que la majorité des enfants se trouvent dans vos établissements scolaires.
M. Xavier Périnet-Marquet. Je doute fortement que les Dasen aient une culture autre que l’IP ou l’article 40, bien que certains puissent être mieux formés. Il est important de noter que la formation sur le statut de fonctionnaire, incluant les droits et obligations fondamentaux, n’a été intégrée que lors de la dernière réforme des masters métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation. Auparavant, cette formation était inexistante.
Concernant la question de la confidentialité entre collègues, il existe une obligation de discrétion professionnelle, voire de secret professionnel, clairement définie depuis longtemps dans notre statut, mais malheureusement méconnue de la plupart. Dans le contexte professionnel hospitalier au sein duquel je travaille, je suis fréquemment confronté à des interrogations de mes collègues sur ce qu’il est permis ou non de faire ou de dire. Les textes réglementaires existent déjà pour encadrer ces pratiques, mais encore faut-il en avoir connaissance et s’y référer.
Mon syndicat ne saurait se prononcer sur la pertinence de la présence de travailleurs sociaux. Cependant, mon expérience en tant qu’enseignant, militant et dans mes fonctions actuelles à l’hôpital met en lumière des difficultés avec l’ASE et la justice.
Concernant les retours, vous avez justement rappelé que les IP ne se limitent pas aux violences physiques ou sexuelles. Dans le premier degré, nous signalons fréquemment des cas de carences de soins, d’enfants nécessitant un suivi orthophonique ou des corrections visuelles. Ces situations, relevées par nos collègues, les mettent en grande difficulté sur le plan de la pédagogie. L’absence de retour finit par décourager les enseignants, qui constatent que, malgré leurs alertes, la situation semble stagner.
Concernant le recueil de la parole de l’enfant, il est crucial de reconnaître nos limites en tant qu’enseignants. Cette compétence spécifique nécessite une formation approfondie, comme celle dispensée aux enquêteurs de police ou de gendarmerie spécialisés dans ce domaine. Bien que la formation initiale ne puisse couvrir tous les aspects, il serait judicieux d’intégrer dans la formation continue de l’éducation nationale un minimum d’information sur ce sujet. Sans prétendre nous substituer aux professionnels spécialisés, cela permettrait d’éviter des erreurs potentiellement graves, particulièrement dans les cas de révélations de violences sexuelles ou physiques.
Je peux témoigner de mon expérience personnelle lors de mon premier stage, au cours duquel j’ai été confronté à un enfant présentant des marques de coups au visage. Cette situation m’a plongé dans un état de panique, d’autant plus que j’étais novice et que le directeur était absent. Fort heureusement, mes collègues ont pu contacter le médecin scolaire, qui a examiné l’enfant et pris les mesures nécessaires.
Nos collègues peuvent donc passer de toute bonne foi à côté de certains faits par manque de formation sur le sujet.
M. Brice Castel. Il est primordial de rappeler que notre rôle, au sein de l’éducation nationale, n’est pas de juger de la véracité des propos de l’enfant, mais bien de transmettre les éléments d’inquiétude afin que d’autres acteurs puissent mener le travail d’évaluation et d’enquête. Il est essentiel de former et sensibiliser les professionnels de l’éducation nationale sur ce point, car l’interrogation sur la véracité des propos est fréquente. Notre devoir est de transmettre l’information pour assurer la protection de l’enfant si nécessaire, sans nous préoccuper des suites.
Concernant la présence de travailleurs sociaux et d’éducateurs spécialisés dans les établissements, la FSU n’a pas de revendication spécifique. En revanche, nous plaidons depuis longtemps pour la mise en place d’équipes pluriprofessionnelles complètes dans tous les établissements et d’un service social dans le premier degré. Actuellement, la difficulté est que l’ensemble de l’éducation nationale compte 2 700 assistantes sociales, 7 800 infirmières et entre 500 et 600 médecins scolaires. Notre priorité est donc la présence à temps plein de ces professionnels dans les établissements, y compris dans le premier degré, où les besoins sont réels.
Par ailleurs, les retours d’information à la suite des IP et des signalements existent dans mon département. Ces retours sont prévus par les protocoles en vigueur, mais leur application reste très variable. J’ai personnellement reçu des « fiches navettes » de retour, bien que cela soit rare et souvent lacunaire. L’essentiel est de rassurer le signalant sur le fait que la situation est prise en charge et évaluée, sans entrer totalement dans le détail. Un équilibre est à trouver entre la nécessité d’informer au sein de l’établissement scolaire sur les mesures pouvant exister autour de la vie de l’élève et le respect de la vie privée.
Concernant les informations préoccupantes et le recours au 119, cette question se pose régulièrement dans nos services. Lorsque le traitement des IP semble bloqué, certains collègues envisagent de contacter le 119. Cependant, cela soulève une difficulté : en tant que fonctionnaires d’État, nous cherchons à poser un acte professionnel, ce que n’est pas le recours au 119. Cette question reste ouverte et nous n’avons pas de position tranchée à ce sujet. Il est aujourd’hui essentiel de redonner du souffle à l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, au sens large. Cela inclut non seulement les Crip et les institutions de l’ASE, mais également les circonscriptions d’action sociale et la pédopsychiatrie.
Enfin, concernant les Dasen, la culture de l’article 40, des IP et de la protection de l’enfance reste souvent méconnue. Les Dasen disposent de conseillères techniques de service social, d’infirmières et de médecins scolaires pour apporter leur expertise. La conseillère technique de service social est généralement l’interlocutrice privilégiée de la Crip, notamment lors des échanges entre la DSDEN et la Crip. Cependant, ces personnels ont vu leur charge de travail s’accroître considérablement, notamment avec l’ajout des questions de harcèlement, ce qui rend difficile le suivi exhaustif et centralisé de toutes ces missions. Cette surcharge soulève inévitablement la question des moyens alloués.
Mme Karine Fromont. La question du vocabulaire est primordiale, tant dans nos écrits que dans notre compréhension de ce qu’est un signalement.
Concernant les retours, nos collègues ne cherchent pas nécessairement à savoir si la situation a été résolue, mais plutôt si elle a été prise en charge. Ce retour est crucial, car il valide l’utilité de leur démarche de signalement, qui est souvent émotionnellement difficile. Ce retour représente une forme de reconnaissance de leur acte.
Concernant les moyens d’information, la question centrale est celle de la posture professionnelle. Lorsque nous agissons, en quelle qualité le faisons-nous ? La distinction entre un signalement au titre de l’article 40 et une IP n’est pas toujours claire, ce qui engendre une incertitude sur notre positionnement : agissons-nous en tant que citoyens, ou en tant que professionnels encadrant des enfants, avec l’obligation de signalement qui en découle ?
C’est précisément sur les formations relatives au vocabulaire, aux procédures, à l’identification des acteurs à solliciter et des personnes-ressources que nous devons progresser. C’est par ce biais que nous pourrons véritablement avancer sur cette problématique.
M. Christophe Lalande. Nous ne pensons pas qu’il soit pertinent d’affecter des éducateurs spécialisés au sein des établissements. Il existe déjà un besoin de ces professionnels, qui font défaut dans les établissements sociaux et médico-sociaux. Nous observons actuellement une tendance à dépecer ces établissements en envoyant les éducateurs spécialisés vers l’éducation nationale, notamment à travers la mise en place des pôles d’appui à la scolarité (PAS).
Il est important de rappeler que, pour le recueil de la parole, l’évaluation et l’observation des situations de violence ou de maltraitance, l’éducation nationale dispose déjà de personnels parfaitement qualifiés : les PsyEN, les assistants sociaux, les infirmiers et les médecins scolaires.
Le véritable enjeu pour traiter efficacement ces questions réside dans le rétablissement des effectifs nécessaires pour mener à bien ces missions. Ces personnels sont actuellement en nombre largement insuffisant. À titre d’exemple, on ne compte que 600 médecins scolaires en poste, alors que 1 500 postes sont budgétés, sans même parler des besoins réels. La situation de la médecine scolaire est particulièrement préoccupante.
M. Christophe Bonnet. Nous avons observé le développement d’une véritable culture de l’IP, bien que cela ait pris du temps, notamment dans le premier degré. En revanche, l’utilisation du 119 comme outil efficace et rapide pour effectuer un « signalement » ou communiquer une information en tant que professionnel n’est peut-être pas encore ancrée dans les esprits. Cela pourrait constituer un point de travail.
Quant à l’interaction entre le médico-social et l’éducation nationale, nous estimons qu’elle est nécessaire dans de nombreux cas. La mise en place des PAS nous semble indispensable pour résoudre certaines situations liées à l’école inclusive, car il s’agit d’un lieu d’interaction entre des professionnels aux formations et approches différentes, mais dont les sujets sont identiques. Le système éducatif scolarise la quasi-totalité d’une classe d’âge, ce qui en fait un lieu privilégié pour ce type de travail.
M. Laurent Kaufmann. Au sein de la CFDT, nous nous interrogeons sur le projet pour la jeunesse. Nous savons aujourd’hui que la violence envers les enfants est une réalité dans toutes les sociétés et nous disposons désormais de données statistiques à ce sujet. La question cruciale est : que faisons-nous de ces informations ? Dans nos espaces professionnels, qu’il s’agisse des institutions scolaires ou du périéducatif – avec lequel l’école doit impérativement travailler –, nous devons réfléchir à un projet pour la jeunesse ainsi qu’à un projet éducatif de territoire. Cela implique la construction d’un maillage.
Pour y parvenir, nous insistons sur l’importance de la formation initiale et continuée. Toutes les problématiques ne peuvent être résolues uniquement par la formation initiale des professionnels. Il serait irréaliste d’attendre des enseignants qu’ils maîtrisent les questions de protection de l’enfance dès lors qu’ils ont passé un concours. C’est pourquoi nous préconisons une approche basée sur la formation continuée, la formation continue et le développement d’une démarche pluriprofessionnelle sur ces sujets.
La France gagnerait à s’inspirer des pratiques mises en place ailleurs, notamment au Québec, qui a considérablement progressé sur ces questions. Ces avancées sont possibles, mais elles nécessitent une volonté politique et des moyens.
Enfin, nous avons tous indiqué que nous souffrons au quotidien dans les établissements scolaires du manque de personnel pour exercer nos métiers dans nos spécialités et collaborer. C’est précisément cette collaboration qui permettra de trouver des réponses.
Mme Marion Jasseron. J’adhère aux propos qui viennent d’être tenus.
Il est indéniable qu’une culture de l’IP s’est considérablement développée au sein du ministère. Bien que la chronologie exacte m’échappe, il me semble que les IP et les Crip ont été créés précisément pour permettre une prise en charge des situations avant le recours à l’article 40. En conséquence, nous sommes davantage incités à rédiger des IP, parfois même dans des cas qui ne relèvent pas strictement d’une IP.
Concernant le caractère anonyme des IP, je partage votre point de vue, tout en soulignant que la description des faits dans une IP permet souvent d’identifier aisément son auteur, particulièrement pour nous, personnels de l’éducation. Dans une école primaire, par exemple, l’enseignant est généralement le premier interlocuteur d’un enfant. Même si potentiellement trois ou quatre personnes pourraient être à l’origine de l’information, il est relativement aisé de déterminer qui a effectivement rédigé cette IP.
Il est impératif de procéder à des recrutements de personnels médico-sociaux, de garantir une formation adéquate pour ceux qui recueillent les témoignages et de les protéger contre toute forme de répression.
Concernant la présence des éducateurs spécialisés dans les établissements, nous préconisons, au sein de SUD éducation, que les AED bénéficient d’un statut proche de celui des éducateurs scolaires, accompagné d’une professionnalisation et d’une formation appropriée. Ces personnels, en contact direct avec les enfants, sont parfaitement à même de recueillir leur parole, à condition d’être correctement formés.
L’école, en tant que lieu de rassemblement principal des enfants et espace d’apprentissage de la vie en société, se doit d’être exemplaire en matière de protection. Il est donc crucial de prendre en charge cette problématique.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous vous remercions pour votre venue et vos propos.
La séance s’achève à douze heures quarante.
Présents. – Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Marie Mesmeur, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. José Beaurain, M. Arnaud Bonnet, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Véronique Riotton, Mme Nicole Sanquer