Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. Christian Mirande, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau du 1er janvier 1989 au 1er septembre 2002 2
– Présences en réunion..............................13
Jeudi
10 avril 2025
Séance de 12 heures
Compte rendu n° 58
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à douze heures.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre de l’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958), M. Christian Mirande, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau du 1er janvier 1989 au 1er septembre 2002.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Cette audition a pour objectif d’éclairer le traitement judiciaire des plaintes pour viol visant Pierre Carricart, ancien directeur de Notre-Dame de Bétharram aujourd’hui décédé et de déterminer, le cas échéant, les défaillances de l’État dans la gestion de ce dossier.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Dominique Marchand, Mme Cristelle Gillard et M. Erick Roser prêtent serment.)
Pouvez-vous, tout d’abord, nous indiquer les fonctions que vous occupiez en 1998 ? Pouvez-vous également rappeler les faits pour lesquels Pierre Carricart, ancien chef d’établissement, avait été mis en cause ?
M. Christian Mirande, juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau. En 1998, j’étais juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau. Le parquet de Pau, en la personne de M. Drénaud, procureur, avait ouvert dans mon cabinet une information contre X pour des faits de violences sexuelles et viols.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’aimerais revenir avec vous sur deux événements survenus en 1998. Le premier concerne la présentation du père Carricart devant vous, le 26 mai de cette année-là. Le second porte sur un échange que vous auriez eu avec François Bayrou, alors président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et député, au cours duquel vous lui auriez révélé des faits de violences sexuelles commis à Bétharram.
Commençons par la journée du 26 mai 1998, plus précisément par le moment où le gendarme Hontangs, que nous venons d’entendre sous serment devant cette commission d’enquête, vous présente, à l’issue de sa garde à vue, le père Carricart, alors mis en cause pour viol sur un ancien élève de l’établissement. Le gendarme Hontangs vient de réitérer, sous serment, les propos qu’il avait déjà tenus le 16 février dernier sur TF1. Il affirme en effet que, lorsqu’il est arrivé devant votre bureau, vous lui auriez déclaré : « Il y a un problème. La présentation va être retardée, le procureur général demande à voir le dossier et M. Bayrou est intervenu. » Confirmez-vous le déroulement de cet épisode tel qu’il vient d’être rapporté, au moment où le gendarme Hontangs s’est présenté avec le père Carricart à la porte de votre bureau ?
M. Christian Mirande. Oui, bien qu’il me faille préciser que je ne dispose plus d’aucun élément relatif à ce dossier et ne m’appuie que sur mes souvenirs. Il est exact que M. Hontangs m’a présenté le père Carricart en m’indiquant qu’il fallait patienter, le procureur général souhaitant consulter le dossier. Quant au fait que j’aie pu lui dire que M. Bayrou était intervenu, si cette remarque a bien été formulée, c’est nécessairement par moi, toutefois je n’en garde aucun souvenir. Ce dont je me souviens, en revanche, c’est qu’au bout d’un certain temps, le père Carricart m’a effectivement été présenté. À cette époque, le procureur général avait déclaré que je devais prendre la décision que j’estimais appropriée.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous indiquez donc vous souvenir d’avoir informé les gendarmes, notamment M. Hontangs, que le procureur général demandait un report de la présentation du père Carricart. En revanche, vous affirmez ne pas vous rappeler avoir précisé que cette demande de report émanait initialement d’une intervention de François Bayrou. Pourtant, ce matin même, devant cette commission d’enquête, le gendarme Hontangs a affirmé qu’un autre membre de la section de recherches de Pau, le gendarme Matrassou, avait également été informé de l’intervention de François Bayrou par des propos que vous lui auriez rapportés vous-même. Cette information ravive-t-elle un souvenir ?
M. Christian Mirande. Je connais parfaitement ces deux gendarmes, en qui j’ai toujours eu une entière confiance. S’ils affirment que ces propos ont été tenus, c’est très certainement qu’ils l’ont été. Pour ma part, je ne conserve aucun souvenir précis à ce sujet. Je rappelle que ces faits remontent à vingt-huit ans et que je ne dispose d’aucune archive. Je ne peux donc m’appuyer que sur ma mémoire, qui reste parcellaire. Ce dont je me souviens clairement, en revanche, c’est qu’il m’avait bien été demandé de différer la présentation du père Carricart.
M. Paul Vannier, rapporteur. Et vous vous souvenez que cette demande émanait du procureur général. Comment avez-vous interprété cette initiative, sachant qu’en principe une telle demande n’est ni recevable ni autorisée, puisqu’elle constitue une intervention dans une procédure judiciaire sur laquelle, à cette étape, le procureur général n’est normalement pas compétent ?
M. Christian Mirande. Cela m’avait quelque peu surpris, dans la mesure où le procureur général s’adressait rarement directement aux juges d’instruction. Il avait plutôt pour habitude de passer par le procureur de son propre parquet, en l’occurrence celui de Pau. Cette démarche m’avait donc étonné à l’époque et elle continue de m’interroger aujourd’hui. Je ne peux toutefois rien affirmer quant au fait que le procureur général ait effectivement demandé la communication du dossier, d’autant qu’il devait déjà en disposer à ce moment-là.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous confirmez donc que cette intervention est absolument exceptionnelle, qu’elle vous surprend, que vous ne la comprenez pas au moment où elle est effectuée.
M. Christian Mirande. Tout à fait. Il s’agissait probablement, à l’époque, de la première fois que cela arrivait.
M. Paul Vannier, rapporteur. Comment interprétez-vous le fait que cette demande, émanant du procureur général, revête un caractère tout à fait exceptionnel et qu’elle intervienne précisément dans le cadre du dossier concernant le père Carricart ?
M. Christian Mirande. Il me paraît difficile d’émettre une opinion là-dessus, sinon que le statut social de M. Carricart influait probablement sur les demandes de renseignement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pourriez-vous développer ce que vous entendez par « statut social » ?
M. Christian Mirande. Je ne le connaissais pas personnellement, mais il s’agissait d’une figure jouissant d’une certaine reconnaissance sociale, en tant que directeur d’un établissement bien connu dans la région, ce qui le plaçait parmi les notabilités locales.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ce commentaire permet en tout cas de constater que le père Carricart était connu dans le département des Pyrénées-Atlantiques et plus particulièrement dans le secteur de Pau.
J’aimerais désormais revenir sur votre rencontre de 1998 avec François Bayrou, alors président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et député. Lors de cet échange, vous lui auriez révélé l’existence de faits de violences sexuelles survenus à Bétharram. Conservez-vous un souvenir précis de la date de cette rencontre ?
M. Christian Mirande. Non, je n’en ai aujourd’hui aucun souvenir précis. Si j’avais le dossier sous les yeux, il me serait sans doute plus aisé de vous répondre. Cela étant, cette rencontre ne m’a ni surpris ni étonné, car je connaissais M. Bayrou depuis plusieurs années déjà. Nous étions alors voisins et il nous arrivait de nous croiser à nos domiciles respectifs. Cette situation s’était déjà produite et, lorsqu’il est venu me voir, il me semble qu’il cherchait à se renseigner sur les faits en cours. Il exprimait alors une vive inquiétude, notamment au sujet de son fils qui était élève à Bétharram. Lors de cet échange, il a manifesté une très grande incrédulité : il ne parvenait pas à croire à la réalité des faits qui lui étaient rapportés.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous déclarez que François Bayrou est venu vous voir et cette affirmation s’inscrit dans la continuité de ce que vous avez toujours soutenu, notamment dans les entretiens accordés au journal Le Monde en mars 2024 et à Médiapart en février 2025, où vous indiquiez également qu’il avait pris l’initiative de cet échange. Or lors d’une conférence de presse tenue le 15 février dernier, François Bayrou a présenté cette rencontre comme étant fortuite. Pourriez-vous revenir sur cette divergence de récits ? Cette entrevue résultait-elle, selon vous, d’un hasard, ou bien s’agissait-il bien d’une démarche volontaire de la part de François Bayrou ?
M. Christian Mirande. Il ne s’agissait évidemment pas d’une rencontre fortuite, puisqu’il s’est rendu à mon domicile, qu’il connaissait déjà bien, pour évoquer ce sujet. J’ai d’ailleurs été surpris qu’il présente les choses de cette manière, car il m’a semblé que, pour un fait aussi simple, cela revenait à attirer l’attention médiatique sur un point qui ne méritait pas d’être ainsi mis en lumière. Je n’ai donc pas bien compris sa démarche. Il me semble qu’il a d’abord nié l’existence même de la rencontre, avant de la qualifier de fortuite, puis finalement de reconnaître que nous nous étions bien entretenus. Je n’ai rien d’autre à ajouter, si ce n’est qu’il ne s’agissait en aucun cas d’un échange fortuit, puisqu’il a expressément pris l’initiative de venir à mon domicile.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous indiquez donc clairement, sous serment, qu’il s’agissait bien d’une démarche volontaire de François Bayrou, venu à votre domicile pour cet échange. Or de son côté, François Bayrou déclarait, le 15 février 2025, que cette rencontre aurait eu lieu fortuitement, au détour d’un chemin, après qu’il vous aurait croisé par hasard. Pouvez-vous nous confirmer, de manière formelle, que cet échange s’est bien tenu chez vous, et non sur un chemin, comme il l’a affirmé ?
M. Christian Mirande. Tout à fait, cet échange s’est bien déroulé à mon domicile. D’ailleurs, l’une de mes filles se trouvait présente à ce moment-là.
M. Paul Vannier, rapporteur. François Bayrou affirme également que vous auriez évoqué le sujet des violences sexuelles et des crimes commis par le père Carricart, « au détour d’une phrase ». Or dans l’entretien que vous avez accordé au journal Le Monde en 2024, vous avez décrit cette discussion comme un échange ayant duré toute une après-midi. Pourriez-vous revenir sur la durée réelle de cet entretien ?
M. Christian Mirande. Il m’est difficile, avec le recul, de quantifier précisément la durée de cet échange. Dire qu’il a occupé toute une après-midi est peut-être excessif, toutefois il a incontestablement duré plusieurs heures, au minimum deux.
M. Paul Vannier, rapporteur. Permettez-moi de faire un bref point d’étape. François Bayrou affirme vous avoir croisé par hasard. Vous indiquez, pour votre part, qu’il est venu expressément vous trouver. Il situe la rencontre sur un chemin, tandis que vous nous indiquez, sous serment, qu’elle s’est tenue à votre domicile. Il évoque un échange bref, intervenu, selon ses propres termes, « au détour d’une phrase », alors que vous nous avez précisé qu’il s’agissait d’un entretien de plusieurs heures. Or le 12 mars 2024, dans les colonnes du journal Le Monde, François Bayrou déclare : « Jamais je n’ai été au courant de cette histoire. À ce moment-là, je n’ai jamais entendu parler des accusations de viol. » Cette déclaration vous semble-t-elle sincère, compte tenu de la discussion approfondie que vous dites avoir eue à votre domicile avec lui, précisément à propos des crimes commis par le père Carricart ?
M. Christian Mirande. Il convient tout d’abord de rappeler qu’à cette époque, les médias locaux, et probablement nationaux, avaient largement relayé la teneur des faits reprochés au père Carricart. Lorsqu’il est venu me voir, il me semble donc évident qu’il en avait nécessairement pris connaissance par le biais de cette couverture médiatique. Quant à moi, je n’ai échangé avec lui que sur des éléments relevant strictement de ce qui avait été rendu public. Je ne suis pas allé au-delà, afin de ne pas compromettre le secret de l’instruction.
M. Paul Vannier, rapporteur. En 1998, François Bayrou sait donc qu’il y a eu des violences sexuelles à Bétharram.
M. Christian Mirande. Au moment où il est venu me voir, oui, considérant que les médias avaient largement diffusé l’information.
M. Paul Vannier, rapporteur. Lorsqu’il vient vous trouver, vous avez indiqué qu’il manifestait une inquiétude liée à la situation de son propre fils, alors scolarisé à l’établissement de Bétharram. A-t-il exprimé, au cours de cet échange, une préoccupation plus large concernant d’autres élèves, voire l’ensemble des élèves de l’établissement, qui auraient également pu être exposés à des agresseurs ?
M. Christian Mirande. Non, absolument pas. Il n’a évoqué que son fils, dont la situation l’inquiétait particulièrement. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il n’arrivait pas à croire à la réalité des faits. Je me souviens très précisément qu’il répétait à plusieurs reprises : « C’est incroyable, c’est incroyable. »
M. Paul Vannier, rapporteur. Je rappelle qu’en 1998, en sa qualité de président du conseil départemental, François Bayrou avait notamment la responsabilité de la protection de l’enfance. Vous nous indiquez que, lors de cet échange, sa seule préoccupation portait sur la situation de son propre fils. Par ailleurs, vous précisez que les éléments que vous lui avez communiqués étaient déjà accessibles dans la presse. À l’issue de votre conversation, avez-vous eu le sentiment que François Bayrou était apaisé, rassuré ou, au contraire, que son inquiétude s’était trouvée renforcée ?
M. Christian Mirande. Non, il n’était pas rassuré. Il est reparti avec sa perplexité.
M. Paul Vannier, rapporteur. Comment qualifieriez-vous l’ensemble des déclarations récentes du premier ministre, tant dans la manière dont il a décrit l’échange que vous avez eu avec lui, que dans sa position consistant à nier avoir eu connaissance, dès 1998, des violences sexuelles survenues à Bétharram ?
M. Christian Mirande. Je pense que sa mémoire lui fait défaut, car il y a là une réalité que je n’ai jamais oubliée. J’ai toujours maintenu avec constance dans mes déclarations l’échange que nous avions eu. Je n’ai d’ailleurs pas compris qu’il ait pu, dans un premier temps, l’occulter puis, par la suite, en atténuer la portée.
M. Paul Vannier, rapporteur. En mars 2024, vous avez déclaré au journal Le Monde avoir refusé, en 1998, la remise en liberté du père Carricart en raison des doutes que vous nourrissiez quant à ses liens avec la « nomenklatura locale ». À vos yeux, François Bayrou faisait-il partie de cette « nomenklatura locale » ?
M. Christian Mirande. Je ne peux pas l’affirmer avec certitude mais plusieurs éléments allaient dans ce sens. Son épouse enseignait notamment le catéchisme dans l’établissement et, par ailleurs, au moins deux de ses enfants y étaient scolarisés. À partir de là, il était raisonnable de supposer qu’il avait, à un moment ou à un autre, rencontré le père Carricart.
M. Paul Vannier, rapporteur. Craigniez-vous qu’en cas de remise en liberté du père Carricart, celui-ci puisse entretenir des relations avec cette « nomenklatura locale » dont François Bayrou semblait être une figure ? Et, si tel était le cas, quelle était l’origine de cette crainte ?
M. Christian Mirande. Oui, tout à fait. Cette inquiétude était d’autant plus fondée que l’avocat de Pierre Carricart, maître Legrand, également maire de Montaut, commune voisine de Bétharram, avait constitué un comité de soutien regroupant de nombreuses personnalités locales. La plupart étaient d’anciens élèves de l’établissement. Dans ce contexte, nous pouvions effectivement redouter des interférences entre ces notables, voire avec monsieur Bayrou.
M. Paul Vannier, rapporteur. Que faut-il entendre précisément par « interférences » ?
M. Christian Mirande. J’entends par là l’existence de relations susceptibles d’amoindrir ou de relativiser la gravité des faits en cause.
M. Paul Vannier, rapporteur. À votre connaissance, François Bayrou est-il intervenu, d’une manière ou d’une autre, dans la remise en liberté sous contrôle judiciaire ou dans l’assouplissement du contrôle judiciaire du père Carricart ?
M. Christian Mirande. Je ne dispose d’aucun élément permettant de l’affirmer. Cependant, le fait qu’il ait été dit, ou que j’aie pu moi-même dire, que M. Bayrou était intervenu auprès du procureur général pourrait aller dans ce sens.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je souhaiterais revenir sur le contenu de l’entretien que vous avez indiqué avoir eu avec François Bayrou, sans pouvoir en préciser la date exacte. D’après vos déclarations, cette conversation aurait duré plusieurs heures. À ce moment-là, l’affaire du père Carricart faisait déjà l’objet d’une large couverture médiatique. Compte tenu de la proximité de vos domiciles respectifs, était-il habituel qu’un responsable politique s’entretienne avec un juge d’instruction au sujet d’une affaire en cours ?
M. Christian Mirande. À l’époque, cela ne m’avait pas surpris, compte tenu de qui était M. Bayrou. Nous étions voisins et entretenions une relation amicale, certes non régulière, mais assez fréquente. Sa démarche ne m’avait donc pas étonné. De surcroît, les faits étaient déjà largement exposés dans la presse. En parler avec lui, dans ce contexte, ne posait pas de difficulté particulière à mes yeux. Il s’agissait d’un échange informel, à bâtons rompus.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous évoquez une discussion prolongée, tout en précisant que celle-ci n’aurait porté que sur l’affaire Carricart et sur l’inquiétude de M. Bayrou pour l’un de ses enfants. Comment expliquez-vous que cet échange ait été aussi long ? Avez-vous abordé d’autres sujets, tels que la réputation de Bétharram ou les liens entre l’établissement et son environnement ? Sur quels aspects précis cette conversation a-t-elle porté, selon votre souvenir ?
M. Christian Mirande. Je ne garde pas, vingt-huit ans après, un souvenir détaillé de l’ensemble de nos échanges. Je me souviens toutefois que le sujet principal était bien Bétharram et les faits reprochés au père Carricart. À mes yeux, ces faits étaient déjà établis et je les considérais comme profondément révoltants, voire ignobles. J’avais exprimé cette opinion sans détour à M. Bayrou qui, pour sa part, peinait à y croire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. À cette époque, les informations disponibles faisaient état de la réputation de Bétharram comme étant un établissement de redressement aux méthodes particulièrement dures. De nombreuses familles, encore aujourd’hui, témoignent de leur expérience ou de celle de proches et rapportent que la punition suprême dans certains établissements du Sud-Ouest consistait à être envoyé à Bétharram. Lors de votre entretien avec M. Bayrou, au-delà des soupçons de viol pesant sur le père Carricart, aviez-vous connaissance d’autres éléments ? Vous souvenez-vous de ce que vous évoquiez précisément à propos de l’établissement ?
M. Christian Mirande. En tant que citoyen, je connaissais Bétharram, comme la plupart des habitants de la région, comme un établissement réputé pour sa rigueur, sa discipline stricte et son attachement à une forme d’éducation traditionnelle, mais également pour ses excellents résultats en matière de réussite scolaire. En revanche, je n’avais pas connaissance de faits précis de violence physique, et encore moins de violences sexuelles.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez qualifié d’ignobles les faits de viol pour lesquels le père Carricart a été mis en examen. Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris sa remise en liberté, intervenue le 9 juin 1998 ? À la lumière de votre expérience, cette décision vous a-t-elle paru prévisible ou attendue ? Compte tenu de la notoriété et de l’influence que vous attribuez au père Carricart, avez-vous été surpris ? Cette décision vous a-t-elle semblé ordinaire ou, au contraire, inhabituelle ?
M. Christian Mirande. Je vais m’efforcer de modérer mes propos. L’annonce de sa remise en liberté m’a profondément surpris, car cette décision allait à l’encontre de toute attente. Il suffisait de lire ne serait-ce que la déclaration de la première victime, Franck, dont je vais rappeler les détails, pour s’en convaincre.
Le jour du décès du père de l’enfant, l’institution a prévenu Pierre Carricart que l’enfant devait se rendre à Bordeaux pour les obsèques. Pierre Carricart, chargé de s’occuper de l’enfant, est venu le réveiller et l’a conduit dans sa salle de bain privée où il l’a déshabillé. Il a ensuite tenté de le pénétrer et, n’y parvenant pas, il a alors introduit son sexe dans la bouche de l’enfant, éjaculant dans sa bouche et sur son visage. Quand je parle de faits ignobles, le terme d’ignominie me semble amplement justifié pour les décrire. L’enfant a été violé, ce qui n’était apparemment pas la première fois pour lui, puisque d’autres faits s’étaient déjà produits dans les dortoirs. Il faut également savoir que ces actes, ainsi que d’autres survenus ultérieurement, concernaient principalement les enfants en internat, et non ceux en externat ou demi-pension, dont faisaient partie les enfants de M. Bayrou.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez indiqué, lorsque je vous ai interrogé sur votre réaction à la remise en liberté du père Carricart sous contrôle judiciaire, vouloir modérer vos propos. Pouvez-vous, sans retenue cette fois, exprimer ce que vous avez ressenti et dit autour de vous au moment où vous avez appris cette nouvelle ?
M. Christian Mirande. Cette nouvelle m’a profondément révolté. La simple lecture du premier procès-verbal d’audition de la première victime était en soi suffisamment accablante pour qu’à aucun moment il ne puisse être sérieusement envisagé une remise en liberté. J’ai ressenti une vive indignation et je n’étais nullement seul dans ce sentiment puisque plusieurs greffiers partageaient pleinement mon émotion. D’autres membres du tribunal, y compris un certain nombre d’avocats, à l’exception de ceux gravitant autour de maître Legrand, se disaient également consternés. Je ne comprenais absolument pas cette décision. Les motivations avancées peuvent toujours prêter à interprétation et cela est malheureusement très facile. Dans ce cas précis, la chambre d’accusation a formulé une motivation presque automatique, comme cela se produit parfois, pour justifier la remise en liberté de Pierre Carricart.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous exprimez donc à la fois votre sentiment de révolte et affirmez ici, sous serment, avoir discuté avec de nombreuses personnes de votre entourage en commentant cette décision qui vous révoltait. À l’époque, avez-vous pu entreprendre une action ?
M. Christian Mirande. À l’époque, je me trouvais, en tant que juge d’instruction, dans l’impossibilité d’agir. J’avais, pour ainsi dire, les mains liées et ne voyais aucune voie de recours qui aurait pu être mobilisée. J’étais contraint de me soumettre à la décision de la chambre d’accusation qui, je le rappelle, était une juridiction collégiale composée de trois magistrats. Cette décision avait été prise par son président, sur réquisition du représentant du parquet général. Il me semble qu’il s’agissait, à l’époque, de l’avocat général François Basset, qui avait requis la remise en liberté. Cette configuration avait, d’une certaine manière, permis à la chambre d’accusation de prendre une décision qui lui convenait à la lumière de la personnalité de l’accusé. Cette situation m’a profondément révolté, à tous les niveaux, y compris du point de vue de la protection des victimes, puisqu’il s’agissait de remettre en liberté un prédateur qui s’est avéré récidiviste par la suite, au détriment d’enfants potentiellement exposés à de nouvelles agressions.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je vais vous lire un extrait d’un courrier daté du 15 juin 1998, adressé par le procureur général de Pau, Dominique Rousseau, à Mme la garde des Sceaux. Ce courrier, envoyé six jours après la remise en liberté du père Carricart, débute ainsi : « J’ai l’honneur, en vous confirmant les termes de mon compte rendu téléphonique du 26 mai 1998, de vous informer du déroulement de la procédure criminelle concernant le père Carricart ». Il expose ensuite les faits en les présentant au conditionnel, mentionne la mise en détention puis l’ordonnance de remise en liberté. Dans la partie intitulée Perspectives, il écrit à la ministre : « En l’état, l’information ne porte que sur les faits dénoncés par une seule personne, mais le plaignant a évoqué d’autres faits susceptibles d’avoir été commis par des enseignants religieux et sur divers élèves. L’information aura à vérifier ce qu’il en est. L’institution Notre-Dame de Bétharram est très connue dans le Sud-Ouest et reçoit des pensionnaires de toute la région, y compris de Bordeaux et de Toulouse. » Avez-vous eu connaissance de ce courrier adressé à la ministre quelques jours après la remise en liberté ?
M. Christian Mirande. Non, je n’ai absolument pas eu connaissance de ce courrier, n’étant normalement pas destinataire de ce type de documents.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. À la lecture de ce courrier, quelle est votre réaction ?
M. Christian Mirande. Je trouve regrettable que malgré l’existence de ce courrier, le parquet général ait tout de même requis la remise en liberté de Pierre Carricart, alors que ce document ouvrait pourtant la perspective d’une enquête complémentaire.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Le paragraphe que je vous ai lu présente les faits comme étant dénoncés par une seule personne, ce qui pourrait contribuer à justifier la remise en liberté intervenue quelques jours auparavant. Il confirme également vos propos sur la notoriété du père Carricart et de l’institution Notre-Dame de Bétharram dans le Sud-Ouest. Mais ce courrier contient également la phrase « l’information aura à vérifier ce qu’il en est ». Le procureur général l’écrit parce que le plaignant a évoqué d’autres faits susceptibles d’avoir été commis. Après cette remise en liberté, avez-vous eu connaissance d’autres faits ? Des informations judiciaires ont-elles été poursuivies ? Que s’est-il passé ensuite, selon ce que vous savez ?
M. Christian Mirande. Une deuxième victime s’était ensuite manifestée, ce qui m’avait conduit à prévoir une nouvelle audition du père Carricart. J’avais par ailleurs découvert de manière fortuite l’existence d’une troisième victime. Je n’ai malheureusement pas pu instruire ce dernier cas puisque la mère de l’enfant, qui avait été violé par un ecclésiastique de Bétharram (probablement Carricart, bien que je ne puisse l’affirmer avec certitude), travaillait au sein de l’institution et craignait de perdre son emploi en révélant les faits concernant son fils.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Si je comprends bien, après la remise en liberté conditionnelle du père Carricart, vous avez poursuivi des investigations en lien avec la seconde plainte pour viol, ce que les gendarmes nous ont d’ailleurs confirmé. En revanche, concernant les éléments évoqués dans le courrier, à savoir le père Carricart lui-même et la première victime, il n’y aurait plus eu d’investigations après cette remise en liberté. Est-ce exact ?
M. Christian Mirande. Vous avez tout à fait raison. À ce moment-là, Pierre Carricart se trouvait à des milliers de kilomètres du lieu d’instruction de l’information judiciaire. Dans ces conditions, il m’était extrêmement difficile de l’interroger à nouveau, de procéder à une confrontation, d’ordonner les expertises médico-psychologiques et psychiatriques nécessaires ou encore de mener une enquête de personnalité. Toutes ces démarches, pourtant essentielles à l’instruction, ont été rendues inopérantes par la situation.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Si je comprends bien votre explication, la remise en liberté conditionnelle, suivie de l’assouplissement du contrôle judiciaire intervenu le 29 juin 1999, qui a autorisé Pierre Carricart à résider à Rome, a entravé toutes les investigations complémentaires que vous venez d’énumérer. Or ces investigations auraient été déterminantes, notamment au regard de la seconde plainte pour viol et des autres faits potentiels évoqués.
M. Christian Mirande. Vous avez parfaitement saisi la situation. Ces circonstances ont effectivement rendu impossible la poursuite de l’information judiciaire. Certains pourraient objecter qu’il aurait été envisageable de poursuivre malgré la distance, mais une telle hypothèse méconnaît totalement les réalités pratiques du déroulement d’une instruction à cette époque.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Le père Carricart s’est suicidé en 2000 alors qu’il était convoqué dans le cadre d’une seconde plainte. Quelle a été votre réaction face à cette nouvelle ? Quelles ont été les suites de l’enquête ? Malgré ce suicide, qui a mis un terme à une partie de l’instruction, votre travail a-t-il eu des conséquences, directes ou indirectes ?
M. Christian Mirande. À la suite du suicide de Pierre Carricart, j’ai immédiatement demandé aux autorités italiennes la transmission du rapport d’autopsie. Un élément qui a alors particulièrement attiré mon attention était la taille indiquée dans le rapport, qui ne correspondait pas à celle de l’homme que j’avais rencontré à deux reprises, avec une différence allant de cinq à dix centimètres. Face à cette anomalie, j’ai pris la décision de faire exhumer le corps et de procéder à une nouvelle autopsie à Pau, après son transfert. Cette démarche a permis de confirmer qu’il s’agissait bien de lui.
Il faut savoir que son avocat, maître Boulanger, et moi-même, avions envisagé l’hypothèse d’une substitution de corps, dans l’éventualité où Carricart aurait été envoyé dans une autre maison de Bétharram à l’étranger, sachant qu’il en existe notamment en Afrique et en Amérique du Sud.
La confirmation de son identité a, malheureusement, conduit à l’extinction de l’action pénale, son décès étant intervenu sans qu’aucune autre mise en cause n’ait été établie. Le dossier a ainsi été clos, de manière regrettable.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’aimerais revenir sur votre échange de 1998 avec François Bayrou, au cours duquel vous lui décrivez des faits que vous avez qualifiés d’ignobles et de révoltants auxquels il a du mal à croire. Pourriez-vous préciser ce qui, selon vous, lui semblait invraisemblable ?
M. Christian Mirande. François Bayrou semblait avoir du mal à admettre que Pierre Carricart, qu’il paraissait connaître, ait pu commettre de tels actes. À ce moment-là, nous n’avions connaissance que du premier viol. Son incrédulité laissait supposer qu’il connaissait personnellement le père Carricart et qu’il avait de lui une image incompatible avec les faits évoqués.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il apparaît en effet évident qu’il connaissait le père Carricart, et qu’il s’était forgé une représentation de sa personnalité suffisamment forte pour juger sa conduite inconcevable au regard des accusations. Je tiens à insister sur ce point, car nous sommes en 1998, et il est important de rappeler que, lors d’un échange en février 2025 à la mairie de Pau, face aux victimes de Bétharram, François Bayrou, alors maire de Pau et premier ministre de la France, a affirmé ne pas connaître le père Carricart.
M. Christian Mirande. Cette affirmation me semble inexacte. Plusieurs éléments, au premier rang desquels sa propre réaction d’incrédulité face aux accusations, tendent à démontrer qu’il le connaissait, puisque son épouse enseignait dans l’établissement et que ses enfants y étaient scolarisés. Tout cela suggère une connaissance personnelle de Pierre Carricart et une certaine familiarité avec sa personnalité.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Depuis que vous avez commencé à vous exprimer publiquement sur cette affaire en 2024, quelles ont été les réactions dans votre entourage ? Résidez-vous toujours dans le même secteur, au même domicile qu’à l’époque ?
M. Christian Mirande. Je vous confirme que je réside toujours au même domicile.
J’ai reçu des réactions très diverses. Dès le décès du père Carricart, certains membres du clergé ont exprimé une hostilité marquée à mon égard. Je me souviens en particulier d’avoir été violemment critiqué lors d’une messe dominicale tenue dans une commune proche de Bétharram. J’ai également reçu le soutien de plusieurs ecclésiastiques, ce qui montre que le père Carricart ne faisait pas l’unanimité au sein de sa propre communauté.
J’ai également été la cible de l’hostilité du comité de soutien au père Carricart et de certains avocats alignés sur la position de maître Legrand. Je dois reconnaître que j’ai traversé des périodes particulièrement éprouvantes.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Depuis vos déclarations précises dans la presse au cours de l’année écoulée, avez-vous reçu d’autres réactions ou sollicitations, que ce soit à l’échelle locale ou nationale ?
M. Christian Mirande. Je n’ai reçu aucune réaction négative et ai au contraire bénéficié de la compréhension et du soutien de l’ensemble des médias avec lesquels je me suis entretenu. Cette affaire a pris une ampleur considérable, avec près de deux cents victimes révélées à ce jour. Je ne peux m’empêcher de penser que si les investigations n’avaient pas été interrompues par la remise en liberté de Pierre Carricart, nous aurions pu identifier d’autres victimes à temps et leur épargner les violences qu’elles ont subies. Parmi les nombreux dossiers que j’ai eus à traiter dans ma carrière, celui-ci me laisse le plus d’amertume et de regrets.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Il est également essentiel de rappeler que la prescription constitue un obstacle majeur dans cette affaire. Des révélations auraient pu survenir plus tôt si l’affaire Carricart n’avait pas été aussi rapidement étouffée, comme nous l’avons entendu à de nombreuses reprises au cours de cette commission d’enquête.
M. Christian Mirande. La gestion de cette affaire par l’institution judiciaire a été désastreuse. La première défaillance a été la remise en liberté de Pierre Carricart. La seconde, tout aussi lourde de conséquences, a été l’assouplissement de son contrôle judiciaire, qui lui a permis de résider à l’étranger et a compromis la poursuite de l’information et des investigations. Cela est d’autant plus regrettable que j’avais, à mes côtés, les gendarmes Hontangs et Matrassou, des enquêteurs d’une qualité exceptionnelle en qui j’avais, et ai toujours, entièrement confiance. Il est profondément regrettable que nous ayons manqué une telle occasion d’aller jusqu’au bout de cette affaire.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je note, avec une grande considération, que vous conservez une mémoire remarquable des événements, malgré l’absence de documents écrits. Votre témoignage, à bien des égards, fait autorité.
La séance est levée à douze heures cinquante.
Présents. – M. Arnaud Bonnet, Mme Florence Herouin-Léautey, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. José Beaurain, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer