Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. François Bayrou, premier ministre, ancien ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche 2
– Présences en réunion..............................75
Mercredi
14 mai 2025
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 75
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
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La séance est ouverte à dix-sept heures vingt-cinq.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), M. François Bayrou, premier ministre, ancien ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant M. François Bayrou, premier ministre.
Comme vous le savez, monsieur le premier ministre, ce qu’on appelle désormais l’affaire Bétharram a conduit notre commission à se doter des pouvoirs et des prérogatives d’une commission d’enquête afin d’analyser, au-delà d’un seul établissement, un phénomène qui touche largement l’institution scolaire, qu’il s’agisse d’établissements scolaires publics ou privés.
Si notre champ d’investigation ne se limite pas à ce cas particulier, il faut bien constater que celui-ci présente des spécificités objectives : l’ampleur, la gravité et la persistance au cours du temps de faits de violences physiques et sexuelles commis par des adultes ayant autorité sur des élèves ; le nombre de victimes potentielles ; la manière dont les cas de violences ont été traités – ou ne l’ont pas été –, dès les années 1990 et jusqu’à récemment, par les différentes autorités concernées – scolaire, judiciaire, politique ; le fait que votre nom ait été associé à cette affaire compte tenu des différentes responsabilités que vous avez exercées – député des Pyrénées-Atlantiques de 1986 à 1993, de 1997 à 1999 et de 2001 à 2021, président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques de 1992 à 2001, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche de 1993 à 1997.
Monsieur le premier ministre, nous avons auditionné Mme Françoise Gullung, ancienne professeure au sein de l’établissement Notre-Dame de Bétharram, M. Alain Hontangs, ancien gendarme affecté à la section de recherche de la gendarmerie de Pau, et M. Christian Mirande, ancien juge d’instruction au tribunal de grande instance de Pau. Ils étaient tous sous serment. Leurs propos n’ont jamais varié. Vous aussi, monsieur le premier ministre, aujourd’hui, vous êtes sous serment. Nous attendons de vous la vérité.
Concernant le déroulé de l’audition, je précise qu’elle est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale et qu’elle y sera consultable en vidéo. Elle fera également l’objet d’un compte rendu écrit, qui sera publié. Notre échange prendra la forme de questions et de réponses. Je vous poserai une première question et donnerai ensuite la parole aux rapporteurs, Mme Violette Spillebout et M. Paul Vannier.
Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. François Bayrou prête serment.)
Comme lors de toutes nos auditions, nous commencerons directement par l’exercice des questions et des réponses, sans propos liminaire de votre part. Si, à la fin de l’audition, vous souhaitez évoquer des éléments qui n’auraient pas été abordés pendant les échanges, vous pourrez le faire librement.
Ma première et ma seule question est la suivante. Monsieur le premier ministre, avez-vous été membre à quelque titre que ce soit d’un organe de gouvernance ou de consultation de l’établissement Notre-Dame de Bétharram ? Si oui, pouvez-vous s’il vous plaît nous indiquer en quelle qualité et à quelle période ?
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, il faut d’abord essayer de préciser des choses. Vous voulez m’interdire un propos liminaire ; excusez-moi, mais j’ai deux ou trois choses à dire pour préciser le cadre de cet entretien. Vous venez de dire, par exemple, que j’ai été député jusqu’en 2021. C’est faux. J’ai été député jusqu’en 2012 ; c’est presque dix ans de moins. Cela mérite que l’on précise les choses.
Je veux simplement commencer par dire quel est mon état d’esprit. Je ne vois pas en quoi ce serait gênant. Je répondrai ensuite à votre question, bien entendu. Je ne vois pas en quoi ce serait gênant que je dise ce que cette affaire, qui fait depuis des mois – quatre mois – se multiplier les déclarations, les menaces et les demandes de démission, signifie pour moi à titre personnel, puisque c’est tout de même à ce titre que vous m’avez invité et que d’autres m’ont mis en cause.
Je veux vous dire simplement que le premier mot qui me vient à l’esprit au sujet de cette audition est « enfin ». Pour moi, cette audition est très importante. Elle est très importante pour les garçons et les filles qui ont été victimes de violences, particulièrement de violences sexuelles, depuis des décennies, que ce soit à Bétharram ou, comme nous le découvrons tous les jours, en beaucoup d’autres établissements scolaires et en beaucoup d’autres institutions, associatives, sportives, du monde du spectacle et en famille – hélas. C’est – j’ai employé cette expression – un continent caché qui apparaît, qui surgit. Il a commencé à surgir notamment avec le mouvement MeToo, depuis quelques années et spécialement ces derniers mois.
Je veux dire que ce sont celles-là, les victimes, qui m’intéressent, elles qui, trop souvent, se sont tues parce qu’elles ont honte, parce qu’elles n’osent pas, parce qu’elles ne veulent pas faire de peine à leurs proches. Ce sont celles-là qui m’intéressent. Pendant toute cette période où la polémique était sur moi – des centaines d’articles et des milliers de tweets m’ont mis en cause –, j’ai chaque jour pensé que c’était sur elles et sur eux que l’attention aurait dû se porter, qu’elles auraient dû être entendues, soutenues et accueillies, ce qu’à mes yeux elles n’ont pas toujours été.
C’est pourquoi je veux exprimer beaucoup de reconnaissance à ceux, tout seuls au début, qui ont permis de dévoiler ce qui devait l’être, de nous amener à réfléchir sur ce continent caché, ce continent dérobé de l’enfance violentée, si souvent ignoré et parfois même honteusement justifié, et de comprendre le silence qui l’entoure. Si ma présence comme cible politique a permis que ces faits apparaissent, a permis ce MeToo de l’enfance, alors cela aura été utile.
Ce n’est pas parce que j’exprime cette reconnaissance que je n’identifie pas les manœuvres, l’instrumentalisation de tout cela, en reprenant en une phrase de l’un des inspirateurs de certains d’entre vous : « Abattre ce gouvernement, abattre le suivant et le suivant encore ! » L’arme utilisée est le scandale, avec des outils très puissants tels que les réseaux sociaux et les attaques les plus brutales et les plus basses, auxquelles il est impossible de répondre, parce qu’il n’est aucune instance où répondre et parce que répondre incomplètement leur donne de l’écho.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur le premier ministre…
M. François Bayrou, premier ministre. Si vous permettez…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vais vous laisser la parole, mais je me permets tout de même de vous interrompre pour rappeler, parce que c’est important, l’organisation de la commission. Nous travaillons depuis plus de deux mois. Aucun invité n’a prononcé de propos liminaire, puisque telles sont les règles de la commission d’enquête. Je vous laisse finir le vôtre, mais sachez que je ne vous interdis pas un propos liminaire : c’est simplement notre organisation.
M. François Bayrou, premier ministre. C’est très bien. Comme ça, nous sommes donc du même sentiment.
Plusieurs députés. Non !
M. François Bayrou, premier ministre. De ces faits d’il y a trente ans, je n’avais, lorsque les échos en sont apparus quelques semaines après ma nomination comme premier ministre, aucun souvenir ; je n’avais aucun document ; personne, d’ailleurs, ne les a conservés. Il a fallu des mois et de rares concours de circonstances pour que les documents et les preuves réapparaissent.
Dès lors, la question était : comment se faire entendre et apporter des preuves ? C’est pourquoi cette rencontre est très importante à mes yeux. Ceux qui sont entendus le sont sous serment, ce qui donne de la force et de la solennité aux affirmations et aux preuves qui doivent être présentées – c’est ce que je suis venu faire ici.
Vous avez dit que j’étais là en tant que parent d’élève. Je veux simplement rappeler les dates, pour indiquer la distance dans le temps. Notre fille aînée est entrée à Bétharram en classe de première en 1987, il y a presque quarante ans ; et notre dernier fils a quitté cet établissement en 2002, il y a presque un quart de siècle. Voilà exactement mon lien avec Bétharram.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. D’accord. Alors…
M. François Bayrou, premier ministre. Deuxièmement – je réponds à votre question…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Comprenons-nous bien : votre audition est celle du premier ministre, de l’ancien président de conseil général, principalement, et de l’ancien ministre de l’éducation nationale. Nous contextualisons, parce que c’est important pour nous. Nous allons vous poser des questions sur cette période parce que vous étiez alors président de conseil général.
M. François Bayrou, premier ministre. J’en serai ravi. Mais permettez-moi de vous dire que mon lien avec Bétharram, et la raison pour laquelle je suis ici, est d’y avoir été parent d’élève il y a quarante ans, à une période qui a eu beaucoup d’écho.
Plusieurs députés. Non !
M. François Bayrou, premier ministre. Vous dites « non » ; permettez-moi d’avoir un jugement différent.
Vous m’avez demandé si j’ai été membre des organes de direction de Bétharram : jamais.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. N’avez-vous pas siégé au conseil d’administration de l’établissement ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je vais vous répondre, si vous voulez bien qu’on ne s’interrompe pas. C’est un sujet important.
Mme Céline Hervieu (SOC). Respectez les règles de la commission !
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Et la présidence !
M. François Bayrou, premier ministre. J’imagine que ceux qui viennent devant cette commission, composée avec beaucoup de publicité et devant beaucoup de presse, ont le droit de s’exprimer.
J’ai lu dans un organe de presse, Mediapart, que j’ai été membre du conseil d’administration de Bétharram en décembre 1985, comme représentant du conseil régional de l’époque, dont je rappelle qu’il n’était pas élu au suffrage universel : c’était une délégation des conseils départementaux. Je n’y suis pas resté parce que j’ai été élu député en mars 1986, à la proportionnelle. Je n’ai donc jamais siégé, à mon souvenir, au conseil d’administration de Bétharram.
Mars 1986, je vous le rappelle, c’est la campagne pour cette élection très importante à la proportionnelle ; elle a lieu au moment où je suis prétendument désigné membre du conseil d’administration. Comme vous le savez, toutes les collectivités locales ont des représentants – dans les écoles pour les communes, dans les collèges pour le conseil départemental, dans les lycées pour le conseil régional. C’est à ce titre que j’ai été désigné, sans jamais siéger.
Je vais aller encore un tout petit peu plus loin. Je n’ai pas souvenir d’être entré dans l’établissement scolaire. Bétharram, c’est deux choses : un établissement scolaire et, à côté, un sanctuaire, comme on dit, c’est-à-dire un lieu de pèlerinage, vieux de quatre siècles, avec une chapelle baroque classée monument historique qui est très spectaculaire. Je ne suis jamais entré comme parent d’élève à Bétharram – j’ai été un parent d’élève moins assidu qu’il n’aurait sans doute fallu.
Je suis entré à Bétharram, paraît-il, d’après ce qui a été publié, pour inaugurer un gymnase. J’ai approché Bétharram pour inaugurer le toit de la chapelle, qui avait été réparé avec des crédits de l’État, parce que c’est un monument tout à fait exceptionnel, et j’y suis entré, paraît-il, mais je n’en ai pas le souvenir, parce qu’il y a eu une inondation dans les années 1990. Peut-être ma mémoire me trahit-elle, mais pas beaucoup. Voilà exactement la réponse à votre question.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Si j’ai bien compris – vous répondez de façon un peu longue –, vous avez été désigné membre du conseil d’administration de Bétharram mais n’y avez pas siégé.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, le 11 février dernier, ici même, à l’Assemblée nationale, vous avez déclaré : « Je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles, jamais. » Monsieur le premier ministre, maintenez-vous cette déclaration aujourd’hui, sous serment, devant notre commission d’enquête ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, celui qui ment ce jour-là, le 11 février, ce n’est pas celui qui répond à la question, c’est celui qui la pose, c’est-à-dire vous. Vous dites que je n’ai pas protégé les élèves « victimes de violences pédocriminelles ». Je veux rappeler ce que veut dire le mot « pédocriminel ». Il signifie l’abus et l’exploitation sexuels des enfants.
Vous avez fait allusion au fait que j’ai été ministre de l’éducation nationale. Vous avez dit que j’étais l’« époux d’une professeure ». C’est faux. Ma femme n’a jamais été professeure à Bétharram. Elle y est allée pendant neuf mois, une heure par semaine, faire ce qu’on appelle l’éveil religieux. Jamais elle n’a été professeure à Bétharram. C’est le contraire de ce que vous avez annoncé.
Vous dites que j’ai été saisi à de nombreuses reprises. C’est faux. Je n’ai pas été saisi. Il y a eu vingt-cinq ans de silence absolu. Tout ce que je savais, je l’ai su par la presse – je vais en apporter la démonstration. Enfin, vous dites « vous avez choisi l’omerta pendant trente ans ». Ceux qui ont choisi l’omerta sont ceux qui savaient et n’ont rien dit.
Je maintiens donc l’affirmation qui est la mienne : je n’ai pas eu d’autre information comme ministre de l’éducation nationale – je vais en parler –, puisque j’avais demandé un rapport d’inspection, que par la presse, et je n’ai bénéficié d’aucune information privilégiée.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, si un jour j’ai à déposer devant une commission d’enquête, je le ferai, et je répondrai aux questions qui me sont posées. Vous n’avez pas répondu à ma question, je la pose donc à nouveau. Vous avez déclaré : « Je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles, jamais. » Vous l’avez fait devant la représentation nationale. Est-ce que vous maintenez, sous serment, cette déclaration ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je maintiens que les seules informations que j’ai eues étaient celles qui étaient dans le journal. Je n’en ai pas eu d’autre. J’ai les dates précises des articles des journaux. Je n’ai pas eu d’autre information, ce que votre question induisait. Votre question disait que j’avais reçu d’autres informations. Pour moi, je n’ai eu aucune autre information que celle-là – nous allons y revenir fait par fait, si vous le voulez bien. Au-delà…
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous nous dites aujourd’hui que vous disposiez des informations qui étaient disponibles dans la presse, ce qui est une affirmation très différente de celle que vous avez assumée le 11 février dernier. Ce jour-là, monsieur le premier ministre, vous êtes catégorique. Vous avancez deux preuves dans votre réponse, pour marquer votre affirmation, et vous annoncez porter plainte en diffamation. C’est une réponse très offensive. Avez-vous porté plainte en diffamation ? Si oui, contre qui ?
M. François Bayrou, premier ministre. Non. J’ai hésité. Mon intention était de porter plainte contre les organes de presse qui avaient annoncé que j’avais donné 1 million d’euros à Bétharram cette année-là – il s’agit d’un article de Mediapart, pour autant que je me souvienne. C’était faux. J’avais l’intention de porter plainte. Et puis je me suis dit que, dans ces affaires, chaque fois qu’on porte plainte en diffamation, on sert ceux qui essaient de porter le scandale, donc je ne l’ai pas fait. L’expérience qui est la mienne, c’est qu’il est très rare qu’on se félicite d’avoir porté plainte en diffamation.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous revenez aujourd’hui sur votre déclaration du 11 février. Pourtant, ce 11 février, vous disposez depuis plusieurs jours, depuis le 29 janvier, d’une série de questions sur l’établissement Bétharram que vous a adressée le journal Mediapart. Tout indique donc que vous êtes informé de ces questionnements et préparé à répondre aux questions des députés sur ce sujet. Et vous choisissez de nier toute connaissance de votre part de ces faits de violences. Vous revenez aujourd’hui sur cette déclaration. Pourquoi cette attitude dans ce premier moment, le 11 février, consistant à nier toute connaissance de votre part ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, j’ai écouté beaucoup des séances de cette commission. Votre méthode – la vôtre, personnelle – est absolument transparente : chaque fois que quelqu’un vous apporte une réponse, vous la traduisez de manière que celui qui s’exprime, s’il ne fait pas attention, se trouve entraîné à des affirmations qui ne sont pas les siennes.
Je regrette de vous dire que les raisons… je viens d’exprimer que je n’ai pas eu d’autre information. Les dates que je vais vous donner vont le prouver, car je suis venu ici pour apporter des preuves. Cette méthode que vous utilisez, si vous le permettez, je ne la laisserai pas s’exprimer contre moi.
Pourquoi ai-je changé d’avis ? J’ai dit pourquoi je n’ai pas porté plainte pour diffamation, après avoir hésité. Si je n’ai pas répondu au questionnaire de Mediapart, c’est parce que Mediapart n’est pas une autorité de la République, que je ne suis pas obligé de lire les lettres que Mediapart m’adresse, que je considère qu’il y a dans Mediapart beaucoup de déformation de la réalité et beaucoup de diffamation, et que, si vous le permettez, par hygiène mentale, je ne me plie pas aux ordres de Mediapart, ni d’ailleurs d’aucun autre journal.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le 29 janvier, vous recevez une série de questions qui vous sont adressées par ce journal. Vous êtes interrogé à l’Assemblée nationale le 11 février. Vous n’êtes pas préparé à répondre au sujet de votre connaissance ou ignorance de faits de violences physiques et sexuelles à Bétharram.
M. François Bayrou, premier ministre. Non, monsieur. Je répète, même si vous essayez de déformer la réalité à chaque intervention, que je n’ai pas eu d’autre information sur les deux événements – qu’on va reprendre, j’espère – qui se sont passés à Bétharram à cette époque. Je n’ai pas eu d’autre information que celles qui étaient dans la presse, en dehors de la conversation que j’ai eue avec le juge Mirande – je vais vous expliquer qui est le juge Mirande, peut-être verrez-vous un peu quelle est la réalité de nos rapports. Je n’ai pas eu d’autre information et je vous en apporterai la preuve.
M. Paul Vannier, rapporteur. Entre le 11 et le 18 février, vous allez faire varier à quatre reprises votre version concernant votre ignorance ou votre connaissance des faits de violences physiques et sexuelles à Bétharram. Le 11 février, vous dites : « Je ne savais rien. » Le 12 février, vous dites : « Je ne savais rien à cette époque. » Le 15 février, vous dites : « J’avais connaissance de violences physiques, d’une claque ; pour le reste, les sévices sexuels, je n’en avais jamais entendu parler. » Et le 18 février, vous finissez par constater : « Est-ce que nous avons pu parler avec le juge Christian Mirande de ces accusations de viol qui visent le père Carricat ? » – donc de violences sexuelles ; « sans doute, oui ».
Qu’est-ce qui explique que, en sept jours, vous faites varier à quatre reprises votre version concernant votre ignorance ou, manifestement, votre connaissance, des faits de violences physiques – que vous constatez à partir du 15 février – et sexuelles – le 18 février ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur le député, je regrette, mais je ne me laisserai pas entraîner par vous. Ma version n’a pas varié. Vous m’interrogez, vous, en montant à la tribune, pour m’accuser d’avoir protégé des pédocriminels. Vous ! Je peux vous lire la question si cela vous intéresse. Vous !
Dans ma vie, on m’a accusé de beaucoup de choses, rarement de faits aussi ignominieusement graves. Et vous l’avez fait en insinuant que, comme ministre de l’éducation nationale, je n’aurais pas fait ce qu’il fallait faire. Je maintiens que, comme ministre de l’éducation nationale, à cette époque, et encore maintenant, je n’ai jamais eu d’autre information que celles parues dans le journal. Cela me paraissait clair dans ma réponse. Il a fallu ensuite, sans doute, le préciser.
Je vais peut-être vous dire, en un mot, qui est Christian Mirande pour moi.
M. Paul Vannier, rapporteur. On en parlera plus tard.
M. François Bayrou, premier ministre. D’accord. Jamais je n’ai varié dans ma version ; c’est cette expression que vous essayez de tirer vers des variations. J’ai été ministre de l’éducation nationale et député de la circonscription ; je n’ai jamais entendu parler auparavant de faits de violences à ce point graves – on entendait parler, comme vous l’avez dit, de gifles, je vais expliquer pourquoi et dans quel secteur. Jamais je n’ai entendu parler de violences graves.
Et jamais je n’avais entendu parler de violences sexuelles. Jamais. C’est uniquement par la presse, en 1995 et en 1997, que j’en ai entendu parler. Je ne sais pas si c’est clair, mais je le répéterai autant de fois qu’il le faudra. Je n’ai pas eu d’évolution.
Vous m’avez demandé si j’étais prêt à répondre à cette question. Non. Je n’étais pas prêt du tout. Bétharram, pour moi, je vous l’ai dit, c’était entre il y a quarante ans, pour ma fille aînée, et vingt-cinq ans, pour mon dernier fils. Je vous assure que Bétharram n’a jamais paru dans l’actualité ni dans ma préoccupation sur les vingt-cinq dernières années.
La question sur laquelle vous devriez vous pencher est : pourquoi, dans les vingt-cinq dernières années, personne n’a rien dit ? Pourquoi les magistrats n’ont rien dit ? Pourquoi les avocats n’ont rien dit ? Puisque vous prétendez – vous affirmez – vous intéresser à l’aspect des choses relevant de la justice !
Pendant les vingt-cinq ans qui ont suivi la mort de Carricart, il n’y a pas eu, à ma connaissance, un seul écho de presse sur ce sujet. Pas un seul. Je maintiens donc que je n’étais pas informé au-delà des journaux et de ce que j’ai fait comme ministre de l’éducation nationale, sur lequel nous allons revenir.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’entends que, pour vous, il n’y a pas de changement dans vos déclarations entre une affirmation, le 11 février, qui consiste à dire « je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit […], a fortiori de violences sexuelles » – vos mots sont très précis – et, le 18 février, à nouveau à l’Assemblée nationale, votre reconnaissance du fait d’avoir évoqué les accusations de viol qui pèsent sur le père Carricart. Je crois que ces deux versions des faits sont radicalement différentes.
Monsieur le premier ministre, vous venez de nous indiquer « je n’ai jamais entendu parler des violences sexuelles, si ce n’est par la presse ». Le 18 février, à l’Assemblée nationale, vous reconnaissez, devant les députés qui vous interrogent, avoir évoqué ces violences sexuelles avec le juge Mirande. Ce n’est donc pas par la presse que ces éléments vous sont alors communiqués, et vous en êtes bien en possession, quoi que vous en disiez aujourd’hui.
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, votre formulation est malveillante et je vais en faire la preuve. Je n’ai jamais entendu parler de violences sexuelles avant que La République des Pyrénées, L’Éclair des Pyrénées et Sud Ouest fassent mention de ces violences sexuelles, on doit être le 29 mai de l’année 2016 (Murmures) – de l’année 1998, vous avez raison.
Pourquoi le 29 mai ? Parce que le 26 mai – ce qui a donné pour vous l’occasion d’une mise en cause absolument scandaleuse et sur laquelle j’apporterai des preuves –, jamais je n’ai été informé de cela et la raison est simple, c’est que le juge Christian Mirande et les enquêteurs avaient – ils s’en expliquent – cultivé un secret absolu pour qu’il n’y ait pas de fuite. Mais le 29 mai – je rappelle la chronologie, si vous voulez bien, de mémoire, mais je ne crois pas me tromper –, le juge Mirande convoque le père Carricart le 26 mai. J’explique ! Cette affaire reste secrète et c’est le 29 mai que la presse en parle. La première date possible où j’ai pu rencontrer le juge Mirande, c’est le samedi 1er, 2 ? Le samedi 30 mai, et la deuxième possible, c’est le 6 mai – le 6 juin.
Je répète la chronologie : 26 mai, Carricart est convoqué et mis en détention ; 29 mai, la presse en parle ; le premier jour disponible pour que je rencontre le juge Mirande, c’est le premier jour du week-end – je rappelle qu’à l’époque, je suis président de groupe à l’Assemblée nationale et assez peu disponible pour rencontrer mes concitoyens du village –, donc le samedi 30 ou le samedi 6 – Carricart est libéré le 9 juin, donc c’est un des deux week-ends entre les deux dates. Or la presse raconte toute cette histoire le 29 mai, soit deux jours avant la première date possible pour que je rencontre Mirande. Ce qui fait que Christian Mirande, déposant sous serment, a dit qu’il n’avait pas porté atteinte au secret de l’instruction. Ce qui fait que moi, déposant sous serment, je dis qu’il n’a pas porté atteinte au secret de l’instruction. Je n’ai eu aucun autre secret. Monsieur Vannier, vous connaissez bien cette affaire : pouvez-vous me dire quel autre secret il y avait que celui-là ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous aurons l’occasion de revenir dans le détail sur votre relation avec le juge Mirande et sur l’affaire du père Carricart.
Mais je reviens à vos déclarations. Vous nous dites que vous êtes un lecteur très attentif de la presse locale. Je veux noter qu’à partir de l’année 1993, c’est-à-dire l’année où vous entrez au ministère de l’éducation nationale, des informations qui permettent d’identifier au moins quatre élèves qui auraient perdu l’audition suite à des coups reçus de surveillants de Bétharram sont disponibles. Si vous nous dites être informé par la presse, vous l’étiez donc probablement dès 1993 de ces violences physiques très graves qui ont frappé quatre élèves au moins de Bétharram.
Vous nous avez donc avancé vos explications à vous, aujourd’hui, relatives au changement, dans cette semaine du 11 au 18 février, de vos versions des faits concernant votre connaissance de ces actes de violence. Je veux juste constater avec vous que, entre le moment où vous dites, le 11, « je ne savais rien » et, le 12, « je ne savais rien à l’époque », un article de Mediapart sort, la veille au soir du 12, qui révèle que vous avez reçu, en 2024, le courrier recommandé d’une victime à la mairie de Pau qui vous informe des violences.
Entre le moment où vous dites n’avoir été pas informé à l’époque et celui où vous reconnaissez, le 15, avoir été informé des violences physiques, y compris dans les années 1990, le journal Le Figaro publie, le matin du 15, le rapport d’inspection sur lequel nous allons revenir et qui décrit des phénomènes de violences physiques.
Entre cette journée du 15 et le 18, où vous finissez par admettre que vous avez eu connaissance de violences sexuelles après votre échange avec le juge Christian Mirande, il y a, la veille de cette déclaration, toujours dans le journal Mediapart, une interview du juge Mirande dans laquelle il indique : « Désormais, il dit qu’on s’est rencontré fortuitement dans la rue. C’est faux. Il est venu chez moi me parler de cette affaire » – l’affaire du père Carricart.
J’ai donc le sentiment, monsieur le premier ministre, que les différentes versions que vous avez apportées suivent toujours des révélations de presse et qu’elles visent à aligner votre propos sur ce que contiennent ces révélations de presse.
Je vous pose donc une question très directe : que cherchiez-vous, monsieur le premier ministre, à dissimuler en apportant par bribes, par touches, la réalité de votre connaissance des faits de violences physiques et sexuelles à Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, j’ai déjà décrit votre méthode qui consiste à essayer de tirer la réalité pour nourrir un procès en scandale. Cette méthode, si je peux, je ne la laisserai pas prospérer. Vous présentez tout cela comme si les déclarations faites en réponse à des questions au gouvernement étaient des déclarations sous serment, devant un juge. Si cela avait été le cas, vous auriez dû prêter serment et ne pas multiplier les mensonges que vous avez multipliés – vous, personne d’autre – dans le texte de la question que vous avez posée et que je viens de révéler. Le menteur, ce jour-là, ce n’était pas celui qui répondait à la question : c’est celui qui posait la question. Je peux, si vous voulez, répéter les quatre mensonges qui ont été les vôtres. Moi, je n’ai pas menti.
Vous mettiez en cause le ministre de l’éducation que j’étais. Quand j’étais ministre de l’éducation, je n’ai jamais entendu parler d’autre chose que ce qui était dans le journal, et sur lequel j’ai diligenté une inspection, dont je n’avais pas de trace, et je n’avais jamais entendu parler de violences sexuelles. Jamais !
J’ai entendu parler de violences sexuelles à partir du moment où les articles de journaux, en 1997, ont décrit ce qui était arrivé à Carricart… la plainte était de 1997 ; c’était en 1998. Donc je répète que vos affirmations sont biaisées. Vous essayez, avec une méthode qui consiste à édifier Mediapart en autorité de la République… Je ne lis pas Mediapart, c’est une hygiène personnelle. (Murmures.)
Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). C’est injurieux envers les journalistes !
M. François Bayrou, premier ministre. Vous, vous en faites la Bible et les prophètes ; je considère que Mediapart…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je pense qu’il faut prendre le pli de répondre à la question qu’on vous a posée. On vous a posé une question à laquelle, pour l’instant, vous n’avez pas répondu.
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, je réponds à la question avec les considérations… M. Vannier vient de me dire : « Mediapart la veille a dit que…, donc vous vous alignez sur Mediapart. » Je ne m’aligne sur rien : je ne lis pas Mediapart.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Des médias, dont Le Figaro et Mediapart, ont publié des articles. La question est, si j’ai bien compris : avez-vous changé votre version au gré des différentes parutions ? Avez-vous caché d’autres choses, qui apparaîtraient aujourd’hui ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je n’ai rien caché, madame, et je vous demande d’adopter une formulation qui respecte ceux que vous convoquez devant cette commission. Je regrette infiniment.
Je continue : ce n’est pas la presse qui commande ce que je dis – peut-être vous, mais pas moi. Le Figaro a publié quelque chose qui est extrêmement précieux, que je n’avais pas, sur lequel je n’avais aucun souvenir – je vais vous expliquer comment les souvenirs me sont revenus –, qui était le rapport d’inspection que j’avais demandé. J’affirme que ce rapport d’inspection a été pour moi une bouffée de sérénité, parce que j’en avais oublié absolument les termes. Qu’est-ce qui a motivé le fait que je me suis souvenu de ce rapport ? Je vais vous le dire, mais, encore une fois, quand une affaire comme ça sort et que vous n’en avez aucun souvenir, parce que la mémoire de personne ne va jusqu’à quarante années, de manière certaine, vous n’avez pas de document, je n’avais pas de notes. J’ai demandé au ministère de l’éducation nationale s’ils avaient conservé des documents : on m’a répondu que non, qu’il n’y en avait pas. J’étais donc absolument dépourvu.
Je n’avais qu’un fil d’Ariane, et ce fil d’Ariane, c’était la phrase que, le 5 mai, j’avais déclarée, qui a été publiée dans le journal. On inaugurait le toit de la chapelle que j’ai indiquée, et j’ai répondu : tout ce que le ministère de l’éducation nationale devait vérifier a été vérifié. Je me suis donc dit : au fond, il y a sûrement quelque chose, ce n’est pas une phrase qu’on fait en l’air. Par chance, ce rapport d’inspection, qui n’existait chez personne, s’est retrouvé ; il a été publié par Le Figaro et ce rapport d’inspection – on va en parler – donne toutes les garanties et les assurances sur Bétharram.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, vous dites que vous n’avez pas de souvenirs, ou que vous avez des difficultés à vous remémorer des épisodes qui sont en effet éloignés dans le temps. Je peux parfaitement le concevoir. Vous auriez d’ailleurs sans doute pu nous dire, alors que vous étiez interrogé sur cette affaire Bétharram, que vous n’aviez pas tous les éléments et que vous les chercheriez. Vous avez fait un choix très différent, celui d’affirmer catégoriquement, avec une très grande fermeté, votre ignorance complète de l’ensemble des faits de violences à Bétharram. Vous reconnaissez aujourd’hui avoir été informé par la presse, nous dites-vous – nous allons y revenir.
Je voudrais avancer dans le questionnement. Vous avez évoqué le rapport d’inspection de 1996. Dès lors que vous étiez informé – vous nous le dites désormais –, se pose la question de savoir ce que vous avez fait de ces informations relatives à des violences physiques et sexuelles sur des élèves de l’établissement Bétharram. Vous avez donc engagé un rapport d’inspection de l’établissement en 1996, mais je voudrais revenir sur les faits de la chronologie.
En décembre 1993, vous êtes déjà ministre de l’éducation nationale depuis neuf mois et un surveillant de Bétharram est condamné par la justice pour avoir porté un coup sur la tête d’un élève. Dans cette année 1993, je l’ai dit, quatre situations d’enfants frappés par des surveillants de Bétharram et ayant perdu l’audition sont évoquées par la presse locale.
En janvier 1995, Françoise Gullung, enseignante à Bétharram, qui a rapporté devant notre commission d’enquête sous serment, vous écrit pour vous alerter sur les violences sur élèves dont elle a été témoin. Le 17 mars 1995, Françoise Gullung vous interpelle cette fois directement, à l’occasion d’une remise de décoration. Elle déclare sous serment, devant notre commission d’enquête : « Je me suis dit : "C’est le moment ou jamais. Il ne m’a jamais répondu. Je tente." Donc je suis allée à lui et je lui ai dit : "C’est vraiment grave, ce qu’il se passe à Bétharram. Il faut faire quelque chose." Et il m’a répondu : "On exagère." »
Monsieur le premier ministre, pourquoi, dans les années 1990, alors que vous êtes à la tête du ministère de l’éducation nationale, ne traitez-vous aucune de ces alertes – celles qui sont présentes dans la presse en 1993 ; la décision judiciaire en décembre 1993 ; le courrier en janvier 1995, l’interpellation directe en mars 1995 ? Pourquoi ne traitez-vous aucune de ces alertes avant le mois d’avril 1996, le mois de l’inspection de l’établissement Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Vous voyez – je suis sous serment –, c’est la première fois que j’entends parler de ce jugement que vous évoquez d’un surveillant qui a donné un coup sur la tête. Jamais… (Exclamations.) Oui, mais excusez-moi, j’ai le droit de ne pas lire la presse. (Exclamations.) Non. Je demande qu’on ait un peu de respect dans cette commission.
Je ne pouvais pas ignorer ce qui s’est passé en 1996 : je ne pouvais pas l’ignorer parce qu’il y a eu des articles de presse dans tout le pays. Il n’est pas vrai qu’il y a eu des articles de presse, ou en tout cas je ne les ai jamais vus, sur le jugement que vous évoquez en 1993 – jamais ! Moi, je n’ai jamais vu ça.
Je vais vous donner la chronologie précise pour voir ce que j’ai fait. La plainte est déposée le 11 décembre 1995 sur deux faits : une gifle, qui a donné lieu à une condamnation, et ensuite un châtiment… une punition du perron, qui a été classée sans suite par la justice. C’était dans les journaux le 9 avril 1996.
Le 9 ou le 10 avril, je demande une inspection de l’établissement. Le 12 avril, l’inspecteur, dont le nom est Latrubesse, se rend à Bétharram. Il reçoit une vingtaine de personnes. Le 15 avril, il remet son rapport au recteur. Le 16 avril, semble-il, parce que la date n’est pas écrite, le 16 avril, le recteur me transmet ce rapport dont nous lirons ensemble des passages, si vous voulez bien. La lettre du recteur d’académie me dit : « Je viens de recevoir ce rapport. Il est sage, objectif et favorable à l’établissement. »
Le 4 mai, il y a l’inauguration dont nous allons parler. Je demande un suivi au recteur, au-delà du rapport, et vous allez voir que ce suivi a donné lieu, en effet, à des interventions de la part de l’établissement. Et le 14 mai, je publie une circulaire contre les violences scolaires, que j’avais commencé à préparer au mois de février.
Le 11 juin, le surveillant a été condamné et il a été licencié au mois de novembre – vous dites non, mais j’ai un document qui le prouve. Et donc, en novembre, le supérieur ou le directeur de Bétharram adresse au recteur un suivi du rapport dans lequel il lui indique que le surveillant a été licencié. Il lui indique que la méthode des élèves-surveillants qu’ils avaient choisie a été abandonnée à la demande de l’inspecteur et que Mme Gullung a changé d’établissement – on en parlera peut-être, parce qu’il y a des choses très intéressantes pour le témoignage sous serment de Mme Gullung à la commission.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je reviens un peu en arrière et on arrivera très bientôt au rapport d’inspection d’avril 1996.
Je vous interrogeais sur le fait que vous ne sembliez pas traiter des signaux d’alerte antérieurs. Tout à l’heure, vous nous avez indiqué n’avoir été informé que par la presse de ces faits de violences. Et là, vous répondez « pardon mais je n’ai pas lu la presse, donc je ne pouvais pas être informé de ces faits de violences ».
Au-delà, et puisque, en effet, on peut être plus ou moins attentif à une lecture de presse, il y a deux alertes directes de Mme Gullung, enseignante dans l’établissement, par courrier en janvier 1995, puis auprès de vous directement en mars 1995. Que faites-vous de ces deux alertes de l’enseignante, qui nous dit sous serment qu’elle vous a informé à ces deux occasions de faits de violences physiques sur des enfants dont elle avait été témoin ?
M. François Bayrou, premier ministre. Et moi, sous serment, je dis que Mme Gullung ne m’a informé de rien. Je vais en apporter la preuve. À quel moment peut-on parler de la déposition, du témoignage de Mme Gullung devant vous ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Allez-y.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Vous pouvez le faire maintenant. Vous voulez projeter un document, monsieur le premier ministre ? Vous pouvez.
M. François Bayrou, premier ministre. Si ça ne vous embête pas.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Peut-on savoir de quoi il s’agit ?
M. François Bayrou, premier ministre. J’ai été très troublé par la déposition de Mme Gullung, qui dit qu’elle avait alerté ma femme et, devant la commission, elle ne le dit plus. Elle dit que ma femme lui avait dit… (Murmures.) Si, j’ai écouté attentivement. Mme Gullung dit que ma femme lui a dit « ces enfants, on ne peut rien en faire » et, devant la commission, elle dit « j’ai l’impression qu’elle n’a pas été attentive » ou « elle n’a pas partagé mes demandes » – pas du tout que ma femme lui aurait dit cette phrase insensée qu’on ne peut rien faire de ces enfants. J’ai donc écouté attentivement la déposition de Mme Gullung, ou en tout cas le témoignage de Mme Gullung devant vous, sous serment. Et, sous serment, voilà les deux minutes, si vous permettez, que je trouvais d’abord…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vais être claire : je préside la commission, on a parlé de projection de deux documents, mais pas de vidéo d’une personne qui était sous serment. Je n’accepterai pas que ce document soit soumis à la commission, puisqu’il n’était pas prévu.
M. François Bayrou, premier ministre. J’ai l’impression que ça vous embête.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Ce qui m’embête, c’est que je vous ai demandé à l’avance les documents que vous alliez projeter. Vous m’avez donné une liste ; ce n’était pas dans la liste.
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, vous m’avez demandé de vous soumettre à l’avance les documents et je n’avais aucune envie de vous soumettre les documents – excusez-moi ! (Exclamations.)
Mme Perrine Goulet (Dem). Ce n’est pas un tribunal !
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, il se trouve que je n’ai pas eu le sentiment que la commission était totalement objective et donc j’ai le droit d’avoir un sentiment différent.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vais quand même rappeler les bases. C’est une commission d’enquête parlementaire : le but, c’est de contrôler l’État et l’action de l’État. Vous êtes membre du gouvernement : je pense qu’on est tout à fait dans nos prérogatives. Quand on veut projeter un document, il est quand même de bon aloi de prévenir la présidente de la commission.
M. François Bayrou, premier ministre. Je vous ai prévenue.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous ai demandé le contenu des documents : vous m’avez donné deux documents écrits et aucune vidéo. De toute façon, c’est une vidéo qui est consultable sur le site de l’Assemblée, la commission l’a vue puisque les membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sont membres de la commission d’enquête. Il n’y a donc pas de problème.
M. Erwan Balanant (Dem). Ça ne coûte rien de projeter la vidéo ! Ce n’est pas grave !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Oui, et ce n’est pas grave non plus de ne pas la projeter, monsieur Balanant !
M. François Bayrou, premier ministre. Je ne vois pas de quoi vous avez peur, madame.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. C’est juste une question de gestion de la commission.
M. François Bayrou, premier ministre. Je veux simplement indiquer, sous serment, que le document que je demande de projeter est essentiel dans cette affaire. Il est essentiel parce qu’il va nous dire quelque chose de tout à fait éminent, important, sur la personne dont vous considérez qu’elle est la lanceuse d’alerte. Alors je voudrais qu’on diffuse, si vous le permettez, deux minutes…
M. Erwan Balanant (Dem). On pourrait voter ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Ah non, certainement pas ! Non, on ne va pas voter : on n’est pas en discussion. Monsieur Balanant, je ne vous permets pas de m’interrompre. Je voudrais finir mon propos.
M. Erwan Balanant (Dem). Vous êtes présidente de la commission d’enquête par délégation et par délégation, nous pouvons demander un vote, c’est le règlement !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur le premier ministre, ce document ne me dérange pas puisque, de toute façon, il est consultable. Ce n’est donc pas la question.
M. François Bayrou, premier ministre. Puisque vous ne voulez pas…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Cela ne me dérange pas : si vous voulez, vous lisez le procès-verbal.
M. François Bayrou, premier ministre. Puisque vous ne voulez pas qu’il y ait une projection, je vais vous lire cette affaire.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Très bien, parfait !
M. François Bayrou, premier ministre. Mme Gullung dit : « Ma carrière s’est achevée dans des conditions particulièrement difficiles. J’avais fait le choix » – on est en septembre 1996 – « de ne pas demander de mutation, préférant assurer mes cours jusqu’au dernier jour. Ce choix, que j’assumais pleinement, m’a cependant valu l’exclusion du mouvement interne de l’enseignement privé peu après ».
Cette phrase est une pure et simple déformation de ce qui a été dit. Je m’étonne qu’à l’Assemblée nationale, devant une commission aussi importante, on puisse accepter ou souhaiter une déformation des propos, parce que ce que Mme Gullung dit n’est pas du tout ça. Elle dit devant vous, sous serment, qu’elle n’a pas pu participer au mouvement parce qu’elle n’a pas demandé sa mutation et que le mouvement était clos. Je rappelle que vous le traduisez par « cela m’a valu une exclusion du mouvement de l’enseignement privé », comme si c’était une punition ou une sanction sur ce qu’elle a fait.
Je continue. Elle a toute une démonstration en disant : « j’étais rentrée chez moi » – c’est pour ça que je demandais la projection, parce que le texte n’est pas fidèle à ce qu’elle a dit. Peut-être voulez-vous maintenant qu’on l’accepte ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Ce que vous êtes en train de dire, c’est que le compte rendu de la commission n’est pas fidèle ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je l’affirme sous serment !
Plusieurs députés. Oh, la vache !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Dans ce cas, si vraiment vous le voulez, nous pouvons regarder ces deux minutes.
M. François Bayrou, premier ministre. Très bien – à peu près, quelque chose comme ça. Il n’y a pas le son ? Sinon, je peux le dire de mémoire. (Exclamations.) Je n’ai pas le script.
C’est pas rien que de voir un compte rendu fallacieux ! (Exclamations.) Je mets en cause ceux qui rédigent et ceux qui contrôlent. (Protestations.) Normalement, c’est au sein de la commission que le contrôle se fait, non ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous donne trente secondes pour caler la vidéo ; sinon, vous lisez – il faut trouver une solution efficace.
M. François Bayrou, premier ministre. Je vais essayer de traduire aussi fidèlement que possible, si ça ne marche pas.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Comme, pour moi en tout cas, la mutation de Mme Gullung n’a pas une relation directe avec la question,…
M. François Bayrou, premier ministre. Pour vous, madame, non, mais je vais montrer que…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je vous en prie. Mais on peut caler la vidéo pour après, c’est ce que je voulais vous dire. On peut continuer et dès que la vidéo sera prête, on la diffusera.
M. François Bayrou, premier ministre. Bon, alors je vais dire de mémoire. Mme Gullung dit – vous le vérifierez sur la vidéo : « Je n’ai pas participé au mouvement parce qu’il était clos. Je suis rentrée chez moi, pendant les vacances, et je me suis dit que je finirais sans doute par trouver un poste. Et quelques jours après seulement, pendant l’été 1996, j’ai été appelée : que voulez-vous, j’ai souvent été choisie dans ma vie », dit-elle, de mémoire. « J’ai été appelée et M. Vaillant m’a proposé un poste à Saintes. Je suis arrivée à Saintes, je suis allée voir, finalement j’ai décidé de dire oui. »
Je vais lire le texte script.
« Je pense que vous savez à peu près que ma carrière s’est terminée dans des conditions difficiles » à Bétharram. « J’ai refusé de demander une mutation, donc j’ai assuré mes cours jusqu’au dernier jour, ce qui fait que le mouvement de l’enseignement privé était clos puisque je n’avais pas demandé de mutation. » Ce n’est pas du tout le texte de la transcription. « Je suis rentrée chez moi en me disant qu’il y aura probablement des postes à pourvoir au deuxième mouvement, et là j’aurai quelque chance de pouvoir faire un choix, ce qui ne sera pas gêné », dit-elle.
« Mais je n’ai pas eu besoin, c’est-à-dire que j’étais peut-être en vacances depuis quelques jours quand j’ai eu un coup de téléphone de quelqu’un qui s’appelait le père Vaillant. » Elle ajoute : « que voulez-vous, j’ai souvent été choisie dans ma vie » – de mémoire ; vous retrouverez le texte. « Le père Vaillant qui m’a dit : "Bonjour madame, je sais que vous avez eu beaucoup de soucis à Notre-Dame de Bétharram, mais moi je dirige un établissement à Saintes où tout se passe bien, tout est agréable et j’ai justement besoin d’un professeur de mathématiques." Alors je lui ai dit : "J’ai besoin de réfléchir, et de toute façon c’est trop tard : comment ferait-on ? " "Pas de problème, répond-il, je m’en arrangerai." Donc je suis allée visiter Saintes, voir, et je retourne, je me suis dit : "Il faut faire quelque chose." J’ai accepté. Alors la prérentrée est arrivée. Vous voulez que je vous raconte ? » Et elle raconte.
Plusieurs députés. Diversion !
M. François Bayrou, premier ministre. Pardon, c’est très important. Peut-être vous pouvez dire non : j’affirme que c’est très important, et vous allez voir pourquoi.
« En général, dans un établissement scolaire, quand il y a un nouvel enseignant, il y a un peu la curiosité de tout le monde, et en tout cas on essaie de le recevoir. Là, j’ai trois collègues, que je connais toujours d’ailleurs, qui m’ont reçue. Les autres étaient très… Je ne comprenais pas mais ils n’étaient pas très très… Ils ne tentaient pas vraiment de communiquer. Donc la journée de prérentrée arrive ; moi je suis certifiée de mathématiques, donc le rectorat m’avait accordé un contrat de dix-huit heures de mathématiques en lycée. La journée de prérentrée se passe. Le chef d’établissement nous donne des fiches de poste. Sur ma fiche de poste, il y a quelques heures de mathématiques, quelques heures de physique et beaucoup d’heures de surveillance. C’était assez embarrassant comme situation. En général, les prérentrées sont le vendredi. Donc je rentre chez moi, je réfléchis et je prends la décision que j’irai là où je suis censée être : quand je suis censée donner un cours de maths, je donnerai le cours de mathématiques mais sur les autres horaires, j’expliquerai aux élèves qu’il y a certainement une erreur, que je les priais d’être sages et de s’occuper tranquillement. Voilà. Ça a tenu à peu près une dizaine de jours, entre dix et quinze jours, et j’ai été convoquée par le directeur, le père Vaillant, qui me convoque, donc je le salue poliment et je lui dis : "Je ne comprends pas ce qu’il se passe." Là, il me dit, en ces mots-là vraiment, parce que c’est frappant quand même : "Vous êtes complètement idiote ! Vous n’avez pas compris que vous êtes là pour venger mon ami Carricart !" »
C’est ce qu’elle a déclaré sous serment devant vous. C’est tout à fait intéressant parce que c’est en octobre, au plus tard, octobre 1996, et que Carricart n’intervient dans cette affaire que deux ans plus tard.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le père Carricart commence à intervenir dans l’établissement de nombreuses années avant 1998, monsieur le premier ministre.
Je voudrais revenir à ma question initiale. Elle est précise, elle est factuelle. Nous avons préparé votre audition, monsieur le premier ministre ; nous avons beaucoup de questions à vous poser. Vous faites le choix de très longues digressions, vous nous lisez des extraits d’auditions auxquelles nous avons assisté, sans que cela réponde à ma question. En janvier 1995, quand elle vous saisit par écrit, en mars 1995, quand elle vous saisit oralement, Mme Gullung n’a pas encore déposé devant notre commission d’enquête et vous n’avez pas connaissance de tout ce que vous nous avez évoqué relativement à des questions de mutation qui me paraissent très éloignées du cœur du sujet. Pourquoi, en janvier, en mars, ne vous saisissez-vous pas des alertes qu’elle vous transmet pour engager une série d’actions, en tant que ministre de l’éducation nationale, pour veiller à la sécurité des élèves de Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, je vois bien la stratégie un peu pauvre que vous utilisez. Je vois bien que vous voulez éviter cette question. Mais vous ne l’éviterez pas.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Ce n’est pas lui qui est questionné !
Mme Océane Godard (SOC). C’est pervers !
M. François Bayrou, premier ministre. J’ai autant de temps qu’il faut devant cette commission et, madame, je ne ris pas.
Mme Océane Godard (SOC). Pas de menaces !
M. Alexandre Portier. Évitez les commentaires !
M. François Bayrou, premier ministre. Ce qui est en jeu, c’est quelque chose d’absolument essentiel pour moi. Depuis quatre mois, je suis quotidiennement sali, je suis quotidiennement diffamé, avec des affirmations qui reposent en grande partie sur le témoignage de cette dame, contre laquelle je n’ai rien – je ne l’ai jamais rencontrée, si ce n’est une fois peut-être où elle est venue me dire bonjour, comme elle le dit dans cette rencontre.
Je répète : Mme Gullung ne peut pas connaître Carricart, car il est parti à Rome depuis des années au moment où elle est recrutée dans l’établissement. Vous dites « absolument pas » : c’est une pétition de principe. Je répète : Carricart est parti à Rome, selon les interprétations, entre 1991 et 1993, donc des années avant ces événements. Et elle dit que le père Vaillant lui a dit qu’elle était là pour venger Carricart. Je répète que Carricart se suicide en 2000. Nous sommes en 1996. Il intervient dans cette affaire en 1998, enfin, il est saisi dans cette affaire en 1998, soit deux ans après l’affirmation de Mme Gullung. Je dis donc que l’affirmation qu’elle a faite sous serment devant vous ne peut pas tenir, ne peut pas être acceptée, et qu’elle est une affabulation – sous serment !
Il n’est pas vrai que Mme Gullung connaissait Carricart. Lorsqu’elle est recrutée, le directeur s’appelle le père Landel. Jamais Carricart n’intervient après dans l’établissement. Donc j’affirme que cette dame – je ne veux pas utiliser le mot « mentir », je déteste ce mot que vous utilisez tant – a affabulé devant la commission. Par exemple, elle raconte que Carricart est venu avec une soutane avec des petits boutons. Je n’ai jamais eu un autre témoignage de cet ordre. Je pense que cette dame a reconstitué, fallacieusement et sous serment ; et c’est d’elle que vous faites la lanceuse d’alerte. Je constate que vous n’avez pas fait d’enquête sur la suite de sa carrière, alors qu’elle dit qu’elle a eu beaucoup d’ennuis et qu’elle a été réputée dérangée par la médecine scolaire. (Exclamations.) Elle le dit devant vous ! Cette dame-là, en témoignant devant vous, sous serment, elle n’a pas dit quelque chose de possible. Elle a, avec force détails et force attestations de sincérité – je ne mets pas en doute, parce que ça arrive très souvent…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur le premier ministre, merci, nous avons entendu ; nous allons avancer. Je vais donner la parole à Mme Spillebout.
M. François Bayrou, premier ministre. Enfin, on vient de faire un pas et d’établir quelque chose de tout à fait essentiel. Mme Gullung, quatre ans – trois ans avant que Carricart soit mis en cause et en détention dans cette affaire, invente qu’elle a été recrutée à Saintes pour « venger » Carricart.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur le premier ministre, je veux juste vous rappeler les règles. Il y a des questions et vous répondez aux questions. Vous ne reprenez pas la parole, en plus pour répéter la même chose. On a tous compris. La parole est à Mme Spillebout.
M. François Bayrou, premier ministre. Je vais faire comme fait M. Vannier.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mais vous n’êtes pas M. Vannier, vous êtes le premier ministre de la France. Vous êtes notre premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre. Je suis le premier ministre de la France, ce qui me donne… Après avoir été sali tous les jours pendant quatre mois, par un certain nombre de ceux qui sont ici – je leur en reconnais le droit, puisque c’est ça maintenant le combat politique, ce que je déplore –, je viens d’établir que le témoignage principal sur lequel étaient fondées les diffamations et les insinuations dont je suis l’objet est impossible. Il est fallacieux.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Monsieur le premier ministre, j’ai une série de questions.
Je vais commencer par une parenthèse, à la suite de votre démonstration. À notre connaissance, en avril 1996, il y a eu une réunion de parents d’élèves à Bétharram à laquelle le père Carricart a non seulement assisté, mais au cours de laquelle il a donné de nombreuses consignes. C’est ce que Mme Gullung raconte dans son témoignage sous serment, sans, à ses yeux, se tromper. C’est également ce qui est largement détaillé dans le livre de témoignages que vous avez apporté, coordonné par M. Alain Esquerre, qui évoque la même réunion d’avril 1996. Le père Carricart, certes, n’était plus directeur et avait passé la main au père Landel, mais il était encore très présent dans la congrégation. Il y venait régulièrement, notamment dans des moments religieux ou d’échange avec les parents d’élèves. On peut avoir des divergences là-dessus, et il faut certainement retrouver d’autres témoignages.
En revanche, je me permets de redire que cette commission d’enquête n’est pas à charge. Je comprends que certaines prises de parole, notamment de mon corapporteur dans les médias, qui comportent des déclarations vous concernant, vous affectent. Mais je ne souhaite pas que cela mette en cause l’ensemble du travail des deux rapporteurs, de la présidente de la commission et des 140 personnes que nous avons auditionnées – Mme Gullung, c’est un témoignage parmi tous ceux-là. Nous avons aussi de nombreux documents au sujet desquels nous souhaitons échanger avec vous.
Vous avez expliqué que vous aviez le temps ; nous allons le prendre. Nous savons que nous avons le premier ministre en face de nous et que c’est très important d’être juste et factuel dans nos questions. N’allez pas considérer que tout ce travail est à charge contre vous. Vous avez eu raison d’évoquer l’exposition médiatique que votre présence dans ce dossier suscite. Malheureusement, vous êtes très concerné du fait de vos différentes fonctions politiques. C’est grâce au dossier Bétharram que se sont ouverts tous les autres en France : je pense au village de Riaumont dans ma région, à Ustaritz, à tous les établissements en Bretagne que nos collègues nous ont signalés. Beaucoup de députés de tous les groupes nous ont fait remonter des témoignages de victimes partout en France. Je comprends, nous sommes nombreux à comprendre que cette exposition médiatique soit difficile et douloureuse et nous sommes prudents, mais il faut aussi se dire que c’est dans l’intérêt général que nous menons ces travaux d’enquête, le plus sérieusement possible.
M. François Bayrou, premier ministre. Un mot, s’il vous plaît !
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je vais repasser la parole à Paul Vannier pour conclure cette première partie sur les trois. J’en viendrai ensuite aux questions sur l’inspection de 1996.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je reviens, monsieur le premier ministre, à la chronologie – en pointant le fait que vous n’avez toujours pas répondu à ma question sur les alertes de 1995.
M. François Bayrou, premier ministre. On ne me donne pas la parole !
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous allez l’avoir tout de suite.
Vous nous avez dit que c’est le dépôt d’une plainte, celle de M. Lacoste-Séris, qui vous conduit à engager l’inspection de l’établissement. Ai-je bien compris vos propos ? Est-ce bien le dépôt de la plainte qui vous amène à déclencher l’inspection ?
M. François Bayrou, premier ministre. Non. Je réponds d’abord à la question précédente, parce que je ne veux pas dire que je n’ai pas répondu à une question. C’était quoi ? J’ai oublié, mais je vais répondre. Quelle était la question que vous posiez ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour la troisième fois, qu’avez-vous fait des alertes écrites et orales de Mme Gullung, en 1995, à une époque où tous les éléments que vous amenez là, qui sont contestables et qui viennent d’être très largement invalidés par le rappel de ma collègue Violette Spillebout, vous ne pouviez pas les avoir en votre possession, puisqu’ils sont ceux du débat de 2025 ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, encore une fois, vous venez de faire la preuve de la méthode qui est la vôtre, c’est-à-dire « j’essaie de transformer ce qui est dit pour que l’on se souvienne du contraire ». Est-ce que j’ai été alerté par Mme Gullung ? Non. Je n’ai pas eu de courrier. Mme Gullung vient me voir, dit-elle – et je veux bien lui faire confiance –, le 17 mars 1995. De quand date la plainte Lacoste-Séris ? Du 11 décembre 1995. Neuf mois avant, il n’y avait pas eu de plainte, il n’y avait pas eu de signalement dans la presse. J’ai pu répondre évasivement car son affirmation ne reposait sur aucune plainte. Jamais il n’y a eu cela.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’entends. Vous ne considérez pas l’alerte de Mme Gullung ; c’est la plainte qui déclenche votre réaction. Vous nous dites qu’elle a lieu en décembre 1995. Pourquoi alors faut-il attendre jusqu’en avril 1996 pour que l’inspection soit diligentée, si c’est bien cette plainte qui la déclenche ?
M. François Bayrou, premier ministre. Ça n’est pas cette plainte qui l’a déclenchée, parce que je ne connais pas la plainte. C’est peut-être d’ailleurs l’un des sujets que nous devons traiter pour savoir ce qu’il faut faire dans l’avenir. Je ne suis informé de cette plainte que le 9 avril 1996, lorsque La République des Pyrénées et Sud Ouest rendent publique son existence. C’est dès le lendemain que je demande une inspection. Le 12 avril, l’inspecteur est à Bétharram. Le rapport est rendu le 15 et m’est communiqué le 16. Peut-être pourrons-nous parler de ce rapport – vous m’avez dit qu’on allait le faire. Le recteur d’académie dit qu’il lui paraît « sage, objectif et favorable » à l’établissement. Quand vous êtes ministre, les recteurs sont vos missi dominici. Ce sont des gens en qui vous avez confiance, surtout que le recteur Pouille, qui est mort désormais, comme beaucoup de protagonistes de cette affaire, était très expérimenté. Il a dû rester quatre ans. Il est possible qu’il ait même été nommé avant moi.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre.
On va effectivement s’intéresser particulièrement à ce rapport d’inspection, puisque, vous le savez, cette commission d’enquête s’intéresse à la façon dont sont produits les rapports des inspecteurs, que ce soit au niveau de l’académie ou de l’inspection générale de l’enseignement – la façon dont ils sont commandés, finalisés et transmis, les décisions et le suivi.
Le 15 février, à Pau, devant les victimes, vous avez affirmé avoir fait organiser une inspection générale de l’établissement. Je précise que c’était en réalité une inspection académique, menée au niveau du rectorat, à la différence d’une inspection générale, qui est au niveau du ministère. C’est important de le préciser, parce qu’une mission d’inspection générale, ce sont plusieurs inspecteurs qui travaillent en équipe, qui sont très expérimentés, qui restent plusieurs jours dans l’établissement et disposent de moyens d’investigation uniques, comme on l’a vu dans d’autres cas.
L’inspection qui a été conduite à Bétharram a été, à nos yeux, selon le document et d’après l’échange que nous avons eu lors de l’audition de M. Latrubesse, très superficielle, puisqu’elle a été menée par un inspecteur seul, ce qui était totalement unique, déjà à l’époque – ça n’est jamais arrivé d’autres fois. Elle a été dépêchée du jour au lendemain sur place, c’est-à-dire que l’inspecteur a été missionné la veille de son déplacement à Bétharram – il a dû s’organiser pour se rendre sur place. Il n’est resté que quelques heures dans l’établissement, avant de rendre des conclusions dans des conditions, là aussi, tout à fait expresses, puisqu’elles ont été remises au bout de trois jours. Monsieur le premier ministre, alors que vous aviez entendu parler de violences, pourquoi, plutôt qu’une inspection générale, avez-vous fait le choix de diligenter une inspection au niveau académique, local, sachant que lorsque vous étiez ministre de l’éducation nationale, entre 1993 et 1997, vous avez commandé, au niveau national, trente-huit enquêtes administratives également appelées inspections générales pour des établissements publics et aucune pour le privé ?
M. François Bayrou, premier ministre. Ce n’était pas au niveau local, c’était au niveau rectoral, parce que les établissements privés relèvent de ce niveau. Vous avez dit que les autres inspections que nous avons diligentées étaient au niveau de l’inspection générale ; je n’en ai pas le souvenir, c’est vous qui l’affirmez. Ces vingt-cinq ou trente dernières années, il y a eu très peu d’inspections dans l’enseignement privé, m’a dit Élisabeth Borne, au nom de leur « caractère propre », selon les termes de la loi Debré. C’était donc le bon niveau d’inspection. J’avais – j’ai encore, rétrospectivement – toute confiance dans le recteur. J’imagine qu’il envoie un IPR, un inspecteur pédagogique régional, inspecteur d’académie. Vous dites que cela a été fait rapidement ; il a entendu vingt personnes, dix-neuf peut-être, entre 9 h 30 et 18 heures, à Bétharram. Il y a une liste que je peux vous fournir. Il a entendu le père Landel, il a entendu le surveillant qui sera licencié après, il a entendu des élèves de première et de terminale, il a entendu plusieurs professeurs au lycée, il a entendu le président de l’Apel (association des parents d’élèves de l’enseignement libre) pendant le repas, il a entendu des professeurs au collège, il a entendu un surveillant, il a entendu trois délégués de la classe de troisième, il a entendu les délégués de seconde, il a entendu l’aumônier et il a entendu le directeur. Franchement, si on considère que c’est traité par-dessus la jambe… je trouve, moi, que c’est une vraie vérification.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre. On reviendra effectivement plus en détail à l’appréciation qu’a la commission d’enquête de cette inspection. Je vais en rester au sujet de la commande du rapport. Il est commandé au niveau rectoral, selon une procédure exceptionnelle et unique. Vous nous expliquez que, à vos yeux, à l’époque, c’était ce qu’il fallait pour le privé. Or on sait que l’on pouvait diligenter une inspection générale pour un établissement privé. Soit. Le 15 février, vous avez déclaré à Pau vous souvenir d’avoir souhaité commander cette inspection, étant donné la plainte qui a déclenché votre inquiétude, mais n’en avoir aucune trace jusqu’à la publication du rapport dans Le Figaro il y a quelques semaines. C’est-à-dire qu’au moment de cette déclaration vous pensez n’avoir jamais reçu ce rapport d’inspection, son contenu et ses pièces jointes. Vous affirmez avoir commandé un rapport, mais ne pas l’avoir obtenu ni avoir vérifié que des suites lui avaient été données. Est-ce bien cela ?
M. François Bayrou, premier ministre. Un mot, d’abord, de votre affirmation préalable. Vous dites que l’on pouvait diligenter une inspection pour l’enseignement privé. Y en a-t-il eu d’autres ?
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ce n’est pas moi qui dois répondre à vos questions. Il n’y en a pas eu d’autres. Il n’y a eu aucune inspection de l’inspection générale pendant de nombreuses années. En revanche, dans les textes, c’était tout à fait possible, de la même façon que dans le public. Je l’ai dit, il y a eu trente-huit inspections générales dans le public ; dans le privé, zéro, et une seule inspection au niveau de l’académie.
M. François Bayrou, premier ministre. J’affirme que cette démarche-là est une démarche qui est en effet… Je vous rappelle que l’on m’a accusé sur les bancs de l’Assemblée de protéger des pédocriminels. J’affirme que, bien loin de n’être intervenu en rien pour saisir les questions de Bétharram, je l’ai fait, selon une procédure très rapide, exceptionnelle, et dont je considère, moi, qu’elle est sérieuse. Est-ce que j’ai demandé le rapport ? Le rapport m’a été adressé dactylographié le lendemain. Il y en a la trace même dans le rapport, avec une lettre du recteur que j’ai entre les mains et que je peux vous lire. Les conclusions du rapport sont très favorables à Bétharram. Je peux vous lire la conclusion, qui est très éloquente : « Par un concours malheureux de circonstances, cet établissement vient de connaître des moments difficiles. La qualité du travail qui y est effectué, l’ambiance et les relations de confiance qui y règnent et la volonté de changement qui existe à tous les niveaux sont autant d’éléments positifs et d’atouts pour la réussite de Notre-Dame de Bétharram. » Le recteur m’écrit – le 15 ou le 16, je pense : « Monsieur le ministre, suite à notre conversation téléphonique de ce jour, » – il m’avait rendu compte téléphoniquement, c’est la réponse précise à votre question – « je vous prie de trouver le rapport de M. Latrubesse, IPR-IA vie scolaire, concernant la situation à Notre-Dame de Bétharram. M. Latrubesse a été envoyé par mes soins à Notre-Dame de Bétharram, avec l’accord du père Landel et de la direction diocésaine de l’enseignement libre. Le rapport me semble sage, objectif et favorable à Notre-Dame. » Voilà le rapport du recteur, qui double celui de l’inspecteur d’académie.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre. Effectivement, nous disposons des documents de transmission entre l’inspecteur et le recteur, ainsi qu’entre le recteur et vous-même en tant que ministre. En fait, le 15 février, vous avez déclaré vous souvenir d’avoir souhaité l’inspection de 1996 mais n’en avoir aucune trace jusqu’à la parution de ce rapport. Je comprends que vous avez entre-temps obtenu les échanges entre le recteur et vous-même au sujet de ce rapport que vous relisez trente ans après et dont vous prenez connaissance. Toutefois, au début de cette audition, lorsque vous l’avez évoqué, vous avez vous-même dit que vous aviez demandé un suivi et que vous l’aviez eu – nous y reviendrons. Mais, le 15 février, vous ne vous souveniez pas de quoi que ce soit.
Je vais juste préciser quelque chose à propos de la lettre que vous me lisez. Nous avons demandé aux archives des rapports d’inspections ainsi que les échanges auxquels ils ont pu donner lieu avec les différents ministres et ministères. La lettre que vous nous lisez est une lettre manuscrite du recteur qui vous a été adressée le 15 avril par fax. Elle fait état d’une conversation téléphonique et mentionne cette phrase que vous venez de lire, selon laquelle le rapport « semble sage, objectif et favorable à Notre-Dame » – il ne dit pas « Notre-Dame de Bétharram », mais « Notre-Dame ». La lettre se termine par : « Je vous prie d’agréer, monsieur le ministre, l’expression de ma haute considération et de mon fidèle dévouement. Je vous transmettrai par fax à Paris la version dactylographiée dès que je l’aurai. »
Le lendemain, le 16 avril, la lettre dactylographiée est transmise officiellement au ministre de l’éducation. Elle ne fait plus mention de la conversation téléphonique. Elle ne fait plus mention de cette phrase, « le rapport me semble sage, objectif et favorable ». Il n’y a plus de commentaires. Elle se termine de la même façon, sur l’assurance du fidèle dévouement, sauf qu’elle mentionne le lycée Notre-Dame de Bétharram et non pas Notre-Dame. On comprend donc qu’il y a dans cette première transmission rapide – puisque vous aviez souhaité quelque chose de très rapide – des qualifications du recteur qui veut tout de suite vous donner la tonalité de cette inspection à titre personnel, vous expliquer qu’elle est favorable ; on comprend qu’il parle de « Notre-Dame » comme d’un établissement qu’il connaît et dont vous avez parlé ensemble au téléphone. Dans la version officielle, il reste plus à distance de cet établissement. On a une impression de grande proximité entre ce recteur, dont vous venez de qualifier l’état de service pendant ces quatre années, et vous-même, lorsque vous étiez ministre et président du département. Est-ce que les relations étaient les mêmes avec les autres recteurs ou est-ce que c’était un cas particulier, lié à la situation de Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, ne prenez pas mal ce que je vais dire : c’est un gag ! Le recteur Pouille ne connaissait pas Bétharram, à ma connaissance. Il ne connaissait pas bien le département des Pyrénées-Atlantiques. Et personne ne dit « Notre-Dame » ! On dit « Bétharram ». Il n’y a pas un élu du département – je regarde Mme Capdevielle – qui puisse prétendre qu’on dit « Notre-Dame » comme un signe de proximité. Tout le monde dit « Bétharram ». Donc, pardon mais votre interprétation est un tout petit peu… surajoutée.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ce recteur avec lequel vous êtes en relation poursuit une correspondance très étroite et directe avec le directeur de Bétharram, dans laquelle il renseigne ce dernier, en mai 1996, sur la façon de se débarrasser de Mme Gullung, la professeure lanceuse d’alerte, et de l’élève Marc Lacoste, dont le père a porté plainte après la gifle reçue par son fils. Nous disposons de nombreux échanges directs, manuscrits ou dactylographiés. Lorsque nous avons interrogé les quatre recteurs que nous avons reçus à propos des pratiques d’échange au sujet des inspections, ils nous ont indiqué qu’aucun d’entre eux n’avait jamais entretenu de correspondance directe avec un chef d’établissement et que cela ne se fait jamais. Comment expliquez-vous cette proximité ? S’agissait-il d’un dossier particulier ? Comment estimez-vous que ce rapport a été traité relativement à d’autres ?
M. François Bayrou, premier ministre. J’imagine qu’il a voulu faire lui-même le suivi d’un rapport qui lui avait été commandé par le ministre lui-même. C’est la première fois que j’entends parler de cette correspondance, que je n’ai jamais vue, mais je peux vous dire ce qu’a été la réponse, le suivi du directeur de Bétharram – la lettre n’est pas adressée au recteur mais à M. Latrubesse, l’inspecteur. C’est le père Landel qui l’écrit. « En rappelant les conclusions de votre rapport d’avril dernier, je me permets de vous informer que toutes les conclusions à court terme sont exécutées. » Il écrit le 5 novembre. « Je viens de licencier, même si cela risque d’avoir des retombées, le surveillant qui avait une certaine conception de la discipline. » C’est-à-dire le surveillant condamné dont M. Vannier affirmait qu’il n’avait pas été licencié.
« Deuxièmement, j’ai éliminé le principe des élèves-surveillants malgré les difficultés financières que cela entraîne. Troisièmement, Mme Gullung a enfin trouvé un poste. Pour les conclusions à long terme, je rêve d’un nouvel internat, mais il faut que les finances suivent. Je fais tous les efforts pour changer les mentalités des parents, mais c’est si commode d’avoir cette épée de Damoclès pour essayer de faire marcher droit les enfants. » Il invoque ici cette affirmation si souvent entendue : « Si tu ne marches pas droit, tu iras à Bétharram. » « Une fois encore, merci pour ce que vous avez fait pour que Bétharram vive. Respectueusement. »
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre. Nous disposons de ce courrier de suivi du directeur de l’établissement à l’inspecteur. C’est finalement un courrier déclaratif, qui n’est pas une inspection de suivi ou un suivi par l’inspecteur lui-même des recommandations de l’éducation nationale, et qui se conclut par : « Une fois encore, merci pour ce que vous avez fait pour que Bétharram vive. » Nous allons y revenir en regardant le contenu du rapport d’inspection de M. Latrubesse dont vous avez lu la conclusion – en effet positive.
Tout d’abord, je tiens à revenir sur la façon dont a été fait ce rapport, par comparaison avec tous les autres rapports d’inspection à l’époque ou actuellement. L’inspection a duré une journée. Comme vous l’avez dit, une vingtaine de personnes ont été auditionnées. Simplement, ce 12 avril 1996, entre 9 h 30 et 16 h 30, durée de la présence de M. Latrubesse sur place, il a passé trois fois trente minutes à entendre des élèves qui n’étaient que des représentants des classes, choisis la veille par le directeur d’établissement, qui, lui-même, avait été prévenu la veille. C’est pour cette raison, monsieur le premier ministre, que nous avons estimé, au regard de tous les autres échanges entourant les inspections, que celle-ci avait été superficielle et expresse, et qu’elle n’avait pas permis d’entendre la parole des élèves alors que le risque de violences semblait avéré au vu des plaintes et condamnations : 80 % de cette journée a été consacrée à écouter des professeurs, le directeur, le directeur adjoint, l’aumônier – très peu les élèves.
Concernant le contenu du rapport, sa conclusion est certes positive, mais il fait deux pages et demie, recto verso, où est notamment décrit le supplice du perron. « Le 5 décembre 1995, vers 21 heures, un surveillant-élève a demandé à [un élève] de quitter le dortoir et de rester, en petite tenue, hors du bâtiment. L’enfant a téléphoné à son père qui est venu le chercher et l’a conduit au centre hospitalier de Pau pour un examen médical […]. » Nous savons aujourd’hui, par les témoignages plus récents des élèves de l’époque, que l’enfant, frappé d’hypothermie, a manqué de peu l’amputation à la suite de cette punition.
Ce rapport évoque une gifle donnée à un élève de cinquième par un CPE (conseiller principal d’éducation). Il évoque aussi une professeure blessée lors d’une altercation avec des élèves. Il emploie les termes « méthodes éducatives d’un autre âge ». Il relève le nombre insuffisant de surveillants, « l’établissement [ayant] pris l’habitude de demander à des élèves de jouer le rôle de surveillant », et souligne que « ces jeunes gens, dépourvus d’un véritable statut, ne possèdent pas toujours l’expérience, la maîtrise et le recul suffisants pour assumer convenablement les tâches qui leur sont confiées ».
Je me dis que quand on lit un rapport comme celui-là au-delà de sa conclusion, on est plutôt stupéfait. Ce que vous évoquez, un rapport vous étant transmis par le recteur comme sage, objectif et positif, semble très éloigné des quelques témoignages qui y sont malgré tout repris. Quand vous le relisez aujourd’hui, est-ce que vous en avez une lecture différente ?
M. François Bayrou, premier ministre. On est en 1996, c’est-à-dire il y a trente ans. Est-ce qu’il y a trente ans, dans les établissements, singulièrement ce type d’établissements-là – Bétharram, Garaison, ceux que vous avez cités –, il y avait des méthodes un peu rudes ? Sûrement, oui. Seraient-elles acceptées de nos jours ? Sûrement non ! 1995 : il y a trente ans. Je vais répondre tout à l’heure à une question sur l’organisation interne de Bétharram. Il y a trente ans, y avait-il la moindre information autour de violences à Bétharram ? J’ai reçu une lettre, un message, que je vais retrouver…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Pendant que vous cherchez votre lettre, je rappelle pour information que tout sévice physique sur un enfant ou même un adulte est interdit par la loi, en 1996 comme en 2025.
M. François Bayrou, premier ministre. Vous avez tout à fait raison. Mais ce n’est pas moi qui inflige des sévices physiques !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. On dirait que vous les dédramatisez parce que ça fait trente ans.
M. Roger Vicot (SOC). Un élève a failli être amputé et vous parlez de « méthodes un peu rudes » !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Même une gifle… Bien sûr, ce n’était pas vous, et vous les condamnez – c’est très bien.
M. François Bayrou, premier ministre. Si vous lisez tous les romans anglais consacrés aux collèges… (Exclamations.)
M. Pierrick Courbon (SOC). On parle de faits, pas de romans !
M. François Bayrou, premier ministre. Ce sont des faits. Lisez Stalky et Cie, un roman de Kipling qui a connu un grand succès. Oui, il y avait des punitions physiques au XIXe siècle en Angleterre. Je crois qu’elles ont duré jusque dans les années récentes. C’est tout à fait anormal. Mais est-ce que des dizaines d’établissements pratiquaient ce genre de discipline rude – trop rude, dirons-nous aujourd’hui ? Oui, sûrement.
M. Pierrick Courbon (SOC). On parle quand même de viols !
M. François Bayrou, premier ministre. Est-ce qu’on en était informé ? Non. Et dans le rapport, le directeur indique qu’ils vont changer leurs méthodes.
Je vous lis le message que je cherchais, qui m’a été adressé le 13 février 2025 par Jean-Michel Vandenberghe, général trois étoiles – général de division – dans la gendarmerie. « Monsieur le premier ministre, j’ai occupé le poste de commandant de compagnie de la gendarmerie départementale de Pau de 1989 à 1993. Bétharram était sur mon ressort. J’ai dirigé, au cours de ces années, de fort nombreuses enquêtes judiciaires, notamment sur le canton de Nay-Bourdettes, où la brigade locale, très sollicitée en police judiciaire, faisait montre d’une belle réactivité et d’une grande persévérance pour traiter tout le spectre de la délinquance locale avec l’appui de la brigade des recherches de Pau. Nous étions très à l’écoute de la population et fort sensibilisés à la protection de l’enfance. Je certifie que nous n’avons jamais eu connaissance des sévices qui se seraient déroulés au sein de l’école privée et je suis prêt à en témoigner de toutes les façons qui vous conviendraient. » 1989-1993 : en plein milieu de cette période.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre. On parle bien là d’un témoignage qui concerne les années 1989 à 1993. Dans les témoignages de violences que l’on a, c’est en 1993 que cela commence, en tout cas pour les témoignages qui parlent de se faire frapper – un élève de 13 ans qui s’est retrouvé avec un tympan perforé et les autres sévices qui ont eu lieu.
Revenons au rapport. Vous avez expliqué que si le recteur avait fait un suivi de proximité directement auprès du directeur d’établissement, c’est parce que le ministre avait demandé un suivi très attentif. Ce rapport vous a été transmis. Il contient une liste de griefs, repris de façon très claire et que je viens de lire. Il parle du manque de surveillants et révèle la présence d’élèves-surveillants, ce qui était déjà interdit par la loi à l’époque. Il évoque aussi un point sur lequel nous avons interrogé M. Latrubesse – vous l’avez peut-être entendu – lors de son audition : l’existence de grands dortoirs de plusieurs dizaines de lits chacun, alors que le nombre de lits dans une chambre d’internat devait être compris entre trois et douze selon un arrêté du 7 juillet 1957 en vigueur au moment des faits.
Quand ce rapport vous a été remis, malgré les conclusions positives du dernier paragraphe et de la transmission du recteur, avez-vous demandé à vos services de faire usage de l’article 40 du code de procédure pénale au sujet des sévices physiques que vous venez de reconnaître comme anormaux, y compris pour l’époque ? Avez-vous demandé une modification de l’internat ? Dans le rapport de suivi, que vous nous avez relu entièrement, le directeur s’inquiète du coût financier de la rénovation de l’internat. C’est ce que nous avons aussi entendu de la bouche de l’inspecteur lui-même : il n’a pas écrit dans ses recommandations qu’il fallait refaire l’internat parce qu’il s’inquiétait des finances de Bétharram. Malgré la conclusion que vous nous avez lue et qui semble vouloir dire que finalement, tout va bien et qu’on peut continuer comme ça, quand vous relisez le rapport aujourd’hui, pensez-vous à des actions que vous auriez entreprises à ce moment-là et que vous auriez oubliées, ou estimez-vous que vous feriez différemment aujourd’hui ?
M. François Bayrou, premier ministre. Aujourd’hui, c’est trente ans après. Il y aurait sûrement de grands changements dans les attitudes des uns et des autres. Mais vous avez lu trop partiellement le rapport. Vous avez dit qu’on y signale des faits de violences sur Mme Gullung. Or ce n’est pas vrai. C’est même exactement le contraire. Je vous lis le passage sur Mme Gullung.
« Madame Gullung a été blessée. Elle a également demandé à son avocat de porter plainte. Elle donne, de [cet] incident, une interprétation qui ne correspond pas à la réalité. Le contenu de la déclaration écrite faite par Stéphan G. m’a été confirmé par des élèves présents dans la cour et témoins de l’accident.
« Ce professeur, qui enseigne dans l’établissement depuis septembre 1995, connaît d’ailleurs de sérieuses difficultés dans ses classes et ses relations avec les élèves sont mauvaises. Je n’ai pu la rencontrer car elle était encore en arrêt de travail mais les divers témoignages recueillis, et notamment auprès de ses collègues professeurs, montrent que cette enseignante est arrivée dans ce collège avec un état d’esprit très négatif. Elle aurait exprimé son intention de "démolir Bétharram" considérant que cet établissement utilise des méthodes éducatives d’un autre âge. Pour illustrer cette thèse, elle pensait pouvoir se servir du fait regrettable dont elle a été victime » – une bousculade avec les élèves autour d’un ballon – « en le présentant comme une agression, ce qu’il n’est pas ».
Madame, je maintiens que votre lecture selon laquelle on aurait signalé de nombreux événements est démentie par le rapport. Je ne sais pas qui a raison. Je ne connais pas Mme Gullung, je ne connais pas M. Latrubesse. Mme Gullung signale qu’elle a été très souvent mise en cause pour son équilibre, on va dire, dans les fonctions qu’elle a occupées plus tard. Peut-être pourrait-on vérifier si c’est vrai ou pas ? C’est exactement de ça qu’il s’agit. Le rapport dit, à l’indicatif, que sa version ne correspond pas à la réalité. Ai-je lu le rapport aussi attentivement qu’il aurait fallu ? Sûrement pas. Je pense que je me suis contenté de la conclusion du rapport et du suivi que j’avais demandé au recteur de faire. Mais aurais-je lu le rapport en entier que cela aurait été la même chose.
Vous m’avez interrogé, y compris par écrit, sur les dortoirs à Bétharram. Peu d’années auparavant, j’étais élève en hypokhâgne au lycée Montaigne de Bordeaux, qui n’était pas réputé pour être un établissement de seconde zone, où il y avait des dortoirs. De mémoire, ces dortoirs comportaient plusieurs dizaines de lits et un seul local de douche et de toilettes – ma mémoire est peut-être incertaine. C’était comme ça à l’époque. Je suis en hypokhâgne en 68, il y a donc un certain temps, mais ce n’était pas des conditions de vie déshonorantes. Parmi ceux qui nous écouteront, beaucoup se souviendront qu’ils avaient en effet des dortoirs constitués d’un grand nombre de lits, avec un seul point de douche et de toilettes. Que cela ait été en retard du point de vue de l’équipement, je l’accorde. Y a-t-il une faute morale à avoir des dortoirs avec plusieurs dizaines de lits ? Je ne le crois pas.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Ce rapport d’inspection est public puisqu’il a été publié par Le Figaro : chacun peut le lire et en faire l’interprétation qu’il souhaite. Nous avons essayé de ne pas en faire une interprétation subjective, mais d’avoir une approche comparative, en tenant compte des règles d’inspection en vigueur à l’époque et de la façon exceptionnelle dont il a été élaboré. Nous en avons tiré des questionnements et des conclusions.
La conclusion finale de ce rapport apparaît le 5 novembre 1996 dans le courrier adressé par le directeur de Bétharram à M. Latrubesse, qui clôt, quelque part, l’ensemble de l’action publique.
M. François Bayrou, premier ministre. Pas du tout !
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il dit « je viens de licencier le surveillant » mis en cause. Cela nous questionne. Dans des comptes rendus de parents d’élèves datés du mois de décembre et des mois suivants, il apparaît en effet que cette personne n’est pas licenciée et qu’elle est encore en poste. Vous ne pouviez pas le savoir en tant que ministre, c’est sûr.
« J’ai éliminé le principe des élèves-surveillants, malgré des difficultés financières que cela entraîne. » On peut être surpris de la façon dont un directeur d’établissement s’adresse à un inspecteur pour évoquer des raisons financières liées au non-respect des règles légales.
Je relis simplement la fin : « Pour les conclusions à long terme, je rêve d’un nouvel internat, mais il faut que les finances suivent. Je fais tous les efforts pour changer la mentalité des parents, mais c’est si commode d’avoir cette épée de Damoclès pour essayer de faire marcher droit les enfants. Une fois encore, merci pour tout ce que vous avez fait pour que Bétharram vive. Respectueusement. » C’est le directeur de Bétharram qui écrit à l’inspecteur pour clore ce chapitre.
M. François Bayrou, premier ministre. Est-ce qu’il y a quelque chose de moralement répréhensible dans tout ça ?
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Monsieur le premier ministre, notre commission d’enquête n’est pas là pour juger de la vie privée, de la justice ou de la morale. Nous sommes là pour détecter les dysfonctionnements de l’État et de l’action publique concernant les modalités de contrôle des établissements scolaires. Nous nous intéressons à un établissement scolaire où il y a eu des plaintes. Vous avez déclenché une inspection dès que vous avez eu connaissance de ces plaintes. Vous avez expliqué pourquoi vous l’avez fait rapidement. Nous avons eu les témoignages. Vous avez pu réagir sur la façon dont cette inspection a été conduite et sur quel en a été le suivi. C’est tout ce qui intéresse la commission d’enquête.
M. François Bayrou, premier ministre. À la lecture de la presse, je n’avais pas cru qu’il n’y avait que cela qui intéressait les membres de la commission, en tout cas certains de ses membres. J’avais cru comprendre, au contraire, qu’il y aurait une mise en cause personnelle pour avoir manqué à je ne sais quelle loi de vérité ou de mensonge, que j’étais complice de Bétharram et que j’avais, je répète, « protégé des pédocriminels ». Est-ce que l’inspection dit ou laisse entendre que j’ai en quoi que ce soit protégé quoi que ce soit ? Nous devons prendre acte – en tout cas, je demande que l’on prenne acte – du fait que ces accusations sont infondées.
Mais je veux aller un peu plus loin. Est-il anormal qu’un inspecteur se préoccupe des finances de l’établissement scolaire qu’il inspecte ? Moi, je ne trouve pas que c’est anormal. Je trouve que le rectorat, l’inspecteur d’académie, est absolument dans son rôle quand il regarde la réalité de l’établissement qu’il inspecte. Pour vous, c’est choquant. Pour moi, ça ne l’est pas. Je puis vous assurer qu’à Lille, il y a beaucoup d’établissements – et il y en a eu beaucoup à travers le temps – dans lesquels la structure financière du budget a été prise en compte. Et pas seulement à Lille, mais dans toutes les communes et villes périphériques.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous sommes bien d’accord : dans les missions des inspections, il y a l’aspect pédagogique, l’aspect financier et – j’espère que ce sera le cas de manière systémique à la suite de notre commission – le climat et la vie scolaires. En revanche, lorsqu’un inspecteur comme M. Latrubesse nous explique, sous serment, qu’il n’a pas recommandé la réfection du dortoir dans son rapport parce qu’il s’inquiétait de la capacité de l’établissement à financer ces travaux, il me semble que cela ne relève pas de l’action normale d’un inspecteur. Il l’a d’ailleurs reconnu lui-même.
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, mais nous avons la preuve – j’ai dit que je venais avec des preuves – qu’il a transmis oralement l’exigence de faire si possible des changements dans les dortoirs, puisque le directeur dit qu’il rêve d’avoir un nouvel internat. Dans la note de suivi – car c’en est une –, c’est exactement ce qui se passe. Moi, je trouve ça normal, en tout cas non répréhensible.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous passons aux questions de M. le rapporteur Vannier.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ce rapport, vous le commandez. Vous nous indiquez aujourd’hui que vous l’avez lu à l’époque de façon très rapide, pour vous concentrer sur sa conclusion, ce qui vous a conduit à écarter une partie des faits graves, que vous avez qualifiés de sévices physiques,…
M. François Bayrou, premier ministre. Non !
M. Paul Vannier, rapporteur. …qu’il relate, et à peut-être relativiser l’enjeu de l’internat, dont je dois dire qu’il est central : l’essentiel des victimes des pédocriminels de Bétharram sont des internes. Et la question de la taille de cet internat qui était, permettez-moi cette expression malheureuse, le terrain de chasse de ces prédateurs sexuels, est l’une des grandes questions. Si une réaction était intervenue à l’époque, partant du constat que l’établissement ne respectait pas les règlements en vigueur, je ne dis pas que tout aurait été résolu, mais elle aurait peut-être éveillé l’attention et conduit à des actions qui auraient permis de protéger les enfants.
Le 4 mai 1996, alors que vous êtes ministre de l’éducation nationale et que vous vous rendez dans l’établissement, vous faites une lecture de ce rapport. Devant la presse, vous indiquez : « Toutes les informations que le ministre pouvait demander, il les a demandées. Toutes les vérifications ont été favorables et positives. » Si j’ai bien compris, monsieur le premier ministre, vous nous dites que vous n’auriez pas aujourd’hui la même appréciation à la lecture de ce document ?
M. François Bayrou, premier ministre. Non, je n’ai pas dit ça, et vous déformez encore une fois la réalité. Je ne me rends pas dans l’établissement. Je répète qu’à l’inauguration dont il s’agit et dont la presse rapporte qu’elle a été faite au galop parce que j’avais une autre manifestation prévue, je suis allé avec le ministre de la culture de l’époque. L’inauguration ne concernait pas l’établissement scolaire mais la chapelle classée monument historique, dont le toit avait été refait. Nous ne sommes pas entrés dans l’établissement – pas moi, en tout cas. J’y suis entré pour inaugurer un gymnase – je ne sais pas si c’est deux ans avant ou deux ans après –, et pour une inondation je ne sais quand. Mais je ne suis pas entré dans l’établissement ce jour-là. C’est en répondant aux micros tendus des journalistes que j’ai prononcé cette phrase qui m’a servi de fil d’Ariane pour retrouver le rapport, dont je n’avais pas de souvenir, je le répète.
Est-ce que j’aurais une lecture différente aujourd’hui ? Les choses ne se passeraient pas du tout de la même façon aujourd’hui. On aurait mille alertes ou mille alarmes, ou des centaines d’alertes ou d’alarmes, parce que les réseaux sociaux, parce que les parents d’élèves… En tout cas, je l’espère.
Je vais vous dire ce que je ressens. Peut-être rattacherez-vous cela à d’autres moments de ma vie. Je ne connais rien de pire, rien de plus abject que des adultes utilisant des enfants comme objets sexuels. Il y a eu tout un mouvement à l’aube des années 1980, assez peu d’années avant cela, qui instituait un front de libération des pédophiles. Des pétitions signées par de très grands noms demandaient que l’on puisse permettre à des adultes de filmer les ébats sexuels des enfants – je cite à peu près exactement leurs termes –, publiées dans Le Monde, avec des signataires aussi illustres que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, pour la défense des pédophiles. Pour moi, l’humanité ne peut pas tomber plus bas que des adultes qui prennent des enfants comme partenaires sexuels. C’est une immonde abomination. Voilà mon témoignage sur ce sujet. Mon témoignage d’homme. Là, je ne suis pas ministre ni premier ministre. Mon témoignage d’homme, c’est ça.
M. Paul Vannier, rapporteur. Feriez-vous aujourd’hui, monsieur le premier ministre, la même lecture du rapport que celle que vous avez faite en 1996 ?
M. François Bayrou, premier ministre. Probablement pas puisque, comme je vous le dis, ça ne se passerait pas comme ça. Je n’ai pas de problème de cet ordre.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le 15 février 2025, vous avez déclaré à propos de ce rapport : « Cette inspection, elle dit que l’ambiance, la qualité de travail, les relations avec les élèves et les relations entre enseignants étaient excellentes. » Nous venons de rappeler ce que ce rapport contient : la description de châtiments corporels, de gifles, de coups, des dortoirs immenses, des élèves-surveillants. En février 2025, vous dites encore que les conclusions de ce rapport sont excellentes. Néanmoins, monsieur le premier ministre, je voudrais…
M. François Bayrou, premier ministre. Je vais vous répondre, monsieur Vannier. Tout le monde aura compris quelle est la méthode que vous croyez irrésistible, et qui est de constamment déformer les propos de ceux qui vous parlent pour essayer de les traduire en propos que l’on pourrait leur reprocher. C’est une méthode un peu grossière, pardonnez-moi de vous le dire. Je ne vous laisserai pas faire ça. Quand j’ai dit que l’ambiance était excellente… Si vous voulez et si nous avons le temps, je peux lire le rapport en entier. Il décrit l’événement qui a provoqué la plainte, mais il ne laisse pas du tout entendre ce que vous dites, je viens d’en faire la preuve concernant Mme Gullung. Il dit exactement le contraire de ce que Mme Spillebout prétendait qu’il disait. Exactement le contraire et à l’indicatif – comme à propos d’un fait. Voici donc ce que dit le rapport : « La qualité du travail qui est effectué, l’ambiance et les relations de confiance qui y règnent et la volonté de changement qui existe à tous les niveaux sont autant d’éléments positifs et d’atouts pour la réussite de l’établissement. » Vous trouvez que les propos que j’ai tenus déforment la réalité ?
M. Paul Vannier (LFI-NFP). Monsieur le premier ministre, vous nous lisez à nouveau la conclusion : cinq lignes d’un rapport qui fait près de trois pages. Vous revenez toujours à cette conclusion.
Lors de notre contrôle sur place et sur pièces dans l’établissement Le Beau Rameau, anciennement Bétharram, nous nous sommes rendus, avec Violette Spillebout, dans les archives de l’établissement où nous avons saisi un document, le compte rendu d’un conseil d’administration qui date du 7 octobre 1996. Dans ce compte rendu apparaît le passage suivant : « Le père Landel indique qu’il va falloir mener une réflexion sur la violence, demandée par M. Bayrou. » Qu’avez-vous, monsieur le premier ministre, à nous dire de cette demande que vous avez directement adressée, en 1996, au directeur de l’établissement pour engager une réflexion sur la violence à Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je dis que c’est formidable. Je dis que c’est la preuve exacte, formulée par les intéressés et que j’ignorais complètement. En 1987, je suis jeune député de la circonscription…
M. Paul Vannier, rapporteur. Le document date de 1996.
M. François Bayrou, premier ministre. Je suis donc ministre, c’est encore mieux : ça veut dire que j’ai saisi que quelque chose n’allait pas et que je demande qu’il y ait une réflexion sur la violence. Franchement, on ne peut pas trouver conduite plus conforme à ce que doit être le devoir d’un ministre que celle-là. Je considère donc que c’est un élément très positif.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’ai du mal à vous suivre, monsieur le premier ministre : depuis tout à l’heure, vous nous dites que ce rapport d’inspection d’avril 1996 contient des conclusions absolument favorables, qui n’appellent pas de réaction de votre part. Et vous nous dites maintenant qu’en octobre, vous demandez directement au chef d’établissement d’engager une réflexion sur la violence ? Je ne comprends pas : c’est une contradiction très importante dans vos déclarations.
M. François Bayrou, premier ministre. Franchement, monsieur Vannier, qui veut noyer son chien l’accuse de la peste.
Plusieurs députés. De la rage !
M. François Bayrou, premier ministre. De la rage, merci – pardon : je pensais aux Animaux malades de la peste. Vous me reprochez, à l’Assemblée nationale, d’avoir protégé des pédocriminels ; vous osez monter au micro pour commencer votre question par cette phrase scandaleuse : « Monsieur Bayrou, pourquoi avez-vous protégé les pédocriminels ? » Vous vous rendez compte après que je n’ai heureusement pas protégé ces abominations, après, vous vous repliez sur la violence et vous venez maintenant, en commission, me reprocher d’avoir alerté sur les violences et dit qu’il faut y réfléchir. Je trouve pourtant qu’il n’y a pas plus juste observation. J’ai dit tout à l’heure que j’avais publié le 14 mai une circulaire, la première à ma connaissance par un ministre de l’éducation, relative à la coopération…
M. Paul Vannier, rapporteur. Le 14 mai 1997 ?
M. François Bayrou, premier ministre. Non, le 14 mai 1996. Je l’ai là, si vous la voulez : il s’agit d’une circulaire relative à la coopération entre le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de la justice, le ministère de la défense et le ministère de l’intérieur pour la prévention de la violence en milieu scolaire.
Mme Perrine Goulet (Dem). Eh oui, et pas qu’à Bétharram !
M. François Bayrou, premier ministre. À ma connaissance, il n’y a pas eu de circulaire de ce genre avant. Excusez-moi de le dire, je trouve que c’est absolument cohérent d’avoir fait passer le message – je ne sais pas sous quelle forme – qu’il fallait tout faire pour éviter la violence à Bétharram. Quelle contradiction y a-t-il ? Au contraire, c’est exactement l’exercice de la responsabilité d’un ministre père d’élève dans l’établissement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Donc, en mai, vous affirmez devant la presse que tout va bien et, en octobre, vous indiquez au chef d’établissement qu’il faut engager une réflexion sur la violence.
Monsieur le premier ministre, vous vous êtes décrit tout à l’heure comme dans une relation assez périphérique au fonctionnement de l’établissement. Ce que ce compte rendu nous apprend, c’est aussi que vous avez des relations directes – vous êtes alors ministre de l’éducation nationale – avec le directeur de l’établissement Bétharram. Confirmez-vous que vous aviez des échanges sur la vie de l’établissement avec le père Landel, comme l’indique ce compte rendu d’un conseil d’administration de l’établissement datant du 7 octobre 1996 ?
M. François Bayrou, premier ministre. Le père Landel, je le connais – je ne connaissais pas Carricart, mais le père Landel, je le connais. Il était directeur, il a été plus tard évêque du Maroc, évêque de Rabat. C’est quelqu’un que je crois, que je sais, que je pense estimable. J’avais des rapports avec lui, non pas sur le fonctionnement de l’institution, même si j’ai pu faire passer le message – je vous signale que ce que je pense que le père Landel fait, c’est qu’il interprète la circulaire du 14 mai que j’ai signée moi-même.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, cette circulaire de mai 1996 ne porte en rien sur la prévention de la violence qu’auraient pu commettre des adultes ayant autorité sur des élèves : elle aborde d’autres aspects de la question des violences. Elle n’entre donc absolument pas dans le cadre de la réflexion qui est la nôtre.
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi ! S’il vous plaît ! Je peux corriger ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous êtes à la tête du ministère de l’éducation nationale. Vous paraissez instaurer une relation directe avec un chef d’établissement, c’est-à-dire, au fond, un mécanisme qui paraît entièrement contourner, court-circuiter les procédures dont dispose l’éducation nationale pour traiter la question de la violence dans les établissements scolaires. Pourquoi procéder ainsi plutôt que de solliciter des services que vous aviez déjà mobilisés en avril 1996 pour garantir la sécurité des élèves de Bétharram ?
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, je connais parfaitement votre méthode, qui commence à apparaître de manière absolue. D’ailleurs, cette méthode, elle est exactement décrite dans cet excellent livre (M. le premier ministre montre le livre La Meute de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou), dans lequel vous êtes analysé et cité.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Voilà ! On l’attendait !
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, mais cette méthode est décrite par Jean-Luc Mélenchon, qui est quelqu’un que je connais, je crois, et il dit « vous n’avez pas besoin d’être de bonne foi ». C’est exactement ce que vous faites, c’est-à-dire que vous ne cherchez pas la vérité, vous la déformez tout le temps…
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Répondez, alors !
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Violette Spillebout aussi serait de mauvaise foi ?
M. François Bayrou, premier ministre. … et je vais vous en donner la preuve. Vous venez de dire que la circulaire ne parle pas de la protection des enfants. En voilà la première ligne : « aider les élèves, les parents et les adultes de la communauté scolaire » – vous venez de dire que ça n’en parlait pas ; c’est la première ligne. « Il s’agit d’être vigilant à l’égard des risques que peuvent encourir les enfants et plus particulièrement à l’égard des risques de maltraitance, d’abus sexuels et de racket, pour coordonner les réponses nécessaires. » Alors si vous pensez que ce n’est pas le sujet… C’est la première ligne du premier paragraphe de la circulaire !
M. Paul Vannier, rapporteur. Je poursuis mes questions…
M. Erwan Balanant (Dem). Et les autres députés, ils vont pouvoir en poser ? Ça fait déjà deux heures qu’on a commencé !
M. Paul Vannier, rapporteur. … et je maintiens mon commentaire sur votre circulaire.
Vous avez manifestement raison de vous soucier de la question des violences physiques – dans la coulisse, avec le directeur de l’établissement –, car, dans un courrier adressé le 29 octobre 1996 par le président de l’association des parents d’élèves, M. Protat, à M. Landel, deux faits de violences intervenus le 20 octobre 1996 sont évoqués. Je veux les partager avec la commission d’enquête, parce que cette description alertera probablement sur les conséquences de l’absence d’action conduite après le rapport d’inspection. Une nouvelle gifle donnée par un surveillant à un élève est évoquée et, surtout, une scène de lynchage d’un élève par un surveillant est décrite. Je cite le courrier : « Nous n’osons même pas imaginer les conséquences si le professeur de mathématiques n’était pas intervenu pour séparer l’élève du surveillant. Faut-il un jour arriver à l’irréparable pour que vos cadres éducatifs vous mettent au courant ? », demande le président de l’association des parents d’élèves au directeur de l’établissement. C’est-à-dire que nous avons là la description d’une scène qui aurait pu, d’après ceux qui la rapportent, conduire à la mort d’un enfant.
Voilà pourquoi, monsieur le premier ministre, la question de votre réaction aux signaux d’alerte, de ce que vous avez fait d’un rapport dont vous nous dites aujourd’hui que vous n’avez lu que la conclusion, se pose. Puisque vous nous indiquez qu’au fond, vous vous consacrez aux conclusions des rapports d’inspection qui vous sont transmis, je voudrais, monsieur le premier ministre, vous interroger sur un autre rapport d’inspection, qui porte sur la situation d’un collège de Bergerac dans lequel un enseignant a été condamné à six ans de prison pour avoir violé deux enfants. À votre prise de fonctions, quand vous arrivez rue de Grenelle, vous commandez un rapport de l’inspection générale sur cette affaire. Ce rapport vous est rendu au début de l’année 1994. Dans ce rapport – c’est en tout cas ce qu’indiquent les journalistes Sophie Coignard et Alexandre Wickham dans un ouvrage paru en 1998, L’Omerta française –, les inspecteurs généraux vous font une préconisation centrale, appuyée par la cheffe de l’inspection générale de l’époque : envoyer aux responsables du système éducatif une circulaire signée par le ministre et visant « à restaurer le civisme qui a pu, ici ou là, faire défaut : dès que des faits hautement répréhensibles sont connus et que des enfants peuvent encourir des risques sérieux, il convient de prendre des mesures conservatoires qui mettent les élèves à l’abri des déviances énoncées ».
Ce rapport vous est rendu début 1994. Vous êtes en poste jusqu’en mai 1997, soit trois ans plus tard. Cette circulaire ne sera jamais envoyée. Pourquoi, monsieur le premier ministre ?
M. François Bayrou, premier ministre. Quand vous évoquez cette affaire de Bergerac, j’ai lu dans la presse qu’il y avait des mises en cause, précisément, de protection de ce pédocriminel et qu’on essayait, d’une manière ou d’une autre, de me faire entrer dans cette affaire – je l’ai lu récemment, il y a quelques semaines. Je me suis renseigné – je n’en savais rien –, et il se trouve que ce pédocriminel était en prison depuis 1992. En quoi y a-t-il protection ? Aurais-je dû signer une circulaire ? Peut-être.
Il y a une chose que j’ai faite, dont j’ai le souvenir – qu’on m’a rappelée : j’ai demandé que tout professeur ou personnel d’enseignement mis en cause dans une affaire de cet ordre soit immédiatement suspendu – alors que, jusqu’à moi, on n’était pas suspendu, on était muté. On m’a rapporté qu’il y avait eu, au sein de l’administration de l’éducation nationale, des protestations sur une mesure présentée comme aussi radicale. Voilà ce que j’ai fait. Aurais-je pu ou dû faire plus ? C’est possible. Je ne prétends pas que je suis… J’étais, je vous le rappelle, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la formation professionnelle. Est-ce que j’aurais pu faire plus sur cette circulaire précise ? Peut-être, sans doute : je ne vais pas défendre une attitude dont je ne me souviens pas. Mais peut-être.
M. Paul Vannier, rapporteur. C’est intéressant et important, car ce que font les ministres successifs – pas seulement vous – des rapports qui leur sont transmis est une des questions au cœur de nos travaux. Vous indiquez n’avoir lu que la conclusion du rapport sur Bétharram et ne pas vous être saisi pleinement du rapport de l’inspection générale que vous aviez pourtant commandé et qui vous a été remis en 1994.
Toujours selon L’Omerta française,…
M. Erwan Balanant (Dem). C’est interminable ! Nous ne pourrons pas poser nos questions !
M. Paul Vannier, rapporteur. …en 1997, l’un de vos conseillers vous alerte à nouveau sur la nécessité de réagir après plusieurs affaires de pédocriminalité mettant en cause des personnels de l’éducation nationale. Vous lui auriez répondu : « Je ne vois vraiment pas l’intérêt de salir l’éducation nationale. Et puis tu imagines la réaction des syndicats ? Non, je t’assure : il y a des moments où il faut savoir se taire. » Alors là, monsieur le premier ministre, j’ai vraiment le sentiment que nous sommes en pleine omerta. Je voudrais votre commentaire sur ces propos, que vous n’avez jamais démentis, que vous n’avez pas démentis à l’époque en tout cas, alors que cet ouvrage a été un best-seller, vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires, et qu’il n’aura donc pas pu échapper à l’attention d’un lecteur assidu de la presse locale – et, j’imagine, de beaucoup de publications.
M. François Bayrou, premier ministre. Il se trouve que je n’avais jamais lu ces lignes, que je n’ai pas de conseiller à qui j’aurais pu dire ça, parce qu’un conseiller si proche, auprès duquel j’aurais pu m’exprimer en termes aussi désinvoltes, ça n’existe pas. Il se trouve que, en 1997 – c’est 1997, vous dites ? –, mon directeur de cabinet est Marielle de Sarnez. Je ne pense pas que quiconque l’ait jamais rencontrée ait pu dire qu’elle aurait pu accepter une attitude de cet ordre. Donc je démens ces propos que je ne connaissais pas.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Juste une minute, monsieur le rapporteur. Mes chers collègues, pour votre information et pour la bonne tenue des débats : nous avions prévu une série de questions que les rapporteurs poseraient au premier ministre. Elle devait tenir en une heure quarante-cinq ; cela n’a pas été le cas. Mais nous avons tout le temps nécessaire. Nous sommes là pour entendre absolument toutes les questions de tous les collègues et nous prendrons le temps qu’il faut. C’est juste pour vous rassurer : vous pourrez poser vos questions.
M. François Bayrou, premier ministre. Pardonnez-moi, mais il faut aussi qu’on aborde 97.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous le ferons.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’ai une dernière question sur cette séquence, monsieur le premier ministre. Nous pourrons ensuite faire une pause avant de passer à un deuxième bloc.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Si vous avez besoin d’une pause tout de suite, monsieur le premier ministre, on la fait, sans aucun problème.
M. François Bayrou, premier ministre. Je peux attendre une question.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour finir sur ce premier aspect, qui concerne votre ignorance ou votre connaissance de faits de violences physiques et sexuelles ainsi que votre réaction aux informations nombreuses qui vous sont manifestement parvenues, je voulais vous interroger sur votre rapport à la violence faite aux enfants.
Chacun, je crois, garde en mémoire l’image de la gifle que vous infligez à un enfant le 9 avril 2002, à Strasbourg, pendant votre campagne présidentielle. Vous aviez alors expliqué avoir eu un « geste de père de famille, sans gravité » – c’était sur France Inter. En juillet 2023, sur LCI, revenant sur ce moment, vous évoquez « un geste éducateur ». Cette conception éducative de la gifle, dont vous paraissez encore empreint, explique-t-elle votre conduite à l’époque ?
M. François Bayrou, premier ministre. J’aurai une réponse un peu elliptique : ce que vous dites, c’est n’importe quoi. Il est vrai qu’à Strasbourg, en 2002, dans un moment extrêmement tendu – que je vais rappeler ici, parce que très souvent on présente ça en riant… Je suis en campagne présidentielle. Je suis avec la maire de Strasbourg de l’époque, dans une mairie annexe. La mairie se trouve lapidée par un petit groupe de militants islamistes : les vitres cèdent, les pierres entrent dans la mairie. Pourquoi ? Parce que j’ai, quelques années auparavant, interdit le voile à l’école – c’est moi qui l’ai fait, précisément dans les années que nous évoquons. Je rappelle qu’un sociologue éminent, Maurin, a, dans un livre récent, démontré, ou soutenu l’idée, que c’était la circulaire que j’avais prise en 1994 qui avait fait basculer la question du voile à l’école. Je suis donc mis en cause et la mairie est lapidée par ces militants islamistes.
Le préfet nous demande d’évacuer la mairie, nous descendons et nous montons en voiture. À ce moment-là, ce petit groupe se met à éructer contre la maire de Strasbourg des propos d’une indécence sexiste telle que je ne les ai pas supportés. Je suis donc descendu et je me suis confronté à ce petit groupe en disant : « Quand je suis là, on ne parle pas comme ça à une femme. » Il y a eu un moment un peu chahuté, comme vous imaginez ; il y avait une vingtaine d’hommes – d’hommes.
Il se trouve que j’ai le réflexe, tout le temps, de vérifier si mon stylo ou mon portefeuille est à sa place – je ne les change jamais de place. En passant la main, j’ai trouvé la main d’un petit garçon qui était en train de sortir mon portefeuille de ma poche. Je lui ai donné une tape – pas une claque, pas quelque chose de brutal : je lui ai donné une tape. Je suis d’ailleurs certain que cette scène a été bruitée par les télévisions, qui à l’époque ont fait faire à cette scène le tour de beaucoup de pays. Ce n’était pas du tout une claque violente : c’était une tape, en effet, de père de famille. Si quelqu’un ici pense que jamais il n’a donné une tape à un enfant… Je crois que beaucoup, s’ils sont honnêtes, pourront admettre qu’ils l’ont fait. Pour moi, ça n’est pas de la violence. Je veux rappeler que j’ai soutenu Maud Petit, députée, pour interdire les violences ordinaires – je ne sais plus exactement quel était le titre du texte…
Mme Perrine Goulet (Dem). La lutte contre les violences éducatives ordinaires.
M. François Bayrou, premier ministre. Voilà : la lutte contre les violences éducatives ordinaires.
M. Erwan Balanant (Dem). Sous les quolibets de tous nos collègues !
M. François Bayrou, premier ministre. Elle m’a appelé pour me dire : « Dis-leur que tu m’as soutenue pour faire ça. »
C’était un geste, à mon avis, de père de famille. J’ai d’ailleurs dit, si je puis finir la séquence… Le père, qui était responsable de la mosquée de cet endroit-là – je dis ça parce que c’est la maman qui m’a appelée le lendemain pour me dire : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de mon enfant ? Il y a des gens qui désossent des voitures en bas de l’immeuble, moi je vais » – c’est comme si c’était présent à mon esprit à l’instant – « moi je vais au supermarché pour dresser les rayons à cinq heures du matin ». Je n’ai jamais oublié ça ; je n’ai jamais oublié ce petit garçon, qui a eu après de graves difficultés. Je suis en empathie avec lui et avec eux, mais c’était un geste éducatif. Le père me dit : « Chez nous, on ne touche pas aux enfants. » Je lui ai dit : « Si mon fils vous avait piqué votre portefeuille, je comprendrais parfaitement que vous l’ayez remis ainsi dans le droit chemin. » Je le maintiens encore aujourd’hui. Ce n’est pas conforme aux canons de… mais c’est la vérité de la vie.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il y a donc pour vous des tapes éducatives et des claques non violentes. Je crois que c’est en effet un élément important qui va nous accompagner dans la suite de cette audition.
M. François Bayrou, premier ministre. Toujours la même méthode, monsieur : vous essayez, chaque fois, de reformuler de manière scandaleuse ce qu’on vous dit.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP) et Mme Océane Godard (SOC). C’est pourtant bien ce que vous avez dit.
L’audition est suspendue de dix-neuf heures vingt à dix-neuf heures trente-cinq.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Monsieur le premier ministre, nous allons poursuivre cette audition autour de la séquence qui concerne le père Carricart. Vous en avez parlé dès le début de cette audition et vous souhaitiez nous apporter des éclairages sur ce que vous connaissiez ou non de cet homme, ainsi que sur vos relations avec le juge Mirande dans le cadre de l’affaire dans laquelle le père Carricart a été mis en cause, mis en prison, puis libéré, et en raison de laquelle il s’est suicidé.
Commençons par votre connaissance du père Carricart. Le 15 février 2025, à la mairie de Pau, devant les victimes de Bétharram, vous avez déclaré : « Je ne connaissais pas le père Carricart. » Maintenez-vous cette déclaration ? L’aviez-vous connu sans plus vous en souvenir, ou considérez-vous toujours que vous ne le connaissiez pas du tout ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je ne sais pas ce que le verbe « connaître » veut dire exactement. Est-ce que j’avais pu le croiser ? Oui, dans une inauguration ou une manifestation, c’est possible. Est-ce que j’étais familier ou ami, est-ce que j’avais des conversations avec lui, est-ce que je le connaissais au sens… ? Non. Vous connaissez Mme Le Pen, parce que vous l’avez croisée. Est-ce que pour autant… Pour moi, croiser quelqu’un qui est dans des fonctions ou avoir une relation personnelle, d’estime ou de conversation avec lui… Non, je n’avais pas du tout ce genre de rapport avec le père Carricart, dont je rappelle qu’il quitte la France, selon les versions, en 1991. Je n’ai plus, à cette époque, d’enfant dans l’établissement et je ne le connais pas.
Ce n’est pas un nom qui me soit inconnu : Carricart est un nom très connu chez nous, j’ai des amis qui s’appellent Carricart, je connais son nom. Je sais probablement, sûrement, qu’il est le directeur de cet établissement, mais je ne connais pas le père Carricart. En revanche, je connais le père Landel. Avec lui, j’ai eu parfois des conversations, j’ai beaucoup d’estime pour lui. Mais Carricart avait quitté la France et, selon ce qu’on me dit, il ne revenait pas dans l’institution – encore que : moi, je n’y allais jamais, donc je peux me tromper sur ce sujet.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Merci, monsieur le premier ministre. Vous nous confirmez donc que vous ne le connaissiez pas personnellement, avec des conversations, mais que vous l’aviez croisé. Effectivement, les journalistes ont fait un travail qui a été porté à notre connaissance et qui montre que vous l’aviez croisé en 1987, lorsque vous vous étiez rendu dans l’établissement après une inondation, ou encore lors de l’inauguration du gymnase que vous avez évoquée tout à l’heure – une photo existe –, où étaient présentes de nombreuses personnes et au cours de laquelle il a prononcé un discours dans lequel il vous cite. C’était, je le comprends, une relation de personnalité à personnalité – puisque M. Carricart a été décrit par de nombreux témoins, dont le juge Mirande, comme une véritable personnalité de Pau, très connue à l’époque où il était directeur et encore très connue lorsqu’il revenait au sein de la congrégation –, mais vous ne le connaissiez pas personnellement.
M. François Bayrou, premier ministre. Vous dites « une personnalité de Pau ». Pas du tout ! Bétharram, ce n’est pas Pau : Bétharram, c’est à 35 kilomètres de Pau. L’établissement n’est pas un établissement de Pau, c’est un établissement de cette vallée-là, et nous allons en parler, parce que cela va me permettre d’illustrer ce qu’est Christian Mirande pour moi.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous en venons effectivement à Christian Mirande, puisque nous nous interrogeons sur la connaissance des violences, en particulier sexuelles, qui ont eu lieu à Bétharram et pour lesquelles le père Carricart a été mis en cause. Dans le journal Le Monde, en mars 2024, vous avez déclaré ne jamais avoir « entendu parler des accusations de viol » contre le père Carricart en 1998 – ce que vous avez répété le 15 février dernier, à Pau, devant les victimes. « Les sévices sexuels, je n’en avais jamais entendu parler », avez-vous dit à cette occasion. Maintenez-vous ces déclarations ?
M. François Bayrou, premier ministre. Il faut compléter la phrase. Je n’en avais jamais entendu parler avant que ce soit dans les journaux. Je répète la date : les faits sont révélés le 29 mai par la presse locale, c’est-à-dire par La République des Pyrénées, L’Éclair des Pyrénées et Sud-Ouest. Or je n’ai pas pu rencontrer Christian Mirande avant le 30 mai ou le 6 juin, au choix. Je n’avais donc jamais entendu parler de ce genre d’horreurs.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vos déclarations, eu égard aux dates que vous avancez aujourd’hui, étaient un peu différentes ; Christian Mirande les a démenties devant notre commission d’enquête. Juge d’instruction chargé du dossier Carricart, il a déclaré sous serment vous avoir informé des accusations de viol visant ce prêtre et en avoir discuté avec vous, à son domicile – propos qui ont été récemment corroborés par des révélations de votre fille. Comme des questions nous ont été posées à ce sujet, je tiens à préciser que nous n’avons pas souhaité l’auditionner. Nous nous adressons au ministre de l’éducation de l’époque et questionnons ses responsabilités. Quoi qu’il en soit, au cours de ses révélations publiques, elle a indiqué avoir eu un échange avec vous, au cours duquel vous lui avez dit avoir échangé avec le juge Mirande des accusations visant le père Carricart.
Nous allons maintenant revenir en détail sur cette rencontre. Vous avez souhaité donner des dates et nous disposons de certaines déclarations très précises de M. Mirande dans la presse, certaines datant d’aujourd’hui.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous pouvons une nouvelle fois constater que vos déclarations d’aujourd’hui sont différentes des premières que vous avez formulées. Peut-être cela s’explique-t-il, mais vous aurez l’occasion de répondre, par le témoignage sous serment du juge Mirande, intervenu dans l’intervalle devant notre commission d’enquête, ainsi que par les déclarations de votre fille sur le plateau de Mediapart.
Je reviens donc sur votre rencontre avec le juge Mirande. En mars 2024, Le Monde indique que vous niez avoir jamais rencontré ce juge. « Contacté […], le président du MoDem », donc vous, « nie avoir eu toute discussion sur le sujet », c’est-à-dire sur les accusations visant le père Carricart, « avec le juge Mirande », peut-on lire dans l’article en question. Pourquoi avoir cherché à dissimuler cette rencontre et cet échange ?
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, je n’ai rien à dissimuler. Avais-je le souvenir de cette conversation ? Non. Je vais vous donner le contenu de cet échange qui, je le répète, a eu lieu il y a vingt-huit ans. Je n’en avais aucun souvenir et c’est encore le cas aujourd’hui : je n’ai aucun souvenir de tout ça. La seule chose que je stipule, c’est que je fais confiance à Christian Mirande au sujet de cette conversation. Il dit notamment que sa fille était là et qu’elle est montée à l’étage.
Je vais vous dire qui est Christian Mirande pour moi. Ce n’est pas un voisin anonyme. Je ne sais pas si vous savez ce qu’est un village. Quand je suis né, il y avait, dans ce village où j’habite toujours, 300 habitants, c’est-à-dire une vingtaine de maisons, de familles, présentes depuis 150 ou 200 ans et qui se suivent de génération en génération.
L’une de ces familles est la famille Hourie : elle vit alors à quatre ou cinq maisons de celle où je suis né. C’est pour moi inoubliable, car c’est la première fois que, petit garçon, j’ai été confronté à un malheur définitif, infini, irréparable. Jean et Odette Hourie étaient des marchands de fromage et avaient deux enfants. Leur fils, qui avait entre trois et cinq ans de plus que moi, était pour moi un idéal de petit garçon. Quand on le voyait, mais peut-être est-ce ma mémoire qui reconstitue les choses ainsi, le mot qui venait à l’esprit était celui d’un ange. Il avait toutes les qualités, la gentillesse… Mais un soir, il a eu un accident de bicyclette et le matin suivant, on a appris qu’il était mort. Il s’appelait Étienne – on disait Tiénnot. Je n’oublierai jamais ce moment où mon père, ma mère, les bras le long du corps, ma petite sœur et moi avons appris, au milieu de la cour de la ferme, que ce petit garçon était mort, à la suite de l’accident de bicyclette qu’il avait eu la veille au soir, avec une voiture, j’imagine.
Les Hourie avaient deux enfants : Étienne et Yvette. Christian Mirande a épousé Yvette. Il était intendant adjoint dans le lycée où j’ai suivi tout mon enseignement secondaire et où j’ai été prof. Je ne sais pas si on peut l’expliquer, mais ce n’est pas un simple voisinage géographique : c’est une intimité de voisins. D’ailleurs, il a raconté dans je ne sais quel journal, peut-être est-ce aujourd’hui même, qu’il m’arrivait de sauter par-dessus son portail cassé pour aller bavarder avec lui. Christian Mirande, pour moi, c’est ça.
C’était le seul magistrat que je connaissais. C’est pourquoi les accusations selon lesquelles je serais passé par je ne sais quel autre haut magistrat pour obtenir des renseignements sont stupides. Christian Mirande est quelqu’un que j’estime. Je peux être en désaccord avec ce qu’il dit, mais je l’estime – j’allais dire familialement –, et ses enfants.
Avais-je le souvenir de cette conversation ? Pas plus que d’autres que j’ai eues avec lui. Je vous entends dire « d’accord ». Pardonnez-moi d’être long, mais ces choses sont très importantes. Je n’avais pas et je n’ai toujours pas le souvenir de ces conservations.
Mais je sais une chose avec certitude, c’est que vos allégations sur cette affaire sont fausses. Parce que Christian Mirande l’a dit sous serment et l’a répété dans la presse, je le dis moi-même sous serment et suis prêt à le répéter à qui voudra l’entendre, qu’il n’a rien pu me dire qui n’était pas dans le journal de la veille. La totalité des informations dont je disposais sur cette ignominieuse affaire, par exemple au sujet de la salle de bains, étaient dans le journal du 29 mai.
Si je voulais aller plus loin : pouvez-vous me citer un fait qui ne soit pas relaté dans le journal ? En tout cas me concernant, il n’y a rien d’autre, en aucune manière, que cette fréquentation amicale de ce garçon avec qui j’ai tant de liens de voisinage. Jamais il n’a trahi le secret de l’instruction ; jamais je n’ai sollicité qu’il le trahisse.
Il dit quelque chose de très vrai, ou plutôt de très vraisemblable : je lui aurais répondu « c’est pas possible ». Aujourd’hui encore, quand on me décrit la scène en question, je dis que si quelqu’un a le nom d’homme, il ne peut pas faire ça, à savoir violer un petit garçon de 10 ans au moment où sa maman vient le chercher pour aller aux obsèques de son père, qui s’est tué deux ou trois jours avant. Aujourd’hui encore, je dirais « mais ça n’est pas possible » ! Vous comprenez ça ? Un type qui est prêtre et directeur de l’institution et qui prend un petit garçon de 10 ans le jour où sa maman vient le chercher pour aller à l’enterrement de son papa… Oui, il est possible que j’aie dit « ça n’est pas possible ».
Ma fille a raconté le moment où je suis rentré à la maison, mais il faut raconter la scène jusqu’au bout. Je pense qu’elle s’est un peu perdue dans le vocabulaire. J’aurais parlé de secret de l’instruction, mais je n’ai jamais dit cela, puisqu’il n’y a jamais eu de rupture du secret de l’instruction. J’ai pu lui dire de ne pas répéter les faits, tant ils étaient épouvantables ; ça oui. Mais il y a une chose qu’elle dit, et qui est sûrement vrai, c’est que finissant la conversation, j’ai dit : « il est prison, qu’il y reste ». C’est ça que ma fille raconte. Étant donné l’abomination de cette scène, il est probable que j’aie dit ça.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je peux imaginer que, trente ans après les faits, vous n’ayez pas le souvenir de cette conversation. Cependant, ce n’est pas la réponse que vous donnez au Monde en mars 2024 : vous niez l’existence de cette conversation. Ce sont deux réponses très différentes.
Je souhaite revenir sur cette rencontre. Vous dites que vos souvenirs sont imprécis, mais cette rencontre, vous l’avez vous-même décrite, évoquée, abordée. Pourriez-vous donc revenir sur cet échange de 1998 avec le juge Mirande lors duquel il vous informe des accusations de viol qui visent le père Carricart ? Où s’est passée cette rencontre ? Combien de temps a-t-elle duré ? À l’initiative de qui a-t-elle eu lieu ?
M. François Bayrou, premier ministre. Mon collaborateur me dit que si Le Monde rapporte que j’ai nié, l’édition datée du lendemain de La République des Pyrénées indique le contraire. Or, Le Monde étant publié le samedi après-midi, cela signifie que les questions ont été posées à la même minute par La République des Pyrénées du lendemain.
Je nie absolument que Christian Mirande m’a informé du viol, comme vous venez de le dire. Le viol est dans le journal de l’avant-veille, vous comprenez ça ? La République des Pyrénées et Sud-Ouest, l’avant-veille, ont décrit précisément la scène du viol. Christian Mirande ne m’a donc informé de rien. Ce sont des choses assez simples.
Je n’ai rien appris à l’occasion de cette conversation et si vous m’interrogiez aujourd’hui avec du sérum de vérité pour me faire dire ce que j’ai appris qui n’était pas dans le journal, je n’aurais rien pu apprendre, car depuis que cette affaire a été relancée, systématisée, utilisée comme un missile, je n’ai rien appris de plus que ce qui figurait dans le journal du 29 mai.
M. Paul Vannier, rapporteur. De nouveau, vous n’avez pas répondu à ma question. Pouvez-vous décrire cette rencontre avec le juge Mirande ? À l’initiative de qui a-t-elle eu lieu ? Combien de temps a-t-elle duré ? Où a-t-elle eu lieu ?
M. François Bayrou, premier ministre. Il dit qu’elle a eu lieu chez lui. Il a raconté que je sautais par-dessus son portail : peut-être l’ai-je fait ce jour-là pour lui parler. Il dit que la conversation s’est déroulée dans son salon : je lui fais confiance. Je n’ai aucun souvenir ; c’était, je le rappelle, il y a vingt-sept ou vingt-huit ans. Je n’ai aucun souvenir de cela. Et je ne suis pas le seul protagoniste à ne pas se souvenir : nous y reviendrons peut-être tout à l’heure. Je ne sais pas où la rencontre a eu lieu. Il a dit que sa fille était là et qu’elle est montée pour nous laisser tranquilles. Nous devions donc être dans son salon, j’imagine, ou dans sa cuisine, je ne sais pas. Je n’ai aucun souvenir de ça. Mais je sais une chose avec certitude, c’est qu’il ne m’a rien appris sur cette affaire, car tout était dans le journal de l’avant-veille.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous dites aujourd’hui, 14 mai 2025, n’avoir aucun souvenir de cette rencontre. Pourtant, le 15 février dernier, à la mairie de Pau, devant les victimes de Bétharram, vous avez décrit cette rencontre. Vous avez indiqué avoir croisé le juge Mirande en voisin, sur un chemin. Vous dites maintenant que la rencontre a eu lieu chez lui.
M. François Bayrou, premier ministre. Ce n’est pas ce que je dis.
M. Paul Vannier, rapporteur. Alors revenez sur les conditions de cette rencontre : c’est important. A-t-elle eu lieu sur un chemin, comme vous l’avez indiqué le 15 février, ou chez le juge Mirande, comme vous le dites aujourd’hui ?
M. Laurent Croizier et Mme Perrine Goulet (Dem). En quoi est-ce important ?
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, mais je croyais que c’était une commission d’enquête sur la protection de l’enfance dans les établissements scolaires.
Pourquoi ai-je dit avoir rencontré Christian Mirande sur un chemin ? Parce que c’est là que je le rencontre habituellement, et je peux même vous dire que c’est sur le chemin du bois. Parce que c’est là que nous allons marcher, tous ceux qui sont de ce village le connaissent.
Le lieu où s’est déroulée la conversation est-il important ? Excusez-moi ! Christian Mirande dit qu’elle a eu lieu chez lui, pendant deux heures : je lui fais confiance. Il a indiqué que j’avais dit « ce n’est pas possible » : c’est vrai – enfin, c’est vraisemblable. Mais je n’ai rien appris qui ne fût dans le journal du 29 mai, rien, car tout y était. Et je ne suis pas le seul à le dire. Christian Mirande dit la même chose en affirmant ne jamais avoir manqué au secret de l’instruction. Quant à moi, je ne suis jamais allé chercher des informations qui auraient été couvertes par ce secret ; jamais.
Dans son livre Le Silence de Bétharram, Alain Esquerre raconte que quand on lui annonce que le père Carricart pourrait être en cause, il répond que c’est « inconcevable ». Alain Esquerre ! Celui qui a mené tout ce mouvement, qui a rassemblé tant de gens, dit que c’est « inconcevable ». Lui connaissait le père Carricart. Il dit que c’était le plus gentil, que c’était « Papi fraise ». Je n’avais jamais entendu ce surnom, c’est dans le livre que je l’ai appris. Donc oui, j’ai dû penser que c’était inimaginable, abominable, insupportable même d’évoquer ce genre de choses. Et je n’ai pas appris une once de plus que ce qui était dans le journal.
Toute votre stratégie consiste à dire que j’ai changé de version, mais je n’en ai pas changé : encore aujourd’hui, je n’ai pas de souvenir. Et que voulez-vous prouver en disant que j’ai changé de version ? Que je protège quelqu’un ? C’est ça que vous voulez prouver ? Ayez le courage de votre affirmation.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ces questions, vous ne devriez pas les déconsidérer, car, au fond, elles nous permettent de porter une appréciation sur la valeur de votre parole. Le 15 février, vous dites avoir croisé le juge sur un chemin et évoqué l’affaire Carricart au détour d’une phrase. Le 10 avril, devant notre commission d’enquête, le juge Mirande, sous serment, décrit très différemment cette rencontre, indiquant qu’elle a eu lieu à votre initiative, chez lui, et qu’elle a duré au moins deux heures.
M. François Bayrou, premier ministre. Et alors ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Et le 14 mai, c’est-à-dire aujourd’hui, devant notre commission d’enquête, vous faites de nouveau, sur un autre point, varier de manière très importante votre version des faits.
Ma question est donc directe : avez-vous cherché à minimiser l’existence et le contenu de cette conversation ?
M. François Bayrou, premier ministre. Franchement, il y a des moments où on se demande dans quel monde on vit. Suis-je l’accusé dans cette affaire ? Dix fois, je vous ai entendu dire que vous n’étiez pas un tribunal, ni des magistrats. Mais comment vous comportez-vous, là ? Vous essayez de nourrir un scandale, avec des méthodes un petit peu grossières, un peu faibles, si je puis dire. Je pensais qu’à LFI, vous étiez un peu plus élaborés. Qu’est-ce que je dissimule ?
Le père Carricart était en prison. On découvre ce qu’il a fait dans le journal. Il sortira de prison quinze jours plus tard. Me suis-je occupé une seule fois de cette affaire ? Jamais. Excusez-moi, j’ai été garde des sceaux, certes fugacement, et jamais je ne me suis occupé d’aucune affaire. Je ne suis jamais intervenu dans une affaire de justice ; jamais. Ça peut vous surprendre, peut-être que vos mœurs à vous sont différentes et que vous intervenez dans des affaires de justice ; moi, jamais.
La conversation a-t-elle eu lieu ici ou là ? Combien de temps a-t-elle duré ? A-t-elle pu durer deux heures ? C’est possible, mais cela ne change absolument rien au fait que, ce jour-là, depuis quarante-huit heures, tous les détails étaient dans le journal – journal que vous pouvez relire. L’instruction n’a rien montré de plus, ce qui est d’ailleurs un problème assez grave, dont nous parlerons après.
M. Paul Vannier, rapporteur. Je note simplement que vous dites aujourd’hui que le père Carricart était en prison au moment de cet échange. Le 15 février, à Pau, vous dites que lorsque vous rencontrez le juge, la personne poursuivie a été libérée. Là encore, vous ne dites donc pas la même chose le 15 février et le 14 mai.
M. François Bayrou, premier ministre. Je voudrais la parole.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous l’aurez et pourrez apporter tous les éléments que vous souhaitez.
Pour poursuivre mon questionnement, je souhaite revenir sur vos interventions et la façon dont vous avez essayé de vous renseigner sur une procédure judiciaire en cours, en dehors de tout cadre légal. Pour cela, j’évoquerai la déclaration sous serment du gendarme Hontangs, le 10 avril devant notre commission d’enquête. Chargé de l’enquête sur le père Carricart, M. Hontangs le défère le 25 mai 1998 au juge Mirande. Or, sous serment, le gendarme indique que, devant son bureau, le juge lui dit : « Monsieur Hontangs, la présentation est retardée. Le procureur général demande le dossier. Il y a eu une intervention de M. Bayrou. » Que répondez-vous à cela ?
M. François Bayrou, premier ministre. C’est extrêmement simple : soit le gendarme Hontangs ment, soit il affabule. Je veux bien accepter l’idée qu’il affabule. Et je vais en apporter la preuve – preuve qui va montrer la manipulation dont vous êtes l’auteur. C’est intéressant de le vérifier.
D’abord, vous dites que le gendarme Hontangs déclare sous serment. Je demande qu’on compare, dans votre compte rendu, ses déclarations avec celles du juge Mirande, ces deux personnes s’étant exprimées sous serment devant vous. Ils ont prononcé presque la même phrase en miroir. Je cite de mémoire mais nous pourrions projeter les deux textes s’il le faut.
Le gendarme Hontangs dit : « Je suis arrivé devant la porte et le juge Mirande m’a dit : "M. Hontangs, il faut attendre, parce que le procureur général veut voir ce dossier, il y a eu une intervention de M. Bayrou". » Ça, c’est l’audition de Hontangs. Et voilà l’audition de Mirande – elle est affichée – toujours sous serment. Il dit : « Je suis sorti, et le gendarme Hontangs m’a dit : "Il faut attendre, parce que le procureur général veut voir le dossier" », et il laisse entendre – je ne sais pas s’il le dit explicitement, non, il dit qu’il ne se souvient pas de l’avoir dit – qu’il y a eu une intervention de moi.
Ces deux personnes n’ont donc pas la même version des faits : elles sont même symétriquement contraires. Tous les deux sous serment : Mirande dit « C’est Hontangs qui me l’a dit » et Hontangs « C’est Mirande qui me l’a dit ».
Pourquoi ces éléments, qui étaient projetés devant vous, ne le sont-ils plus ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Ce n’est pas volontaire. Même si je note que cette pièce ne m’avait pas non plus été communiquée par avance.
M. François Bayrou, premier ministre. Le texte était affiché, il a été enlevé et il est de nouveau projeté mais je vais le lire, car il est un peu loin – pardonnez-moi, d’ici je ne peux pas le lire car je suis dans l’angle.
M. Hontangs dit : « M. Mirande m’a alors informé : "Monsieur Hontangs, la présentation est retardée. Le procureur général demande à voir le dossier. Il y a eu une intervention de M. Bayrou" ».
M. Mirande, lui, dit que le gendarme Hontangs lui a indiqué « qu’il fallait patienter, le procureur général souhaitant consulter le dossier ».
Ce sont donc deux versions résolument antagonistes, qui ont été utilisées pendant des mois, y compris par vous, monsieur Vannier, dans d’innombrables déclarations, tweets, etc., afin d’appeler à la démission du premier ministre, au motif qu’il était intervenu dans une affaire. C’est absolument scandaleux, permettez-moi de vous le dire, car la réponse se trouve dans le dossier. Dans le dossier, l’intervention est mentionnée et la personne qui est intervenue est nommément désignée.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. De quel dossier parlez-vous ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je rappelle le contexte. On a dit, à partir de ces déclarations successives, que j’étais intervenu. Partout, cela a fait la une des journaux sur la terre entière. Je rappelle l’objet de l’intervention : retarder de quatorze à seize heures le défèrement de Carricart. Et je suis tout à coup enseveli sous ce genre d’accusations déshonorantes. Je répète que je ne suis jamais intervenu dans aucune affaire.
J’ai demandé à la Chancellerie si, par hasard, il n’y avait pas eu une communication du procureur général en question, M. Dominique Rousseau, qui est mort depuis vingt ans. Je ne le connaissais pas, parce que je ne fréquente pas la magistrature, bien qu’ayant fugacement été garde des sceaux. Le seul magistrat que je connaissais à Pau, c’était Mirande. Si j’avais dû intervenir auprès de quelqu’un, c’est auprès de lui que je l’aurais fait. Or il soutient exactement le contraire.
Donc j’ai demandé et des gens ont fini par retrouver et communiquer à la presse les trois interventions écrites du procureur général auprès du ministère de la justice et de la Chancellerie. Je voudrais qu’on projette la première d’entre elles.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Votre façon de procéder me dérange. J’avais demandé que les pièces à projeter me soient communiquées à l’avance. Or les deux qui m’ont été transmises n’ont pas été projetées.
M. François Bayrou, premier ministre. C’est l’une d’elles.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Très bien, mais jusqu’à présent, je n’avais pas connaissance des pièces que vous avez demandé de projeter. Pour se mettre en confiance…
M. François Bayrou, premier ministre. Vous avez de très grands pouvoirs…
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. J’ai le pouvoir de gérer la commission.
M. François Bayrou, premier ministre. …mais pas celui d’exiger que je veuille bien fournir des pièces à l’avance. Car pour l’intérêt éclatant de la démonstration, j’ai besoin de montrer la surprise que représente pour moi la découverte incroyable de votre malhonnêteté. (Exclamations.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. La malhonnêteté de qui ?
M. François Bayrou, premier ministre. La malhonnêteté de M. Vannier, que je vais prouver. J’ai dit être venu avec des preuves, or il se trouve que, dans le dossier, dans les trois communications écrites – publiées par BFM, ou quelque chose comme ça – et que vous avez lues à coup sûr étant donné que vous êtes passionnés par l’affaire, la réponse est présente. Tout le reste n’est donc que manipulation. C’est pourquoi je voudrais que cette pièce soit projetée.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous allons la projeter, mais dans ma commission, j’aime que les débats soient sereins. Mes propos n’ont jamais dépassé les limites et je trouve que vous allez très loin en parlant de malhonnêteté. Vous en avez le droit, mais le travail des rapporteurs est un travail de longue haleine, sérieux, appliqué, du moins dans le cadre de cette commission.
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, je vous le dis gentiment, aussi ne le prenez pas mal, mais vous dites « ma commission » : ce n’est pas votre commission.
M. Alexis Corbière (EcoS). Elle la préside !
M. François Bayrou, premier ministre. Elle la préside, mais un président ne dit pas « dans mon assemblée ». (Exclamations.)
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Commencez par dire « Mme la présidente » !
Mme Caroline Parmentier (RN). Calmez-vous !
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous allons dépassionner la discussion.
M. François Bayrou, premier ministre. Oui, c’est mieux.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Traitez mieux l’Assemblée nationale !
Mme Perrine Goulet (Dem). Traitez mieux le gouvernement et le premier ministre !
M. François Bayrou, premier ministre. Donc, après cette affirmation selon laquelle je serais intervenu – pour je ne sais quoi –, après les demandes de démission multiples et les insultes de toute nature dont je suis abreuvé depuis quatre mois, après cette commission, on découvre ce document-là : la communication écrite du procureur général à la Chancellerie.
La réponse figure en toutes lettres : oui, il y a eu une intervention du procureur général. Pour quelle raison ? Je n’en sais rien, j’en suis réduit à des supputations. Cette intervention, c’est le compte rendu de l’appel téléphonique du 26 mai 1998 – le jour de l’incarcération, donc les deux heures de départ – passé à M. Le Mesle.
Qui est M. Le Mesle ? Laurent Le Mesle est un très grand magistrat, connu et respecté de tout le monde, qui a ensuite été procureur général de Paris et premier avocat général à la Cour de cassation. Très grand magistrat respecté de tous. Il était à l’époque numéro deux de la direction des affaires criminelles et des grâces. Il intervient en disant ceci : « J’ai l’honneur – en vous confirmant les termes de mon compte rendu téléphonique du 26 mai 1998 – de vous informer du déroulement de la procédure […] ». Ce n’est pas en quoi que ce soit François Bayrou qui est intervenu, c’est Laurent Le Mesle. À l’époque, la ministre de la justice est Élisabeth Guigou, qui a dit devant votre commission, sous serment : « Si quelqu’un avait essayé d’intervenir, on m’en aurait rendu compte. »
Cette affaire dure depuis des mois ; j’imagine que vous comprenez que ce n’est pas une affaire anodine pour moi. J’ai été ciblé de toutes les manières possibles ; on a prétendu que j’étais intervenu, que le gendarme et le juge – qui ne disent d’ailleurs pas la même chose – avaient affirmé que j’étais intervenu dans le dossier. On voit ici la preuve écrite, sous la plume du procureur général de l’époque, que celui qui est intervenu est le numéro deux de la direction des affaires criminelles et des grâces. Or Laurent Le Mesle est encore en vie et, je crois, toujours en activité. Il est assez facile de lui poser la question : est-ce que c’est moi qui suis intervenu auprès de lui ou est-ce quelqu’un d’autre, un autre politique – je rappelle que je suis dans l’opposition à l’époque – ou quelqu’un du cabinet ? Il y a peut-être des choses de cet ordre.
En tout cas, sous serment – et pour moi, un serment ce n’est pas rien –, j’affirme que je ne suis pas intervenu et que ceux qui m’en ont accusé ont conduit une manipulation, parce qu’ils avaient dans le dossier la réponse à cette accusation infondée.
M. Paul Vannier, rapporteur. Pour que les membres de notre commission d’enquête disposent de tous les éléments, je précise que cette déclaration du gendarme Hontangs – que vous contestez très vigoureusement – est corroborée par le témoignage écrit, versé à notre commission d’enquête, du gendarme Matrassou.
Ce gendarme nous écrit : « Oui, je me souviens parfaitement de la mention », par le gendarme Hontangs, « d’une intervention de M. Bayrou, intervention qui aurait été formulée auprès d[u] procureur général. » Ce propos est partiellement corroboré par le juge Mirande qui, sous serment devant notre commission d’enquête – un peu différemment de ce que vous avez montré, monsieur le premier ministre –, déclare : « Je connais parfaitement ces deux gendarmes, en qui j’ai toujours eu une entière confiance. S’ils affirment que ces propos ont été tenus, c’est très certainement qu’ils l’ont été. »
M. François Bayrou, premier ministre. Vous avez beau ramer dans tous les sens et en marche arrière, vous n’arriverez pas à changer cette affaire-là. Il suffit d’appeler M. Le Mesle, le président. Je rappelle qu’il a été premier avocat général à la Cour de cassation ; c’est un magistrat respecté par tout le monde, que je ne connais pas, mais dont je connais la réputation, qui est grande.
Poursuivons. Le gendarme Matrassou dit « Oui, M. Hontangs m’a dit ça. » Il ne dit pas que quelqu’un d’autre – le procureur par exemple – le lui a dit.
Pour ceux qui sont un peu familiers de la justice, l’idée qu’un procureur général descende de son bureau pour aller voir le gendarme et lui dire « je suis obligé de retarder la comparution de votre client parce que le député est intervenu auprès de moi », je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point on est dans le… On doit mourir de rire ! Vous savez ce que c’est, un procureur général ? C’est un magistrat qui, dans son ressort, est le plus haut magistrat avec le premier président. Vous le voyez aller dire ça aux gendarmes ?
Alors la preuve est apportée par le dénommé M. Matrassou, que je ne connais pas, que Hontangs lui a dit ça. Eh bien, Hontangs soit a menti, soit s’est trompé, soit l’a cru, soit a reconstitué avec le temps. Mais la certitude, c’est que je ne suis pas intervenu ; c’est M. Le Mesle qui a eu la conversation avec le procureur général.
D’ailleurs, que dit Mirande ? Il dit : « Le procureur général m’a dit "Faites ce que vous devez faire." » Et d’ailleurs, preuve supplémentaire, qui est présent dans cette affaire ? C’est le procureur. Et que fait le procureur ? Il requiert l’incarcération.
J’ai été diffamé à perte de semaines, avec la multiplication de tweets par vous, monsieur Vannier, et par un certain nombre de membres de la commission, qui prétendaient le contraire de la vérité, qui prétendaient que je serais intervenu dans cette affaire au bénéfice de la protection de pédocriminels. C’est indigne ! Pardon de vous dire ça, vous êtes parlementaire. C’est indigne de mettre des gens en cause alors qu’on a sous les yeux la preuve du contraire. Manipulation et recherche de scandale. Je regrette, mais vous êtes tombé, dans cette affaire-là, sur un os.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, nous avons depuis longtemps en notre possession les documents que vous évoquez ; nous les avons beaucoup étudiés et nous continuerons à le faire après cette audition, puisque nos travaux se poursuivent.
Vous nous dites que c’est M. Le Mesle qui a eu la conversation avec le procureur général, comme la mention d’un compte rendu téléphonique l’indique. C’est tout à fait vrai. C’est ce qui s’est produit, comme cela se produisait très régulièrement à cette époque : quand des procureurs généraux, au fond, cherchaient à avoir un retour de la Chancellerie, ils pouvaient appeler des hauts fonctionnaires pour les alerter du dossier dont ils ont la charge. C’est ce qu’il fait par écrit quelque temps plus tard.
Ce que vous présentez comme une preuve d’une intervention n’en est, monsieur le premier ministre, absolument pas une. Il n’y a dans ce document aucun signe d’une intervention de M. Le Mesle dans la procédure en cours et dans une éventuelle demande de communication d’un quelconque dossier.
Je voudrais avancer…
M. François Bayrou, premier ministre. Vous êtes sérieux quand vous parlez, là ?
M. Paul Vannier, rapporteur. Oui, monsieur le premier ministre. Je vous appelle à peut-être faire preuve de plus de respect et de sérénité. Vous avez tout à l’heure eu une appréciation sur la dignité du parlementaire : je vous invite, vous qui êtes premier ministre de la France, à être dans le même registre de dignité et de respect, de la commission d’enquête parlementaire et de l’ensemble des députés.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Posez votre question, monsieur le rapporteur.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ma question, monsieur le premier ministre, porte sur une interview du juge Mirande publiée aujourd’hui dans le journal Sud-Ouest. Le juge y affirme que votre actuel conseiller, M. Muller, qui est par ailleurs un ancien procureur de Pau, l’a appelé à deux reprises ces dernières semaines pour parler – je cite le juge Mirande – « du secret de l’instruction ».
Avez-vous, monsieur le premier ministre, donné consigne aux membres de votre cabinet de prendre contact avec des personnes entendues par notre commission d’enquête ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je n’ai pas besoin de donner consigne, parce qu’il se trouve que je connais le juge Mirande et que mon conseiller le connaît – il a été procureur à Pau pendant des années.
Tous les journaux nous expliquaient que vous disiez qu’il y avait eu rupture du secret de l’instruction. Il est tout à fait possible et légitime qu’entre personnes qui se connaissent… Je vous rappelle que votre commission n’est pas partie prenante du secret de l’instruction. Il n’y a pas d’excommunication parce que quelqu’un dit à quelqu’un d’autre qu’on lui raconte qu’il a manqué au secret de l’instruction !
Je crois qu’ils ont eu cette conversation ; c’est possible. En tout cas, M. Muller ne m’a pas dit le contraire. C’est entre deux personnes qui se respectent et qui se connaissent qu’il y a eu cet échange sur vos déclarations – c’étaient les vôtres. Vous avez un rôle central dans cette affaire : c’est vous qui prétendiez que j’étais allé chercher des renseignements, qui avaient fait que le juge Mirande manquait au secret de l’instruction ; on m’avait dit que Mirande allait le confirmer.
Et donc, il lui a posé la question. Franchement, entre deux personnes qui se connaissent et se respectent, il n’y a pas d’influence, il n’y a rien de tout ça. M. Christian Mirande a répondu ce qu’il a voulu répondre, rien d’autre et rien de plus. Mais ce sont vos déclarations qui ont provoqué ça.
M. Paul Vannier, rapporteur. Dans cette interview, le juge Mirande ne parle jamais de moi, monsieur Bayrou.
Vous nous dites donc que des membres de votre cabinet, sans que vous en soyez informé, prennent des contacts avec des personnes auditionnées par notre commission d’enquête pour aborder les travaux de celle-ci. C’est bien ça ?
M. François Bayrou, premier ministre. Non. Ça va finir par faire rire ceux qui sont présents. (Protestations parmi les députés des groupes LFI, SOC et EcoS.) Vous appliquez perpétuellement la même méthode, qui consiste à prendre une phrase qui dit « blanc » et à demander « Donc vous confirmez bien que vous avez dit noir ? »
Je dis clairement que non, il n’est pas vrai que j’ai nié qu’il y ait eu cette conversation ; c’est une conversation qui me paraît normale. Vous m’accabliez d’un déluge d’accusations, prétendant qu’il fallait que je démissionne parce que j’avais manqué au secret de l’instruction, parce que j’avais invité Mirande, parce que j’étais allé chercher – comment vous avez dit ça, « pour des intérêts personnels », c’est votre déclaration – des renseignements couverts par le secret de l’instruction – c’est ce que vous avez dit.
Mon collaborateur, qui connaît parfaitement le juge Mirande, a pu lui poser cette question ; je n’ai jamais nié qu’il ait pu le faire.
M. Paul Vannier, rapporteur. Non, vous nous avez dit qu’il l’avait fait de sa propre initiative.
M. François Bayrou, premier ministre. Je n’ai jamais dit qu’il l’avait fait de sa propre initiative. Il l’a fait, peut-être, après des conversations. Mais à la différence de vous, je n’ai pas l’habitude de me défausser.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Ah bon ?
M. François Bayrou, premier ministre. J’affirme, je dis que mes collaborateurs sont sous ma responsabilité. Je n’ai pas l’intention de dire qu’ils font des trucs sans que je le sache.
M. Paul Vannier, rapporteur. Très bien. Donc vous saviez que votre collaborateur allait appeler le juge Mirande, qui a été reçu par notre commission d’enquête, pour aborder les travaux de celle-ci.
Mme Perrine Goulet (Dem). Et alors, ce n’est pas interdit ! Ce n’est pas un procès !
M. Paul Vannier, rapporteur. J’ai une dernière question, monsieur le premier ministre, dans ce deuxième bloc de questionnement. Le 11 avril 2025, vous avez déclaré, à propos des auditions sous serment de MM. Hontangs et Mirande devant notre commission d’enquête : « Les juges et les gendarmes, vous savez, ça se trompe comme les autres. » Considérez-vous donc, monsieur le premier ministre, qu’ils se sont parjurés ?
Plus largement, considérez-vous que les juges et les gendarmes, peuvent se tromper – pour reprendre vos mots – lorsqu’ils sont sous serment devant une commission d’enquête parlementaire ?
M. François Bayrou, premier ministre. Vous voyez à quel point… Vous voyez la perversité impuissante dans laquelle vous êtes ? C’est de la perversité. Vous dites : « Est-ce qu’ils se sont parjurés ? » Vous savez ce que les mots veulent dire : parjurer, ça veut dire qu’on a juré et qu’on manque à son serment.
Or je n’ai jamais dit, y compris dans l’interview que vous venez de citer, qu’ils ont menti. J’ai dit : « Ils peuvent se tromper comme tout le monde. » Moi, je pense qu’au bout de trente ans, la mémoire vous trompe ; elle reconstitue des choses qui ne sont pas avérées. Tous ceux qui ont touché à des enquêtes, tous ceux qui savent comment fonctionne la justice, savent que ça se produit tout le temps.
Lorsque j’ai dit « Non, ce n’est pas vrai », les journalistes, qui étaient nombreux à me tendre les micros, ont dit : « Alors ils ont menti ! », comme vous le faites. Je dis non : ils peuvent se tromper, comme les autres. C’est Le Cid : les rois, tout rois qu’ils sont, peuvent se tromper comme les autres hommes.
Ce ne sont pas des rois, ce sont des magistrats et des gendarmes ; ils peuvent se tromper et parfois, ils peuvent être induits en tromperie – par vous ! Vous avez depuis le début essayé de montrer qu’il y avait derrière cette affaire des secrets épouvantables.
Je m’arrête une seconde sur ce mot. Il y a une interview de vous dans Sud-Ouest, datant d’hier ou d’avant-hier, dont le titre est « Les secrets de la famille Bayrou appartiennent à la famille Bayrou. » Ça semble être une formule comme ça, mais quand c’est la une du journal, le lecteur se dit que c’est une famille qui a des secrets, des secrets de famille, et qu’il ne faut pas aller voir ce qu’il y a derrière. C’est ça que vous avez fait. Est-ce que vous l’avez fait innocemment ? C’est possible, mais les dégâts que vous faites, sans arrêt, ceux qui les payent, ce ne sont pas seulement un responsable, mais des personnes, des garçons et des filles, des enfants et des parents. C’est votre méthode. Pour moi, c’est une méthode qui n’a pas de conscience.
M. Paul Vannier, rapporteur. Bien évidemment, je ne me livrerai pas à la polémique et à l’outrance dans lesquelles, monsieur le premier ministre, vous êtes en train de sombrer.
Je voudrais juste faire un commentaire. Vous avez dit « Moi, je pense qu’au bout de trente ans, la mémoire vous trompe ». C’est tout à fait possible, mais je veux indiquer à notre commission d’enquête que les déclarations du gendarme Hontangs sont constantes depuis trente ans.
M. François Bayrou, premier ministre. Depuis trente ans, je n’en crois rien ! Le gendarme Hontangs a été entendu pour la première fois il y a trois mois, donc excusez-moi de dire ça, mais le gendarme Hontangs a pu se tromper ou être trompé. Il a pu être entraîné dans une erreur qui, en l’occurrence, aurait pu, comme toute cette affaire, être destructrice pour moi et pour ceux qui m’entourent. Heureusement, nous avons pu apporter des preuves, mais je trouve ça…
On va sans doute en venir maintenant à la troisième phase, c’est-à-dire aux décisions de la chambre de l’instruction de la cour d’appel, qui méritent qu’on y vienne.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Madame la rapporteure, c’est à vous.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Monsieur le premier ministre, on va poursuivre avec ces sujets extrêmement importants, parce qu’on parle du contrôle de l’État. Je comprends que les mises en cause personnelles créent beaucoup de révolte en vous. Néanmoins, comme vous l’aviez dit en arrivant, vous êtes là pour vous exprimer et répondre à un certain nombre d’accusations.
Dans l’ensemble des auditions que nous avons menées sur ces sujets, y compris celles du juge Mirande et du gendarme Hontangs, et dans les témoignages écrits, vous avez été mis en cause, y compris par eux, au sujet d’une éventuelle intervention au moment du défèrement du père Carricart et au sujet d’une influence ou d’une intervention potentielle sur sa libération ; quinze jours après son incarcération, il est libéré et envoyé à Rome, à 1 400 kilomètres.
Vous avez répondu clairement que lors de votre conversation avec votre ami de cinquante ans, vous n’aviez pas violé le secret de l’instruction et vous n’aviez parlé que de sujets connus. Vous avez aussi assuré à la commission d’enquête que vous n’êtes jamais intervenu dans cette affaire judiciaire. Je ne vous poserai donc pas la question d’une éventuelle intervention pour la libération du père Carricart.
En revanche, celle-ci est tout à fait surprenante pour l’ensemble des magistrats. Voir une personne incarcérée pour un viol d’enfant, avec des témoignages accablants, sortir au bout de quinze jours pour être envoyée à Rome, ce qui empêche la poursuite de l’instruction, a provoqué une très forte surprise, voire un choc, pour les magistrats que nous avons entendus.
Vous n’étiez plus ministre au moment de cette libération, en juin 1998, mais vous étiez encore président du conseil départemental, donc encore concerné par toutes ces affaires. Quelles ont été votre réaction, vos échanges et votre action éventuelle en découvrant que ce violeur d’enfants était remis en liberté pour purger une peine dans des conditions favorables, éloigné de la France ?
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, comme vous venez de dire plusieurs choses immensément fausses, je suis obligé de vous remettre les choses en mémoire.
Vous dites que ça a choqué beaucoup de gens. J’ai reçu, ce matin ou hier matin, une lettre de maître Blazy, qui était l’avocat bordelais du jeune garçon. Voici ce qu’il m’écrit – je ne vous lis le début de la lettre : « Cher monsieur, je suis profondément choqué que l’on puisse laisser entendre que des pressions auraient été exercées sur la chambre de l’instruction concernant la libération du père Carricart. »
Je connais quelques magistrats depuis que je suis passé à la Chancellerie, mais je n’en connais pas un qui puisse même imaginer qu’il pourrait y avoir des pressions sur la chambre de l’instruction – qui s’appelait à l’époque la chambre d’accusation.
Pour ceux qui nous écoutent, la chambre d’accusation, ce n’est pas un magistrat ; c’est trois magistrats du siège, indépendants et inamovibles, qui forment ensemble la chambre d’accusation, à l’époque – chambre de l’instruction aujourd’hui. Je n’en connaissais évidemment aucun et je ne connais pas maître Blazy. Pour le monde de la justice, l’idée qu’il puisse y avoir des influences sur un collège de trois magistrats, est purement et simplement délirante.
Mais je vais aller plus loin. Vous dites qu’il a été libéré pour aller en Italie : ce n’est pas vrai.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Un an après.
M. François Bayrou, premier ministre. Oui, attendez, on y vient. Il est très intéressant de lire le texte de la première ordonnance : la chambre de l’instruction dit qu’il s’est présenté de lui-même et que le maintenir en détention n’apportera rien à la recherche de la vérité – ou quelque chose comme ça, je cite à peu près de mémoire.
Plus d’un an après, une deuxième ordonnance lui permet d’aller en Italie. Le texte de cette ordonnance est aussi très intéressant. Pourquoi est-ce que la chambre de l’instruction décide de l’élargir au point de lui permettre d’aller en Italie ?
Je vous lis les attendus : « Attendu que si M. Carricart, qui s’était spontanément présenté aux enquêteurs dès le début de cette affaire […] » – c’est le premier attendu concernant son élargissement – « […] est placé sous contrôle judiciaire depuis un an et ne s’est pas soustrait aux obligations qui lui auraient été imposées. »
Deuxième attendu : « Attendu que les risques de le voir s’enfuir sont donc très limités » – c’est un collège de magistrats indépendants.
Troisième attendu : « Attendu que, bien qu’une commission rogatoire soit actuellement en cours, le dernier acte d’information présent au dossier remonte au 18 août 1998 » Cela veut dire que pendant un an, rien n’a bougé dans cette affaire.
Quatrième attendu : « Attendu que la longueur du délai d’exécution de cette commission rogatoire ne peut justifier que soient maintenues à l’encontre de Pierre Silviet-Carricart des mesures restrictives de liberté qui ne sont absolument pas indispensables au bon déroulement de l’instruction » Que dit la chambre de l’instruction ? Elle dit que l’instruction n’a pas avancé d’un pouce.
Si c’est vraiment l’affaire dont on me parle, dans laquelle on prétend que toute l’attention était portée autour de ça, l’affaire au sujet de laquelle le procureur général écrit à la Chancellerie, lors de sa deuxième communication, qu’il existait un soupçon ou une possibilité que d’autres enfants aient subi les mêmes horreurs de la part d’autres adultes, alors qu’est-ce qu’ils ont fait, ceux qui étaient chargés de l’enquête – nommément, M. Hontangs ? Qu’ont-ils fait, pendant un an ?
Et on me répond « si vous vous étiez comporté autrement, les enfants auraient été protégés », soupçonnant que j’avais au contraire mis des obstacles. Pourquoi la justice n’a-t-elle pas fait ce qu’elle devait faire pour protéger ces enfants ? Pourquoi les autres enfants, qui pouvaient témoigner, n’ont-ils pas été interrogés ? Pourquoi on se trouve dans un moment où on soupçonne un député d’opposition d’être intervenu, alors que les magistrats et les gendarmes ne font pas le boulot et que la chambre de l’instruction cible leur absence de travail, d’information et d’instruction pour libérer Carricart ?
Ces questions mériteraient peut-être d’être posées, au lieu de diffamer et insinuer comme vous le faites – comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire sans doute trop souvent.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Monsieur le premier ministre, je crois que vous vous êtes mépris sur mon intervention. Je vous questionnais sur votre réaction à cette libération. J’ai cru au début de votre démonstration que vous étiez en train de défendre une décision que je trouve extrêmement choquante – on parle d’un viol d’enfant. Beaucoup d’enfants ont été auditionnés par l’équipe d’enquête.
Effectivement, trois magistrats ont décidé ensemble d’abord de le libérer, puis de l’éloigner, mais ce n’est pas pour autant que je ne trouve pas ça choquant. J’ai indiqué que vous avez déjà répondu et expliqué que vous n’étiez pas intervenu ; ce n’était donc pas ma question.
Simplement, à l’époque, on peut s’interroger sur la façon dont la société et les responsables politiques ont réagi ; vous n’étiez plus ministre de l’éducation nationale, mais vous étiez président du conseil général, à Pau.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Chargé de l’aide sociale à l’enfance (ASE) !
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous auriez pu juste me répondre que vous étiez choqué par cette décision ou qu’il y avait eu une discussion au conseil municipal ou au conseil départemental ; mais ce n’est plus la question.
Vous étiez donc président du conseil général chargé de la protection de l’enfance. Juste avant, le 15 mai 1997, alors que vous étiez ministre de l’éducation nationale, vous aviez fait paraître une circulaire très complète sur les responsabilités et la transmission d’informations entre l’éducation nationale, la justice et les conseils généraux pour la protection de l’enfance. C’est un sujet sur lequel vous étiez mobilisé, à la fois en 1997 en tant que ministre de l’éducation et en tant que président du conseil général.
En 1998 et en 1999, le conseil général, que vous présidez alors, a continué de verser des subventions facultatives à l’établissement Notre-Dame de Bétharram – je ne parle pas des subventions obligatoires. On a vu la même chose pour d’autres établissements en France, pourtant concernés par des inspections ou des procédures judiciaires extrêmement graves.
La question que je vais vous poser concerne toutes les situations associant, d’une part, des inspections ou des affaires judiciaires et, d’autre part, des subventions de collectivités territoriales : des discussions ont-elles eu lieu au conseil général à ce moment-là, puisqu’il y avait eu l’affaire Carricart, mais aussi des plaintes répétées et ce ciblage sur l’établissement Notre-Dame de Bétharram ? Le conseil départemental a-t-il mené des actions à l’époque ?
M. François Bayrou, premier ministre. Vous posez deux questions absolument étrangères l’une à l’autre. Je vais répondre aux deux. Quelle a été ma réaction ? Je ne m’en souviens pas. J’ai expliqué ce que je pensais, à titre personnel, de la pédophilie et ce que je ressentais au plus profond de moi. Beaucoup de gens ont dû penser que s’il était élargi, c’est parce qu’il n’y avait pas de raison de le maintenir en détention.
Permettez-moi de vous lire la retranscription du reportage de France 3 Aquitaine, le 4 février 2000, juste après sa mort. Voix off du journaliste : « On vient d’apprendre qu’il s’est suicidé. Reste le doute sur une affaire qui avait coûté deux semaines de prison préventive au prêtre, sur la seule foi du témoignage d’un enfant. Une détention jugée excessive et injustifiée, y compris par la partie civile, qui évoque aujourd’hui la responsabilité du juge d’instruction » – je ne voudrais pas troubler votre conversation, madame Spillebout, mais j’essaie de vous répondre. L’avocat du jeune garçon, maître Blazy, dont je viens de vous lire la lettre, est à ce moment-là interviewé. Et que dit-il à l’antenne sur la mort de Carricart ? « On peut rattacher cette mort à la détention provisoire. Je peux vous affirmer que je préfère être à ma place qu’à la place du juge d’instruction ». C’est l’avocat du jeune garçon qui dit cela. Pour ma part, ai-je pensé cela ? Pas du tout – à dire vrai, je ne me souviens pas de ce que j’ai pensé. Mais beaucoup de gens ont pensé, y compris son avocat, maître Legrand, dont beaucoup ont parlé, que s’il était élargi, c’est parce qu’il n’y avait rien contre lui.
Qu’un an après, la chambre de l’instruction déclare « on n’a rien fait pendant un an, c’est pourquoi nous lui permettons de quitter le territoire national », moi ça me trouble. Je voudrais comprendre comment, sur une affaire aussi symbolique, grave et lourde, on a pu être en panne comme ça.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous avons auditionné Élisabeth Guigou qui avait reçu un certain nombre de courriers et nous a expliqué le fonctionnement de la justice, le secret de l’instruction et l’arrêt des instructions individuelles. Nous prendrons ces sujets en compte dans le cadre de la commission d’enquête. Nous auditionnerons également M. Darmanin, au titre de ses fonctions de ministre de la justice, sur le fonctionnement actuel et les inspections en cours, ainsi que sur le lien entre éducation et justice. Nous aurons donc de nombreuses suggestions sur le sujet.
Je n’entrerai pas dans le détail de l’interprétation de chacune des instructions qui ont mené à ce résultat. Toutefois, par respect pour les victimes, j’ajouterai qu’il y a eu ensuite de nombreux témoignages d’enfants, que le père Carricart s’est suicidé à la suite du dépôt d’une deuxième plainte pour viol et que les viols, comme les violences, ont été nombreux. Cela ne fait donc que renforcer le sentiment et même la conviction selon laquelle il y avait une omerta, et que même ce qui paraissait dans la presse locale n’était pas décrypté sous l’angle de la libération de la parole des enfants, qu’on ne croyait pas. C’est ce que l’on constate, d’ailleurs, dans un courrier de la cour d’appel de Pau, dont certaines phrases montrent bien qu’ils avaient peine à croire le témoignage des enfants qui avaient parlé pour dénoncer des viols.
M. François Bayrou, premier ministre. Je ne peux pas accepter la phrase que vous venez de prononcer. Si le juge d’instruction et le gendarme n’interviennent pas, ce n’est pas parce qu’il y a eu une omerta ! Carricart est remis en liberté, mais la saisine du juge d’instruction demeure, tout comme la mission de ceux qui mènent l’enquête. Pourquoi n’y a-t-il eu aucun acte d’instruction ? Voilà un magistrat et un gendarme qui savent et qui sont intimement convaincus que la personne en question est coupable : pourquoi ne font-ils rien pendant un an ?
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Lorsque je parle d’omerta, je pense notamment au traitement journalistique de ce type d’affaires, à l’époque. Le travail des magistrats est certainement critiquable et nous nous pencherons sur cette question au sein de la commission d’enquête. Lorsque je parle d’omerta, je pense aussi à l’ensemble d’une société qui a permis qu’une décision judiciaire autorise la remise en liberté et l’éloignement, accepté y compris par l’avocat de la partie civile – ce qui est assez incroyable ! –, empêchant l’enquête de se poursuivre sereinement. C’est, en tout cas, l’interprétation du juge Mirande, dont vous avez loué les qualités professionnelles ; il considère que ces décisions n’ont pas permis de poursuivre les investigations comme elles auraient dû – mais c’est un autre débat. Il s’agit donc bien de l’omerta de l’ensemble d’un système qui fait que la plupart des plaintes n’ont pas été prises en considération – nous l’avons vu dans la suite des événements. Mais poursuivons.
M. François Bayrou, premier ministre. C’est moi qui vais poursuivre, car je n’ai pas répondu à la question que vous avez posée.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous vous laissons y répondre. Ensuite, nous en viendrons aux questions des députés.
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, mais je ne sais pas si vous imaginez à quel point les propos qui sont tenus ici sont insultants pour toute une communauté : les habitants de notre région et du Pays basque en général ne sont pas des sauvages ! Nous ne sommes pas sous l’emprise d’une mafia ; cela n’existe pas chez nous. Il n’est pas vrai que les juges cesseraient d’agir parce que des puissants, dans la société, organiseraient une omerta. Imaginez-vous Mirande se dire : « J’ai peut-être dérangé quelqu’un donc je ne fais rien » ? Et le fameux gendarme Hontangs ? C’est lui qui est chargé de l’enquête et de la commission rogatoire. On laisse passer un an, sans le moindre acte d’instruction ? Vous dites que nous sommes une société tribale…
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Personne n’a dit cela !
M. François Bayrou, premier ministre. Peut-être y êtes-vous indifférents, mais je répète qu’il n’est pas vrai qu’il y a une omerta chez nous ; ce n’est pas vrai. Il y a, comme partout, des gens qui ne voient pas les choses comme elles devraient être ou qui se trompent en les voyant. Mais il n’y a pas de verrouillage, ce n’est pas vrai, et je tiens à le dire au nom de mes concitoyens, avec lesquels je suis en confiance depuis longtemps.
Quant à la question de Bétharram et de son financement…
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Permettez-moi, monsieur le premier ministre. Nous avons peut-être des différences de point de vue, mais je ne jette pas l’opprobre sur une région en particulier. Je peux donner l’exemple du village d’enfants de Riaumont, dont nous avons entendu les victimes ; nous avons lu le livre et des procédures judiciaires sont en cours. Ce village d’enfants était au cœur d’une ville, dans laquelle des élus locaux, des magistrats, des juges pour enfants se sont mobilisés pour tenter de stopper les violences. C’est l’ensemble d’un système qui a tu ces violences et qui n’a pas fait confiance à la parole des enfants, permettant qu’elles perdurent. L’omerta est l’objet même de notre commission d’enquête, et non pas la recherche de responsabilités individuelles. Nous devons vérifier comment les instructions, les circulaires, les rapports d’inspection sont appliqués ou pas, comment ils sont suivis ou non dans le temps. Les ministres se succèdent, tout comme les responsables des administrations. Même s’il y a eu de nombreux rapports, de nombreuses inspections, de nombreuses plaintes et que la parole s’est libérée, on constate malheureusement que ces systèmes n’ont pas pu être détruits à temps. Telle est la conviction que je porte.
M. François Bayrou, premier ministre. Je vais répondre.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Attendez, monsieur le premier ministre, c’est à moi de vous donner la parole. Je vais vous la donner mais ensuite, il faudra vraiment passer aux questions des collègues.
M. François Bayrou, premier ministre. S’il s’agit d’une réflexion générale et non pas focalisée sur une région en particulier, je veux bien l’entendre. Mais faire une mise en cause dénonçant, parce que nous sommes au pied des Pyrénées, un système de connivences, ce n’est pas vrai. Il y a des connivences, mais moi je n’y ai jamais participé.
Pour en revenir à la question du financement de Bétharram par le conseil général, il n’y a jamais eu de financement particulier pour cet établissement. Il y a un règlement, comme dans tous les départements, avec des critères qui permettent de financer. Un financement particulier a été accordé à Bétharram – et j’imagine que vous ne me l’opposerez pas –, lorsque cet établissement a voulu construire des bâtiments en dur pour remplacer des préfabriqués Pailleron – je rappelle qu’un incendie avait fait vingt morts. Point. Le conseil général a dû accorder un financement de l’ordre de 50 000 euros. C’était pour participer à la sécurité des enfants, conformément à la loi Falloux que j’ai quelques raisons de connaître. Voilà pour ce premier point.
Le reste, ce sont des sorties au ski ou des sorties culturelles, auxquelles tous les établissements ont accès. Ce sont les services qui répartissent les moyens et il n’y a jamais de délibération en la matière. J’ai beaucoup ri lorsqu’on m’avait interrogé en expliquant que la délibération comportait en première page la mention « Vu le rapport du président du conseil général… », ajoutant que c’était la preuve que j’étais intervenu. C’est une blague ! Tous les rapports du conseil général commencent par cette phrase et il n’y a jamais eu d’intervention particulière ni de ma part ni de celle de mes collaborateurs pour Bétharram.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux questions des députés. Il y en a vingt-cinq ; nous allons les entendre par séries de cinq puis nous suspendrons brièvement, peut-être pour dîner.
M. François Bayrou, premier ministre. Non, on va finir avant.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mieux vaut en effet finir avant. Chers collègues, vous disposez d’une minute pour poser vos questions.
Mme Caroline Parmentier (RN). Je ne vous interrogerai pas sur des faits qui sont entre les mains de la justice et sur lesquels une procédure judiciaire est en cours. Néanmoins, en tant qu’ancien acteur majeur de la vie politique et éducative française, comment expliquez-vous que des faits de violences, parfois systémiques, aient pu se produire et perdurer pendant des années, voire des décennies, dans cet établissement, sans réaction de la part des autorités éducatives, religieuses, politiques ou judiciaires ? Selon vous, quelles graves failles institutionnelles ont-elles permis ce silence insupportable et quelles mesures concrètes faut-il prendre pour garantir qu’un tel système d’omerta ne puisse jamais se reproduire dans nos écoles, qu’elles soient publiques ou privées ? Je veux adresser toutes mes pensées et ma solidarité aux victimes qui suivent de très près cette audition.
Mme Céline Calvez (EPR). Monsieur le premier ministre, vous êtes devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, qui s’est dotée de pouvoirs d’enquête sur les modalités de contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires. Je pense utile de rappeler, une nouvelle fois, à toutes et à tous, l’objet et le cadre de nos échanges. Depuis le lancement de nos travaux à la mi-mars, votre audition constitue un temps médiatique et politique important et utile. Toutes celles et tous ceux qui ont osé parler et lever le voile, celles et ceux qui hésitent encore à le faire, attendent de nous des résultats et des enseignements utiles pour mieux lutter contre les violences physiques et sexuelles dans les établissements scolaires.
Vous avez exercé différentes fonctions – député des Pyrénées-Atlantiques, président du conseil général, ministre de l’éducation – et, à des temps différents, vous avez pu apprécier le partage des compétences et des responsabilités dans les établissements scolaires – autorité hiérarchique ou fonctionnelle sur les personnes encadrant ou accompagnant les élèves dans les établissements scolaires –, partage différent selon qu’il s’agit du primaire ou du secondaire. Comment, à votre avis, assurer une pleine coordination sécurisée pour un continuum de protection autour des élèves, afin que de telles violences et que ce silence n’existent plus jamais ?
Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Le 17 mars 1995, vous avez été alerté sur des violences en cours à Bétharram par une professeure lors d’une cérémonie et par courrier. Le 29 septembre de cette même année, vous validez une subvention facultative de 73 000 euros du conseil général pour cet établissement. Le 28 mai 1998, le directeur, le père Carricart, a été mis en examen pour viol et agression sexuelle sur mineurs – vous en avez été informé. Pourtant, vous accordez, la même année, une deuxième subvention facultative de 70 000 euros, c’est-à-dire le maximum prévu par la loi. En 1999, rebelote, vous accordez une troisième subvention facultative de 80 000 euros correspondant, là encore, au maximum prévu. Tout cela, sachant pertinemment que des violences d’ordre pédocriminel avaient été commises dans cet établissement. En toute connaissance de cause, vous avez octroyé des financements non obligatoires à l’établissement privé Bétharram. Ma question sera donc claire : pourquoi avoir attribué ces financements ?
Mme Colette Capdevielle (SOC). Monsieur le premier ministre, depuis le début de cette audition à 17 heures, vous portez des accusations graves sur la commission et sur l’un des rapporteurs. Vous vous placez en victime. Vous traitez Mme Gullung de folle et vous accusez de hauts gradés de la gendarmerie de mensonges. Vous tentez de renverser la situation : vous accablez, vous menacez, vous donnez des ordres avec beaucoup d’arrogance. Vous reconnaissez-vous dans ce tableau ?
Ensuite, vous admettez que votre directeur de pôle judiciaire, ancien procureur de la République à Pau pendant des années, a téléphoné à deux reprises au juge Mirande, alors même qu’une procédure criminelle est en cours au parquet de Pau – avec plus de 200 victimes auxquelles je rends hommage pour leur courage –, et qu’une commission d’enquête parlementaire est en cours. Quelles mesures concrètes prendrez-vous pour que ce type d’intervention au sein de votre cabinet ne se reproduise plus ?
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Vous avez silencié des violences et menti. Ce que nous apprenons depuis février nous montre clairement une chose : vous avez passé une part de votre carrière politique à ignorer des violences sur les enfants dans les différentes fonctions que vous avez occupées. Les enfants et leur quotidien vous importent peu. Ce n’est pas un continent caché, mais un continent que vous ne souhaitez pas voir. C’est un fait et nous attendons encore l’action de votre gouvernement sur ce sujet. Votre rapport aux enfants est tel que vous avez de nouveau justifié une claque éducative. Par conséquent, votre gouvernement souhaite-t-il la rendre de nouveau légale ? Pensez-vous qu’un homme tel que vous, qui ne se soucie pas du bien-être réel et de la protection des enfants, qui a menti devant la représentation nationale, soit apte à diriger l’action du gouvernement ?
M. François Bayrou, premier ministre. La question de Mme Parmentier est fondamentale. Pourquoi les victimes ne parlent-elles pas ? C’est la question, si vous me permettez cette allusion personnelle, que ma fille porte depuis plusieurs semaines, en tant qu’analyste de la société, intéressée par la psychanalyse et par les enfants. Je pense que c’est la question la plus importante. Pourquoi ne parle-t-on pas ? Il y a beaucoup d’explications. Ma fille explique : « On ne parle pas, parce qu’on ne voit même pas de quoi il s’agit. Je vois un geste de brutalité, je n’ose pas le qualifier, parce que je n’ai pas les armes personnelles, la structure personnelle ; je n’ai pas assez mûri pour le qualifier ». Permettez-moi de citer une phrase de Charles Péguy, que j’aime beaucoup : il faut avoir le courage de dire ce qu’on voit mais il y a plus difficile encore, c’est de voir ce qu’on voit. Les enfants, assez souvent, ne voient pas ce qu’ils voient. Ensuite, ils ne parlent pas. Je ne sais pas vous, mais je peux vous dire qu’en tout cas, ce qui se passait à l’école restait à l’école ; on ne le racontait pas à la maison. Vous savez comment Pagnol a intitulé son livre : Le Temps des secrets. Il n’est pas vrai que les enfants parlent à la maison facilement.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Parce qu’on ne les interroge pas !
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Il faut relire Pagnol ! Ce n’est pas l’objet du livre !
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, mais c’est la question que pose Mme Parmentier. Et pourquoi les enfants ne parlent-ils pas ? Peut-être parce qu’ils ne veulent pas faire de peine à leurs parents ; parce qu’ils sont conscients, ou semi-conscients, que les parents les voient dans un univers protégé et que, s’ils le brisent, c’est aussi une blessure pour les parents. Cela fait donc plusieurs séries de raisons.
Alors, que peut-on faire ? Éduquer à la parole – c’est compliqué. Et il faut faire attention aux victimes. Je ferai tout à l’heure une proposition sur ce que nous pourrions faire. Ce que je sais, c’est que cela passe par l’écoute, non déconsidérée, des victimes. Cela demande un effort à la communauté et aux adultes : il faut apprendre à parler et à entendre. C’est, à mon avis, la grande question et elle est difficile ; si quelqu’un vous dit qu’il a la solution, regardez-le du coin de l’œil. Je ne crois pas que ce soit facile, mais c’est là que tout se joue. Jamais les enfants n’ont parlé sur aucun des événements qui sont en train de sortir dans les écoles concernées. En effet, je suis d’accord avec vous, cela mérite de se pencher sur le sujet.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Si vous pouviez, monsieur le premier ministre, faire une réponse en une minute aux questions qui elles-mêmes ont duré une minute, ce serait bien.
M. François Bayrou, premier ministre. Oui, mais je ne pouvais pas éluder cette question.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je l’entends. Mais si vous pouvez limiter votre réponse globale à cinq minutes…
M. François Bayrou, premier ministre. C’est une question qui touche tellement au sujet et à l’intime que je ne pouvais pas ne pas la traiter.
Ensuite, Mme Calvez m’a demandé comment assurer la répartition des compétences. Le conseil départemental s’occupe des bâtiments des collèges, le conseil régional s’occupe de ceux des lycées. C’est l’éducation nationale qui a la charge de la surveillance de ce qui se passe réellement dans les établissements. Peut-on imaginer des alertes ? C’est ce que je défends implicitement, depuis… Par exemple, dans le cas qui nous occupe, le ministère de la justice a eu une information, mais il n’a pas prévenu celui de l’éducation nationale. Il a reçu l’information par un procureur général, et il ne se passe rien, le ministère de l’éducation n’est pas informé. Je comprends qu’il faille faire attention et respecter la présomption d’innocence et tout ça. Néanmoins, si le ministère de la justice avait informé le ministère de l’éducation et que celui-ci avait provoqué des inspections, peut-être que la suite aurait été différente. Mais c’est incommunicable : chacun est dans son tuyau d’orgue. La justice ne parle pas, en dépit de la circulaire que j’avais prise en 1996, où je voulais que se parlent la justice, l’éducation et la défense – c’est à la gendarmerie que je pensais, puisqu’à l’époque elle dépendait du ministère de la défense.
Mme Amrani me demande pourquoi il y a eu des financements pour Bétharram : parce que c’était le règlement. Tous les établissements scolaires privés du département des Pyrénées-Atlantiques étaient éligibles à ces financements. Je vous ai indiqué la raison principale, seule exception à la loi Falloux : il fallait remplacer des bâtiments Pailleron, dangereux pour la sécurité des élèves, par des bâtiments assurant davantage de sécurité.
Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Nous parlons de 223 000 euros de subvention !
M. François Bayrou, premier ministre. Sur trois ans ! Vous vous rendez compte ce que cela veut dire.
Mme Farida Amrani (LFI-NFP). C’est beaucoup !
M. François Bayrou, premier ministre. Non, franchement, quand on connaît les budgets.
Mme Farida Amrani (LFI-NFP). Si, c’est beaucoup !
Mme Perrine Goulet (Dem). Non, ce n’est rien !
M. François Bayrou, premier ministre. Vous dites, madame Capdevielle : « Quelle arrogance ! » Excusez-moi mais, quand on vous insulte pendant quatre mois tous les jours, dont vous-même,…
Mme Colette Capdevielle (SOC). Non, je ne vous ai jamais insulté.
M. François Bayrou, premier ministre. Si, vous-même…
Mme Colette Capdevielle (SOC). Jamais !
M. François Bayrou, premier ministre. Vous-même, vous avez insinué devant l’Assemblée nationale des choses inacceptables.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Jamais !
M. François Bayrou, premier ministre. Écoutez, il suffit de relire votre intervention.
Vous me demandez quelles mesures prendre pour qu’un de mes collaborateurs ne parle plus à quelqu’un d’autre. Je n’ai pas de mesure à prendre.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Bravo !
Mme Perrine Goulet (Dem). Ce n’est pas la justice ici !
M. François Bayrou, premier ministre. En France, on a le droit de parler avec qui on veut !
Mme Colette Capdevielle (SOC). Bravo !
M. Philippe Vigier (Dem). On ne coupe pas celui qui parle ! C’est une règle d’or.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. S’il vous plaît, seul M. le premier ministre a la parole, pour répondre aux questions.
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, la procédure judiciaire ne concerne pas le juge Mirande, que je sache. Elle ne concerne pas M. Muller, que je sache. Ils ne sont pas pris dans la procédure judiciaire ; vous le souhaiteriez, mais ce n’est pas le cas. Vous faites des insinuations. On est tout à fait dans le type de l’insinuation. Qu’est-ce que vous pensez de… Franchement, en France, les citoyens ont le droit à leur liberté et à ce qu’on respecte leur liberté. Ils n’interviennent en rien dans une procédure judiciaire. De ce point de vue-là, les choses sont indiscutables. Vous me demandez quelle mesure je vais prendre ? Je n’ai pas de mesures à prendre. Mes collaborateurs sont des citoyens que j’estime et qui sont de première capacité ; n’imaginez pas que je vais leur faire un blâme – il ne faut quand même pas rêver.
Enfin, monsieur Bonnet, personne n’a ignoré les violences. Je vous ai montré que ce n’était pas le cas. Il n’y a jamais eu d’autre ministre, parmi les seize ministres qui m’ont succédé jusqu’à Mme Borne, qui ait pris les mêmes initiatives que moi. Aucun, dans une affaire comme ça, n’a fait d’intervention aussi rapide et aussi décisive, qui a conduit au licenciement et au changement des pratiques à l’intérieur de l’établissement.
Que proposera mon gouvernement ? Ce sera peut-être l’objet de la dernière intervention, si vous l’acceptez.
Mme Perrine Goulet (Dem). J’ai, avant toute chose, une pensée forte pour toutes les victimes qui sont très absentes de l’audition de cet après-midi. L’unique sujet est de savoir pourquoi, à cette époque, les enfants n’ont pas parlé et pourquoi les adultes de l’établissement, qui savaient avant la plainte pour viol et agression sexuelle de 1998, n’ont pas saisi la justice sur les premières violences suspectées, avérées ou constatées. Le dossier montre un courrier du procureur de la République de Pau datant de 1998, qui prévient la Chancellerie des faits de violences sexuelles commis par le père Silviet-Carricart.
Monsieur le premier ministre, à ce moment-là, en votre qualité de parlementaire et de président du conseil général, avez-vous été informé de ces faits par le procureur, le garde des sceaux ou le premier ministre ?
Pour conclure, devant une audition aussi lunaire relevant du procès politique envers un homme, il pourrait être sain que cette commission s’attache à proposer des évolutions de pratiques, afin de prévenir les violences envers les enfants dans les établissements scolaires, pour qu’il n’y ait plus de nouvelles victimes, maintenant et dans l’avenir. Tel devrait être le seul objectif de cette commission. D’ailleurs, monsieur le premier ministre, les victimes attendent de savoir si une commission pour les victimes sera installée et si nous conduirons une réflexion sur l’imprescriptibilité glissante ou totale des crimes sexuels. Nous devons faire de la lutte contre les violences faites aux enfants l’enjeu majeur de notre société.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Je regrette, monsieur le premier ministre, que vous perceviez cette commission d’enquête comme un moyen de vous attaquer. Vous avez à plusieurs reprises remis en cause le travail des parlementaires ainsi que le professionnalisme et l’impartialité des fonctionnaires affectés à cette commission. Pourtant, celle-ci a permis de libérer la parole de nombreuses victimes et de révéler les mécanismes d’omerta présents dans certains établissements privés sous contrat d’association avec l’État, mécanismes qui ont trop longtemps étouffé les alertes.
Monsieur le premier ministre, vous étiez ministre de l’éducation nationale en 1995 lorsque la première plainte dans l’affaire Bétharram a été déposée. Vous aviez alors commandé un rapport dont l’auteur lui-même avait reconnu qu’il était bâclé. Trente ans après, quelles leçons avez-vous tirées de ces révélations ? Surtout, comptez-vous instaurer dans les établissements scolaires des mécanismes de prévention des violences physiques et sexuelles et des procédures de contrôle ?
M. Bartolomé Lenoir (UDR). Le drame de Bétharram nous a tous scandalisés et le courage des victimes qui ont osé briser le silence doit constituer pour nous, parlementaires, un exemple. Comme nous l’avons vu au cours des auditions de cette commission d’enquête, il n’existe pas de profil-type de victimes : toutes les familles sont frappées et, du privé au public, les défaillances sont nombreuses. Loin des instrumentalisations, nous devons tous travailler à protéger au mieux les enfants scolarisés au sein des établissements scolaires de notre pays. Les auditions précédentes nous ont permis de prendre conscience de l’ampleur des défaillances des systèmes d’alerte comme des procédures de contrôle et des dispositifs d’écoute des enfants victimes. Ceux qui sont investis sur le terrain ne cessent d’alerter sur les réformes que doit effectuer l’éducation nationale sur ces mécanismes d’alerte et de prévention afin d’améliorer la protection et la prise en charge des élèves.
Monsieur le premier ministre, quelles réformes envisagez-vous ? Ma question est la même que celle de Mme Parmentier. Vous pourrez nous livrer vos solutions mais il me semble que donner la possibilité à un élève d’être écouté constitue une des principales pistes à suivre.
M. Roger Chudeau (RN). Nous recherchons à décrire et à comprendre les dysfonctionnements de la chaîne administrative et politique dans la protection des élèves face aux violences scolaires. En 1995, les choses vont très vite : vous êtes alerté par la presse – et non par le recteur, mais peu importe –, vous demandez un rapport, il vous est remis, les sanctions tombent. Un an plus tard, vous produisez une circulaire, qui est la première à se préoccuper du problème.…
M. François Bayrou, premier ministre. Un mois plus tard !
M. Roger Chudeau (RN). Je décris la chaîne de vos décisions qui sont conformes au devoir d’un ministre. Cependant, cette circulaire reste d’une certaine manière lettre morte et c’est à ce sujet que je veux vous interroger. Rien ne se passe. Pourquoi ? Diriez-vous que les autorités académiques, la machinerie administrative, le ministère se sont véritablement emparés de cette circulaire pour protéger les élèves ? Un couvercle a-t-il été posé dessus ? Pensez-vous qu’il y a eu, dans cette période lointaine, une défaillance ou une absence de système de signalements et ou même une subculture du « pas de vagues » ? Est-ce possible ? Quelles sont les instructions que vous donnerez prochainement à Mme Borne pour que cela ne se reproduise plus jamais ?
Mme Graziella Melchior (EPR). Les révélations publiques autour de ce que l’on appelle désormais l’affaire Bétharram ont eu un retentissement national. Elles ont permis une libération salutaire de la parole et la création de cette commission d’enquête. Dans mon département, le Finistère, de nombreux hommes ont ainsi dévoilé les insupportables sévices qu’ils ont eus à endurer dans les années 1960 et 1970 au collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon. Hier encore, des témoignages ont été révélés concernant un autre établissement finistérien. Je veux avoir une pensée pour toutes ces femmes et pour tous ces hommes qui, aujourd’hui, osent dire ce qu’ils ont vécu. Si nous ne pouvons pas réparer leurs vies brisées ou abîmées, notre devoir est de faire en sorte que cela ne survienne plus jamais.
Monsieur le premier ministre, vous avez été président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques et je souhaiterais vous interroger sur les outils dont devraient disposer les présidents de département, qui ont en charge la protection de l’enfance, afin de mieux agir au moment des signalements mais aussi de mieux accompagner les victimes sur le plan social et psychologique.
M. François Bayrou, premier ministre. Pourquoi les victimes sont absentes, madame Goulet ? Parce que les polémiques et les attaques, le choix de cette affaire comme arme politique, étaient indifférents aux victimes. Ce n’étaient pas les victimes qu’on voulait comprendre, accompagner et accueillir. On voulait s’en servir comme d’une arme politique dirigée contre le premier ministre, le gouvernement, tout ce qu’on veut. Les victimes, personne ne s’en est occupé, si j’ose dire – pardon de le dire comme ça – sauf moi. (Exclamations.) Permettez-moi de dire ce que j’ai vécu. Les victimes, quand je les ai reçues, n’avaient jamais été reçues par personne et ne s’étaient jamais rencontrées entre elles. Pour moi, cette rencontre, les trois ou quatre heures que j’ai passées avec elles – j’ai découvert quelque chose qui fera écho avec les questions qui ont été posées. Elles ne savaient pas que ce qui leur était arrivé était arrivé à d’autres. Elles croyaient et avaient vécu toute leur vie dans la solitude de quelqu’un qui est la seule victime. Comprenez ça. Ce que j’ai vu – pardon, je le dis avec émotion mais tant pis –, ce que j’ai vu, c’étaient des hommes qui avaient entre 40 et 55 ans, mais ce qui est revenu pendant ces quatre heures de temps, ce sont les petits garçons. Ils ont pleuré tous, moi aussi d’ailleurs. C’est l’enfant. J’ai construit à Pau une action dont je suis très fier qui s’appelle le plan anti-solitude. Et la solitude la pire, c’est la solitude de l’enfant : l’enfant harcelé dans la cour de récréation, par exemple, l’enfant martyrisé.
Pourquoi les victimes sont-elles absentes ? Elles l’ont dit cent fois : « On ne s’occupe pas de nous ! Pourquoi on s’occupe de Bayrou ? ». Si on fait le compte des SMS ou des tweets qui ont été utilisés dans cette affaire, il n’y en a pas un sur dix qui soit pour les victimes. Neuf sur dix étaient contre moi et, après tout, c’est ma responsabilité. Mais c’est ça, la vérité : les victimes n’étaient pas au centre de cette affaire. Par une espèce de choix du destin, le fait que j’aie été là a fait sortir l’information. (Exclamations.) D’une certaine manière, je trouve que, de ce point de vue-là, j’aurais été utile comme cible pour décoincer le silence.
L’imprescriptibilité, madame Goulet : vous savez qu’on travaille sur la prescription, notamment en matière civile, parce que ça permet de sortir de cette impasse qui fait que la prescription empêche d’avancer dans la découverte de cette affaire.
Madame Bourouaha, j’entends, l’auteur du rapport dit : « j’ai mal fait mon travail ». Excusez-moi, moi je préférerais que les fonctionnaires qui ont de très grandes responsabilités comme les inspecteurs fassent bien leur travail. Une maxime juridique latine dit : Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans, autrement dit, personne ne peut être entendu dans une affaire judiciaire en décrivant ses propres turpitudes. Je ne dis pas que ce sont des turpitudes. Moi, je crois qu’en conscience, il a fait le travail comme il pensait devoir le faire à cette époque. Ce monsieur que je ne connais pas, M. Latrubesse, je suis persuadé que ce n’était pas un désinvolte. Je suis persuadé que ce n’était pas quelqu’un qui faisait ça par-dessus la jambe et je ne veux pas le laisser croire. Je pense que lui, comme tout le monde, a réécrit une partie de l’histoire en découvrant les choses horribles qui étaient révélées dans cette affaire. Qu’est-ce que j’ai tiré comme leçons de ça ? Peut-être que, quand on fait des rapports comme ça, il faut plusieurs inspecteurs – peut-être – mais comme il n’y a pas autant d’inspecteurs qu’on en a besoin, tout ça est une question importante.
Monsieur Lenoir, vous avez dit qu’il n’y a pas de profil-type des victimes. Je vous raconte encore ces trois ou quatre heures que j’ai passées avec les victimes et une des choses les plus terribles que j’ai vécues avec eux, en tout cas qui m’a bouleversé avec eux. Ils disaient : « Ils ne choisissaient pas au hasard » – en tout cas, c’est ce qu’eux croyaient. « C’est parce qu’on était fragiles qu’ils nous choisissaient » : tel parce que son père était parti, tel parce qu’il était chez sa grand-mère qui ne l’aurait jamais cru, tel parce qu’il était petit ou pas costaud, tel parce qu’il était psychologiquement… Eux disaient : « Ils ne nous choisissaient pas au hasard. » Je n’ai jamais oublié une seconde cette affirmation des victimes. Donc peut-être qu’il y a un profil-type. On est plusieurs ici à avoir été harcelés dans la cour de récréation. C’est pas les grands costauds qu’on harcèle dans la cour de récréation, ni les garçons ou les filles qui ont du bagout et du charme. Ceux qu’on harcèle dans la cour de récréation, c’est ceux qui sont moins affirmés que les autres. Et on est nombreux à pouvoir en parler ici.
Quelles alertes, quelle prévention, quelles réformes, me demandez-vous ? Je peux tout de suite aller aux réformes : il y en a une qui est importante pour moi. Nos voisins allemands ont connu des affaires comme ça depuis 2010. Ils ont pris une loi le 8 avril de cette année, je crois, pour mettre en place une autorité indépendante, un Haut-Commissaire ou je ne sais quoi, avec deux groupes autour de lui, un groupe de scientifiques et un groupe de victimes – un conseil scientifique et un conseil des victimes : je pense que c’est une bonne idée. Je pense qu’ils y ont réfléchi plus que nous et que c’est une bonne idée. En tout cas, je suis certain qu’il faut des victimes pour mieux écouter les victimes. Si je peux, c’est cela que je proposerai. Un conseil des victimes pour aider l’autorité qu’on inventera pour tout ça.
Monsieur Chudeau, pourquoi un couvercle est posé sur une circulaire ? Vous voulez que je vous dise vraiment ce que je pense ? Parce que la circulaire est un mauvais instrument. La circulaire, c’est bien, c’est publié au Bulletin officiel de l’éducation nationale, le BOEN, et le ministre peut dire à la télé : « J’ai fait une circulaire », y compris trente ans après. Mais ça change quoi, dans la réalité ? C’est une réflexion générale mais je pense qu’il faut changer de méthode. Quand vous avez un problème qui mérite une vraie réponse, il ne faut pas seulement faire une circulaire. Il faut constituer un mini-commando de responsables qui oblige tout de suite à changer les choses. Je m’efforce de faire cela car je crois à cette technique du commando et de l’action directe (Exclamations) – ne prenez pas « action directe » au sens historique du terme… Vous avez raison : des grandes administrations comme l’éducation nationale vivent selon le principe du « pas de vagues ». Le chef d’établissement dit « pas de vagues » parce que l’inspecteur d’académie préfère qu’il n’y ait pas de vagues et l’inspecteur d’académie dit au recteur « pas de vagues » et les recteurs disent au ministre : « Ça se passe très bien ». C’est comme ça. J’ai décrit ce phénomène cent fois depuis trente ans mais je crois qu’il y a là une explication et qu’il faut changer de méthode.
Madame Melchior, est-ce aux présidents de département de faire cela ? Je ne le crois pas. D’abord, ils ont pas mal de soucis et ces affaires concernent non pas les murs mais ce qui se passe dans les murs. La protection de l’enfance, c’est pour la petite enfance. (Exclamations.) François Sauvadet, entendu par votre commission, vous a expliqué que ce n’était pas la responsabilité du conseil départemental. C’est à l’intérieur de l’éducation nationale qu’il faut placer des capteurs d’alerte et être capables de faire la prévention nécessaire. Les conseils départementaux ne sont pas armés pour ça, à mes yeux en tout cas. Est-ce qu’il y a d’autres institutions qui peuvent être armées ? Je crois beaucoup, et c’est ce que j’avais défendu dans la circulaire que je viens à l’instant de relativiser, aux liens entre justice, police et éducation ou entre santé et éducation. Il y a des choses à faire de ce point de vue-là et c’est dans les établissements que ça se passe, à mon avis, parce que je crois toujours que ce qui se produit dans l’école reste dans l’école.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons à une dernière série de questions des députés. Je propose ensuite une suspension de cinq à dix minutes avant que nous ne passions aux dernières questions des rapporteurs. Cela vous convient-il ou préférez-vous une pause plus longue, monsieur le premier ministre ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je voudrais qu’on aille jusqu’au bout.
Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). Monsieur le premier ministre, l’importante question de chercher à savoir pourquoi les enfants ne parlent pas ne doit pas nous autoriser à détourner le regard. Il faut respecter toutes les victimes, dont celles nombreuses qui ont parlé en vain et qui demandent des comptes aux adultes. La question ici posée est celle des adultes qui ne veulent pas voir, dont vous faites partie. C’est un phénomène documenté : cela s’appelle l’omerta et vous semblez mal armé pour lutter contre.
Cette omerta passe par la minimisation des violences, l’inversion de la culpabilité et la silenciation. Minimisation : expliquer encore aujourd’hui qu’il y a des gifles éducatives, parler de pédophilie comme d’adultes se choisissant des partenaires enfants sans interroger le continuum de domination dans les violences. Inversion de la culpabilité : décider que vous êtes victime d’un complot Insoumis quand on vous demande simplement des comptes sur votre incapacité à protéger des dizaines et des dizaines de victimes. Silenciation, attitude qu’a adoptée votre ancien suppléant, comme l’a révélé le journal Sud-Ouest : M. Lacoste-Séris, père de l’enfant qui a perdu 40 % de son audition après une gifle donnée par un surveillant de Bétharram en 1996, raconte avoir croisé votre suppléant, lorsqu’il est allé déposer plainte ; celui-ci lui aurait dit : « Si tu n’es pas content de Bétharram, tu n’as qu’à le mettre ailleurs, ton fils », comme s’il défendait une entité à laquelle on ne touche pas. Ce suppléant était député puisque vous étiez alors ministre de l’éducation nationale. Étiez-vous au courant ? À quelle logique a-t-il pu obéir ? Maintenez-vous qu’il n’y a pas d’omerta chez vous ?
M. Pierrick Courbon (SOC). Je regrette les accusations que vous avez portées contre le travail de notre commission et le fait que vous ayez plus parlé de vous et des vertus éducatives des petites claques que dénoncé la violence inacceptable des crimes commis à Bétharram, sans prononcer de mots de compassion pour les victimes.
L’appréciation des violences faites aux enfants laisse hélas entrevoir une part de subjectivité qui tient à sa propre échelle de valeurs – nous n’avons pas forcément les mêmes. Notre objectif est de protéger les enfants des violences et de mieux contrôler les établissements. Ma question est simple : les valeurs du citoyen François Bayrou, qui peut concevoir que certains châtiments corporels relèvent d’une éducation à la rude et que les punitions ont des vertus, ont-elles pu aveugler ou influencer le ministre de l’éducation François Bayrou, qui ne pouvait pas, lui, accepter l’idée même de l’existence de ces châtiments corporels ?
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Si vous avez dénoncé la méthode, qui vous paraît scandaleuse, du rapporteur de notre commission, nous avons nous aussi une pleine lecture de la méthode que vous avez utilisée – personne n’est dupe dans cette audition.
Vous avez dit tout à l’heure que nous étions là grâce à vous. Je tiens à vous rappeler que nous sommes ici grâce aux victimes, qui occupent une place importante dans nos auditions. Je ne doute pas que vous préciserez vos propos sur le respect de cette commission en la matière.
Vous avez évoqué la gifle, malheureusement dans toutes les mémoires, persistant à dire que cette tape sur un enfant était éducative. Je peux l’entendre – l’accepter est une autre affaire. Vous avez également dit que les violences dont vous aviez connaissance n’étaient pas « à ce point graves » – j’espère ne pas déformer vos propos. Vous avez donc une certaine vision de l’éducation et de ce qu’est un bon père de famille, ce qui inclut manifestement les violences ordinaires éducatives. Est-ce cette vision, qui vous a construit en tant qu’éducateur et qui a fait l’homme politique que vous étiez à l’époque, qui ne vous a pas permis d’empêcher les violences à Bétharram ?
M. Alexis Corbière (EcoS). Monsieur le premier ministre, vous avez cumulé dans votre département, avec une rare appétence, tous les mandats, toutes les responsabilités, tous les pouvoirs pendant quarante-trois ans : conseiller général, président du conseil général, maire, président de la communauté d’agglomération, député, député européen, ministre de l’éducation nationale. Tout cela implique des collaborateurs, des cabinets, des moyens.
Pourtant, quand un article, en 1996, relate des faits très graves dans un établissement où vous scolarisez vos propres enfants, vous déclarez « pas lu, pas vu, pas entendu, pas intervenu ». C’est le fil à plomb de votre intervention. Dans votre préambule, vous vous interrogez : « Est-ce que j’aurais pu faire plus, dû faire plus ? C’est possible. » Or, à vous entendre depuis trois heures trente, vous n’êtes responsable de rien.
Avec le recul, comment expliquez-vous votre impuissance, votre cécité politique, votre faillite dans l’exercice de vos responsabilités – car c’étaient les vôtres – de protection des enfants ? Franchement, devant un tel échec, comment pensez-vous sérieusement que la représentation nationale puisse vous faire confiance ?
M. Laurent Croizier (Dem). Monsieur le premier ministre, permettez-moi, en préambule, de manifester toute la compassion qui s’impose face à la douleur des victimes et d’exprimer ma consternation concernant la méthode avec laquelle votre audition est menée. Pourtant, le nombre de victimes et la diversité des établissements concernés montrent l’ampleur du fléau, qui n’épargne aucun territoire, aucune structure, publique ou privée.
La seule préoccupation qui devrait être celle de cette commission ce soir, c’est la protection des enfants. Nous devons analyser les mécanismes qui conduisent tant de victimes au silence, identifier les obstacles qui entravent la libération de la parole et les alertes, construire des solutions pour que ces violences n’arrivent plus jamais.
Comment pouvons-nous garantir que, dans chaque établissement, chaque victime, chaque famille, chaque élève sera entendu ? Comment pouvons-nous assurer un continuum de vigilance à même de mieux recueillir les témoignages d’actes de violence ? Enfin, comment établir une chaîne de signalements permettant d’empêcher que le silence ne règne face à des violences physiques, psychologiques ou sexuelles dans les écoles de la République ?
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Monsieur le premier ministre, vous avez fait état, à de nombreuses reprises, de votre peine à être mis en cause personnellement – je peux l’entendre. Vous avez commencé votre audition en disant qu’enfin, nous allions lever le voile sur le continent noir, le continent caché. Mais alors, pourquoi avoir consacré plus de trente minutes à couvrir d’injures une simple enseignante, pas politisée, qui ne cherchait pas la lumière des projecteurs et qui, en 1996, a été l’une des rares personnes à avoir levé le voile ? Je suis encore profondément marquée par ce passage de votre audition. Vous l’avez accusée d’affabuler pendant trente minutes, vous avez même voulu projeter une vidéo pour l’agonir. Vous n’avez pas consacré ces minutes-là à faire entendre la parole des victimes.
J’avais demandé à cette femme, à la fin de son audition, ce que cela avait dû être de vivre avec le sentiment de ne pas être entendue, mais je n’avais pas pu finir ma phrase. Elle l’avait complétée elle-même : « Qu’est-ce que ça a dû être de vivre avec le sentiment qu’on n’a pas pu sauver les enfants ? » Elle a fini son audition comme ça, elle.
M. François Bayrou, premier ministre. Je n’ai pas agoni d’injures cette dame. Vous en avez fait, les rapporteurs en ont fait la principale « lanceuse d’alerte ». Et il se trouve que la preuve était apportée par le dossier que ce qu’elle affirmait était non pas faux mais pas possible. Donc excusez-moi, quand vous êtes mis en cause aussi gravement que je l’ai été, pas par elle mais par ceux d’entre vous qui l’utilisez, je dis que j’ai le devoir – pas le droit, mais le devoir – de défendre la vérité. J’affirme que ce que j’ai montré rend impossible son affirmation.
Madame Legrain, vous dites que j’avais un suppléant. Il est mort depuis très longtemps. C’était quelqu’un de tout à fait estimable. Il aurait tenu à celui qui portait plainte les propos que vous avez cités. Je n’en sais rien. C’est possible. Mais ce n’est pas mon sentiment. Ce n’est pas ce que je partage. Je pense que, s’il y a une chose qui est révélée ici, c’est qu’il faut écouter ceux qui sont ciblés. Évidemment, ça remet en cause beaucoup de choses – des modèles éducatifs, des modèles familiaux – mais il faut qu’on les écoute, même si ça bouscule un peu. J’ai été bousculé.
Monsieur Courbon, vous parlez des valeurs du citoyen Bayrou. Vous ne m’avez interrogé que sur moi, sur ma responsabilité, sur ce que j’avais fait ou pas fait, sur le soupçon insupportable que je sois intervenu dans l’affaire pour protéger des pédocriminels. Toute l’audition a tourné autour de ça, à essayer de me mettre en contradiction entre une phrase et une autre phrase, ma mise en cause par le gendarme Hontangs ou par Mirande. Vous n’avez parlé que de ça. Et d’ailleurs il y a quatre mois que vous ne parlez que de ça. Dans la presse ce matin, hier, avant-hier, on ne parle que de ça. J’aurais voulu qu’on laisse une seconde tomber – ça m’aurait fait des vacances – le cas d’un supposé responsable politique indifférent, corrompu, dominé par une omerta, j’aurais préféré qu’on parle des victimes. Dans ce système, les dernières semaines, il y a des gens que j’aime beaucoup. Je connais très bien, personnellement, plusieurs des victimes, qui ne disaient rien. Je connais un peu ma fille aussi. Mais de tout cela, tout le monde se fichait. Il s’agissait d’une chose – pardon de parler un peu trivialement –, de me coincer pour m’obliger à « démissionner ».
M. Alexis Corbière (EcoS). Ça viendra…
M. François Bayrou, premier ministre. Ça viendra, bien sûr, mais je vais vous répondre à vous personnellement dans une seconde.
Quelles sont mes valeurs ? Mes valeurs, c’est simple : je n’ai jamais quitté l’éducation nationale. J’ai été un élève de l’école publique, depuis l’âge de 2 ans, et puis au collège à l’école publique – ça ne s’appelait pas collège à l’époque mais lycée, puisque c’étaient de petits établissements qui avaient les deux degrés d’enseignement, je considère d’ailleurs que ce n’était pas si mauvais que ça et qu’il y avait quelque chose dans cette organisation. Je pense que s’il y a un métier qui vaut la peine dans le monde, c’est celui-là. J’ai quatre enfants qui sont profs. C’est un métier, selon moi, qui a deux buts à atteindre : le premier est de construire des consciences libres – j’y suis assez bien arrivé – et le deuxième de faire que ces enfants-là ne se sentent jamais seuls. Ça, c’est mes valeurs. Vous demandez si mes valeurs m’ont aveuglé au point de protéger… ou quelque chose comme ça. Mes seules valeurs, c’est la liberté des enfants, c’est l’esprit critique et c’est la sécurité affective. C’est ça, mes valeurs. Est-ce que ça m’a aveuglé ? C’est le contraire. Ça m’a permis d’ouvrir les yeux sur un certain nombre de choses.
Monsieur Arenas, vous avez construit un raisonnement que je trouve biaisé, sur l’idée de violences qui ne sont pas à ce point graves.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Ce sont vos propos !
M. François Bayrou, premier ministre. Je ne crois pas que j’ai dit ça mais si je l’ai dit, je me suis mal exprimé. Il y a des moments d’énervement dans une famille, non ? Pas chez vous ?
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). J’ai quatre enfants et je n’en ai jamais tapé aucun ! Ne faites pas de généralités !
M. François Bayrou, premier ministre. D’accord. Est-ce que leur mère…
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Ne faites pas de généralités !
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Arenas, je vous regarde dans les yeux. Est-ce que leur mère ne leur a jamais mis une petite tape ?
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Jamais, monsieur !
M. François Bayrou, premier ministre. Très bien ! Bravo ! Ma vision éducative, c’est que ce qui permet d’accéder à un enfant, c’est de lui parler. Je pense que la clé la plus importante, c’est le langage, pas seulement le langage dans les mots mais aussi le langage dans les gestes, le langage affectif, le non-verbal, regarder l’enfant, en dire du bien. Vous m’interrogez sur ma vision. Ma vision, c’est celle-là.
M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Je vous interrogeais sur votre vision éducative en lien avec Bétharram…
M. François Bayrou, premier ministre. La bonne classe, c’est celle où les enseignants repèrent les qualités des élèves et les mettent en valeur. Est-ce que cela a toujours été comme ça dans l’éducation ? Non. Ni dans l’enseignement privé ni dans l’enseignement public. Ça devrait être un idéal. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Comment peut-on faire pour empêcher les violences à Bétharram ? C’est la proposition que je faisais, pas seulement pour Bétharram mais pour tous les établissements. Il n’y a pas que les établissements scolaires dans la proposition qui est la mienne : il y a les associations sportives – vous avez vu tout ce qui est sorti sur ce qui s’y passe –, les associations culturelles, les familles. De ce point de vue-là, le souci doit être un souci général. Et la préoccupation, la recherche… C’est pourquoi j’ai dit que j’étais acquis à l’idée qu’il fallait un conseil scientifique, à côté des décideurs. Voilà ce que je crois être la réponse. Je répète que la place que les victimes ont eue dans cette audition, pardonnez-moi de le dire, est insuffisante.
Monsieur Coquerel… monsieur Corbière, pardon, j’ai été trahi par… Voilà. Vous dites que je cumule depuis quarante-trois ans : Mélenchon, quoi !
M. Alexis Corbière (EcoS). C’est mesquin !
M. François Bayrou, premier ministre. C’est exactement le cas. Mélenchon a commencé sénateur il y a cent ans, quand je commençais député. Je m’empresse de dire que je crois que je le connais un peu. Vous lui avez fait un statut éminent – il suffit de lire les ouvrages consacrés. Oui, en effet, Mélenchon et moi avons le même âge. C’est bête. Et on a commencé la politique tôt. C’est bête.
M. Alexis Corbière (EcoS). Vous êtes sérieux, là, monsieur le premier ministre ?
M. François Bayrou, premier ministre. C’est ce que vous avez dit !
M. Alexis Corbière (EcoS). Je parlais de vous, de votre responsabilité.
M. François Bayrou, premier ministre. Vous avez commencé en disant que j’avais cumulé, machin…
M. Alexis Corbière (EcoS). Vous cumulez encore, vous êtes encore maire de Pau !
M. François Bayrou, premier ministre. Oui, et alors ? J’ai choisi de ne pas éloigner ou séparer le pouvoir national du pouvoir local. Je pense que c’est une faute qui a été faite. Je pense que l’isolement du pouvoir national – parisien, appelons-le comme il faut –, c’est une mauvaise affaire. On en discutera, on aura des débats sur ce sujet-là.
Vous demandez si je suis responsable. J’ai ma part de responsabilité.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Vous auriez dû commencer par ça !
M. François Bayrou, premier ministre. Non, parce que je n’ai pas ma part de responsabilité dans ce dont on m’accusait. Je n’ai pas couvert des pratiques quelles qu’elles soient. Je n’ai pas eu d’informations privilégiées. Je ne suis pas resté sans rien faire quand j’ai découvert les affaires. Je ne suis jamais intervenu dans une affaire. Donc sur les accusations multiples… Pour le reste, on a tous une part de responsabilité, tous, quel que soit le département dont on est originaire.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Sur la protection de l’enfance, non.
M. François Bayrou, premier ministre. Madame, vous êtes donc la seule à ne pas avoir de responsabilité. On a tous eu une part de responsabilité.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Madame Hadizadeh, ce n’est pas un dialogue. Vous pouvez terminer, monsieur le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Croizier, je suis prêt à signer. La question, c’est la protection des enfants.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). La protection de l’enfance, c’est jusqu’à 21 ans.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Si je puis me permettre, il faut juste répondre aux questions, monsieur le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre. Je suis interpellé.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Mme Hadizadeh n’a pas de micro. En revanche, vos réponses, on les entend et elles sont enregistrées.
M. François Bayrou, premier ministre. Est-ce qu’on peut garantir à chaque victime – c’est l’autre question – qu’elle sera entendue ? C’est ça, pour moi, les deux articles de ce que nous devons décider.
Enfin, madame Hadizadeh, j’ai oublié votre question. Vous n’avez pas demandé, vous avez affirmé, et je vous ai répondu en commençant, n’est-ce pas.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Je m’interrogeais sur votre ligne de défense qui consiste à attaquer la seule lanceuse d’alerte.
M. François Bayrou, premier ministre. Lorsque vous êtes mis en cause gravement à partir des déclarations d’une seule personne, ça n’est pas l’attaquer que de rectifier les choses et de montrer que son affirmation était impossible. Je vais vous dire : lorsque j’ai entendu Mme Gullung, j’ai trouvé qu’elle était incroyablement sincère. C’est après que je me suis aperçu que c’était impossible. Ici, devant la commission.
Mme Ayda Hadizadeh (SOC). Elle vous a écrit !
M. François Bayrou, premier ministre. Non. Je n’ai jamais reçu de courrier de cette dame. Lorsqu’elle est venue me voir, semble-t-il, lors d’une remise de médaille, aucune plainte n’avait été déposée. La première plainte vient neuf mois après. Donc non, je n’ai pas été saisi par elle.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur le premier ministre, nous vous remercions.
L’audition est suspendue de vingt et une heures cinquante à vingt-deux heures.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous reprenons avec une dernière série de questions des rapporteurs. Nous espérons tous finir nos travaux vers 22 h 30. Pour cela, il faut que les rapporteurs soient efficaces et que M. le premier ministre réponde de manière synthétique si possible.
M. Paul Vannier, rapporteur. Monsieur le premier ministre, ce troisième bloc de questionnements porte sur vos responsabilités actuelles. Une mission d’inspection académique a été diligentée dans l’établissement Beau-Rameau, anciennement Notre-Dame de Bétharram. Le rapport, rendu le 4 avril 2025, est accablant. Il identifie « une rupture dans le circuit de signalements » et confirme que « les informations sensibles circulent en interne sans être systématiquement remontées aux autorités compétentes ». Il indique un non-respect de tous les volumes horaires au regard des textes ministériels. Il relève que les enseignements relatifs aux valeurs de la République sont peu développés, voire absents. Il pointe des atteintes à la liberté de conscience et l’interdiction faite aux élèves, en toutes circonstances, d’aller aux toilettes pendant les cours.
Ces conclusions accablantes, qui révèlent le caractère persistant de certaines violences faites aux enfants dans cet établissement, ont été rendues il y a près de six semaines. Avez-vous, monsieur le premier ministre, pris des mesures à la suite de leur publication ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je n’ai pas à prendre des mesures, c’est la responsabilité du ministère de l’éducation nationale.
M. Paul Vannier, rapporteur. En tant que chef du gouvernement, vous pouvez demander à la ministre de l’éducation nationale d’agir. Vous aviez aussi le pouvoir, dès les dernières révélations de presse, celles qui ont débuté au mois de février 2025, de déclencher une mission de l’inspection générale et non une mission académique – nous avons eu ce débat tout à l’heure. Pourquoi ne pas l’avoir fait ? Vos prérogatives actuelles vous donnent le pouvoir de demander au préfet, qui dispose lui-même de certaines prérogatives face à des situations comme celles-ci, d’engager une série de mesures. Allez-vous saisir le préfet des Pyrénées-Atlantiques ? L’avez-vous fait ?
M. François Bayrou, premier ministre. Je répète : c’est la responsabilité du ministère de l’éducation nationale, et je n’ai pas l’habitude d’amputer les ministres de mon gouvernement, a fortiori la ministre d’État, numéro deux du gouvernement, de leurs responsabilités.
M. Paul Vannier, rapporteur. C’est assez étonnant de vous entendre aujourd’hui encore, en 2025, sur les phénomènes de violence décrits, sur des dysfonctionnements dans les procédures de signalement des violences, assumer une très grande distance face à ce sujet dans cet établissement dont on sait désormais qu’il cristallise des questionnements en matière de réaction des autorités politiques face à la situation d’enfants dont la sécurité peut être en cause. Mais j’ai entendu votre réponse. D’un certain point de vue, elle rejoint d’autres réponses que vous nous avez faites précédemment : cela ne vous regarde pas.
S’agissant de la difficulté des victimes à s’exprimer sur cette question des violences, vous avez déclaré : « Pourquoi les victimes elles-mêmes ne disent rien ? » C’est cette question-là dont je trouve qu’elle doit nous hanter. C’est une question profonde, très complexe. Mais, monsieur le premier ministre, n’est-ce pas une façon d’éluder, comme j’ai le sentiment que vous l’avez fait pendant toute cette soirée, la question des responsabilités, celles de la communauté éducative, celles des tutelles administratives, religieuses parfois, celles des pouvoirs publics, celles des autorités politiques jusqu’au plus haut niveau de l’État, qui peuvent être témoins de violence, qui peuvent recevoir de multiples alertes et qui pourtant, parfois, et ce fut le cas à Bétharram, n’ont rien fait.
M. François Bayrou, premier ministre. Oui, je vois exactement – et ce n’est pas la première fois pendant cette séance – la stratégie qui est la vôtre. Vous voulez, en partant de cette affaire, essayer de créer une situation dans laquelle vous obtiendriez le gain politique d’un affaiblissement – de ce point de vue, cela a été terriblement efficace : c’est déjà fait – et peut-être d’une disparition du gouvernement. J’ai cité la phrase de l’ami de M. Corbière : « Abattre ce gouvernement, abattre le suivant et abattre le suivant encore. » C’est ce que vous êtes en train d’expliquer. Il se trouve que je ne partage pas ce sentiment. Je n’ai pas l’habitude d’éluder mes responsabilités, mais je n’ai pas l’habitude de priver les membres du gouvernement de leurs responsabilités. Je crois avoir fait depuis le début le contraire, c’est-à-dire renforcer la plénitude de l’action de chaque membre du gouvernement.
M. Paul Vannier, rapporteur. Ce sera ma dernière question. Une nouvelle et dernière fois, je constate que vous ne répondez pas aux questions que je vous pose, monsieur le premier ministre. Vous êtes dans une stratégie qui consiste à éluder les questions, à les contourner. Vous êtes dans une entreprise de déresponsabilisation qui, je crois, n’a pas suffisamment permis d’éclairer le questionnement de fond de la commission d’enquête, même si nous avons pu constater à quel point vous avez à nouveau, ce soir, fait varier vos déclarations. Nous avons pu constater que de grandes questions ont trouvé des réponses. Que saviez-vous ? Vous saviez beaucoup de choses. Qu’avez-vous fait ? Rien ou si peu. Vous ne lisiez que les conclusions des rapports d’inspection et, de cette lecture très partielle, des conséquences très graves pour les élèves étaient apparues.
J’ai une dernière remarque dont vous ferez ce que vous voudrez, monsieur le premier ministre. En conclusion de cette audition, je voudrais revenir sur la façon dont vous vous en êtes pris à Mme Gullung, cette enseignante lanceuse d’alerte qui a eu la force, le courage de dénoncer les violences terribles dont elle était témoin. Au cours des dernières semaines, votre entourage s’est attaqué à elle dans la presse, qualifiant ses propos de délire dangereux. Ce soir, vous vous en êtes pris à cette femme, à cette lanceuse d’alerte. Je dois relever qu’à Châlons-en-Champagne, à Riaumont, à Bétharram, ce sont à chaque fois des femmes seules qui sont calomniées comme Mme Gullung l’a été par vous ce soir. Ce sont ces lanceuses d’alerte qui sont la cible de ceux qui veulent entretenir l’omerta.
Nous sommes regardés par des victimes, par des collectifs de victimes qui se sont constitués au moment où nous créions notre commission d’enquête, par des hommes et des femmes qui s’interrogent peut-être sur leur volonté de devenir à leur tour des lanceurs d’alerte. Je veux leur dire que la représentation nationale – les députés que nous sommes, cette commission d’enquête parlementaire – fera tout pour les protéger, pour que ces crimes soient dénoncés, quels que soient le mépris, l’arrogance et parfois l’insulte que vous avez maniés à leur égard. J’envoie donc un message de force, de solidarité et de soutien à toutes les victimes et à tous les lanceurs d’alerte qui ont pu être très inquiétés par beaucoup de vos propos ce soir, monsieur le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre. Monsieur Vannier, je comprends que vous vous sentiez mal, parce que c’est toute votre stratégie qui, ce soir, toute cette fin d’après-midi, s’est effondrée parce que des preuves ont été apportées. Je comprends que cela ne soit pas agréable, surtout après que vous avez conduit l’agression contre moi, pendant des semaines et des semaines, de manière incroyablement agressive et insultante. Je comprends que vous vous sentiez mal.
Excusez-moi de vous le dire, mais je n’ai jamais insulté personne. Simplement, quand je découvre que des affirmations sont non seulement fausses mais impossibles – je répète qu’il y a quatre ans de distance entre la disparition du père Carricart et la prise de fonction de Mme Gullung dans son établissement. Quatre ans de distance ! Je suis persuadé que tous ceux qui sont attachés à la vérité… En tout cas moi, quand je suis agressé, j’essaie de voir si c’est vrai ou pas. Et de ce point de vue-là, ce n’était pas vrai. Toutes les accusations, sans exception, dont vous avez fait votre fonds de commerce, que vous avez répercutées dans des milliers d’interventions, de tweets, d’affirmations, de demandes de démission tous les jours. Moi, je n’avais aucun moyen de me faire entendre parce que je n’avais aucune preuve, aucun élément et aucune enceinte dans laquelle je pouvais me faire entendre. C’était la première fois, au bout de quatre mois de mise en cause, que je pouvais me défendre et me faire entendre. C’est pourquoi j’ai commencé en disant : enfin !
Je pense que, lorsqu’on est injustement attaqué, agressé, insulté, soupçonné, on a le devoir de se défendre. C’est ce que j’ai essayé de faire. Je n’ai rien contre aucune des personnes que vous avez nommées, aucune, mais en tout cas, je ne peux pas laisser la vérité être à ce point rayée de la carte. Ce soir, c’est elle que j’ai essayé de défendre.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends qu’à l’occasion de cette audition très regardée, vous souhaitiez défendre votre honneur et apporter des preuves et des explications sur les soupçons et les attaques dont vous avez été l’objet ces derniers mois.
Néanmoins, vous avez dit que la commission d’enquête se servait des victimes comme arme politique pour vous détruire. Je ne crois pas, à titre personnel, avoir joué ce rôle. Je crois qu’au contraire, malgré des objectifs politiques certes très différents, Paul Vannier, nos collègues et moi-même avons mené depuis le début de la commission d’enquête un travail extrêmement sérieux par la récupération de tous les documents qui avaient été évoqués par la presse, parfois de façon partielle, et l’audition de plus de 140 personnes.
Notre préoccupation permanente, celle qui nous guide depuis le début et nous guidera dans les semaines à venir – car la commission d’enquête ne se termine pas ce soir – c’est les victimes, aussi bien celles qui ont parlé avant et qui n’ont pas été entendues que celles qui parlent aujourd’hui. Nous en sommes à quarante-cinq signalements au procureur sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale et nous recevons des témoignages tous les jours. Les victimes ont été très présentes dans nos questionnements, y compris ceux qui vous ont concerné. Je me suis donc parfois sentie blessée, comme vous vous êtes senti blessé par certaines déclarations.
Comme vous l’avez rappelé, Notre-Dame de Bétharram n’est pas un cas unique. Ce qui doit guider la suite de nos travaux, c’est l’élargissement de la question et des responsabilités. Dès le lancement de la commission d’enquête, la ministre de l’éducation, que nous auditionnerons la semaine prochaine, a annoncé un plan d’action ambitieux, le plan « Brisons le silence, agissons ensemble ». Il comprend des questionnaires en cours de test, selon les inspecteurs que nous avons auditionnés, et un décret d’élargissement du logiciel de signalement Faits établissement qui est en cours d’examen au Conseil d’État. Les choses avancent.
Au début de l’audition, puis dans votre réponse à l’une de nos collègues, vous avez évoqué les violences sexuelles commises sur des enfants par des adultes ayant autorité dans des domaines qui ne relèvent pas du périmètre de la commission d’enquête : le sport, la culture ou encore le périscolaire, pour lequel nous avons reçu plusieurs signalements. Avez-vous lancé une réflexion collective ? Avez-vous lancé des actions dans ce domaine ?
M. François Bayrou, premier ministre. Madame la rapporteure, je voudrais corriger votre impression. Je ne vous ai jamais attaquée. J’ai simplement rappelé quels ont été, de la part de M. Vannier, les innombrables déclarations, propos, tweets dont le but était précisément de faire que je sois acculé, comme l’ont dit un certain nombre de parlementaires, à la démission. Il suffit de lire la presse d’hier et de ce matin. Tous les journaux le disent : c’est le rendez-vous, c’est là qu’on va voir, il joue son mandat ce soir, il joue sa responsabilité ce soir, devant la commission, il ne restera rien, toutes les accusations seront prouvées – je cite ici des phrases à peu près exactes de tous les journaux nationaux, régionaux ou locaux.
Il se trouve que je crois exactement le contraire. Nous avons pu faire la preuve, date par date, fait par fait, insinuation par insinuation, que c’était faux ou, en tout cas, que l’accusation principale de M. Vannier – qui n’a pas l’air content d’être mis en cause, mais c’est lui qui a mené le combat –, dont la première phrase était : « Monsieur le premier ministre, pourquoi avez-vous protégé les pédocriminels de Bétharram ? »…
M. Paul Vannier, rapporteur. Ce n’était pas ma première phrase.
M. François Bayrou, premier ministre. Écoutez, c’est assez simple, j’ai la question sous les yeux : « Monsieur le premier ministre, pourquoi n’avez-vous pas protégé les élèves de l’école Notre-Dame de Bétharram, victimes de violences pédocriminelles ? »
M. Paul Vannier, rapporteur. C’est une vraie question !
M. François Bayrou, premier ministre. Excusez-moi, depuis le 11 février, cette imputation a servi de cadre à la campagne que vous avez construite, menée, nourrie, et qui est parfaitement décrite dans le livre qui vous est consacré, c’est-à-dire les trolls, la reprise d’éléments de langage, avec un seul but : cibler la personne qu’il faut détruire, et vous faites cela, le livre l’explique, y compris dans vos rangs. Il suffit de lire ce livre pour avoir une idée précise de ces choses-là. Et donc, je le regrette infiniment mais lorsqu’une manœuvre, une campagne à ce point injuste et infondée est menée, alors il est légitime de se défendre. Ce n’était pas Mme Spillebout qui était ciblée, ni la présidente, mais M. Vannier a mené cette campagne.
La proposition que j’ai faite n’intéresse pas seulement l’éducation nationale. Je répète que j’ai proposé qu’on regarde si on pouvait transplanter en France la loi votée le 8 avril en Allemagne, il y a à peine un mois, qui met en place une autorité qui touche tous les secteurs à la fois : j’ai dit l’école, j’ai dit la culture et j’ai dit le sport, et tout montre qu’il y a des choses à dire dans ces trois secteurs. Il y a aussi toute la question des familles, des violences intrafamiliales, notamment sexuelles, qui sont de l’ordre de ce qu’on peut rencontrer de pire.
Une autorité et deux conseils, un conseil scientifique et un conseil de victimes : il y a là quelque chose qui permettrait et mériterait de donner leur place à tous ceux qui ne peuvent pas s’exprimer parce qu’ils n’ont pas la voix, qu’on a essayé, à certains moments, de leur rendre ce soir. Pour moi, je le répète, il y a le combat politique – et Dieu sait que les Français pensent aujourd’hui que le combat politique n’est pas très joli –, et il y a le combat pour ceux qui comptent vraiment, ces garçons et ces filles qui n’ont simplement pas le droit à la parole, non pas parce qu’on ne leur en donne pas le droit, mais parce qu’ils n’osent pas le prendre.
M. Violette Spillebout, rapporteure. Vous évoquez l’idée d’un conseil indépendant. Nous formulerons également des propositions pour améliorer le contrôle de l’État dans le rapport que nous rendrons à la fin du mois de juin.
Ma question portait plutôt sur votre action depuis le début de l’année 2025, c’est-à-dire depuis les révélations sur Bétharram, sur Riaumont, et la formation de collectifs de victimes. Des actions interministérielles ont-elles été lancées dans le sport, la culture et le périscolaire ? Si nous attendons une proposition de loi sur la création d’un nouveau conseil – qui sera sûrement discutée –, on peut s’imaginer que le délai sera trop long pour des victimes potentielles.
M. François Bayrou, premier ministre. Non, le délai ne sera pas trop long. Vous avez cité le plan « Brisons le silence » que nous avons développé avec Élisabeth Borne : il cherche à vérifier les internats de ces écoles par un questionnaire tous les trois mois et qui se préoccupe de savoir si, lors des voyages scolaires avec nuitées, les conditions de sécurité – je ne parle pas de sécurité physique, mais de sécurité morale au sens le plus large du terme – sont réunies. On peut aussi travailler avec des associations comme Les Papillons, qui mettent des boîtes à lettres dans les écoles.
Je pense que passer de la culture du silence – certains disent de l’omerta, je ne crois pas que ce soit le cas –, du couvercle de silence pesant, à la culture du « si tu as quelque chose à dire dans ce domaine, je t’écoute », est un chemin utile.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. J’en viens ainsi à ma dernière question sur les moyens. Les associations de protection de l’enfance qui interviennent dans le cadre scolaire nous ont fait part de leur difficulté à agir en raison de freins culturels à leur présence dans des établissements qui ne voient pas d’un bon œil l’intervention de professionnels formés à la libération de la parole, mais aussi d’un financement qui souffre d’un contexte budgétaire très difficile. Avez-vous anticipé, en amont de la discussion budgétaire qui approche, la question de l’adaptation des moyens à cette question majeure qui a gagné en visibilité ces dernières années ?
Mme Borne a annoncé des moyens d’inspection supplémentaires à travers la création d’une trentaine de postes dès la rentrée 2026. Or, actuellement, une soixantaine de postes restent non pourvus en raison du manque d’attractivité de ce corps d’inspection, lequel est en partie lié à une absence de cadrage clair sur la façon dont il faut inspecter les établissements privés sous contrat.
Sur ces deux sujets, estimez-vous qu’il faut encore travailler ou avez-vous déjà un point de vue sur l’action à entreprendre pour lutter contre les violences faites aux enfants – pas seulement sexuelles, mais aussi physiques et psychologiques – par des adultes encadrants ?
M. François Bayrou, premier ministre. J’ai déjà un plan précis puisque j’ai nommé quelqu’un pour qui j’ai une très grande estime, Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’enfance. Nous avons eu une réunion ensemble et elle est en train de travailler sur le sujet. Il y a beaucoup d’aspects : il y a l’enfance placée – Perrine Goulet est là, et ce n’est pas un hasard si nous travaillons en stéréo sur ces sujets.
Vous avez rappelé, à juste titre, où nous en étions du point de vue budgétaire. Mais ce n’est pas seulement une question de moyens. Il s’agit aussi de penser une réflexion, une action, une politique, une direction, avec à la fois la haute-commissaire à l’enfance, qui a été désignée il y a un mois et demi et que vous pourriez auditionner, et celle que l’Assemblée nationale a chargée de s’occuper de cette partie de l’enfance placée – et Dieu sait qu’il y a des problèmes de ce point de vue. Nous sommes en situation d’apporter des réponses qui ne s’enferment pas uniquement dans le strict cadre scolaire. Un enfant ne se découpe pas ; c’est bien qu’on puisse avoir une vision plus synthétique.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous avons envisagé d’auditionner Sarah El Haïry. Nous y avons finalement renoncé car la lutte contre les violences n’est pas inscrite dans sa feuille de route. J’entends que vous l’avez rencontrée, compte tenu de l’actualité, et j’imagine que nos échanges feront évoluer sa feuille de route dans le sens d’un élargissement – que vous avez évoqué dès le début de l’audition – aux autres champs qui pourraient être touchés par les violences.
J’insiste sur le périscolaire car nous avons été interpellés sur l’impossibilité pour les inspecteurs d’intervenir pour les problèmes impliquant le personnel salarié des collectivités locales travaillant dans l’enceinte scolaire. Ce champ est hors du périmètre de l’éducation nationale. Il ne semble pas non plus traité par la haute-commissaire à l’enfance, que nous pourrions effectivement auditionner ou à qui nous pourrions demander une contribution avant la fin de nos travaux.
M. François Bayrou, premier ministre. C’est assez simple : je suis prêt à compléter la feuille de route de Sarah El Haïry, haute-commissaire à l’enfance, par une lettre de mission incluant la question de la lutte contre les violences.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous avons terminé cette longue audition. Nous vous remercions.
M. François Bayrou, premier ministre. Cinq heures et demie !
La séance est levée à vingt-deux heures vingt-cinq.
Présences en réunion
Présents. – Mme Farida Amrani, M. Rodrigo Arenas, M. Raphaël Arnault, Mme Bénédicte Auzanot, M. Erwan Balanant, M. Philippe Ballard, Mme Géraldine Bannier, M. Arnaud Bonnet, M. Idir Boumertit, Mme Soumya Bourouaha, M. Joël Bruneau, M. Fabrice Brun, Mme Céline Calvez, M. Salvatore Castiglione, M. Roger Chudeau, M. Alexis Corbière, M. Laurent Croizier, Mme Julie Delpech, M. Aly Diouara, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Anne Genetet, M. José Gonzalez, M. Emmanuel Grégoire, Mme Ayda Hadizadeh, M. Sacha Houlié, Mme Florence Joubert, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Sarah Legrain, M. Bartolomé Lenoir, Mme Delphine Lingemann, M. Frédéric Maillot, Mme Graziella Melchior, Mme Frédérique Meunier, Mme Caroline Parmentier, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Lisette Pollet, M. Alexandre Portier, M. Christophe Proença, Mme Isabelle Rauch, Mme Véronique Riotton, Mme Claudia Rouaux, Mme Anne Sicard, M. Bertrand Sorre, Mme Violette Spillebout, Mme Sophie Taillé-Polian, Mme Prisca Thevenot, M. Paul Vannier
Excusés. – M. Gabriel Attal, M. Xavier Breton, M. Anthony Brosse, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, M. Charles Fournier, M. Moerani Frébault, M. Frantz Gumbs, Mme Céline Hervieu, Mme Tiffany Joncour, Mme Nicole Sanquer, Mme Caroline Yadan
Assistaient également à la réunion. – Mme Nadège Abomangoli, M. Elie Califer, Mme Colette Capdevielle, Mme Eléonore Caroit, M. Jean-René Cazeneuve, M. Pierrick Courbon, M. Romain Daubié, Mme Martine Froger, M. Bruno Fuchs, Mme Océane Godard, Mme Florence Goulet, Mme Justine Gruet, Mme Zahia Hamdane, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Abdelkader Lahmar, M. Jean Laussucq, M. Pascal Lecamp, M. Gérard Leseul, M. Sylvain Maillard, Mme Joëlle Mélin, M. Christophe Naegelen, Mme Sandrine Nosbé, M. Hubert Ott, M. Aurélien Pradié, M. Richard Ramos, Mme Béatrice Roullaud, M. Arnaud Saint-Martin, M. Arnaud Simion, M. Thierry Sother, M. Roger Vicot, M. Philippe Vigier