Compte rendu
Commission
des affaires culturelles
et de l’éducation
– Dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), audition de M. Pap Ndiaye, ancien ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse 2
– Présences en réunion..............................15
Jeudi
15 mai 2025
Séance de 11 heures 30
Compte rendu n° 76
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, Présidente
— 1 —
La séance est ouverte à onze heures trente.
(Présidence de Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente)
La commission auditionne, dans le cadre des travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958), M. Pap Ndiaye, ancien ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous poursuivons nos travaux d’enquête sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires en recevant M. Pap Ndiaye, représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe, que nous entendons en sa qualité d’ancien ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse entre mai 2022 et juillet 2023. Lorsque vous occupiez ces fonctions, vous avez notamment élaboré un plan de lutte contre le harcèlement à l’école, qui répondait donc aux violences exercées par des élèves, sur des élèves.
L’objet de nos travaux d’enquête est différent puisque ceux-ci portent sur les violences commises sur des élèves par des adultes ayant autorité. Votre témoignage nous sera précieux pour comprendre la manière dont vous avez eu à connaître et, le cas échéant, à traiter cette question.
Je précise que vous aviez diligenté une enquête administrative de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) sur l’établissement privé sous contrat Stanislas.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Pap Ndiaye prête serment.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Ma première question est la suivante : à quelle occasion et dans quel contexte vous avez eu, en tant que ministre de l’éducation, à traiter la question des violences commises par les adultes encadrants sur les élèves en milieu scolaire ?
M. Pap Ndiaye, ancien ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Comme vous l’avez indiqué, lorsque je suis arrivé rue de Grenelle, la question des violences commises par des élèves à l’encontre d’autres élèves était absolument centrale. À partir de la rentrée 2023, nous avons ainsi déployé dans les lycées le programme Phare (programme de lutte contre le harcèlement à l’école). L’attention publique et politique était très concentrée sur ces phénomènes de violence et de harcèlement, qui ont d’ailleurs conduit à des drames épouvantables. La question des violences commises par les adultes envers des élèves était largement reléguée au second plan. Elle n’était pas constituée alors comme un fait social et politique ; je me réjouis qu’une prise de conscience ait permis que ce soit le cas aujourd’hui et que votre commission travaille sur le sujet. Cela ne signifie pas que la question du harcèlement doive à son tour devenir secondaire : il faut appréhender le sujet dans sa globalité.
S’agissant des violences commises par des adultes envers des enfants, j’en ai eu connaissance, pour l’essentiel, via les « faits établissement ». Mais comme vous le savez, seule une minorité de ces faits – les plus graves et les plus significatifs, soit environ 15 % – sont remontés par les rectorats vers le ministère. Ils sont regroupés dans une sorte de cahier : je ne le consultais pas tous les jours, mais il permettait au cabinet non pas de traiter chacun des faits consignés – cela prendrait trop de temps et, au reste, ce rôle échoit au rectorat –, mais d’avoir une idée de ce qui se passait dans les écoles et établissements publics. Or les faits établissement ne concernent pas les établissements privés : c’est un énorme trou dans la raquette. Cela devrait changer, c’est en tout cas ce que l’actuelle ministre de l’éducation nationale a annoncé.
Nous n’avions donc pas saisi la question des violences des adultes envers des élèves dans sa globalité ni appréhendé sa dimension possiblement systémique. Nous la traitions de manière plutôt éclatée, en nous concentrant, à ce moment-là, sur la question du harcèlement.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pourriez-vous décrire plus précisément votre rôle et celui des différents membres de votre cabinet lorsqu’une affaire particulière de violence vous était remontée à travers Faits établissement ou le signalement d’un recteur ? Quelles consignes aviez-vous données concernant le niveau d’alerte à partir duquel vous deviez être personnellement interrogé ou impliqué ?
Avez-vous le souvenir d’affaires fortes, par leur couverture médiatique ou leur niveau de violence – par exemple, un cas qui aurait conduit au suicide d’un élève –, qui auraient donné lieu à des échanges intenses entre vous et votre cabinet ? Nous cherchons en effet à établir le rôle des remontées d’information et de l’action du ministre dans les modalités de contrôle.
M. Pap Ndiaye. Comme je l’ai dit, seule une minorité de « faits établissement », choisis par les rectorats, remonte vers Paris. Le cabinet assure un pilotage politique : il n’a pas vocation à se substituer à l’administration et à traiter un par un ces faits, mais plutôt à en faire une lecture générale, pour voir dans quel sens vont les choses. Bien entendu, si un « fait établissement » est particulièrement grave, il se penche néanmoins dessus.
Au cours de mes quatorze mois d’exercice, ces « faits établissement » nous ont conduits à diligenter dix-neuf enquêtes de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche : onze pour des faits liés à l’administration – comportement d’un directeur académique ou situation dysfonctionnelle dans une inspection, par exemple –, et huit pour des faits liés aux établissements d’enseignement – dont sept pour des établissements publics, et une pour un établissement privé sous contrat, Stanislas. Comme vous le voyez, cela n’a donc concerné qu’une minorité des « faits établissement » qui remontent chaque jour vers Paris.
Plus généralement, pour l’ensemble des « faits établissement » et sans attendre les conclusions de l’enquête administrative et, le cas échéant, de l’enquête pénale, l’instruction était de prendre des mesures conservatoires visant à éloigner l’élève ou l’adulte soupçonné des actes de violence.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous venez de dire « l’instruction était de prendre des mesures conservatoires ». Lorsque se présentait le cas d’une violence grave avérée – un acte faisant l’objet d’une procédure judiciaire, par exemple, ou nécessitant une mesure conservatoire –, cette décision était-elle prise par le ministre lui-même ? Quel était son niveau d’information ? Suiviez-vous alors personnellement le dossier – et, le cas échéant, avec quelle personne de votre cabinet –, ou était-il géré directement par le recteur d’académie concerné ?
M. Pap Ndiaye. La plupart des « faits établissement » ne remontent pas jusqu’à Paris et sont traités par les rectorats. D’ailleurs, ce flot de faits est plus ou moins important selon la personnalité des rectrices et recteurs, certains en faisant remonter beaucoup, d’autres préférant traiter eux-mêmes les affaires sans informer directement Paris.
Mon attention se portait sur les cas les plus graves, qui étaient généralement aussi des cas médiatiques – je pense en particulier aux élèves qui avaient mis fin à leurs jours, ce qui nous avait tous bouleversés.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Pouvez-vous détailler les cas dont vous vous souvenez ?
M. Pap Ndiaye. Il y a eu le petit Lucas, dans l’est de la France, et une jeune fille dans le nord.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Il me semble qu’il s’agit de Fouad, élève au lycée Fénelon, suite à des faits de discrimination transgenre.
M. Pap Ndiaye. Je me souviens de ce cas, mais je ne suis pas sûr que c’était sous mon mandat. Les deux cas que j’évoque ont été très médiatisés – à juste titre. Mais je note qu’il s’agissait de cas de harcèlement entre élèves, et non de violences commises par un adulte à l’encontre d’un élève.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous suiviez personnellement les cas les plus graves et les plus médiatiques : l’exposition médiatique et l’émotion partagée par les parents ou la communauté éducative sur place étaient donc un critère. Avez-vous suivi personnellement les suites données à tous les signalements de violences ayant fait l’objet de mesures conservatoires – lancement d’une inspection, suivi des recommandations suite à ses conclusions ?
M. Pap Ndiaye. Mon cabinet – en particulier mon directeur de cabinet – et moi suivions effectivement le déroulement de l’enquête, même s’il y a parfois eu des manquements ou des erreurs – et je l’assume. Je pense en particulier au cas du jeune Lucas : en dépit des très nombreuses visites de l’inspection pédagogique régionale dans le collège concerné, il semblerait que l’enquête administrative ne soit pas allée à son terme – des articles de presse s’en sont fait l’écho l’année dernière. Évidemment, je le regrette profondément.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Vous avez déclaré avoir diligenté huit enquêtes de l’inspection générale dans des établissements durant l’exercice de vos fonctions ministérielles, dont sept dans le public et une dans le privé. À votre arrivée au ministère, le défaut de contrôle de l’État sur la majorité des établissements privés, parfaitement illustré par vos chiffres, vous a-t-il surpris ? Comment l’expliquez-vous ?
M. Pap Ndiaye. Beaucoup de choses surprennent lorsque l’on arrive au ministère de l’éducation nationale, mais deux choses en particulier m’ont frappé s’agissant des établissements privés sous contrat.
La première, c’est que ces établissements étaient placés sous l’autorité de la direction des affaires financières (DAF). J’ai trouvé cela curieux, sachant que les établissements publics, eux, relèvent de la direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco). J’avais pour projet de régler ce problème d’organisation du ministère, afin que le contrôle des établissements privés sous contrat ne relève plus de la DAF, et que celle-ci ne s’occupe que des affaires financières. Mais c’est un très long travail.
La seconde, c’est que, pour de nombreuses raisons, les établissements privés sous contrat ne sont pratiquement pas inspectés – en tout cas, les probabilités d’inspection sont extrêmement faibles, de l’ordre d’epsilon. Cette question était aussi à l’ordre du jour.
J’ai choisi d’aborder la question du privé sous contrat d’une manière différente, en tenant compte des rapports de force politiques globaux, qui étaient alors assez différents d’aujourd’hui. De fait, lorsque je m’exprimais sur ces questions, j’étais très rapidement accusé de vouloir rallumer la guerre scolaire, en particulier après que j’ai décidé de diligenter une enquête sur le collège Stanislas.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je comprends que vous n’avez pas eu le temps de mener à bien votre travail pour réorienter le pilotage des contrats des établissements privés de la DAF à la Dgesco, mais pourriez-vous nous faire parvenir les documents de travail et de réflexion sur cette question ?
Compte tenu des rapports de force politiques globaux et des accusations dont vous avez été la cible, diriez-vous que vous avez été très courageux de lancer l’inspection générale de Stanislas ? Avez-vous subi des pressions pour ne pas le faire ?
M. Pap Ndiaye. Je ne dirais pas cela, ce serait très prétentieux de ma part. Je n’ai pas subi de pressions avant le lancement de l’enquête. Je me souviens très bien des échanges avec mon directeur de cabinet à ce moment-là : compte tenu des articles de presse qui étaient parus sur cet établissement et des faits graves allégués, il était clair, à nos yeux, qu’il fallait diligenter une enquête. Lorsqu’elle a été lancée et rendue publique, j’ai pu mesurer une intensification des critiques venant de certains de vos collègues, notamment lors des séances de questions au gouvernement ; une certaine presse m’a aussi cloué au pilori, m’accusant d’être celui qui relançait la guerre scolaire, qui s’opposait à des établissements d’élite et, de surcroît, voulait imposer des programmes d’éducation à la sexualité. Je le mentionne parce que tous ces éléments participaient, aux yeux de mes détracteurs – nombreux et influents –, d’un tableau d’ensemble qui a sans doute limité mes capacités d’action par rapport à ce que peut faire l’actuelle ministre de l’éducation nationale. De fait, un plan a été lancé en mars dernier.
M. Paul Vannier, rapporteur. Merci pour tous ces éléments qui nous plongent au cœur du sujet. Certes, le contexte a évolué ces derniers mois et semaines – peut-être même ces dernières heures –, mais il est intéressant de le rappeler, car les rapports de forces politiques jouent un rôle dans le contrôle des établissements privés sous contrat.
À la fin de votre exercice ministériel, vous semblez engager une démarche d’intensification des contrôles des établissements privés sous contrat. « Le ministre a souhaité renforcer le contrôle des établissements privés sous contrat dans ses dimensions administrative et pédagogique », est-il écrit dans une note de la DAF de mai 2023. La dimension administrative était alors totalement absente des contrôles. En juin 2023, votre directeur de cabinet demande à Caroline Pascal, cheffe de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, de créer un groupe de travail pour rédiger un guide du contrôle des établissements privés sous contrat – il a été publié récemment.
Jusqu’alors, ces questions étaient traitées avec beaucoup plus de distance que vous ne semblez l’assumer à la fin de votre exercice. Pourquoi avez-vous décidé d’impulser cette action forte et nouvelle ?
M. Pap Ndiaye. Je ne pouvais pas m’expliquer pourquoi des établissements publics et privés sous contrat remplissant la même mission n’étaient pas contrôlés avec la même régularité, les premiers l’étant aussi régulièrement que possible tandis que l’écrasante majorité des seconds – mais pas tous – ne le sont pas. Cela ne me paraissait pas légitime, sauf si tous les établissements privés sous contrat avaient fonctionné de manière harmonieuse, sans aucune difficulté. Ce n’était évidemment pas le cas : les révélations concernant Stanislas étaient parues quelques mois avant, et je ne pouvais pas imaginer un instant qu’il puisse s’agir d’une anomalie extravagante dans le monde des établissements privés sous contrat.
Il fallait donc avancer et creuser le sujet : nous avons commencé en lançant des enquêtes administratives « à 360 degrés », qui ne se limitent pas à l’inspection des professeurs, et permettent donc d’avoir une vision globale des établissements. Ces enquêtes sont inexistantes pour le privé sous contrat. Il s’agissait de mettre fin à une double anomalie : une anomalie en matière de contrôle – la quasi-absence d’inspection dans le privé sous contrat – et une anomalie en matière de financement, puisque les contreparties attendues des établissements privés sous contrat sont insuffisantes, pour ne pas dire quasi inexistantes.
Il s’agissait de mettre un pied dans la porte en commençant à conditionner le financement, par l’État, de postes de professeurs dans ces établissements au respect d’un certain nombre d’exigences – d’où le plan « mixité ».
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous constatez une anomalie : l’absence de contrôle de l’écrasante majorité des établissements privés sous contrat – vous avez raison de souligner en creux que certains d’entre eux sont très contrôlés. Votre action doit-elle aussi aux travaux de la Cour des comptes, qui, à l’issue d’un travail très approfondi, publie en juin 2023 un rapport mettant en évidence des défaillances majeures dans le contrôle de ces établissements ?
M. Pap Ndiaye. Absolument. Le rapport de la Cour des comptes est tombé à point nommé. Nous n’étions évidemment pas à l’origine de ses travaux, mais ils ont apporté de l’eau à notre moulin et étayé ce qui nous semblait une évidence en matière de contrôle et de financement de ces établissements, mais qui n’allait pas forcément de soi dans le contexte politique de l’époque – et qui ne va toujours pas de soi aujourd’hui, même si c’est moins prononcé qu’avant.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le contexte politique est très important. Les notes de la DAF et la saisine de Caroline Pascal par votre directeur de cabinet font état du « caractère sensible » de la question du contrôle des établissements privés sous contrat. Pourriez-vous développer votre appréciation de cette sensibilité en tant que ministre de l’éducation nationale dans un contexte politique singulier, mais aussi en tant qu’historien ? L’existence d’écoles privées sous contrat et les questionnements sur l’organisation du système éducatif ont traversé notre histoire.
M. Pap Ndiaye. Ce caractère sensible tient à un ensemble de raisons, à commencer par le fameux caractère propre de ces établissements. En particulier certaines caractéristiques, la dimension confessionnelle et la culture d’enseignement prônée – que l’on veut rigoureux, ferme, sévère –, justifiaient souvent une forme de retrait de l’État par rapport à des missions qui me semblent néanmoins décisives.
En outre, notre histoire politique a été marquée par la question de l’enseignement privé, qui a connu des soubresauts au début des années 1980, en particulier avec Alain Savary, compagnon de la Libération, grand résistant et, à mes yeux, grand ministre de l’éducation nationale – un point de vue qui n’engage que moi, mais que je sais partagé – auquel je voue une grande admiration. C’est fort ancien, mais le ministère en a gardé en legs une sorte de traumatisme : dès que l’on touche au sujet de l’enseignement privé, les risques sont colossaux. On y touche d’une main d’autant plus tremblante que des parlementaires, parfois de grande expérience, n’hésitent pas à vous prendre par le bras pour vous rappeler cette époque et vous mettre en garde.
Tout cela dessine une pente qui n’encourage pas à s’y intéresser et à agir, d’autant qu’il y a bien assez à faire du côté du public – ce n’est pas comme si on se demandait quoi faire de ses journées, au ministère de l’éducation nationale. Pour le dire de manière très politique et un peu cynique, le sujet a pu être mis de côté parce qu’il n’est pas très rentable politiquement ; il risque de créer des crises, pour des gains politiques relativement peu mesurables. Néanmoins, il faut parfois agir sans espérance politique stricto sensu, mais parce que les principes le commandent.
M. Paul Vannier, rapporteur. Cette pente que vous avez décrite a dévalé, en quelque sorte, jusqu’à Bétharram – jusqu’à ce que l’absence de contrôle rende possibles des crimes terribles. Je vous rejoins sur la nécessité, pour un responsable, d’agir et d’interroger l’absence de regard de la société et des pouvoirs publics sur des établissements dont les élèves méritent la même protection que les autres.
Confirmez-vous que c’est la lecture des révélations parues dans la presse – dans le journal Mediapart, notamment – qui vous a conduit à diligenter une inspection au sein de l’établissement Stanislas en 2023, et non une autre alerte ou une commande ?
M. Pap Ndiaye. Ce sont en effet les articles parus dans Mediapart, étayés et documentés, qui nous ont alertés.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous avons rencontré l’Inspection générale et auditionné, au titre de sa responsabilité actuelle de directrice générale de l’enseignement scolaire, Caroline Pascale qui était à sa tête à l’époque. Nous avons également reçu des courriers d’inspecteurs généraux membres de l’équipe ayant conduit l’inspection menée à Stanislas. Ces courriers posent de nombreuses questions.
Nous nous efforçons de comprendre le fonctionnement de l’Inspection générale et les liens qu’elle entretient avec le ministre. Au cours des semaines qu’a duré cette inspection, y a-t-il eu des points d’étape, des échanges, entre les inspecteurs, celui qui a la charge de coordonner leur travail, et vous-même ou votre cabinet ? Le cas échéant, à quelle fréquence ?
M. Pap Ndiaye. La réponse est négative – et je pense qu’il doit en être ainsi. Les inspections générales, en particulier celle dont nous parlons, sont indépendantes et leurs membres doivent pouvoir travailler librement, sans le regard d’un cabinet qui viendrait surveiller le déroulement de l’enquête et pourrait influer sur leur travail. Je me suis bien gardé, dans ce cas comme dans d’autres, d’intervenir ou de donner le moindre signe qui pourrait ressembler à une forme d’influence sur le cours de l’enquête.
Entre la saisine de l’Inspection générale et la remise du rapport, très peu de temps après mon départ, je ne suis jamais intervenu. Je ne voulais pas que l’on puisse me soupçonner de vouloir interférer dans le travail de l’Inspection générale. De mémoire, je n’ai pas interrogé sa cheffe sur la bonne avancée du rapport, que j’espérais recevoir avant mon départ. Cela ne s’est pas fait, mais j’ai laissée l’Inspection générale libre de son travail ; en toute sincérité, je pense qu’il doit en être ainsi.
M. Paul Vannier, rapporteur. La présidente de la commission d’enquête a reçu le 25 avril 2025 un courrier de l’une des inspectrices ayant mené cette mission, qui semble contredire vos propos. Elle y affirme avoir « proposé aux deux pilotes d’examiner le budget de l’établissement conformément au pouvoir d’investigation financière dont disposent les inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche dans le cadre du contrôle administratif des établissements d’enseignement privés sous contrat en vertu de l’article R. 442-15 du code de l’éducation. Mon objectif était de caractériser l’établissement (budget de fonctionnement et d’investissement, répartition entre financement public et privé, frais de scolarité) comme le fait habituellement l’Inspection générale lorsqu’elle audite ou contrôle une structure, et de vérifier que la pastorale de Stanislas n’est pas financée par des fonds publics. » – on est vraiment au cœur de l’application de la loi Debré. Elle ajoute : « J’ai reçu une fin de non-recevoir au motif que c’était hors champ de la saisine de l’IGESR par le ministre ». C’est vous qui est êtes ainsi cité.
M. Pap Ndiaye. Si j’avais eu vent de cette demande, je l’aurais approuvée. Elle me semble parfaitement légitime. Je maintiens : je n’ai pas eu d’informations particulières sur cette enquête de l’Inspection générale. Je souhaitais qu’elle soit aussi complète que possible, y compris sur le volet financier.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’entends votre réponse. Pour que chacun dispose de l’ensemble des éléments, je précise que l’inspectrice situe cette demande au mois de mai 2023, date à laquelle vous étiez toujours en poste.
Vous avez évoqué la pression soudainement plus forte qui s’est manifestée à l’Assemblée nationale au moment où vous avez diligenté l’inspection concernant Stanislas. S’est-elle également manifestée au sein du gouvernement ? Certains de vos collègues sont-ils intervenus auprès de vous après l’avoir découverte, ou en apprenant que vous aviez l’intention de la déclencher ?
M. Pap Ndiaye. Non.
M. Paul Vannier, rapporteur. Dans un article du 16 janvier 2024, le journal L’Obs indique que l’établissement a fait l’objet d’enquêtes dans différents médias qui ont pointé des dérives sexistes et homophobes, mais également des violences sexuelles constatées par sa direction. Il ajoute que « ces signaux d’alarme ont amené Pap Ndiaye, alors ministre, à diligenter une enquête de l’Inspection générale, début 2023 », enquête dans laquelle, « selon des sources liées à la rue de Grenelle, Amélie Oudéa-Castera a cherché à peser ».
La ministre Amélie Oudéa-Castera est-elle intervenue d’une façon ou d’une autre auprès de vous à propos de l’inspection conduite à Stanislas ?
M. Pap Ndiaye. Pas auprès de moi. Et si elle l’a fait, je ne sais pas auprès de quel service. J’ai été libre et personne au gouvernement ne m’a reproché d’avoir lancé cette enquête sur Stanislas. Je n’ai d’ailleurs sollicité aucune approbation préalable. Comme je l’indiquais tout à l’heure, j’ai simplement senti monter le volume d’une critique d’ensemble, qui ne portait pas uniquement sur cette enquête : on me reprochait d’être anti-élitiste, partisan de l’égalitarisme par le bas et hostile aux établissements privés. Et sans évoquer directement le cas de Stanislas, certains parlementaires y pensaient très fort.
M. Paul Vannier, rapporteur. Mme Oudéa-Castera n’est pas intervenue auprès de vous, dites-vous, mais avez-vous eu connaissance qu’elle l’ait fait auprès d’autres personnes au sein du ministère de l’éducation nationale ?
M. Pap Ndiaye. Non.
M. Paul Vannier, rapporteur. J’aimerais vous interroger sur les rapports entre le ministre de l’éducation nationale et celui de l’intérieur s’agissant du contrôle des établissements musulmans, notamment – sans doute est-ce à ceux-ci que vous faisiez référence en pointant le fait que certains étaient particulièrement ciblés. Lorsque vous étiez rue de Grenelle, avez-vous entretenu des relations avec les représentants des établissements privés sous contrat musulmans, notamment la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (Fnem) ?
M. Pap Ndiaye. Oui, puisque j’ai reçu les représentants de tous les réseaux confessionnels : du Secrétariat général de l’enseignement catholique (Sgec), du réseau musulman – dont l’établissement Averroès est la tête de pont –, du Fonds social juif unifié pour les établissements juifs sous contrat ainsi que du réseau protestant – alsacien, pour l’essentiel. J’ai aussi reçu quelques représentants d’établissements non confessionnels.
M. Paul Vannier, rapporteur. Le ministère de l’éducation nationale et l’Inspection générale portent un regard très positif sur l’établissement Averroès, s’agissant notamment du volet pédagogique. Le préfet – et derrière lui, probablement, le ministre de l’intérieur – porte un regard beaucoup plus sévère. Il pointe une série d’atteintes supposées aux valeurs de la République, qu’une décision de justice vient de contredire. Celles-ci ont justifié une réunion de la commission de concertation et la rupture du contrat d’association.
Pendant que vous êtes rue de Grenelle, l’établissement Averroès devient un sujet politique de plus en plus sensible. Nos contrôles sur place et sur pièces nous ont permis d’obtenir un message électronique datant d’octobre 2023. S’adressant à l’une des conseillères de Gabriel Attal, devenu ministre de l’éducation nationale, la directrice des affaires financières écrit : « Je ne sais pas si vous avez bien reçu ce courrier de la Fnem qui veut rencontrer le ministre, notamment pour défendre le lycée Averroès. L’an dernier, Pap Ndiaye avait prévu de le recevoir avant d’annuler à la suite d’une montée au créneau du ministère de l’intérieur. »
Avez-vous le souvenir d’avoir annulé une rencontre prévue avec la Fnem au sujet du lycée Averroès ? Vous souvenez-vous de cette montée au créneau de votre collègue de la place Beauvau de l’époque ?
M. Pap Ndiaye. Je n’en ai aucun souvenir et cela m’étonne un peu. Comme je vous l’ai indiqué, j’ai reçu les représentants du réseau musulman pour des entretiens qui ne portaient pas sur des établissements en particulier, comme Averroès, mais sur leurs premiers engagements s’agissant des questions de mixité. Nous regardions le taux de boursiers et d’autres données qui me paraissaient importantes.
Je n’ai aucun souvenir non plus d’une intervention du ministère de l’intérieur à ce sujet. Et je suis sûr de ne pas avoir moi-même annulé un rendez-vous pris avec les représentants de ce réseau. Il faudrait creuser, si c’est possible, pour retrouver la genèse de ce rendez-vous avorté. En tout cas, cela m’étonne.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vos échanges avec vos collègues du ministère de l’intérieur portaient-ils parfois sur le contrôle des établissements privés sous contrat ? Étiez-vous, en tant que ministre de l’éducation nationale, systématiquement informé des initiatives que prenaient les préfets en la matière ?
M. Pap Ndiaye. Je n’en suis pas certain. Du reste, il me semble que l’échelon le plus logique, s’agissant des relations entre les deux ministères, était celui de la préfecture et du rectorat. C’est là que se jouent les choses plutôt qu’à Paris. Je n’ai jamais parlé de cela avec le ministre de l’intérieur de l’époque.
M. Paul Vannier, rapporteur. La distribution des prérogatives entre le ministre de l’éducation nationale, le ministre de l’intérieur, le recteur, le préfet, soulève des questions. C’est le préfet qui passe le contrat d’association et peut éventuellement le rompre, mais c’est à l’éducation nationale de le piloter et de veiller à son respect. Pensez-vous qu’il faille redéfinir les périmètres de chacun pour les clarifier, voire les concentrer au profit d’un seul responsable ? Ou bien considérez-vous que le fonctionnement actuel est satisfaisant ?
M. Pap Ndiaye. Je n’ai pas d’idée très précise sur ce sujet, qui mérite d’être creusé. Ce qui est certain, c’est que les rectorats ne doivent pas en rabattre de leurs prérogatives. Ils doivent – c’est mon point de vue personnel – les utiliser au maximum. Sous réserve d’enquêtes plus approfondies, il me semble que leurs marges de manœuvre sont tout de même importantes et qu’ils doivent pouvoir les mettre en œuvre.
M. Paul Vannier, rapporteur. Nous avons découvert qu’à certaines époques, les représentants du Sgec étaient régulièrement conviés au ministère de l’éducation nationale à l’occasion de « dîners du Sgec » pour aborder des sujets de politique éducative. Il ne s’agissait pas de dialogues comme on peut les concevoir en République, avec des représentants de diverses organisations, mais de discussions, très fréquentes à certains moments, sur la mise en œuvre de politiques. Avez-vous organisé ce type de dîners lorsque vous étiez au ministère de l’éducation nationale, ou bien des réunions régulières avec le Sgec ? Le cas échéant, à quelle fréquence et pour parler de quoi ?
M. Pap Ndiaye. Le Sgec est en effet un interlocuteur régulier du ministère de l’éducation nationale pour une raison simple, que vous connaissez : il structure l’écrasante majorité – de l’ordre de 95 % – des établissements privés sous contrat. De mémoire, j’ai dû rencontrer ses représentants cinq fois. En parallèle, nous avions des discussions très serrées avec eux à propos des questions de mixité : mon directeur de cabinet et l’un de mes conseillers, qui travaillait spécifiquement sur ce sujet, les rencontraient très régulièrement pour négocier et avancer à l’occasion de réunions, de déjeuners ou de dîners de travail auxquels vous faites allusion.
M. Paul Vannier, rapporteur. Il y a quelques semaines, nous avons reçu le directeur des affaires juridiques du ministère de l’éducation nationale, M. Odinet – qui a changé de fonctions depuis. Lorsque je l’ai interrogé sur le cadre organisant le dialogue entre le Sgec et l’éducation nationale, il m’a répondu que celui-ci n’apparaissait nulle part dans les textes. Il est vrai que les réseaux d’établissements ne sont pas mentionnés dans la loi Debré.
On peut donc s’interroger sur ce dialogue régulier entre le ministère de l’éducation nationale et cet organe qu’il est difficile de caractériser. Dans une note du 6 juin 2022 qui vous a été transmise au moment de votre arrivée rue de Grenelle, il est décrit comme exerçant un « lobbying important ». Le Sgec n’est pas une organisation représentative et n’est évoqué nulle part comme un acteur de notre démocratie sociale. Pourtant, il est très régulièrement reçu pour discuter de sujets fondamentaux, y compris du financement public de ces établissements.
Quelle est votre appréciation du statut du Sgec et du dialogue que l’État organise avec lui ?
M. Pap Ndiaye. En effet, vous avez raison : la place du Sgec n’est pas réglée institutionnellement. Elle est le fruit d’une longue histoire d’échanges et d’usages bien établis. De mémoire, le Sgec a remplacé le syndicat général de l’enseignement libre. Il occupe une place importante, d’aucuns diraient trop importante. J’ai même cru entendre parler de son secrétaire général comme d’un ministre de l’éducation bis. C’est très franchement exagéré, j’insiste sur ce point.
La place importante qu’occupe le Sgec est pratique, si je puis dire, car elle évite aux académies d’avoir à s’adresser individuellement aux établissements de confession catholique. Cette tâche serait démesurée et nécessiterait des moyens humains considérables. Le Sgec permet de toucher un ensemble très vaste d’établissements ; c’est ainsi que les choses se sont faites.
Peut-on parler de lobby ? Oui, au sens où le Sgec a des demandes à formuler, qui ont pu faire l’objet de discussions. Je précise néanmoins que ni le Sgec ni aucun autre réseau ne m’ont jamais fait de demandes au sujet d’un établissement spécifique. Jamais M. Delorme, par exemple, ne m’a parlé de Stanislas – absolument jamais. Les demandes portaient sur les moyens financiers et le nombre de postes ; elles donnaient lieu à des échanges avec la rue de Grenelle, avec le cabinet et la DAF.
En tout cas, c’est exact : le Sgec a une place importante, pour les raisons que j’ai évoquées.
M. Paul Vannier, rapporteur. Vous dites que le Sgec facilite les relations du ministère avec les 7 200 établissements qui y sont rattachés. J’aimerais faire observer que le Sgec, lui, revendique de façon assez systématique son incapacité à transmettre une quelconque consigne à ces établissements.
La note que j’évoquais précédemment préparait une rencontre que vous avez eue le lendemain, 7 juin 2022, avec M. Delorme. L’élection présidentielle avait eu lieu et vous veniez d’entrer en fonctions. La contribution que le Sgec a réalisée pour le débat électoral vous a-t-elle été présentée lors de ce rendez-vous à quelques jours du scrutin législatif, en pleine campagne électorale ? J’insiste sur le fait que le cadre n’était pas celui d’une rencontre entre cet organisme et une organisation politique, mais entre cet organisme et le ministre de l’éducation nationale.
M. Pap Ndiaye. Je n’en ai pas souvenir. Il faudrait que je reprenne mes notes de l’époque. Il s’agissait, de mémoire, d’une première rencontre de courtoisie, pour échanger sur les priorités du nouveau ministère. Mais je n’ai pas souvenir de l’existence d’une sorte de plateforme politique que le Sgec aurait élaborée à cette époque.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Je vais évoquer une affaire qui concerne le lycée Bayen à Châlons-en-Champagne – je vois à votre visage que vous ne la connaissez peut-être pas bien. Précisément, la commission s’interroge sur la manière dont les affaires qui naissent dans les territoires viennent à la connaissance du ministre et peuvent déclencher une action de sa part.
En l’occurrence, il s’agit d’une affaire d’agressions sexuelles en série dans la section arts du cirque du lycée, agressions commises par un professeur qui s’est suicidé. Depuis les premières agressions en 1998, les signalements ont été de plus en plus intenses. En 2021, devant l’absence de réaction, un mouvement MeToo du cirque est lancé. En 2023, la lanceuse d’alerte sollicite l’association Colosse aux pieds d’argile, qui dépose plainte, et une enquête est ouverte en avril.
Vous êtes alors ministre de l’éducation nationale. Quels sont vos souvenirs de cette affaire et des décisions éventuelles que vous avez prises ?
M. Pap Ndiaye. Je n’ai pas souvenir de cette affaire. Je vais regarder dans mes notes, mais sur des affaires de ce type, j’ai bonne mémoire parce qu’elles me touchaient personnellement.
Je ne sais pas quelle a été la trajectoire des informations qui ont pu remonter jusqu’à Paris au sujet de ce lycée. Je regrette de n’avoir pas été informé – je le prends pour moi, je n’accuse personne, bien entendu.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. Nous n’accusons personne non plus.
Cette affaire, qui a marqué le lycée et le territoire, a fait l’objet d’un rapport de l’IGESR en septembre 2024, qui a relevé de nombreux dysfonctionnements, et d’une mission d’appui au lycée compte tenu de la gravité des faits. Elle reste d’actualité puisque l’accompagnement de l’établissement se poursuit et que les procédures de sanction disciplinaire à l’encontre de certains personnels de l’établissement et du rectorat sont toujours en cours, si je ne me trompe pas.
Alors que vous êtes ministre, le parquet de Châlons-en-Champagne indique avoir ouvert une enquête le 12 avril 2023 à la suite du signalement de l’association Colosse aux pieds d’argile. Neuf plaintes ont été déposées pour des faits s’étalant de 1998 à 2020 – une pour viol, trois pour atteintes sexuelles et cinq pour harcèlement moral. Le suicide de l’enseignant intervient en décembre 2023. Au moment où vous quittez vos fonctions, c’est une affaire qui bat son plein et dont la presse se fait l’écho.
La procureure nous a expliqué les contraintes de la loi du 14 avril 2016, qui encadre les échanges d’information entre le parquet et l’éducation nationale. En effet, ce texte n’autorise pas à informer le ministère au stade de l’ouverture d’une enquête judiciaire.
Ma question porte sur la presse et sur la manière dont le cabinet du ministre la suit et la prend en considération. Que ce soit lors des auditions d’Élisabeth Guigou ou de François Bayrou, on a bien vu que la presse peut jouer un rôle d’alerte, ce qui peut déclencher une action publique. Inversement, un ministre peut dire qu’il n’a pas eu connaissance des faits, en dépit des articles parus. Une veille était-elle organisée au sein de votre cabinet ? Que faudrait-il faire pour que de telles affaires puissent être traitées au bon niveau par l’éducation nationale ?
M. Pap Ndiaye. Je n’ai pas souvenir de cette affaire et je réitère mes regrets car je m’en serais saisi sans hésiter.
La presse joue un rôle très important en démocratie. Elle peut en effet servir de lanceur d’alerte, avertir les pouvoirs publics de telle ou telle situation. Dans le cas de l’établissement Stanislas, je l’ai dit, j’ai été informé par des articles de presse.
Bien entendu, des revues de presse sont faites tous les jours, y compris de la presse régionale car les affaires naissent souvent à l’échelle couverte par celle-ci. Mais on peut faire mieux et systématiser le traitement des alertes que nous recevons par les articles de presse. C’est encore un peu impressionniste ; les temporalités et les réactions peuvent varier selon les départements et les académies. J’ose espérer que, depuis mon départ, on a progressé dans ce domaine car il y a incontestablement des trous dans la raquette.
Il faut également mentionner les réactions un peu corporatistes, qui peuvent ralentir l’information et la prise de conscience. Il est question d’adultes de l’éducation nationale, auxquels on fait confiance a priori.
Je redis mon espoir que l’on avance en la matière et que les manquements ayant existé dans le passé sont et seront de plus en plus corrigés.
Mme Violette Spillebout, rapporteure. La presse locale a pu participer à l’omerta parce que des correspondants étaient impliqués dans la silenciation des victimes. Inversement, elle a souvent joué un rôle d’alerte. L’exercice est difficile car il faut ménager un équilibre avec la présomption d’innocence.
Dans le cas de Riaumont, que nous avons finement étudié, la presse locale a traité le sujet des violences pendant des années sans que cela suscite des actions suffisantes au niveau national.
Je reviens sur les cas que nous avons évoqués précédemment : il s’agissait de Fouad au lycée Fénelon à Lille en 2020, donc avant votre entrée en fonction, et, dans le Pas-de-Calais, de Lindsay, qui s’est suicidée le 12 mai 2023 après avoir été harcelée, à la suite de quoi vous avez diligenté une inspection – le rapport a révélé de nombreux dysfonctionnements, notamment dans l’application du programme Phare – et apporté un soutien aux enseignants et à la direction, qui ont été très malmenés par la presse. Cette affaire très médiatisée a donné lieu à un suivi au long cours pour résoudre les grosses difficultés qui avaient été mises en évidence. Il me semblait utile, en la mémoire de cette jeune fille, d’être précise.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je cite de nouveau le courrier de l’inspectrice ayant effectué un contrôle à Stanislas : « J’ai reçu une fin de non-recevoir au motif que c’était hors champ de la saisine de l’IGESR par le ministre ». Je comprends que « par le ministre » se rapporte à la saisine et non à la fin de non-recevoir. Vous n’êtes donc pas mis en cause a priori.
M. Pap Ndiaye. Je suis très ferme sur cette information et je la réitère sous serment, avec toute la solennité possible. J’aurais, au contraire, appuyé la demande faite par l’inspectrice générale compte tenu de ma volonté d’aller dans ce sens.
Je me permets d’ajouter deux éléments dont vous m’excuserez s’ils vous paraissent évidents.
Pour ce qui concerne les inspections, il faut absolument porter une attention particulière aux établissements à internat. On sait que le soir ou la nuit sont les moments que les prédateurs et les adultes violents choisissent pour agir. C’est souvent dans les établissements à internat que surviennent certaines des affaires les plus graves en matière de violences d’adulte à enfant.
Il est un autre sujet auquel j’avais commencé à m’intéresser, et qui n’est pas trivial : les toilettes. Dans nombre d’établissements, elles sont, il faut bien le dire, dans un état déplorable, ce qui porte atteinte à la dignité des élèves ; cela peut aussi poser des difficultés en matière de santé publique ; et cela peut malheureusement ouvrir la porte, si j’ose dire, à des comportements inappropriés, voire pire – plutôt d’élève à élève, mais on ne peut rien exclure en la matière. Il faut donc porter une attention particulière également à l’état des toilettes. Il m’arrivait souvent, dans mes déplacements de demander à les voir ; la visite est toujours intéressante parce qu’on ne pense pas toujours à les ripoliner avant la venue du ministre.
La séance est levée à douze heures quarante.
Présences en réunion
Présents. – M. Arnaud Bonnet, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Violette Spillebout, M. Paul Vannier
Excusés. – Mme Farida Amrani, M. Gabriel Attal, M. Xavier Breton, Mme Céline Calvez, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Anne Genetet, M. Frantz Gumbs, Mme Céline Hervieu, Mme Tiffany Joncour, M. Frédéric Maillot, Mme Claudia Rouaux, Mme Nicole Sanquer