Compte rendu
Commission
des affaires économiques
– Examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025 (n° 324) :
– mission « Investir pour la France de 2030 » :
. Avis Investir pour la France de 2030 (M. Charles Fournier, rapporteur pour avis) 2
Jeudi 24 octobre 2024
Séance de 15 heures 30
Compte rendu n° 14
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de Mme Aurélie Trouvé,
Présidente
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Dans le cadre de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025, la commission a examiné, sur le rapport de M. Charles Fournier, les crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous reprenons cet après-midi l’examen de nos avis sur la seconde partie du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, en nous penchant cette fois sur l’avis consacré à la mission « Investir pour la France de 2030 ». Pour cet avis, notre commission a désigné comme rapporteur pour avis M. Charles Fournier. Je précise que les crédits de cette mission devraient être examinés en séance publique le mardi 5 novembre.
La perspective d’engager des programmes d’investissements d’avenir (PIA) sur dix ans, associés à une amplification des efforts de recherche et développement, avait tout pour séduire. Rappelons que ce plan est composé de quatre campagnes : deux sont achevées, l’une arrive à son terme l’an prochain et le PIA 4 est en cours. Peut-être, monsieur le rapporteur pour avis, pourrez-vous éclairer notre commission sur la suite qui sera donnée à France 2030 ?
M. Charles Fournier (EcoS), rapporteur pour avis. Madame la présidente, je l’ignore ; je sais seulement que beaucoup espèrent un France 2040.
France 2030, qui a pris, en 2021, le relais des programmes d’investissements d’avenir – PIA 1, 2, 3 et 4 – dispose d’une enveloppe de 54 milliards d’euros. La baisse des crédits de paiement que l’on observe cette année n’est pas l’effet d’une baisse des ambitions, mais de l’état des projets en cours. Je n’ai pas réussi, malheureusement, à savoir plus précisément pourquoi ces baisses sont plus importantes sur les dotations en fonds propres que sur les apports en subventions.
Je commencerai par vous faire part de quatre observations sur le programme, avant d’en venir aux conclusions d’une réflexion thématique sur les matériaux critiques.
Première observation : les personnes que j’ai rencontrées ne s’expliquent pas vraiment le choix et la pertinence des dix objectifs et des sept leviers qui structurent le plan, étant donné qu’ils ont plus à voir avec une espèce d’empilement de projets – avions verts, petits réacteurs nucléaires, alimentation – qui peinent à peindre la France de 2030. Il n’y a pas eu non plus d’étude d’impact qui aurait permis de qualifier ces dix objectifs – ces dix sujets plutôt – et leurs sept leviers. L’évaluation de l’efficacité du programme n’en est rendue que plus complexe. Il manque une vision stratégique. Le comité de surveillance des investissements d’avenir travaille sur une nouvelle manière de l’évaluer, afin de mieux rendre compte de ce qu’il permet de dessiner pour l’avenir.
Par ailleurs, comment intégrer les sujets émergents au programme ? Je m’étonne, par exemple, qu’il n’y ait pas d’objectif formel de sobriété – laquelle invite à des ruptures technologiques –, au low tech, à repenser l’organisation de notre société et à de nombreuses recherches. On me dit qu’elle est intégrée aux critères d’évaluation de certains projets, mais cela manque de transparence. Comment s’assurer que ces projets ne seront pas à l’origine de la consommation de nouvelles matières premières ou ne généreront pas de nouveaux déchets ? Un autre exemple : les polluants éternels. Par quoi va-t-on les remplacer ? Comment dépolluer ? Encore une fois – et même s’il ne faut pas s’éparpiller –, de quelle manière le plan France 2030 peut-il prendre en compte ce type de questions ?
Deuxième observation : il faut renforcer la transparence dans le processus d’octroi des financements – quatre opérateurs, quatre modalités et des conditionnalités variables. On m’a fait savoir qu’il existait un groupe de travail qui réfléchirait à l’harmonisation des critères d’appréciation et des conditionnalités. C’est à se demander si ce n’est pas une manière de renvoyer le sujet à plus tard… Je prends l’exemple d’un projet qui mobilise 2,9 milliards d’euros d’argent public : la production de semi-conducteurs dans l’Isère. Alors qu’il va consommer beaucoup d’eau et de métaux rares, aucune condition n’a été fixée officiellement à l’usage de l’argent public.
Troisième observation : je regrette également que France 2030 échappe au Parlement, aussi bien en ce qui concerne les décisions d’investissements que la restitution des évaluations menées par le comité de surveillance, qui devrait être auditionné au moins une fois par an. La planification est aussi de notre ressort.
Quatrième observation : y a-t-il une articulation du programme à l’échelle européenne ? Existe-t-il des Belgique ou Allemagne 2030 ? La stratégie est-elle partagée ? Visiblement non. Nous devons développer une vision européenne. Il existe quarante et un projets de production de batteries électriques en Europe. Comment peuvent-ils être tous viables ? Il faut pourtant s’en assurer, dans la mesure où l’on mobilise beaucoup d’argent public. Nous avons tout intérêt à coopérer.
J’en viens à la partie thématique de mon rapport sur les métaux critiques.
Travailler sur le sujet m’a ouvert un champ très large d’interrogations, auxquelles je n’ai pas toutes les réponses. Une mission d’information de notre commission serait bienvenue ; la commission des affaires étrangères en conduit une, mais sur la dimension géopolitique des ressources critiques. Devons-nous ouvrir des mines de lithium pour préparer les batteries de demain ou non ? De telles questions ne doivent pas se résoudre entre industriels, mais méritent un vrai débat démocratique, car elles nous concernent tous. J’ai eu bien du mal à obtenir le rapport Varin, qui m’est parvenu avec des parties floutées au nom du secret des affaires. C’est un sujet tellement important, en matière de souveraineté notamment, que le Parlement doit pouvoir s’y impliquer. La Chine ne produit pas seulement un certain nombre de ces métaux critiques, elle maîtrise surtout l’ensemble de la chaîne de valeur. Parfois, elle produit peu mais raffine beaucoup, plaçant de fait tous les autres pays sous sa dépendance.
Pouvons-nous remplacer ces métaux par d’autres ? Sommes-nous capables de les recycler ? Ce matin, le plus grand acteur minier français, Eramet, a annoncé par voie de presse qu’il abandonnait son projet de recyclage faute d’un modèle économique viable. Or, on estime qu’il y aura besoin de sept fois plus de métaux rares dans le monde – dix-neuf fois plus de nickel, vingt et une fois plus de cobalt, vingt-cinq fois plus de graphite et quarante-deux fois plus de lithium. Les réserves le permettent-elles ? Les conditions géopolitiques aussi ? Est-ce soutenable ? Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une sobriété et d’une réflexion sur nos besoins au lieu de poursuivre dans la seule logique d’une offre infinie.
Enfin, un débat s’impose sur l’ouverture d’unités d’extraction et de raffinage dans notre pays. Faut-il le faire ? À quelles conditions ? Certains souhaitent développer la voiture électrique tout en important le lithium. Il me semble au contraire que nous devons être cohérents. Ce débat démocratique doit avoir lieu au niveau national comme dans les territoires.
Le programme France 2030 a une ligne de 1 milliard consacrée à la question des métaux critiques. C’est plus que nécessaire. Des structures sont en train de s’organiser.
Alors que le programme de France 2030 pourrait être le levier financier d’une planification, aucun organisme d’État n’en est chargé, ni le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ni le haut-commissariat au plan, ni France Stratégie. Il n’est ni lisible, ni efficace. C’est pourquoi il conviendrait d’organiser structurellement notre capacité à planifier et d’élaborer des lois de programmation pour faire de ce plan une réalité.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Je vous remercie de remettre la planification économique au cœur de votre contribution sur les programmes d’investissements d’avenir. Je crois savoir que nous sommes un certain nombre de groupes à souhaiter que notre commission serve aussi à réfléchir sur la planification économique, voire à la construire : quelles transformations productives souhaitons-nous d’ici à cinq, dix et quinze ans ? Comment faire en sorte qu’elles aient lieu ? Quel est le rôle de l’État en la matière ?
La parole est aux orateurs des groupes. Je vous rappelle la règle : quatre minutes pour chaque groupe, ce temps incluant l’intervention du porte-parole du groupe et l’éventuelle réponse du rapporteur pour avis.
M. Alexandre Loubet (RN). L’industrie et l’innovation sont en grande difficulté en France. La crise subie par la filière automobile française illustre combien l’insuffisance d’une stratégie nationale, l’absence de patriotisme économique et l’idéologie excessive des écolos torpillent notre industrie. Il en va de même pour de nombreux secteurs comme le nucléaire, le spatial, l’aéronautique ou le pharmaceutique. Contrairement aux affirmations de la Macronie, la désindustrialisation se poursuit. Au premier semestre 2024, nous déplorons trente‑huit fermetures d’usines pour vingt-trois ouvertures. France 2030 est un plan d’investissements de 54 milliards d’euros déployés sur cinq ans, dont les objectifs visent officiellement à développer la compétitivité industrielle et les technologies d’avenir. Si l’intention semble bonne, la crise que traverse notre industrie démontre qu’il ne suffit pas. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur pour avis : une véritable politique de réindustrialisation et d’innovation ne peut pas se résumer à des appels à projets et à un saupoudrage d’aides sans vision globale, ni stratégie de filières.
Une véritable politique de réindustrialisation peut encore moins se fonder sur certaines de vos recommandations, qui sont défendues par le Nouveau Front populaire (NFP). En dehors du débat très pertinent sur les métaux rares que vous souhaitez lancer, la principale de vos préconisations, qui rejoint celle du NFP, consiste à imposer la sobriété des modes de vie, de production et d’innovation comme l’un des principaux objectifs stratégiques du principal programme d’investissements. Vous voulez donc investir plus pour produire moins et moins innover : une stratégie digne du tiers-monde, qui malheureusement désarmera notre économie et freinera l’innovation. Ces recommandations, absurdes à mon sens, démontrent une fois de plus que l’arrivée au pouvoir du NFP entraînera le déclin de la France et le déclassement des Français.
Nous pensons qu’une véritable politique industrielle doit, au contraire, soutenir la croissance. Nous devons passer d’une logique de décroissance et d’importation à une logique de production et de relocalisation. Or, pour relancer la croissance, nous devons mener une stratégie nationale de long terme, filière par filière, impulsée par l’État en s’appuyant sur les acteurs privés. Nous devons favoriser les entreprises par le recours à la priorité nationale dans la commande publique, afin de mettre l’argent des Français au service de notre économie. Nous devons protéger nos activités de la concurrence déloyale par le patriotisme économique, provoquer un choc de compétitivité par le rétablissement d’un prix français de l’énergie, décréter une pause réglementaire par la fin de l’écologie punitive que votre groupe défend au Parlement européen, faciliter l’implantation des usines par l’allégement des restrictions foncières, conditionner les aides publiques au maintien de l’activité et de l’emploi en France ou développer l’innovation, la recherche et la décarbonation de l’industrie par l’investissement – France 2030 manque assurément d’ambition en matière d’investissement, d’objectifs et de stratégie. C’est pourquoi nous avons défendu ce matin la création d’un fonds souverain français dont je me félicite de l’adoption en commission avant celle dans l’hémicycle, j’espère. Il vise à mobiliser l’épargne des Français sur la base du volontariat pour investir massivement et durablement dans les secteurs stratégiques.
M. Charles Fournier (EcoS), rapporteur pour avis. Nous sommes évidemment en profond désaccord sur la question de la sobriété. Il peut y avoir une sobriété heureuse, qui n’a rien à voir avec la régression dont vous parlez. Elle fait d’ailleurs consensus dans la communauté scientifique…
Mme Marie Lebec (EPR). Je vous remercie pour votre intéressant travail, monsieur le rapporteur pour avis. Pour ma part, je tiens plutôt à défendre le dispositif France 2030. Il reflète la politique que nous avons cherché à mener depuis 2017, en soutenant l’innovation et la réindustrialisation, en se préparant à l’économie de demain, dans un monde où la concurrence va croissant, où l’on assiste à un repli protectionniste de pays qui étaient des partenaires économiques. Les innovations d’aujourd’hui seront les technologies de demain. On ne peut plus se permettre de laisser passer le train.
Je ne sais pas justifier chacun des choix qui ont été faits. Toujours est-il que, dans certains secteurs comme l’automobile, l’aéronautique, le numérique et l’énergie, les transformations vont très vite et que nos concurrents, qu’il s’agisse des États-Unis ou de la Chine, ont, eux, su se joindre au mouvement. La France et l’Union européenne ne doivent pas se laisser distancer.
Concernant la sobriété, la moitié des crédits du programme tout de même sont consacrés à la décarbonation de notre industrie, c’est-à-dire à son adaptation à la transition écologique et au changement climatique. France 2030, c’est aussi la volonté d’investir dans des technologies non destructrices.
Les appels à manifestations d’intérêt et à projets du programme ont été largement adoptés par les entreprises. Il y a une forme de fierté à obtenir ces crédits qui prouvent leur capacité à innover et à s’adapter aux défis de demain. Vous trouvez que ces appels à projets sont décousus, mais c’est cette souplesse, plus grande que celle des programmes d’investissements d’avenir, qui permet aux différents acteurs de se positionner. La gouvernance interministérielle a été simplifiée, quand on reprochait leur trop grande complexité aux programmes d’investissements d’avenir – j’en ai été rapporteure en 2017. Les services déconcentrés de l’État sont mieux associés aux collectivités territoriales.
Enfin, concernant la participation citoyenne, Bruno Bonnel, qui est à la tête de France 2030, est régulièrement auditionné par notre commission. Lorsque Guillaume Kasbarian était député, nous avions proposé de créer une délégation parlementaire aux investissements stratégiques. Le Parlement est également présent au comité de surveillance des investissements d’avenir. Un contrôle parlementaire existe.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail que j’ai lu avec intérêt. Investir pour les dix, vingt, trente ans à venir, se donner les capacités de décider ce que sera le monde de demain devrait être l’activité de base de la puissance publique. Gouverner devrait être un exercice de planification. L’un des effets de la doctrine néolibérale, c’est de laisser le jeu aveugle des marchés sculpter l’avenir. L’État se contente de venir en appui, avec l’idée que ce qui serait bon pour les entreprises le serait pour le pays, alors même qu’elles sont prises dans des logiques de rentabilité à court terme. Il nous aura fallu un choc d’ampleur – le covid et la crise climatique – pour voir réapparaître cet impératif d’intervention planifiée et stratégique. Nous avons besoin d’un État planificateur, stratège qui investit et prépare l’avenir.
Malheureusement, l’architecture de France 2030 nous laisse plutôt penser que le compte n’y est pas tout à fait. Je vous rejoins, monsieur le rapporteur pour avis, quand vous faites remarquer que, malgré les 54 milliards d’euros qui y ont été investis, le programme n’a pas fait l’objet d’une délibération démocratique et parlementaire suffisante. Il trouve son origine dans un amendement au projet de loi de finances (PLF) et non dans un projet de loi, ce qui donne l’impression d’un dispositif ad hoc décidé par le Président, empêchant de fait le projet d’occuper toute sa place dans la vie civique du pays. Une série d’évaluations sont prévues. Néanmoins, il faudrait des dispositifs de conditionnalité beaucoup plus fermes, dotés d’une part contraignante en ce qui concerne les engagements climatiques des différents acteurs.
Je rejoins un autre constat : la logique d’appel à projets va à l’encontre d’une approche intégrée et planifiée. Nous sommes assez loin de la planification industrielle nécessaire. On peut noter aussi un manque d’articulation entre France 2030 et les autres documents de planification, qui passent, eux, par la case parlementaire – stratégie nationale bas-carbone (SNBC), programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc). Notons que la publication de ces documents est en retard – un comble pour des documents censés rythmer l’activité ! – et qu’ils peinent à atteindre leurs objectifs. Nous aurions besoin de mieux intégrer les différentes articulations de cette planification. Le SGPE pouvait en être le véhicule, sauf qu’il vient d’être débranché et que nous avons des doutes sur son avenir…
Par ailleurs, les objectifs mêmes de France 2030 sont minés par les décisions budgétaires prévues dans ce PLF. Prenons celui des 2 millions de véhicules électriques : les aides à l’achat de véhicules électriques prévues dans le programme 174 Énergie, climat et après-mines diminuent de 500 millions d’euros. N’oublions pas que l’innovation technologique ne peut pas être décorrélée du contexte social, économique et écologique.
M. Karim Benbrahim (SOC). Monsieur le rapporteur pour avis, je vous remercie pour la qualité de votre rapport. J’ai eu l’occasion de prendre part à quelques-unes des auditions que vous avez menées, notamment celle des opérateurs du plan France 2030. Je souhaite évoquer certains enjeux majeurs et pourtant angles morts de France 2030. Je partage vos interrogations sur le choix des objectifs et des leviers qui structurent le plan, sur le fond comme sur la manière, puisque ses opérateurs nous ont fait part d’une absence de consultation dans la définition des orientations. Or, comme vous l’avez fait remarquer, il est très difficile d’intégrer de nouveaux axes au plan une fois celui-ci lancé.
Si les dix grands objectifs semblent avoir été décidés unilatéralement et par le haut, il est régulièrement apparu lors des auditions que France 2030 avait une gouvernance plus collégiale que les anciens PIA, ce qui va plutôt dans le bon sens. Néanmoins, la comitologie en vigueur ne permettrait pas systématiquement aux opérateurs d’avoir une vue d’ensemble du déploiement du plan et, parfois, serait même une source d’opacité. Monsieur le rapporteur pour avis, partagez-vous ce constat ? Voyez-vous, le cas échéant, des pistes pour assurer une articulation plus directe entre les différents opérateurs ?
La décarbonation de notre industrie fait partie des grands objectifs fixés dans le cadre de France 2030, afin de respecter l’engagement de la France de baisser de 35 % les émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur entre 2015 et 2030, mais cet objectif n’a pas encore fait l’objet d’engagements financiers importants, sur les 54 milliards d’euros prévus. S’il est essentiel d’accompagner les projets concourant à davantage d’efficacité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, il n’en est pas moins primordial de mener une politique ambitieuse en matière de sobriété. C’est l’un des principaux angles morts de ce plan et l’objet d’un de nos amendements.
Le paramétrage des appels à projets et les modalités de financement rendent difficile l’accès des organisations et des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) aux crédits alloués à France 2030. Il serait donc utile de prévoir de nouveaux dispositifs pour flécher une partie des crédits vers l’ESS. Construit selon un modèle vertueux et vecteur d’innovation sociale dans les territoires, cet écosystème doit trouver sa juste place dans un plan ayant vocation à préparer la France de 2030.
Si la trajectoire budgétaire semble globalement adaptée au déploiement du plan France 2030, tel qu’il a été décidé, le choix des priorités et les angles morts que j’ai évoqués nous conduiront à nous abstenir lors du vote des crédits.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Je partage ce que vous avez dit au sujet de l’évolution de la gouvernance : la structuration se fait mieux, mais elle entraîne une importante comitologie et si les opérateurs semblent être en mesure de discuter des modalités de mise en œuvre, ce n’est pas forcément vrai pour les orientations. Il faudrait une meilleure association sur ce plan.
J’ai évoqué dans mon rapport le sujet de l’innovation sociale : je suis évidemment d’accord avec l’idée que France 2030 doit être accessible à de petits acteurs de l’économie sociale et solidaire qui ont une configuration particulière.
M. Guillaume Lepers (DR). Ce programme d’accompagnement des entreprises partait d’une bonne idée : il a pris le relais du plan de relance post-covid, en le recentrant sur des domaines précis pour renforcer nos entreprises face à la concurrence mondiale. Dans le contexte économique actuel, il est évidemment indispensable de soutenir la modernisation de nos outils de production, tout en accompagnant l’innovation. Néanmoins, les deux problèmes qui se sont manifestés depuis le début de cette opération à 54 milliards d’euros – étalés sur cinq ans – ne semblent pas connaître d’évolutions significatives.
Premièrement, France 2030 paraît très et même trop centré sur les grandes métropoles et l’Île-de-France. Alors que nos territoires s’engagent dans un développement économique visant à favoriser le dynamisme et la compétitivité, ils restent à l’écart. Les crédits de France 2030 ruissellent difficilement dans les territoires ruraux, par manque d’ingénierie, de connaissance du dispositif, trop complexe, et d’accompagnement décentralisé.
Par ailleurs, France 2030 privilégie la désormais fameuse start-up nation et accompagne assez peu les entreprises industrielles classiques, comme l’agroalimentaire et la sous-traitance automobile. Ces entreprises ne sont pas toutes des licornes, mais elles donnent une base solide au tissu économique de proximité de notre pays. Elles ont du mal à accéder aux crédits de France 2030, car leurs activités ne font rêver ni BPIFrance, ni M. Bonnell.
La vraie France de 2030, celle de la relocalisation et de la réindustrialisation, devra prendre en compte tous les territoires, toutes les entreprises et tous les Français. C’est pourquoi je souhaiterais connaître les évolutions envisagées pour rééquilibrer les différents volets du plan dans une logique de cohérence et d’équité.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai lancé, lorsque j’étais vice-président de région, un programme nommé « L’avenir s’invente dans les campagnes » et je partage donc votre préoccupation concernant l’appropriation de ce type de dispositif par certains acteurs.
Ceux de l’économie sociale et solidaire sont quasiment absents de France 2030, parce qu’ils n’ont pas la trésorerie nécessaire et qu’il n’existe pas d’intermédiation – l’une de mes préconisations concerne justement l’accessibilité de ces programmes. Les petites entreprises et les petits laboratoires ont du mal à s’organiser et à se structurer pour y participer. Il faudrait bien mieux organiser l’intermédiation et travailler sur les crédits déconcentrés des régions – on doit s’intéresser au partenariat qui se construit avec elles.
Par ailleurs, regardez les dix objectifs de France 2030 : beaucoup d’acteurs restent en dehors de la perspective. On ne fait rien, ou en tout cas pas assez, en matière d’innovation sociale. La France de 2030 sera technologique à certains égards, mais elle reposera aussi sur de l’innovation sociale, notamment pour assurer l’égalité entre les territoires. On pourrait tout à fait travailler, par exemple, sur une façon de redémarrer des activités de production dans des conditions respectueuses de nos impératifs en matière écologique et de foncier, en tirant des fils à partir du programme Fabriques de territoire.
S’agissant de la start-up nation, le risque est même que certains projets soient repris par des capitaux étrangers, c’est-à-dire que de l’innovation que nous avons financée serve à d’autres acteurs ne venant pas de notre pays ou d’Europe.
Mme Julie Laernoes (EcoS). France 2030 doit permettre de fixer un cap pour l’industrie, le tissu économique, la société et plus généralement les mutations attendues. Dans les faits, le saupoudrage et la tendance à privilégier les start-up ou les gros acteurs ressemblent à la France que voulait dessiner Emmanuel Macron.
Nous avons pris le Président de la République au mot lorsqu’il a dit qu’il voulait soutenir la cause de la transition énergétique et écologique, mais on voit, à la lecture de votre rapport et sur le terrain, qu’on est en train de rater la marche. Des fonds importants ont été alloués à des projets relevant du technosolutionnisme plutôt qu’à de vraies réponses pour notre tissu économique et notre industrie. Les SMR (petits réacteurs modulaires), dont on voit mal comment ils sortiront de terre, en sont un exemple. On a investi dans ce serpent de mer beaucoup de crédits qui auraient pu être consacrés très efficacement à d’autres technologies, en matière d’énergies renouvelables ou de sobriété. Sur ce dernier plan, peu a été fait alors même qu’il existe des technologies innovantes. La massification de la rénovation des logements est ainsi absente des projets soutenus jusqu’ici.
Vous consacrez une partie de votre rapport à la nécessité d’un débat démocratique au sujet des matériaux critiques, en particulier si on engage réellement la transition énergétique, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Nous subissons une désindustrialisation dans le domaine des énergies renouvelables : des usines de photovoltaïque ferment, l’éolien est en grande difficulté et des technologies sont rachetées par des entreprises ou des capitaux étrangers.
S’agissant des mines, j’ai pris connaissance d’une enquête publique, qui se déroule en Maine-et-Loire et en Loire-Atlantique, sur un permis exclusif de recherches pour un nombre incalculable de métaux. Le fait de donner un permis exclusif de recherches pour à peu près n’importe quel métal, dans de grands territoires, à des entreprises ou à des filiales dont les capitaux sont étrangers nous conduit à nous interroger sur la volonté de réindustrialiser en gardant une certaine souveraineté. Si nous arrivons à nous sevrer des énergies fossiles, ce ne doit pas être pour devenir dépendants de l’importation de matériaux critiques. Même si des garde-fous sont prévus, nous avons besoin de discuter du cap, de la façon dont nous allons dessiner la France de 2030, de l’industrie et du tissu économique que nous souhaitons, des emplois à garder et des filières et des compétences à construire ensemble.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Ce plan s’appelle France 2030, ce qui conduit nécessairement à s’interroger sur la vision que nous avons du pays à cet horizon. Néanmoins, il n’y a pas eu de débat collectif à ce sujet.
On ne doit pas découvrir l’ouverture de mines à l’occasion d’une enquête publique : il faudrait pouvoir discuter d’une manière très sérieuse de cette question stratégique.
Mme Louise Morel (Dem). Je salue le travail du rapporteur pour avis, notamment sa réflexion sur la manière d’assurer une meilleure information du Parlement – on peut certainement faire un peu mieux.
En revanche, j’ai trouvé les premières interventions assez surprenantes. Je ne suis pas sûre que beaucoup de pays européens aient pris des décisions aussi fortes que nous en matière d’investissements d’avenir. Nous pouvons en être collectivement fiers. Par ailleurs, s’il est beaucoup question des grands groupes industriels, France 2030 concerne beaucoup plus d’acteurs – des PME et des ETI (entreprises de taille intermédiaire), des établissements d’enseignement supérieur ou encore des laboratoires. Des résultats très sérieux sont déjà là : 2 000 brevets déposés, quatre gigafactories de batteries, huit biomédicaments produits en France et 8,5 millions de tonnes de CO2 économisées par an grâce aux projets déjà engagés. De nombreux acteurs sont derrière ces réussites collectives. En Alsace, les bénéficiaires des programmes sont fiers d’essayer de contribuer à l’avenir du pays.
Pour ce qui est des métaux, j’ai été très surprise par une étude publiée en 2018 par le chercheur Olivier Vidal, selon laquelle la quantité cumulée à produire dans les trente‑cinq prochaines années pour assurer la transition énergétique dépasserait celle produite depuis l’Antiquité : il y a là de quoi rester très humble. Des programmes massifs d’investissement sont nécessaires, même si on peut discuter, bien sûr, des procédures, du moment et des priorités. Dans l’Allier, un projet nommé Emili vise à extraire chaque année 2,1 millions de tonnes de granit dont la teneur en lithium n’est que de 0,9 %, ce qui pose notamment la question de savoir ce qui sera fait du reste. Quel est votre sentiment, monsieur le rapporteur pour avis, au sujet des métaux précieux ? Si rien n’est prévu en la matière dans le cadre de France 2030, comment pouvons-nous faire émerger davantage la question ?
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai des critiques à formuler à l’égard de France 2030 – je conteste notamment les objectifs de départ, qui sont à l’origine des faiblesses de l’action menée –, mais je ne considère pas ce plan comme inutile. Que des projets aient réussi grâce à France 2030, oui, j’ai entendu des acteurs le dire. Qu’il existe un intérêt pour le soutien aux innovations de rupture, c’est également vrai. Le besoin est réel. Planifier ne consiste pas seulement à dire quelles sont les orientations ou les « bouclages matières » : il faut aussi allouer les moyens correspondants. France 2030 est un levier au service d’une planification, mais ce qui est prévu dans ce cadre fait l’objet d’un débat de fond.
Ma lecture, qui traduit peut-être la faiblesse de l’évaluation à l’heure actuelle, est que trop peu de petites entreprises et de petits laboratoires accèdent au dispositif. Des chercheurs nous l’ont dit lors des auditions. Les laboratoires, grands et petits, qui étaient présents autour de la table nous ont expliqué que si de petits acteurs participaient, c’était parce qu’ils avaient été entraînés par des gros : tout seuls ils ne le pourraient pas.
Quant à l’idée qu’on va utiliser en peu de temps la même quantité de métaux critiques que depuis l’Antiquité, c’est effectivement ce qu’on entend dire, mais cela suppose qu’on ne change rien, qu’on continue à considérer qu’il n’existe pas de limites planétaires et qu’on n’a donc pas besoin de s’interroger sur ce qu’on peut produire, sur ce dont on a réellement besoin et sur les conditions dans lesquelles on va l’utiliser, c’est-à-dire si on ne réfléchit pas au recyclage et aux possibilités de substitution pour certains usages des matières critiques. Ce sont des questions majeures, auxquelles je propose de consacrer une mission d’information.
Madame Lebec, vous avez parlé de fierté des acteurs. Elle existe chez ceux qui participent, mais d’autres n’accèdent pas au dispositif et peuvent se heurter à des difficultés. J’insiste sur la nécessité de rendre le dispositif accessible à plus d’acteurs, en particulier ceux de l’économie sociale et solidaire. Des solutions sont possibles, j’ai déposé des amendements en ce sens.
Les acteurs de l’économie sociale et solidaire ne sont pas qu’un supplément d’âme : ils représentent 10 % des emplois et 7 % du PIB. Surtout, ce sont des acteurs extrêmement innovants dans beaucoup de domaines, comme les déchets et l’énergie. Le fait qu’ils soient si peu présents dans ce type de dispositif leur donne le sentiment de rester en marge, alors qu’ils feront aussi partie de la France de 2030.
L’innovation sociale ne trouve plus de place nulle part, ni dans les budgets de l’économie sociale et solidaire, ni dans le budget de l’État d’une façon générale, ni dans France 2030, ce qui revient à préparer la France de demain sans les gens. Elle sera technologique, je l’ai dit, mais il faut aussi travailler sur la manière d’organiser la vie dans l’entreprise et la société. Ces questions majeures ne sont pas sur la table et ne trouvent pas d’écho, alors que certains acteurs pourraient nous aider à progresser considérablement.
S’agissant du fonctionnement démocratique, oui, France 2030 a un comité de surveillance. J’ai auditionné ses membres lorsqu’ils ont pris le relais, et je dois dire que j’ai eu du mal à comprendre leur mode de réflexion : j’ai eu l’impression qu’ils partaient quasiment d’une feuille blanche. Je me suis posé des questions sur la continuité dans l’évaluation du programme et sur la manière dont on partageait les résultats et un récit, pour montrer qu’il ne s’agit pas seulement de milliards d’euros sur la table, mais de transformations engagées dans le pays. Même si je n’ai fait qu’une dizaine ou une quinzaine d’auditions – il me manque peut‑être des éléments –, je m’interroge. Il conviendrait que l’état d’avancement du programme soit présenté à la commission dans des délais assez courts. Je crois qu’un rapport doit être remis au Parlement, mais je ne sais pas si l’échéance a été précisément définie.
Il me semble que l’empilement des appels à projets est lié à la juxtaposition des objectifs. Ce qui pose un problème n’est pas tant la mécanique des appels à projets que l’absence de vision d’ensemble. Une articulation plus forte serait parfois à envisager. J’ai trouvé en revanche, même si la répartition des crédits ne se fait pas toujours bien dans l’ensemble de la chaîne, qu’il était assez pertinent d’avoir un raisonnement de l’amont à l’aval, de la recherche à la mise en application. Les chercheurs trouvent peut-être qu’on n’en fait pas assez dans leur domaine et des industriels peuvent avoir le même sentiment à propos de l’industrialisation des solutions, mais cela veut peut-être dire que la répartition n’est pas si mauvaise. Le fait qu’il y ait une approche portant sur l’ensemble de la chaîne, plutôt que d’un côté le financement de la recherche et de l’autre le financement des solutions industrielles, me paraît intéressant.
Je ne comprends pas que la sobriété énergétique continue à faire débat. Elle ne signifie pas une décroissance généralisée par principe : c’est parfois une question d’organisation. La consommation électrique est très liée au mode de vie : nous suivons tous le même rythme. On pourrait imaginer une organisation différente de la société, avec une consommation différente. On n’est pas obligé de revenir à la bougie – cet argument revient à chaque fois qu’on parle à un écologiste. Ce n’est pas ma vision : certaines choses vont décroître et d’autres vont croître. Mais peut-être parliez-vous tout simplement de la croissance économique ; dans ce cas nous pourrions débattre, compte tenu des errements actuels, de l’intérêt du terme même de « croissance ».
S’agissant de la conditionnalité, j’incite à la mise en place de règles du jeu beaucoup plus précises. Les montants en cause sont extrêmement importants. J’ai demandé au directeur d’un site quelles étaient les contreparties d’un projet qui bénéficiait de financements très élevés : il m’a dit qu’il s’agissait de produire un peu plus pour la France en cas de pénurie. Quand on pose la même question aux opérateurs, ils répondent que cela fait partie des contrats et qu’ils ne peuvent pas totalement les partager, ce qui me pose un problème. Les règles du jeu, je le répète, ne me paraissent pas totalement claires.
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendements II-CE264 de M. Charles Fournier et II-CE205 de M. Karim Benbrahim (discussion commune)
M. Karim Benbrahim (SOC). Mon amendement part du constat que très peu de structures de l’économie sociale et solidaire figurent parmi les porteurs de projets financés dans le cadre de France 2030. La cause en est le paramétrage et les modalités des appels à projet, qui semblent peu adaptés à la nature et au fonctionnement de ces acteurs. Nous proposons de diriger vers eux une partie des 54 milliards d’euros alloués à France 2030. Cette sanctuarisation de crédits devrait s’accompagner d’une adaptation des modalités de candidature aux appels à projet. Il ne s’agit pas seulement d’organiser un transfert financier, mais de faire évoluer la manière de procéder.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Mon amendement reprend une initiative, l’opération Milliard, soutenue par de nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire qui disent n’avoir que des queues de cerise – le budget de l’État dans ce domaine, dont j’étais l’an dernier le rapporteur pour avis, est très limité – et qui essaient donc de lancer un fonds d’investissement pour que leur secteur trouve toute sa place dans la France de 2030. Je propose d’alimenter ce fonds, auquel contribueraient des entreprises et des banques, au moyen d’une intervention publique.
J’émets, par ailleurs, un avis favorable à l’amendement de M. Benbrahim. L’innovation sociale et écologique doit être au rendez-vous dans la France de 2030.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Précisons aussi, pour nos collègues, que l’amendement du rapporteur pour avis tend à mobiliser 300 millions d’euros et celui de M. Benbrahim 5 millions.
Mme Louise Morel (Dem). Si je comprends bien, nous prendrions ailleurs dans le financement des investissements stratégiques les 300 millions d’euros demandés par le rapporteur pour avis. Quel programme serait amputé ?
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il faut bien prélever la somme quelque part. Si j’avais pu augmenter le niveau des autorisations d’engagement, je l’aurais fait. Le volume global de la mission ne sera pas remis en cause et vous comprenez bien qu’il s’agit surtout d’un amendement d’appel en faveur de l’opération en cours. La puissance publique doit soutenir l’économie sociale et solidaire dans des proportions supérieures – la contribution du budget de l’État est actuellement de 20 millions d’euros.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements II-CE265 de M. Charles Fournier et II-CE206 de M. Karim Benbrahim (discussion commune)
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. La sobriété, je l’ai dit, ne fait pas partie des ambitions de France 2030. Je propose que ce soit désormais le cas et que des crédits soient dédiés à cette question, qui ne se limite pas à une restriction des modes de vie : c’est plutôt une manière de les repenser et de leur redonner de la force en investissant et en innovant technologiquement et socialement. La « sobriété conviviale » constitue une belle perspective.
M. Karim Benbrahim (SOC). La France s’est fixé pour objectif de réduire ses émissions de gaz à effet de serre dans le secteur industriel. L’efficacité énergétique et la décarbonation doivent y contribuer, mais ces deux leviers ne sont pas suffisants. Celui de la sobriété doit aussi être utilisé. Mon amendement vise à consacrer des crédits – 5 millions d’euros, contre 15 millions dans l’amendement du rapporteur pour avis –à des politiques de sobriété énergétique dans le secteur industriel.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis favorable, quoique notre collègue soit beaucoup plus sobre que moi sur le plan financier. (Sourires.)
La commission rejette successivement les amendements.
Article 45 et état G : Objectifs et indicateurs de performance
Amendement II-CE262 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il s’agit d’inscrire formellement la sobriété dans les objectifs et les indicateurs de performance du dispositif, afin qu’elle soit centrale dans l’ambition du programme.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Je soutiens cet amendement, car on confond souvent décarbonation et sobriété, y compris dans les politiques menées par l’État. La sécurité d’approvisionnement énergétique nécessite de la sobriété, faute de quoi nous échouerons. Il est donc important d’en faire l’un des objectifs du programme.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE261 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’amendement vise à inscrire le recyclage des matériaux critiques dans les objectifs du programme et à en faire une règle du jeu dans le cadre de France 2030.
Mme Julie Laernoes (EcoS). Il est absolument nécessaire de ne pas gaspiller les matériaux critiques et de disposer d’une véritable filière de recyclage. J’espère que les députés du socle commun ne voteront pas avec le Rassemblement national, pour qui l’écologie est toujours fautive, et je les appelle à voter en faveur de ces objectifs.
M. Alexandre Loubet (RN). Nous nous inscrivons en faux contre les attaques de la gauche : nous comptions justement nous abstenir, voire voter en faveur de cet amendement.
Nous sommes tous favorables au recyclage. Toutefois, l’écologie punitive que vous défendez remet en question des projets prometteurs pour l’avenir de la planète. Ainsi, une entreprise spécialisée dans le recyclage à l’infini du plastique grâce à une technologie innovante devrait s’installer dans ma circonscription, en Moselle, mais ce projet est freiné en raison de problèmes fonciers et de la présence de plusieurs alouettes lulu.
M. Karim Benbrahim (SOC). L’enjeu porte à la fois sur l’écologie, la souveraineté énergétique et le développement économique, avec la création de nouvelles filières industrielles. Si certains députés ne votent pas cet amendement, j’aimerais bien comprendre leur motivation.
Mme Louise Morel (Dem). Nous devrions prendre position en fonction des intérêts en jeu, et non pas en fonction des votes des uns et des autres. Le groupe Démocrates estime que la transition écologique est importante. Pour cette raison, je soutiens cet amendement, même si ce n’est qu’un premier pas.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). Ne tombons pas dans la caricature : il n’y a pas d’un côté les bons, qui auraient le monopole de la compétence environnementale, et de l’autre les mauvais. En revanche, nous pouvons avoir des visions différentes de ce que la transition écologique implique. Pour ma part, j’ai décidé de voter en faveur de cet amendement.
M. Frédéric Weber (RN). Dans ma circonscription, l’usine Carbios est en train de construire la première usine au monde de biorecyclage de PET (polytéréphtalate d’éthylène), et nous l’accompagnons de manière volontariste. Nous serions tous bien avisés d’arrêter de juger les gens sur des a priori.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Il faut faire preuve de cohérence en matière d’écologie. On ne peut pas se montrer opportuniste en invoquant la protection de la biodiversité quand il s’agit de bloquer un projet d’éolienne, et en dénonçant l’écologie punitive quand la biodiversité dérange. L’enjeu de la biodiversité est tout aussi important que celui du développement économique. Je défends une écologie cohérente, et non punitive. C’est d’ailleurs l’absence d’écologie qui est punitive, car les plus vulnérables en sont toujours les premières victimes.
Je regrette que le précédent amendement sur la sobriété n’ait pas été adopté. Cela dit quelque chose de la vision que vous avez de l’écologie : on veut bien pratiquer le recyclage, mais on veut moins faire preuve de sobriété dans nos usages, alors que c’est tout aussi important.
Enfin, j’aurais préféré que l’on oriente davantage les moyens. Le projet d’usine de recyclage des batteries à Dunkerque est suspendu par Eramet parce que le modèle économique n’existe pas. Comment faire pour que le recyclage existe ? Sobriété et recyclage sont indissociables. J’aurais peut-être dû les mettre dans le même amendement pour éviter que vous ayez à choisir entre l’un et l’autre, mais je n’aurais sans doute pas obtenu les mêmes résultats.
La commission adopte l’amendement.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’émets un avis défavorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. Mon désaccord ne porte pas sur le volume des crédits de paiement – n’ayant pas obtenu toutes les réponses, je ne sais pas s’ils correspondent à l’avancement des projets –, mais sur certains objectifs tels qu’ils sont inscrits dans le programme, avec des modalités qui méritent encore d’évoluer et des sujets qui sont trop peu pris en considération.
La commission émet un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030 modifiés.
Après l’article 64
Amendement II-CE140 de M. Laurent Alexandre
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Il s’agit de conditionner le versement des aides publiques de France 2030 aux grandes entreprises au respect de trois engagements principaux : le maintien de leurs activités sur le territoire national pour une période minimale de dix ans ; le maintien des effectifs salariés à leur niveau de l’année de perception des crédits ; la définition d’une stratégie industrielle conjointe entre l’opérateur et l’entreprise bénéficiaire des crédits.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis totalement favorable. Cela soulève en effet de vraies questions sur le devenir des emplois dans notre pays. Tous les dispositifs publics d’aide devraient appliquer cette règle. Nous devons garantir à nos concitoyens que l’argent public ne finance pas des destructions d’emplois et même en assure le maintien, voire le développement.
M. Alexandre Loubet (RN). Nous sommes favorables au conditionnement des aides publiques au maintien des activités et des emplois sur le sol français. Il est indécent et assez surréaliste que l’impôt des Français subventionne de manière directe ou indirecte les délocalisations et les importations.
Toutefois, un point nous fait hésiter : le maintien de l’activité pendant une durée de dix ans. On gagnerait peut-être à assouplir un peu cette condition, car la définition de la durée est assez arbitraire et semble peu conforme aux réalités économiques. Je propose donc à mes collègues de voter cet amendement et de modifier en séance cette disposition relative à la durée. Vous avez le soutien de principe du Rassemblement national sur ce sujet.
M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Position identique pour le groupe UDR.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-CE141 de Mme Alma Dufour
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). L’amendement vise à exclure du bénéfice des aides publiques de la mission Investir pour la France 2030 les entreprises qui réalisent des superprofits. Une gestion efficace des finances publiques implique de réserver ces crédits à des entreprises qui en ont vraiment besoin. L’État ne devrait pas avoir à contribuer aux investissements des entreprises qui font des superprofits, car elles sont en mesure de s’autofinancer.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’argent public est attribué quand il y a une nécessité qu’il le soit. Les investissements doivent être soutenus quand l’entreprise ne peut pas les assumer elle-même. De telles capacités doivent être réorientées non pas vers les dividendes, mais vers l’investissement. Avis favorable.
Mme Louise Morel (Dem). Cet amendement part d’un bon sentiment, mais il me paraît dangereux pour le soutien à l’entrepreneuriat. Vous visez les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, considérant qu’elles n’ont pas besoin de subventionnement pour leur R&D (recherche et développement). C’est un argument légitime, mais nous traitons ici d’investissements d’avenir. De très grandes entreprises soutiennent par exemple des projets d’intrapreneuriat avec de très petites structures, parfois un docteur ou un chercheur expert dans un domaine particulier. Même avec le soutien d’une grande entreprise, ces structures sont assez fragiles. Je ne soutiendrai donc pas votre amendement, parce qu’il ne tient pas compte de la réalité économique de l’innovation en France.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE142 de Mme Claire Lejeune
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Il s’agit de conditionner l’octroi des aides de la mission Investir pour la France de 2030 à la mise en place d’un forfait mobilités durables par les entreprises au bénéfice de leurs salariés. Cette démarche vise à accélérer la transition vers des modes de déplacement durables et la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. Avis favorable, même s’il me semble plus pertinent de rendre le forfait mobilités obligatoire. Ce devrait être la règle générale pour tous les dispositifs d’aides, et non une condition pour l’octroi d’un financement.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CE263 de M. Charles Fournier
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. J’ai pu mesurer, en quelques auditions sur les matériaux critiques, à quel point les enjeux étaient importants pour la transition énergétique et la réindustrialisation. Or, j’ai eu le sentiment que ce sujet échappait au contrôle démocratique, qui me paraît nécessaire.
Pour contourner le fait que je ne puisse pas organiser directement une concertation citoyenne, j’ai déposé le présent amendement demandant un rapport au Gouvernement sur l’opportunité et les modalités de la mise en place d’un dispositif de concertation citoyenne chargée de définir la stratégie nationale relative aux conditions d’installation de projets industriels d’extraction minière sur le territoire national ayant bénéficié du concours des crédits de la mission Investir pour la France de 2030. L’idée serait d’organiser un débat sur cet enjeu déterminant mais très loin dans les préoccupations des acteurs. Cela pose des questions de souveraineté, de disponibilité, de substitution, de recyclage, et je trouve que cela mérite un vrai débat.
M. Alexandre Loubet (RN). Je trouve cet amendement très pertinent. Notre pays possède nombre de ressources qui pourraient contribuer à l’innovation et au développement de l’industrie, comme le gaz de couche ou l’hydrogène blanc – deux ressources dont le sous-sol lorrain, notamment, semble regorger. Les députés du Rassemblement national et de l’UDR soutiendront cette demande de rapport permettant d’ouvrir le débat sur l’exploitation des ressources contenues dans nos sols, à condition qu’elle se fasse de manière écologique. Cela vaut toujours mieux que d’importer des ressources comme le gaz de schiste de l’autre bout du monde.
M. Charles Fournier, rapporteur pour avis. L’extraction du gaz de couche soulève les mêmes enjeux environnementaux que celle du gaz de schiste. Le débat devra répondre à la question de l’opportunité et des conditions d’une telle extraction. Cette question mérite d’être posée et ne doit pas échapper à la décision de nos concitoyens. De même, le développement des voitures électriques pose la question de la provenance des matériaux. La souveraineté consiste à décider sur quels produits nous souhaitons être autonomes et sur quels autres nous acceptons d’être dépendants. Tout ne doit pas nécessairement être produit sur place, mais il est fondamental que cela fasse l’objet d’une décision.
La commission adopte l’amendement.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du jeudi 24 octobre 2024 à 15 h 30
Présents. – M. Alexandre Allegret-Pilot, M. Charles Alloncle, M. Karim Benbrahim, M. Charles Fournier, M. Jean-Luc Fugit, M. Antoine Golliot, Mme Mathilde Hignet, Mme Annaïg Le Meur, Mme Marie Lebec, M. Guillaume Lepers, M. Alexandre Loubet, M. Nicolas Meizonnet, Mme Manon Meunier, Mme Louise Morel, Mme Aurélie Trouvé, M. Frédéric Weber
Excusés. – M. Harold Huwart, M. Max Mathiasin
Assistait également à la réunion. – Mme Claire Lejeune