Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Examen de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers (n° 417) (Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure) 2
– Informations relatives à la Commission....................27
Mercredi 20 novembre 2024
Séance de 11 heures
Compte rendu n° 15
Session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente
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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers (n° 417) (Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous examinons ce matin la proposition de loi (PPL) visant à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers (n° 417) de Mme Anne Stambach-Terrenoir.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Cette proposition de loi vise à interroger et à refuser une politique routière qui nous mène à l’impasse. Notre groupe se fait l’écho des actions de nombreux collectifs et associations qui se battent, dans notre pays, contre des décisions économiques obsolètes et destructrices. Il donne également suite à la pétition contre l’autoroute A69 examinée par notre commission, ainsi qu’aux intéressants travaux menés par notre collègue Christine Arrighi dans le cadre de la commission d’enquête sur cette même autoroute, et malheureusement interrompus par la dissolution.
Si l’autoroute A69 suscite une telle opposition, c’est parce qu’elle incarne, comme le dit le climatologue Christophe Cassou, « l’impossible bifurcation » : tout ce que l’on ne peut plus se permettre de faire dans le contexte actuel d’accélération du changement climatique et d’effondrement de la biodiversité. Parmi la cinquantaine de projets routiers contestés en France, un grand nombre sont construits sur le même modèle. Pensés il y a trente voire quarante ans, ils ont pour objectif de faire gagner quelques minutes aux usagers, au prix de dégâts écologiques irréversibles : des milliers d’hectares de terres agricoles, de terres naturelles et de zones humides sont sacrifiés, des espèces protégées menacées. Au bout de compte, ce sont toujours plus de routes, de voitures, de poids lourds et de gaz à effet de serre (GES).
L’année 2024 sera la plus chaude jamais enregistrée par l’Organisation météorologique mondiale, alors même que l’année 2023 l’avait déjà été. Des catastrophes que l’on croyait être l’apanage des pays tropicaux touchent l’Europe : des inondations en Europe centrale et en France – dans le Pas-de-Calais, à Givors et en Seine-et-Marne – et, très récemment, une tempête violente et meurtrière en Espagne, qui a fait plus de 200 morts à Valence. Ces catastrophes sont d’abord des drames et des vies humaines balayées. Mais elles ont aussi un coût financier : dans la décennie 2010, la facture annuelle s’établissait pour la France à 3,7 milliards d’euros. Depuis 2019, elle est passée à 6 milliards. Viendra un jour où ni l’État ni les compagnies d’assurances ne pourront plus financer les aides d’urgence et les réparations. Rappelons qu’à Valence, les premières interventions ont déjà coûté 10,6 milliards d’euros à l’Espagne et à l’Union européenne. Voilà la facture du réchauffement climatique !
Or le secteur des transports compte pour 30 % des émissions de GES, et le transport routier est responsable de la très grande majorité de ces émissions. Or l’imperméabilisation des sols aggrave les événements climatiques. Or le premier facteur de pression sur la biodiversité, c’est aussi le réseau routier. Sans compter les 30 000 tonnes de sable et de gravier que nécessite un seul kilomètre d’autoroute, ni la multiplication des usines à enrobé bitumineux qui menacent la santé des habitants et les terres agricoles. Nous continuons de lancer des projets qui vont totalement à l’encontre des objectifs que notre pays s’assigne lui-même avec la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB). Ce n’est pas tenable : il faut appuyer sur pause.
Le serpent se mord la queue. Toutes les études d’économistes et d’urbanistes convergent : chaque nouvelle infrastructure routière engendre un trafic induit, c’est-à-dire une augmentation de la circulation. On se déplace plus loin et parfois plus souvent. L’offre d’infrastructures crée ainsi une demande, dont la conséquence est l’augmentation d’une part des gaz à effet de serre, d’autre part des surfaces artificialisées.
Des nombreuses auditions que nous avons menées ressortent deux mantras de l’aménagement du territoire. Le premier lie de façon automatique routes et développement économique ; le second souligne la nécessité du désenclavement. Or développement économique et infrastructures ne vont pas de pair. Ainsi, alors que Perpignan dispose d’une autoroute, d’une route, de liaisons ferroviaires et d’un aéroport, elle affichait en 2021 un taux de pauvreté de 34 %, plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Quant au désenclavement, c’est une notion très subjective. Qui peut croire que la ville de Castres, qui dispose d’une route nationale, d’une ligne ferroviaire et d’un aéroport avec une ligne subventionnée, serait enclavée ? En quoi un gain de dix minutes sur le trajet vers Toulouse va-t-il dynamiser le bassin d’emplois de Castres-Mazamet ? Le risque est plutôt qu’avec l’élargissement de l’aire de chalandise, des activités soient transférées vers Toulouse. Une route, ça va dans les deux sens, et les grandes infrastructures accentuent en réalité les effets de la métropolisation. De petites villes se vident de leurs commerces et de leurs services publics, devenant des satellites des métropoles. Des activités économiques quittent leur implantation d’origine pour s’établir le long d’une autoroute. Finalement, les habitants sont condamnés à dépendre de la voiture – laquelle est considérée comme un gouffre financier par 79 % des Français.
En plus des dommages irréversibles causés à l’environnement et des conséquences sociales et économiques de la prépondérance du modèle routier, un troisième argument en faveur d’un moratoire est apparu au cours des auditions que j’ai conduites. Trop souvent, le débat sur les infrastructures de transport est présenté comme un conflit entre pouvoirs publics et militants écologistes. Au sein des multiples organismes qui assistent l’État dans ses décisions, émergent en réalité des interrogations sur la manière dont sont préparés les actes juridiques qui permettent le lancement des projets routiers – déclarations d’utilité publique (DUP) et autorisations environnementales, notamment. Ces actes sont élaborés à partir de critères faisant l’objet d’une pondération pour le calcul de la valeur actualisée nette socio-économique (VAN-SE) du projet. Or, parmi ces critères, celui lié au gain de temps est à la fois surestimé et monétisé de telle façon que, d’après un rapport de l’Autorité environnementale confirmé par le secrétariat général pour l’investissement (SGPI), il écrase tous les autres – considérations environnementales comprises.
L’environnement, lui, ne se monétise pas. Pour l’instant, on ne peut pas donner de valeur monétaire à un écosystème, sauf lorsque l’on constate les dégâts résultant de sa disparition. De plus, les critères utilisés datent d’il y a au moins trente ans – une autre époque, sur le plan climatique. C’est ainsi que sont justifiés, en dépit d’un bilan environnemental ou agricole catastrophique, de vieux projets ressortis des cartons : l’A69, le contournement par l’ouest de Montpellier – avec un tronçon à deux fois cinq voix ! – et l’A412, qui décroche la palme. Après que le Conseil d’État a annulé la DUP de cette autoroute en 1997, une nouvelle enquête publique a en effet été ouverte vingt et un ans après mais il fallut recourir à une loi de régularisation, en 2023, pour lancer sa construction.
Les critères environnementaux sont le plus souvent ignorés et, lorsqu’ils sont pris en compte, c’est pour servir de paravent. C’est le constat fait par des scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle qui, en se penchant sur les compensations environnementales, ont découvert qu’elles étaient mal appliquées, mal mises en œuvre et réalisées sur des terrains en bon état, où le gain écologique est faible. Surtout, la conception de la compensation est purement spatiale – des hectares renaturés en échange d’hectares artificialisés –, oubliant la complexité des écosystèmes. Quand un arbre centenaire est abattu, ce sont la biodiversité qu’il abrite et son système racinaire et mycologique qui sont atteints ; il ne peut être remplacé par un arbuste à la survie incertaine. Certains écosystèmes, comme les zones humides ou les tourbières, sont le fruit de siècles voire de millénaires d’évolution : on ne peut évidemment pas compenser leur destruction en quelques années. Nos décisions ne sont pas fondées sur la science.
Enfin, notre politique routière souffre d’un pilotage insuffisant. C’est ce qu’affirme la Cour des comptes dans un rapport de mars 2022 que chacun peut consulter en ligne : elle souligne le coût élevé d’une politique qui n’a pourtant pas prévenu la dégradation du réseau, et rappelle que l’État a progressivement abandonné aux départements et aux communes la gestion du réseau routier. Les institutions d’État en charge de l’environnement montrent que chaque projet est instruit en fonction de son bilan coût-avantage local, sans qu’une agrégation de l’ensemble ne permette de connaître l’impact global. Résultat, le secteur des transports routiers n’atteint ni les objectifs de la SNBC, ni ceux de la SNB pour 2030.
En résumé, nous proposons un moratoire pour trois raisons principales : les atteintes que les projets routiers portent à l’environnement et à la santé humaine ; leur instruction sur la base de critères obsolètes ignorant sciemment l’environnement ; leur programmation au cas par cas plutôt que dans le cadre d’un schéma national des infrastructures de transport tel qu’envisagé, sans succès, par le Grenelle de l’environnement.
Le moratoire que nous proposons est en réalité très modéré car il ne porte que sur les projets les plus importants, à deux fois deux voies, relevant soit du réseau autoroutier concédé, soit du réseau national ou départemental non concédé. Les petits projets, comme les ronds-points ou les liaisons à deux fois une voie, n’entrent pas dans son champ. Il ne s’agit donc pas de ne plus rien construire. Je suis d’ailleurs prête à accepter l’amendement de Jean-Victor Castor, qui propose d’exclure la Guyane du moratoire : les besoins y sont en effet incontestables.
Un moratoire, pour quoi faire ? D’abord, pour conduire une réflexion sur nos modes de vie. Les transports sont à la fois les facteurs et les résultantes de nos modes de production et de consommation, ainsi que de la répartition, dans nos territoires, du logement, de la production industrielle, de l’agriculture et des espaces naturels. Face au dérèglement climatique, nous devons repenser transports et aménagement du territoire en donnant la priorité aux objectifs collectifs : sortir du tout-voiture et du tout-camion. Pour cela, il faut une vision globale des projets routiers s’insérant dans une vision tout aussi globale des investissements publics et de leur impact environnemental. Bref, il faut penser une véritable planification écologique.
Si nous proposons un moratoire, c’est aussi pour revoir les procédures d’instruction et de gestion des projets. La pondération des différents critères me semble constituer un enjeu central et je serais heureuse, madame la présidente, que notre commission puisse auditionner les responsables ministériels sur ce point : aucun parlementaire ni aucun élu local ne connaissent ces critères, alors que nous votons les projets et leur attribuons des financements.
Il nous faut enfin saisir l’occasion de la fin programmée des concessions autoroutières, entre 2031 et 2036, pour déterminer ce que nous ferons du patrimoine de 194 milliards d’euros, payé à la fois par le contribuable et par l’usager, que nous aurons ainsi récupéré. Un moratoire est un excellent moyen de réfléchir sans pression excessive.
J’en viens au coût de cette mesure. Comme indiqué dans mon rapport je ne vois, en l’état de la jurisprudence, aucun obstacle constitutionnel à cette proposition de loi. Le législateur peut parfaitement invoquer l’intérêt général au sujet de la préservation de l’environnement, qui est un objectif à valeur constitutionnelle.
Un moratoire remet cependant en cause des contrats, et l’État se verra contraint pas la loi d’indemniser les contractants. Le montant qu’il devra verser ne peut être évalué pour l’instant mais devrait sans doute atteindre quelques milliards d’euros compte tenu des coûts d’arrêt et de mise en sécurité des chantiers, ainsi que des pertes d’exploitation. Cette somme sera peut-être jugée exorbitante. Pour ma part, je la rapproche du coût croissant de la réparation des dégâts dus aux catastrophes naturelles, auquel j’ajoute le coût exorbitant – 15 à 17 milliards d’euros par an – de l’entretien des routes. Enfin, la suspension des projets non engagés permettrait également 17 milliards d’économies. Notre proposition est donc tout à fait raisonnable.
Je souhaite rendre hommage aux milliers de citoyens qui jouent dans notre pays le rôle de lanceurs d’alerte, en dépit d’une répression folle. Comme nous l’avons encore constaté lors des auditions, ils démontrent leur expertise croissante et leur sens du bien public. Les écouter nous grandirait. Je vous engage, chers collègues, à voter ce moratoire soutenu, selon un sondage, par 66 % de la population. Il sera la première étape d’une politique de transport à la hauteur des enjeux de notre siècle.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Matthieu Marchio (RN). Les masques tombent. Grâce à cette proposition de loi on comprend mieux votre projet, madame la rapporteure : celui d’un écologisme de la décroissance qui vise à revenir sur tout ce qui permet le développement économique de nos territoires. Votre proposition, d’une grande radicalité et d’une grande brutalité, propose d’arrêter tout net le développement des routes et autoroutes, alors même qu’un réseau routier modernisé est indispensable pour relier certaines zones géographiques isolées, dynamiser l’économie locale et soutenir l’attractivité de nos territoires. Dans de nombreuses régions, notamment celles qui sont enclavées, les autoroutes sont bien plus qu’une simple voie de circulation : elles sont le lien essentiel qui permet aux populations d’accéder à l’emploi, aux services publics et aux opportunités de développement économique.
En suspendant les autorisations de construction d’infrastructures routières, vous condamnez nos concitoyens à renoncer à l’amélioration de leurs conditions de vie, ainsi qu’à l’accès à l’emploi. Vous renforcez l’isolement de territoires déjà en grande difficulté. Les transports collectifs que vous proposez de renforcer sont en réalité absents de nombreuses zones rurales, où leur déploiement prendrait des décennies. Ce moratoire mettrait donc un frein brutal au développement des territoires.
Notre rôle, en tant que députés, consiste à trouver un équilibre entre la préservation de l’environnement, qui est un enjeu majeur, et les besoins des Français en matière de mobilité et de développement économique. Plutôt que de bloquer toute modernisation des infrastructures routières, il serait bien plus pertinent de promouvoir des solutions innovantes et écologiques pour réduire l’impact environnemental de ces projets, par exemple en intégrant des infrastructures vertes. Il faut également investir massivement dans le ferroviaire pour proposer d’autres modes de déplacement et de transport de marchandises, via le fret. Nous devons construire une transition écologique intelligente, qui tienne compte des réalités des territoires et respecte les besoins de mobilité de tous les Français.
Contrairement à ce que vous dites, madame la rapporteure, les avis contenus dans votre rapport militant ne vont pas dans le sens de ce qu’attend la population. Vous démontrez une nouvelle fois la profonde déconnexion de la gauche avec nos territoires. Dans les zones rurales et périurbaines, en particulier, la mobilité repose sur des infrastructures routières de qualité. Ce moratoire risquerait d’aggraver les fractures territoriales : notre groupe s’y opposera donc fermement.
M. Jean Terlier (EPR). Nouvelle législature, mais toujours le même acharnement des députés de La France insoumise contre les projets routiers et contre le chantier de l’autoroute entre Castres et Toulouse. Ne nous y trompons pas, en effet : si cette proposition de loi propose un moratoire sur les grands projets autoroutiers et routiers, l’exposé des motifs concentre très largement ses critiques sur cette autoroute – qui n’est d’ailleurs plus en projet, madame la rapporteure, mais en chantier, et dont la mise en circulation devrait intervenir fin 2025.
En suspendant pour une durée de dix ans la délivrance des autorisations environnementales, nouvelles et déjà acquises, l’article premier entend mettre un coup d’arrêt brutal à l’ensemble des projets de construction d’autoroutes et de voies rapides à deux fois deux voies. La PPL s’expose ainsi à la censure du Conseil constitutionnel car elle bafoue manifestement la garantie des droits consacrés par l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Une loi ne peut s’appliquer de manière rétroactive pour modifier des règles juridiques déjà établies, à moins que cela ne soit justifié par un motif d’intérêt général suffisant – ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La PPL suspendrait en effet des autorisations déjà délivrées, portant atteinte aux droits légalement acquis des concessionnaires, comme la société Atosca dans le cas de l’autoroute A69.
La PPL s’expose également à la censure du Conseil constitutionnel en raison de son caractère antidémocratique : en effet, elle ne respecte pas le processus de concertation et la volonté des citoyens manifestée tant par les élus que lors des consultations électorales. Le chantier de l’A69 est le fruit d’une concertation approfondie avec les élus locaux – maires, communautés de communes, département du Tarn et région – et la population. Les dernières élections municipales, départementales, régionales et législatives ont systématiquement abouti à la victoire d’un candidat favorable à l’autoroute.
Cette proposition de loi voudrait nous imposer un moratoire alors que la commission d’enquête sur l’A69, lancée à grand renfort de communication par le groupe écologiste et aujourd’hui relayée par La France insoumise, a d’ores et déjà traité tous les procès d’intention des opposants au projet. Le texte repose sur des constats techniques erronés. S’agissant de l’impact sur la biodiversité et l’environnement, des mesures compensatoires environnementales ont été intégrées au chantier. Pour la première fois dans le cadre d’un tel projet, un comité de suivi des compensations environnementales a d’ailleurs été mis en place, réunissant le concessionnaire, l’État et les organisations non gouvernementales.
De surcroît, la charge financière pour l’État et pour les collectivités territoriales, liée à l’indemnisation des concessionnaires concernés, a manifestement été sous-estimée. L’instauration du moratoire entraînerait ainsi, pour le seul projet de l’autoroute A69, un surcoût estimé à près de 500 millions d’euros pour les finances publiques.
Cette proposition de loi arrêterait le développement des voies rapides en France, négligeant les besoins de mobilité croissants de la population. Ne vous en déplaise, tout le monde ne peut pas utiliser le vélo, la trottinette électrique ou le métro pour se déplacer. Dans les départements ruraux, des millions de Français sont obligés d’utiliser quotidiennement leur voiture. Les habitants du Castrais et du Mazamétain sont dans ce cas, qui attendent l’autoroute A69 depuis trente ans.
M. Sylvain Carrière (LFI-NFP). Au nom du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire, permettez-moi de vous remercier, madame la rapporteure, pour le travail que vous avez réalisé. Cette proposition de loi soulève une question d’intérêt général : faut‑il continuer à construire des autoroutes de manière désorganisée dans l’ensemble du territoire, au bon vouloir des sociétés concessionnaires, ou faut-il au contraire commencer à statuer, de façon démocratique et transparente, sur le caractère véritablement nécessaire de ces projets ?
C’est ce que propose le présent texte : statuer sur la nécessité des projets routiers et autoroutiers et sur le caractère démocratique des décisions dont ils ont fait l’objet. Alors que les transports sont à l’origine de 32 % des émissions de gaz à effet de serre, que 15 millions de personnes sont aujourd’hui en situation de précarité mobilité, qu’il existe déjà 1 million de kilomètres de routes, que le Haut Conseil pour le climat (HCC) alerte sur la non-prise en compte du trafic induit dans les études préalables, que l’Autorité environnementale alerte sur le caractère archaïque des critères environnementaux depuis vingt ans, et alors enfin que le fret ferroviaire est en cours de liquidation, les pouvoirs publics soutiennent et encouragent des projets écocidaires inutiles et extrêmement coûteux !
Pire, ils participent au mensonge d’État qui opacifie les externalités négatives de la route – la congestion, les maladies cardiovasculaires, la destruction des terres arables et de la biodiversité. C’est le cas de l’emblématique A69, projet d’envergure et inutile datant du siècle dernier, finalisé en 2006 par le lobbyiste Pierre Fabre, le ministre des transports de l’époque et le commissaire européen aux transports. Ce projet va détruire près de 400 hectares de terres agricoles fertiles et de zones humides. Il aveugle l’ensemble des soutiens politiques au prétexte qu’il pourrait avoir un effet positif sur l’économie locale, alors qu’un report modal pourrait se faire vers la ligne de chemin de fer existant déjà le long du tracé. De la même façon, la construction du contournement ouest de Montpellier réduirait à néant les bénéfices obtenus grâce aux efforts réalisés au sein de la métropole. Les habitants qui ne pourront plus se déplacer à cause de la zone à faibles émissions mais verront une autoroute construite dans leur jardin apprécieront.
Ce moratoire sur les projets routiers et autoroutiers vise à mettre un terme à ce chaos. Non, les nouvelles autoroutes ne sont pas des projets d’intérêt général. La question posée par cette proposition de loi est simple : êtes-vous pour la poursuite de ces projets inutiles qui ne prennent pas en compte les externalités négatives de la route – le collectif La Déroute des routes en recense plus d’une cinquantaine – ou voulez-vous appuyer sur le bouton pause, le temps que ces projets soient réévalués en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux ?
M. Peio Dufau (SOC). Je suis convaincu, après avoir assisté aux auditions organisées par la rapporteure pendant une semaine, qu’un moratoire sur les infrastructures routières doit être sérieusement étudié. Pour les experts interrogés, la politique actuelle du cas par cas est une non-politique qui continue de favoriser la route comme moyen de transport principal en France, rendant toujours plus difficile le développement d’alternatives. Au vu des engagements de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique, il est urgent d’agir pour arrêter la construction d’infrastructures routières.
Pendant l’examen du projet de loi de finances (PLF), notre groupe a défendu une vision centrée sur les transports du quotidien, sur le fret ferroviaire et sur la rénovation du réseau ferré, dans le but de favoriser un report modal massif de la route vers le rail. Cette vision est incompatible avec le développement de nouveaux projets d’aménagements autoroutiers qui renforcent encore la place du camion par rapport aux alternatives plus propres. Même si elle permet un gain de temps pour les utilisateurs dans un premier temps, chaque nouvelle autoroute ne fait que repousser le problème : ces infrastructures génèrent un trafic induit, qui annihile les efforts de décongestionnement et réduit les gains de temps. Pire : les experts montrent que les temps de transport ne baissent pas mais que les utilisateurs vont tout simplement plus loin et plus fréquemment. Le bilan carbone est donc largement défavorable.
Enfin, les avantages économiques avancés sont loin d’être systématiques et pourraient souvent être obtenus grâce à des stratégies différentes, basées sur des transports propres et des mesures ciblées. Nous devons collectivement affirmer que les grands projets autoroutiers appartiennent au passé. Cette proposition de loi peut servir de base à une réflexion sur un moratoire et nous pousser à travailler un certain nombre de mesures qui pourront transformer notre modèle de mobilité.
Il faut redéfinir les processus de décision concernant les grands projets d’infrastructures pour cesser de faire primer les prétendus gains de temps sur la préservation d’un monde vivable. Il convient aussi d’inscrire les infrastructures de transport dans une politique d’aménagement du territoire qui rompe avec l’étalement urbain, lequel condamne nos concitoyens à des trajets toujours plus longs. Des alternatives doivent être systématiquement étudiées et leur impact chiffré. Nous devons aussi créer un nouveau modèle de gestion des routes pour remplacer l’aberrant système des concessions autoroutières, qui remplit les poches d’acteurs privés tout en interdisant une vraie politique de taxation des transports routiers de marchandises. Enfin, une politique de financement des infrastructures ferroviaires doit être définie, notamment pour les petites lignes : sans celles-ci, nos concitoyens des zones rurales se retrouvent dépendants de la voiture pour leurs trajets quotidiens.
Nous espérons que cette proposition de loi ouvrira la voie à un travail en commun pour sortir du cercle vicieux du tout-routier, lequel expose notre société à des catastrophes écologiques dans les années à venir.
Mme Christelle Petex (DR). On pourrait aborder ce texte comme une proposition de loi d’appel, à l’image de ces amendements, souvent de guingois, dont les signataires eux-mêmes ne souhaitent pas forcément l’adoption et qui sont retirés avant le vote parce qu’ils n’ont pour but que d’ouvrir la discussion. Au fond, la justesse et la recevabilité des dispositions qu’ils proposent importent peu : l’essentiel, c’est l’exposé des motifs. Ils constituent un curieux renversement de notre pratique parlementaire mais ont le mérite, selon leurs défenseurs, de permettre l’évocation de sujets que l’on voudrait parfois taire.
Je préférerais supposer que cette PPL est ce type de texte, n’osant croire qu’autant de députés de la République souscrivent réellement au dispositif introduit en son article premier. Se trouve-t-il vraiment des dizaines de parlementaires pour adhérer à cette entreprise d’un simplisme confondant et d’un dirigisme révoltant mais qui, comme naguère, entend imposer ses vues les plus radicales au nom d’un d’idéal que l’on ne saurait contester ?
Ceux qui auraient à pâtir de l’application de ce moratoire comptent infiniment moins que la vertu dont peuvent se parer ses signataires. Les usagers de la route, les ruraux, les enclavés et les travailleurs en transhumance quotidienne paraissent bien loin, à la lecture de votre texte, madame la rapporteure. C’est étrange car, pour ma part, je les côtoie au quotidien ; ils sont nombreux, en tout cas en Haute-Savoie. Notre territoire est-il si différent des autres ? Je ne le crois pas.
Pour vous, le mieux serait peut-être que tous ces Français n’existent pas ; cela simplifierait grandement la tâche. Dans votre proposition de loi en tout cas, c’est tout comme : pas une seule fois il n’y est fait mention de ces Français-là. Vous prétendez faire la transition écologique pour le peuple mais vous la rêvez systématiquement sans lui. Les chiffres et constats que vous avancez pour justifier votre approche brutale sont bel et bien alarmants. Mais le déclin de notre biodiversité, auquel je suis particulièrement sensible, ne saurait servir de caution aux politiques les plus inégalitaires et aux projets les plus oublieux des réalités locales, plus souvent subies que souhaitées, qui font le quotidien des Français.
L’accessibilité des zones rurales enclavées, l’attractivité des territoires pour les entreprises, la lutte contre la congestion du trafic en zone urbaine, les conséquences brutales pour le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) : tout est passé sous silence. Ce sont sans doute pour vous des considérations secondaires. Avec mes collègues de la Droite républicaine, nous considérons à l’inverse que c’est précisément le juste équilibre entre l’ambition d’une politique publique et la nature de ses répercussions sur les conditions de vie des Français qui détermine le bien-fondé des propositions parlementaires ou gouvernementales. C’est avant tout pour cette divergence fondamentale que nous nous opposerons à ce texte.
Mme Marie Pochon (EcoS). « La bagnole, moi, je l’adore ! ». Voilà une déclaration un brin populo, bien irresponsable, tenue par le président de la République en septembre dernier. Plutôt que de mépriser la terre entière avec tant de démagogie, il aurait mieux fait de tout mettre en œuvre pour planifier la transition écologique du secteur des transports, responsable à lui seul de 32 % des émissions de gaz à effet de serre de la France – dont 95 % dus au seul transport routier – afin que chacun, dans ce pays, puisse se déplacer librement.
Pour vous, peu importe que les alertes écologiques et climatiques commandent de cesser les mégaprojets routiers. Avec 16,3 kilomètres de routes pour 1 000 habitants, notre réseau routier est pourtant déjà le plus dense au monde.
Peu importe que notre rythme d’artificialisation des terres naturelles riches en biodiversité soit le plus soutenu à l’échelle européenne, que l’on vole des terres agricoles au mépris de l’impératif de souveraineté agricole et alimentaire : après tout, demain, on pourra importer ce dont on a besoin du Brésil.
Peu importe, aussi, les chiffres glaçants de la fracture qui est en jeu : pendant que vous pérorez avec vos amis de la droite et de l’extrême droite sur le désenclavement à coups de kilomètres de bitume, 2 millions de voitures circulent sur les routes de France sans contrôle technique et 40 % des Français renoncent régulièrement à des rendez-vous, faute d’en avoir les moyens. Peu importe que nos jeunes et nos aînés ne puissent pas conduire, que nos campagnes soient condamnées au tout-voiture, que le prix des carburants, des réparations, de l’assurance flambe : qu’on puisse faire le plein ou pas n’est plus votre problème.
Au cours des vingt dernières années, vous avez sciemment décidé d’agrandir de 15 % le réseau routier et de démanteler d’autant le réseau ferroviaire : les transports en commun – trains, bus, navettes –, étaient moins prioritaires que vos petits deals bien mal ficelés avec Vinci ou Eiffage.
Chez moi, des touristes louent des voitures de course le week-end pour dévaler sur les routes sinueuses et sublimes du Vercors. Les habitants des villages qu’ils traversent, eux, ont dû s’organiser pour conduire bénévolement un véhicule à la demande afin d’emmener nos aînés à leurs rendez-vous médicaux dans la vallée.
Chez moi, on galère à installer de jeunes agriculteurs pour reprendre des fermes, tant les terres agricoles se font rares. Pourtant, on continue d’investir des montagnes d’argent public dans des projets absurdes décidés il y a trente ans, qui détruisent des hectares de terres agricoles fertiles pour gagner cinq minutes de temps de trajet.
Chez moi, les habitants demandent plus de démocratie : ils voudraient être écoutés, mais les procédures de consultation sont de moins en moins nombreuses. Et pendant qu’on déplore l’arrêt des financements pour le retour à l’emploi, l’accessibilité des logements, les associations de solidarité, on injecte l’argent du contribuable à coups de milliards dans des projets dépassés.
Nous saluons le texte ici proposé – avec ma collègue Christine Arrighi, nous avons d’ailleurs déposé une proposition de loi similaire – et le voterons donc, car il est un préalable nécessaire à toute politique écologique et sociale de service public de transport digne de ce nom, à l’opposé de la privatisation rampante du secteur routier, fait de routes payantes, de voitures individuelles, de crédits et d’assurances hors de prix, et de destruction écologique.
M. Mickaël Cosson (Dem). Je vous remercie de nous offrir l’occasion d’échanger sur les conséquences des infrastructures routières sur l’environnement et le climat, sujet qui mérite une attention particulière.
Les chiffres sont clairs : les infrastructures de transport sont responsables à elles seules de 28 % de l’artificialisation des sols, qui a augmenté de 72 % entre 1982 et 2018, et elles favorisent l’usage des véhicules individuels, responsables de 15,7 % des émissions de gaz à effet de serre. Au regard de l’urgence climatique, ce modèle d’expansion routière n’est évidemment plus tenable à grande échelle.
Cependant, l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) entraînera de fait, à terme, une réduction majeure du nombre de projets routiers, même si, à la demande de nombreuses collectivités, la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « climat et résilience » a été légèrement assouplie en 2023.
La liste des projets considérés d’intérêt général majeur, annexée à l’arrêté relatif à la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d’envergure nationale ou européenne d’intérêt général majeur, publié cet été, montre bien qu’il s’agit essentiellement de projets routiers, souvent très ciblés, que les collectivités tiennent à finaliser parce qu’elles savent combien ils sont attendus par leurs concitoyens. C’est le cas du contournement de Froidmont-Cohartille, dans l’Aisne, par la route nationale 12, de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, soutenue par les élus locaux de tous bords, et qui doit permettre de désenclaver une région éloignée des grands axes, ou encore du passage à deux fois deux voies de la RN12 entre Alençon et Paris, pour favoriser le développement économique de l’Orne. Il est essentiel de reconnaître que les collectivités territoriales, au plus proche du terrain, sont les mieux placées pour définir les priorités d’aménagement de leur territoire.
Au-delà des gains de temps qu’ils permettent, certains projets répondent à des enjeux locaux de sécurité et de qualité de vie. Par exemple, 4 000 à 5 000 poids lourds empruntent chaque jour la RN141 entre Limoges et Angoulême, un trafic source de nuisances et de dangers pour les habitants des villages traversés, comme Roumazières. Le taux de mortalité sur les routes nationales hors agglomération peut monter jusqu’à 59 %, contre seulement 9 % sur les autoroutes : le passage à deux fois deux voies d’un axe existant vise souvent à sécuriser les dépassements sur des routes très accidentogènes, donc à sauver des vies.
Si la sobriété des aménagements routiers est indispensable, un moratoire strict risquerait de pénaliser les territoires et de nuire à la sécurité de nos concitoyens. Aujourd’hui, ce sont bien les acteurs locaux qui décident de réaliser des aménagements routiers – souvent, d’ailleurs, à l’issue d’une réflexion de plusieurs années. Cette proposition de loi nous semble donc à la fois artificielle et irrespectueuse des élus locaux.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates ne la soutiendra pas.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Aujourd’hui, 53 % des émissions de GES sont liées à l’usage de la voiture, et les infrastructures routières entraînent une importante artificialisation des sols – en particulier des terres agricoles. Or un sol artificialisé devient un espace stérile pour la biodiversité, n’est plus en mesure de capter de CO2 et contribue directement au dérèglement du cycle de l’eau. Les conséquences dramatiques du transport routier sur l’environnement nous ont conduits à prendre, ces dernières années, des engagements et mesures forts pour développer davantage la multimodalité et les mobilités vertes au quotidien.
Le volet mobilités des contrats de plan État-région (CPER) pour les années 2023 à 2027 prévoit ainsi un engagement financier de l’État de 8,6 milliards d’euros, en hausse de 50 % par rapport au précédent CPER, dont plus des deux tiers sont consacrés au transport ferroviaire et aux transports collectifs. En particulier, les 800 millions d’euros consacrés aux services express régionaux métropolitains (Serm) doivent permettre d’améliorer la desserte des territoires et de définir une stratégie locale de déploiement des RER métropolitains. Pour la première fois, les CPER prévoient également un soutien de 200 millions d’euros aux véloroutes, pour favoriser la création d’infrastructures cyclables. Parallèlement, afin de favoriser les modes de transport décarbonés, l’enveloppe consacrée aux opérations routières a été réduite à 1,6 milliard d’euros, contre 3,3 milliards pour les années 2015 à 2022.
Le groupe Horizons et indépendants estime qu’imposer un moratoire de dix ans dans l’ensemble du territoire national reviendrait à faire fi des singularités et de la pertinence propres à chaque projet. Cela ne saurait se faire qu’au mépris des projets déjà engagés et des processus de décision à l’échelle locale.
Venez en Haute-Savoie, département de montagne très majoritairement rural, et en particulier dans ma circonscription très enclavée du Chablais : vous verrez que l’autoroute est indispensable pour y maintenir une dynamique économique et touristique, et y garantir la santé environnementale.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Comme vous, nous considérons que les grands projets autoroutiers ne doivent plus être la norme et que l’avenir doit se concentrer davantage sur le développement du ferroviaire et l’entretien du réseau existant. Mais si nous souscrivons à la nécessité de faire évoluer notre approche en matière de politique des transports, nous estimons que tout projet autoroutier n’est pas par nature mauvais et à bannir, et défendons une approche décentralisée : l’aménagement doit être pensé par et pour ceux qui vivent dans les territoires.
Ceux qui vivent dans les territoires périphériques le savent bien : la création d’une autoroute ou d’une route à deux fois deux voies est souvent le meilleur moyen de désenclaver les circonscriptions particulièrement isolées et d’en améliorer l’accessibilité, facteur déterminant pour soutenir le développement économique local. Ces projets peuvent aussi être bénéfiques pour les petites communes qui sont traversées par des axes empruntés par les poids lourds. Au-delà des nuisances sonores et de la pollution atmosphérique, ce trafic augmente le risque d’accidents pour les piétons et cyclistes.
Il n’en reste pas moins nécessaire de minimiser le nombre de projets routiers, et de tenir compte de leurs conséquences environnementales et du surcroît de trafic qu’ils induisent. C’est le rôle des évaluations socio-économiques et des études environnementales menées dans le cadre des déclarations d’utilité publique ou des déclarations d’autorisation environnementale, qui permettent de vérifier la pertinence d’un projet pour le territoire.
C’est en adoptant une approche pragmatique, en analysant au cas par cas les enjeux des projets, et en faisant confiance aux élus locaux et aux populations concernées que nous parviendrons à un aménagement pertinent et accepté localement. En l’état, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) ne soutiendra pas cette proposition de loi.
M. Édouard Bénard (GDR). À l’image du texte déposé par le groupe Écologiste et social à l’initiative de Christine Arrighi mi-octobre, cette proposition de loi s’inspire d’une proposition formulée dès 2022 par le collectif La Déroute des routes. Elle a le mérite de mettre en avant l’absence de politique nationale d’aménagement du territoire cohérente avec nos objectifs climatiques et les enjeux de préservation de l’environnement, et de souligner que la plupart des projets routiers et autoroutiers actuels répondent à des logiques totalement étrangères à l’intérêt général.
Je vais prêcher pour ma paroisse – ou plutôt, ma circonscription : il faut, surtout, trouver un dispositif qui permette de faire enfin entendre la voix des acteurs concernés au premier chef. Voilà bien trop longtemps que l’avis des élus locaux – maire, élus des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et de la métropole –, des agences environnementales, des acteurs économiques et des parlementaires opposés au pseudo-contournement est de Rouen est simplement consultatif.
Si on part du principe que les routes ne sont pas de simples infrastructures, mais répondent à des choix d’aménagement visant à pallier des organisations socio-économiques préjudiciables à la qualité de vie de nos concitoyens, l’idée d’instaurer un moratoire semble justifiée.
Néanmoins, cela empêcherait la réalisation de certains projets non autoroutiers répondant à des préoccupations d’intérêt général. L’élargissement de voies existantes, par exemple, peut avoir des conséquences moins préjudiciables pour l’environnement et la population que le statu quo ou le report de trafic vers d’autres axes routiers – je pense notamment au passage à deux fois deux voies de l’axe Rennes-Loudéac-Carhaix, ou encore de la route entre Montluçon, Moulins et Mâcon, particulièrement accidentogène. En outre, interrompre tous les travaux pendant dix ans et renoncer à l’exécution des autorisations déjà délivrées nécessiterait probablement l’indemnisation des bénéficiaires de ces autorisations par les collectivités publiques, sans que nous ayons une idée du montant en jeu. Enfin, comme mon collègue Jean-Victor Castor le fera sûrement remarquer s’agissant en particulier de la Guyane, ce texte ne prend pas en considération la réalité des mobilités propre à chaque territoire.
Il reste urgent d’imposer un débat public sur la planification des besoins en matière d’infrastructures de transport à l’échelle du pays et des collectivités territoriales. Nous devons également renforcer les moyens alloués à l’autorité environnementale pour garantir son indépendance. Enfin, il faut prendre davantage en considération les connaissances scientifiques en amont des autorisations, et impliquer davantage les citoyens, notamment à travers la généralisation de la médiation environnementale.
Désireux que le débat sur tous ces sujets puisse se tenir dans l’hémicycle dans le cadre de la niche de la France insoumise, nous voterons pour cette proposition de loi.
M. Éric Michoux (UDR). Cela ne vous surprendra pas, le groupe UDR s’oppose résolument à cette proposition de loi outrancière, caricaturale, et démagogique – à l’image de la France insoumise, en somme.
Je vais parler avec mon cœur : certains territoires de la Bourgogne, comme le Brionnais ou le Charolais, sont particulièrement enclavés. Sans l’énorme projet engagé il y a trente ans, et qui ne sera pas achevé avant au moins dix ans, des dizaines de milliers de personnes ne pourraient y vivre aujourd’hui. Tout le monde déplore la désertification, notamment médicale, dans les territoires ruraux : justement, heureusement que ces gros projets existent ! On n’est pas ici pour écrire la politique des trottinettes, mais pour faire vivre les territoires ruraux. On se battra contre votre proposition de loi idéaliste.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Je tiens à remercier la rapporteure de défendre l’idée d’un moratoire sur les projets autoroutiers. En tant que députée du Tarn, permettez-moi de revenir sur le cas, emblématique, de l’A69.
Certains, ici, osent justifier ce projet au nom d’une stabilité juridique, sociale et économique. Mais comment parler de stabilité juridique, alors que plusieurs nous sommes en présence de sujets aussi graves que des atteintes à des sites classés, de faux et usages de faux, d’irrégularités dans la durée du contrat de concession ? Comment parler de stabilité sociale quand 90 % des participants à l’enquête publique sont opposés à ce projet, que seuls 22 % des élus et 4 % des entreprises soutiennent ? Comment parler de stabilité économique quand il en coûtera 20 euros l’aller-retour aux travailleurs d’emprunter ce tronçon de 53 kilomètres, pourtant largement financé par de l’argent public, et que nos agriculteurs ont été spoliés de 400 hectares de terres fertiles ? S’agit-il ici d’assurer plus de stabilité, ou juste de défendre des intérêts économiques privés ? Madame la rapporteure, que pensez-vous d’incohérences aussi flagrantes ?
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Je voudrais évoquer un cas d’école : le contournement ouest de Montpellier, une autoroute de 6 kilomètres visant à relier les deux autoroutes existantes, l’A750 et l’A709, en passant par Montpellier. Issu d’un partenariat entre l’État et Vinci, ce projet, qui ne compterait pas moins de dix voies, est d’abord un désastre écologique. Cela n’a pas empêché la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Occitanie de conclure audacieusement, dans son étude d’impact, à des conséquences positives sur le climat et la baisse des émissions de CO2 – on parle pourtant, je le répète, de faire passer tout le trafic routier par la métropole de Montpellier !
Ce projet est le fruit de politiques vieilles de trente ans : soyons ambitieux et tournons-nous plutôt vers des alternatives écologiques, en renforçant les investissements dans les politiques de transports publics.
Il y a également un enjeu de transparence.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Pour ma part je ne parlerai pas avec mon cœur mais avec ma tête, c’est-à-dire en m’attachant aux données scientifiques, qui attestent un effondrement de la biodiversité et confirment que nous avons déjà dépassé six des neuf limites planétaires.
D’autres, en Europe, se sont déjà engagés dans cette voie : le vice-ministre de l’économie et des transports du Pays de Galles a décidé d’abandonner la construction de projets routiers et autoroutiers jugés totalement irresponsables, et les autorités suisses organiseront prochainement un référendum sur l’abandon ou, à tout le moins, la suspension, de tels projets.
Ces projets sont fondés sur des études et une vision du monde vieilles de plus de vingt ans. Sans renoncer à tout, il est donc temps, en responsabilité, de réexaminer leur pertinence.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Les exemples cités par Mme Erodi et Mme Oziol illustrent bien toute l’absurdité de ces projets pensés à une autre époque, et qui ne sont plus du tout adaptés au contexte actuel – ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’acceptabilité par la population.
Comme Mme Arrighi l’a souligné, d’autres pays européens, comme le Pays de Galles ou les Pays-Bas, ont décrété des moratoires pour engager une réflexion sur leur politique routière.
Monsieur Marchio, vos propos me confirment que vous ne m’avez pas bien écoutée et que vous n’avez même pas jeté un œil à mon rapport : ce texte ne vise pas à empêcher le développement économique des territoires, mais, au contraire, à y améliorer la qualité de vie. Contrairement à une croyance très répandue qui nous vient de l’époque pompidolienne, il n’y a pas de lien entre le développement de l’activité économique et la présence de grosses infrastructures routières : au contraire, les urbanistes et les économistes des transports ont montré que les grands axes avaient plutôt tendance à vider l’activité économique des villages et petites villes au profit des grosses agglomérations, et nous le constatons tous dans nos territoires. C’est donc justement pour améliorer les conditions de vie de nos concitoyens des zones rurales, condamnés à utiliser leur voiture, que nous proposons de développer ou renforcer d’autres types de mobilités, comme le ferroviaire. Faute de changer de paradigme, on fonce droit dans le mur de la métropolisation à outrance – c’est-à-dire, d’une certaine manière, dans le déménagement pur et simple de certains territoires.
Monsieur Terlier, l’A69 ne constitue absolument pas le cœur de mon rapport – vous non plus n’avez pas dû le lire très attentivement : ce n’est que le point de départ de ma réflexion. Cet exemple est emblématique de ce qu’on ne peut plus faire : tous les voyants étaient au rouge ! Pas moins de 2 000 scientifiques ont appelé à arrêter le massacre, ce n’est pas anodin. Nous devons vraiment apprendre à écouter davantage la communauté scientifique.
Quoi qu’il en soit, vous en parlez comme d’un chantier achevé, mais c’est loin d’être le cas : les nombreux problèmes rencontrés ont entraîné de gros retards – encore récemment, on a découvert qu’un pont n’était pas construit au bon endroit, et il a fallu tout recommencer –et à peine la moitié du projet a été réalisée à ce stade. Bref, on n’est pas rendus !
Par ailleurs, sans préjuger de l’avis du Conseil constitutionnel, l’existence d’autorisations déjà délivrées ne fait a priori pas obstacle à la constitutionnalité du texte. Le Conseil constitutionnel l’a lui-même rappelé par le passé, arguant par exemple dans sa décision du 17 septembre 2015 relative à la mise sur le marché de produits contenant du bisphénol A, qu’il « n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances, les dispositions prises par le législateur ». Au reste, la proposition de loi vise à préserver l’environnement, un motif d’intérêt général jugé suffisant pour justifier sa constitutionnalité.
Contrairement à ce que vous semblez penser, les mesures compensatoires des atteintes à la biodiversité, lorsqu’elles sont effectivement réalisées – les auditions ont montré qu’elles ne l’étaient que dans un tiers des cas – sont loin d’avoir des résultats fabuleux. Selon l’ingénieur écologue Jacques Thomas, rencontré ce week-end au château de Maurens-Scopont, où je me suis rendue ce week-end avec Karen Erodi, elles peuvent même être totalement inopérantes si le fonctionnement de l’écosystème détruit – en l’espèce, une zone humide – a été mal compris. Vous qui vivez dans ce territoire, monsieur Terlier, vous n’aurez pas manqué de remarquer l’importante inondation apparue le long du tracé il y a quelques semaines : un phénomène inédit à cet endroit, qui n’est évidemment pas étranger au terrassement et au remblai de cette zone.
Monsieur Carrière, monsieur Dufau – que je remercie tout particulièrement d’avoir suivi avec assiduité les auditions –, vous avez parfaitement résumé les enjeux de la proposition de loi : le développement des mobilités durables implique nécessairement d’arrêter le développement du réseau routier. Il faut investir dans autre chose, réfléchir autrement.
Comme vous l’avez souligné à juste titre, le gain de temps est le premier argument mis en avant pour justifier les gros projets d’infrastructures routières. Or les chercheurs sont unanimes : elles ne permettent pas de diminuer les temps de transport, mais seulement, dans le même laps de temps, d’aller plus loin. Comme je l’expliquais tout à l’heure, elles ne font donc que renforcer la désertification. En outre, en raison du contexte géopolitique, qui complique l’accès à la ressource énergétique, et du réchauffement climatique, la vitesse sur les routes sera certainement encore abaissée dans les années à venir, rendant cet argument caduc.
Madame Petex, nous ne faisons pas le même diagnostic de la situation, mais cela ne vous autorise pas à m’accuser de mépriser les populations. Je suis convaincue que l’organisation routière de notre pays condamne une partie des Français à utiliser leur voiture, alors même qu’elle représente un gouffre financier pour 79 % d’entre eux. Refuser de s’interroger sur la politique des transports actuelle et de développer une autre vision, c’est les condamner à subir cette situation.
Vous êtes nombreux à arguer que ces projets sont nécessaires localement. Tout le monde a beau s’accorder sur le fait qu’il faut diminuer l’usage de la voiture individuelle, réduire le trafic des poids lourds et tenir compte du changement climatique mais, en réalité, il y a toujours une bonne raison de réaliser un projet routier ! Sauf que ces projets, pensés il y a trente ou quarante ans, souvent sur la base de croyances erronées, sont généralement synonymes de promesses non tenues. Par exemple, le contournement de Strasbourg, inauguré en 2021, devait permettre de fluidifier le trafic : las, dès le lendemain de son inauguration, il était déjà saturé. Cette infrastructure a finalement conduit à une augmentation générale du trafic, notamment à cause du trafic induit.
Sans une politique globale qui prenne en compte tous les enjeux, nous sommes voués à perpétuer un système qui ne fait que déménager les territoires vers les plus grandes villes et consacre la prééminence des véhicules et de leur cohorte de conséquences négatives – pollution, émissions de gaz à effet de serre, utilisation faramineuse de matière, artificialisation de terres agricoles, naturelles, zones humides, destruction d’écosystèmes précieux. Le réchauffement climatique dépassera bientôt 1,5°, il atteindra 4° à l’horizon 2100. En France, en particulier, il est encore plus rapide que prévu. Pour des raisons écologiques, économiques et sociales, il est urgent d’engager une réflexion globale pour rendre nos mobilités plus vertueuses à l’avenir – d’où cette proposition d’instaurer un moratoire.
Madame Pochon, je vous remercie d’avoir souligné les difficultés rencontrées par les habitants des zones rurales, qui subissent la désertification de leur territoire et voient le réseau ferroviaire se réduire peu à peu alors qu’ils croulent sous les frais liés à l’utilisation de leur voiture – c’était un excellent contrepoint à l’intervention de Mme Petex. Il est important, vous l’avez dit, de préserver les terres agricoles. Or, en asséchant les sols à des kilomètres à la ronde, la construction d’une autoroute a des conséquences majeures sur l’activité de nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire.
Monsieur Cosson, la construction d’une infrastructure plus grande et plus rapide, comme une autoroute, ne saurait être la seule réponse à l’enjeu de sécurité routière : d’autres aménagements permettent de limiter le nombre d’accidents, comme l’installation d’un séparateur entre les deux voies de circulation. D’ailleurs, les accidents de la route sont avant tout dus au comportement des conducteurs – 32 % sont dus à une vitesse excessive, 29 % à la consommation d’alcool, sans parler de la consommation de drogue et du défaut de port de la ceinture de sécurité.
Madame Violland, non seulement les investissements dans le ferroviaire et les infrastructures dédiées au vélo sont globalement insuffisants par rapport aux besoins, mais l’État est en train d’abandonner le fret, ce qui provoque la mobilisation actuelle des cheminots – que je salue à cette occasion. Vous avez raison de dire que l’État investit moins pour la route, mais c’est parce qu’il a transféré la gestion d’une énorme partie du réseau routier aux collectivités territoriales et celle des autoroutes à des concessionnaires. Quoi qu’il en soit, je reste persuadée que si l’on continue à développer des projets routiers sans faire de pause, on ne peut pas penser un réseau ferroviaire de qualité, destiné à se substituer en partie au réseau routier pour avoir un système de mobilités durable dans le temps.
Monsieur Lenormand, c’est bien parce que tout projet n’est pas forcément négatif que je propose un moratoire et non pas une interdiction, afin de nous situer dans une perspective globale au lieu de poursuivre la réalisation de chantiers qui nous envoient droit dans le mur parce qu’ils ont été conçus il y a trop longtemps et qu’ils sont inadaptés à la situation actuelle. Appuyons sur pause et regardons. Certains projets se révéleront peut-être nécessaires, en complément d’une politique de transports collectifs digne de son nom. Mais commençons par appuyer sur pause parce que nous sommes allés trop loin en matière de projets routiers et autoroutiers. Quant à l’évaluation socio-économique, il en a été beaucoup question lors de nos auditions. Comme je l’ai déjà indiqué, le SGPI et l’Autorité environnementale s’interrogent sur la pertinence des critères utilisés pour ces évaluations et vont même jusqu’à les remettre en cause : le fameux critère de gain de temps écrase tout le reste ; il est d’autant plus compliqué de monétiser les enjeux environnementaux qu’ils sont toujours mal évalués par manque de moyens. Si je me réfère aux propos tenus par les représentants de ces institutions lors des auditions, je peux en conclure que l’on ne peut pas s’appuyer sur les évaluations socio-économiques pour déclarer qu’un projet est vertueux.
Monsieur Bénard, merci beaucoup de permettre le débat malgré les dissensions qui peuvent exister entre nous. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis favorable à l’amendement de notre collègue Jean-Victor Castor sur la Guyane car j’ai bien conscience que ce territoire très particulier a besoin de routes, notamment pour des raisons de sécurité et de santé publique. La situation de la Guyane n’a rien à voir avec celle de la France hexagonale qui possède 1,1 million de kilomètres de linéaire routier, soit le réseau le plus dense d’Europe.
Monsieur Michoux, votre propos était particulièrement outrancier et un peu désobligeant. Je vais moi aussi vous parler avec mon cœur. Quand je vois les inondations catastrophiques qui ont frappé la région de Valence, cela ne me fait pas rire. En raison du réchauffement de la Méditerranée, de tels événements vont se multiplier, y compris chez nous. Nous avons tous vu les voitures amoncelées, les maisons détruites, les commerces balayés. La catastrophe a fait plus de 200 morts, et certaines personnes sont encore portées disparues. Or le réseau routier est impliqué à un double titre : il a sa part dans le réchauffement climatique qui provoque les pluies diluviennes ; il joue un rôle dans l’imperméabilisation des sols qui transforme ces pluies en inondations catastrophiques. Réfléchissons. Dans le contexte actuel, nous ne pouvons pas continuer à détruire des terres agricoles et naturelles pour construire du bitume et accroître l’imperméabilisation.
J’espère, chers collègues, vous avoir convaincus.
Article 1er : Moratoire sur les projets de construction d’autoroutes et de routes à deux fois deux voies
Amendements de suppression CD1 de M. Nicolas Ray, CD2 de Mme Danielle Brulebois, CD3 de M. Emeric Salmon, CD4 de M. Timothée Houssin, CD8 de M. Emmanuel Blairy, CD15 de M. Pierre Meurin, CD17 de M. Matthieu Marchio, CD22 de M. Jean Terlier, CD24 de M. Frédéric-Pierre Vos, CD31 de M. Emmanuel Fouquart et CD32 de M. Stéphane Mazars
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je vous informe que ces amendements de suppression seront mis aux voix par scrutin avec appel nominal.
M. Nicolas Ray (DR). Plutôt que de les opposer, nous devons chercher à combiner tous les modes de transport, qu’ils soient routiers, ferroviaires, aériens ou maritimes. Votre proposition de loi ne suit pas cette logique car, extrêmement idéologique, elle fait de la route l’incarnation du mal absolu. Les infrastructures routières restent indispensables pour le désenclavement et le développement de nos territoires, pour permettre à nos populations de circuler et à nos entreprises d’être livrées, de commercer. Il faut bien sûr développer le fret ferroviaire, mais nous aurons toujours besoin de transports routiers pour le dernier kilomètre.
Nous devons aussi terminer les contournements, notamment celui de Vichy, qui sont indispensables pour désengorger certains axes dans les cœurs urbains. Nous devons aussi améliorer la sécurisation de notre réseau routier avec la mise à deux fois deux voies de certains axes comme la RN7 dans l’Allier et la Loire. C’est à notre grande satisfaction que l’autoroute A79 a été réalisée pour remplacer la fameuse route Centre-Europe Atlantique (RCEA) qui faisait de nombreux morts chaque année dans nos départements. Pour toutes ces raisons, je propose de supprimer cet article qui ne ferait que retarder des projets indispensables pour le désenclavement de nos territoires.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Les autoroutes, qui font partie de la vie des Français, méritent plus que des raccourcis ou des débats simplistes. L’autoroute A39, par exemple, permet à beaucoup de Jurassiens d’aller au travail ou de faire leurs courses, et à l’activité économique de se développer dans la région. Rappelons aussi qu’il y a cinq fois moins d’accidents sur les autoroutes que sur les routes nationales ou départementales. Façonné il y a près de soixante-dix ans, ce modèle a beaucoup évolué, notamment en ce qui concerne les relations entre l’État et les acteurs autoroutiers.
À cet égard, la proposition de loi ne permet pas de discuter des actuels contrats de concession qui vont arriver à échéance entre 2031 à 2036. Le moratoire empêcherait la réalisation de travaux utiles, notamment dans le Jura où 2 500 camions traversent encore nos villages sur une nationale. Le prolongement de l’autoroute A391 permettrait l’accès au premier plateau jurassien et l’amélioration de la desserte du Haut-Jura – territoire très industriel – et des liaisons avec la Suisse, ce qui est indispensable. D’où mon amendement.
M. Emeric Salmon (RN). Pour ne pas être redondant avec la très bonne intervention liminaire de mon collègue Marchio, je vais vous parler de la Haute-Saône, un département sans gare TGV ni autoroute. À sa frontière avec le Doubs et le Territoire de Belfort, une ligne TGV et une autoroute relient Besançon à Belfort, en le longeant et en le narguant un peu. Résultat : la Haute-Saône perd des habitants, peine à attirer des entreprises et se développe au ralenti depuis de nombreuses années. Pour que le corps social de la Haute-Saône se structure, il faut un squelette, en l’occurrence les deux routes nationales, la RN 19 qui va de Langres en Haute-Marne à Belfort, et la RN 57 qui va d’Épinal dans les Vosges à Besançon. Malheureusement, plusieurs tronçons de ces deux routes nationales ne sont pas finalisés et sont toujours des deux fois une voie, notamment entre Vesoul et Lure, où la RN19 traverse les villages de Pomoy, Genevreuille et Amblans-et-Velotte. Les habitants, qui s’entendent promettre le contournement de ces trois villages depuis plus quarante ans, appellent ce tronçon « la route de la mort ». Avec votre proposition de loi, vous voulez tuer la ruralité en empêchant un développement économique. Je demande donc la suppression de cet article.
M. Timothée Houssin (RN). Cet article exige l’arrêt total des constructions d’autoroutes et des routes deux fois deux voies en France. Certains projets peuvent certes être nocifs et laisser sceptique, comme celui qui prévoit le contournement de Rouen par l’est grâce à la construction d’une nouvelle autoroute à péage de 40 kilomètres, qui va coûter 1 milliard d’euros d’argent public. Mais la proposition de loi de LFI, qui veut empêcher tout développement d’infrastructures, pèche par sa radicalité. Au RN, nous préférons un équilibre entre préservation de l’environnement et développement économique. Dans mon département de l’Eure, le projet de deux fois deux voies entre Évreux et les Yvelines, qui coûtait 200 millions d’euros pour gagner 2,30 minutes, a été annulé, ce qui relève du bon sens. En revanche, la proposition de loi de LFI est extrémiste, radicale, caricaturale au point que l’on peut se demander si elle est vraiment sérieuse. Elle interdit aveuglément tous les projets, y compris ceux qui sont utiles comme il peut y en avoir dans l’Orne ou dans la Haute-Saône de mon collègue Salmon. Vu le manque de sérieux de cette proposition, il ne nous semble pas nécessaire de l’étudier davantage : nous vous proposons de supprimer l’article 1er.
M. Emmanuel Blairy (RN). Nous aurions pu mettre 1 000 propositions sur la table, madame la rapporteure, pour parler de protection de la biodiversité, de lutte contre le réchauffement climatique et même de mobilité. La vôtre est coercitive, voire punitive. Du parti communiste au Rassemblement national, nous prêchons tous pour nos petites paroisses qui, à elles toutes, constituent la France. Quand vous avez indiqué que vous étiez favorable à l’adoption de l’amendement de Jean-Victor Castor qui vise à exclure la Guyane du champ d’application de ce texte, j’ai vu mes collègues de la Haute-Saône, des Bouches-du-Rhône, du Var, de l’Oise penser qu’ils ne voulaient rien d’autre pour leurs propres territoires. Excluons les territoires ruraux et même la France entière du champ d’application de ce texte brutal. Il est temps de penser aux Français qui vivent hors des grandes métropoles et qui ont besoin de ces routes pour vivre, travailler, prospérer. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
M. Pierre Meurin (RN). Madame la rapporteure, vous avez dénoncé une forme d’outrance dans certains propos, mais quoi de plus outrancier que cette proposition de loi ? C’est curieux ce besoin qu’a l’extrême gauche de nous faire perdre du temps avec des folies idéologiques sans la moindre nuance et mesure. Considérant qu’un automobiliste est condamné à l’usage de la voiture, vous allez condamner les habitants de la ruralité à faire trente kilomètres par jour à vélo pour aller au travail. Contrairement à ce que vous avez indiqué sur la sécurité, les infrastructures routières sont responsables d’un tiers des accidents mortels. Nous devons pouvoir agrandir nos routes et en construire de nouvelles. Dans mon département du Gard, la route nationale N106, une deux fois deux voies qui relie Alès à Nîmes, attend des travaux d’achèvement depuis près de trente ans. Alors que quelque 20 000 véhicules, dont 1 300 poids lourds, y circulent déjà chaque jour, ce nombre devrait atteindre 45 000 dans les années à venir. Si vous êtes attachée à la défense de l’environnement, vous devriez être favorable à ce qui permet de fluidifier le trafic car les bouchons accroissent la pollution. Il faut donc envoyer ce texte aux oubliettes. Par pitié, essayez d’arrêter de nous faire perdre du temps avec des propositions de loi parfaitement idéologiques qui condamnent nos territoires à l’enclavement et l’enfermement. Commençons par supprimer cet article.
M. Matthieu Marchio (RN). Les routes et autoroutes sont essentielles pour nos territoires. Vous proposez en quelque sorte d’enfermer nos concitoyens dans leurs villages, de les contraindre à vivre repliés sur eux-mêmes. C’est assez insensé ! Dans mon département du Nord, beaucoup de gens ont besoin de prendre une autoroute pour aller à Lille, ou d’emprunter l’autoroute A21, dite la rocade minière, pour aller travailler à Douai. Doivent-ils se déplacer à vélo ou en trottinette ? Même la gauche locale est favorable à la construction d’un nouvel échangeur sur l’autoroute A21, avec 350 emplois à la clef, pour désengorger un tronçon qui est toujours bloqué aux heures de pointe. Vous allez évidemment condamner un tel projet, ce qui est assez farfelu et contradictoire avec la position de la gauche locale – mais vous n’êtes pas à une contradiction près. Je demande évidemment la suppression de cet article qui nous renvoie au Moyen Âge par pure idéologie.
M. Jean Terlier (EPR). Assumez que cette proposition de loi est un texte contre l’autoroute A69, citée à plus de dix reprises dans l’exposé des motifs. Vous prétendez que le chantier n’ira pas à son terme alors que plus de 80 % des ouvrages sont en cours et que le concessionnaire annonce que l’ouverture de l’autoroute aura lieu fin 2025. Lors de la commission d’enquête, nous avons pu vérifier que les mesures compensatoires environnementales seraient respectées dans le cadre d’un suivi et d’un contrôle réalisés par l’État.
Votre proposition de loi est inconstitutionnelle. Le Conseil constitutionnel exige que la mesure envisagée soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant et proportionné à l’objectif poursuivi. Et selon la jurisprudence, il n’est pas possible de retenir une disposition consistant à priver instantanément de tout effet une autorisation délivrée légalement.
Votre proposition de loi, profondément antidémocratique, témoigne d’un mépris envers les populations locales. Depuis trente ans, les habitants de ce territoire du sud du Tarn et leurs représentants soutiennent massivement l’arrivée de cette infrastructure autoroutière : les élus locaux, la communauté d’agglomération Castres-Mazamet, le conseil départemental, la région Occitanie présidée par Carole Delga – je le signale aux collègues socialistes qui pourraient être tentés de voter pour cette proposition de loi. L’autoroute A69 a aussi été au cœur des débats lors des dernières législatives, et le candidat de la France insoumise, opposé au projet, est arrivé en troisième position.
Votre proposition de loi témoigne aussi d’un mépris de l’État de droit. Le projet a fait l’objet de plusieurs dizaines de recours demandant la suspension de la déclaration d’utilité publique ou de l’autorisation environnementale. À chaque fois, le tribunal administratif a estimé qu’il ne fallait pas suspendre les travaux. À travers votre moratoire, vous cherchez à contourner l’institution judiciaire, manifestant ainsi votre mépris de l’État de droit. Comme vous le savez très bien, des concertations ont eu lieu dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et l’état d’enclavement a été reconnu par le Conseil d’État lors du recours au fond.
M. Frédéric-Pierre Vos (RN). Le collègue Terlier m’a enlevé une partie des arguments de la bouche. Vous voulez rejouer le match perdu devant les juridictions administratives. Sur Légifrance, vous trouverez le décret de 2018 avec la liste entière des organismes consultés en amont, y compris lors de l’enquête publique. La commission d’enquête et la Commission nationale du débat public (CNDP) ont émis un avis favorable. Le tout a été validé par ce décret pris en Conseil d’État. Vous êtes très intelligents, mais vous ne pouvez pas revenir sur tout le processus mis en place dans ce pays depuis plus de cinquante ans concernant l’impact de constructions sur l’environnement. Lors des enquêtes précitées, tous les arguments ont été échangés de part et d’autre sur le biotope et autres, avant le lancement des procédures d’expropriation. En application d’un principe général du droit, ces procédures d’expropriation sont d’ailleurs indépendantes de ce que vous voulez supprimer par votre moratoire : l’autorisation environnementale. Tous les recours devant le juge administratif ont effectivement été rejetés, mais, le 25 novembre prochain, le tribunal administratif de Toulouse va examiner la légalité de l’autorisation environnementale de l’autoroute A69. À partir de la semaine prochaine, vous pourrez consulter les conclusions du rapporteur public sur le site du tribunal administratif. En attendant, je vous invite tous à voter pour la suppression de cet article 1er qui est inconstitutionnel, délétère et infantile.
M. Emmanuel Fouquart (RN). Je propose de supprimer cet article qui revient à interdire toute construction de routes et d’autoroutes jusqu’en 2035. Il est certes louable de vouloir préserver la biodiversité et lutter contre l’artificialisation des sols, mais cette interdiction générale et absolue serait contre-productive : elle compromettrait les engagements de l’État dans les CPER et paralyserait les déplacements, notamment dans les zones industrialisées où le trafic routier continue de croître.
Prenons un exemple probant : le projet de contournement de Martigues et Port-de-Bouc, deux villes dirigées par le parti communiste depuis l’après-guerre. Identifiée comme indispensable depuis quarante-cinq ans, cette RN 568, une deux fois deux voies, est empruntée quotidiennement par 70 000 véhicules, dont un grand nombre de camions transportant des matières dangereuses qui traversent des quartiers sensibles et passent à proximité d’établissements scolaires. Ce trafic expose une partie des deux villes à des risques d’accidents et à une pollution sonore nocive – en moyenne 75 décibels. Inutile de dire que cette situation nuit gravement à la sécurité des habitants et à leur qualité de vie.
La suppression de cet article est d’autant plus justifiée que la région connaît un développement économique significatif, soutenu notamment par des projets de décarbonation industrielle dans la zone portuaire de Fos-sur-Mer, gérée par le grand port maritime de Marseille. Ces initiatives vont créer des milliers d’emplois et augmenter le trafic routier dans des proportions qui ne pourraient être absorbées par les alternatives ferroviaires proposées. Par conséquent, l’interdiction générale de construction routière mettrait en péril le développement industriel et écologique de ces territoires. La suppression de l’article 1er permettrait de concilier sécurité, développement économique et réduction des pollutions, autant d’objectifs que la proposition de loi s’est pourtant fixée.
M. Stéphane Mazars (EPR). Madame la rapporteure, j’aimerais vous convaincre que par certains aspects tels que l’enclavement, l’Aveyron est un peu la Guyane de l’Hexagone. Vous opposez les transports routiers et ferroviaires. Si je pouvais me rendre à Paris, Toulouse ou Montpellier de manière fiable et rapide par le train, je trouverais cela très bien. L’ennui, c’est que j’en suis loin. En temps de déplacement par le train, Rodez est le chef-lieu de France hexagonale le plus éloigné de Paris et aussi des capitales régionales.
Au-delà de l’enclavement de notre département, synonyme de déclin économique et démographique, il faut raisonner en termes d’aménagement du territoire, donc de création de voies de communication qui permettent aux gens de se déplacer. Mais si un seul argument pouvait trouver grâce à vos yeux, madame la rapporteure, retenez celui de l’accidentalité du tronçon de la RN88 qui relie Rodez et Sévérac-le-Château et à l’autoroute A9, qu’il faut mettre en deux fois deux voies. En cinq ans, de 2019 à 2023, on a déploré plus de quatre-vingts accidents sur ce linéaire de cinquante kilomètres, qui ont fait dix-sept morts et soixante blessés. Allez expliquer aux familles endeuillées que nous pouvons attendre encore dix ans avant d’envisager les travaux, alors que le projet fait l’unanimité de tous les acteurs locaux.
Nous sommes confrontés depuis trente ans à un vrai déni de démocratie locale. Ayez une lecture singulière pour chacun des projets et ne partez pas d’une position de principe à l’égard de territoires qui ne sont pas appréhendés comme ils devraient l’être.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Vos propos corroborent l’idée que je défends : tous les projets ne sont pas bons à jeter, mais il faut arrêter de ne penser qu’en termes d’enjeux locaux et chercher à développer une vision globale. Quant à dire que l’Aveyron serait un peu la Guyane de l’Hexagone, il ne faut pas exagérer. Le réseau routier de l’Aveyron fait 15 000 kilomètres quand celui de la Guyane – un territoire grand comme le Portugal – en compte 2 200. Nous sommes d’accord sur la nécessité de développer le rail, mais, et je ne sais plus comment le dire pour me faire comprendre, tant que l’on continuera à investir dans de nouveaux projets routiers comme ceux-là, on ne pourra pas développer un réseau ferroviaire.
Quant à nos collègues du RN, je les renvoie à leurs caricatures. Ils sont manifestement venus pour faire une vidéo puisqu’ils continuent à dérouler des arguments auxquels j’ai déjà répondu.
La proposition de loi défend un moratoire sur les grands projets routiers et autoroutiers sur la base des arguments suivants : l’absence de pilotage de la politique des transports routiers ; des décisions d’utilité publique prises sur des bases socio-économiques vieilles de trente ou cinquante ans, qui sont obsolètes car elles négligent notamment les impératifs climatiques et la biodiversité ; l’atteinte à la santé humaine. À cet égard, cher collègue Meurin, je ne peux plus rien pour vous si vous ne comprenez pas que le fait de déplacer la pollution ne la fait pas diminuer, bien au contraire, en raison du trafic induit.
Monsieur Terlier, l’État de droit, vous vous en souciez quand cela vous arrange. Lors de l’audition de Philippe Ledenvic, l’ancien président de l’Autorité environnementale, nous avons précisément évoqué la longueur des procédures judiciaires et le caractère non suspensif des recours. Résultat : en cas de jugement défavorable, les dégâts sont déjà faits. Au printemps dernier, le tribunal administratif d’Amiens a ainsi annulé l’autorisation accordée pour une route, mais celle-ci était déjà construite. Les dégâts étant irréversibles, cela vaut le coup de repenser ces procédures. Tout cela plaide en faveur du moratoire que je propose. À ceux qui font semblant de ne pas comprendre, je rappelle qu’un moratoire est une pause et non une interdiction. Si l’on voulait bien s’en donner la peine, cela pourrait être passionnant et enthousiasmant de réfléchir à la politique de mobilité et d’aménagement du territoire des années à venir.
J’émets évidemment un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Au vu des nombreuses demandes, je vais donner la parole à un seul orateur par groupe.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je remercie Mme la rapporteure pour son plaidoyer, qui est celui de l’intelligence et de l’avenir. Le titre de cette proposition de loi exprime bien qu’elle vise à instaurer un moratoire sur les projets routiers et autoroutiers, ce qui signifie que ne sont remis en cause ni l’entretien du réseau entier et autoroutier existant ni la pertinence des différents projets, mais que, puisque ces projets s’inscrivent dans le temps long, du fait tant des procédures que du désengagement de l’État – lequel a préféré confier le réseau à des concessions autoroutières –, nous pouvons, au bout de trente, quarante ou cinquante ans, nous poser pour réfléchir. À nous, politiques, de réexpertiser l’ensemble de ces projets à l’aune de critères de 2024, compte tenu notamment du dérèglement climatique et de ses conséquences sanitaires et budgétaires, dans le contexte très contraint d’aujourd’hui. Dire que nous allons continuer à entretenir et développer notre réseau routier de 1,1 million de kilomètres, alors même que les routes nationales, par exemple, sont très dégradées, est tout à fait irréaliste dans le contexte budgétaire actuel.
Nous pouvons aussi nous poser pour penser que, si nous avons besoin de voitures pour assurer la mobilité dans les zones rurales, nous avons aussi besoin de projets d’infrastructures lourds dans le domaine du ferroviaire et de projets systémiques au niveau des métropoles, comme les Serm, les services express régionaux métropolitains. À défaut d’être complètement sensibilisé à la question écologique, on peut au moins l’être à la question financière : nous n’aurons pas les moyens de financer à la fois l’entretien de l’existant – notre réseau ferroviaire est le plus vieux d’Europe – et le développement d’autres projets si nous ne prenons pas le temps politique de nous poser pour réfléchir à l’avenir de nos mobilités.
Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Cette série d’amendements de suppression communs à des groupes qui vont des macronistes au Rassemblement national s’appuie sur des arguments très faibles. Ils sont l’aveu que vous voulez supprimer l’article alors même que vous désapprouvez ces projets d’extension et de création de routes – ou alors que les auteurs de ces amendements ont une vision très étriquée de la ruralité, définie uniquement par la voiture. En d’autres termes, les grands défenseurs autoproclamés de la ruralité que sont les députés de l’extrême droite vont apprendre aux habitants de la ruralité qu’ils sont condamnés à ce que leur air soit pollué par les routes et les voitures. Ces projets routiers et autoroutiers signifient aussi le massacre des terres agricoles. À elle seule, l’A69 implique la bétonisation de 400 hectares de terres agricoles. Vous irez expliquer aux agriculteurs que la destruction de leurs terres est une bonne chose pour la ruralité !
Enfin, ma collègue Karen Erodi me souffle, à l’intention de M. Terlier, député du Tarn, que le jugement sur le fond du projet de l’A69 est prévu le 25 novembre. N’omettez donc pas des informations cruciales. Ce projet n’a pas de conclusion bénéfique : vous ne pouvez pas dire qu’une autoroute qui traverse des terres agricoles, c’est bon pour les gens !
M. Jean Terlier (EPR). Je suis un peu déçu par l’intervention de notre collègue de La France insoumise et par votre absence de réponse, madame la rapporteure. Vous n’avez pas répondu, en effet, à l’argument constitutionnel. Quant à l’argument légal, vous n’y répondez pas non plus. Un jugement sera certes rendu sur le fond, mais la suspension des travaux qui est l’objet de la présente proposition de loi a déjà été refusée à plusieurs reprises par le tribunal administratif. Enfin, vous ne répondez pas non plus à l’argument de la démocratie locale. Ces projets, à commencer par celui de l’autoroute A69, font l’unanimité parmi les acteurs locaux, qu’il s’agisse des chefs d’entreprise ou de l’ensemble des élus qui les ont décidés et y apportent des financements. Vous opposez un mépris absolu aux décisions prises démocratiquement sur les territoires.
M. Pierre Meurin (RN). Madame la rapporteure, au-delà du fait que vous ne répondez pas aux questions, vous inventez le « en même temps » d’extrême gauche et ne cessez de vous contredire. Vous dites qu’un moratoire est une pause, mais une pause de dix ans, c’est un arrêt complet. Vous dites en même temps que, bien qu’on les arrête pendant dix ans, certains projets sont utiles. Or le moratoire empêchera de réaliser les projets utiles. Vous êtes pétrie de contradictions.
En fait, vous ne parvenez pas à argumenter correctement parce que votre projet n’est pas raisonnable : il est idéologique, voire religieux. Vous opposez en permanence les mobilités, mais pourquoi les mobilités routières s’opposeraient-elles, par principe ou par religion, aux mobilités douces ou au développement des mobilités ferroviaires ? Je rappelle qu’en trente ans, nous avons perdu 40 000 petites lignes de desserte fine. La gauche a, elle aussi, été au pouvoir voilà quelques années, et donc responsable de l’affaissement de notre réseau ferroviaire. Arrêtons donc l’idéologie et repensons de façon globale les infrastructures françaises de transport, sans perdre du temps avec des propositions de loi qui relèvent de la paresse intellectuelle.
M. François-Xavier Ceccoli (DR). Tout ce qui est excessif est insignifiant. Ce que vous demandez n’est pas une pause, mais une remise en cause complète de ce que peut être le développement routier et autoroutier en France, avec les conséquences désastreuses que cela entraînerait pour notre pays. Vous faites fi de tous les territoires car, si vous les respectiez, vous sauriez que la majorité des gens qui s’expriment y sont favorables. Il y a toujours, bien sûr, des gens qui font preuve de violence et qui s’opposent même aux décisions de justice, mais la vérité est là. Pour un territoire comme le Cantal, qui est à sept heures de train, on peut toujours dire qu’on va résoudre le problème du train mais, en attendant que ce soit fait, rien n’est résolu. Cette proposition de loi est dangereuse pour le pays et ne peut absolument pas être acceptée.
Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Face à la vision étriquée de la ruralité que vous nous reprochez, la vôtre est très simpliste et manifestement décalée de la réalité de la montagne. De fait, vous ne répondez pas à la situation singulière des territoires de montagne – les trains ne vont pas en altitude et le ferroviaire s’y heurte à des difficultés de déploiement. Plus généralement, votre proposition de loi est un signe de mépris envers les collectivités locales et les décisions de leurs élus.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Monsieur Terlier, j’avais déjà répondu à propos de l’argument constitutionnel. En l’absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel à propos d’un moratoire, on ne peut pas préjuger de son jugement, mais il a déjà considéré que l’intérêt général pouvait justifier l’action du législateur – je vous en ai donné un exemple tout à l’heure. Si vous ne voulez pas me croire, je vous propose de voter ce moratoire : vous aurez ensuite le plaisir d’en défendre l’inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel.
Monsieur Meurin, monsieur Ceccoli, vous pouvez trouver longue cette pause de dix ans, mais il s’agit bien d’une pause, et vous avez raison de dire qu’elle vise à remettre en question le développement du réseau routier actuel et à essayer de penser autre chose. Ce n’est pas une contradiction. Cela me semble en effet préférable pour l’activité économique ou agricole, pour le bien-être et la santé publics et pour la préservation de nos conditions de survie sur cette planète – car, au bout du compte, c’est un peu de cela que nous parlons aujourd’hui.
Madame Violland, je ne comprends pas votre question car, sauf erreur de ma part, les routes à deux fois deux voies et les autoroutes concernées par le texte circulent dans les vallées, et non pas dans la montagne.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Je vais maintenant procéder au scrutin demandé en procédant à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants |
44 |
Nombre de suffrages exprimés |
44 |
Majorité absolue |
23 |
Pour |
27 |
Contre |
17 |
Abstention |
0 |
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 1er est supprimé et les autres amendements tombent.
Après l’article 1er
Amendement CD16 de M. Pierre Meurin
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. L’article 1er ayant été supprimé, cet amendement est sans objet. J’en demande donc le retrait.
L’amendement est retiré.
Article 2 : Financement de la mesure
Amendement de suppression CD23 de M. Jean Terlier
M. Jean Terlier (EPR). Cet amendement se justifie par la suppression de l’article 1er. Je constate que cette proposition de loi était un manifeste contre l’autoroute A69. Il importe de souligner que la représentation nationale s’est prononcée aujourd’hui en faveur de la défense de ce chantier autoroutier et j’espère que vous pourrez faire passer ce message à ses opposants.
Adopter cette proposition de loi aurait été une folie. En effet, la suspension du chantier de l’autoroute A69 se serait traduite par un montant d’au moins 500 millions d’euros à régler au concessionnaire en raison de la remise en cause du contrat de concession. Il faut donc nous féliciter de la suppression de l’article 1er.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Monsieur Terlier, il est malhonnête de transformer ma proposition de loi, qui traitait d’une cinquantaine de projets et non pas seulement de l’autoroute A69, et de faire du vote qui vient d’être émis un vote qui irait dans votre sens.
Sur le fond, l’article 1er étant supprimé, l’article 2 n’a plus de raison d’être et je suis donc favorable à sa suppression.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 2 est supprimé.
La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.
Mme Anne Stambach-Terrenoir, rapporteure. Je remercie les services de la commission pour le travail réalisé autour de cette proposition de loi, ainsi que toutes les nombreuses personnes auditionnées, avec qui nous avons eu des échanges passionnants.
Sans surprise, l’alliance qui va des macronistes au Rassemblement national a empêché un débat véritable et sérieux sur ce moratoire.
Collègues, il vous reste une semaine avant la séance pour changer d’avis. Plus largement, je forme le vœu sincère que ce texte fasse avancer notre réflexion collective. Le travail d’auditions et les déplacements que j’ai effectués m’ont convaincu que nous n’avions collectivement pas conscience de l’impact phénoménal des routes sur nos modes de vie et, en l’occurrence, sur nos conditions de survie. L’avenir nous obligera à repenser cela – et le présent nous y oblige déjà.
En tant que commissaires du développement durable et de l’aménagement du territoire, c’est à nous qu’il revient de penser l’aménagement du territoire de demain. Continuer à se fonder sur des considérations datant des années 1990, comme nous l’avons largement entendu aujourd’hui, est pure folie. Si des citoyens se mobilisent partout dans le pays et développent des compétences techniques sur des dossiers très difficiles, et si certains vont jusqu’à se mettre en danger pour tenter d’attirer notre attention sur la nécessité d’un changement et d’un autre horizon que l’autoroutier, il est de notre devoir d’élus et de représentants du peuple de les écouter.
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Informations relatives à la Commission
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a désigné :
– Mme Lisa Belluco, MM. Lionel Causse, François-Xavier Ceccoli, Mickaël Cosson, Stéphane Delautrette, Denis Fégné, Timothée Houssin, Sébastien Humbert, Mmes Sandrine Le Feur, Claire Lejeune, MM. Bastien Marchive, Pascal Markowsky, Marcellin Nadeau, Mmes Constance de Pélichy, Ersilia Soudais, Anne-Cécile Violland, M. Frédéric-Pierre Vos, membres de la mission d’information sur l’articulation des politiques publiques ayant un impact sur la lutte contre l’artificialisation des sols ;
– MM. Emmanuel Blairy et Daniel Labaronne, corapporteurs sur la mission « flash » sur la conciliation des usages de la nature et la protection de la biodiversité.
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Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 20 novembre 2024 à 11 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Fabrice Barusseau, M. Olivier Becht, M. Édouard Bénard, M. Sylvain Berrios, M. Emmanuel Blairy, M. Nicolas Bonnet, M. Jean-Yves Bony, Mme Manon Bouquin, M. Jean-Michel Brard, M. Sylvain Carrière, Mme Danièle Carteron, M. Lionel Causse, M. François-Xavier Ceccoli, M. Bérenger Cernon, M. Marc Chavent, M. Mickaël Cosson, M. Vincent Descoeur, M. Peio Dufau, M. Aurélien Dutremble, Mme Karen Erodi, M. Romain Eskenazi, M. Auguste Evrard, M. Denis Fégné, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Marie Fiévet, M. Julien Guibert, Mme Emmanuelle Hoffman, M. Timothée Houssin, M. Sébastien Humbert, Mme Chantal Jourdan, M. Daniel Labaronne, M. Abdelkader Lahmar, Mme Sandrine Le Feur, Mme Julie Lechanteux, Mme Claire Lejeune, M. Stéphane Lenormand, M. Gérard Leseul, M. David Magnier, M. Matthieu Marchio, M. Bastien Marchive, M. Pascal Markowsky, M. Pierre Meurin, M. Éric Michoux, M. Marcellin Nadeau, M. Hubert Ott, Mme Julie Ozenne, Mme Nathalie Oziol, Mme Christelle Petex, Mme Marie Pochon, M. Xavier Roseren, Mme Anaïs Sabatini, M. Raphaël Schellenberger, Mme Ersilia Soudais, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean‑Pierre Taite, M. Jean Terlier, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, Mme Corinne Vignon, Mme Anne-Cécile Violland, M. Frédéric-Pierre Vos
Excusés. - Mme Sandrine Josso, M. Olivier Serva, M. David Taupiac
Assistaient également à la réunion. - Mme Danielle Brulebois, M. Fabrice Brun, M. Jean‑Victor Castor, M. Pierre Cazeneuve, M. Emmanuel Fouquart, M. Stéphane Mazars, M. Nicolas Ray, M. Emeric Salmon, M. Jean-Luc Warsmann