Compte rendu
Commission
du développement durable et de l’aménagement du territoire
– Audition, en application de l’article 13 de la Constitution, de M. Philippe Pascal, directeur général adjoint « finances, stratégie et administration » d’Aéroports de Paris (ADP), dont la nomination aux fonctions de président-directeur général d’ADP est proposée par le Président de la République, et vote sur le projet de nomination (Mme Clémence Guetté, rapporteure) 2
– Informations relatives à la commission....................21
Mercredi 5 février 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 25
Session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Le Feur,
Présidente
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La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a auditionné, en application de l’article 13 de la Constitution, M. Philippe Pascal, directeur général adjoint « finances, stratégie et administration » d’Aéroports de Paris (ADP), dont la nomination aux fonctions de président-directeur général d’ADP est proposée par le Président de la République et procédé au vote sur le projet de nomination (Mme Clémence Guetté, rapporteure).
Mme la présidente Sandrine Le Feur. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et de la loi organique du 23 juillet 2010, nous allons entendre M. Philippe Pascal. Le Président de la République propose sa nomination en tant que président-directeur général du groupe Aéroports de Paris (ADP).
En application de notre règlement, nous avons nommé un rapporteur sur cette proposition de nomination, Mme Clémence Guetté. Elle a élaboré un questionnaire qui a été adressé à M. Pascal.
M. Pascal, vous êtes directeur général adjoint chargé des finances, de la stratégie et de l’administration. Vous connaissez bien le groupe ADP, puisque vous y exercez des responsabilités depuis douze ans. La nomination à la fonction de président-directeur général (PDG) d’ADP revêt un caractère stratégique compte tenu de l’importance économique et sociale du groupe et de la part du transport aérien dans les émissions de gaz à effet de serre.
Mme Clémence Guetté, rapporteure. M. Pascal, je vous remercie pour vos réponses détaillées au questionnaire qui vous a été transmis.
Le groupe ADP va bien, financièrement – vous le savez, puisque vous en êtes le directeur financier. L’an dernier, il a enregistré un chiffre d’affaires et des versements de dividendes records. Ce chiffre d’affaires s’élève ainsi à 4 605 millions d’euros pour les neuf premiers mois de 2024, soit une augmentation de 12 % par rapport à 2023. Quant aux sommes versées aux actionnaires, elles sont supérieures à celles versées avant la crise du covid-19. En 2023, elles s’établissaient déjà à 377 millions d’euros, six fois plus que les sommes consacrées à la revalorisation du travail la même année.
Ces résultats financiers proviennent du développement du groupe à l’étranger, en Inde et en Turquie notamment. Est-ce la vocation d’un groupe majoritairement public, auquel les Français sont attachés ? Pour mémoire, sa privatisation un temps envisagée par le gouvernement avait donné lieu à une mobilisation inédite pour s’y opposer par le biais notamment d’un projet de référendum.
Ce bilan financier interroge. Des dividendes records ont été versés alors que le poids de la dette du groupe a augmenté de plus de 8 % au premier semestre 2024 par rapport à 2023 et que le nombre de salariés en France a largement diminué. En 2018, ils étaient 6 627 tous contrats confondus, contre 6 382 en 2023, malgré la reprise du trafic aérien depuis le covid‑19. En outre, pendant les Jeux olympiques, les salariés ont dû batailler pour obtenir une prime et poser leurs congés. Enfin, l’augmentation des salaires proposée pour 2025 est inférieure au niveau de l’inflation.
Je relaie ici les inquiétudes des salariés, syndiqués ou non. La sous-traitance, le flex office et les open spaces sont autant de motifs de dégradation des conditions de travail et une source de stress dont ils nous ont fait part. Selon vous, quelle politique salariale devrait être menée dans le groupe ?
On observe une reprise du trafic aérien, avec près de 364 millions de passagers passés dans vos aéroports en 2024, soit une hausse de 6,5 % par rapport au trafic avant le covid. Cette trajectoire s’inscrit dans un contexte global, puisque d’ici à 2040, le trafic aérien mondial pourrait doubler.
Or, selon les estimations du Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté entre 2022 et 2023 de 21 % pour les vols intérieurs et de 27 % pour les vols internationaux. Cette croissance n’est pas rassurante eu égard à l’urgence climatique.
Selon la direction générale de l’aviation civile (DGAC), les vols commerciaux représentaient 6,8 % des émissions françaises de CO₂ en 2021, quand le trafic était moins soutenu. Malgré l’abandon du projet du terminal 4 (T4) de Roissy, à la suite d’une importante mobilisation, la réduction du trafic aérien n’est pas l’un de vos objectifs.
Je résume vos réponses au questionnaire : vous n’excluez pas le retour du projet de T4 ; vous vous opposez à un moratoire sur les nouvelles constructions aéroportuaires : au contraire, vous estimez que « la croissance de trafic crée des occasions de création de valeur ». Ce modèle a des conséquences pour nos concitoyens.
La pollution atmosphérique et la pollution sonore font vivre un calvaire à ceux qui ont le malheur de dormir sous les couloirs aéroportuaires. Ils appartiennent, le plus souvent, aux classes populaires et travaillent parfois pour vous. La pollution atmosphérique est responsable de 47 000 morts par an tandis que 9 millions de personnes sont surexposées au bruit, et l’on estime que cela entraîne 900 000 cas d’hypertension artérielle chaque année.
C’est particulièrement le cas dans mon département, puisque le Val-de-Marne a vu le nombre de personnes touchées par les nuisances sonores augmenter ces dernières années. Et pour cause, sur votre site d’Orly, les compagnies à bas coût irriguées d’argent public par les amis de M. Macron ne cessent de déroger au couvre-feu. En 2023, elles l’ont fait plus de trente fois.
Vous défendez, et je le salue, le renforcement des sanctions. Cela me paraît utile. Je partage aussi votre volonté d’accroître les aides à l’insonorisation pour les riverains, dont le coût doit évidemment être pris en charge par les compagnies aériennes elles-mêmes. Mais d’autres mesures semblent nécessaires, comme le plafonnement du nombre de mouvements, la mise en place d’un couvre-feu à Roissy et l’allongement de celui d’Orly.
Dans vos réponses au questionnaire, on peut noter votre bienveillance à l’égard des taxis volants, des carburants dits durables ou encore du projet Charles-de-Gaulle (CDG) Express. C’est une vision du monde que mon groupe parlementaire ne partage pas.
La bifurcation écologique de notre pays ne doit pas se limiter à un verdissement ou à une décarbonation. Elle exige une transformation, organisée avec les salariés, du secteur des mobilités, en particulier de l’aérien.
Voilà les raisons pour lesquelles, en tant que rapporteure et à titre personnel, je ne peux être favorable à votre nomination.
Plus globalement, s’agissant du secteur aérien, les enjeux politiques sont immenses. La représentation nationale, en particulier notre commission, Mme la présidente, devrait en être davantage saisie. Nous profitons donc de votre nomination pour avoir une discussion sur ce sujet.
M. Philippe Pascal, directeur général adjoint « finances, stratégie et administration » d’Aéroports de Paris (ADP). Je suis honoré d’être devant vous ce matin pour vous présenter ma vision de l’entreprise et mes projets pour le groupe ADP si vous m’accordez votre confiance pour en être le prochain PDG.
La dernière fois que je me suis présenté devant votre commission, je me tenais à la droite d’Augustin de Romanet, dont je salue l’action à la tête de l’entreprise pendant douze ans. Il a fait progresser la qualité du service à Paris. Il a fait rayonner le groupe à l’international et l’a imposé comme un pionnier de la transition environnementale de notre secteur. Le travail accompli est considérable. Les résultats parlent d’eux-mêmes, encore récemment, je pense à la réussite de l’accueil des Jeux olympiques et paralympiques. Je le remercie de m’avoir fait confiance. J’ai été fier de mener, à ses côtés, des projets structurants, à Paris comme à l’international.
Après mes études, j’ai choisi de servir l’État. Durant toute ma vie professionnelle, j’ai cherché à mettre la technique au service de la stratégie, à réconcilier le court terme et le long terme, et à allier les enjeux du service public avec ceux de l’esprit d’entreprise. Ces marqueurs se sont retrouvés dans les différentes fonctions que j’ai occupées. J’ai eu la chance d’intégrer la direction de la législation fiscale, où j’ai effectué les dix premières années de ma carrière. Ensuite, après un bref passage en cabinet ministériel, j’ai intégré l’inspection générale des finances, puis j’ai rejoint le groupe ADP.
Ce groupe, ce sont 250 métiers, 6 000 salariés à Paris et 26 000 dans le monde. C’est un collectif : un collectif de femmes et d’hommes engagés, un collectif de passionnés du secteur aérien. Cette équipe de passionnés peut faire bouger les montagnes. Cette équipe de passionnés, à laquelle j’appartiens depuis douze ans, est la principale raison pour laquelle je me présente devant vous.
Quelle est ma vision de cette entreprise singulière ? ADP fêtera ses quatre-vingts ans cette année. Son histoire a façonné le visage du transport aérien français, aux côtés d’autres géants comme Air France ou Airbus. Le groupe s’est imposé comme un leader mondial dans le secteur aéroportuaire. Nous avons accueilli 336 millions de passagers dans le monde et plus de 100 millions à Paris.
Le groupe ADP est aussi un modèle unique, qui peut faire la fierté de ses collaborateurs. C’est d’abord un modèle sur lequel le service public peut s’appuyer, sans se trahir, sur un fort esprit d’entreprise. Cette double culture le rend complexe, mais fait aussi sa force et sa richesse. C’est un modèle unique, car ADP est la seule société cotée en Bourse à être détenue majoritairement par l’État. Elle porte donc une double responsabilité : devant la puissance publique et devant ses autres actionnaires, au premier rang desquels 99 % de ses salariés.
C’est un modèle unique, car elle gère à la fois des aéroports en France, actifs stratégiques pour notre pays, et vingt-six aéroports dans le monde. Ce développement international vient en soutien de la mission de service public à Paris.
Par ailleurs, Mme la rapporteure l’a rappelé, nos aéroports sont de puissants instruments au service des territoires et de l’emploi. Ils doivent le rester. À Paris, ce sont 120 000 emplois directs et 400 000 emplois indirects.
Le groupe ADP est aussi un instrument au service du rayonnement de la France, de sa souveraineté et d’emplois non délocalisables. C’est un instrument au service de la relocalisation. Un touriste, un homme d’affaires étranger ou un passager en correspondance qui ne sort même pas de l’aéroport sont autant de richesses qui entrent en France.
Je suis convaincu que cette entreprise dispose d’atouts exceptionnels pour se projeter dans l’avenir avec confiance.
Mon ambition est de poursuivre la transformation de l’entreprise pour en faire une référence mondiale en matière d’attractivité et d’hospitalité. Elle est aussi d’en faire un exemple de transition environnementale pour le secteur aérien.
Regardons les choses en face, ainsi que nous y a invités Mme la rapporteure : le transport aérien est au centre de débats et de questionnements légitimes. En effet, il représente 2 à 3 % des émissions mondiales de CO2. Il soulève des questions environnementales et d’aménagement du territoire. Il est à l’origine de nuisances sonores pour nos riverains. Je sais combien vous êtes sensibles à ces aspects.
En même temps, le voyage en avion représente encore un rêve pour de nombreuses personnes. Parfois, il s’impose aussi comme une nécessité, à laquelle notre mission de service public doit répondre. Le secteur aérien a une contribution déterminante dans le développement économique des pays, le nôtre mais aussi les pays émergents. Il est aussi – j’y tiens particulièrement – l’incarnation d’un monde plus interconnecté qui, comme le rappelle la convention de Chicago de 1944, a pour vocation première de préserver l’amitié et la compréhension entre les nations et entre les peuples. Cette vision me semble plus que jamais d’actualité, dans un monde marqué par la tentation du repli sur soi.
Le secteur aérien doit jouer un rôle déterminant, et sa pérennité réside dans sa capacité à se transformer. Il faut sortir du débat manichéen « plus ou moins d’aérien ». La vraie question est celle du modèle que nous voulons, lequel doit s’appuyer sur des engagements. C’est une partie de ma réponse à votre interpellation.
Le premier engagement est de ne recourir à l’aérien que lorsqu’il est justifié. Le tout-aérien n’est pas responsable. Il nous faut trouver la juste place du transport aérien. Cet engagement repose sur deux convictions. La première est que le développement de l’intermodalité est une solution gagnante. Nous devons accélérer la connexion du train et de l’avion, en faisant de nos aéroports des hubs multimodaux. L’intermodalité est au cœur de nos projets de développement, à CDG comme à Orly. La deuxième conviction est que l’avion est et restera la seule solution pour certaines destinations lointaines ou difficilement accessibles, comme nos territoires ultramarins et ruraux. Mme la présidente, je sais que vous êtes sensible à l’accessibilité de nos territoires ruraux.
Le deuxième engagement est de décarboner le secteur aérien. C’est possible ! Lundi, Safran a annoncé l’obtention de la première certification au monde d’un moteur électrique, pour un avion de trois ou quatre places et bientôt de dix-neuf places et peut-être plus gros encore. Il faut aussi citer l’arrivée des carburants durables et, bientôt, de l’hydrogène. Les carburants durables seront de nature à participer significativement à la décarbonation du secteur, avec plus de 60 % de décarbonation, et 80 % quand on les compare à du kérosène.
Notre industrie est capable d’innover pour se décarboner et pour réduire ses nuisances sonores. Le groupe ADP, je m’y engage, doit adapter ses infrastructures et le faire rapidement, par exemple par du roulage électrique et par le développement de la géothermie ou du solaire. Nous y travaillons et j’aurai à cœur d’aller plus vite.
Le troisième engagement que je prends est l’insertion réussie dans les territoires. Nos aéroports parisiens représentent la moitié de la surface de la ville de Paris. Cette empreinte foncière fait de nous un acteur clé de l’aménagement du territoire en matière de mobilité, d’énergie et d’emploi. Nous devrons prendre toute notre part dans ces domaines, aux côtés des élus et des acteurs locaux que je veux impliquer plus encore.
Mon quatrième engagement est la garantie d’une contribution positive pour nos clients, pour nos partenaires, pour nos salariés et pour nos passagers, au premier rang desquels les personnes en situation de handicap, en apportant plus de sécurité, plus de fluidité, plus de ponctualité et plus de qualité. L’objectif est que CDG reste dans le top 5 des meilleurs aéroports du monde et qu’Orly, meilleur aéroport régional d’Europe, améliore encore son classement. La contribution positive pour les compagnies aériennes, à commencer par Air France, notre premier client, passera par la performance opérationnelle et l’attractivité. Enfin, je l’ai dit, nous voulons une contribution positive pour nos prestataires et pour nos salariés, en matière d’épanouissement au travail, de partage de la valeur et de réduction des accidents du travail.
Nous voulons que cette réinvention soit française. L’industrie aéronautique française est un leader dans le monde, et elle doit le rester. Elle peut rester première, pourvu qu’on parie sur elle sans l’accabler. C’est en tout cas le rôle que je souhaiterai pouvoir faire jouer au groupe ADP.
Pour honorer ces engagements, je m’appuierai sur trois éléments de méthode. Le premier consistera à mobiliser tous les acteurs autour d’un projet commun et de long terme. Il est du devoir du groupe ADP de faire en sorte que tout le monde œuvre dans le même sens pour ce qui concerne l’aéroport. Je m’emploierai donc à renforcer les liens avec les acteurs internes et externes, en les associant à un seul et même projet collectif. Notre métier étant de connecter, la connexion des acteurs est ma priorité. Je souhaite un dialogue élargi, intensifié et apaisé.
C’est pourquoi j’entends lancer sans attendre les travaux préparatoires à un nouveau contrat de régulation économique. Un premier projet de contrat, qui doit être conclu avec l’État, serait formalisé dès la fin de cette année. Ce contrat s’appuiera sur la concertation publique menée à Orly et à CDG. Il sera aussi le support de nos échanges avec les parties prenantes – élus locaux, parlementaires, acteurs économiques, associations, riverains, clients, compagnies aériennes, prestataires, salariés, organisations sociales représentatives.
Le deuxième élément de méthode consiste à réinvestir notre cœur de métier. L’important est de faire ce que l’on doit faire sans se disperser, pour aller plus vite. Il s’agit de mobiliser les moyens autour de trois axes : d’abord, Paris et la transformation des aéroports parisiens, notamment par l’investissement ; ensuite, la dynamisation de notre marque d’hospitalité, Extime, en France et dans le monde, pour le rayonnement culturel de la France : enfin, la sécurisation de la contribution de nos activités à l’international. Pour répondre à votre question, les activités immobilières et commerciales ainsi que le développement à l’international sont indispensables à l’équilibre de l’entreprise. Ils font sa force pour investir dans le long terme. Sans ces activités, sans l’international et sans les commerces, il sera difficile d’investir et d’accélérer à Paris.
Le troisième élément de méthode est une culture d’entreprise plus forte et plus agile. Nous avons accueilli, ces trois dernières années, 1 000 nouveaux collaborateurs. D’ici 2035, plus de 3 000 collaborateurs partiront à la retraite, soit plus de 50 % de nos salariés à Paris. L’entreprise sera donc confrontée à un fort renouvellement des compétences, qui ne peut se faire sans un collectif mobilisé, sans des salariés engagés, sans une entreprise agile. Bref, je vous ai parlé d’une équipe de passionnés : c’est elle que j’entends mettre au cœur de mon action.
J’ai conscience des responsabilités qui incombent au dirigeant d’une entreprise stratégique pour son pays. J’ai aussi conscience des attentes fortes de nos passagers, de nos clients compagnies aériennes et des territoires. J’ai conscience des responsabilités d’un dirigeant vis-à-vis de ses salariés, sans lesquels rien ne pourrait se faire.
J’ai des convictions, vous les avez entendues. Je souhaite emmener le groupe ADP plus vite et plus loin. Je sais combien je dois le faire avec un collectif et sous le contrôle du Parlement.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.
Mme Alexandra Masson (RN). Lors du vote du budget pour 2024, la taxe dite Beaune sur les concessions autoroutières et les grands aéroports, qui devait rapporter 600 millions d’euros, opérait un prélèvement sur le secteur aérien, sans aucune compensation pour permettre aux plateformes aéroportuaires d’investir pour se décarboner.
Dans le budget de 2025, c’est un prélèvement de 1 milliard qui est sur le point d’être imposé au secteur aérien français par une hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA).
Depuis 2019, la TSBA – créée par Jacques Chirac afin de financer l’aide médicale aux pays en voie de développement – est orientée au seul profit de l’Agence de financement des infrastructures de transport-France (Afitf). Pas un seul centime de la manne financière de l’Afitf ne bénéficie à l’aérien ! Cette manne est au seul et unique profit du transport ferroviaire. Le gouvernement français appauvrit ses aéroports. Il casse un outil qui fait de la France une référence, car un avion qui ne décolle pas d’un aéroport français est un avion qui n’y atterrit plus. La France renoncera également aux recettes tirées de la TVA et de l’impôt sur les sociétés grâce à la clientèle étrangère. Elle agit à rebours de plusieurs de nos voisins européens qui ont décidé de réduire la taxation du transport aérien pour relancer leurs économies.
Le secteur aérien représente plus de 1,142 million d’emplois directs et indirects en France. Les aéroports, les compagnies aériennes et les constructeurs participent largement au développement économique et à l’emploi des territoires dans lesquels ils sont implantés, y compris dans le mien, celui des Alpes-Maritimes, qui accueille le troisième plus grand aéroport de France. Airbus emploie plus de 50 000 personnes sur le territoire national. Air France-KLM emploie 90 % de ses salariés en France, soit près de 40 000 emplois directs. Il est le premier employeur privé d’Île-de-France. Le groupe ADP compte quant à lui près de 100 000 collaborateurs directs sur le site de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, 30 000 sur celui d’Orly et environ 2 000 à l’aéroport du Bourget. Les plateformes de votre groupe représentent ainsi près de 9 % de l’emploi en Île-de-France.
Rapporteure pour avis de la commission pour le budget des transports aériens en 2024, j’avais eu l’occasion d’auditionner Augustin de Romanet. À ma grande surprise, il s’était montré réservé sur le transport aérien, regrettant même l’extension de la ligne 14 du métro jusqu’à Orly, car selon lui, « elle permet aux Parisiens de prendre l’avion aussi facilement que le train ». Avouez que c’est assez stupéfiant pour un patron d’aéroports ! Avec de telles considérations, je ne m’étonne pas que la valeur boursière d’ADP ait baissé de 37 % entre 2020 et aujourd’hui.
Quelles mesures et quelle politique envisagez-vous de mener à la tête du groupe ADP afin de redresser la barre ? Comment pensez-vous vous permettre à Roissy et Orly, les deux premiers aéroports de France, de maintenir leur compétitivité face aux grands aéroports européens qui, eux, ne sont pas pénalisés par une fiscalité punitive ?
M. Philippe Pascal. Votre question est au cœur du modèle de compétitivité des aéroports, et plus largement du secteur aérien français. ADP est à la fois une entreprise publique, majoritairement détenue par l’État et une société cotée. En tant qu’entreprise française, elle doit prendre toute sa part au redressement des finances publiques. Une part de l’imposition qu’elle supporte est donc légitime dès lors qu’elle est ponctuelle, conjoncturelle et liée à ce redressement.
Vous évoquez aussi les impositions structurelles et durables qui peuvent affaiblir la capacité d’investissement de l’entreprise – dans l’intermodalité, dans la décarbonation et dans la qualité de l’accueil et du service. Ces prélèvements fiscaux à venir sont la principale cause de la baisse du cours de bourse d’ADP. Est-ce grave pour autant ? L’entreprise sera capable, comme l’ensemble du secteur, de poursuivre ses investissements dès lors qu’elle disposera de visibilité et que les prélèvements fiscaux resteront raisonnables et correctement orientés.
S’agissant de l’intermodalité, il n’est pas impensable de financer le secteur ferroviaire. Mais finançons d’abord la construction d’une gare à Pont-de-Rungis ou le barreau de Massy-Valenton, qui permettront d’alimenter la gare de CDG, de dynamiser la plateforme d’Orly et, par voie de conséquence, de décarboner et de préserver les emplois et la dynamique économique.
Je prône l’équilibre. Le prélèvement doit préserver l’investissement, car c’est par lui que nous améliorerons la compétitivité de la France, de nos plateformes et des compagnies aériennes. Notre premier devoir est de nous occuper de nos clients – passagers et compagnies aériennes.
M. Anthony Brosse (EPR). Le groupe ADP, en partenariat avec TotalEnergies et Daher, propose depuis l’été dernier du carburant durable d’aviation de manière permanente à l’aérodrome de Paris-Saclay-Versailles. Ce carburant alternatif, qui participe à la décarbonation du transport aérien, est nécessaire dans un monde qui ne cesse de se dérégler et de se réchauffer, alors que le transport de voyageurs a dépassé en 2024 son niveau de 2019, qui avait atteint un plus haut historique.
Ce carburant du futur est issu à 35 % de déchets et résidus, et ne porte atteinte ni à la sécurité des passagers ni à celle des infrastructures, qui doit rester la priorité. Cette avancée importante doit permettre jusqu’à 30 % de réduction des émissions de CO2 et ainsi aider à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, dans un contexte de forte reprise des échanges internationaux – on anticipe plus de 5 milliards de voyageurs pour 2025.
La généralisation de ce nouveau carburant à l’ensemble des flottes au départ et à l’arrivée des aéroports franciliens est-elle à l’étude, ou des contraintes techniques pour les plus gros porteurs empêchent-elles pour le moment cette étape ?
Compte tenu de vos liens avec les fournisseurs de carburant d’aviation, savez-vous si de nouveaux avions sont en développement pour recevoir ce carburant du futur qui pourrait être composé à plus de 50 %, à terme, de matières issues de l’économie circulaire et réduire plus encore nos émissions de CO2 ?
Le carburant durable est-il ou sera-t-il prochainement utilisé dans vos aéroports situés dans d’autres pays, ou des contraintes pèsent-elles sur son utilisation ?
Enfin, avez-vous constaté une réduction du bruit dans les couloirs aériens empruntés par les nouveaux modèles d’avions ou les plus récemment mis sur le marché ? Les nuisances sonores constituent de véritables troubles pour les résidents les plus proches des aéroports et soulèvent de nombreuses interrogations sanitaires, notamment pour la qualité du sommeil.
M. Philippe Pascal. Les nouveaux modèles d’avion ont un impact significatif sur le niveau de bruit. Passer d’un A320 à un A320neo se traduit par une baisse de 25 à 30 % du bruit. Du fait de cet impact colossal, le renouvellement des flottes est le premier levier de diminution des nuisances sonores. C’est la raison pour laquelle le groupe ADP essaie d’accompagner ce mouvement, par le dialogue avec les compagnies aériennes – Fedex, à CDG, s’est ainsi engagé à renouveler sa flotte – et par sa structure tarifaire : ADP majore de 40 % les redevances d’atterrissage lorsque les avions sont bruyants, et de 50 % la nuit.
Les carburants durables sont un pilier de la stratégie de décarbonation. Un article paru ce matin dans Les Échos affirme que le déploiement des carburants durables concourra à 56 % de la décarbonation totale du secteur. C’est facile à mettre en place puisque nos infrastructures sont entièrement adaptées au développement de ce carburant.
Au Bourget, à CDG et à Orly, il y a du carburant durable dans les pipelines. Il peut être mixé avec le kérosène classique, pour accélérer son intégration, conformément aux objectifs fixés au niveau européen. La seule difficulté concerne la disponibilité de ce carburant, qui requiert une filière structurée. Les États-Unis vont investir massivement – plusieurs centaines de milliards – pour tenter de devenir le leader mondial des carburants durables pour l’aviation. Du côté européen, la filière se structure plus lentement, par de la réglementation et des obligations. Il faut aller plus vite, investir et inciter. Les acteurs n’attendent que cela, et le groupe ADP en premier lieu !
Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Entre pollution atmosphérique et nuisances sonores, les dégâts du trafic aérien sur l’environnement et sur la santé des riverains ne sont plus à démontrer. Pourtant, celui-ci ne cesse de se développer. Ce secteur a un impact sur la santé à la fois physique et psychique de ceux qui vivent au quotidien, jour et nuit, avec les nuisances aériennes.
L’Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (Acnusa) a piloté une étude épidémiologique portant sur l’analyse croisée des données de santé et de mortalité des habitants de 161 communes situées aux abords de trois aéroports français. Publiés en octobre 2020, les résultats de cette étude sont édifiants. L’exposition aux bruits aériens, qui se concentre autour des aéroports, est associée à une mortalité plus élevée par maladie cardiovasculaire. Ainsi, le risque de décéder des suites d’un infarctus du myocarde est de 28 % plus élevé pour les riverains d’aéroports que pour la population générale. Pour le seul aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, qui se situe aux abords de ma circonscription, certaines habitations sont survolées par 450 avions par jour. Les habitants exposés à ces nuisances aériennes peuvent perdre jusqu’à trois années d’espérance de vie en bonne santé.
Les nuisances aéroportuaires ne se limitent pas au bruit des avions. La pollution de l’air et les émissions de carbone sont d’autres conséquences durables sur la santé et sur l’environnement.
Face à l’augmentation du trafic aérien, nous devons faire un choix : le laisser-faire ou la régulation. Si vous êtes nommé PDG d’ADP, êtes-vous ouvert à un rigoureux plafonnement annuel du nombre de vols et à une interdiction des vols de nuit ?
M. Philippe Pascal. Je l’ai dit, cette question est centrale et doit être regardée en face, sans détour : les aéroports sont source de nuisances – nuisances sonores et émissions de CO2. Nous devons affronter ces sujets de manière directe, en travaillant autour de plusieurs axes. Le premier est le renouvellement des flottes. C’est lui qui aura l’effet le plus rapide et le plus important, tant sur les nuisances sonores que sur les émissions. C’est le cœur du cœur. Nous cherchons donc à l’encourager et à l’accompagner, en pénalisant les avions les plus bruyants.
Le deuxième axe est le développement des nouveaux carburants. Les carburants durables ont une conséquence directe et massive. On peut aussi parler de l’hydrogène et du moteur électrique, après l’annonce de Safran, qui n’est pas anecdotique. C’est l’avenir, notamment pour le trafic régional.
Le troisième axe est l’accompagnement des territoires. Nous déployons massivement des aides. Le produit de la taxe sur les nuisances aériennes nous a permis de rénover et d’isoler phoniquement 74 000 logements, pour un montant de 740 millions d’euros. Il en reste 36 000 à isoler. C’est trop. Il faut accélérer. Nous avons les moyens de le faire, même s’il existe des freins réglementaires et d’autres liés au reste à charge trop élevé pour les riverains. Alors que la prise en charge est de 80 %, il faudrait qu’elle aille jusqu’à 100 %. Nous y sommes favorables.
Reste la question des restrictions, comme le plafonnement ou le couvre-feu. À Orly, ce sont les plus sévères d’Europe. Aucun autre aéroport ne supporte des restrictions opérationnelles aussi fortes. À CDG, elles existent aussi, avec un plafonnement la nuit qui était de 22 000 mouvements et qui a été abaissé progressivement à 17 000 mouvements. Nous n’opérerons pas plus de 17 000 mouvements la nuit.
Il existe aussi un plafonnement en bruit. Grâce au renouvellement des flottes, les nuisances sonores diminuent structurellement et continueront à le faire. Le choix de Fedex que j’ai déjà évoqué aura un impact massif. Certes, ce n’est pas suffisant et l’on peut aller plus vite. Cela implique d’actionner les leviers les plus efficaces : renouvellement des flottes, décarbonation, isolation phonique.
M. Romain Eskenazi (SOC). Notre commission doit statuer sur votre nomination à la tête du premier groupe mondial concepteur, constructeur et gestionnaire d’aéroports. Ces derniers sont un enjeu stratégique majeur pour notre pays, qui est la première destination touristique mondiale, mais aussi un enjeu de continuité territoriale avec nos outre-mer.
Nous devons juger cette nomination selon quatre critères. Le premier est celui de compétence, votre expérience et votre connaissance des dossiers. Nous sommes rassurés sur ce point : vous êtes depuis 2013 dans la maison, vos connaissances fiscales vous permettront d’appréhender l’évolution de la fiscalité s’appliquant à l’aviation et vous avez géré avec un certain succès la dette post-covid.
Le deuxième critère est celui de vos qualités diplomatiques. Dans la mesure où l’entreprise compte 28 000 salariés dont beaucoup sont syndiqués pour défendre leurs droits, ce dont je me réjouis en tant que socialiste, nous jugerons de votre capacité d’ouverture au dialogue social dans des métiers en pleine transformation, mais aussi des qualités diplomatiques nécessaires pour gérer vos relations avec le pavillon français Air France.
Deux autres critères nous importent particulièrement – le climat et la santé publique. Je m’exprime en tant qu’élu local et riverain de l’aéroport de Roissy – mes enfants et moi vivons donc sous les avions de votre aéroport.
Rapporteur pour avis pour le budget des transports aériens, j’ai eu le plaisir de visiter avec vos collaborateurs l’aéroport de Roissy et j’ai observé les efforts qui y sont engagés : parkings remplacés par du ferroviaire, énergie renouvelable, géothermie solaire. Mais ce n’est pas votre plateforme qui a le plus d’impact sur le plan climatique, ce sont vos avions. La conclusion de mon rapport est que depuis vingt ans, chaque kilomètre passager pollue 30 % de moins et pour autant, les émissions nettes ont augmenté de 4 %. Nous ne pourrons pas atteindre nos objectifs sans mesures de restriction fiscales – nous avions d’ailleurs déposé, avec Mme la présidente, un amendement en ce sens – ou réglementaires. Je serai attentif aux résultats de l’étude d’impact selon l’approche équilibrée, en cours à Roissy.
Concernant la santé publique, la dernière étude de Bruitparif estime qu’en Île-de-France, 2 millions de personnes sont touchées par des niveaux sonores supérieurs à ceux fixés par l’OMS (Organisation mondiale de la santé). L’étude Debats (discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé) a démontré que les habitants du Val-d’Oise ont jusqu’à trois ans de vie en bonne santé en moins. Pourtant, les efforts dans ce domaine sont avérés. J’ai pu visiter la station de bruit installée dans la maison de l’environnement. Chaque avion fait certes moins de bruit, mais l’impact de l’augmentation du trafic sur la santé reste inacceptable. Or nous ne sommes pas certains que vous partagez notre conviction selon laquelle il faut diminuer le nombre d’avions la nuit. Vous opérez 17 500 mouvements de nuit. Mais entre minuit et cinq heures du matin, ce n’est pas une vraie nuit. C’est la raison pour laquelle mon groupe s’abstiendra sur votre nomination.
M. Philippe Pascal. Le dialogue social est actif au sein de l’entreprise. Je participe régulièrement au comité social et économique et je suis en lien permanent avec l’ensemble des organisations sociales représentatives – avec M. Bertone de la CGT, avec Mme Pigeon de la CGC, avec M. Eddaïdj de la CFDT, avec M. Mendes de l’Unsa et avec M. Criquet de Force ouvrière. Le dialogue sera au cœur de ma mission. J’ai évoqué l’équipe de passionnés qui explique ma volonté d’être PDG du groupe ADP. En l’occurrence, cette équipe est constituée des salariés et de leurs représentants.
J’en viens à mes relations avec Air France. Dès que ma proposition de nomination a été rendue publique, j’ai discuté directement et de façon apaisée, notamment avec Benjamin Smith, pour convenir de rendez-vous réguliers et accentuer notre partenariat industriel. Le groupe ADP ne pourra pas seul améliorer la qualité de service et accélérer la décarbonation. Nous devrons agir ensemble, avec Air France et toutes les autres compagnies aériennes.
Je l’ai dit, nous avons beaucoup à faire en matière de climat et de santé publique. Ma conviction est que la transformation peut s’accélérer notamment par le renouvellement des flottes et la lutte contre les nuisances sonores. Le travail doit aussi porter sur les approches et les descentes continues, pour réduire le bruit et les pollutions.
L’étude d’impact selon l’approche équilibrée en cours à CDG a donné lieu à de premières conclusions de la part du préfet. Nous devons dialoguer pour activer tous les leviers, mais celui de la restriction n’est pas nécessairement opportun. En effet, le cœur du cœur est l’investissement. Or plus on restreint, plus on réduit la capacité à investir. Pour décarboner plus vite, il faut investir plus.
Mme Christelle Petex (DR). Quelle est votre position sur l’opportunité d’une privatisation que prévoyait, en 2019, la loi Pacte ? Ce projet avait suscité une opposition forte et transpartisane au Parlement, accompagnée d’une mobilisation citoyenne exceptionnelle, concrétisée par un référendum d’initiative partagée. Les raisons de cette contestation étaient, pour nous, aussi évidentes que légitimes. Il s’agissait, pour l’État, de se séparer d’une entreprise hautement rentable, offrant des perspectives de croissance solide et, peut-être plus encore, stratégique pour notre souveraineté. Interrogé sur ce point, vous avez répondu que la question de la privatisation relève exclusivement de l’État actionnaire et que vous ne sauriez vous avancer davantage. Vous livrez tout de même un jugement économique sur la pertinence d’une éventuelle privatisation. Nous le partageons, mais nous regrettons que vous n’ayez dit mot des conséquences majeures que la privatisation d’une entreprise aussi sensible aurait pour notre souveraineté – contrôle de nos frontières – et nos concitoyens – évolution des prix, qualité du service et desserte des petites lignes. Estimez-vous que la privatisation ne relève que d’une logique purement économique ?
Par ailleurs, vous mettez en avant un projet ambitieux d’adaptation des infrastructures d’ADP à la propulsion à hydrogène, visant à ce que 50 % des vols court et moyen-courrier au départ de Paris soient concernés à horizon 2060. Plusieurs incertitudes demeurent. Alors que la maturité technologique de la propulsion à hydrogène reste incertaine et que la filière est confrontée à de nombreux défis, sur quelles sources repose ce chiffrage ?
Vous soulignez, à raison, que l’hydrogène n’est pertinent que s’il est produit de manière décarbonée. Or, pour qu’il soit véritablement vert, il faudrait y consacrer une production électrique colossale, d’un ordre de grandeur bien supérieur à nos capacités de production d’énergies renouvelables. Jugez-vous que les trajectoires d’investissement d’ADP en la matière sont réalistes et même souhaitables ?
M. Philippe Pascal. Sur la privatisation, il ne m’appartient pas de commenter un choix qui serait celui du gouvernement, sous le contrôle du Parlement. En répondant au questionnaire, j’ai fourni des éléments économiques et financiers, factuels, sans porter de jugement. Tel est mon devoir.
Sur la souveraineté et le contrôle des frontières, la loi Pacte qui autorise la privatisation apporte des garanties qui viennent s’ajouter à ce qui existe déjà – un cahier des charges, une réglementation rigoureuse. La question est purement politique : ces éléments suffisent-ils à garantir la maîtrise d’un actif stratégique pour la France ? Certains pourraient considérer qu’ils sont trop sévères et encadrent trop l’activité de l’entreprise, en la mettant à la main de ses administrations de tutelle. D’autres pourraient considérer qu’ils sont insuffisants et que le fait de confier l’entreprise à des acteurs privés serait pertinent. Je ne m’élèverai pas au-dessus de ma condition.
Sur l’hydrogène, ma position est prudente. Je suis convaincu qu’un jour, l’hydrogène sera une solution. Mais c’est d’abord le développement des carburants durables puis l’avion électrique qu’il faut viser, et ensuite l’hydrogène – d’abord au sol et, progressivement, dans les avions. L’horizon 2060 est la cible convenue dans la littérature et par plusieurs fabricants d’avions. Peut-être est-elle trop ambitieuse, ou insuffisamment. Il s’agit d’un horizon lointain. Mon objectif est d’accélérer de manière substantielle dans les cinq prochaines années l’activation des leviers qui sont à notre portée et qui peuvent avoir un effet massif : les carburants durables et l’électrification.
M. Nicolas Thierry (EcoS). Le groupe ADP est un leader mondial de l’exploitation d’aéroports, impliqué dans la gestion de plusieurs dizaines d’entre eux sur tous les continents. Il est bien connu des Français, en particulier depuis 2019 et l’intention exprimée par le gouvernement de le privatiser, alors qu’il est détenu à plus de 50 % par l’État. Ce projet a été massivement décrié, puisque plus de 1 million de Français avaient signé une proposition de référendum d’initiative partagée contre la privatisation. Vous l’avez rappelé, la décision ne relève pas du PDG du groupe ADP, mais nous sommes intéressés par votre avis personnel sur ce point.
En 2020, la pandémie de covid a finalement eu raison de ce projet et l’État demeure l’actionnaire majoritaire du groupe. Nous nous félicitons du maintien de sa participation, qui offre un levier stratégique pour agir contre le dérèglement climatique. En effet, la contribution du secteur aérien au réchauffement climatique est massive. En France, le secteur aérien représente autour de 7 % des émissions de CO2. La pandémie n’aura permis qu’une courte pause, et la contribution du secteur aérien a repris sa tendance à la hausse. L’enjeu fondamental pour les décennies à venir est donc la réduction des émissions.
Pour respecter les accords de Paris, les scientifiques sont formels : les seules solutions technologiques ne suffiront pas. L’avion à hydrogène ne pourra pas être généralisé avant des décennies. Les biocarburants et les carburants de synthèse requièrent des ressources démesurées de biomasse et d’électricité, qui brideront leur développement. Le levier majeur reste la réduction du trafic aérien. Cette préoccupation doit peser sur le cap que suivra le groupe ADP dans les prochaines années. Quel est votre point de vue ?
La fiscalité est un outil puissant pour détourner les passagers de l’avion. Vous êtes un spécialiste des questions fiscales. Alors que l’actuel PDG d’ADP avait pris position contre la hausse des taxes sur l’aérien, je souhaiterais aussi vous entendre sur ce sujet.
M. Philippe Pascal. La question de la réduction du trafic aérien doit être examinée au niveau mondial. Plafonner les vols à CDG ou à Orly, restreindre le trafic n’a de sens que si tout le monde prend la même décision. Sinon, les passagers iront ailleurs. Si vous interdisez les vols long-courrier ou moyen-courrier, les passagers passeront par d’autres hubs certainement moins engagés sur le plan environnemental que le groupe ADP.
J’ai pris position en la matière : il faut un usage raisonné de l’avion, autrement dit ne recourir à ce mode de transport que lorsqu’il est justifié ; lorsqu’il n’y a pas d’autre solution. Pour certaines destinations, par exemple nos départements d’outre-mer, il n’y a d’autre choix que l’avion.
Le sujet doit être appréhendé de manière globale : il faut éviter les fuites de carbone en favorisant d’autres aéroports, inciter à une utilisation raisonnée de l’avion et proposer des alternatives. Cela impose d’investir dans l’intermodalité, la décarbonation et la compétitivité de nos aéroports, qui sont globalement plus vertueux que de nombreux autres dans le monde – celui de Delhi, par exemple, que nous opérons en lien avec notre partenaire GMR, a une accréditation carbone exemplaire. Mais pour investir, il faut des moyens financiers. Or si la fiscalité conduit à alourdir le prix des billets d’avion et réduit la demande de transport aérien, la capacité à investir sera mécaniquement réduite.
Je porte une parole optimiste, qui dépasse l’alternative entre plus ou moins d’aérien : l’industrie française peut accélérer, sous réserve de ne pas être exagérément taxée.
M. Mickaël Cosson (Dem). Le groupe ADP est un modèle unique : une société cotée en bourse dont l’État est l’actionnaire majoritaire. L’accessibilité des territoires ruraux, la décarbonation de la flotte et l’insertion territoriale sont l’occasion de renforcer les liens en associant tout le monde à un projet collectif.
Nous saluons la proposition de votre nomination à la tête du groupe ADP, qui intervient dans un moment clé pour l’avenir du transport aérien. Fort de votre expérience au sein du groupe et de votre connaissance approfondie des enjeux économiques et financiers, vous aurez la responsabilité de conduire ADP dans une nouvelle ère, marquée par de profondes transformations. Alors que certains nous ramènent sans cesse à l’ère fossile, j’imagine l’énergie que vous devez déployer pour prouver le contraire.
L’avenir du secteur aérien repose sur un équilibre entre performance économique, innovation et impératifs environnementaux. La transition écologique de l’aviation est un défi immense, et nous attendons de la nouvelle présidence une feuille de route ambitieuse et pragmatique pour réduire l’empreinte carbone des infrastructures aéroportuaires, accélérer l’innovation en matière de carburants alternatifs et renforcer la compétitivité du groupe dans un monde en mutation. Il s’agira aussi d’inscrire le développement du groupe ADP dans une logique de responsabilité sociale et territoriale, en intégrant les enjeux de qualité de service, d’acceptabilité des activités aéroportuaires et de coopération avec les territoires.
Pour ces raisons, le groupe démocrate soutient votre nomination et espère que vous saurez engager ADP dans une dynamique de modernisation et de durabilité, à la hauteur des défis de notre époque.
Quelles mesures pourraient faciliter l’accélération de la transition écologique tout en maintenant une compétitivité à l’échelle internationale ?
M. Philippe Pascal. La feuille de route est ambitieuse, les engagements que j’ai pris devant vous en témoignent. Elle conduira, par exemple, à la neutralité carbone d’Orly dès cette année et à une neutralité d’émissions sans compensation en 2035 tant à Orly qu’à CDG. Une vraie dynamique est à l’œuvre pour atteindre des objectifs ambitieux.
Cette feuille de route suppose un travail collectif. C’est par l’élaboration d’un contrat de régulation économique qui associe toutes les parties prenantes plutôt que dans un tête-à-tête avec l’État, que je souhaite atteindre l’objectif de neutralité en 2050. C’est maintenant qu’il faut accélérer. Les décisions que nous prendrons en 2025 et en 2026 imposeront des aménagements qui mettront plusieurs années à se concrétiser, sans compter les nouvelles technologies qui pourraient arriver – notamment le déploiement de l’hydrogène, plutôt après 2030 voire 2035. C’est donc aujourd’hui que nous devons planifier en détail la feuille de route de demain.
La législation doit nous donner la possibilité de contractualiser dans le long terme. Aujourd’hui, le contrat de régulation économique est borné à cinq ans. Ce n’est pas suffisant pour déployer des investissements massifs. Compte tenu de notre projet industriel, il faudrait que l’horizon soit fixé à dix ans.
M. Sylvain Berrios (HOR). Votre discours est ambitieux et optimiste. Il n’en demeure pas moins qu’il existe des objectifs de long terme que vous avez évoqués et avec lesquels le groupe Horizons et indépendants est en phase, mais aussi de plus court terme, comme la lutte contre les nuisances aériennes. Ces nuisances sont une réalité et ont un impact fort sur la santé et la qualité de vie. ADP ne peut pas les ignorer.
Dans le questionnaire, vous indiquez que de nouvelles restrictions ne sont ni souhaitables ni possibles à Orly. Pour autant, l’Agence régionale de santé (ARS), les associations et les collectivités locales estiment qu’une demi-heure supplémentaire de couvre-feu est nécessaire et n’aurait qu’un impact mineur sur l’activité. En effet, il est question de six mouvements. Comment ADP peut-il s’organiser à court terme, avec les autres acteurs, pour mieux protéger les populations ? Comment le groupe pourra-t-il peser, avec ses partenaires, sur l’application du principe de descente continue ? Ce principe pourrait-il être un critère de la redevance différenciée ?
Le groupe Horizons et indépendants partage l’ambition d’ADP d’un impact neutre en 2050.
M. Philippe Pascal. Nous disposons de plusieurs leviers. J’ai évoqué le renouvellement des flottes, et vous citez les descentes continues. Celles-ci peuvent avoir un impact sur la réduction des nuisances sonores et les émissions. À Orly, elles étaient promises pour 2023. Elles le sont désormais pour 2026. Il faut tenir cette échéance. C’est à la main de la DGAC. Nous devons traiter ce sujet par le dialogue avec les élus locaux. Les descentes continues nécessiteront la formation des pilotes ainsi que la modernisation du système de navigation aérienne. Nous avons pris l’engagement, dans notre feuille de route Pioneers, de soutenir cette démarche, voire de l’accélérer. Il faudra aussi la développer à CDG.
Un dialogue plus étroit doit être noué avec l’Acnusa. Nous sommes très à l’aise avec le fait de sanctionner à hauteur des plafonds de sanction actuels et même de les relever pour garantir le strict respect du couvre-feu. Il faut aussi isoler phoniquement les 36 000 logements restants.
Par ailleurs, une demi-heure supplémentaire de couvre-feu semble peu, mais cette mesure aurait un impact significatif car les avions feraient une rotation de moins. Ce n’est pas anodin, car cela pèse sur la rentabilité de la ligne, mais aussi sur l’emploi des compagnies basées à Orly, dès lors qu’un avion de moins dormira à l’aéroport. Or, en affaiblissant la rentabilité de lignes déjà très concurrentielles, on fragiliserait tout l’écosystème et la capacité à investir. Il est essentiel de trouver une approche équilibrée.
M. Stéphane Lenormand (LIOT). Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires ne s’opposera pas à votre nomination, compte tenu de votre profil.
On dit souvent que le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, il y a beaucoup de petites choses à améliorer dans vos différentes plateformes, que j’utilise régulièrement en tant que député d’outre-mer. Comment se fait-il que le matin, quasiment un tiers des bornes de contrôle des passeports biométriques ne fonctionnent pas ? Pourquoi, en sortant de l’aéroport, je me fais alpaguer par des resquilleurs et des gens qui travaillent en toute illégalité, et proposent des trajets vers Paris à des prix un peu particuliers ? On a l’impression que personne ne les contrôle. Comment se fait-il qu’à Roissy, les taxis officiels attendent trois ou quatre heures dans une plateforme d’attente ? Le modèle économique m’échappe un peu ! Et je ne parle pas des trois ou quatre kilomètres à parcourir en descendant de l’avion à six heures trente pour arriver aux contrôles, des problèmes de signalisation parfois, ou encore des difficultés auxquelles se heurtent les passagers qui ont du mal à marcher. Au-delà des grands enjeux stratégiques qui ont été évoqués, la fluidité et d’autres petites choses du quotidien méritent d’être améliorées.
Notre groupe identifie deux points de vigilance. Le premier concerne l’augmentation des taxes aériennes. Il ressort du premier compte rendu de la commission mixte paritaire (CMP) que les insulaires et les outre-mer ne seraient pas nécessairement concernés. Je prends l’avion par obligation. S’il fallait que je prenne le bateau, il me faudrait à peu près huit jours pour arriver. De nombreux Ultramarins voyagent aussi par nécessité, souvent pour venir se faire soigner en métropole. Compte tenu des tarifs déjà pratiqués, même une petite augmentation serait perçue comme violente.
Le second point de vigilance concerne le départ d’Air France d’Orly, qui sera abandonné à on ne sait qui. Comment envisagez-vous cette réorganisation ? Je partage votre avis selon lequel, quand on peut, il faut utiliser un autre moyen de transport que l’avion. Mais n’oublions pas que nombre de nos concitoyens, dans le sud, avaient l’habitude d’utiliser Orly en volant avec Air France par obligation. Comment feront-ils ?
M. Philippe Pascal. J’ai exposé la magie de cette entreprise, qui vise à combiner le court et le long terme. Les préoccupations du quotidien sont tout aussi importantes pour nous que celles à l’horizon de 2030 ou 2050. C’est par la surpression des irritants quotidiens que la qualité ressentie et l’hospitalité que nous devons à nos passagers seront améliorées.
Vous évoquez Parafe, le système de passage automatique rapide aux frontières extérieures. Cet équipement est financé par le groupe ADP, mais mis à disposition de la police aux frontières. Les règles sont claires, en la matière : il faut un policier pour ouvrir cinq à six bornes Parafe. Qui plus est, Parafe n’est pas accessible à tous, notamment aux mineurs. La police arbitre donc entre la présence d’un policier pour ouvrir des bornes Parafe ou sa présence aux aubettes, en fonction du nombre de personnes éligibles à Parafe ou de la disponibilité du personnel.
Nous entretenons un dialogue permanent avec la police aux frontières, et nous avons créé un baromètre commun dont il ressort qu’entre 85 et 90 % des passagers attendent moins de dix minutes à la frontière. Mais ils sont entre 3 et 5 % à CDG et entre 0,5 et 1,5 % à Orly à attendre plus de quarante-cinq minutes. C’est inacceptable. Nous traitons ce sujet tous les mois avec la police aux frontières, mais je comprends de votre intervention qu’il faut aller plus loin.
Les taxis clandestins ne sont pas un point de détail. Là encore, nous travaillons en partenariat avec l’État. C’est à ce dernier d’assurer la sécurité, en déployant des policiers dédiés au contrôle des taxis, appelés les Boers. Pour autant, dans notre vision globale de la sécurité, que nous appelons continuum de sécurité, nous essayons d’apporter notre contribution, en lien avec la police, en informant les passagers en amont dans la salle de livraison des bagages, en marquant au sol le cheminement entre la sortie et l’emport des taxis officiels, et en déployant nos propres moyens de vigilance pour signaler les dérives à la police. Je comprends qu’il faut que nous fassions mieux, et nous y veillerons rapidement.
Nous espérons que l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion préservera les départements d’outre-mer. Chacun a un rôle à jouer. En l’occurrence, celui d’ADP concerne les connexions territoriales. Nous défendons ce message avec vous.
Le départ d’Air France d’Orly est le choix de la compagnie, qui conserve toutefois quelques vols. Nous devons veiller à ce que la connexion entre CDG et Orly soit forte, avec un nombre de destinations répondant à la demande des passagers. Nous avons des débats avec les compagnies aériennes et nous déployons des politiques d’incitation, le cas échéant. Pour autant, le choix industriel d’Air France lui appartient.
M. Marc Chavent (UDR). Nous sommes conscients des enjeux de décarbonation et de réduction des nuisances causées par le transport aérien, mais nous regrettons les propos tenus par Mme la rapporteure. Le transport aérien représente 3 % des émissions de CO2 au niveau mondial et il serait illusoire, voire dangereux, de sacrifier notre compétitivité nationale au nom d’une idéologie qui prône la décroissance à tout prix. Tandis que le reste de la planète poursuit son développement, la France ne doit pas se laisser gagner par ces dérives qui mettent en péril l’avenir de ses citoyens et de son économie. Ceux qui se préoccupent, à juste titre, du bien-être des salariés, des riverains et de notre planète devraient aussi prendre en considération l’impact de certaines politiques sur les Français. Ceux-ci en ont assez de ces décisions idéologiques et contre-productives. Dans cette commission, de nombreux collègues contribuent à détruire l’industrie automobile française par des décisions folles, et s’en prennent aujourd’hui au secteur aérien.
Compte tenu de ces éléments, nous ne nous opposerons pas à votre nomination. Nous nous abstiendrons.
M. Philippe Pascal. Vos questions s’adressent davantage à Mme la rapporteure.
J’ai abordé la politique de transformation dans mon propos liminaire. Nous tenons à défendre une vision optimiste qui nous éviterait des restrictions plus fortes, pour maintenir notre capacité d’investissement.
Mme la présidente Sandrine Le Feur. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Danielle Brulebois (EPR). Monsieur Pascal, vous ferez un excellent PDG d’ADP. Vous êtes complètement engagé dans la décarbonation et vous êtes un acteur majeur de la feuille de route du groupe visant à faire de ses aéroports de véritables hubs énergétiques.
Vous avez été le premier gestionnaire en Europe à mettre à disposition, à l’aéroport de Paris-Le-Bourget, une double offre permanente de carburant durable d’aviation (SAF) à base de biomasse. Vous avez aussi contribué au soutien à cette production en investissant aux côtés de la société américaine LanzaJet. Vous l’avez dit, il faudrait développer ces carburants durables, y compris les e-fuels, les carburants à base d’hydrogène. Toutefois, la biomasse ne suffira pas à répondre à toutes les demandes d’usage. Comment construire une chaîne de production et de déploiement des SAF en France ?
M. Frédéric-Pierre Vos (RN). Je ne parlerai pas d’indice psophique ou de carburants durables, mais de conditions de travail. En juillet, à l’occasion des Jeux olympiques, les syndicats ont déclenché une grève dans le but d’obtenir une prime, un plan d’embauche de 1 000 postes et l’arrêt de la dégradation de leurs conditions de travail. Si une prime de 300 euros a bien été versée, la question des conditions de travail reste en suspens. La rotation est manifestement toujours la même, avec une insuffisance d’effectifs chronique et un travail de nuit dont les salariés ne sont parfois avertis que l’après-midi même. Avez-vous l’intention de vous attaquer à bras-le-corps à ce problème ?
M. Bérenger Cernon (LFI-NFP). La présence d’actionnaires privés au capital d’ADP est souvent présentée comme un facteur de compétitivité. Pourtant, le versement de dividendes aux actionnaires représente un coût pour l’entreprise. La loi Pacte a ouvert la possibilité d’une privatisation d’ADP, ce qui impliquerait une indemnisation de l’État s’élevant à plusieurs milliards mais le priverait des dividendes qu’il perçoit. En revanche, une renationalisation appellerait le rachat des parts des actionnaires privés, mais permettrait de réorienter ces fonds vers l’investissement et empêcherait le phénomène de sous-traitance accrue, fruit d’un appétit toujours plus grand des actionnaires.
Quel serait selon vous l’impact d’une nationalisation sur ADP ? Ne pensez-vous pas qu’elle permettrait d’assurer une meilleure maîtrise stratégique du groupe, puisque les fonds pourraient être investis dans son développement plutôt que dans la rémunération d’actionnaires privés ?
Être candidat à un poste de PDG, ce n’est pas seulement exécuter ce qu’on nous ordonne. Cela impose avant tout d’avoir une vision ambitieuse à long terme, assortie d’objectifs marqués et clairs. Votre réponse dans le questionnaire est bien trop évasive.
M. Freddy Sertin (EPR). Étonnamment, peu de Français, y compris franciliens, savent qu’ADP est un groupe d’envergure mondiale – le premier, même, avec plus de 300 millions de passagers accueillis dans la vingtaine d’aéroports internationaux de votre réseau. On peut même se targuer du leadership français en la matière si l’on fait référence à votre concurrent Vinci Airport, qui exploite d’autres plateformes aéroportuaires à l’international. L’expérience de passager à la française est sans doute un élément de soft power à cultiver. Mais là n’est pas ma question.
Vous avez exposé votre plan de décarbonisation, qui passe par le progrès technique. Je salue l’engagement de votre groupe dans l’innovation en ayant soutenu, aux côtés de Volocopter, le déploiement de taxis volants parisiens et de hubs multimodaux intégrant le ferroviaire. Le premier moteur électrique d’avion est d’ailleurs, français, grâce aux ingénieurs de Safran. La décarbonation passe aussi par l’essor de carburants aéronautiques durables dits de synthèse, mais leur développement bute sur des problèmes de disponibilité et sur la réglementation. Quels freins réglementaires devraient être levés afin de mieux accompagner l’innovation du secteur et de permettre à la France de rester dans la course européenne aux transports décarbonés ?
Mme Julie Ozenne (EcoS). En 2018, Bruno Le Maire, alors ministre de l’économie, avait annoncé son intention de privatiser le groupe ADP. Ce projet avait suscité une forte opposition mais avait été suspendu en 2020 par la crise sanitaire. Pourtant, fin octobre 2024, le ministre chargé du budget et des comptes publics, Laurent Saint-Martin, a indiqué qu’il n’était pas opposé à l’idée de céder des participations de l’État dans certaines entreprises, réveillant les craintes d’un retour du projet de privatisation du groupe.
Vous affirmez, d’une part, qu’une privatisation conduirait l’État à renoncer aux versements réguliers de dividendes, sachant que le groupe a versé plus de 2 milliards à l’État depuis son introduction en bourse en 2006. D’autre part, vous indiquez qu’une privatisation aurait pour conséquence le versement par l’État à l’entreprise d’une soulte de plusieurs milliards à l’issue d’une période de soixante-dix ans. Pouvons-nous conclure de vos déclarations qu’une privatisation serait préjudiciable à l’État et que vous y seriez, à titre personnel, opposé ?
Par ailleurs, le groupe ADP a réservé des terrains pour la mise en place d’une ferme à hydrogène. Où se situera-t-elle pour Orly ? Le site sera-t-il classé Seveso ?
M. Philippe Pascal. Pour accélérer le développement des carburants durables, il faut développer une filière, d’autant que la demande est là. Les compagnies aériennes veulent de tels carburants et nous avons la capacité de les distribuer. L’aéroport dispose des infrastructures pour le faire, et pour le faire vite. Ne reste plus que la matière première nécessaire à sa production, qui impose de structurer une filière large. Récemment, le commissaire aux participations de l’État, Alexis Zajdenweber, m’indiquait qu’il entendait accélérer l’instauration d’une filière et mobiliser l’écosystème pour y parvenir.
La création d’une filière implique de mobiliser des moyens de financement très larges, auprès de tous les acteurs. Les États-Unis le font, forts d’un plan doté de plusieurs centaines de milliards de dollars. L’Europe essaiera de le faire, en fixant des objectifs ambitieux mais aussi en réglementant. L’investissement est au cœur de notre métier. Il faut donc laisser les acteurs investir, et ne pas les accabler mais plutôt les accompagner et assurer la cohérence de leurs actions. Parmi ces acteurs, il y a les pétroliers, qui ont un intérêt légitime à produire ce type de carburant. Il y a aussi les compagnies aériennes. Les carburants durables coûtent trois à six fois plus cher que du kérosène. Ce n’est pas normal. Nous devons construire un modèle économique en Europe.
S’agissant de la renationalisation ou de la privatisation, le management du groupe n’a pas à prendre position ; la décision relève de l’actionnaire. En l’occurrence, le premier propriétaire d’ADP est l’État. C’est à lui de savoir ce qu’il entend faire de son entreprise, dont il confie la gestion à un management. La loi Pacte a été votée sous le contrôle du Parlement.
La renationalisation aurait un coût majeur pour l’État. L’entreprise vaut environ 11 milliards. Dans la mesure où l’État en détient 50,6 %, il devrait dépenser au minimum 5 à 6 milliards pour acheter l’autre moitié – probablement plus, avec la dynamique que le lancement d’une telle opération pourrait créer sur les marchés. Un choix de politique publique doit être opéré. Une nationalisation améliorerait-elle la gestion de l’entreprise ? L’ADN d’ADP est de concilier sa mission de service public avec un esprit d’entreprise. C’est ce qui fait sa force. Ce groupe est donc géré aussi bien que l’on pourrait gérer une politique publique ou un service public, et aussi bien que l’on pourrait gérer une entreprise. Nous avons le meilleur des deux.
Quant à la privatisation, je n’ai pas non plus à juger si elle serait ou non préjudiciable. Je rappelle simplement les chiffres, conformément à mon rôle de manager.
Concernant la ferme hydrogène à Orly, qui serait soumise à une réglementation de type Seveso, il n’y a à ce stade qu’une réservation foncière de 20 hectares. Nous y travaillons. Une réservation foncière d’environ 30 hectares existe aussi à CDG.
S’agissant des conditions de travail, du travail de nuit et des rémunérations, nous avions en 2020 des participations dans vingt-six aéroports dans le monde, dont vingt-cinq ont fermé en raison de la pandémie. Seul celui de Liège est resté partiellement ouvert, pour l’activité cargo. CDG a donc continué à opérer du cargo, mais le transport de passagers était à son niveau le plus réduit. Pour maintenir la survie de l’entreprise, nous avons emprunté 4 milliards. C’est ce montant considérable qui explique de la hausse de la dette.
Par ailleurs, nous savions que le trafic reprendrait tardivement. Celui-ci n’est d’ailleurs pas encore revenu au niveau qui était le sien avant le covid. Nous espérons que ce sera le cas en 2026.
Ces tensions ont conduit ADP à essayer de préserver au maximum tant l’outil industriel que l’emploi. Nous avons tout de même dû procéder à une rupture conventionnelle collective. Nous nous sommes refusé à procéder à des licenciements unilatéraux. C’était un point majeur pour Augustin de Romanet qui a défendu cette politique. Cette rupture conventionnelle collective a conduit au départ de 1 400 personnes, lesquelles sont quasiment toutes réembauchées. Nous ne le nions pas, la forte reprise du trafic – qui n’est que le rétablissement du trafic antérieur – a conduit à des réembauches insuffisamment rapides pour certains collectifs de travail : nous avons fait avec le marché de l’emploi tel qu’il était.
En ce qui concerne les salaires, l’entreprise a aussi une double culture, publique et privée. Notre statut prévoit des évolutions mécaniques, un avancement à l’ancienneté. Nous avons aussi une négociation annuelle obligatoire (NAO) classique. Dans certains cas, la revalorisation des salaires pourrait être inférieure à l’inflation, mais ce n’est pas la proposition que nous avons faite aux organisations syndicales pour cette année. La combinaison du statut et de la NAO permet des augmentations salariales sensibles, pour des salaires moyens élevés, au-delà de 5 000 euros. Cette année, l’augmentation mécanique représente 2,3 % et nous proposons, dans le cadre de la NAO, une augmentation équivalente à 3,3 %.
Le dialogue social continuera. Nous avons convenu avec les organisations syndicales, si vous confirmez ma nomination, de nous revoir pour engager un dialogue notamment sur la structure des rémunérations.
Mme Clémence Guetté, rapporteure. Vous estimez qu’il existe encore un rêve de l’aérien. Mais nos interventions, hormis celles de l’extrême droite, ont montré que ce rêve à un coût environnemental et sanitaire. Ce coût nous préoccupe largement, car les riverains des aéroports ont une espérance de vie réduite du fait de l’activité aérienne qui n’est, à l’évidence, pas anodine.
De nombreuses questions vous ont été posées concernant la décarbonation, les nouveaux avions et les nouveaux carburants, avec une adhésion plus ou moins enthousiaste au techno-solutionnisme. Pour mon groupe, c’est une impasse ; il faut développer un autre imaginaire pour les mobilités. C’est un impératif environnemental.
Merci d’avoir répondu à nos questions de manière franche et précise.
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Après le départ de M. Philippe Pascal, il est procédé au vote sur le projet de nomination, par appel nominal à la tribune et à bulletins secrets, les scrutateurs étant Mme Danielle Brulebois et M. Denis Fégné.
Les résultats du scrutin ont été annoncés, simultanément à ceux de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, le mercredi 12 février 2025 :
Nombre de votants |
53 |
Abstentions, bulletins blancs ou nuls |
9 |
Suffrages exprimés |
44 |
Pour |
22 |
Contre |
22 |
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Informations relatives à la commission
La commission a désigné :
– M. Mickaël Cosson, rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole (n° 143) ;
– MM. Gabriel Amard, Fabrice Barusseau, Jean-Michel Brard, Mme Danielle Brulebois, MM. Pierre Cazeneuve, Pascal Markowsky, Hubert Ott, Mmes Julie Ozenne, Anaïs Sabatini, M. Freddy Sertin, Mme Ersilia Soudais, M. Jean-Pierre Taite, membres de la mission d’information sur l’état des cours d’eau ;
– M. Nicolas Bonnet, Mme Danielle Brulebois, MM. Bérenger Cernon, Mickaël Cosson, Peio Dufau, Auguste Evrard, Mmes Sylvie Ferrer, Olga Givernet, MM. Julien Guibert, Gérard Leseul, Matthieu Marchio, Xavier Roseren, Nicolas Sansu, Freddy Sertin, Jean-Pierre Taite, David Taupiac, Frédéric-Pierre Vos, membres de la mission d’information sur le rôle du transport ferroviaire dans le désenclavement des territoires ;
– M. Mickaël Cosson et M. Olivier Serva, co-rapporteurs de la mission « flash » sur la valorisation des algues en réponse à leur prolifération.
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Membres présents ou excusés
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
Réunion du mercredi 5 février 2025 à 9 heures
Présents. - M. Gabriel Amard, M. Fabrice Barusseau, M. Olivier Becht, M. Sylvain Berrios, M. Emmanuel Blairy, M. Nicolas Bonnet, M. Éric Bothorel, M. Jean-Michel Brard, M. Anthony Brosse, Mme Danielle Brulebois, M. Sylvain Carrière, M. Bérenger Cernon, M. Marc Chavent, M. Mickaël Cosson, M. Hendrik Davi, M. Stéphane Delautrette, M. Vincent Descoeur, M. Peio Dufau, M. Aurélien Dutremble, M. Romain Eskenazi, M. Denis Fégné, Mme Sylvie Ferrer, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Olga Givernet, Mme Clémence Guetté, M. Julien Guibert, M. Sébastien Humbert, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Chantal Jourdan, Mme Sandrine Le Feur, Mme Julie Lechanteux, Mme Claire Lejeune, M. Stéphane Lenormand, M. Guillaume Lepers, Mme Murielle Lepvraud, M. Gérard Leseul, M. Matthieu Marchio, M. Christophe Marion, M. Pascal Markowsky, Mme Julie Ozenne, M. Jimmy Pahun, Mme Constance de Pélichy, Mme Christelle Petex, M. Xavier Roseren, M. Fabrice Roussel, Mme Anaïs Sabatini, M. Nicolas Sansu, M. Raphaël Schellenberger, M. Freddy Sertin, Mme Ersilia Soudais, Mme Anne Stambach-Terrenoir, M. Jean-Pierre Taite, M. David Taupiac, M. Vincent Thiébaut, M. Nicolas Thierry, Mme Anne-Cécile Violland, M. Frédéric-Pierre Vos
Excusés. - Mme Lisa Belluco, M. Jean-Victor Castor, M. Lionel Causse, M. François‑Xavier Ceccoli, M. Timothée Houssin, M. Éric Michoux, M. Hubert Ott, M. Olivier Serva
Assistaient également à la réunion. - M. Ian Boucard, M. Jean-Luc Bourgeaux, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Alexandra Masson, M. Vincent Rolland, M. Antoine Vermorel-Marques, M. Jean-Pierre Vigier