Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Examen du rapport de la mission d’information sur la gestion de la dette sociale (Mme Stéphanie Rist et M. Hadrien Clouet, rapporteurs)              2

 Examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance (Mme Isabelle Santiago, rapporteure) (n° 190)              21

 Informations relatives à la commission......................34

– Présences en réunion.................................35

 

 

 

 

 


Mercredi
2 octobre 2024

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 1

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Annie Vidal,
Vice-présidente

 


  1 

La réunion commence à neuf heures trente.

(Présidence de Mme Annie Vidal, vice-présidente)

 

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Avant d’en venir à l’examen du rapport d’information sur la gestion de la dette sociale, j’aimerais souligner que cela fait plus d’une semaine que les différents rapporteurs thématiques du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ont demandé la communication de documents préparatoires. Or, nous n’avons pas obtenu la moindre réponse de Matignon ou de la ministre chargée des relations avec le Parlement. Alors que le Premier ministre, dans son discours de politique générale, a expliqué hier que la santé, la famille et les retraites seraient ses priorités, que cache-t-il ? Nous demandons au Gouvernement de respecter le Parlement en transmettant ces documents auxquels nous avons droit, faute de quoi nous irons les chercher nous-mêmes.

Mme Sandrine Runel (SOC). Le ministre Paul Christophe nous a annoncé hier avoir démissionné de la présidence de notre commission. Nous aimerions savoir quand aura lieu l’élection de son successeur car, au regard des travaux qui nous attendent, un président élu démocratiquement nous sera nécessaire.

Mme Sandrine Rousseau (EcoS). Le PLFSS conditionne les objectifs de dépenses de notre système social pendant une année. À ce jour, nous ne disposons d’aucun document préparatoire, ce qui pose un problème démocratique fondamental. Il n’est jamais arrivé que nous nous apprêtions à examiner ce texte sans la moindre indication de son contenu.

De même, je soutiens la demande de précision concernant la date de l’élection à la présidence de la commission. Nous avons besoin de lisibilité.

M. Thibault Bazin (DR). La nomination tardive du Gouvernement a entraîné un retard dans la transmission des documents préparatoires du PLFSS et un décalage dans la présentation de son budget. Nous souhaitons tous en avoir communication le plus rapidement possible.

Concernant l’élection à la présidence de la commission, nous devons pouvoir ordonner nos travaux. L’examen en commission du PLFSS se profile, de même que celui de propositions de loi lors de journées d’ordre du jour réservé. Il serait souhaitable d’anticiper l’étude de ces dernières afin de ne pas avoir à discuter de tout la même semaine.

Mme Annie Vidal, présidente. Le PLFSS sera présenté en Conseil des ministres jeudi 10 octobre. Nous ne l’aurons pas avant cette date. Je suis comme vous : je n’ai pas plus d’informations.

Quant à l’élection d’un nouveau président, une date sera fixée pour l’ensemble des commissions concernées dès que tous les ministres auront adressé leur démission. Les désignations à la tête de ces commissions auront toutes lieu le même jour.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’ancien président de notre commission a déjà démissionné. En vertu de quoi devrions-nous retarder l’élection de son successeur ? Quel est l’article du Règlement de l’Assemblée nationale qui l’impose ?

M. Benjamin Lucas-Lundy (EcoS). Il est arrivé que des commissions renouvellent leur présidence alors qu’elles étaient seules dans cette situation. Je ne vois pas pourquoi nous serions contraints d’attendre que les ministres moins scrupuleux que notre ancien président accomplissent leur devoir en démissionnant.

Mme Annie Vidal, présidente. Pour une question de parallélisme des formes, les différents présidents de commission seront élus le même jour. D’ici là, la commission des affaires sociales continue de travailler normalement.

M. Jérôme Guedj (SOC). J’aimerais savoir qui a pris cette décision. Le sujet a-t-il été évoqué en Conférence des présidents ? À ma connaissance, le bureau de notre commission ne s’est pas réuni ; vous pourriez le convoquer pour régler cette question. Est-il envisageable que l’élection se tienne après le 21 octobre, c’est-à-dire au moment où les quatre députés issus de notre commission qui ont été nommés ministres auront été remplacés ? Nous nous apprêtons à examiner un PLFSS complexe sans présidence élue pour animer les débats. Cela ne correspond pas à l’état d’esprit de notre commission depuis deux ans, où nous avons toujours travaillé en bonne intelligence.

Mme Annie Vidal, présidente. Je ne peux pas vous laisser dire qu’il n’y a pas de présidence. J’assure l’intérim jusqu’au jour où se tiendront les élections à la présidence des commissions concernées.

Mme Béatrice Bellay (SOC). Pourriez-vous nous spécifier quel article du Règlement prévoit cette règle ?

Mme Annie Vidal, présidente. Je n’ai pas mentionné de disposition de Règlement. C’est une question de parallélisme des formes. L’ensemble des présidents seront élus le même jour.

La commission examine le rapport de la mission d’information sur la gestion de la dette sociale (Mme Stéphanie Rist et M. Hadrien Clouet, rapporteurs).

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons à notre ordre du jour. Sous la précédente législature, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) avait décidé de consacrer une évaluation structurante à la gestion de la dette sociale. À la suite de la dissolution, nous avons décidé, dès juillet, de perpétuer ces travaux sous la forme d’une mission d’information de la commission. À quelques jours du débat annoncé dans l’hémicycle sur la dette publique puis de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il est plus que jamais pertinent que notre commission dispose de solides éléments sur cette question.

M. Hadrien Clouet, rapporteur. Le terme « dette sociale » est récent dans nos débats puisqu’il n’apparaît pas avant les années 1990. Il est depuis devenu incontournable d’autant qu’il dispose d’un véhicule spécifique : la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), qui était censée disparaître il y a une quinzaine d’années.

L’imprécision de ce terme et l’étonnante persistance d’un organisme temporaire ont attiré l’attention de la Mecss, tant sur les principes d’un tel organisme que sur ses modalités techniques de fonctionnement.

Le présent rapport porte sur un sujet d’intérêt public. Il nous a semblé important de restituer les appréciations diverses et parfois contradictoires que suscite la Cades, dont la création constitue une rupture dans l’histoire de la sécurité sociale. Celle-ci engage des dépenses visant à dissiper l’insécurité du lendemain en couvrant un ensemble de risques, mais également en finançant des plans d’investissement dans la santé et des plans de prévention au travail. Ces dépenses nécessitent des recettes.

Que faire lorsqu’il existe un décalage entre recettes et dépenses ? S’il s’agit d’un excédent, comme en 2001, l’argent est provisionné. S’il y a un déficit, il faut lever des fonds pour assurer la continuité des droits garantis à la population. Jusqu’aux années 1990, une option existait : l’augmentation des taux de cotisations et l’emprunt auprès du crédit public, notamment la Caisse des dépôts et consignations. En conséquence, il n’y avait pas d’encours de dette. La rupture intervient avec la crise économique de 1993, qui entraîne un effondrement du volume des cotisations sociales. La sécurité sociale s’endette à hauteur de 17 milliards d’euros. Certains gestionnaires, à l’époque, accusent les charges indues et exonérations non compensées d’être exclusivement responsables de ce déficit.

Le Premier ministre de l’époque, Alain Juppé, fait adopter une nouvelle méthode de gestion des déficits de la sécurité sociale : le cantonnement. Cette méthode, qui n’est pas inédite, consiste à transformer des déficits annuels en une dette confiée à une institution dédiée à son refinancement, à sa renégociation et à son apurement. Il s’agit d’un établissement public administratif distinct de l’État : la Caisse d’amortissement de la dette sociale.

La durée de vie de cette institution, initialement fixée à treize ans, a été prolongée et ses missions se développées. Outre la dette de la sécurité sociale, elle reçoit de multiples nouveaux engagements à rembourser, ce qui repousse d’autant sa date d’expiration. Opérationnellement, la Cades émet des titres à moyen et à long terme sur les marchés financiers à un taux excédant légèrement celui de l’État.

Mais là s’arrête la comparaison avec la dette publique. La dette sociale ne roule pas : elle est amortie. Elle fonctionne de manière radicalement différente de la dette publique d’État, les intérêts et le principal étant remboursés dans une durée limitée, avec une recette exclusivement dédiée.

Au-delà de cette distinction technique, l’opération poursuit un but symbolique, voire disciplinaire : singulariser cette dette par rapport aux autres pour en visibiliser le besoin de remboursement, par opposition à d’autres solutions comme l’effacement ou la dilution par roulement. Il s’agit donc de donner à voir un engagement financier en le comptant à part et de mettre à contribution les personnes censées être concernées par les déséquilibres initiaux. Elles sont ainsi confrontées à une expression comptable de ce que certains ont appelé le « trou de la sécu ». Cette expression contestable signifierait l’existence de déficits à caractère presque permanent, nécessitant d’agir sur les dépenses. D’autres soulignent que cette métaphore est abusive puisque les revenus ne disparaissent pas dans un trou : ils sont toujours distribués auprès des populations.

Ainsi, selon le représentant de la Cades, le choix vertueux d’amortir la dette sociale avait une dimension pédagogique que n’aurait pas eu la consolidation de la dette avec celle de l’État. Les représentants des organisations syndicales ont contesté cette vision, qu’ils estiment un faux-semblant : quand un salarié paie sa part salariale, la taxe sur la valeur ajoutée et les exonérations de cotisations dont bénéficient les employeurs, partiellement compensés par l’État, il rembourse trois fois la dette sociale.

Les missions de la Cades n’ont cessé de croître, tout comme les ressources affectées. Concrètement, on passe de 4 milliards d’euros affectés en 1996 à un peu plus de 20 milliards d’euros aujourd’hui.

Pour éteindre la dette en empruntant, la Cades bénéficie d’une série de ressources propres. En 1996, un impôt spécifique est créé : la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), au taux de 0,5 % sur l’ensemble des revenus, prestations sociales comprises. S’y ajoute à partir de 2009 une fraction de 0,2 point de la contribution sociale généralisée (CSG), qui bénéficiait auparavant au Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Entre 2011 et 2024, de nouvelles évolutions du taux sont intervenues pour augmenter les ressources de la Cades.

Le bilan comptable de cette caisse est contradictoire. D’un côté, la mission qui lui est allouée est remplie : elle place des titres facilement sur le marché, qui sont demandés par des créanciers privés, et elle respecte ainsi son mandat de cantonner la dette sociale en substituant des financements à long ou à moyen terme à des financements à court terme, contenant ainsi les taux tout en réduisant le risque de liquidité.

D’un autre côté, l’ensemble des revenus qu’elle a versés en commissions bancaires et en intérêts depuis 1996 représente 75 milliards d’euros. Rémunérer la finance coûte 3 milliards d’euros par an à la sécurité sociale en simples frais financiers. De plus, un mystère demeure : on sait qui alimente la Cades par le biais des impôts et ressources affectés, mais on ne connaît toujours pas le profil de ses bénéficiaires, qui touchent les intérêts susmentionnés.

Nous portons chacun un regard différent sur le recours au marché financier pour cantonner une dette issue de déficits cumulés de la sécurité sociale. Se pose dès lors une deuxième interrogation, que présentera ma collègue Stéphanie Rist : celle de la nature des dépenses qui ont été intégrées à la dette sociale.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure. Les deux premières parties du rapport portent sur l’historique et la définition de la dette sociale, ainsi que sur les modalités de sa gestion. Une fois ce panorama brossé, nous nous sommes intéressés à la question de l’actualité de la dette sociale à travers l’évaluation du programme de reprise voté dans les lois du 7 août 2020 et aux conséquences de la situation financière actuelle de la sécurité sociale, marquée par d’importants déficits.

Avant la pandémie de covid-19, le terme de l’amortissement de la dette sociale, fixé à 2024, était en passe d’être respecté. L’exécution du dernier programme de reprise de dette, engagée en 2010, permettait d’envisager la disparition de la caisse et l’éventuelle réaffectation de ses ressources. Les comptes sociaux s’étaient progressivement redressés, à tel point que le déficit de la sécurité sociale n’était plus que de 1,7 milliard d’euros en 2019. La crise sanitaire a brutalement mis fin à cette embellie. Les surcoûts et les pertes de recettes directement liés à la pandémie se sont élevés à 90 milliards d’euros entre 2020 et 2023. L’essentiel de ce montant, soit environ 50 milliards d’euros, correspond à des dépenses supplémentaires dans le champ de l’assurance maladie, le reliquat étant principalement constitué de pertes de recettes.

Il est apparu dès mars 2020 que l’effet ciseau des pertes de recettes et des hausses de dépenses remettait en question la capacité de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à répondre aux besoins de financement à court terme de la sécurité sociale. Au début du mois d’avril, l’Acoss ne fut pas en mesure d’obtenir des marchés l’ensemble des financements sollicités auprès d’eux. Cette situation inédite laissait craindre que le service des prestations ne puisse plus être assuré par les circuits financiers habituels. C’est pourquoi le gouvernement de l’époque a décidé d’organiser une nouvelle reprise de dette par la Cades afin de soulager la trésorerie de l’Acoss et de lui permettre de respecter ses engagements envers les branches.

Les deux projets de loi examinés par le Parlement entre mai et août 2020 prévoyaient tout d’abord de transférer à la Cades la dette de l’assurance maladie, du fonds de solidarité vieillesse, de la branche vieillesse du régime des non-salariés agricoles et de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), constituée jusqu’à la fin de l’année 2019, soit avant le déclenchement de la crise sanitaire, pour un montant total de 31 milliards d’euros. Ils permettaient ensuite de couvrir les déficits prévisionnels du régime général et du FSV pour les années 2020 à 2023, dans la limite de 92 milliards d’euros.

Enfin, le même plan de reprise prononçait le transfert à la Cades d’un tiers de la dette des établissements assurant le service public hospitalier, soit 13 milliards d’euros. La mise en œuvre de ce programme impliquait de reporter le terme de l’amortissement de la dette sociale à la fin de l’année 2033 au plus tard, ce qu’autorisa la loi du 7 août 2020. D’un même mouvement, la Cades s’est vu privée d’une partie de ses ressources, une fraction de la part de CSG dont elle était affectataire étant consacrée au financement de la cinquième branche à partir de 2024, tandis que le montant du versement annuel qu’elle recevait du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) a été réduit de 2,1 milliards d’euros à 1,45 milliard d’euros à compter de 2025.

Nos auditions nous ont permis de mesurer combien la décision de rouvrir la Cades afin de couvrir les déficits exceptionnels liés à la crise avait été prise dans l’urgence, s’imposant comme une évidence au gouvernement de l’époque. Elle n’en a pas moins suscité des débats qui demeurent vifs. Certains observateurs ont estimé que, la gestion de la crise sanitaire ayant été assurée par l’État, la dette qui en résultait aurait dû lui être transférée. On peut cependant leur objecter que la gestion financière de la sécurité sociale relève de la compétence du Gouvernement et du législateur, qui l’exercent en particulier lors de l’examen des lois de financement de la sécurité sociale. Il semblait donc difficile d’isoler la dette liée au covid du reste de la dette sociale au seul motif que la lutte contre la pandémie avait été conduite par l’État.

Il est aussi important de relever que la dette liée au covid n’est pas clairement distinguée du reste de la dette sociale reprise par la caisse. Elle ne fait pas non plus l’objet d’un traitement spécifique, notamment en ce qui concerne la durée de son amortissement. À l’inverse, la part de la dette liée au covid portée par l’État est retracée au sein d’un programme budgétaire spécifique qui isole comptablement ces passifs du reste de la dette publique.

D’autres commentateurs ont mis en lumière l’élargissement de la dette sociale à de nouvelles catégories de passifs. Il est ainsi légitime de rappeler que la dette des hôpitaux résultait, pour l’essentiel, de dépenses d’investissements, et non de dépenses de prestations.

Selon nos calculs, il reste 7 milliards d’euros de dette non couverts par le programme de reprise. Ces déficits pèsent sur la trésorerie de l’Acoss dans un contexte où ses besoins de financement sont appelés à augmenter du fait de la situation financière dégradée de la sécurité sociale. Selon les dernières prévisions présentées à la Commission des comptes de la sécurité sociale, le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du FSV s’établirait à 16,6 milliards d’euros en 2024. Ce montant est sensiblement supérieur aux prévisions indiquées en annexe de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, qui anticipait un déficit de 10,5 milliards d’euros.

Les déficits de la sécurité sociale pourraient donc atteindre, dès 2025, un montant supérieur à la capacité d’amortissement de la dette par la Cades. La présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes a qualifié cette situation d’impasse de financement, dans la mesure où la dette s’accroîtrait en valeur absolue malgré l’action de la Cades.

Le constat est connu. Deux branches portent spécifiquement les déficits de la sécurité sociale : la branche maladie et la branche vieillesse. Le déficit de l’assurance maladie s’est élevé à 11,1 milliards d’euros en 2023. Il se stabiliserait autour de ce niveau en 2024. S’agissant de l’assurance vieillesse, les déficits seraient portés à la fois par le régime général, malgré la réforme des retraites, mais également par la CNRACL, dont le déficit pour 2023 s’est élevé à 2,5 milliards d’euros et s’aggraverait à 3,6 milliards d’euros dès 2024. Or, les besoins de financement de la CNRACL sont intégralement couverts par les emprunts souscrits par l’Acoss.

La gestion de la dette sociale implique donc certes d’amortir la dette déjà constituée, mais également d’éviter qu’elle ne se recompose en accumulant des déficits non maîtrisés. Notre rapport se conclut donc par deux pistes d’équilibrage des comptes sociaux : hausse des recettes et maîtrise des dépenses. Naturellement, on peut combiner les deux. Par ailleurs, les hypothèses de déficit pourraient être modifiées lors de la présentation du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ; il faudrait alors affiner les projections.

Redresser les comptes sociaux dès 2025 par une hausse des recettes nécessiterait d’augmenter tous les taux de CSG de plus de 1 point ou de relever de plusieurs points les cotisations vieillesse et d’assurance maladie. Pour y parvenir par la seule maîtrise des dépenses, le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) estime qu’il faudrait plusieurs années, en maintenant à 1 % l’augmentation annuelle de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) de 2025 à 2028. Selon nos calculs, cela reviendrait à un effort de 21 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2028 par rapport aux prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Dans les deux cas, la résorption des déficits n’interviendrait qu’en 2025. Il faut donc s’interroger sur la reprise des déficits non couverts des exercices 2023 et 2024 et de la dette cumulée de la CNRACL entre 2020 et 2024, soit quelque 34 milliards d’euros. Or, les dernières prévisions présentées à la Commission des comptes de la sécurité sociale montrent que la Cades pourrait amortir la dette dès 2032, soit un an avant la date officielle de son extinction. Il serait donc possible de lui transférer une part de dette supplémentaire, à hauteur de sa capacité d’amortissement sur un an, sans allonger sa durée de vie. Selon le HCFiPS, cette capacité s’élèverait à 27 milliards d’euros en 2033. Toute reprise excédant cette somme devrait s’accompagner d’une augmentation des recettes affectées à la Cades ou d’un report de sa date d’extinction, donc de l’adoption d’une loi organique.

Nous nous sommes bornés à présenter des pistes de solution pour alimenter le débat. Il ne vous aura pas échappé que nos opinions divergent sensiblement.

M. le rapporteur. « Lorsque la Cades a été créée, j’exerçais le métier d’assureur. J’avais alors interdit l’achat de titres de la Cades, considérant que la sécurité sociale ne devait pas être financée ainsi. » Ces propos ont été tenus par M. Patrice Ract Madoux, président de la Cades, devant la représentation nationale. Je suis d’accord : l’ordonnance de création de la Caisse acte le renoncement de la puissance publique à augmenter les cotisations pour couvrir les dépenses utiles à la sécurité sociale. On a privé cette dernière des ressources nécessaires et on a construit à la place une dette sociale, favorisant l’accumulation de déficits ensuite transférés à une caisse spécifique et remboursés d’une manière injuste, en pesant davantage sur les petits revenus que sur les grandes fortunes. Cela entraîne les frais exorbitants de commission et de remboursement déjà cités – 75 milliards d’euros d’intérêts. Tout ce qui est mis dans le remboursement de la dette ne peut pas l’être dans le financement des prestations. Or, il faudrait allouer plus de ressources au financement de la branche maladie.

La création de la Cades marque une bifurcation. Le circuit socialisé, qui va des cotisations aux subventions, a fait la preuve de son efficacité – le maillage hospitalier le montre. Mais il a été grignoté par le circuit de reproduction capitalistique conduisant du crédit au remboursement, dont la Cades est le symbole.

Que peut-on faire ? Premièrement, on peut accroître les ressources de la sécurité sociale afin d’éviter les déficits plutôt que d’inventer des impôts injustes pour les éponger après coup. Les sommes perçues au titre de la CRDS mériteraient d’être directement réinjectées dans la sécurité sociale. Il existe des marges de manœuvre ; par exemple, depuis 2017, à cause de la compression salariale, la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée a reculé de deux points, soit 28 milliards d’euros par an. Les exemptions d’assiette afférentes que constituent les revenus non salariaux, comme les « primes Macron », coûtent près de 10 milliards d’euros par an aux comptes de la sécurité sociale.

Deuxièmement, le rachat et la réintégration des engagements de la Cades dans le budget de l’État devraient constituer une priorité. Il faut démarrer en soldant l’opération douteuse de la dette liée au covid, qui a consisté à faire payer à la sécurité sociale la facture du chômage partiel et des congés parentaux décidés par l’État. La France est la seule à avoir fait ce choix. Un tel mouvement permettrait de faire rouler la dette plutôt que de sabrer dans les comptes sociaux au nom d’un hypothétique remboursement du principal à court terme.

Troisièmement, si l’on veut favoriser l’extinction de la Cades, il faut limiter ses ressources. Chaque année, plus de 20 milliards d’euros lui sont alloués, soit le double du déficit annuel de la sécurité sociale. Pour rester mesuré, on pourrait ne lui affecter que la CRDS et ramener à la sécurité sociale la fraction de la CSG et les versements du FRR qui lui reviennent. Ils ne sont pas efficacement utilisés : il y aurait de quoi rééquilibrer les comptes en quelques années. Un financement ainsi étalé pourrait reposer enfin sur une fiscalité progressive, qui mettrait à contribution grandes fortunes et superprofits – pardon, bénéfices exceptionnels –, plutôt que des impôts qui pèsent sur l’allocation de rentrée scolaire ou sur l’aide personnalisée au logement.

Puisque la Cades est un outil de financiarisation de la sécurité sociale, on peut lire le présent rapport comme un plaidoyer pour le retour à une sécurité sociale intégrale, autonome en matière de ressources, reposant sur le salaire des travailleurs qui en seraient les gestionnaires.

Mme la rapporteure. Nous avons mené un travail très riche. J’en tire trois conclusions. Il ne faut pas remettre en cause le choix fait en 1996 de distinguer la dette sociale du reste de la dette publique, et de prévoir son amortissement à moyen terme par un organisme dédié, la Cades. Le mécanisme est vertueux et c’est une question de justice pour les générations futures à qui nous ne devons pas transmettre la responsabilité d’éponger une dette constituée par des déficits courants, dont elles ne bénéficient pas.

La Cades et l’Acoss remplissent leur mission avec professionnalisme et efficacité. Tous les acteurs reconnaissent la qualité de leur signature. La facilité avec laquelle ils lèvent des fonds en témoigne. L’écart des taux qui leur sont consentis avec ceux dont bénéficie l’État est très faible, de sorte que le léger surcroît d’intérêts est peu significatif au regard des avantages de la souplesse d’une possible émission de titres en dehors du refinancement de la dette de l’État.

Il serait vain d’organiser l’amortissement de la dette sociale sans réduire les déficits qui l’alimentent. Je suis convaincue que nous devons d’abord consacrer nos efforts à réduire les dépenses et à améliorer leur efficacité, sans omettre de réfléchir aux recettes sociales. J’ai évoqué les causes structurelles du déficit de la sécurité sociale. Il convient d’y apporter des réponses elles aussi structurelles. Ces derniers mois, de nombreuses idées ont été versées au débat pour diminuer les dépenses : lutter contre les arrêts maladie non justifiés, limiter le volume de médicaments consommés, améliorer la pertinence des actes, etc. Ces efforts doivent être partagés par tous.

S’agissant des recettes, un consensus émerge pour faire évoluer certains allégements généraux, tout en préservant leurs effets bénéfiques sur l’emploi. Ces réflexions animeront nos débats lors de l’examen du PLFSS à venir, qui sera également l’occasion de réfléchir aux moyens de l’Acoss pour gérer au quotidien la trésorerie de la sécurité sociale. À plus long terme, renforcer la prévention est un levier pour améliorer la santé tout en réalisant des économies considérables. Nous devons continuer.

Quelles que soient nos convictions politiques, la question de l’avenir de la dette sociale est centrale. Seule une approche responsable, donc des efforts partagés par tous, pourra sauver notre modèle social. Je forme le vœu que nos travaux puissent alimenter utilement les réflexions et les débats que nous aurons dès cet automne.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. J’interviens pour donner quelques informations concernant les documents relatifs au PLFSS. Les rapporteurs thématiques et moi-même avons écrit au Premier ministre le 27 septembre pour demander les prévisions macroéconomiques et les trajectoires budgétaires. Nous n’avons pas encore reçu de réponse. Hier, lors de la conférence des présidents, la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement s’est engagée à répondre rapidement. L’après-midi, j’ai demandé à la ministre déléguée chargée de la coordination gouvernementale des informations aussi promptes que possible. Ce soir, je répéterai aux ministres chargés des finances et de la santé la volonté de tous les rapporteurs de disposer, dans les meilleurs délais, des éléments nécessaires à leur tâche.

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. René Lioret (RN). La dernière mission d’information consacrée à la gestion de la dette sociale datait de 2006. Elle faisait déjà état de deux problèmes majeurs : la multiplicité des facettes de la dette sociale et la méconnaissance de plusieurs de ses composantes. Dix-huit ans plus tard, votre rapport, que je salue, est plus alarmant encore. Outre les reports successifs de l’amortissement – prévu en 2009, repoussé en 2014, puis en 2024, maintenant en 2033 –, il révèle la dégradation de la situation financière. Vous parlez de près de 11 milliards d’euros de déficit en 2023 et 16,6 milliards d’euros en 2024, soit 6,5 milliards d’euros de plus que prévu. Pire encore, selon les prévisions citées dans le rapport, il atteindrait 25 milliards d’euros en 2025, enfermant la Cades dans une impasse.

De plus, le HCFiPS souligne que la dette supportée par l’Acoss, que les prévisions estimaient à 70 milliards d’euros en 2027, se montera plutôt à 90 milliards d’euros alors qu’elle n’est pas outillée pour financer durablement des déficits aussi élevés.

Deux scénarios sont envisagés : augmenter les recettes de la CSG ou des cotisations, ce qui passe par une hausse des contributions obligatoires, ou diminuer les dépenses de l’assurance maladie en plafonnant à 1 % l’augmentation de l’Ondam de 2025 à 2028, quand bien même cela semble impossible, parce que jamais réalisé et parce que cette hausse serait inférieure de deux points aux prévisions initiales. En résumé, vous proposez plus d’impôts ou moins de services, à l’encontre des attentes de nos concitoyens.

Notre dette sociale est abyssale et ne saurait s’amplifier indéfiniment. Ne peut-on explorer d’autres pistes, comme la lutte contre la fraude sociale, grande absente de votre rapport ? Elle coûte des milliards d’euros aux honnêtes citoyens.

Mme Brigitte Liso (EPR). Je remercie les rapporteurs pour la qualité de ce travail. Je me réjouis que l’examen du rapport intervienne à la veille de la période budgétaire et à l’heure où la maîtrise des dépenses publiques préoccupe tant nos concitoyens. Évoquer la gestion de la dette sociale, c’est parler de la pérennité de notre modèle de solidarité nationale, qui protège ceux qui en ont le plus besoin des risques et des injustices de la vie.

Je souscris pleinement aux propos de la rapporteure : l’équité intergénérationnelle justifie de sanctuariser la dette sociale et de l’amortir le plus rapidement possible. La sécurité sociale a été conçue avec une gestion à l’équilibre. Tout accroissement de sa dette augmente à proportion le risque que la solidarité nationale échoue à atteindre ses objectifs. Pour l’éviter, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ont contribué à la dynamique vertueuse de réduction impulsée en 2010. L’effet ciseaux lié à la crise sanitaire, imprévisible et implacable, lui a donné un coup d’arrêt. Mais les résultats étaient là.

Nous ne céderons pas aux sirènes de la facilité, qui appellent à augmenter de manière irresponsable les prélèvements ou les cotisations, ce qui entraînerait des conséquences désastreuses. Le retour à l’équilibre budgétaire passera par l’optimisation des dépenses, en les réduisant lorsqu’elles sont inefficaces ou en les fléchant où elles sont indispensables, et en luttant contre la fraude.

Si l’on ne peut appréhender les dépenses publiques avec une approche seulement comptable, ignorer cette dimension du système revient à le condamner à la ruine.

Mme Karen Erodi (LFI-NFP). Je remercie les rapporteurs pour la qualité et la pertinence de leur travail. Ce rapport constate qu’il faut faire évoluer notre gestion de la dette sociale, construction politique de l’État. D’abord, les plans d’exonérations en cascade ont drastiquement réduit les recettes des organismes de sécurité sociale. Ensuite, l’État les a mis sous la tutelle des marchés financiers, avec des taux d’intérêt abusifs. En trente ans, 71 milliards d’euros net ont été donnés à la finance – « un pognon de dingue ».

Pour pallier cette dépendance, l’État, pompier pyromane, a créé la CRDS, un impôt totalement injuste qui fait rembourser la dette par les citoyens. Pour couronner le tout et pérenniser la financiarisation du système, le Gouvernement d’alors a intégré à la Cades 136 milliards d’euros de la dette liée au covid, issue du « quoi qu’il en coûte ». De quel droit le Gouvernement fait-il peser ses choix politiques sur la sécurité sociale ? Les organismes de sécurité sociale et leurs caisses sont indépendants de l’État. Ils appartiennent aux travailleurs, qui devraient pouvoir librement décider de leur organisation.

À l’heure de la crise de l’hôpital public et de l’explosion de la précarité, alors que la France a perdu 6 700 lits en 2022 et que la désertification médicale s’étend toujours plus dans les départements ruraux, comme le Tarn, nous aurons besoin de réorienter massivement le remboursement de la dette sociale vers le financement des branches du régime général de la sécurité sociale. Pensez-vous, dans ces conditions, que la CRDS doive continuer à payer les intérêts des marchés financiers, ou que nous devions changer de modèle en faisant reprendre par l’État la dette sociale, ou au moins celle liée au covid, comme certains pays européens ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Je remercie les rapporteurs. Leur travail confirme que la gestion de la dette sociale est avant tout un sujet politique, dont il ne faut pas limiter l’approche à une méthode technicienne. Il serait d’ailleurs intéressant que vous écriviez un avant-propos pour donner du sujet une lecture croisée.

M. le rapporteur et Mme la rapporteure. C’est prévu.

M. Jérôme Guedj (SOC). La loi d’août 2020 prévoit le cantonnement de la dette liée au covid. Elle procède d’un choix politique qui continue à affecter des domaines essentiels. Elle a aussi créé la branche autonomie. Mes collègues de l’époque s’en réjouissaient, mais cette branche n’est pas financée à hauteur des besoins et il n’y a pas de loi de programmation relative au grand âge, précisément parce que la séparation de la dette liée au covid l’a privée de ressources. En effet, il avait été envisagé de lui affecter les recettes de la CRDS.

Quelles sont les solutions possibles ? On peut revenir sur cette décision. À défaut, nous devrons choisir entre les solutions qui nous sont proposées. Le PLFSS prévoira de réduire les dépenses. On en connaît des bribes : augmentation du ticket modérateur de certaines consultations et de dispositifs médicaux ; clause de sauvegarde sur les médicaments – c’est très bien ; décalage de plusieurs plans de santé – c’est plus inquiétant. Nous devrons nous opposer au report de mesures que nous avons votées.

L’autre solution consiste à augmenter les recettes. Le rapport d’Antoine Bozio et d’Étienne Wasmer, dont la mission poursuit le travail que j’ai accompli avec Marc Ferracci dans le cadre de la Mecss lors de la précédente législature, mettra le pied dans la porte. Allons plus loin : les vraies recettes sont liées à la suppression des exonérations de cotisations sociales : chaque année, la sécurité sociale ne perçoit pas 80 milliards d’euros. Là est la marge de manœuvre pour résorber les déficits et éviter les dettes futures.

M. Yannick Neuder (DR). Je félicite les rapporteurs pour leur travail. Chacun incarne la borne d’un chemin possible. La vérité se trouve probablement au milieu. Le constat est alarmant. En 1996, la création de la Cades visait à amortir les déficits accumulés de la sécurité sociale afin qu’ils ne deviennent pas un fardeau pour les générations futures. C’était un vœu pieux et vous détaillez l’échec du dispositif. Il a été mis à mal en particulier en 2020 avec le transfert de 136 milliards d’euros, dont 13 milliards d’euros de dette hospitalière. Cette décision, purement comptable, était contestable car elle mêle une dette conjoncturelle à une dette structurelle.

Le précédent gouvernement a été incapable de maîtriser les déficits des branches maladie et vieillesse, qui pourraient atteindre 70 milliards d’euros en 2027 selon les prévisions du HCFiPS. Il a également fait d’autres choix contestés : il a utilisé la Cades comme un palliatif pour éviter d’assumer la dette liée au covid, à l’instar d’autres pays.

Quelles sont les perspectives ? On peut augmenter les prélèvements obligatoires. Mais notre pays est déjà l’un de ceux où ils sont les plus élevés. On peut aussi diminuer les dépenses, selon une hypothèse dont je n’ose interroger la crédibilité : le plafonnement à 1 % de la hausse de l’Ondam. Ce serait incompatible avec la pérennité des structures hospitalières.

Serons-nous capables de prendre des décisions courageuses pour changer de cap ? Nous le saurons lors de l’examen du PLFSS. En tout cas, les rapporteurs thématiques et moi-même avons demandé la fin du rapport Bozio-Wasmer pour éclairer nos décisions.

M. Hendrik Davi (EcoS). Merci pour ce rapport utile. La sécurité sociale doit sa création à la mobilisation des salariés, notamment des syndicalistes. Ambroise Croizat voulait libérer la population, lui permettre d’enfin « [v]ivre sans l’angoisse du lendemain, de la maladie ou de l’accident de travail, en cotisant selon ses moyens et en recevant selon ses besoins ». On comprend que les gouvernements successifs aient attaqué ce principe communiste, que la manne des 650 milliards d’euros du budget de la sécurité sociale fasse rêver les assurances et les fonds de pension. Cela explique que le taux des cotisations patronales soit passé de 42,6 % en 1991 à 6,9 %. Le salaire différé versé aux salariés a diminué d’autant. Or, ce que les salariés ne paient pas sous forme de cotisations, ils le paieront autrement, sous forme d’assurance, de mutuelle, d’épargne ou de franchise à l’hôpital.

Que faire de la dette sociale ? L’État, en partie responsable, devrait la reprendre. C’est d’autant plus légitime qu’elle a été essentiellement creusée par le covid. Par ailleurs, il faut augmenter d’un point les cotisations sociales et revenir sur les 80 milliards d’euros d’exonérations. Quant aux dépenses, on peut certes les baisser, mais cela exige de diminuer les maladies professionnelles, de limiter la pollution, de disposer d’un vrai service public de la santé qui œuvre à la prévention et d’en finir avec un management toxique qui pousse les salariés à bout, dans le public comme dans le privé. Pour pérenniser notre système social, il faut le concevoir globalement et relever tous les défis, dans tous les domaines liés à la santé, même indirectement.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Merci pour ce rapport. Les auditions ont été passionnantes. Il était temps de se pencher sur l’état des finances sociales. Depuis sa création en 1996, la Cades a déployé ses efforts pour amortir la dette sociale sans parvenir à équilibrer durablement les comptes. Fait nouveau, la situation est désespérée : il n’y a aucune perspective d’équilibrer le financement de la protection sociale hormis limiter à 1 % l’augmentation de l’Ondam. Plus grave, nous atteignons un point de rupture : le déficit excède la capacité de remboursement de la Cades. Dans les années 2010, une trajectoire a été tracée vers l’équilibre des comptes. Celui-ci a été atteint en 2019, puis est survenue la crise liée au covid et des mesures ont été prises pour revaloriser le métier de soignant et l’hôpital public, avec le Ségur de la santé, sans aucune ressource nouvelle. Je suis d’accord avec Jérôme Guedj s’agissant de la reprise de la dette, mais j’insiste sur le surfinancement du Ségur.

La situation de la branche vieillesse est pire encore : le déficit projeté en 2027 se monte à 13,7 milliards d’euros. La situation de la CNRACL se dégrade d’année en année. L’équilibre des comptes doit être notre priorité afin de préserver notre système social. Nous devons mener une réforme structurelle. Année après année, le MoDem demande à repenser le système de santé, que le gouvernement présente avant chaque PLFSS sa vision pluriannuelle avec un projet de loi de programmation. Il s’agit de prévenir le défi démographique et la hausse des maladies chroniques, et de responsabiliser tous les acteurs d’un système qui n’est plus régulé – financeurs, offreurs de soins publics et privés, acteurs du médicament.

Pensez-vous sincèrement que nous pourrons poursuivre avec un déficit structurel, assumer et amortir la dette, sans changer de modèle de santé, d’organisation de l’offre de soins ni imaginer d’autres sources de financement ? N’est-il pas temps de faire évoluer l’Ondam pour passer d’un objectif à une enveloppe fermée, éventuellement associée à une ligne budgétaire consacrée à financer des événements exceptionnels ?

M. François Gernigon (HOR). Le présent rapport dresse un état des lieux sans appel de la dette sociale. Depuis la création de la Cades en 1996, bien que cantonnée et strictement encadrée, elle n’a cessé de croître. Alors qu’elle devait s’éteindre en 2009, son échéance est désormais reportée à 2033. C’est le symptôme d’un problème profond : la persistance de déficits structurels dans les branches maladie et vieillesse. La Cades et l’Acoss ont efficacement géré la trésorerie à court terme, mais nous n’avons pas su maîtriser les dépenses ; les déficits se stabilisent à un niveau trop élevé pour réduire la dette à moyen terme. Le HCFiPS estime qu’elle pourrait augmenter de 70 milliards d’euros d’ici à 2027.

Si nous voulons préserver notre système, la réduction des déficits doit être une priorité absolue. Ceux, récurrents, des branches vieillesse et maladie mettent en danger la soutenabilité à long terme de la protection sociale. Avec le vieillissement de la population, les dépenses de la première augmentent inévitablement. Pour la seconde, les dépenses liées aux soins de santé continuent de croître. Sans une régulation appropriée, elles pèseront de plus en plus lourd. Il ne s’agit pas de sacrifier la qualité des soins ni de porter atteinte à notre modèle social, mais de repenser le cadre de régulation pour maîtriser les dépenses.

Le rapport propose des pistes pour augmenter les recettes, notamment la hausse de la CSG. Une telle décision requiert un examen attentif de ses effets sur les ménages et leur pouvoir d’achat. Il faudra procéder aux ajustements de manière concertée afin d’assurer un équilibre entre protection sociale et stabilité financière. Nous ne pouvons plus nous contenter de gérer les déficits au fil de l’eau. Nous devons discuter des modifications possibles pour garantir un avenir à la sécurité sociale, sans alourdir le fardeau de la dette pour les générations futures. La Cades n’étant pas un outil de financement, l’année 2033 doit rester le terme de l’amortissement.

M. Laurent Panifous (LIOT). Pourquoi nos prédécesseurs ont-ils souhaité isoler au sein de la Cades la dette issue des déficits cumulés des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ? Pour éviter de faire porter aux générations futures la charge du service rendu et des prestations. Faute de résorption de la dette, cette structure, pourtant conçue pour être temporaire, perdure. La dette est vertueuse lorsqu’elle permet de transformer, de servir plusieurs générations ; elle ne l’est aucunement si elle finance les prestations d’une seule génération.

L’accumulation de la dette sociale est un exemple parmi d’autres de notre incapacité à assumer le modèle que nous soutenons et dont nous bénéficions. Nous avons encore aujourd’hui besoin de la Cades car nous sommes incapables, comme nos prédécesseurs, de protéger les générations futures. Les dettes s’accumulent, le terme est sans cesse reporté – de 2009 à sa création, nous sommes passés à 2033 aujourd’hui, et qui sait demain ?

D’après le rapport, la Cades joue bien le rôle de remboursement et de refinancement que lui a assigné législateur. C’est heureux. Toutefois, son maintien ne nous détourne-t-il pas de la question existentielle de notre système de protection sociale : l’impératif d’équilibre des comptes ? Quelle est la légitimité d’un système financé par de la dette et non par des ressources suffisantes ?

Mme Karine Lebon (GDR). La crise liée au covid a mis à rude épreuve les comptes de la sécurité sociale. Mais la mise en scène du retour du trou de la sécu, volontairement trompeuse, a permis d’occulter les responsabilités de l’exécutif dans la gestion de la crise.

Les déficits résultent moins d’une hausse exponentielle des dépenses sociales que d’un effondrement des recettes de la sécurité sociale consécutif aux décisions du gouvernement. Le transfert de la dette liée au covid à la Cades participe de cet assèchement des ressources. Plutôt que d’ajuster leur niveau à celui des dépenses, l’État a décidé de fabriquer une nouvelle dette, d’imposer le recours au marché financier et de justifier ainsi l’austérité budgétaire.

La gestion de la dette par l’État avait plus de sens. Elle était aussi plus favorable financièrement au régime de la sécurité sociale. En effet, lorsqu’une dette publique est financée par la Cades, il faut rembourser le principal – le montant emprunté – ainsi que les intérêts – la rémunération du prêteur. Cette méthode est plus coûteuse que le financement direct par l’État qui fait rouler la dette et peut compter sur des taux d’intérêt très bas. Pourquoi ne recommandez-vous pas à l’État de reprendre la dette sociale ? À défaut, serait-il envisageable de faire évoluer le statut de la Cades afin que les prêts qui lui sont accordés soient garantis par l’État et bénéficient ainsi de meilleurs taux ?

Selon les prévisions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, les comptes sociaux auraient dû afficher un excédent de 1 milliard d’euros à compter de 2020. La reprise de la dette liée au covid par la Cades a-t-elle mis les comptes sociaux dans le rouge ? Quel usage aurait-on fait de l’excédent initialement prévu ? Était-il envisagé soit de réduire ou de supprimer la CSG ou la CRDS, soit de provisionner l’excédent pour constituer une réserve en cas de déficit futur ?

M. Olivier Fayssat (UDR). L’objectif est simple : résorber la dette et équilibrer les comptes. Il faut éviter deux écueils : la dégradation des prestations et l’augmentation des prélèvements.

Je relève un grand absent de votre présentation : le combat contre la fraude. Stéphanie Rist a effleuré le sujet mais j’insiste, cette lutte est indispensable pour garantir des prestations sociales qui bénéficient réellement à ceux qui en ont besoin et à ceux auxquels elles sont destinées. C’est une question de justice financière pour les contribuables.

M. le rapporteur. Je commencerai par évoquer les alternatives à la Cades.

Le manque de financement chronique de la sécurité sociale depuis les années 1990 est connu, assumé, voire organisé pour dramatiser la situation sociale. Il résulte d’exonérations de cotisations abusives et de charges indues imposées à la sécurité sociale. Ce sous-financement crée inévitablement un déficit, néanmoins inférieur au montant des charges indues, démontrant ainsi la qualité de la gestion de la sécurité sociale bien supérieure à celle de l’État. Le recours aux marchés financiers devient inéluctable pour éponger le déficit. Il s’ensuit des frais financiers exorbitants – 75 milliards d’euros sur la période.

Je suis favorable à une hausse des ressources de la sécurité sociale. Cela signifie, d’une part, gaspiller moins d’argent en exonérations sociales et en exemptions d’assiette, notamment sur les revenus non salariaux, et d’autre part, mettre à contribution certains hauts revenus en mettant fin à un plafonnement des cotisations qui leur est trop favorable.

S’agissant de l’avenir de la Cades, je suis partisan d’une reprise par l’État de la dette en commençant par celle liée au covid qui constitue, à mes yeux, une charge abusivement supportée par les régimes de sécurité sociale au moment où ils allaient retrouver l’équilibre en dépit des dizaines de milliards d’euros de cotisations dont ils sont privés. C’est dire à quel point la sécurité sociale se porte bien malgré les obstacles que l’on place sur son chemin.

Monsieur Isaac-Sibille, vous considérez que le déficit est structurel là où j’y vois le résultat de politiques d’exonération. Tout dépend du sens que l’on donne au mot « structurel ». S’il renvoie à la pratique consistant à détourner des fonds qui devraient revenir à la sécurité sociale, je suis d’accord et je souhaite qu’il soit mis fin rapidement à ladite pratique.

Je suis opposé à l’idée d’une enveloppe fermée qui est en contradiction avec l’esprit de la sécurité sociale. À sa création, elle n’avait pas de budget. Elle a des engagements à tenir vis-à-vis de la population et elle lève des fonds pour ce faire. Les droits sociaux qu’elle garantit l’emportent sur l’équilibre prévisionnel des comptes. Les déficits éventuels doivent être compensés par des dotations supplémentaires.

Le HCFiPS lui-même évoque dans son dernier rapport l’hypothèse d’un transfert à l’État d’une partie de la dette de la Cades. Je soutiens évidemment cette idée.

En ce qui concerne les ressources qui pourraient être mobilisées au profit de la sécurité sociale, nos collègues du Rassemblement national nous prêtent l’intention d’augmenter les cotisations. Ils mettent surtout en avant la lutte contre la fraude. Je suis sceptique sur le montant que l’on peut en espérer parce que le HCFiPS l’estime au maximum à 4 milliards d’euros desquels il faut retrancher les dépenses nécessaires à cette lutte. En revanche, je plaide pour un accroissement des contrôles sur les très grandes entreprises ainsi qu’en matière fiscale, domaine dans lequel la fraude est dix à quinze fois plus importante.

La dette est-elle uniquement une redistribution intergénérationnelle ? Je ne le pense pas. La dette sociale n’est pas seulement un transfert dans le temps mais aussi un transfert entre petits et hauts revenus. Les contribuables de demain remboursent aux créanciers de demain. La dette pose la question de la justice sociale.

J’en conviens, une dette peut être vertueuse lorsqu’elle permet d’investir. Longtemps, la sécurité sociale a investi – en créant des centres hospitaliers universitaires (CHU) – sans générer de dette. Le couple cotisations-subventions a été d’une efficacité redoutable pour doter la France d’équipements sanitaires. À cet égard, la dette liée au covid-19 n’est-elle pas vertueuse ? La prévention des accidents du travail ou la construction d’équipements hospitaliers entrent aussi dans cette catégorie. La notion d’investissement mérite d’être débattue.

Quant aux comparaisons internationales, il faut être prudent. Dès lors que la France socialise plus d’activités que ses voisins, les dépenses publiques sont nécessairement plus importantes. Les pays dans lesquels les dépenses publiques de santé sont faibles sont ceux dans lesquels les dépenses privées de santé sont plus élevées. Il faut relativiser le mythe d’une France détentrice d’un record en matière de dépenses publiques. Si d’aventure elle détenait ce record pour offrir une meilleure prise en charge à la population, je n’y verrais aucun inconvénient.

Mme la rapporteure. Je conteste l’affirmation du rapporteur selon laquelle l’État aurait économisé 75 milliards d’euros en gérant directement la dette sociale. Il aurait lui aussi dû payer des intérêts. De surcroît, le rapport montre que la différence entre les taux proposés à la Cades et à l’État est peu significative.

Monsieur Neuder, les deux scénarios présentés dans le rapport ne correspondent pas aux positions de chacun des rapporteurs. Ils ont été élaborés à des fins pédagogiques par le HCFiPS. Je vous rassure : je ne suis pas favorable à un Ondam à 1 % dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Je rappelle les progrès dans la lutte contre la fraude sociale ces dernières années. Le montant récupéré auprès des entreprises a doublé ; il représente plus de 1 milliard d’euros. Il en est de même en matière de fraude aux prestations sociales ; le montant atteint 500 millions d’euros. Les objectifs assignés à l’Urssaf en la matière ont été revus à la hausse puisque les prévisions avaient été dépassées. Nous pouvons nous rejoindre sur la lutte contre la fraude.

Monsieur Panifous, vous posez le débat dans les termes que la société devrait adopter. La sécurité sociale offre une protection qui a un coût. Celui-ci ne doit pas être supporté par nos enfants, puisque les dépenses ont vocation à nous protéger. C’est la raison pour laquelle un remboursement rapide et une dissociation de la dette de l’État s’imposent.

La société doit s’emparer de la question du financement de la protection sociale compte tenu du vieillissement de la population. Outre la hausse des recettes, le débat doit porter sur la diminution et la pertinence des dépenses, sur lesquelles un consensus pourrait être trouvé. Je plaide pour des réformes structurelles.

Je rejoins les interrogations du rapporteur sur les dépenses d’investissement : les dépenses en faveur de la prévention doivent-elles continuer à être comptabilisées à l’identique dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale alors qu’il s’agit d’un investissement ?

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des autres orateurs.

M. Thibault Bazin (DR). Si nous en sommes là, c’est aussi parce que les gouvernements successifs ont laissé filer les comptes publics. Les déficits récurrents nous ont empêchés de faire face aux imprévus tels que la crise économique de 1993 ou le covid‑19 en 2020. La dette sociale constitue un sérieux handicap alors que les défis, au premier rang desquels le vieillissement de la population, nous attendent. Nous devons la rembourser sans quoi nous risquons de trahir l’une des promesses fondatrices de la sécurité sociale : la solidarité intergénérationnelle.

Mon ancien collègue Jean-Pierre Door avait alerté le 15 juin 2020 sur la non‑affectation des ressources nécessaires à la Cades. Le plan d’amortissement de la dette de 136 milliards d’euros, adopté en 2020, n’était pas tenable du fait de la perte de 30 milliards d’euros de recettes tirées de la CSG et du FRR. S’agissant des 13 milliards d’euros de la dette hospitalière, ne pourrait-on considérer que la partie de cette somme liée à des investissements immobiliers relève du budget de l’État ?

M. Michel Lauzzana (EPR). Je salue le savoir-faire des équipes de la Cades et leur gestion très performante de la dette. Les 75 milliards d’euros d’intérêts ne profitent pas seulement aux méchantes banques. En effet, environ 30 % de la dette est financée par les banques centrales et les établissements publics. En outre, si nous devons emprunter, c’est tout simplement parce que nous dépensons trop. Contrairement aux Japonais qui financent eux-mêmes leur dette, nous devons le faire à l’extérieur.

Pour ne pas avoir à emprunter sur les marchés, l’une des solutions consiste à moins dépenser. Vous préconisez d’augmenter les prélèvements. Mais nous sommes déjà l’un des pays où ceux-ci sont parmi les plus élevés. Dernière solution, la planche à billets ; nous savons où cela mène.

La protection sociale représente plus de 33 % du produit intérieur brut. Autrement dit, la dette de l’État et la dette sociale sont vraiment interdépendantes. À cet égard, le transfert de la dette sociale à l’État ne ferait que reporter le problème sans rien résoudre.

M. Yannick Monnet (GDR). Depuis hier, on nous serine qu’il faut baisser les dépenses. Vous gérez le pays et les comptes de la sécurité sociale depuis 2017. N’essayez pas de le faire oublier !

Comment voulez-vous dépenser moins quand 87 % des Français sont confrontés à un désert médical ? Quand 6,7 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant ? Quand six Français sur dix renoncent à des soins ? Quand 60 % des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes publics en déficit ? Quand il manque 2 milliards d’euros à l’hôpital public ? Nous sommes à l’os en matière de dépenses de santé !

Vous ignorez la réalité. Pourtant je n’ose croire que vous ne rencontrez pas nos concitoyens dans vos circonscriptions. Avez-vous vraiment l’impression que l’on dépense trop pour soigner la population ? Pensez-vous vraiment que la prévention et la lutte contre la fraude résoudront les problèmes de financement de l’hôpital public ? Soyons sérieux ! Les manques sont abyssaux. Il faut de nouvelles recettes. Prétendre qu’il faut dépenser moins, c’est au mieux de l’irresponsabilité !

Mme Joëlle Mélin (RN). Votre rapport a le grand mérite d’exister. Mais il est décevant. Vous y analysez la dette sous un angle économique et technocratique sans vous intéresser aux causes réelles : les dysfonctionnements internes liés, si j’en crois la Cour des comptes, à l’absence d’indicateurs de risques et de contrôle interne satisfaisants. Dès lors, vos deux scénarios sur l’augmentation des recettes ou des prestations sont non seulement éculés mais manifestement inefficients.

C’est bien la gestion interne qui pose problème. Le contrôle est de la responsabilité de l’État puisque l’Acoss est un établissement public, contrairement aux Urssaf départementales qui sont de droit privé. Je rappelle la non-certification des comptes de la branche famille depuis deux ans. Quand obligera-t-on les différentes branches de la sécurité sociale à présenter des comptes sincères ?

Sauf erreur de ma part, l’Acoss est le seul organisme centralisateur des comptes en Europe. Sa structure juridique et son fonctionnement sont-ils adaptés à sa double mission de centralisation et de gestion ?

M. Emmanuel Taché de la Pagerie (RN). La Cades est un modèle sans équivalent en Europe, et pour cause ! Comme l’indique la Cour des comptes, « aucun de nos grands voisins européens, en particulier l’Allemagne, n’accepte que son système de protection sociale soit durablement en déficit ».

Emmanuel Macron, pas plus que ses prédécesseurs, n’a mis un terme à cette dette sociale dont l’extinction est en permanence repoussée. Notre modèle social est abîmé par la gestion catastrophique des comptes sociaux. La somme des charges d’intérêts nets versés par la Cades depuis sa création s’élève à 75 milliards d’euros. Or, à titre de comparaison, la construction d’un CHU coûte 1,25 milliard. Ainsi, en vingt-huit ans, il eût été possible d’en construire deux par an. Mais, au lieu de cela, les Français qui subissent la dégradation continue de notre système de santé ont payé des intérêts tant inutiles qu’injustifiés.

Le rapport prône deux pistes : soit l’augmentation de la CSG ou des cotisations, soit la baisse des dépenses d’assurance maladie. Madame Rist, avant la dissolution, vous étiez rapporteure générale des lois de financement de la sécurité sociale : quelle piste privilégiez‑vous ? Sur quelles recettes et quelles dépenses joueriez-vous pour rétablir durablement les comptes sociaux ?

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). J’ai deux questions très simples : qui est responsable de la situation ? Qui doit de l’argent à qui ?

Mme Josiane Corneloup (DR). Le déficit de la sécurité sociale devrait s’aggraver de nouveau dès 2024 dans des proportions significatives. Après 10,8 milliards d’euros en 2023, il pourrait atteindre 16,6 milliards d’euros. Selon les projections, il pourrait être proche de 25 milliards d’euros dès 2025.

Les déficits récurrents des branches maladie et vieillesse mettent en péril la pérennité de notre modèle. Il faut donc le repenser. Le retour à l’équilibre budgétaire ne doit pas reposer sur une augmentation des cotisations, compte tenu du taux de prélèvement dans notre pays, ni sur une baisse de l’Ondam à 1 %, impossible sans dégrader la qualité des soins. Nous devons privilégier une optimisation des dépenses grâce à des réformes structurelles, en réorganisant notre offre de soins, en développant la prévention – ambition ancienne mais difficile – et en luttant mieux contre la fraude sociale. Le temps n’est plus à gérer les conséquences mais à s’attaquer aux causes.

M. Philippe Vigier (Dem). Je salue ce rapport dans lequel vous dites les choses sans détour. Si nous nous contentons de nouveaux emplâtres sur des jambes de bois, le système que nous chérissons tous court à la catastrophe. J’espère donc que l’esprit transpartisan qui anime votre rapport permettra à chacun de faire un pas pour l’éviter.

Le matraquage à coups de prélèvements obligatoires ne fonctionne pas. La piste, évoquée en son temps par Marc Ferracci, d’une suppression de l’exonération de cotisations sociale sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 Smic mériterait néanmoins d’être explorée. En revanche, l’idée d’un Ondam limité à 1 % pour équilibrer les comptes est parfaitement invraisemblable. Je plaide pour une réorganisation complète de notre système de santé dont la responsabilité et la prévention seraient les lignes directrices. J’appelle aussi de mes vœux une programmation pluriannuelle.

Pas un mot n’est dit de nos aînés alors que le financement de la dépendance est un enjeu majeur des prochaines années. Je m’inquiète aussi de l’annonce d’une hausse du ticket modérateur, sachant que les frais de gestion des mutuelles sont supérieurs à ceux de la sécurité sociale. Enfin, je rappelle qu’à la fin des années 1990, le cantonnement de la dette de la SNCF, qui s’élevait à 200 milliards de francs, a remis l’entreprise sur de bons rails. À un moment, il faudra sauter le pas. Sinon, nous ne nous en sortirons pas.

M. Arthur Delaporte (SOC). Le coût de la gestion de la dette de la sécurité sociale fait l’objet d’appréciations divergentes des rapporteurs. Quelle aurait été la différence en matière de frais financiers si cette dette avait été gérée directement par la sécurité sociale ? Cela aurait-il permis de réaliser une économie de quelques milliards d’euros, susceptibles d’être utilisés de manière différente ?

Jérôme Guedj, a évoqué le scénario qui consiste à financer l’augmentation des dépenses sociales – liée notamment aux évolutions démographiques –, par exemple en accroissant les cotisations ou en mettant fin à diverses exonérations. Cela permettrait de dégager jusqu’à 80 milliards d’euros. Mais il existe un second scénario qui consiste à baisser les dépenses d’assurance maladie. Si l’on veut garantir l’équilibre, il faut non seulement trouver 5 milliards d’euros d’économies en 2025 mais surtout 20,8 milliards d’euros à l’horizon 2028. Compte tenu des attentes de nos concitoyens, pensez-vous que ce soit réaliste et socialement envisageable ?

Mme Sylvie Bonnet (DR). Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale publié en mai 2024, la Cour des comptes a rappelé que le financement de celle-ci n’est plus assuré à moyen terme. Elle suggère de prolonger la durée de vie de la Cades au-delà de 2033 pour reprendre le déficit supporté par l’Acoss à partir de 2023. La durée des emprunts serait allongée mais, en l’absence d’un plan crédible de retour à l’équilibre des comptes, le niveau des déficits deviendrait tel qu’une prolongation indéfinie de la durée de vie de la Cades permettrait à peine de stabiliser la dette sociale à son niveau actuel, et non plus de la réduire. Partagez-vous cette analyse ?

Mme la rapporteure. Les arguments défendus avec passion par Yannick Monnet pour expliquer qu’il est impossible de faire des économies me laissent pantoise. Je suis rhumatologue et, tous les lundis matin, des patients souffrant d’une arthrose se présentent en consultation avec trois imageries par résonance magnétique du genou alors qu’ils n’en ont pas besoin. Des progrès peuvent être consentis pour que notre système de santé fasse des économies. Cela suppose un effort de tous, aussi bien des professionnels de santé que des parlementaires.

Comme l’a indiqué Arthur Delaporte, il faut vite se pencher sur cette question pour savoir comment parvenir à financer la protection sociale face à l’accélération des effets des évolutions de la démographie d’ici à 2028. Je crois pour ma part qu’il faut ouvrir un réel débat de société. Lorsque l’on dépense plus de 30 % du produit intérieur brut pour la protection sociale, on doit s’interroger sur la manière de la financer à l’avenir. Le rapport que nous présentons porte sur la gestion passée de la dette sociale et sur la situation actuelle. Il revient à notre commission de travailler sur les moyens de préserver la meilleure protection sociale des pays développés. Pourrons-nous le faire sans envisager des baisses de dépenses et sans discuter des futures recettes ?

M. le rapporteur. On peut aborder de deux manières la question des 75 milliards d’euros de commissions et d’intérêts versés par la Cades depuis sa création. Il est possible de comparer ces sommes avec celles qui auraient été versées par l’État s’il avait directement repris cette dette. Il existe certes un écart, mais il représente seulement de l’ordre de 500 millions à 1 milliard d’euros sur l’ensemble de la période, ce qui ne change finalement pas grand-chose. La principale différence de gestion réside dans le roulement de la dette par l’État, ce qui aurait permis une charge annuelle plus faible.

En revanche la comparaison est beaucoup plus éclairante si l’on s’interroge sur la différence entre le fait de confier l’argent à la Cades ou à la sécurité sociale. Cette dernière ne fonctionne pas selon une logique financière et n’a donc pas à acquitter des commissions bancaires ou des intérêts. Si j’étais taquin, je dirais qu’on aurait pu faire 75 milliards d’euros d’économies en lui confiant la gestion de cet argent. En effet, les circuits de financement ont un coût intrinsèque dès lors qu’ils passent par les marchés.

Les analyses sur les conséquences de l’absence de roulement de la dette de la sécurité sociale ne sont pas forcément convergentes. Michaël Zemmour estime entre 8 et 10 milliards d’euros par an le coût supplémentaire de la gestion par la Cades. Cela représente un montant énorme, qui mérite d’être comparé au déficit de 16 milliards d’euros dont on nous parle. Il faut aussi souligner que les exemptions dont bénéficient des revenus non salariaux s’élèvent à 10 milliards d’euros – et je ne parle pas des 74 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, accordées notamment à de grandes entreprises sans contrepartie. Il faut aussi aborder la question des taux de cotisations : un point de cotisations déplafonnées, c’est 7,5 milliards d’euros. Il existe donc des moyens de redresser les comptes de la sécurité sociale.

Je le répète : la sécurité sociale ne prélève pas. Elle redistribue de l’argent à certaines catégories de la population.

Une question a été posée sur d’éventuels dysfonctionnements internes de la sécurité sociale. Ses coûts de gestion sont extrêmement faibles. Ils sont inférieurs à ceux de presque tous ses homologues privés dans le monde et à ceux des organismes de sécurité sociale des pays voisins. Je tire donc mon chapeau à l’excellente gestion des conseils d’administration de la sécurité sociale, et notamment des représentants des salariés. On remarquera d’ailleurs que le déficit de cette dernière est estimé à 2,7 % cette année, contre 6 % pour celui du budget de l’État. J’ai tendance à penser que parfois les syndicats font mieux que Bruno Le Maire.

Thibault Bazin a eu raison de revenir sur la genèse du discours sur le déficit. En 1993, alors que l’on parle de crise des comptes de la sécurité sociale, avec un déficit de 57 milliards de francs, les charges indues s’élèvent à 36 milliards de francs – notamment en raison de transferts de déficits de régime tiers au régime général à hauteur de 19 milliards de francs et, déjà, de 9 milliards de francs d’exonérations non compensées. Le déficit de 1993 est inférieur aux charges qui pèsent sur la sécurité sociale, laquelle a un modèle de gestion à l’équilibre.

M. Lauzzana a évoqué les « méchantes banques ». Je ne vois pas l’intérêt de caractériser moralement des modes de production. En revanche, je retiens votre invitation tout à fait appropriée à travailler ensemble pour que notre dette publique soit détenue par les nationaux sur le modèle du Japon. La situation actuelle mérite que l’on reconstitue un circuit de distribution d’obligations assimilables du Trésor, avec des taux administrés et un public choisi de détenteurs.

Faut-il faire des économies sur la sécurité sociale ? Je ne le pense pas car l’espérance de vie en bonne santé recule. Le système de santé se clochardise à bien des égards et les prestations sociales sont gelées. On peut tourner autour du pot, mais il va bien falloir dépenser davantage et, pour cela, augmenter la contribution des grandes entreprises qui font des superprofits et des personnes aux plus hauts revenus. On peut aussi trouver une bonne source d’économies en renonçant aux circuits financiers évoqués précédemment, lesquels permettent à certains de vivre bien au-dessus de nos moyens.

Mme Annie Vidal, présidente. Je salue la qualité de vos réponses et de ce rapport important pour nos réflexions futures. L’initiative de la Mecss, prise avant la dissolution de l’Assemblée nationale, était fort judicieuse.

M. Jérôme Guedj (SOC). Il ne s’agit pas formellement d’un rapport de la Mecss, puisque la commission des affaires sociales en a repris l’idée.

Il serait opportun que les rapporteurs disposent d’un temps de parole lors du débat sur la dette qui aura lieu en séance publique le 14 octobre.

Mme Annie Vidal, présidente. Je ferai part de cette proposition à la Conférence des présidents.

En application de l’article 145, alinéa 7, du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission autorise la publication de ce rapport d’information.

La réunion est suspendue de onze heures dix à onze heures vingt.

La commission examine ensuite la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance (Mme Isabelle Santiago, rapporteure) (n° 190).

Mme Annie Vidal, présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Ce texte est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de l’après-midi du mercredi 9 octobre.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Il nous revient d’examiner la recevabilité et l’opportunité de la création d’une commission d’enquête sur la protection de l’enfance. Comme vous le savez, la précédente commission d’enquête qui portait sur le même périmètre a dû clore ses travaux précipitamment après trois semaines d’auditions, du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président de la République le 9 juin dernier.

Cette précédente commission d’enquête était issue du droit de tirage du groupe socialiste et j’avais l’honneur d’en être la rapporteure. Elle n’a malheureusement pas pu aller au bout de ses travaux. Il s’agit pourtant d’un sujet extrêmement attendu par les associations et les professionnels. Mais nous devons une telle commission en premier lieu aux enfants qui font l’objet de mesures de protection, et plus généralement aux enfants. La manière dont ils sont protégés par les pouvoirs publics est révélatrice de l’état de la société et de notre pacte social.

Les drames quotidiens témoignent de la nécessité de revoir profondément cette politique publique. Il est urgent que la représentation nationale dresse un constat clair des défaillances actuelles et formule des recommandations pour y remédier. C’est pour cela qu’avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés j’ai déposé le 18 septembre une proposition de résolution tendant à la création d’une nouvelle commission d’enquête. La Conférence des présidents qui s’est tenue hier a décidé que son examen en séance publique aurait lieu le 9 octobre – ce dont je me réjouis.

Comme le prévoient le Règlement de l’Assemblée nationale et l’ordonnance du 17 novembre 1958, il convient de vérifier trois conditions de recevabilité.

Tout d’abord, une commission d’enquête doit être créée pour réunir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales. La présente proposition confie à la commission d’enquête trois missions principales relatives à la gestion du service public de l’aide sociale à l’enfance (ASE) : identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle ; analyser les défaillances de sa gouvernance ; formuler des recommandations législatives, réglementaires et budgétaires. La proposition satisfait donc pleinement la première condition.

Ensuite, une commission d’enquête ne peut avoir le même objet qu’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou qu’une commission d’enquête dont les travaux se sont achevés au cours des douze mois précédents. Cela mérite que l’on s’y attarde quelques instants.

En effet, la Conférence des présidents avait pris acte le 9 avril 2024 de la création d’une commission d’enquête ayant le même objet que celle de la présente proposition. Le Règlement et l’ordonnance précités ne prévoient pas explicitement quelles sont les conséquences d’un changement de législature en ce qui concerne le respect du délai de douze mois. Cependant, il résulte de l’article 3 de la Constitution – qui consacre le principe de l’expression de la souveraineté nationale lors des élections – que les décisions d’une nouvelle assemblée en matière de contrôle ne peuvent être liées par les choix effectués lors d’une législature précédente. Il appartient aux élus de la nouvelle législature de déterminer souverainement les travaux d’évaluation et de contrôle qu’ils jugent pertinents. On peut considérer que, dans l’esprit du législateur, les dispositions de l’ordonnance de 1958 avaient pour objectif d’empêcher les parlementaires de consacrer un temps indéterminé au même sujet, au risque d’empiéter sur les compétences des commissions permanentes – voire de contourner le premier alinéa de l’article 43 de la Constitution qui limite à huit le nombre de commissions permanentes dans chaque assemblée. Or il est évident que la proposition ne vise manifestement pas à prolonger de façon disproportionnée ou abusive les travaux d’une commission d’enquête antérieure.

Enfin, il ne peut être créé une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Saisi par la Présidente de l’Assemblée nationale en application de l’article 139 du Règlement, le garde des sceaux a indiqué que le champ proposé pour la commission d’enquête était susceptible de concerner des procédures en cours. Ce critère a fait l’objet d’une appréciation constante selon laquelle l’existence de poursuites judiciaires n’empêche pas la création d’une commission d’enquête, à condition de veiller à la bonne articulation des travaux parlementaires et des procédures judiciaires et de ne pas empiéter sur les compétences de la justice. Nous y serons bien évidemment attentifs.

Les trois critères de recevabilité pour créer une commission d’enquête me paraissent donc pleinement remplis.

S’agissant de l’opportunité de sa création et sans anticiper sur ses conclusions, il est évident que le système français de protection de l’enfance est à bout de souffle. La crise de la prise en charge est connue de tous et elle a fait l’objet de très nombreux rapports. Près de 400 000 enfants ont bénéficié d’une mesure d’aide sociale à l’enfance en 2022, 178 000 font l’objet d’une mesure de suppléance familiale et 150 000 sont accompagnés par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

L’augmentation continue du nombre de mineurs pris en charge n’a pas été suivie par une évolution des modes d’accueil, des financements et de la politique de prévention. En 2024, pour la première fois l’accueil familial n’est plus le mode de prise en charge le plus fréquent à l’échelle nationale. L’accueil en hôtel perdure, au détriment des besoins psycho‑affectifs des enfants.

Le temps de l’enfant n’est pas celui de l’adulte. Malgré l’urgence des situations, les retards de prise en charge affectent directement la capacité de l’État, mais aussi des départements, à accompagner le développement des enfants.

Le système de protection de l’enfance est parfois défaillant dès la naissance des enfants. J’avais lancé en mai dernier une alerte au sujet des pouponnières, qui font face à des difficultés majeures du fait d’une croissance exponentielle du nombre d’enfants de moins de 3 ans qu’elles accueillent. Ces derniers sont désormais 11 000.

L’âge de 21 ans est aussi un couperet qui pose d’énormes problèmes. Il faudra travailler pour éviter les « sorties sèches ». Ceux qui relèvent de la protection de l’enfance doivent bénéficier d’un accompagnement vers l’autonomie pleine et entière.

La crise de la protection de l’enfance est également une crise des moyens financiers et humains. Elle est particulièrement grave dans le secteur médico-social, ce qui doit nous conduire à nous interroger sur les raisons du manque d’attractivité de ce dernier – donc sur les évolutions nécessaires de la formation initiale et continue, mais aussi sur la dégradation des conditions de travail et la revalorisation des salaires. Le Livre blanc du travail social publié en novembre dernier fournit un certain nombre d’éléments utiles pour aborder ces nombreux aspects.

Enfin, la crise est également une crise de gouvernance, même si cette dernière a été modifiée par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Les travaux de la commission d’enquête permettront de comprendre l’ensemble des difficultés d’application des dernières réformes.

Parmi ceux qui attendent cette commission d’enquête figurent notamment de nombreuses associations – qui tirent la sonnette d’alarme à travers la mobilisation dite des 400 000 – et l’ensemble de la société civile, très touchée par les faits dont les médias se font l’écho, qui sont à l’origine de grandes souffrances. Il faut que cela cesse et que l’on assure mieux la protection de l’enfance et la suppléance familiale. On peut s’inspirer de l’expérience d’autres pays et innover. Il ne faut s’interdire aucune réflexion pour être à la hauteur des besoins des enfants.

Il n’y a pas eu de commission d’enquête sur le sujet depuis les lois de décentralisation. Compte tenu de la situation, il est plus qu’urgent de trouver des solutions pour l’enfance en danger et l’honneur des représentants de la nation est de répondre à ce défi.

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Christine Loir (RN). Le Conseil national de la protection de l’enfance réclame un plan Marshall pour soutenir les mineurs vulnérables et nous devons donc nous emparer de ce sujet. Nous saluons la démarche proposée par la rapporteure, car elle est indispensable pour identifier les dysfonctionnements.

En France, plus de 80 000 enfants sont victimes de violences chaque année. Plus de 300 000 sont pris en charge par l’ASE. Bien que cette dernière soit censée garantir leurs droits fondamentaux, elle échoue souvent à les protéger par manque de place dans des familles d’accueil et en raison de leur maintien dans une situation précaire qui les empêche d’avoir une enfance heureuse. Cette situation a des conséquences sur leur avenir : 70 % des enfants placés n’obtiendront jamais un diplôme et un grand nombre de jeunes délinquants pris en charge par la PJJ l’ont été d’abord été par l’ASE. Il faut mettre fin à cette fatalité.

Nous, députés, sommes bien souvent contactés par des familles et des services sociaux désemparés. J’en profite pour saluer le dévouement des personnels, qui font de leur mieux. Le secteur est en crise : il est sous-financé et souffre d’une crise d’attractivité. Le cas particulier des enfants en situation de handicap est tout aussi préoccupant : 15 % des enfants pris en charge souffrent d’un manque de structures adaptées. Qu’il me soit permis de saisir cette occasion pour souligner le manque catastrophique d’accompagnants d’élèves en situation de handicap dans le département de l’Eure depuis la rentrée scolaire.

Dans son programme présidentiel, Marine Le Pen avait souligné qu’il était tout aussi essentiel de protéger les enfants que les jeunes adultes privés de la protection d’une famille aimante. Dans bien des cas ces derniers sont littéralement mis à la rue à 18 ans.

M. Jean-François Rousset (EPR). Je serai bref car cette proposition de résolution a vocation à permettre la poursuite des travaux entamés sous la précédente législature et interrompus par la dissolution de juin dernier. La commission d’enquête qui avait alors été créée résultait d’une demande du groupe socialiste dans le cadre de son droit de tirage et nous n’avions donc pas eu à nous prononcer sur son opportunité.

Notre groupe souhaite que cette commission – présidée par Laure Miller et dont la rapporteure était Isabelle Santiago – poursuive les travaux qu’elle avait brièvement engagés et nous ne nous opposerons donc pas à l’adoption de cette proposition.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Mon groupe soutient également que soit recréée cette commission d’enquête, interrompue brutalement par la dissolution. L’arrêt soudain des travaux a été particulièrement ressenti par les anciens enfants placés, les professionnels et toutes les associations habilitées – qui font comme elles le peuvent, avec des moyens très réduits et malgré les difficultés que l’on sait.

Pas un jour ne passe sans que l’on nous alerte au sujet de dysfonctionnements extrêmement graves et de violences, comme l’ont fait le 17 juin des éducateurs d’un foyer. Le 11 juillet, une enfant de 17 mois a été retrouvée morte au domicile de ses parents alors qu’une mesure judiciaire d’investigation éducative avait été prise. Le 18 juillet, une enfant placée est décédée lors d’un séjour en vacances. Le 29 août, des personnels de la PJJ ont fait grève car cette direction est très touchée par des coupes budgétaires, avec la perte de 500 emplois. Le 30 août, une société a été condamnée pour accueil illégal d’enfants placés et pour maltraitance. Le même jour, une association de protection de l’enfance a été mise sous tutelle à la suite de plusieurs dysfonctionnements graves. Le 10 septembre, après des fugues à répétition dans un foyer, on a découvert qu’une fonctionnaire de l’ASE fournissait des informations sur des enfants placés à un homme incarcéré pour viol. Le 26 septembre, on a appris qu’un foyer de l’ASE servait de dépôt pour du trafic de drogue. Le 27 septembre, une enquête a révélé que des enfants placés dans des familles d’accueil non habilitées ont subi des humiliations et des violences pendant plus de sept ans. Le 30 septembre un assistant familial a été mis en examen pour viol et actes de torture et de barbarie.

Je vous épargne la liste des infanticides ainsi que celle des faits de proxénétisme, qui touchent aussi des enfants qui relèvent de l’ASE. Je vous épargne la liste des placements décidés par la justice qui ne sont pas exécutés, faute de places. Cela concernerait plus de 3 000 enfants. Je vous épargne aussi la liste des pouponnières qui croulent sous le nombre des enfants qui leurs sont confiés jusqu’à l’âge de 3 ans, qui sont victimes du syndrome de l’hospitalisme du fait des conditions d’accueil.

Je vous épargne enfin la liste des « sorties sèches » avec des jeunes qui se retrouvent à la rue.

Vous l’avez compris : nous soutenons évidemment cette proposition de résolution. La protection de l’enfance s’effondre et entraîne avec elle des vies d’enfants. Il est urgent d’agir en créant une commission d’enquête mais il faut aller plus loin : l’État doit demander pardon aux enfants victimes de dysfonctionnements et leur fournir des réparations.

M. Arnaud Simion (SOC). Le système français de protection de l’enfance et l’ASE sont à bout de souffle en dépit des lois fondatrices du 5 mars 2007, du 14 mars 2016 et du 7 février 2022 qui ont fixé les objectifs de la politique de protection de l’enfance et organisé sa déclinaison territoriale. En dépit aussi de l’engagement de certains départements, qui ont placé la protection de l’enfance au cœur de leur action, le degré d’engagement variant toutefois selon les territoires.

Toutes les données chiffrées montrent qu’il est urgent de mieux protéger les enfants : 400 000 mineurs et jeunes majeurs relèvent de l’ASE ; 150 000 enfants sont suivis par la PJJ ; 25 % des SDF sont passés par l’ASE.

Les difficultés financières des départements – qui n’ont plus aucun levier fiscal depuis 2021 et qui subissent la baisse des droits de mutation à titre onéreux – ont de quoi nous inquiéter.

Il est grand temps que la représentation nationale établisse un diagnostic clair des causes des dysfonctionnements de la gestion du service public de l’ASE. Les travaux de la commission d’enquête permettront d’identifier les manquements à l’origine de la situation actuelle, d’identifier les défaillances de la gouvernance et de proposer des solutions aussi bien législatives que budgétaires pour y remédier. Tous les acteurs pourront être interrogés, dont les départements.

En se mobilisant pour présenter cette proposition de résolution, notre groupe souhaite répondre aux besoins fondamentaux des enfants, aux familles concernées, aux milliers de professionnels départementaux, aux assistants familiaux et au réseau des professionnels de l’ASE – que nous avons soutenu lors de la manifestation de la semaine dernière à l’appel du collectif des 400 000. Nous avons hâte de participer aux travaux de cette commission d’enquête ou de les suivre.

M. Thibault Bazin (DR). Madame la rapporteure, je vous remercie de votre engagement et de la présentation de cette proposition de résolution.

Cette initiative s’inscrit dans la continuité de votre rapport tendant à la création d’une commission d’enquête, publié le 9 avril 2024. Les travaux afférents ont été interrompus le 9 juin 2024 en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République. Cette nouvelle proposition, dont l’intitulé est quasi identique à celui de la précédente, vise à identifier les causes des défaillances de l’ASE afin de formuler des recommandations concrètes pour y remédier.

Nous estimons comme vous que le système français de protection de l’enfance traverse une crise profonde, illustrée par des drames récents. Nous considérons que ces tragédies révèlent les failles du système et ressortissent parfois à un échec de la promesse républicaine faite aux enfants les plus vulnérables. Cela étant, il existe aussi de très belles histoires de protection de l’enfance, de vies sauvées, protégées et accompagnées. Il sera intéressant de regarder aussi ce qui fonctionne pour s’en inspirer.

Conscient de l’importance de ces enjeux, notre groupe soutiendra la création de la commission d’enquête, dans la continuité de notre position sous la précédente législature. Un état des lieux est nécessaire pour formuler des propositions adaptées et pour renforcer la protection et l’accompagnement des enfants les plus vulnérables en France, tout en identifiant les dysfonctionnements de l’ASE. Parmi les enjeux, citons notamment l’articulation des compétences entre les conseils départementaux et l’État, l’attractivité des métiers et les conditions de travail. Nous serons aussi très attentifs, comme vous, à la prise en compte des disparités territoriales et des défis spécifiques liés à la prise en charge des enfants en situation de handicap ou présentant des troubles du neuro-développement.

Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). La semaine dernière, en l’espace de seulement quelques jours, nous avons été confrontés à des faits profondément troublants : un assistant familial mis en examen pour viol et pour actes de torture et de barbarie à l’encontre d’une fillette de 4 ans handicapée ; une fonctionnaire accusée de livrer des enfants placés à un proxénète ; un réseau de trafic de drogue découvert au sein d’un foyer de l’ASE ; des enfants placés maltraités dans des familles d’accueil clandestines – j’ai bien dit clandestines.

La semaine prochaine, devant le tribunal de Châteauroux, dix-neuf personnes seront jugées pour de graves maltraitances sur une vingtaine d’enfants, hébergés de 2010 à 2017 dans l’Indre, la Haute-Vienne et la Creuse en toute illégalité, dès lors que ces familles n’ont jamais obtenu l’agrément officiel des autorités pour héberger ces enfants confiés par l’ASE du Nord. Comment est-ce possible ?

Ces événements terrifiants s’ajoutent à une longue liste d’abus, de maltraitances, de viols et, dans les cas les plus tragiques, de décès tel celui de la petite Amandine dont Mediapart vient de dévoiler l’histoire bouleversante – placée à l’ASE, elle est décédée le 18 juillet 2023. Chaque jour apporte de nouvelles révélations plus choquantes les unes que les autres sur les conditions déplorables dans lesquelles vivent certains enfants placés.

Ces faits ne sont pas des incidents isolés. Ils témoignent d’un dysfonctionnement systémique de la protection de l’enfance. Outre l’horreur que m’inspirent ces faits, je suis choquée du silence persistant des élus départementaux responsables de cette politique comme des services de l’ASE.

Il est urgent de réagir. Une commission d’enquête sur la protection de l’enfance s’impose – elle s’imposait déjà lors de la précédente législature. Le groupe Écologiste et Social, soutient pleinement la proposition de résolution qui vise à faire la lumière sur ces graves défaillances.

M. Nicolas Turquois (Dem). Madame la rapporteure, au printemps de cette année, le groupe Les Démocrates a soutenu la constitution d’une commission d’enquête dont l’intitulé était similaire, dont vous étiez rapporteure et Laure Miller présidente et qui avait été créée au titre du droit de tirage dévolu à chaque groupe minoritaire ou d’opposition.

La dissolution du mois de juin a interrompu ses travaux, ainsi que ceux de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. La Conférence des présidents a souhaité que ces commissions d’enquête qui avaient commencé leur travail puissent l’achever. Le groupe Les Démocrates soutiendra cette décision et votera donc en faveur de la présente proposition de résolution.

Il rappelle toutefois que l’Assemblée s’intéresse déjà à la protection de l’enfance. Il tient notamment à saluer la qualité du travail transpartisan mené au sein de la délégation aux droits aux enfants que présidait notre collègue Perrine Goulet jusqu’à la dissolution. Nous regrettons un peu que votre initiative ne s’inscrive pas dans une forme de complémentarité avec ses travaux.

Nous n’en reconnaissons pas moins la qualité de votre engagement en matière de protection de l’enfance, au conseil départemental du Val-de-Marne et au sein de l’Assemblée nationale. Nous espérons que la commission d’enquête pourra achever ses travaux dans la sérénité et l’esprit de responsabilité qui doit prévaloir sur un tel sujet, nous sommes nombreux à l’avoir rappelé. Notre assemblée le doit aux plus de 300 000 mineurs et jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de protection.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). L’ASE est un service départemental essentiel, chargé de protéger les enfants en situation de danger et de vulnérabilité. En 2021, quelque 377 000 mesures relevant de la protection de l’enfance ont concerné environ 2 % des mineurs.

Le groupe Horizons & Indépendants est pleinement conscient des difficultés auxquelles l’ASE fait face depuis plusieurs années, causées notamment par des problèmes de places, de moyens et de disparités territoriales. La mission d’information sur l’ASE, dont la rapporteure Perrine Goulet a rendu les conclusions en 2019, avait déjà démontré que le suivi psychologique des enfants est très limité, voire inexistant.

Des actions ont été entreprises. En 2021, le Parlement a adopté le projet de loi relatif à la protection des enfants, qui s’inscrit dans la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022. Il a apporté plusieurs réponses en matière d’hébergement, en particulier l’interdiction du placement à l’hôtel des mineurs et des jeunes majeurs confiés à l’ASE, et de santé, notamment en améliorant le suivi annuel de chaque enfant.

Il faut aussi mentionner la mise en œuvre en 2023, par la Première ministre Élisabeth Borne, du troisième plan contre les violences faites aux enfants, qui prévoit notamment un dispositif automatisé de contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant dans l’accueil du jeune enfant et dans la protection de l’enfance. L’actualité montre qu’il faut aller plus loin.

La demande de création d’une commission d’enquête à ce sujet s’était inscrite, avant la dissolution, dans le cadre du droit de tirage annuel du groupe Socialistes et apparentés. Le groupe Horizons & Indépendants ne change pas de position et votera la présente proposition de résolution afin que le travail engagé se poursuive dans les meilleures conditions.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Il y a quelques mois, nous étions unanimes pour saluer l’initiative de nos collègues du groupe Socialistes et apparentés visant à créer une commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance, menée par la rapporteure Isabelle Santiago. La dissolution a interrompu nos travaux, dont celui‑ci, alors même que nous avons déjà trop tardé à résorber les défaillances.

Nous devons nous saisir à nouveau au plus vite de ce sujet, tant la politique de protection de l’enfance est dysfonctionnelle, ses manquements le démontrent. Je ne rappellerai pas les nombreux faits divers sordides ni les statistiques affolantes. Les drames que nous découvrons de façon répétée sont autant de déchirements offrant une preuve supplémentaire que les lois adoptées au cours des dernières années ne suffisent pas ou ne sont pas adaptées.

Dans les prochains jours, une vingtaine de personnes seront jugées pour des actes graves de maltraitance. Des dizaines d’enfants ont été confiés à des familles n’ayant jamais reçu d’agrément. En dépit de plusieurs signalements, l’ASE n’a rien fait. Pire, elle a continué à confier des enfants à une structure non contrôlée. Ce scandale va bien au-delà des simples défaillances humaines.

Le constat est clair et amer : les pouvoirs publics échouent à garantir la sécurité des enfants. En tant que législateurs il est de notre devoir d’y remédier et de réunir toutes les conditions pour offrir à tous les enfants la protection qu’ils méritent. C’est pourquoi notre groupe soutiendra la relance de la commission d’enquête, qui nous semble une véritable priorité.

Mme Karine Lebon (GDR). Permettez-moi de commencer mon intervention en adressant une pensée sincère à cette fillette de 4 ans, déjà lourdement handicapée, qui a été violée et torturée par son assistant familial. Nous l’avons appris hier. À chaque jour son lot d’horreur et de barbarie ! Nous en prenons connaissance dans les médias, grâce aux associations. C’est toujours le choc et l’effroi. Mettons-nous à la place de ces enfants : la violence et la souffrance ne cessent jamais. Elles forment un cercle sans fin.

C’est avant tout pour répondre à la détresse de ces enfants que la commission d’enquête doit reprendre ses travaux. En mai dernier, elle répondait à l’interrogation récurrente des pouvoirs publics par d’anciens enfants de l’ASE. Dès l’annonce de sa création, 200 d’entre eux ont créé le Comité de vigilance des enfants placés. Leurs attentes étaient aussi vastes que légitimes. La dissolution a anéanti leurs espoirs. Nous ne pouvons pas les abandonner. Tous, nous connaissons les difficultés de leur parcours de résilience.

La commission d’enquête se faisait également l’écho des alertes lancées par les professionnels du secteur, notamment dans une tribune publiée par Le Monde en mars. En mai, une enquête du Syndicat de la magistrature a mis en évidence au moins 3 335 placements non exécutés, soit autant d’enfants contraints de rester dans leur famille, en dépit du danger qu’ils encourent. « Aux placements non exécutés s’ajoutent les placements mal exécutés » complétait le syndicat.

La commission d’enquête devra examiner tout le parcours, de l’entrée dans le dispositif à la sortie, qui fait partie des aspects les plus délicats et requiert de nouvelles dispositions. Elle devra mettre en lumière les failles de l’organisation, les disparités de traitement en fonction des territoires et l’évolution des dispositifs, parfois même leur dégradation. Il faudra évaluer les structures et les moyens nécessaires pour être à la hauteur des enjeux et répondre aux besoins des enfants et des jeunes concernés.

Pour tous ceux qui ont souffert des manquements des politiques publiques dans ce domaine, pour tous ceux qui en souffrent encore cette commission d’enquête est capitale. Nous en soutiendrons la création.

M. Olivier Fayssat (UDR). Notre groupe soutient sans réserve la reprise de cette commission d’enquête absolument indispensable : parler d’aide sociale à l’enfance, c’est parler de parcours de vie terriblement difficiles, dès l’enfance.

Outre l’aide matérielle et financière, nous ne devons pas négliger les problèmes psychologiques intimement liés à ces situations. La santé mentale n’est pas assez priorisée à nos yeux. Un délai d’un an pour accéder à un pédopsychiatre prive de chances de reconstruction. C’est autant de détresse et de malheurs qu’on ne règle pas. Le Premier ministre a indiqué hier que la santé mentale ferait partie des nombreuses causes nationales qu’il a annoncées. Nous devons saisir cette occasion et nous inscrire dans ce cadre.

Mme Annie Vidal, présidente. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Sylvie Bonnet (DR). Madame la rapporteure, vous avez rappelé que les départements consacrent environ 9 milliards d’euros par an à l’aide sociale à l’enfance : c’est insuffisant. Les départements ont demandé à de nombreuses reprises que la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA) soit compensée pour ne pas grever les budgets de l’ASE, au motif que la politique migratoire est du ressort exclusif de l’État.

À titre d’exemple, le coût de l’accompagnement des MNA pour le département de la Loire est de 10 millions d’euros par an. L’État ne compense cette charge considérable qu’à hauteur de 460 000 euros, soit 4,6 %. Il faut vraiment que le coût de la mise à l’abri des MNA et les dépenses engagées par les départements pour leur prise en charge soient compensés à l’euro près pour que les mineurs non accompagnés ou confiés à la solidarité de la nation soient accueillis et soutenus dans de bonnes conditions.

M. Michel Lauzzana (EPR). Nous soutiendrons la création de la commission d’enquête – nous la soutenons tous, tant elle est nécessaire.

J’observe toutefois que son intitulé en limite le périmètre aux manquements des politiques publiques. Or il s’agit d’une politique décentralisée. Certains départements y consacrent les moyens nécessaires, d’autres non. Je souhaite que la commission d’enquête fasse remonter du terrain les réalisations positives pour les donner en exemple en vue de faire des progrès.

Je ferai une seconde observation, qui me tient particulièrement à cœur. Nous avons beaucoup entendu parler des dysfonctionnements et des problèmes rencontrés dans certaines familles. En tant que médecin généraliste, j’ai souvent eu à soigner des enfants placés dans des familles d’accueil et des membres de celles-ci. Je tiens à dire que la très grande majorité des familles d’accueil sont des personnes dévouées, compétentes et efficaces, qui prennent particulièrement à cœur leur fonction. Ces familles très dévouées, nous devons les aider, sans minimiser les dérives dont les autres se rendent coupables. Je leur tire mon chapeau, car leur fonction n’est pas toujours facile à remplir.

M. Fabien Di Filippo (DR). L’exposé des motifs de la présente proposition de résolution insiste sur le manque de moyens humains et financiers des départements, dont la plupart sont financièrement exsangues en raison de l’évolution de leur capacité de financement. Dans le contexte que nous connaissons, nous n’échapperons pas à une réallocation des moyens. Il faudra déterminer où nous les prendrons.

Les échanges que j’ai eus, notamment avec des éducateurs, ont révélé des situations scandaleuses, où il ne restait que quelques euros pour gérer les activités des enfants et des adolescents à l’échelle de la semaine ou organiser un repas de Noël. Lorsque l’on place les parents face à leurs responsabilités, beaucoup se contentent de déposer un cadeau et n’ont manifestement pas grand-chose à faire de leur enfant. Or ils perçoivent des aides sociales, notamment les allocations familiales, parfois à hauteur de plusieurs milliers d’euros, pour des enfants dont ils ne s’occupent pas.

Afin de rétablir quelques repères, je rappelle une règle de base à nos collègues et à quiconque suit nos débats : on ne peut pas bénéficier d’allocations familiales pour des enfants dont on ne s’occupe pas et dont on ne s’occupera sans doute jamais. Pour que celles-ci bénéficient aux enfants, il serait intéressant de faire en sorte qu’elles soient directement versées aux services de l’ASE plutôt qu’aux parents s’ils sont défaillants.

Mme Josiane Corneloup (DR). La qualité de l’accompagnement des mineurs et des jeunes adultes n’est pas satisfaisante. Le manque de contrôle des établissements et des familles d’accueil ainsi que des retards de prise en charge dans des situations pourtant urgentes, sont fréquemment mentionnés. Depuis plusieurs années, des faits de maltraitance active et passive ont été mis en lumière. La transition avec l’âge adulte pose également problème, de nombreux jeunes de l’ASE étant sans diplôme.

Le pilotage de la protection de l’enfance a été réformé par la loi relative à la protection de l’enfance du 7 février 2022, dite « loi Taquet ». Toutefois, la coordination entre les services judiciaires et les services départementaux demeure limitée en raison notamment de l’absence d’un système d’information commun.

L’accompagnement après 18 ans pose également problème, les départements n’étant pas toujours en capacité de l’assurer, faute de financement. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit que l’État octroie 50 millions d’euros aux départements pour financer cette mesure nouvelle : c’est très insuffisant. La loi Taquet n’a pas eu les effets escomptés.

Certaines expérimentations ont été menées avec succès. À Charolles dans ma circonscription, l’institut éducatif Saint-Benoît a créé des cottages conçus pour favoriser l’autonomie des jeunes très en amont de leur sortie définitive, en leur apprenant à gérer leur autonomie et à réaliser les tâches de la vie quotidienne. Nous devons encourager de telles initiatives très positives.

Mme la rapporteure. Je répondrai succinctement aux questions soulevées, pour ne pas empiéter sur les travaux de la commission d’enquête, qu’il s’agit pour l’heure de créer, dans lesquels aucun sujet ne sera tabou.

Les MNA ont fait l’objet de nombreux textes de loi. Il ne faut pas en faire un totem. J’ai eu la chance d’avoir été pendant douze ans vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne, chargée de la protection de l’enfance et de l’adolescence. Je mets cette expérience de territoire au service de mon mandat de députée. L’accueil des MNA s’inscrit dans le cadre du droit international. Il faut rédiger nos propres textes en gardant à l’esprit que ces mineurs sont une richesse, j’en veux pour preuve les très belles réussites de certains.

Chacun est libre de ses opinions, mais je vous invite à ne pas réduire la question de la protection de l’enfance à celle des MNA. J’ai été membre de la commission Solidarité et affaires sociales de l’Assemblée des départements de France (ADF) ; nous y débattions des MNA, du revenu de solidarité active (RSA) et des maisons départementales des personnes handicapées.

S’agissant d’une politique décentralisée, la protection de l’enfance doit être abordée dans sa globalité. Comment accompagner les enfants ? Telle est la question à laquelle nous travaillerons à répondre. L’ADF a évolué petit à petit pour intégrer pleinement la protection de l’enfance dans son périmètre, comme nous avons été plusieurs à le demander pendant plusieurs années.

Je souhaite que nous ayons de la protection de l’enfance une conception universelle. Je souhaite que chaque enfant soit pris en considération exclusivement comme tel, afin que nous puissions proposer les meilleures solutions à l’issue de nos travaux. Je n’empêche personne de penser ce qu’il pense mais je ne souhaite pas que nous nous laissions entraîner dans un débat qui nous éloignerait des vrais et nombreux problèmes.

Nous aborderons le sujet des frais liés, dont le repas de Noël est un exemple. Est-il normal que certains départements le financent en le revalorisant chaque année à hauteur de l’inflation et que d’autres aient conservé des budgets dont la valeur nominale est inchangée depuis le passage à l’euro ? S’agissant de la participation des parents, de nombreux enfants de l’ASE sont au secret ; à ceux-là, leurs parents ne risquent pas d’apporter un cadeau !

J’invite donc chacun à se garder de toute généralité et à être acteur de la commission d’enquête. Tous les sujets seront abordés, en lien avec les départements. Nous devrons travailler sereinement et formuler des réponses en tant que représentants de la nation. Il est plus que temps de considérer la protection de l’enfance comme un enjeu majeur et transpartisan, sur lequel nous devons être capables de nous rassembler et de proscrire toute attitude clivante.

 

Article unique

Amendement AS1 de Mme Katiana Levavasseur

Mme Katiana Levavasseur (RN). Il nous semble impératif de faire évoluer les dispositifs d’accompagnement des jeunes suivis par l’ASE. Les travailleurs sociaux sont formels : borner le suivi des jeunes à leurs 20 ans n’est pas satisfaisant. Certes, il est déjà difficile de faire appliquer la loi prévoyant un accompagnement des jeunes jusqu’à leurs 21 ans. Il sera d’autant plus difficile de le faire jusqu’à leurs 25 ans.

Toutefois, si nous voulons faire avancer les choses dans le bon sens, aller vers plus de protection, éviter à des jeunes déjà isolés d’être à la rue ou leur permettre de faire de longues études, nous devons dès à présent envisager l’extension du dispositif d’accompagnement et permettre aux jeunes qui le désirent d’être suivis jusqu’à 25 ans. Nous devons envisager d’insérer cette évolution dans notre réflexion à venir, pour donner aux autorités compétentes l’occasion d’approfondir ce sujet.

Mme la rapporteure. Avis défavorable.

Je comprends l’esprit de l’amendement, d’autant que j’ai déposé une proposition de loi visant à étendre à 25 ans l’accompagnement des jeunes de l’ASE. Toutefois, je suis défavorable à l’insertion de cette question dans le périmètre de la commission d’enquête, dont je souhaite qu’il demeure inchangé. Dans le cadre de nos travaux et des conclusions que nous rendrons au bout des six mois qu’ils dureront, nous échangerons collectivement sur les questions soulevées depuis le début de l’examen de la présente proposition de résolution, parmi lesquelles celle des jeunes majeurs.

M. Thibault Bazin (DR). Nous voterons contre l’amendement, non seulement afin que le périmètre de la commission d’enquête demeure intact, mais aussi parce que la prolongation de l’accompagnement des jeunes de l’ASE de 18 à 21 ans est déjà difficile. Les départements ont des moyens très limités. Proposer de prolonger l’accompagnement à 25 ans est très facile, mais avec quels moyens ?

Par ailleurs, on peut être jeune longtemps, mais à un moment donné, la question de l’insertion se pose. Prévoir un tremplin sur trois ans, c’est concevable ; sur sept ans, ce n’est plus un tremplin c’est même un frein à l’autonomie, d’autant qu’il existe déjà des structures destinées à aider les jeunes de moins de 25 ans. Mieux vaut travailler à améliorer leur complémentarité en éliminant les doublons. À une prolongation de l’accompagnement jusqu’à 25 ans, je préfère un accompagnement de qualité jusqu’à 18 ans, si possible jusqu’à 21 ans.

M. Jean-François Rousset (EPR). Nous voterons contre l’amendement. Commençons par bien faire ce qui est difficile à faire, n’encourageons pas la multiplication des Tanguy et restons raisonnables !

M. Nicolas Turquois (Dem). Je m’inscris en faux contre l’intervention des plus ou moins jeunes majeurs qui viennent de s’exprimer. Certes, la prolongation de l’accompagnement des jeunes de l’ASE ne s’inscrit pas dans le périmètre de la commission d’enquête. Toutefois, l’entrée dans la vie active est déjà complexe pour un jeune issu d’une famille fonctionnant à peu près normalement ; elle l’est a fortiori davantage pour les jeunes de l’ASE – quelques exemples me viennent à l’esprit.

Réfléchir à ce sujet dans le cadre d’expérimentations menées dans certains territoires ne me semble pas dépourvu de sens, sans rien généraliser ni faire abstraction de la question du budget. L’amendement soulève une question qui n’est pas sans intérêt.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). Aucun enfant placé auprès de l’ASE n’est un Tanguy. Tous sont en grande difficulté, beaucoup deviennent SDF faute de revenus, d’autant qu’ils ne sont pas éligibles au RSA avant d’avoir 25 ans. Il y a des choses que l’on ne peut pas dire !

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Certains centres d’accueil des jeunes majeurs mènent des expérimentations visant à les préparer progressivement à l’autonomie, en les logeant en studio in situ ou à l’extérieur et en leur attribuant à chacun un référent. Par ailleurs, certains jeunes sont prêts plus tôt que d’autres.

Ce qui importe, c’est d’assurer un accompagnement par un référent susceptible de répondre à leurs questions en matière de logement, de budget et de recherche d’emploi. Il faut faire preuve de souplesse. Il ne faut pas accompagner les jeunes jusqu’à leurs 25 ans, mais jusqu’à leurs 21 ans en fonction de leurs besoins, et non de façon systématique.

Mme la rapporteure. J’espère que nos échanges et nos travaux apporteront des réponses à cette question et que nous ne nous contenterons pas de dire que nous avons un problème de moyens. La commission d’enquête a vocation à formuler des préconisations, d’autant que M. le Premier ministre a indiqué hier qu’il serait attentif aux propositions du Parlement. Nous formulerons des propositions budgétaires et législatives, avec la ferme intention que les choses changent concrètement.

 

Je ne dirai pas ce que je pense de la référence au personnage de Tanguy. Je me contenterai de rappeler que la moyenne d’âge du départ du foyer parental, dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, est 24 ans. Qui parmi nous dit à son fils ou à sa fille de 16 ans « Il est temps de préparer ton avenir » ? Je ne connais personne qui l’ait fait. De surcroît, le bagage que l’on demande à un jeune de l’ASE âgé de 17 ans et demi de préparer est souvent un sac poubelle. Je mets au défi ceux qui ont tenu les propos que je vise de les maintenir.

Je pense sincèrement que la protection de l’enfance est un sujet transpartisan. Nous n’avons pas le droit d’y déroger. Des 400 000 enfants en danger que compte la France, environ 178 000 sont accueillis dans le cadre d’une suppléance parentale. Que sont 180 enfants à l’échelle d’un territoire ? Que sont 1 500 jeunes majeurs de 18 à 21 ans en difficulté à l’échelle d’une région de 11 millions d’habitants telle que l’Île-de-France ? Comment se fait-il que nous ne soyons pas capables de leur offrir un meilleur modèle avec les moyens de nos collectivités locales ?

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cet état de fait, ni des statistiques nationales. Les départements investissent dans la protection de l’enfance non pas 9 milliards mais près de 10. Le résultat n’est pas satisfaisant. Certains jeunes sont logés dans des structures destinées aux sans-abri et connaissent de grandes difficultés, notamment en matière d’obtention d’un diplôme.

Je me félicite des initiatives prises par certains conseils départementaux. Celui de Meurthe-et-Moselle a récemment introduit un revenu d’émancipation jeune de 500 euros pour accompagner les jeunes de moins de 25 ans les plus vulnérables, sur le modèle d’un dispositif en vigueur au Québec.

Tel est l’état d’esprit dans lequel je m’inscris et dans lequel je souhaite que nos travaux s’inscrivent. J’espère que nous partagerons l’ambition collective de ne pas laisser ces jeunes au bord du chemin, ce qui est une situation inacceptable.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Puis elle adopte la proposition de résolution non modifiée.

 

 

La réunion s’achève à douze heures quinze.


Informations relatives à la commission

 

La commission a désigné :

 Mme Isabelle Santiago rapporteure de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance (n° 190) ;

 Mme Annie Vidal membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss).

 


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Béatrice Bellay, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, M. Louis Boyard, M. Elie Califer, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Arthur Delaporte, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, Mme Katiana Levavasseur, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, M. Benjamin Lucas-Lundy, Mme Hanane Mansouri, M. Bastien Marchive, Mme Joëlle Mélin, M. Thomas Ménagé, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Angélique Ranc, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Stéphanie Rist, Mme Sandrine Rousseau, M. Jean-François Rousset, Mme Sandrine Runel, Mme Isabelle Santiago, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry

Assistaient également à la réunion.  Mme Fanny Dombre Coste, Mme Christine Loir, Mme Marianne Maximi