Compte rendu
Commission
des affaires sociales
– Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (n° 104) (M. Guillaume Garot, rapporteur) 2
– Examen de la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif (n° 517) (Mme Céline Hervieu, rapporteure) 23
– Information relative à la commission.......................40
– Présences en réunion.................................41
Mercredi
4 décembre 2024
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 29
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président
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La réunion commence à neuf heures trente.
(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)
M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen de trois propositions de loi du groupe Socialistes et apparentés renvoyées à notre commission, qui seront examinées en séance publique à partir du jeudi 12 décembre.
La commission des affaires sociales examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (n° 104) (M. Guillaume Garot, rapporteur).
M. Guillaume Garot, rapporteur. Cette proposition de loi, adoptée à une large majorité par nos collègues sénateurs, vise à instaurer un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.
Nous faisons tous le même constat : l’hôpital est en souffrance, en particulier dans les villes moyennes et les départements ruraux. Les soignants sont confrontés à des cadences intenses et de fortes pressions : ils doivent courir d’une chambre à l’autre pour se rendre au chevet des patients et faire à face à de multiples sollicitations, surtout la nuit et le week-end.
L’enjeu pour notre nation est de consolider l’hôpital afin qu’il demeure un élément fondamental de notre pacte républicain. Rappelons qu’il fait partie du legs que nous ont laissé nos aînés après la Seconde Guerre mondiale avec la sécurité sociale issue du programme du Conseil national de la résistance. Ce grand service public de l’hôpital a fait la fierté de notre pays, la grandeur de la France : il garantit à chacun, quelles que soient ses origines, où qu’il habite sur le territoire national, d’avoir accès à des soins de qualité.
Il s’agit de redonner de l’espoir aux soignants et de la confiance aux patients. Actuellement, les infirmiers, les infirmières, les aides-soignantes, les aides-soignants quittent l’hôpital après y avoir travaillé quelques années, parfois pour engager des reconversions professionnelles. Dans les filières de formation – instituts de formation en soins infirmiers, instituts de formation d’aides-soignants –, nous assistons à un phénomène de plus en plus marqué d’abandons en cours d’études. Bien sûr, il faut prendre en compte les réalités de Parcoursup ; reste que beaucoup de jeunes se disent qu’ils n’y arriveront pas parce que le métier est trop dur. C’est contre cela qu’il faut lutter et c’est bien le sens de cette proposition de loi défendue par notre collègue Bernard Jomier au Sénat.
L’application de ratios de soignants par patient hospitalisé est déjà en vigueur dans notre pays et elle donne de bons résultats. Elle est toutefois limitée à cinq activités de soins : l’obstétrique, notamment la néonatalogie, le traitement des grands brûlés, des personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique ou atteintes de cancers ainsi que les soins critiques.
Dans plusieurs pays étrangers, la mise en œuvre des ratios a fait la démonstration de son efficacité. Citons en particulier les États-Unis avec la Californie et l’Australie avec le Queensland. Une étude de The Lancet menée à partir du cas australien a montré que le coût correspondant à la hausse des effectifs a engendré des économies d’un montant deux fois plus élevé. Les ratios permettent d’alléger des postes de dépenses très lourds pour le système de santé en réduisant le nombre des infections nosocomiales et des erreurs médicamenteuses, en diminuant le temps d’attente aux urgences et le risque de réhospitalisation, en favorisant des guérisons plus rapides. Il faut donc considérer ces dépenses dans l’humain comme un investissement pour l’hôpital, qu’il s’agisse de l’amélioration des conditions de travail des soignants ou de la qualité accrue des soins reçus par les patients.
Cette proposition de loi suscite une très forte attente dans la communauté hospitalière. Nous sommes nombreux ici à le mesurer, en particulier Sabrina Sebaihi qui a reçu plusieurs collectifs d’organisations syndicales. Tous disent leur besoin de pouvoir se projeter dans l’avenir.
Ce texte provoque aussi chez certains élus des craintes, que je tiens à apaiser. Ils redoutent que la mise en œuvre immédiate des ratios ne bloque le système en provoquant la fermeture de lits et de services, faute d’effectifs de soignants suffisants. Il n’est dans l’esprit de personne de s’engager dans cette politique, à marche forcée, de manière bureaucratique. Il est bien évident qu’appliqués d’un claquement de doigts, loin de remplir leur office, ils aggraveraient la situation. C’est la raison pour laquelle il est prévu de les établir de manière progressive. Le décret fixant la date à partir de laquelle ils entreront en vigueur ne sera pas signé sur un coin de table par l’administration du ministère de la santé. Il ne sera élaboré que sur la base des travaux conduits par la Haute Autorité de santé (HAS) qui prendra le temps suffisant pour formuler ses recommandations à l’horizon de deux, quatre ou cinq ans. Ainsi, nous laisserons le temps nécessaire pour la formation des futurs soignants. Les exemples étrangers montrent que les métiers du soin redeviennent attractifs lorsqu’on peut garantir de meilleures conditions de travail.
Par ailleurs, pour échapper à tout risque bureaucratique, nous prévoyons que les ratios seront mis en œuvre au niveau local, à l’échelle de chaque établissement. Les commissions médicales d’établissement (CME) et les commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) auront leur rôle à jouer.
Chacun sait ici que la date du 1er janvier 2027 fixée pour l’entrée en vigueur des ratios n’est pas tenable. Seulement, ce texte comprend les outils nécessaires pour une application à l’horizon de six, sept ou huit ans.
Cette proposition de loi constitue une étape très importante vers la reconstruction de notre hôpital. Nous sommes attendus par les soignants, par ceux qui n’en peuvent plus, par ceux qui se demandent s’ils doivent continuer ou se reconvertir. C’est maintenant qu’il faut réagir. Et si nous voulons que les travaux nécessaires à l’application de ces quotas commencent le plus rapidement possible – même si nous visons un horizon de cinq ou sept ans pour la mise en œuvre effective –, il faut adopter le texte conforme. C’est la raison pour laquelle, en tant que rapporteur, je m’opposerai à toute modification du texte. Cela ne nous empêchera bien sûr pas de débattre et de nourrir la réflexion du Gouvernement puis de la HAS. Pour redonner de l’espoir aux soignants et de la confiance aux patients, votons cette proposition de loi.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Serge Muller (RN). Ce texte aborde une question essentielle pour l’avenir de notre système de santé : la qualité des soins et les conditions de travail de nos soignants que je connais bien pour en avoir fait partie pendant vingt-deux ans. Ces enjeux sont au cœur des préoccupations du Rassemblement national, qui a toujours défendu une médecine de proximité, humaine et efficace. Nos soignants, que je salue avec respect, sont les piliers de notre système de santé. Or, depuis des années, ils subissent une pression insoutenable en raison des politiques de rationalisation budgétaire, des fermetures de lits et d’une bureaucratie étouffante.
Cette proposition de loi va dans le bon sens mais elle reste insuffisante. Il importe de la renforcer par des mesures concrètes et ambitieuses si nous voulons que les ratios soient non seulement appliqués mais aussi pertinents. Nous demandons qu’ils soient fondés sur des données scientifiques solides, validés par des experts et élaborés avec la participation des soignants eux-mêmes. Nous devons tenir compte non seulement du nombre de patients mais aussi de la gravité des pathologies, de la complexité des soins qu’elles requièrent et des réalités des territoires, notamment dans les zones rurales. Enfin, il faut éviter que ces ratios ne constituent un fardeau supplémentaire pour nos établissements de santé. L’État doit accompagner financièrement leur mise en œuvre et investir dans la formation et le recrutement des personnels de santé : c’est une priorité nationale. Ce texte est l’occasion de leur offrir la reconnaissance qu’ils méritent et de leur accorder les moyens dont ils ont besoin.
Mme Annie Vidal (EPR). L’instauration d’un ratio minimal vise un objectif d’amélioration de la sécurité et de la qualité des soins que nous partageons. Toutefois, la proposition de loi, dans la rédaction actuelle de son article unique, ouvre un champ très large : toutes les spécialités, toutes les catégories de soignants, toutes les activités sont concernées. Elle aurait pour conséquence directe l’opposabilité des ratios, déterminés par décret après avis de la HAS et définis en fonction du nombre de lits et de passages pour les activités ambulatoires.
Notre groupe souhaite avant tout s’assurer que les solutions proposées soient réalistes et applicables. Si cette proposition de loi est mue par une volonté louable dont nous partageons le principe, elle pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, confier la responsabilité de fixer ces ratios à la HAS et à la direction générale de l’offre de soins nous semble reposer sur une approche trop centralisée et uniforme, éloignée de la réalité des services de soins et porteuse de rigidité comme de complexité. Elle est en contradiction avec notre volonté de responsabiliser les établissements et de leur laisser de la souplesse dans leur fonctionnement. Il conviendrait de leur donner la possibilité de fixer eux-mêmes ces ratios.
Il me semble aussi nécessaire dans un premier temps de limiter l’application des ratios aux unités de médecine, de chirurgie et d’obstétrique ainsi qu’aux infirmières diplômées d’État et aux aides-soignants. Leur mise en œuvre doit être ciblée si nous voulons qu’elle soit efficace. Nous éviterions ainsi de créer de rigidités excessives dans l’organisation des établissements. Enfin, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas que la CSIRMT n’a qu’un avis consultatif. Elle n’a donc pas de pouvoir d’approbation.
J’insisterai insister pour finir sur un point fondamental. Dans les établissements où le nombre de postes vacants est élevé, définir des ratios peut certes être un facteur d’attractivité, mais leur opposabilité constitue un risque majeur, susceptible de contraindre des établissements à fermer des lits ou à limiter l’activité des services. Mes amendements tenteront de répondre à cette difficulté.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). N’en déplaise au Gouvernement, qui tombera ce soir, la première préoccupation des Français n’est pas l’immigration mais la santé, malmenée par Emmanuel Macron, ses gouvernements successifs et ses députés. Malmenée car depuis 2014, 43 000 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés, dont 5 700 en pleine pandémie. Malmenée car, signe de la souffrance des soignants, 60 000 postes d’infirmiers sont vacants contre seulement 10 000 en 2019 et la moitié des infirmières ayant commencé leur carrière à la fin des années 2000 ont changé de métier. Malmenée car les salaires des soignants sont toujours aussi faibles – les infirmières françaises gagnent près de deux fois moins que leurs homologues belges. Malmenée car depuis 2017, Emmanuel Macron a organisé 15 milliards d’euros d’économies sur le dos de l’hôpital public – cette année, nous avions pourtant voté des recettes suffisantes pour le budget de la sécurité sociale mais ces 17 milliards ont été balayés comme tout le reste. Malmenée car, la semaine dernière, la minorité présidentielle a bloqué l’abrogation de la retraite à 64 ans et ma proposition de loi sur la pénibilité des métiers féminisés qui offrait la possibilité aux infirmières, aides‑soignantes et agents de service hospitalier (ASH) de partir à la retraite de manière anticipée.
Cette proposition de loi, bien qu’insuffisante par rapport à l’océan des besoins, nous apparaît comme une étape nécessaire, attendue par les professionnels. De tels ratios ont été mis en place en Californie, en Corée du Sud, en Australie, avec de bons résultats : diminution de la mortalité, réduction du risque d’erreurs médicales, amélioration de la qualité du pronostic des patients, baisse des accidents du travail et des burn-out chez les soignants, hausse des inscriptions en études de soins.
Quand cette loi sera votée, la HAS aura à définir les ratios mais sans avoir à se fonder sur l’état actuel des effectifs de soignants, autrement dit la pénurie. Idéalement, ces ratios devraient être inscrits dans la loi. Ils favoriseront le retour des soignants à l’hôpital public mais ce qui le favorisera encore plus, c’est le départ définitif d’Emmanuel Macron et son gouvernement.
Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Cette proposition de loi répond à une urgence : l’état critique de notre hôpital public. La crise que nous traversons est avant tout humaine : elle se lit dans les visages fatigués des soignants et dans l’inquiétude des patients face à la fermeture de lits, voire de services d’urgences. Depuis 2020, les démissions se multiplient : infirmiers, aides-soignants, personnels de rééducation quittent massivement les hôpitaux, épuisés par des charges de travail intenables. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 85 % des soignants estiment que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis la pandémie, plus de la moitié sont en état de burn-out et beaucoup envisagent de changer de métier. Ce constat alarmant est confirmé par les abandons en cours de formation et surtout par le recours excessif à l’intérim, qui coûte des milliards à l’hôpital sans pour autant régler les problèmes structurels.
Au-delà des soignants, ce sont les patients qui paient le prix de cette crise. Trop souvent les protocoles ne peuvent être respectés : les médicaments ne sont pas délivrés à temps, des complications évitables surviennent. L’épuisement du personnel peut directement porter atteinte à la qualité des soins.
Face à cette réalité, cette proposition de loi vise à instaurer des ratios minimaux de soignants par patient pour l’ensemble des services, y compris les services d’urgences et de soins psychiatriques. Elle s’inscrit dans une démarche plus large car elle vient compléter la proposition de loi, d’initiative transpartisane, contre les déserts médicaux. Ces deux textes sont les piliers d’une refondation du service public de santé.
Les exemples étrangers, en Californie notamment, montrent de quels bénéfices s’accompagne la mise en place de ratios : baisse de la mortalité hospitalière, amélioration des conditions de travail et surtout augmentation des vocations. Cette réforme progressive, encadrée par la HAS, fixe un cap clair pour reconstruire la confiance des soignants et des patients dans l’hôpital public.
Enfin, les députés socialistes, lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), ont défendu les moyens nécessaires pour le financement de ces ambitions. Nous avons démontré que des choix budgétaires responsables peuvent soutenir ces réformes indispensables. Adopter ce texte, c’est répondre aux problèmes de pénurie et d’attractivité des métiers du soin, c’est répondre à l’appel des soignants qui demandent à être respectés et des patients qui méritent des soins sûrs et de qualité.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Cette intervention exprimera la position du groupe Droite Républicaine.
Cette proposition de loi a été adoptée à une large majorité par nos collègues du Sénat et nous portons sur elle un regard bienveillant car elle envoie un message de soutien à nos soignants avec ces ratios de nature qualitative et non pas réglementaire destinés à accroître l’attractivité des métiers du soin et améliorer la prise en charge de nos patients.
Plusieurs études ont été citées, dont l’une publiée dans la revue internationale de très haut rang qu’est The Lancet, qui a montré que la mise en place de tels ratios s’accompagnait de gains médico-économiques, notamment en matière de diminution de la durée moyenne des séjours. Une autre étude a mis en évidence des améliorations en matière de morbimortalité, qu’il s’agisse des infections nosocomiales, des chutes ou des escarres. J’ai un petit doute s’agissant de la réduction des arrêts cardiaques, qui me semble comporter un biais, mais globalement, nous voyons bien quels bénéfices pour l’attractivité de nos hôpitaux comporte cette mesure issue des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était rapporteure.
Certains points appellent une vigilance particulière. Je préfère enfoncer le clou et revenir sur l’argument selon lequel les ratios risquent de devenir opposables et entraîner des fermetures de services. Il s’agit, rappelons-le, de ratios qualitatifs et ils ne sauraient avoir de telles conséquences. En outre, nous appelons de nos vœux des dates de mise en application raisonnables, afin que le nombre d’infirmières et d’aides-soignantes formées soit en adéquation avec les besoins. Enfin, nous sommes favorables à ce qu’il revienne à la HAS de définir les critères de qualité.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cela fait quarante-huit heures que le Gouvernement a recouru au 49.3 pour faire adopter le budget de la sécurité sociale, un budget qui ne prend en compte ni l’hôpital public, ni les soignants, ni les usagers : il prévoit une baisse de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) alors même que les hôpitaux publics crient au sous-financement. Vendredi dernier, les présidents des conseils de surveillance des centres hospitaliers universitaires de tous bords se sont alarmés du déficit de leurs établissements et ont appelé au maintien de leurs budgets.
Il suffit de se rendre à l’hôpital pour se rendre compte de la crise qu’il traverse. N’avez-vous jamais attendu des heures aux urgences, faute de personnel ? Cet été, aux urgences de Nantes, certaines personnes sont restées jusqu’à soixante-dix heures sur un brancard avant d’être hospitalisées. N’avez-vous jamais rencontré d’infirmiers sous pression, contraints de passer rapidement de chambre en chambre pour voir un maximum de patients ? Ne voulez-vous pas préserver nos soignants et la prise en charge des usagers de notre système de santé ? Les personnels soignants sont à bout de souffle, épuisés, mal payés, insuffisamment considérés. Ils sont des milliers à abandonner un métier qu’ils avaient pourtant choisi par vocation. Près d’un infirmier sur deux jette l’éponge après dix ans de carrière à l’hôpital. Les déserts médicaux s’étendent, laissant des millions de Français sans accès à des services de santé vitaux, les forçant à se tourner vers des services d’urgences toujours plus engorgés.
Le dispositif présenté dans cette proposition de loi a été soutenu de longue date par les personnels de santé, notamment le Collectif Inter Hôpitaux – et je souhaite ici rendre hommage à ses membres, notamment Anne Gervais et Thierry Amouroux, à tous ces soignants qui, en plus de travailler dans des conditions qui frisent parfois l’indignité, prennent du temps pour porter haut les demandes d’amélioration de notre système de santé et les exigences d’excellence pour nos hôpitaux, empreints qu’ils sont du sens du service public de la santé.
La richesse d’une société se mesure à l’aune de la santé de ses citoyens et non de ses dividendes. Le groupe Écologiste et Social votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi : instaurer un nombre minimum de soignants par patient, c’est mieux s’occuper de l’humain.
M. Philippe Vigier (Dem). Guillaume Garot en conviendra avec moi, cela fait plus de dix ans que j’essaie de faire avancer la lutte contre la désertification médicale alors même que le groupe politique auquel il appartient a combattu mes propositions dans cette même salle. C’est pour moi un enjeu absolument majeur.
Étant moi-même soignant, je pense bien connaître la dureté de ce métier. Nous devons réfléchir tous ensemble aux possibilités d’améliorer les conditions de travail des soignants et l’attractivité de ces métiers. Cela n’a pas encore été rappelé mais 40 % des infirmières décrochent lors de leur première année d’exercice. Pourquoi le découragement l’emporte-t-il aussi rapidement alors qu’il s’agit d’un métier merveilleux ?
Je ne crois pas du tout à la suradministration de l’hôpital. J’ai eu la chance d’être député-maire pendant seize ans et en siégeant au conseil d’administration d’un hôpital de ma circonscription, j’ai pu déplorer année après année l’absence de moyens pour financer la formation des aides-soignantes et des infirmières – tous les deux ou trois ans, une ou deux seulement pouvait en suivre une.
Monsieur le rapporteur, je connais votre engagement sur les questions de santé et je le partage. J’adhère à 1 000 % à l’esprit de votre proposition de loi. Simplement, je n’ai pas confiance dans le décret d’application qui viendra s’imposer par-dessus la tête des parlementaires. Nous découvrirons un jour que tel service aura dû fermer, faute pour l’hôpital d’avoir pu respecter le ratio mis en place. Il faut pouvoir avoir la main dessus, sinon nous serons démunis et l’irresponsabilité, nous la partagerons tous. Je me bagarre tous les jours avec l’agence régionale de santé (ARS) sur ces questions-là. Et je sais, chère collègue, l’attente interminable des patients aux urgences.
Nous ne pouvons pas en rester à une version monolithique de cette proposition de loi. Enrichissons-la par des amendements car elle va dans le bon sens.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants reconnaît l’intention louable de cette proposition de loi qui vise à améliorer la qualité des soins et les conditions d’exercice des soignants à l’hôpital. Cependant nous ne pouvons l’adopter dans sa rédaction actuelle.
Le problème fondamental auquel nos hôpitaux sont confrontés n’est pas l’absence de normes ou de ratios mais le manque de personnels disponibles. L’établissement de seuils minimaux ne répondra pas à la pénurie actuelle de soignants, pas plus qu’il n’améliorera l’attractivité des métiers hospitaliers. Le manque chronique de soignants dans les établissements hospitaliers reste avant tout lié à des difficultés structurelles de recrutement et de fidélisation. Fixer des ratios minimaux sans avoir résolu ces problèmes risque de créer des contraintes insoutenables pour les hôpitaux, voire de conduire à des fermetures de lits et de services, faute de personnels en nombre suffisant.
Par ailleurs, l’approche normative centralisée proposée rigidifierait la gestion hospitalière, loin de la nécessaire souplesse qu’appelle la prise en compte des spécificités locales. Les risques d’effets pervers – contentieux, surcharge administrative pour la HAS et les ARS – sont réels et insuffisamment anticipés.
Enfin, limiter l’application de ces ratios aux établissements du service public hospitalier créerait une forte disparité avec d’autres secteurs de santé, ce qui pourrait renforcer les inégalités dans l’offre de soins.
Nous considérons donc que cette proposition, bien qu’animée d’une intention louable, ne répond pas aux défis actuels de notre système de santé. Nous restons convaincus que les solutions passent par la formation, le recrutement et la valorisation des carrières hospitalières déjà engagée par le Gouvernement.
M. Laurent Panifous (LIOT). Ce qui nuit à l’attractivité des métiers hospitaliers, ce sont les conditions de travail. Les soignants témoignent de l’existence d’un cercle vicieux : nombreuses vacances de postes, équipes épuisées et conditions dégradées. L’adoption de cette proposition de loi enverrait un signal clair : le fonctionnement d’un service public hospitalier de qualité doit reposer sur des personnels soignants en nombre suffisant.
Les expériences étrangères ont démontré que l’application de ratios d’encadrement avait conduit à une amélioration des soins et une stabilisation des équipes. Bien entendu, l’adoption de cette proposition de loi ne s’accompagnera pas d’un renforcement immédiat de l’encadrement à l’hôpital. Évitons de nourrir de faux espoirs qui ne feraient que se traduire en déception. Ce texte doit être pensé comme un outil visant à restaurer l’attractivité des métiers hospitaliers grâce à la mise en place de référentiels produits par la HAS, adaptés aux besoins et donc aux spécificités des territoires, des établissements et des activités.
Il faut toutefois absolument éviter que l’application de ratios ne se traduise par un recours renforcé aux heures supplémentaires ou par des fermetures de lits. L’objectif est bien d’améliorer le recrutement et non de réduire les prises en charge ou d’alourdir la surcharge de travail des soignants. Si ces ratios de qualité se distinguent des ratios de sécurité destinés à assurer les bonnes conditions techniques de fonctionnement, il convient de veiller à ce que leur non-respect ne reste pas sans conséquences. L’obligation d’information des ARS est l’une des pistes étudiées mais peut-être peut-on aller plus loin.
Plus largement, nous partageons la vision de la rapporteure au Sénat, selon laquelle cette proposition de loi devait être vue comme une loi de programmation. Celle-ci ne se fera pas du jour au lendemain et cela impliquera avant tout des moyens supplémentaires.
M. Yannick Monnet (GDR). Merci, monsieur le rapporteur, pour cette éclaircie qui contraste avec les sombres perspectives qu’ouvre le dernier PLFSS, terrible pour l’hôpital public. La mise en place de ratios de soignants par patient pour chaque spécialité et activité de soins est très attendue par les professionnels de santé mais également par les associations de patients. Ces dernières, en nombre considérable, avaient d’ailleurs publié une tribune dans Le Monde en février 2023 pour appeler à l’adoption de cette proposition de loi.
Ces ratios permettraient une amélioration des conditions de travail des soignants et par conséquent de la prise en charge des patients. À cet égard, il me semble difficile de distinguer ratios de qualité et ratios de sécurité, tant ils sont intriqués. Fixer de tels ratios, c’est aussi reconnaître le travail des soignants. Cela contribuerait à redonner du sens à leurs métiers et à les rendre un peu plus attractifs. L’une des causes majeures des difficultés de recrutement et de la fuite de personnels soignants, en particulier infirmiers, tient, plus encore qu’au faible niveau des salaires, à l’augmentation de la charge de travail due au manque d’effectifs.
Pour toutes ces raisons, nous ne nous opposerons pas à l’instauration de ces quotas. Nous soulignerons toutefois que, pour améliorer durablement les conditions de travail des soignants et la prise en charge des patients, ils doivent trouver une traduction concrète dans une loi de santé publique, reposant sur une programmation des besoins de formation et de recrutement et prévoyant des moyens correspondants.
M. Olivier Fayssat (UDR). Il est difficile de nier les problèmes rencontrés par l’hôpital public, et la nécessité d’y apporter une réponse pratique. Cette proposition de loi, qui pointe la désorganisation et la suradministration de l’hôpital – même si celle-ci touche aussi les autres services publics –, est donc très intéressante, et le groupe UDR la votera.
Néanmoins, elle appelle à être précisée : quels critères et indicateurs seront-ils pris en compte pour établir les ratios ? Ces derniers entraîneront-ils un surcoût ? Le cas échéant, nous souhaitons qu’il soit financé grâce à une réduction des dépenses – ou, à tout le moins, en garantissant une dépense plus efficace –, et non par de nouvelles recettes.
M. le président Frédéric Valletoux. Ce texte a le mérite d’aborder une préoccupation que nous partageons tous : les moyens nécessaires pour accompagner la remobilisation des soignants et permettre à l’hôpital d’exercer ses missions.
Néanmoins, j’émettrai plusieurs réserves à une adoption conforme.
Tout d’abord, je ne comprends pas le cheminement intellectuel qui consiste à combattre la bureaucratie par un peu plus de bureaucratie, et je m’interroge sur l’opportunité d’imposer le même ratio partout, alors que les services et les besoins de la population sont différents d’un territoire à l’autre.
Ensuite, en restant silencieux sur les obligations qui s’imposeraient aux établissements privés à but lucratif, ce texte concentre une fois de plus les pesanteurs et les rigidités sur les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif, ce qui risque de créer une distorsion dans la prise en charge des patients.
Enfin, en imposant des normes nationales, cette proposition de loi risque de rigidifier le système. Cette vision très centralisée – très jacobine – de la gestion de l’hôpital me semble aller à l’encontre de l’ADN de la famille socialiste, qui a fait de l’autonomie et de la confiance dans les acteurs de terrain une antienne – et c’est d’ailleurs l’objectif qui sous-tend cette proposition de loi transpartisane.
M. le rapporteur. Nombre d’entre vous craignent que ce texte renforce la bureaucratisation de l’hôpital. Pourtant, personne n’a proposé de revenir sur les ratios de sécurité déjà appliqués dans certains services, comme les soins critiques, au nom de l’autonomie des établissements : c’est bien la preuve que c’est une idée intéressante – et même nécessaire pour assurer la qualité des soins –, fût-elle exigeante. Le terme de « maltraitance », jusqu’à présent réservé aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), est désormais utilisé s’agissant de l’hôpital : cela doit nous interroger. Les soignants sont les premiers à nous demander les moyens de faire correctement leur métier, nous devons leur apporter une réponse.
En instaurant des ratios qualitatifs – cet adjectif est très important, Yannick Neuder l’a très bien expliqué –, cette proposition de loi cherche à fixer un cap. C’est tout sauf bureaucratique ! Elle procède d’une démarche très pragmatique, inscrite dans le temps long : les ratios ne seront pas définis en trois semaines, il faudra plusieurs années ! Et c’est la HAS qui en sera responsable – tout sauf un repaire de bureaucrates, vous en conviendrez ! Cette institution est composée de professeurs de médecine, de directeurs d’hôpitaux, de professionnels qui connaissent aussi bien que nous les réalités du terrain, et leur expérience les rend légitimes à formuler des recommandations.
D’un point de vue constitutionnel, le rôle du législateur est de fixer le cadre, pas de s’assurer qu’il ne manque pas un bouton de guêtre : c’est ensuite au Gouvernement, sur la base des recommandations de la HAS, de prendre les décrets nécessaires, qui seront déclinés localement. Au reste, arrêtons de penser que les établissements les appliquent bêtement, sans réfléchir, alors qu’ils le font toujours avec bon sens et pragmatisme.
Beaucoup se sont élevés contre une prétendue opposabilité des ratios, au motif que cela bloquerait complètement le système : c’est très étonnant, car le texte ne prévoit pas l’opposabilité, seulement un mécanisme d’alerte – c’est différent.
Nous ne partons pas de rien : nous partons de la copie des sénateurs, et il faut reconnaître qu’ils ont bien travaillé. Peu d’entre vous ont assisté aux auditions, mais je peux vous assurer que ce texte, qui vise à donner des perspectives, a suscité de grands espoirs chez les professionnels, les associations d’usagers et les organisations syndicales, qui soutiennent unanimement cette proposition : nous devons être au rendez-vous de cette attente. Or, à défaut d’adoption conforme, il sera remis aux calendes grecques. Pour avoir eu les mêmes préventions lorsque j’ai commencé à travailler sur ce texte, je comprends vos craintes. Mais répondre à la crise traversée par l’hôpital, c’est avant tout prouver aux soignants et aux patients qu’on a pris la mesure de la situation et qu’on est capables de donner à l’hôpital les moyens nécessaires à son bon fonctionnement dans la durée – c’est tout l’objectif de cette proposition de loi.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Quand Emma prend son service, à l’hôpital Saint‑Louis, elle est seule pour seize patients. Comment fait-elle ? Eh bien elle fait mal – c’est elle qui le dit. Pourtant, elle aimerait avoir les moyens de faire mieux.
Malgré l’enchaînement des promesses au moment de la pandémie, rien de satisfaisant n’a été fait pour les personnels, tant et si bien que le nombre de postes d’infirmier vacants est passé de 7 500 à 60 000, que les services d’urgence ferment, et que des patients attendent des heures sur des brancards, quand ils n’y décèdent pas. Selon la HAS, une large partie des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) aboutissant à un décès sont liés à la charge de travail et à la fatigue des professionnels, eux-mêmes fruits du manque de personnel. Donc, dans notre pays, des patients décèdent par manque de soignants, et parce que ceux qui restent ont trop de travail et trop de patients à suivre.
Depuis 2021, le Collectif Inter Hôpitaux réclame un référendum d’initiative partagée sur l’instauration de ratios. Or, plutôt que de proposer un tel texte – qui n’aurait pas dû émaner de l’opposition parlementaire –, le Gouvernement a choisi, dans le PLFSS, de privilégier les économies. Le cap est pourtant clair : améliorer les salaires pour attirer les soignants, instaurer des ratios pour les faire rester.
L’objectif de cette proposition de loi, l’amélioration de la qualité des soins, est partagé par tous les groupes politiques, ou presque. En 2024, j’avais d’ailleurs cosigné une tribune en ce sens avec Sabrina Sebaihi, Yannick Neuder, Boris Vallaud et Rémi Salomon, président de la CME de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Selon Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), l’instauration de ratios est la première étape d’un plan Marshall de la santé. En effet, des études ont montré que réduire le nombre de patients par soignant permettait de réduire le nombre de décès et la durée de séjour à l’hôpital. Selon le SNPI, en France, il faudrait ainsi le réduire de moitié. À cet égard, l’exemple de l’Hôpital américain de Paris, situé à Neuilly‑ur‑Seine, est caractéristique. Pour attirer les soignants, cet hôpital financé par Bernard Arnault et Vincent Bolloré – où se fait d’ailleurs soigner Brigitte Macron, la femme du président –, emploie une infirmière pour sept patients, contre quinze à vingt dans un hôpital public. Et ça fonctionne : avec un tel ratio, les conditions de travail sont forcément meilleures.
Ce texte vise à changer la vie des patients – tous les patients, pas seulement ceux des hôpitaux privés, qui ont les moyens d’appliquer ces ratios. Soyez bien conscients qu’en empêchant son adoption conforme, chers collègues, vous faites obstacle à l’amélioration du quotidien des soignants.
M. Stéphane Viry (LIOT). Si elle n’est pas de nature à régler à elle seule la crise de l’hôpital public, cette proposition de loi a le mérite d’amorcer une réflexion nécessaire et, à cet égard, je la considère avec bienveillance.
Certains services sont déjà tenus de respecter un nombre minimum de soignants, et d’autres pays ont eux aussi instauré des ratios : cette idée n’est donc pas une hérésie. Toutefois, alors que l’hôpital crève déjà de la bureaucratie, je crains que confier la définition des ratios au pouvoir réglementaire ne fasse qu’aggraver le problème. Au final, qui en sera concrètement responsable : la HAS ? Les CME ? Les ARS ? En outre, quand bien même le texte serait adopté, je doute qu’il soit opérationnel et efficace.
Par ailleurs, que se passe-t-il si un établissement ne dispose pas des ressources humaines nécessaires pour atteindre les effectifs minimum ? Fait-il l’objet d’une simple pénalité, comme une amende, ou est-il contraint de fermer le service affecté ? Les conséquences du dispositif en cas de pénurie de soignants sont, à ce stade, trop incertaines, et mon vote dépendra donc de la réponse à cette question.
M. Jean-Carles Grelier (Dem). Cette proposition de loi soulève, à juste titre, la question des conditions de travail des soignants dans les établissements de santé et, en creux, celle de l’attractivité des métiers du soin, qui ne saurait se résumer à celle de la rémunération. En effet, s’ils ont permis d’augmenter la rémunération des soignants – ce qui était nécessaire et légitime –, les 14,8 milliards d’euros annuels consacrés à l’hôpital par le Ségur de la santé n’ont en revanche pas renforcé l’attractivité des métiers du soin, puisqu’on compte aujourd’hui quatre fois moins de soignants à l’hôpital qu’avant le Ségur.
Par ailleurs, la transformation de ces métiers n’est pas suffisamment prise en compte : à l’inverse de ma génération, qui travaillait sur des temps longs et des espaces courts, celle qui arrive souhaite travailler sur des temps courts et des espaces longs. Les jeunes ne veulent plus exercer le même métier pendant quarante-trois ans, sans perspective d’évolution : ils veulent pouvoir changer de métier en cours de carrière.
Le texte aborde un sujet important, mais le dispositif qu’il propose gagnerait à être complété par des mesures tendant à renforcer l’attractivité des métiers du soin et une réflexion plus large sur les aspirations de ceux qui les exerceront demain.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Je le constate chaque fois que je rencontre des soignants hospitaliers de ma circonscription, dans la Loire : oui, il est essentiel et urgent d’améliorer les conditions de travail des soignants et de redonner confiance aux patients, que les personnels, épuisés, déplorent de ne pas pouvoir mieux accompagner. Ce texte, adopté à l’unanimité par les sénateurs, permettra d’améliorer la situation.
Néanmoins, il est tout aussi essentiel d’alléger les soignants de la paperasse administrative, particulièrement chronophage : les longues heures ainsi gagnées sont indispensables pour mieux accompagner les patients.
M. Thibault Bazin (DR). Améliorer la qualité des soins est sans conteste un objectif louable. En tant qu’élus responsables, il nous revient d’écrire les chemins des possibles en la matière. Or la qualité des soins dépend notamment de la suffisance des ressources humaines pour répondre aux besoins des patients.
Vous avez vanté un texte pragmatique, monsieur le rapporteur : alors que de nombreux postes restent déjà vacants, avez-vous évalué le nombre de professionnels supplémentaires à recruter pour atteindre les objectifs qualitatifs fixés par le texte, si celui‑ci venait à être adopté ? Par ailleurs, avez-vous réfléchi à la possibilité d’instaurer des plafonds pour les métiers de l’hôpital qui ne sont pas directement liés aux soins ? Autrement dit, dans le contexte actuel de pénurie de ressources et de moyens budgétaires contraints, la véritable question, profondément éthique, est celle de l’allocation des ressources : parallèlement au renforcement des équipes de soignants, avez-vous envisagé un allégement administratif, ce qui serait par ailleurs synonyme de simplification ?
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Pour ma part, je ne trouve ni choquant, ni anormal, que la HAS, déjà responsable des visites de certification de nos établissements, soit chargée de définir les ratios qualitatifs, avec le concours des communautés professionnelles.
D’expérience, je peux vous confirmer que les ratios réglementaires qui existent dans certaines activités, comme les soins intensifs en cardiologie, sont gage de qualité des soins car ils garantissent un nombre minimum d’infirmières et d’aides-soignants en fonction du nombre de patients. En raison de la pénurie de soignants, il n’en va pas de même pour les autres unités : la nuit, il n’y a qu’une infirmière et une aide-soignante pour trente lits ; la journée, une infirmière s’occupe d’une quinzaine de malades. Et pour obtenir du renfort, ce qui reste très exceptionnel, il faut justifier la lourdeur des cas à gérer – le nombre de personnes amputées, sous perfusion, ou ayant subi une trachéotomie. Et encore, il ne s’agit que d’un poste d’infirmier dit « coupé », c’est-à-dire uniquement le jour, pour soulager un peu les équipes !
Si l’on souhaite vraiment améliorer les conditions d’exercice des soignants et renforcer l’attractivité de l’hôpital, il faut instaurer des ratios de qualité.
Mme Joëlle Mélin (RN). Je remercie le sénateur Bernard Jomier pour ce texte : il pose les bonnes questions ; j’espère qu’il y apportera les bonnes réponses.
Monsieur le rapporteur, quelles seront les conséquences de l’instauration d’un ratio sur la responsabilité médicale ? Si la répartition de cette responsabilité est actuellement parfaitement codifiée, tant dans le public que dans le privé, l’introduction d’un nouveau paramètre – le respect du ratio – ne sera pas sans conséquence sur la position des experts en matière d’indemnisation, et donc sur les patients et leur famille, mais aussi sur le fonctionnement des établissements de soins.
M. le président Frédéric Valletoux. C’était le sens de ma question : en l’état, le texte, peu clair, risque effectivement de créer une importante distorsion préjudiciable aux établissements publics, ce qui est surprenant venant des forces de la gauche, qui les défendent toujours si ardemment. Peut-être faudra-t-il remédier à cette situation par voie d’amendement.
Mme Karine Lebon (GDR). Cette proposition de loi est très attendue des soignants, y compris les soignants ultramarins. Alors que près de 30 % des infirmiers se reconvertissent moins de cinq ans après l’obtention de leur diplôme, leur vocation progressivement dissoute par les fragilités du système, il est urgent de remédier à cette situation, et c’est tout l’objet de ce texte.
Un point de vigilance, tout de même : en outre-mer, nous sommes habitués à ce que le Gouvernement décide à notre place et adapte les lois à nos territoires par voie d’ordonnance ou de décret. Mais la réponse est bien souvent inadaptée et insatisfaisante.
À quel niveau l’instauration d’un ratio a-t-elle bloqué jusqu’à présent, et pourquoi est-il si difficile de l’imposer ?
Mme Annie Vidal (EPR). Nous sommes favorables au principe d’instauration d’un nombre minimum de soignants, mais nous ne souscrivons pas à la méthode retenue. En effet, dans les conditions prévues par le texte, quand les établissements vont signaler que l’effectif minimal ne peut être atteint dans un, voire plusieurs de leurs services – ce qui ne manquera pas d’arriver très vite –, l’ARS n’aura d’autre choix que de fermer des lits, si ce n’est le service entier.
Monsieur Neuder, votre plaidoyer prouve bien que c’est aux pôles, et non à la HAS, que doit revenir la définition des ratios, car ils sont les mieux placés pour connaître leurs besoins. Ces objectifs seront ensuite imposés aux établissements à travers les contrats de pôle. Aujourd’hui, si les effectifs sont garantis dans les services soumis au respect d’un ratio réglementaire, comme les soins intensifs ou la réanimation, c’est parce qu’en cas de besoin, on va chercher du personnel dans les autres services – autrement dit, on déshabille Paul pour habiller Jacques ! Et le turn-over n’y est finalement pas moins important que dans les autres services.
Mme Josiane Corneloup (DR). Améliorer la qualité des soins et les conditions de travail des soignants est un objectif louable que nous partageons tous. Mais cette proposition de loi reste très théorique. : au-delà de l’importante pénurie de soignants, l’évolution du nombre de patients hospitalisés au cours d’une journée ou d’une semaine – et je ne parle pas des fluctuations saisonnières – rend son application très compliquée. Instaurer un ratio opposable reviendrait à mobiliser d’office des professionnels dans un service sans prendre en considération son activité, empêchant ainsi de les affecter à des services où l’activité le justifierait. Cette rigidité va à l’encontre d’une gestion dynamique et pertinente des ressources disponibles en fonction de l’activité, et nous éloigne de la simplification que nous appelons tous de nos vœux – à commencer par les soignants.
M. Hendrik Davi (EcoS). Le manque de soignants qui affecte de nombreux services – il n’est pas rare de n’avoir qu’une seule infirmière pour vingt patients – n’est pas sans générer des difficultés, notamment pour les soignants, poussés au burn-out. Instaurer un ratio entre le nombre de soignants et le nombre de patients est évidemment nécessaire, et ce texte important va donc dans le bon sens.
À ceux qui craignent un renforcement de la bureaucratie, je réponds que les services déjà soumis à de tels ratios fonctionnent mieux que les autres – c’est le cas, par exemple, des services de réanimation, où on compte deux infirmières pour cinq lits ouverts, un aide‑soignant pour quatre lits, un psychologue et un masseur-kinésithérapeute.
Certes, cette proposition de loi ne résoudra pas tout : il faut aussi revoir la formation, car le système de parcours d’accès spécifique santé et la licence accès santé sont en échec. L’instauration d’un tronc commun aux études de santé explique d’ailleurs en partie le renoncement de nombreux infirmiers, qui se retrouvent dans cette voie faute d’avoir réussi médecine. Or, ce sont des métiers très différents. Il faut également renforcer les moyens consacrés à l’hôpital pour embaucher des personnels statutaires et dégeler le point d’indice. Or, tout cela nécessite d’augmenter l’Ondam, et donc de trouver de nouvelles recettes. Lors de l’examen du PLFSS, le Gouvernement s’y est refusé ; pour notre part, nous avons ainsi proposé de récupérer 13 milliards d’euros en diminuant les exonérations de cotisations sociales, ou encore d’augmenter le taux de la contribution sociale généralisée pour les revenus du capital.
Comme nous sommes nombreux à l’avoir souligné, cette proposition de loi doit absolument être assortie de moyens, faute de quoi elle manquera son but et n’aboutira qu’à fermer des lits.
Mme Justine Gruet (DR). L’accès aux soins est vital et reste donc une priorité pour nos concitoyens, mais notre système de santé souffre d’une suradministration normative.
Je vous soumets deux pistes de réflexion : reterritorialiser la gouvernance des établissements publics et privés, en complémentarité avec le corps médical, et recentrer l’exercice des soignants sur leur cœur de métier, car ils méritent toute notre considération.
Aujourd’hui, des lits sont fermés faute de professionnels. La permanence des soins est essentielle, mais pour renforcer l’attractivité des métiers du soin et garantir des services efficients, nous devons être attentifs à ne pas alourdir les contraintes administratives des soignants. Nous voulons tous les meilleurs soins possibles pour les patients, alors agissons avec bon sens.
M. Michel Lauzzana (EPR). En confiant à la HAS la responsabilité de définir des référentiels, vous créez une « usine à gaz », pour reprendre les termes de la sénatrice Laurence Rossignol. Avec ce texte, on est effectivement bien loin de la simplification que nous appelons tous de nos vœux.
En outre, des responsables de services hospitaliers m’ont alerté sur le caractère très préjudiciable du dispositif, qui risque de rigidifier un fonctionnement déjà sous tension à cause des nombreux postes vacants. L’expérience allemande a d’ailleurs montré que l’instauration de quotas pouvait déboucher sur la fermeture de services. N’ajoutons pas des contraintes à un système qui souffre déjà d’un manque de personnel.
Monsieur Davi, les débats sur l’hôpital donnent toujours dans le misérabilisme, mais nous avons déjà fortement augmenté la rémunération des personnels de santé dans les hôpitaux, et beaucoup m’ont confirmé un regain d’intérêt pour l’hôpital, même s’il ne s’agit encore que d’un frémissement. Nous sommes donc sur la bonne voie, et cette proposition de loi, quelque peu dirigiste, risque d’avoir des effets délétères.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Disposer de suffisamment de soignants est naturellement souhaitable, à la fois pour les patients et les soignants. D’expérience, il est évidemment plus confortable de travailler dans des services soumis à des ratios : cela permet de mieux prendre en charge les patients, et donc de redonner du sens au métier, mais aussi de se sentir plus en sécurité. C’est donc un critère d’attractivité pour les professionnels. Revers de la médaille, si les effectifs n’atteignent pas le quota, des lits sont fermés.
Avant toute chose, il faut donc absolument que les organisations professionnelles de santé – et non la HAS – évaluent la charge en soins. Or, depuis plus de vingt ans, les études s’accumulent dans les placards, sans qu’aucune soit allée à son terme. En l’espèce, l’Hôpital américain de Neuilly est un bon exemple : les critères tiennent en un recto verso, et non en un pensum de cinquante pages qui change au gré des études.
Cette évaluation des besoins doit être menée pour les établissements publics, mais aussi les établissements privés et les Ehpad, car tous les secteurs doivent pouvoir en bénéficier. Les ratios sont nécessaires, important pour les soignants ; les définir demande un peu de temps, mais il ne faut pas attendre dix ans, sans quoi, ils ne seront jamais instaurés.
M. Laurent Panifous (LIOT). J’ai le sentiment qu’on tourne en rond : vous arguez qu’il est impossible d’imposer des ratios faute d’avoir les moyens humains et financiers pour y répondre, et en même temps, vous refusez de dégager les moyens nécessaires pour accompagner correctement ceux qui en ont besoin, que ce soit à l’hôpital ou dans le secteur médico-social.
En réalité, dans le secteur sanitaire, les effectifs, et donc la qualité des soins, sont toujours la variable d’ajustement en cas de contrainte budgétaire. Si vous donnez aux structures hospitalières les moyens d’embaucher les effectifs suffisants pour accompagner les patients et de les rémunérer correctement, alors l’argument comptable qui justifie les baisses d’effectifs tombera de lui-même. Au reste, que le législateur refuse d’instaurer des ratios de qualité au motif que nous n’en aurions pas les moyens est insatisfaisant, et même inacceptable.
M. le président Frédéric Valletoux. Vous opérez une distinction entre ratios de qualité et ratios de sécurité. Concrètement, qu’est-ce que cela implique en termes d’opposabilité et d’engagement de la responsabilité, notamment s’agissant des fermetures de services ? En tant que législateurs, nous devons être précis dans la rédaction des lois.
M. le rapporteur. À vous écouter, il ne faudrait pas instaurer de ratios – « ça ne tient pas debout », « ça ne vole pas », « c’est compliqué », « trop bureaucratique », ai-je entendu. Mais la désaffection pour les métiers du soin est réelle, elle s’illustre à la fois dans les filières de formation et à l’hôpital, où les abandons sont nombreux. On ne peut pas faire abstraction de cette réalité ! Alors, que fait-on ? Que dit-on aux soignants ?
Dans vos interventions, je n’ai entendu aucune piste convaincante pour répondre à la crise de l’attractivité des métiers du soin et garantir la qualité des soins. Pour une fois, montrons-nous capables, collectivement, de mettre cette exigence, tellement légitime, au cœur de nos préoccupations et de construire un budget cohérent avec cette exigence ; alors, enfin, les choses pourront avancer.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, cette proposition de loi n’aura pas d’effets délétères et préjudiciables. Bien sûr, elle ne résoudra pas la crise de l’hôpital public à elle seule, mais il faut bien commencer à agir. Le Ségur de la santé a apporté des réponses à la question des rémunérations. Certes, ce n’est pas suffisant, mais je reconnais que c’était un grand pas en avant. À votre tour, vous devez reconnaître qu’il est nécessaire d’avancer dans d’autres domaines. Ce texte sera un progrès pour l’attractivité et la qualité des soins. Si nous ignorons ces aspects, nous ne résoudrons pas le problème. J’entends qu’il manque des éléments, mais notre tâche consiste à définir le cadre, à fixer un cap. Ensuite, les responsables auront la mission de l’atteindre : le personnel de la HAS, des ministères et des établissements seront chargés d’appliquer le dispositif au mieux. Voilà la responsabilité qui nous incombe en tant que législateur. Refuser de faire ce pas en avant serait désespérant pour les soignants qui nous regardent, pour tous ceux qui attendent des réponses concrètes.
Monsieur Bazin, vous demandez si les besoins ont été évalués. La réponse est dans le texte. Le travail de la HAS consiste précisément à nous dire que pour obtenir tel ratio, il faudra tant de postes. Ensuite, nous pourrons concevoir les politiques de formation et déterminer les budgets en fonction. La proposition de loi est un point de départ, non un point d’arrivée. Je le répète : à la fin, cela débouchera sur des économies pour le système de santé et la protection sociale. L’expérience l’a prouvé, notamment en Australie, pays très libéral – que je sache, les rédacteurs de The Lancet ne sont pas des hurluberlus.
Monsieur le président, vous vous inquiétez que le dispositif ne concerne que le service public hospitalier. Vous ne pouvez pas à la fois nous objecter que nous en faisons trop, que nous exerçons des pressions insupportables, et nous reprocher de donner la priorité au service public pour résoudre les maux de l’hôpital – ce qui est de notre responsabilité. Qu’ensuite il faille appliquer la mesure à l’hôpital privé dans le cadre d’une autre proposition de loi, j’en conviens tout à fait, et je suis prêt à y travailler avec vous. Ce n’est pas parce qu’il ne traite pas tous les problèmes en même temps qu’il faut s’interdire de voter le texte et renoncer à faire ce pas en avant.
Monsieur Viry, la proposition de loi ne prévoit pas de sanctions. Si c’est nécessaire, le décret d’application y pourvoira le jour venu – il faut prévoir au moins deux ans de travail, mais il faut rendre les choses possibles, non les bloquer.
Monsieur Grelier, je suis tout à fait d’accord avec vous concernant la formation et les besoins de santé. Une loi de programmation serait légitime, nous pourrions y travailler tous ensemble. Mais ce n’est pas l’objet du présent texte, qui donne un cap et les moyens de l’atteindre. C’est pour nous une belle façon de remplir notre mission de législateur.
La réunion est suspendue de dix heures cinquante à onze heures cinq.
Article unique : Instaurer progressivement un ratio de soignants par patient
Amendement AS8 de Mme Annie Vidal
Mme Annie Vidal (EPR). Le présent amendement vise à confier la détermination des ratios permettant de garantir la qualité et la sécurité des soins aux pôles d’activité, qui les formaliseront dans les contrats de pôle. Le dispositif prévu risque en effet de provoquer de lourdes difficultés opérationnelles, notamment pour la HAS, qui devra élaborer un référentiel très dense et précis, par spécialité et par activité, en tenant compte du nombre de passages en ambulatoire et du nombre de lits ouverts – et non du nombre de lits existants. Le fonctionnement que je défends respecte l’esprit du texte mais il est plus fluide et plus conforme aux réalités du terrain. Cela diminuera le caractère centralisé de l’organisation de l’hôpital public, souvent synonyme de lourdeurs administratives.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
Je défends là une position de principe : si la proposition de loi n’est pas adoptée conforme, nous n’avancerons plus. Or nous sommes attendus. Le vote définitif du texte serait un grand pas en avant ; nous pourrons ensuite nous donner tous les moyens d’en assurer la mise en œuvre, en apportant des corrections le cas échéant. Je partage certaines de vos préoccupations, mais je pense que nous pouvons fixer le cadre et faire confiance aux partenaires sociaux, à la HAS et aux acteurs de terrain pour que tout se passe au mieux.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Vous, députés du bloc central, ne voulez pas voter cette proposition de loi : vous ne voulez pas inscrire le principe des ratios dans la loi, ni donner les moyens correspondants aux soignants. Vous prétextez que la HAS rencontrera d’importantes difficultés opérationnelles. Pourtant, sa précédente présidente a signé une tribune parue en mai dans Le Monde pour soutenir le texte – on peut imaginer que selon elle, la HAS aura les moyens d’appliquer la loi.
Certains ont objecté que le texte ne concernait pas le privé. Mais quand le privé veut recruter, il le fait ! L’Hôpital américain de Neuilly applique ces ratios, et cela fonctionne. Il n’y a pas de raison que cet établissement, qui propose des chambres VIP avec vue sur la tour Eiffel et un service de voiturier, ait un meilleur système de santé que l’hôpital de Limoges, dont les chambres ont vue sur le parking payant. Tout le monde doit avoir droit à un bon système de santé – pas uniquement ceux qui ont des moyens.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. La HAS offre un accompagnement à la décision politique ; il faut arrêter d’alléguer son fonctionnement technique pour justifier nos choix. Je suis le référent de la commission pour la HAS. Son effectif se compose de 500 équivalents temps plein et elle peut définir sur quelles missions elle souhaite travailler. La décision ici est politique ; ne nous demandons pas si sa charge sera trop lourde.
Je comprends les motivations de Mme Vidal mais je ne soutiens pas cet amendement, dont le dispositif ne sera pas effectif. Le lean management, c’est-à-dire la gestion sans gaspillage, recommande de faire reposer la décision sur la plus petite unité fonctionnelle, ici le pôle d’activité – en soi, c’est une bonne idée. Malheureusement, la gouvernance hospitalière s’est énormément dégradée. Beaucoup de contrats de pôle ne sont plus signés – moi-même, je n’en ai pas signé depuis au moins cinq ans. Ensuite, les pôles ne disposent pas de la délégation de gestion nécessaire. Il y a quinze jours environ, j’ai reçu les représentants de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux pour savoir s’il serait possible de confier à nouveau aux soignants des missions de délégation de gestion, afin de prendre les décisions au plus près des lits, pour lutter contre la bureaucratisation. Tel n’est pas le cas pour l’instant. En pratique, si nous voulons tuer le projet, confions le travail aux pôles d’activité : il ne se passera rien.
M. Philippe Vigier (Dem). Nous faisons tous les mêmes constats et nous voulons tous améliorer la situation des soignants et des patients. Cet amendement, comme d’autres qui suivront, tend à améliorer le dispositif pour le rendre parfaitement opérationnel. Qui connaît le fonctionnement des services hospitaliers sait que beaucoup de contrats ne sont pas signés. Le texte du Sénat est transpartisan ; d’autres niches seront à l’ordre du jour du Sénat, comme de l’Assemblée : il sera donc possible d’adopter rapidement une version encore améliorée du texte. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que la réforme serait conduite dans un délai de trois à quatre ans : sommes-nous à trois ou quatre mois près ? Mon tempérament n’est pas de retarder l’action ; j’aime mieux faire que défaire, mais en votant ce texte en l’état, j’ai peur que nous ne défassions plus que nous ne fassions. La patience est la meilleure des vertus.
M. Michel Lauzzana (EPR). L’Hôpital américain de Neuilly n’est pas le privé. Le privé constitue un tissu qui couvre notamment les zones rurales : il faut faire attention de ne pas le déstabiliser, au risque que ses patients ne se retournent vers l’hôpital public, ce qui mettrait ce dernier en grande difficulté. L’équilibre est essentiel.
Comme vous, monsieur le rapporteur, nous voulons mettre plus d’huile dans les rouages. C’est le sens du présent amendement, car nous craignons que la stricte application de votre dispositif ne favorise une pesanteur préjudiciable. Pendant la crise sanitaire, les établissements ont bénéficié de souplesse. Chez moi, l’hôpital et la clinique ont instauré une coopération qui n’avait pas reçu de validation de l’ARS mais qui s’est révélée fructueuse. Essayons de trouver un peu de souplesse.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS4 de Mme Annie Vidal
Mme Annie Vidal (EPR). Le présent amendement tend à limiter l’application du texte à la médecine, la chirurgie et l’obstétrique (MCO). Un périmètre restreint favorisera l’effectivité.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Il aurait été logique d’adopter un tel amendement lorsque ces activités étaient presque les seules soumises à la tarification à l’activité (T2A). Mais depuis le 1er janvier 2024, cette dernière a été étendue aux soins de suite et de réadaptation (SSR) : les contraintes de cotation d’activité sont désormais les mêmes en rééducation. Dans un souci médico-économique, nous devons prévoir le personnel nécessaire en fonction de l’activité engendrée. Avant l’application de la T2A, c’était en effet le seul endroit susceptible de bénéficier d’un peu de largesse ; désormais, le problème de ratio minimal est le même qu’en MCO : il n’y a aucune raison de les exclure du dispositif.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je ne vois pas pourquoi on n’appliquerait les ratios que dans certains domaines, ni pourquoi on exclurait les unités de soins psychiatriques et les services d’urgence, où 150 morts auraient pu être évités en décembre 2022.
On voit bien la manœuvre : certains députés tentent de « planter » le texte en défendant des amendements dont l’adoption empêcherait le vote conforme. De nombreux soignants, des représentants syndicaux, nous regardent ; ils attendent cette mesure depuis longtemps.
En 2016, le British Medical Journal notait que la mortalité diminue de 20 % lorsque le nombre de soignants par patient passe de dix à six. En 2021, The Lancet affirmait qu’un patient de moins par soignant baisse la mortalité de 7 % à trente jours. Étienne Lengline, hématologue membre du Collectif Inter Hôpitaux, souligne qu’au-delà de quatre patients par infirmier, on constate une surmortalité hospitalière ; or le ratio en France se situe entre douze et quatorze patients par infirmier.
J’incite donc les collègues concernés à retirer leurs amendements et à voter le texte. Ces manœuvres visant à empêcher un vote conforme donnent un spectacle déplorable.
M. le président Frédéric Valletoux. Le rapporteur a exprimé sa volonté de parvenir à un vote conforme. Toutefois, la défense d’amendements est un de nos premiers droits. La discussion est intéressante et chaque point de vue mérite d’être écouté. Attaquer les collègues parce qu’ils essaient, de leur point de vue, d’améliorer le texte, c’est attaquer le cœur de notre fonction –sinon autant ranger nos cahiers et aller à la buvette, sans lire le texte. Le président de la commission des affaires sociales du Sénat ne m’a pas appelé pour m’inciter à ne pas discuter les amendements au prétexte qu’il faudrait voter conforme. Dire que l’Assemblée nationale a un avis sur ce texte n’est pas faire injure à ceux qui l’attendent.
M. Thibault Bazin (DR). Ce n’est pas la première fois que nous examinons un texte en espérant un vote conforme, et jamais nous n’émettons d’objection à la discussion d’amendements : c’est un droit constitutionnel. Ils peuvent ensuite être retirés ou rejetés. Ceux qui réclament de la coconstruction en refusent ici le principe. Il ne peut pas y voir deux poids, deux mesures, selon les signataires du texte. Nos pratiques doivent respecter chacun.
M. Michel Lauzzana (EPR). Sur le fond, nous sommes d’accord : nous visons le même objectif, mais on peut l’atteindre par d’autres chemins. Nous craignons des effets contreproductifs. Pour moi, cet amendement tend à définir la mesure la plus simple et la plus rapide à appliquer, parce que le déploiement d’emblée d’un dispositif très large peut soulever des difficultés et entraîner des lourdeurs.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS6 de Mme Annie Vidal et sous-amendement AS19 de M. Michel Lauzzana, amendement AS7 de Mme Annie Vidal (discussion commune)
Mme Annie Vidal (EPR). Il s’agit toujours pour moi de rendre ce texte le plus opérant possible même si certains, à mon grand regret, trouvent cela déplorable. Le terme « soignant » est vague. L’amendement AS6 vise à appliquer les ratios aux infirmiers diplômés d’État et aux aides-soignants.
M. Michel Lauzzana (EPR). Le sous-amendement AS19 est rédactionnel : il vise à supprimer le mot « hospitalier » pour éviter toute confusion. En effet, l’amendement concerne les aides-soignants, non les ASH.
Mme Annie Vidal (EPR). L’amendement AS7 est un amendement de repli visant à substituer au mot « soignant » les mots « pour chaque catégorie de professionnels composant l’équipe soignante », afin de préciser quelles catégories de soignants seront concernées par les ratios.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement le sous‑amendement et les amendements.
Amendement AS18 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). N’en déplaise à Mme Cathala et aux Insoumis, je vais défendre mes amendements.
L’AS18 vise à donner des bases solides et fiables aux ratios de soignants. Ils devront être déterminés en concertation avec des professionnels de santé, à partir de données scientifiques validées par la HAS. Il est indispensable d’impliquer les soignants dans le processus car ils sont les mieux placés pour évaluer les réalités du terrain. Ce n’est qu’en combinant expertise scientifique et expérience pratique que nous établirons des ratios applicables et adaptés aux besoins de chaque établissement. Cette précision renforcerait la pertinence et la crédibilité de la réforme, elle garantirait qu’elle sera bénéfique pour tous les acteurs concernés.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements AS10 et AS9 de Mme Annie Vidal (discussion commune)
Mme Annie Vidal (EPR). Le texte prévoit que le chef d’établissement doit informer le directeur général de l’ARS lorsque le ratio ne peut être respecté pendant plus de trois jours. L’amendement AS10 vise à moduler cette durée en fonction de l’écart constaté entre les ratios et la situation de l’unité de soins concernée. Il faut distinguer un écart d’un soignant d’un écart supérieur. L’amendement AS9 est de repli.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS2 de M. Matthieu Marchio
M. Matthieu Marchio (RN). Pour résoudre le problème de la pénurie de soignants, le présent amendement vise à favoriser le recrutement local. Cette solution pragmatique dynamisera l’emploi dans les territoires ruraux et périurbains, tout en réduisant les déserts médicaux. Recruter des soignants proches assurera leur enracinement, leur connaissance des besoins locaux et améliorera la qualité des soins. Cela limite les coûts liés au recrutement à distance, stabilise les équipes et valorise les métiers de la santé. Une telle mesure, équilibrée, est donc bénéfique pour les soignants et pour les patients.
M. le rapporteur. Avis défavorable.
M. Damien Maudet (LFI-NFP). Chers collègues du RN, vos amendements déplaisent non à Mme Cathala, mais aux soignants. Cet amendement en particulier n’est rien que bavard. Vous voulez recruter localement, mais on compte 60 000 postes d’infirmier vacants : pensez-vous que si des infirmiers étaient disponibles localement, on ne les aurait pas recrutés ? On a du mal à en recruter localement, nationalement et internationalement.
M. Thibault Bazin (DR). La résidence serait-elle prise en considération au moment du recrutement ? Cela interdirait à des concitoyens désireux d’occuper un poste de déménager à cette fin, ce que le parcours ou les choix de vie de chacun peuvent justifier. De plus, certains territoires ont davantage besoin de ressources humaines que d’autres : ils seraient pénalisés. C’est inquiétant.
M. Matthieu Marchio (RN). L’amendement n’impose aucune obligation : il incite simplement les établissements à privilégier le recrutement local. Travailler dans un hôpital de proximité permettrait par exemple à certaines familles de réduire leurs frais kilométriques, une réalité que la gauche semble avoir oubliée.
Mme Justine Gruet (DR). Nous devons aussi faire confiance aux acteurs de terrain pour recruter des candidats habitant à proximité. Avec votre amendement, une personne souhaitant travaillant dans un hôpital devra-t-elle déménager pour habiter à proximité avant d’y postuler ?
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). J’aimerais vivre dans le même monde que mes collègues du Rassemblement national, un monde où il serait tellement facile de recruter des soignants qu’on pourrait choisir ceux qui habitent à proximité.
Malheureusement, de nombreux territoires sont des déserts médicaux où il est très difficile de recruter. Les mairies se battent et doivent chercher des soignants partout en France et même à l’étranger.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS5 de Mme Annie Vidal
Mme Annie Vidal (EPR). Il semble irréaliste que la HAS puisse établir les ratios minimaux pour chaque spécialité et chaque type d’activité de soin avant le 31 décembre 2024, comme le prévoit le texte. Je propose donc de reporter cette date au 31 décembre 2025.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS3 de M. Matthieu Marchio
M. Matthieu Marchio (RN). L’application immédiate et uniforme des ratios de soignants risque de produire des effets contreproductifs dans les zones où les ressources humaines sont insuffisantes.
Cet amendement propose une évaluation préalable par la HAS pour anticiper les difficultés dans les régions les plus touchées par les pénuries de personnel. Cette démarche permettrait de garantir une mise en œuvre progressive et adaptée, en assurant que les mesures prises n’entraînent pas une détérioration temporaire de la qualité des soins. En parallèle, des plans de recrutement spécifiques pourront être déployés pour pallier les déficits constatés, répondant ainsi aux besoins locaux tout en respectant les objectifs fixés par la loi.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Mme Annie Vidal (EPR). Notre groupe est favorable à l’établissement d’un ratio minimal, mais nous n’avons pas réussi à rendre la proposition de loi plus opérante. Nous nous abstiendrons donc.
M. Yannick Neuder, rapporteur général. Nous n’avons pas évoqué le coût de la mesure proposée qui, selon une estimation à confirmer, serait de 1 milliard d’euros. Nous avons pourtant un devoir de sincérité dans nos débats.
Il nous faudra réfléchir aux modalités de financement dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 afin que les critères de qualité prévus par la loi puissent être applicables – a fortiori si la mesure est étendue au secteur privé. Ne l’oublions pas, l’amélioration de la qualité des soins a un coût.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous devons également réfléchir à la question de la différenciation entre les ratios de sécurité qui existent aujourd’hui dans les établissements et les ratios de qualité prévus par ce texte. Ces ratios pourront-ils conduire à fermer des services ? Cette préoccupation a été exprimée par différents groupes.
Nos débats dans l’hémicycle seront l’occasion de trouver des réponses à ces questions.
M. le rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges, qui ont été argumentés. Ils montrent que chacun souhaite faire avancer les choses, mais avec des modalités différentes. Ce texte constitue un premier pas et je vous invite à le voter conforme.
Je suis d’accord avec M. Neuder : nous avons besoin de moyens. Je souligne que de telles dépenses, qui pourraient être compensées par la réduction d’autres dépenses, seraient un investissement. Toutes les études produites à partir d’expériences similaires à l’étranger montrent qu’elles ont permis des économies pour le système de protection sociale tout en améliorant très sensiblement les conditions de travail des soignants.
La commission adopte l’article unique non modifié.
Après l’article unique
Amendement AS11 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). Cet amendement permet d’adapter les ratios aux réalités territoriales en tenant compte des disparités entre les zones urbaines, rurales et insulaires, afin d’assurer une prise en charge équitable sur l’ensemble du territoire.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendement AS16 de M. Serge Muller
M. Serge Muller (RN). Cet amendement vise à renforcer la transparence et le contrôle citoyen en rendant accessibles les informations relatives aux ratios soignants par patient, permettant ainsi une meilleure évaluation.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.
La commission des affaires sociales examine ensuite la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif (n° 517) (Mme Céline Hervieu, rapporteure).
Mme Céline Hervieu, rapporteure. Je suis très heureuse et fière d’être présente parmi vous aujourd’hui pour l’examen de cette proposition de loi comportant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèche privée à but lucratif. La petite enfance est un domaine dans lequel je me suis investie en tant qu’élue locale puisque j’ai été conseillère de Paris déléguée à la petite enfance à partir de 2020. Je me suis alors engagée pour un service public accessible à toutes les familles et je compte continuer ce travail en tant que députée.
La petite enfance est une période cruciale pour le développement des enfants et pour la création des liens affectifs avec leurs parents et tous les adultes qui les entourent, comme le rapport de la commission des 1 000 premiers jours l’a montré.
Les services aux familles que proposent les pouvoirs publics à tous les échelons, et en particulier les modes d’accueil, revêtent donc une importance toute particulière. Ils permettent notamment aux parents de concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle, et favorisent ainsi l’égalité entre les femmes et les hommes dans la sphère professionnelle comme dans la sphère domestique. Ils doivent également garantir aux jeunes enfants un accueil de qualité adapté à leurs besoins individuels.
Or, depuis deux ans, force est de constater que nous ne sommes pas à la hauteur de ces enjeux. Le secteur de la petite enfance souffre d’un sous-financement structurel face à l’augmentation des coûts de fonctionnement des crèches malgré les milliards d’euros d’argent public investis chaque année. Alors même que les professionnels de la petite enfance prennent soin de nos enfants au quotidien, les accompagnent dans leur éveil, dans leur développement, tant sur le plan moteur qu’affectif ou social, elles – parce que ce sont souvent des femmes –souffrent de conditions de travail dégradées dont la pénibilité n’est pas reconnue et sont insuffisamment rémunérées.
L’accueil des jeunes enfants constitue un service public essentiel, mais les collectivités territoriales rencontrent de plus en plus de difficultés pour maintenir des places d’accueil sur leur territoire. Alors qu’il manque 200 000 places de crèche, il n’existe qu’une place de crèche pour cinq enfants. L’accueil de tous les enfants est donc très loin d’être assuré. Ce déficit d’offre constitue l’échec collectif d’un modèle qui a pourtant accompagné, depuis une vingtaine d’années, le développement d’entreprises privées lucratives, censées créer des places supplémentaires en France. Certaines sont devenues dans l’intervalle des leaders mondiaux de l’accueil du jeune enfant, sans pour autant parvenir à répondre à l’ensemble des besoins des familles.
À partir du début des années 2000, les pouvoirs publics ont fait le choix d’encourager le développement du secteur privé lucratif. Les entreprises de crèche bénéficient, à l’instar des crèches publiques, de la prestation de service unique (PSU) pour couvrir une partie de leurs coûts de fonctionnement. Elles peuvent en outre, contrairement aux crèches publiques, mobiliser des avantages fiscaux dont bénéficient les employeurs réservataires de berceau pour assurer leur rentabilité et leur profitabilité. Grâce à ce dispositif, construit en partenariat avec les pouvoirs publics, le secteur privé lucratif a bénéficié d’un effet d’aubaine qui a facilité la recherche d’investisseurs pour financer leurs stratégies de croissance. Il faut le reconnaître, jusqu’au milieu des années 2000, le développement du secteur privé lucratif a favorisé le développement de l’offre de crèches en France et que les entreprises privées ont apporté des innovations pédagogiques dans le secteur.
Je ne suis pas, par principe, opposée au secteur privé lucratif. Ces stratégies peuvent cependant être interrogées quand elles ne contribuent plus à améliorer la couverture du territoire mais se concentrent sur le rachat de structures déjà existantes et qu’elles peuvent éventuellement conduire à une dégradation de la qualité de l’accueil.
Je suis consciente que de nombreux entrepreneurs ont fait le choix d’ouvrir des crèches ou des micro‑crèches dans le secteur privé par conviction et que tous ne sont pas guidés par l’unique recherche du profit. En tout état de cause, quel que soit le regard que nous portons sur le secteur privé lucratif, nous ne pouvons pas nous passer de ces dizaines de milliers de places de crèche, au risque de mettre les familles en grande difficulté, sans solution de mode d’accueil. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas, du jour au lendemain, mettre fin à un modèle qui a mis plus de vingt ans à se construire.
Pour autant, nous ne pouvons pas ignorer les alertes, qui se sont multipliées au cours des deux dernières années. L’enquête récente de Victor Castanet, dans son ouvrage Les Ogres, montre les dérives financières, notamment celles du groupe People&Baby, l’un des quatre leaders du secteur. La situation économique et financière très dégradée de ce groupe doit nous interpeller sur cette logique de financiarisation. Les quatre plus grandes entreprises de crèche, – People&Baby, Babylou, La Maison Bleue et Les Petits Chaperons Rouges – représentent environ 60 000 places d’accueil et elles comptent parmi leurs actionnaires des fonds d’investissement ou des fonds de dette comme Antin Infrastructure, Infravia, TowerBrook ou Alcentra.
Le cas de People and Baby est un les plus extrêmes, mais il témoigne de mécanismes à l’œuvre dans tout le secteur et du risque de voir ces fonds prendre le contrôle d’entreprises dans un secteur qui est largement financé par de l’argent public. Il est donc de notre devoir d’être vigilant et de prendre des mesures de moralisation et de régulation financière. C’est l’un des objectifs de cette proposition de loi.
La rédaction initiale de l’article 1er interdisait aux fonds d’investissement d’entrer dans le capital d’une entreprise de crèches française. Les auditions m’ont néanmoins montré les limites d’une interdiction « sèche » qui ne s’appliquerait, au mieux, qu’aux fonds français et européens, et qui risqueraient, en déstabilisant fortement des entreprises déjà fragilisées, de conduire à la fermeture de berceaux. Elle pourrait en outre être jugée contraire au droit européen et à la Constitution. J’ai donc déposé un amendement de réécriture de l’article proposant un mécanisme d’autorisation préalable à l’entrée d’un fonds d’investissement dans le capital d’une entreprise de crèche. Cette autorisation préalable serait délivrée par les ministres chargés de la famille et de l’économie après avis de l’Autorité des marchés financiers (AMF), sur la base de critères permettant de prendre en compte les spécificités de l’accueil du jeune enfant : longue durée d’investissement, pas d’objectif de rentabilité à très court terme et pas d’aggravation de la situation financière de l’entreprise. Ce dispositif me semble équilibré et la ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance s’est montrée ouverte à cette proposition.
L’article 2 propose le renforcement des sanctions instaurées par l’article 18 de la loi pour le plein emploi en cas de non-respect des conditions d’agrément et des normes d’accueil. On ne peut pas impunément porter atteinte à la sécurité physique, psychique ou affective des enfants. Certains ont cependant reproché aux socialistes d’instaurer ainsi des peines planchers. Afin que ces critiques, qui reposent sur des arguments fallacieux, ne ternissent pas le contenu de la proposition de loi, je proposerai un amendement supprimant la référence à un montant plancher pour la remplacer par une augmentation du montant des plafonds.
L’article 3 interdit les formations exclusivement délivrées en ligne. Il n’est pas possible en effet, dans de telles conditions, d’apprendre à s’occuper d’un enfant.
Cette proposition de loi est une première pierre essentielle pour les jeunes enfants et leur famille. Je remercie les administrateurs de l’Assemblée nationale qui m’ont apporté leurs précieux conseils, mes collaborateurs ainsi que tous ceux qui, parmi vous, se sont montrés attentifs à ce texte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.
M. Thierry Frappé (RN). L’accueil de la petite enfance est un pilier de notre société. Les trois premières années de vie d’un enfant sont essentielles et nécessitent un environnement stable, bienveillant et encadré par la compétence de professionnels bien formés.
Les récents scandales dans certaines crèches privées à but lucratif ont mis en lumière des pratiques contraires à l’intérêt des enfants, pour ne pas dire frauduleuses : rationnement, encadrement insuffisant, opacité financière...
Les sanctions renforcées contre les établissements en manquement prévues à l’article 2 traduisent la nécessité d’un contrôle rigoureux pour garantir la sécurité et le bien‑être des enfants.
L’interdiction de formation à distance pour les professionnels de la petite enfance prévue à l’article 3 est une réponse appropriée pour rehausser les standards de qualité et préparer efficacement les professionnels à leur mission.
L’article 1er suscite un débat complexe. Nous comprenons la volonté de mieux encadrer la financiarisation, mais il faut évaluer avec précaution les implications d’une telle mesure, notamment sur la capacité des structures à se financer durablement.
L’accueil de la petite enfance mérite une réflexion plus globale. Il est nécessaire de renfoncer les contrôles, de conditionner les aides publiques au respect de normes de qualité et de revaloriser les métiers pour rendre ce secteur plus attractif. Chaque action doit avoir pour objectif le bien-être des enfants et la confiance des familles. Ce texte perfectible nous offre l’opportunité de progresser sur ces enjeux cruciaux.
Mme Annie Vidal (EPR). Cette proposition de loi répond à une attente forte de la société puisqu’elle tend à garantir la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis dans les crèches.
Les récents drames, largement médiatisés, et les enquêtes parlementaires ont mis en lumière des dysfonctionnements graves, suscitant une émotion légitime chez nos concitoyens. Cette émotion doit se transformer en solutions concrètes et opérationnelles. Notre groupe est pleinement engagé dans la promotion de la bientraitance, que ce soit dans les établissements accueillants des jeunes enfants ou dans ceux accueillant des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap. C’est dans cet esprit que nous soutenons les recommandations du rapport de Sarah Tanzilli et Thibault Bazin pour prévenir les maltraitances et améliorer la qualité de l’accueil.
La rédaction initiale de l’article 1er risquait d’entraîner des pertes de place et stigmatisait les entreprises privées. Nous soutiendrons donc la réécriture de l’article que vous avez évoquée.
Les sanctions financières sont nécessaires pour moraliser le secteur, mais elles doivent être préalablement évaluées avant d’envisager leur durcissement.
J’espère que nos débats permettront l’amélioration du texte et que nous pourrons ainsi le voter. Je termine en précisant qu’il n’est pas question de stigmatiser le secteur privé, car nous avons besoin de l’ensemble des acteurs, publics et privés, pour accueillir les jeunes enfants
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je suis dépitée : vous nous avez fait travailler sur une proposition de loi visant à définanciariser le secteur pour, à la dernière minute, présenter des amendements qui changent complètement la nature du texte. Or la commission d’enquête a bien démontré que le principal problème de ce secteur était précisément la financiarisation. Sous prétexte d’un travail transpartisan, vous cédez à la pression du lobbying des crèches privées. Je ne suis pas d’accord avec vous et je ne sais même plus quelle attitude adopter.
Je trouvais déjà la rédaction initiale de l’article 1er insuffisante, car les fonds d’investissement prêtent de sommes colossales aux groupes de crèches et, ce faisant, les mettent sous tutelle. Que dire de votre recul et de votre attitude, qui ne nous laisse même pas le temps de sous-amender ? Ce n’est pas correct !
Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics ont sciemment organisé la financiarisation du secteur, qui était 100 % publics. Aujourd’hui, il est détenu à un tiers par le privé et les nouvelles places ne sont confiées qu’à des groupes privés. L’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont d’ailleurs souligné que le financement public était surcalibré. Il y a un vrai problème de détournement du financement public par les fonds d’investissement. Le dispositif d’autorisation préalable ne fera que perpétuer le fonctionnement du secteur, qui est nuisible aux parents, aux enfants et aux personnels.
Je suis extrêmement déçue par votre attitude.
M. Arnaud Simion (SOC). Je remercie la rapporteure Céline Hervieu pour la qualité du travail collectif et pour son rapport.
Les études scientifiques montrent que la biologie ne décide pas de notre destin : c’est le vécu des enfants au cours des premières années qui conditionne et définit leur avenir. En 2020, la commission des 1 000 premiers jours, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, a souligné la nécessité de placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur des politiques publiques de la petite enfance. Or, plusieurs sources ont récemment révélé la gestion délétère des groupes gérant des crèches privées à but lucratif.
Le rapport de l’Igas d’avril 2023 cite ainsi des témoignages constatant que les « enfants devaient rester avec les couches souillées en attendant du renfort », des « privations d’eau » ou encore une « commande intentionnelle de repas en moins pour faire des économies ». Le livre de Victor Castanet Les Ogres dénonce des dysfonctionnements graves, comme le manque de transparence financière ou le rationnement des produits alimentaires.
Derrière ces scandales se cache un véritable phénomène de financiarisation des activités du soin et du lien, qui concerne également le secteur des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
La proposition de loi, et notamment son article 1er réécrit, a le mérite de contenir des mesures d’urgence pour stopper ce phénomène, en interdisant aux fonds d’investissement d’acquérir, de gérer et de revendre des titres et des parts de groupes privés de crèches, avec des sanctions au cas de non-respect, en aggravant les sanctions financières en cas de non‑respect des règles de sécurité et de qualité de l’accueil des enfants en crèche, et en interdisant les formations privées réalisées à distance.
Les élus du groupe Socialistes et apparentés sont heureux de vous présenter ce texte qui mettra fin à la recherche effrénée du profit et des dividendes sur le dos de la santé de nos enfants en bas âge. Après le scandale touchant certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la représentation nationale et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures claires de façon urgente.
M. Thibault Bazin (DR). Vous estimez que la financiarisation du secteur des crèches privées à but lucratif a conduit à des dérives. Le secteur doit certes être régulé, mais je ne partage pas l’intégralité de votre exposé des motifs. Dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches que j’avais eu l’honneur de présider, la rapporteure Sarah Tanzilli estimait dans son rapport que si ces crèches sont tout particulièrement pointées du doigt, « la dégradation de la qualité d’accueil touche, en réalité, les crèches de tout statut juridique, car elle résulte d’un modèle économique qui finance insuffisamment les structures d’accueil du jeune enfant, et d’une pénurie de professionnels de la petite enfance ». Nous devons donc lutter contre toutes les dérives ; peu importe le statut du gestionnaire.
L’article 1er du texte interdirait à tous les fonds d’investissement d’investir dans les crèches. Or la commission d’enquête a établi que les fonds d’investissement présents au capital des grands groupes de crèches – dont certains sont publics – n’exercent aucune pression sur les coûts en vue d’en améliorer la rentabilité à court terme.
Dans nos échanges préparatoires, madame la rappporteure – je salue votre souci permanent de concertation en amont – j’ai donc plaidé pour une réécriture complète de l’article afin de revenir sur l’interdiction des fonds d’investissement. Un régime d’autorisation préalable si possible par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) – je déposerai un sous-amendement en ce sens – nous semble préférable. En outre, compte tenu de l’état actuel de nos finances publiques, il serait préjudiciable d’exclure par principe tous les fonds d’investissement, y compris les fonds éthiques et les fonds publics.
Les articles 2 et 3 ne nous posent pas de difficultés majeures, mais il serait préférable de ne pas interdire purement et simplement le recours, même partiel, aux formations à distance.
Notre groupe votera cette proposition de loi, à condition que l’article 1er soit réécrit.
M. Hendrik Davi (EcoS). Les conditions d’accueil des enfants de moins de 3 ans dans les crèches sont un sujet crucial pour les parents et leurs enfants. Les conditions de sécurité sont-elles respectées ? L’alimentation est-elle saine ? Le personnel est-il bien formé ? Voilà les questions que se posent les familles.
Cette proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence pour protéger les enfants accueillis dans les crèches privées à but lucratif ; elles allaient initialement dans le bon sens. Après les révélations sur les crèches privées, notamment dans le livre Les Ogres de Victor Castanet, beaucoup d’entre nous se sont légitimement demandé comment nous en étions arrivés là.
La réponse est simple, car la même logique est à l’œuvre dans tous les services publics : on privatise et on met en concurrence. L’accueil de la petite enfance devient un commerce comme les autres. Tout a commencé dans les années 2000 ; avant, seules les communes et les associations assuraient l’accueil collectif de la petite enfance. Petit à petit, grâce à l’aide apportée par l’État aux structures lucratives, les créations d’établissements privés lucratifs ont progressé dix fois plus rapidement que celles d’établissements publics, avec à la clé des bénéfices records pour les grands groupes comme Babilou, dont le président fait partie des cinq cents plus grandes fortunes de France. Tout cela se fait bien sûr au détriment de la qualité de l’accueil et des conditions de travail des personnels des crèches.
Pour réduire les coûts, faire du profit et gagner des parts de marché, les structures lucratives se sont lancées dans des pratiques low cost : réduction du personnel, qui est moins bien formé et moins payé, mais aussi réduction des coûts des repas, des couches et des jouets. Voilà comment on en arrive à des situations dramatiques, lorsque des enfants sont victimes de maltraitances physiques et psychologiques. C’est pourtant simple : on ne doit pas faire de profit sur un public vulnérable, qu’il s’agisse des jeunes enfants ou des personnes âgées.
Par ailleurs, ce texte ne résout pas le problème du nombre de places en crèche : moins d’un enfant sur cinq bénéficie d’une place et faute de solution, plus de 150 000 parents – surtout des mères – arrêtent de travailler. Au-delà des mesures d’urgence proposées, que nous voterons, même si je partage les questions et les doutes de ma collègue Sophia Chikirou, il est urgent de revenir sur la logique de privatisation des crèches et sur leur mode de financement donnant lieu à de nombreuses dérives ; c’est pourquoi je vous invite à retirer vos amendements, madame la rapporteure.
M. Jean-Carles Grelier (Dem). Incontestablement, vos intentions ne sont pas dénuées de pertinence. Cependant, je trouve cette proposition de loi redondante, en particulier avec les articles 17 et 18 de la loi du 18 décembre 2023. Nonobstant la structure capitalistique des établissements, il importe de garantir aux parents un accueil de qualité pour leurs enfants.
Je me suis procuré le décret d’application de ces articles 17 et 18, qui sera publié prochainement. Il comprend huit articles, qui prévoient notamment : l’obligation pour un directeur de crèche privée à but lucratif de respecter les quotités minimales de temps de travail dédié aux fonctions de direction correspondant aux petites crèches, soit 0,5 équivalent temps plein (ETP) ; la présence d’au moins un professionnel diplômé dans l’équipe d’encadrement des enfants ; la possibilité d’accueillir trois enfants pour un professionnel.
Ce décret d’application, dont les consultations touchent à leur fin, répondra à toutes vos préoccupations. Il ne réglera sans doute pas la dimension capitalistique, mais il correspond aux préconisations de l’Igas et de l’IGF formulées en 2023 et en 2024. Par conséquent, votre proposition de loi est satisfaite par les dispositions légales existantes et réglementaires à venir.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants soutient les parents et les professionnels pour garantir un accueil sûr et de qualité dans les crèches. Les récents scandales, révélés par le livre Les Ogres et par différents rapports officiels, ont exposé de graves dérives dans certaines structures privées. Il est évidemment essentiel de recentrer les priorités sur le bien-être des enfants et de prévenir l’influence de logiques purement financières. Nous saluons l’ambition de cette proposition de loi, qui apporte des solutions pour remédier aux carences observées.
Cependant, l’article 1er, dans sa rédaction actuelle, défend une vision excessivement idéologique, en identifiant directement les sources des investissements comme étant la cause des dérives. Si nous comprenons la volonté d’encadrer les pratiques des fonds d’investissement dans un secteur aussi sensible, il est essentiel de rééquilibrer cet article pour éviter de stigmatiser des acteurs économiques respectueux de leurs obligations, qui contribuent à la création de places de crèche indispensables pour répondre aux besoins des familles.
S’agissant des sanctions financières prévues à l’article 2, des ajustements sont nécessaires : les seuils proposés, bien qu’ayant une volonté dissuasive, pourraient être disproportionnés et contre-productifs. Dans un contexte où des réformes réglementaires importantes sont en cours, il serait plus opportun de laisser ces dispositifs s’appliquer pleinement avant de légiférer davantage.
Enfin, l’article 3 interdit les formations à distance pour les professionnels de la petite enfance : c’est une réponse adaptée aux enjeux de qualité que nous soutenons pleinement, garantissant une formation pratique essentielle pour répondre aux besoins des enfants.
Le groupe Horizons & Indépendants soutiendra ce texte, sous réserve des modifications indispensables à son application équilibrée et pragmatique.
M. Laurent Panifous (LIOT). Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir inscrit à l’ordre du jour le sujet de la petite enfance, ce qui nous permet enfin de parler des dérives constatées dans certaines crèches.
Vous abordez la question de la financiarisation en proposant de contrôler la présence des fonds d’investissement dans le capital d’entreprises gestionnaires de crèches. Cette présence soulève de légitimes questions : mêler intérêts financiers et protection des plus fragiles nécessite d’apporter de fortes garanties. Toutefois, nombre de dérives sont liées au mode de financement de la PSU, qui incite à la suroccupation. Nous proposons de substituer un financement forfaitaire au financement horaire, et pas uniquement pour les crèches privées.
Il serait erroné de ne regarder que la situation des structures privées : toutes les crèches subissent la pénurie de professionnels. Il faudrait en former 70 000 pour atteindre l’objectif de 200 000 places supplémentaires d’ici à 2030. Cette pénurie ne doit pas être enrayée par la baisse des exigences de qualification, au risque de dévaloriser encore ces métiers. Il n’est pas normal que les formations diplômantes puissent se dérouler en ligne, sans contact avec des enfants. Il faudrait aussi rendre effective la formation continue.
Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires souscrit également à votre proposition d’augmenter les sanctions en cas de non-respect des règles de sécurité et d’accueil. Les contrôles, trop peu fréquents et rarement inopinés, sont essentiellement bâtimentaires.
Nous soutiendrons cette proposition de loi, sur laquelle nous avons déposé des amendements visant à assurer le contrôle qualité de toutes les crèches, sur la base de critères objectifs. Il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à créer un véritable service public de la petite enfance et il faudra tôt ou tard que l’État conduise ce grand chantier, pour en finir avec la politique low cost qui s’est développée au détriment des enfants accueillis et des professionnels de la petite enfance.
Mme Karine Lebon (GDR). Je vous remercie, chère collègue, pour votre travail qui, dans sa rédaction initiale, dit non à la financiarisation du secteur de la petite enfance, dont nous devons résoudre l’ensemble des difficultés.
Non, nos enfants ne sont pas des marchandises que l’on peut entreposer dans une pièce de sept heures à dix-huit heures. Non, nos enfants ne sont pas des robots qui répondraient aux attentes des investisseurs et actionnaires, lesquels limitent, par la rationalisation à outrance, leur liberté de jouer, d’être changés et d’être nourris. Non, nos enfants ne sont pas les variables d’ajustement de montages financiers fomentés au dernier étage d’une tour d’un quartier d’affaires.
Depuis 2004 et l’ouverture des crèches au secteur privé, l’accueil des jeunes enfants se dégrade. En 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement a abaissé les qualifications nécessaires pour exercer en crèche, ainsi que le nombre de professionnels requis pour encadrer les enfants. Le décret du 29 juillet 2022 a autorisé des personnes non diplômées à garder des enfants en bas âge : un affront pour les professionnels de la petite enfance et une mesure contreproductive qui a conduit à la fragilisation du secteur. Il est question de bébés et d’enfants, des êtres les plus vulnérables et les plus innocents. Avons-nous oublié que nous avons été des enfants ? Avons-nous oublié l’enfant que nous avons mis au monde ou accompagné avec amour, qu’il s’agisse du nôtre, de nos petits-enfants, de nos neveux ou de nos nièces ?
De plus en plus fréquemment, nous constatons dans la société des comportements intolérants et malveillants à l’égard des enfants. Connus dans les foyers sous le nom de « violences intrafamiliales », ils sont désormais transposés dans l’espace public, dans les crèches et dans les établissements scolaires. Faut-il que notre société soit gravement malade pour s’en prendre à ses enfants, pour ne pas supporter qu’ils pleurent, qu’ils crient, qu’ils bougent ou qu’ils jouent ? Ces comportements, vitaux, sont le propre d’un enfant, ce sont ses moyens d’expression.
Nelson Mandela disait qu’une société qui ne se soucie pas de ses enfants n’est pas une vraie nation. Je répète inlassablement ces mots, qui disent tout de notre pays, celui des droits de l’homme, mais manifestement pas encore celui des droits de l’enfant.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Lorsque de futurs parents découvrent qu’ils attendent un enfant, l’une des premières questions qu’ils se posent concerne le mode de garde. De nombreux investisseurs tirent parti de la crainte des mères de ne pouvoir reprendre le travail après leur congé maternité pour vendre des places en crèche à des tarifs très élevés, sans que les conditions d’accueil soient satisfaites, ni même sûres et dignes.
En attendant la création d’un service public de la petite enfance, il est essentiel que les structures privées et publiques fassent l’objet d’un contrôle renforcé, afin de protéger non seulement les enfants, mais aussi les personnels qui, en sous-effectif, peuvent se retrouver dans des situations de détresse. Aggraver les sanctions ne servirait à rien si les contrôles ne sont pas plus réguliers.
M. Michel Lauzzana (EPR). Permettez-moi de remercier la rapporteure de cette proposition de loi, qui met en avant l’important sujet de l’accueil des jeunes enfants dans les crèches. Je la remercie surtout d’avoir su faire évoluer le texte, d’avoir écouté les uns et les autres sans a priori et sans idéologie.
Toutes les difficultés que rencontrent les crèches ne résultent pas uniquement de la financiarisation ; M. Thibault Bazin, qui présidait la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches en a parlé, ainsi que M. Laurent Panifous.
Le contrôle de ces structures a été défaillant, mais nous avons fait évoluer la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, afin de le renforcer. Par ailleurs, tous les fonds d’investissement ne sont pas mauvais ; certains laissent aux entreprises le temps nécessaire, adoptant un comportement de partenaires plutôt que de simples financiers. Dans le contexte de la délégation de service public par les collectivités locales, le contrôle est également essentiel.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Victor Castanet a jeté une lumière crue sur les maltraitances systémiques que les crèches privées infligent aux enfants. Depuis, les témoignages de parents affluent, comme celui de cette mère de Villeneuve-d’Ascq racontant comment ses enfants étaient brutalisés, enfermés seuls dans le noir, ou celui de ces parents marseillais, qui ont retrouvé par deux fois leur petit garçon de quatorze mois avec un membre cassé. Des bébés et de jeunes enfants sont soumis à des violences traumatiques et mettent des années à se reconstruire. Peut-on encore parler de dérive quand c’est l’organisation du système, voire la législation, qui produit ces maltraitances ? Lorsque l’on accepte, par un décret de 2022, que 15 % des personnels de crèche soient des non professionnels, dénués de diplôme et d’expérience, on accepte d’exposer les enfants à des négligences et à des accidents.
Voilà l’aboutissement de la dérégulation des crèches, poursuivie depuis le décret de Nadine Morano en 2010. Le résultat, ce sont des femmes, employées du secteur de la petite enfance, qui essayent de faire face comme elles le peuvent, malgré des salaires tirés vers le bas, malgré la déqualification de leur métier, malgré la PSU qui pousse leurs employeurs à accueillir des enfants en surnombre pour rentabiliser leurs coûts salariaux, malgré une intensification du travail et une pénibilité qui les exposent aux troubles lombaires et musculosquelettiques.
Lorsque l’on n’a ni le temps de bien faire ni la formation pour savoir comment bien faire, on fait des erreurs ; celles-ci, évitables, sont le fruit de l’exploitation de ces travailleuses par des entreprises cherchant le profit à tout prix. Les dérégulations successives ont créé un juteux marché, qui permet à une poignée de propriétaires de faire commerce de la maltraitance institutionnelle des enfants. Avec ces délégations à un secteur privé qui se gave de subventions, assomme les familles avec le reste à charge et, en bout de course, brutalise leurs enfants, que reste-t-il du service public ? Une rentabilité à 12 % : c’est le taux de profit que les fonds d’investissement imposent aux crèches, à grands coups de rationnement de repas et de couches. En attendant, nos enfants continuent d’être traités comme des matières premières pour des usines à fric qu’on nomme, de manière de plus en plus impropre, des crèches.
Il est urgent de créer un service public de la petite enfance ; nous le ferons. Vous l’appelez de vos vœux, madame la rapporteure, mais pourquoi déposez-vous des amendements qui affaiblissent votre propre texte ? Nous vous demandons de les retirer, afin que nous puissions le voter.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Nous examinons une proposition de loi visant à protéger les enfants accueillis dans les crèches privées à but lucratif. Ce texte tend à traiter un problème alarmant, mis en lumière par le journaliste Victor Castanet dans son ouvrage Les Ogres. Les dérives qu’il décrit, notamment le rationnement des couches, les repas insuffisants et les conditions d’accueil déplorables, ne sont pas seulement des défaillances : elles sont le symptôme d’un problème plus profond, la financiarisation d’un secteur qui n’aurait jamais dû être soumis à la logique du profit.
Puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de crèche ou de puériculture, agents d’entretien, cuisinières, directrices : les travailleurs, et surtout les travailleuses de ces établissements souffrent de ces conditions de travail et ont donné l’alerte de nombreuses fois, en vain. Nous devons d’abord penser à eux, qui ne sont pas des pions adaptables à n’importe quelles conditions de travail, pas plus que les enfants ne sont des lignes de chiffre d’affaires ou les crèches, des outils de spéculation financière.
Plus d’une place en crèche sur trois est gérée par des structures à but lucratif. Derrière ces chiffres se cache une réalité choquante : des groupes financés par des fonds d’investissement, obnubilés par les rendements, prêts, pour maximiser leurs profits, à sacrifier la qualité de l’accueil, et donc les enfants et les personnes qui en prennent soin.
Cette proposition de loi tente d’apporter des réponses pour remédier à ces problèmes, avec l’article 1er, dont la version initiale interdit à ces fonds d’investissement d’acquérir ou de gérer des crèches. Dans le secteur des Ehpad, nous avons constaté les scandales humains découlant de l’absence de régulation.
Rappelons qu’une place en crèche privée est actuellement financée à hauteur de 66 % par la branche famille de la sécurité sociale. Ces aides publiques, qui sont destinées à soutenir les familles, se retrouvent finalement captées par les entreprises pour alimenter des stratégies de croissance internationale au détriment des besoins locaux et de la qualité de l’accueil. Ce modèle, à l’évidence, est un échec.
Madame la rapporteure, vous proposez par voie d’amendement de passer d’une interdiction stricte à un régime d’interdiction préalable. Pouvez-vous nous expliquer ce changement qui nous inquiète ?
Mme Sandrine Runel (SOC). Il est temps d’en finir avec la maltraitance à l’égard des enfants et des personnels de ces établissements. Notre société a besoin de bienveillance et de professionnels formés, à l’écoute des besoins des nourrissons et des enfants. Nous ne renions en rien l’ambition initiale de cette proposition de loi, puisque l’article 1er, tel que nous proposons de le réécrire, sera plus efficace ; il est calqué sur le contrôle des investissements préalables pratiqué notamment dans le secteur de la défense. Il s’agit d’interdire tout investissement sans autorisation préalable de l’État, eu égard à la sensibilité du secteur de la petite enfance.
Vos questions sont légitimes, mais la nouvelle version de l’article 1er que nous proposons est plus solide que la version initiale. En outre, il est toujours possible d’amender ou de sous-amender un texte, en particulier dans la perspective de son examen en séance publique ; peut-être pas la semaine prochaine, mais ultérieurement, ce qui nous laisse un peu de temps pour l’améliorer. Il permet déjà de mettre un premier pied dans la porte des établissements privés.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). À partir du moment où nous autorisons des entreprises à faire du profit sur les crèches – et c’est ce que nous faisons –, nous franchissons une ligne rouge : celle qui sépare la qualité de l’accueil des enfants du calcul du solde entre dépenses et recettes. Réduire les dépenses, c’est automatiquement diminuer la rémunération et dégrader les conditions de travail des personnels, mais aussi mégoter sur les soins et les conditions de vie des enfants, et économiser sur la qualité des matériaux utilisés dans les bâtiments.
À partir du moment où l’accueil des enfants s’inscrit dans une relation pécuniaire, vous trouverez nécessairement des économies à faire et des façons d’augmenter les recettes : en augmentant le nombre de berceaux, notamment. Cela soulève une question de société fondamentale : que décidons-nous de protéger des lois mortifères du profit ? Avec une faible régulation du développement et de l’organisation des crèches privées, nous avons franchi une frontière inacceptable en laissant nos enfants subir les lois du marché.
Mme la rapporteure. L’article 1er suscite des débats, mais sur le fond, nous souhaitons tous œuvrer pour atteindre le même objectif : garantir des conditions d’accueil optimales et sécures pour les enfants. Nous avons mis du temps à élaborer l’amendement de réécriture de l’article 1er, que j’ai déposé récemment ; j’en avais cependant informé l’ensemble des groupes politiques. Pourquoi l’avons-nous fait ? Je ne souhaite pas stigmatiser le secteur privé, mais dénoncer les dérives liées aux logiques de financiarisation. Je ne mets pas en cause la financiarisation en elle-même, mais je suis préoccupée par la compatibilité entre le plan de financement d’un fonds d’investissement ou d’un fonds de dette privée et la qualité de l’accueil des jeunes enfants.
Nous avons fait évoluer l’article 1er d’une interdiction pure à un droit de veto de l’administration à l’égard d’un fonds qui ne serait pas compatible avec l’accueil des jeunes enfants. J’insiste : il s’agit bien d’un droit de veto et non d’un faible regard, comme je l’ai entendu dire.
Après les auditions de l’AMF, de la direction générale de la cohésion sociale et de différents syndicats, il nous est apparu qu’une interdiction « sèche » pourrait être contraire à la Constitution et au droit européen, ce qui n’est pas un détail. Notre démarche pourrait donc ne pas être suivie d’effet. En outre, l’interdiction, telle qu’elle était rédigée, conduisait à exclure uniquement les fonds d’investissement et les fonds de dette français ou européens, mais pas les fonds extraeuropéens, qui présentent pourtant, a priori, les plus grands risques. La rédaction ne permettait pas non plus de distinguer les fonds publics des fonds privés. Enfin, cette interdiction aurait entraîné la fermeture de milliers de places en crèche.
L’autorisation préalable a pour objectif de faire la différence entre des fonds vautours, incompatibles avec le secteur de la petite enfance, et un soutien financier qui fait partie du modèle économique. Celui-ci peut tout à fait être remis en question, politiquement et philosophiquement, mais l’objet de cette proposition de loi consiste à créer un mécanisme efficace, un antidote contre ce qui s’est passé avec le groupe People&Baby. Si ce texte est adopté, l’État aura un droit de regard et pourra prévenir l’entreprise qu’un fonds mettra en danger les enfants et portera atteinte aux conditions de travail des professionnels.
Il ne s’agit absolument pas d’un renoncement ou d’un recul. Les syndicats sont d’ailleurs favorables à cette nouvelle rédaction de l’article 1er et les professionnels du secteur attendent ce changement. Mes convictions me poussent à œuvrer en faveur d’un mécanisme efficace, compatible avec le droit, proposant de réelles garanties pour sécuriser l’accueil des jeunes enfants et posant une première pierre dans la lutte contre la financiarisation.
Par ailleurs, je souscris aux remarques qui ont été faites au sujet des contrôles, effectués tant par la Cnaf que par les structures de protection maternelle et infantile (PMI) : ils sont absolument essentiels et doivent être renforcés. Bien que ce ne soit pas l’objet de la proposition de loi, je partage cette ambition.
Tous ceux qui s’intéressent au secteur de la petite enfance savent qu’il faut repenser les mécanismes de financement, que les structures soient privées, publiques ou associatives. De nombreux questionnements portent sur le crédit d’impôt famille, la PSU et la prestation d’accueil du jeune enfant. Cet enjeu est plus large que l’objet de ce texte, mais il est important.
La réunion est suspendue de douze heures trente à douze heures quarante.
Article 1er : Interdire l’entrée de fonds d’investissement et fonds de dette au capital des entreprises du secteur des crèches privées lucratives
Amendement de suppression AS1 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). J’ai déposé cet amendement avant d’avoir connaissance de votre propre amendement de réécriture de l’article 1er, madame la rapporteure. La rédaction initiale de celui-ci était en effet problématique, puisqu’elle empêchait tout fonds, y compris des fonds d’investissement publics ou maîtrisés par la puissance publique, des fonds éthiques et des fonds basés en France partageant des objectifs avec certaines politiques publiques, de financer des places de crèche. Mais cet amendement n’a plus lieu d’être à présent. Je le retire donc.
L’amendement est retiré.
Amendement AS28 de Mme Céline Hervieu et sous-amendements AS37 de M. Thibault Bazin et AS38 de Mme Sophia Chikirou
Mme la rapporteure. J’ajouterai simplement une précision aux explications que j’ai déjà données : l’autorisation d’entrée d’un fonds au capital d’une entreprise gérant des crèches déclenchera automatiquement une inspection de l’Igas et de l’IGF après deux ans. Il s’agit de contrôler le plan de financement au moment de l’entrée au capital et deux ans plus tard, parallèlement aux contrôles existants – qu’il nous faut renforcer. Si les engagements du fonds n’étaient pas tenus, l’État pourrait revenir sur son autorisation.
M. Thibault Bazin (DR). Il me semble compliqué de prévoir l’automaticité de l’intervention des corps d’inspection que sont l’Igas et l’IGF. Compte tenu des compétences de la Cnaf, notamment depuis l’adoption de la loi pour le plein emploi, il serait préférable de lui confier cette mission de contrôle, d’autant quelle dispose de l’ensemble des éléments relatifs au pilotage financier et à la comptabilité analytique des établissements accueillant des jeunes enfants. Le contrôle serait plus efficace et réduirait le temps de collecte des informations, puisque l’Igas les demandera de toute façon à la Cnaf.
Celle-ci délivrant les agréments des établissements accueillant de jeunes enfants, il serait également judicieux de préciser que la décision des ministères de l’économie et de la famille relative à la demande d’autorisation préalable sera prise après consultation de la Cnaf, qui détient l’entièreté des éléments financiers et a parfois accès à des éléments relatifs à la gouvernance et à la stratégie. Cela renforcerait la cohérence des politiques publiques.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Mon sous-amendement vise à donner un véritable droit de veto au ministère des affaires sociales, plutôt qu’au ministère de l’enfance comme le prévoit le texte, et de lui donner la prééminence, plutôt qu’au ministère de l’économie.
Le problème contre lequel nous entendons lutter n’est pas financier ou économique, il réside dans les conséquences de l’intervention des fonds d’investissement sur le modèle de prise en charge de la petite enfance, qui modifie complètement l’organisation des crèches et leur finalité. Plus ces fonds sont tenus à distance, moins grand est le risque de voir des comportements favorisant une plus grande rentabilité et entraînant de la maltraitance pour les travailleurs et les enfants.
Ce sous-amendement vise à confier la validation de l’entrée d’un fonds au capital d’un groupe gestionnaire de crèches au ministère des affaires sociales, auquel est rattaché l’Igas, qui a enquêté de façon approfondie sur les conséquences de ce modèle économique. C’est, je crois, la meilleure façon de protéger les enfants et les travailleurs. La question n’est pas financière ; elle est celle du modèle que nous voulons pour les crèches. Par ailleurs, il est faux de parler d’un problème de financement des crèches ; le surcalibrage des financements publics a été pointé par l’IGF.
Mme la rapporteure. Je suis favorable au sous-amendement de M. Bazin. La prise en considération de l’avis de la Cnaf est pertinente, celle-ci permettant d’apporter un prisme d’analyse du point de vue des familles grâce à sa connaissance du secteur, du modèle et des données économiques de ces entreprises. De plus, la Cnaf participe déjà à certains contrôles relatifs à l’usage des financements publics par ces structures.
Je suis également favorable au sous-amendement de Mme Chikirou. Le texte prévoit une décision du ministère de l’enfance, mais le ministère des affaires sociales est une bonne idée, d’autant que l’Igas y est rattachée. Quant au ministère de l’économie, il me semble pertinent de maintenir sa participation, d’autant que l’IGF a travaillé sur le modèle économique des crèches. En tout état de cause, je suis favorable à l’association du ministère des affaires sociales à la délivrance des autorisations d’investissement.
M. Hendrik Davi (EcoS). Madame la rapporteure, j’entends que vous vous contentez de vouloir améliorer les conditions d’accueil et de travail dans les crèches, sans reposer la question du modèle économique. Les deux sujets sont pourtant intimement liés ; je pensais que la présente proposition de loi permettrait de lutter contre le modèle de marchandisation des crèches, de renforcer les services publics et d’encourager les crèches associatives.
Il ne s’agit pas d’opposer le secteur privé au secteur public, mais le secteur privé à but lucratif à tous les autres établissements. Avec cet amendement de réécriture, vous renoncez à faire évoluer la situation entre secteur public et secteur privé lucratif. Il faut au contraire diminuer l’offre des crèches privées à but lucratif, ce qui contraindra les municipalités et les associations à proposer une offre différente. L’argent permettant de financer une telle offre est disponible, puisque 66 % du financement des places du secteur privé lucratif proviennent de la sécurité sociale et de la Cnaf. C’est pourquoi nous voterons contre votre amendement, madame la rapporteure.
La commission adopte successivement les sous-amendements AS37 et AS38, puis l’amendement AS28 sous-amendé.
Amendements AS3 et AS2 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
M. Thibault Bazin (DR). Compte tenu de la réécriture que nous venons d’adopter, les exigences que je posais à l’égard des fonds d’investissement – siège social en France, part de capitaux publics – semblent satisfaites ; je retire donc mes amendements.
Les amendements sont retirés.
La commission adopte successivement les amendements AS29, rédactionnel, AS30 et AS31 de coordination, et AS32, rédactionnel, de Mme Céline Hervieu, rapporteure.
Amendement AS33 de Mme Céline Hervieu
Mme la rapporteure. Compte tenu de la réécriture que nous avons adoptée, il n’est plus nécessaire de prévoir l’entrée en vigueur différée des dispositions.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS6 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Je reprends là l’une des recommandations consensuelles de la commission d’enquête. Il est proposé d’instaurer une formation obligatoire et régulière des professionnels de la petite enfance. Un arrêté du ministre chargé de la famille en déterminerait le contenu ainsi que la fréquence à laquelle les personnes concernées devraient y participer.
Les personnels doivent enrichir leur pratique des progrès des neurosciences au fil de leur carrière.
Mme la rapporteure. L’amendement vise à former les personnels aux risques professionnels auxquels l’exercice de leur métier les expose. C’est essentiel pour renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance, mais aussi pour garantir la sécurité et le bien‑être des enfants accueillis. Il faut prendre en considération la pénibilité des métiers et y apporter des réponses par la formation, mais aussi par la hausse du taux d’encadrement – nettement inférieur en France à celui des pays voisins – afin de prévenir tout comportement à risque auprès des enfants, et de réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Votre amendement trouverait davantage sa place au sein de l’article 3, qui traite déjà de la formation des personnels des crèches. Je vous invite donc à le retirer pour le retravailler en vue de la séance.
L’amendement est retiré.
Article 2 : Renforcer les sanctions financières en cas de manquement aux règles de sécurité et de qualité d’accueil du jeune enfant
Amendements AS34 et AS35 de Mme Céline Hervieu
Mme la rapporteure. Ces amendements visent à tenir compte des critiques formulées lors des auditions en supprimant la référence à un plancher. Ce n’est pas aujourd’hui que les socialistes rétabliront les peines plancher !
Je maintiens néanmoins que les sanctions doivent être suffisamment dissuasives.
La commission adopte successivement les amendements.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement AS11 de M. Thierry Frappé
M. Thierry Frappé (RN). Les récents rapports et faits divers ont mis en lumière des situations préoccupantes de maltraitance dans certains établissements d’accueil du jeune enfant. Pour garantir la sécurité et le bien-être des enfants, il est proposé d’instituer un protocole de prévention et de lutte contre la maltraitance dans chaque structure.
Ce protocole prévoit des mécanismes de signalement, la désignation d’un référent prévention, et des actions de sensibilisation et de formation pour les personnels. Ces mesures visent à renforcer la vigilance collective et à améliorer les pratiques professionnelles au sein des structures.
En s’appuyant sur les départements pour le suivi et l’évaluation, ce dispositif tire parti des compétences existantes et ne crée pas de charges nouvelles. Il contribue à instaurer une culture de bientraitance et répond aux attentes des familles.
Mme la rapporteure. Le référentiel de la qualité d’accueil qui devrait être publié début 2025 – les services ministériels sont en train de le finaliser – répondra à votre objectif.
Le rapport Dabin, publié le 5 novembre, préconise l’instauration d’un circuit de signalement simplifié. Toutefois, pour être opérationnel, ces dispositifs doivent faire l’objet d’une déclinaison territoriale, en lien avec chaque service de PMI.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS27 de M. Hendrik Davi
M. Hendrik Davi (EcoS). Reprenant une recommandation de la commission d’enquête, l’amendement tend à généraliser les contrôles inopinés des services de PMI.
Actuellement, les contrôles sont principalement effectués lors de la création ou de la modification d’un établissement ou à la suite d’un signalement par un parent ou un professionnel. Nous proposons de systématiser les contrôles inopinés, en nous appuyant par exemple sur un tirage au sort annuel, déjà expérimenté par certaines PMI. Cette approche permettrait une évaluation plus objective et régulière de la qualité des structures – micro‑crèches comme crèches plus grandes.
La question des moyens humains et financiers se pose inévitablement car les effectifs actuels sont déjà insuffisants pour répondre à l’augmentation du nombre de petites structures. Les PMI manquent cruellement de moyens. Il conviendrait de réfléchir au rôle des infirmières puéricultrices qui pourraient prendre une part importante dans le travail d’évaluation.
Mme la rapporteure. Je vous rejoins sur l’importance des contrôles. Je sais par expérience que les contrôles sont loin d’être inopinés – les crèches sont prévenues quinze jours à l’avance –, ce qui fausse inévitablement leurs résultats.
Les contrôles sont une préoccupation centrale pour nombre d’entre nous. La ministre nous a confié que la Cnaf doit recruter 30 ETP, notamment pour renforcer les contrôles.
Puisque de nombreux amendements ont été déposés sur le sujet, je vous invite à retirer le vôtre pour que nous puissions travailler à un amendement global. Le renforcement des contrôles implique des moyens supplémentaires ; or, à ce jour, la proposition de loi ne coûte rien. Il convient donc d’adapter la rédaction.
M. Hendrik Davi (EcoS). Je maintiens l’amendement mais je suis disposé à travailler avec vous.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement car le caractère inopiné des contrôles, pourtant essentiel, est le plus souvent absent. Les contrôles ne permettent donc pas d’établir si le taux d’encadrement est respecté, etc.
Ensuite, certains départements n’ont pas les moyens de procéder à des contrôles à tel point que certaines structures peuvent connaître deux ou trois années sans surveillance. Vous nous apprenez que 30 ETP vont être recrutés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, dont nous ignorons encore le sort. Cela devrait aider à résoudre le problème des moyens que vous soulevez. Les personnels seront en nombre suffisant pour assurer les contrôles inopinés.
Il faut surtout faire en sorte que les contrôles soient véritablement inopinés.
Mme la rapporteure. S’agissant des 30 ETP, qui ne sont d’ailleurs pas inscrits noir sur blanc dans le PLFSS, ils sont destinés à la Cnaf, laquelle contrôle le bon usage de l’argent public. Parallèlement, la PMI contrôle la qualité de l’accueil.
Puisque le sujet est consensuel, je propose un travail collectif visant à introduire un article sur les contrôles qui en traite tous les aspects – fréquence, caractère inopiné, moyens associés. Par ailleurs, le référentiel qualité attendu prochainement sera un outil intéressant pour guider ces contrôles.
La commission rejette l’amendement.
La réunion s’achève à treize heures cinq.
Information relative à la commission
La commission a désigné M. Yannick Neuder rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, pour améliorer la prise en charge de la sclérose latérale amyotrophique et d’autres maladies évolutives graves (n° 456).
Présences en réunion
Présents. – Mme Ségolène Amiot, M. Joël Aviragnet, Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, Mme Anaïs Belouassa-Cherifi, M. Christophe Bentz, M. Théo Bernhardt, Mme Sylvie Bonnet, Mme Sophia Chikirou, M. Hadrien Clouet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Sandra Delannoy, M. Fabien Di Filippo, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Fanny Dombre Coste, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Karen Erodi, M. Olivier Falorni, M. Olivier Fayssat, M. Guillaume Florquin, M. Thierry Frappé, Mme Marie-Charlotte Garin, M. Guillaume Garot, M. François Gernigon, Mme Océane Godard, M. Jean-Carles Grelier, Mme Justine Gruet, M. Jérôme Guedj, Mme Zahia Hamdane, Mme Céline Hervieu, Mme Chantal Jourdan, M. Michel Lauzzana, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Élise Leboucher, Mme Katiana Levavasseur, M. René Lioret, Mme Brigitte Liso, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, Mme Joëlle Mélin, Mme Joséphine Missoffe, M. Christophe Mongardien, M. Yannick Monnet, M. Serge Muller, M. Yannick Neuder, M. Laurent Panifous, M. Sébastien Peytavie, Mme Sandrine Rousseau, Mme Sandrine Runel, Mme Sabrina Sebaihi, M. Arnaud Simion, M. Emmanuel Taché de la Pagerie, M. Vincent Thiébaut, M. Frédéric Valletoux, Mme Annie Vidal, M. Philippe Vigier, M. Stéphane Viry
Excusés. – Mme Sophie Delorme Duret, M. Jean-Hugues Ratenon
Assistaient également à la réunion. – M. Elie Califer, Mme Gabrielle Cathala, M. Paul-André Colombani, M. Matthieu Marchio