Compte rendu

Commission
des affaires sociales

– Audition de Mme Astrid Panosyan‑Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social (n° 1526)              2

– Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social (n° 1526) (M. Nicolas Turquois et M. Stéphane Viry, rapporteurs)              20

– Présences en réunion.................................37

 

 

 

 

 


Lundi
23 juin 2025

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 96

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Frédéric Valletoux,
président,
puis de
Mme Josiane Corneloup,
secrétaire

 


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La réunion commence à dix-sept heures.

(Présidence de M. Frédéric Valletoux, président)

La commission auditionne Mme Astrid PanosyanBouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social (n° 1526).

M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social a été inscrit à l’ordre du jour de la séance publique à compter du jeudi 3 juillet. Je remercie Mme la ministre Astrid PanosyanBouvet de venir nous présenter ce texte.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l’emploi. Ce projet de loi a pour objectif de transposer trois accords intervenus entre les partenaires sociaux le 14 novembre dernier. Le premier ministre de l’époque – Michel Barnier – et moi-même avons rapidement fait le choix de demander aux partenaires sociaux de reprendre plusieurs négociations récentes, qui n’avaient pas pu aboutir : celle relative à l’assurance chômage, qui avait donné lieu, à l’automne, à un accord qui n’avait pas été agréé par le gouvernement d’alors ; celle sur l’emploi des seniors, qui constituait un volet de la négociation sur le pacte de la vie au travail et qui n’avait pas pu aboutir au printemps 2024. En relançant le dialogue social au niveau national, le Gouvernement a fait le choix de la démocratie sociale. Au final, un triple accord est intervenu le 14 novembre 2024.

Il prend la forme de deux accords nationaux, l’un sur les travailleurs expérimentés, l’autre sur le dialogue social, ainsi que d’un avenant au protocole d’accord sur l’assurance chômage de novembre 2023, qui demande une transposition législative. Ces trois accords ont été signés largement, voire très largement. Celui sur l’emploi des salariés expérimentés a été signé par trois organisations patronales et les organisations syndicales, à l’exception de la CGT. L’accord national interprofessionnel (ANI) relatif au dialogue social a été signé par deux des trois organisations patronales – la Confédération des petites et moyennes entreprises faisant exception – et toutes les organisations syndicales. L’avenant au protocole d’accord de 2023 sur l’assurance chômage a été signé par les trois organisations patronales et trois des cinq organisations syndicales, à l’exception de la CGT et de la CFE-CGC.

Sans recueillir l’unanimité, ces trois accords ont donc suscité une très large adhésion, donnant le sentiment que le dialogue social avait véritablement sa place dans notre pays, sur des sujets potentiellement épineux : après avoir échoué, ils ont finalement pu être conclus. Il appartient désormais au Parlement – au Sénat, début juin, et à l’Assemblée nationale le 3 juillet – d’en assurer la transposition législative, sur la base d’un projet de loi qui a fait l’objet d’échanges avec les partenaires sociaux depuis plusieurs mois. De leur aveu, il a été transposé fidèlement, dans le texte qui vous est soumis aujourd’hui.

Je précise que cette transposition a non seulement été vue avec les partenaires sociaux qui ont signé ces accords, mais aussi avec ceux qui ne les ont pas signés. C’est une manière de respecter les organisations non-signataires, qui contribuent aussi au dialogue social à travers les négociations.

Les articles 1er à 7 du projet de loi concernent l’emploi des travailleurs expérimentés.

Les deux premiers articles renforcent le dialogue social en obligeant les branches et les entreprises d’au moins trois cents salariés à mener des négociations spécifiques tous les quatre ans au moins. Il était en effet important qu’à tous les niveaux, le dialogue social puisse se saisir des sujets du recrutement des seniors, des moyens pour les maintenir en emploi et en bonne santé, avec des compétences actualisées, des aménagements de fin de carrière et de transmission de savoir-faire. Afin d’apporter les bonnes réponses en fin de carrière, employeurs et salariés doivent se préparer en amont. Il s’agit de l’un des grands enseignements constaté dans les pays où les taux d’emploi des travailleurs expérimentés sont plus élevés : ils arrivent à anticiper ces sujets bien plus en amont que nous.

L’article 3 renforce le dispositif de mi-carrière, prévu autour de 45 ans –les branches en décideront –, en ajoutant à la visite médicale obligatoire un nouvel entretien professionnel, pour avoir une vision à 360 degrés – compétences et santé. Ces deux obligations combinées constitueront un rendez-vous de mi-carrière, qui permettra de mieux répondre aux enjeux de santé au travail et d’aborder l’ensemble des questions liées aux compétences et aux qualifications, aux besoins de formation, aux mobilités, aux reconversions.

L’article 4 lance, pour cinq ans, l’expérimentation d’un contrat de valorisation de l’expérience, pour rendre plus incitatif le recrutement des salariés de 60 ans et plus, en tirant les enseignements des raisons pour lesquelles des dispositifs existants – contrat à durée déterminée pour les seniors, contrats de génération – n’ont pas fonctionné. Ces travailleurs expérimentés pourront ainsi bénéficier d’un contrat à durée indéterminée (CDI), spécifique ; en contrepartie, les entreprises pourront bénéficier d’une sécurité et d’un avantage. La sécurité, c’est la certitude de voir le salarié partir à la retraite lorsqu’il aura atteint l’âge légal de départ à taux plein ; l’avantage, c’est une exonération de cotisation sur l’indemnité de mise en retraite.

Les articles 5, 6 et 7 facilitent les aménagements de fin de carrière. Dans les pays comme la Suède et le Danemark, qui ont des taux d’emploi élevés de travailleurs âgés de 61 à 64 ans – parfois deux fois plus que le nôtre –, le recours au temps partiel est beaucoup plus important. Nous apporterons de meilleures réponses si nous sortons de la logique binaire consistant à considérer que la dernière partie de carrière doit s’effectuer soit à 100 % en activité soit pas du tout.

L’article 5 vise à faciliter les aménagements de fin de carrière, en obligeant les entreprises à motiver précisément les refus qu’elles sont en droit d’opposer aux demandes de passage à temps partiel. L’article 6 permet à l’employeur d’un salarié qui décide de réduire son temps de travail de lui verser de manière anticipée tout ou partie de l’indemnité de départ à la retraite, afin de compenser en partie la rémunération ainsi perdue. L’article 7 clarifie les règles relatives à la mise à la retraite d’office, pour les rendre pleinement applicables aux salariés qui bénéficient d’un cumul emploi-retraite.

Toutes les stipulations de l’accord du 14 novembre n’impliquaient pas de transposition législative. Tel est cependant le cas de la retraite progressive, dont l’âge d’ouverture sera établi à 60 ans, contre 62 ans dans la réforme Borne de 2023. Cette mesure a le même objectif : favoriser les aménagements de fin de carrière, pour sortir d’une logique binaire. En effet, la retraite progressive n’est pas assez mobilisée : 30 000 bénéficiaires seulement chaque année, soit moins de 0,5 % de la cohorte annuelle des 700 000. Grâce à l’accord du 14 novembre, le salarié pourra réduire son temps de travail, en commençant à percevoir une partie de sa pension, tout en continuant à cotiser à taux plein. La publication prochaine du décret permettra une entrée en vigueur au 1er septembre 2025. La retraite progressive qui existait, certes de manière très marginale, dans le secteur privé, sera désormais accessible aux agents des trois fonctions publiques.

Concernant le dialogue social, l’article 8 prévoit de supprimer la limite du nombre de mandats successifs pour les membres élus siégeant dans les comités sociaux et économiques. Le cumul des mandats faisait l’objet de débats, un arbitrage délicat devant être rendu entre liberté de choix, renouvellement, continuité et efficacité. Les partenaires sociaux ont trouvé un accord très large, presque unanime, pour écarter cette limite.

S’agissant de l’assurance chômage, les circonstances sont un peu différentes : le gouvernement de l’époque avait choisi de ne pas agréer l’accord de novembre 2023 auquel étaient parvenus les partenaires sociaux. En octobre 2024, nous avons demandé aux partenaires sociaux de reprendre la négociation. Ils sont parvenus à un accord sur la base de celui de 2023 et la nouvelle convention de l’Unedic a été agréée par le Gouvernement, par un décret du 20 décembre 2024. Elle permet l’adaptation de certaines dispositions applicables aux salariés de plus de 55 ans, la mensualisation du versement de l’allocation et la suppression de plusieurs mesures d’effets d’aubaine liées à l’allocation pour les créations ou les repreneurs d’entreprises. Au total, en régime de croisière, l’économie pour l’Unedic devrait atteindre 1,5 milliard d’euros en année pleine.

Cette nouvelle convention d’assurance chômage prévoit également d’améliorer les droits des saisonniers et des primo-entrants, composés à 62 % de jeunes. Sur ce second point, l’abaissement de la durée d’affiliation des personnes s’inscrivant pour la première fois à l’assurance chômage – les primos-entrants de six à cinq mois, dont il faut mieux sécuriser la situation, particulièrement fragile – n’a pu être agréée, faute d’avoir une base législative. L’article 9 du projet de loi permettra ainsi d’intégrer cette disposition à la convention d’assurance chômage, pour mieux protéger les primo-entrants, dans un contexte où le taux de chômage – celui des jeunes en particulier – a récemment augmenté.

Enfin, le Gouvernement a souhaité être prévoyant en introduisant un article 10, qui traite des transitions et des reconversions professionnelles. Les dispositions en la matière sont très importantes pour mieux répondre aux secondes parties de carrière, soit pour les personnes confrontées à des métiers à forte usure professionnelle, pénibles et usants, soit pour les salariés dans des secteurs en pleine restructuration économique. Il n’existe pas de solution unique. Pour apporter les bonnes réponses, nous devons rendre nos dispositifs plus simples et lisibles, pour qu’ils soient plus utilisables par les entreprises et les salariés. Par une lettre en date du 10 avril, nous avons donc demandé aux partenaires sociaux, qui l’avaient réclamé, de relancer les négociations sur les dispositifs de transition et de reconversion. Cette négociation est dans sa dernière ligne droite, puisqu’elle doit se conclure demain. Il s’agit d’une relance car cette question avait fait l’objet d’un accord très partiel dans le cadre de la négociation sur le pacte de la vie au travail au printemps 2024.

Notre objectif est de mieux accompagner les salariés en mobilité, interne et externe, et de développer l’alternance pour les adultes. On évoque souvent l’exemple du dispositif Transitions collectives, qui a permis à des personnes travaillant dans une entreprise en restructuration d’être recrutées, avec une formation, dans une entreprise qui embauche, dans le même territoire. Or ce très beau dispositif concerne actuellement peu de personnes alors qu’il a été créé en 2019. Il faut donc le simplifier et changer d’échelle : les partenaires sociaux y travaillent.

Dans le projet initial, l’article 10 habilitait le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures législatives nécessaires à la transposition d’un nouvel accord, de façon à embarquer dans ce véhicule législatif ce qui aura été négocié par les partenaires sociaux, pour que nos salariés et nos entreprises puissent en bénéficier dès la rentrée prochaine. Le Sénat a souhaité supprimer les dispositions habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance. En bonne entente avec le Gouvernement, et pour ne pas supprimer l’article qui constitue une accroche légistique, il a choisi de reprendre les objectifs généraux de la négociation tels que nous les avons formulés. À cette heure, la négociation se poursuit ; nous verrons ce qu’il en sera lorsque le texte sera examiné par les députés en séance publique. Nous serons particulièrement attentifs, pour apporter les réponses aux entreprises qui restructurent.

Votre commission se réunit à un moment où tous les regards sont braqués sur la délégation paritaire permanente. Le dialogue social est essentiel, parce qu’il est toujours utile, comme le montre la transposition de ces accords. Il joue également un rôle d’apaisement, en permettant une vraie discussion, qui prend le temps d’aller au fond des sujets. Accord ou pas, certaines de ces questions avancent : alors que cela n’a pas été le cas les années précédentes, elles trouvent enfin une conclusion. Le dialogue social contribue aussi à renforcer une culture du compromis, qui permet de rapprocher un certain nombre de points de vue.

Les trois accords que nous transposons témoignent de cet état d’esprit. La transposition du fruit d’un accord entre partenaires sociaux, articulation entre deux formes de démocratie, est un exercice particulier, pour l’Assemblée nationale comme pour le Sénat. Je sais que vous l’avez déjà fait à plusieurs reprises, sur le partage de la valeur, ou, plus récemment, l’ANI accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) – dont nous avions discuté durant le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, sur la faute inexcusable de l’employeur. Je suis confiante : nous réussirons aussi à faire une belle transposition de ces trois accords.

M. Stéphane Viry, rapporteur. En 2020, les plus de 65 ans représentaient déjà 20 % de la population française, une part qui atteindra près de 30 % d’ici à 2050. Ce ne sont pas de simples projections ; c’est une réalité démographique qui avance à grand pas et à laquelle notre pays doit se préparer, en particulier sur la question de l’emploi des travailleurs expérimentés. En effet, alors que la population vieillit, la part des demandeurs d’emploi de plus de 50 ans a presque doublé en quinze ans. Cette progression rapide, trop souvent passée sous silence, appelle une réponse structurée.

Face à cela, les partenaires sociaux ont pris leurs responsabilités. Ils se sont saisis de ce sujet complexe, parfois clivant, et sont parvenus à un accord équilibré. L’ANI sur l’emploi des salariés expérimentés, signé le 14 novembre 2024, est le fruit de ce dialogue social, que l’on croit parfois perdu : il prouve ici toute sa vitalité. Je tiens à saluer leur méthode, leur persévérance et leur sens du compromis.

Cet accord s’inscrit dans la continuité du travail que j’avais moi-même entamé lors des précédentes législatures, avec une proposition de loi sur le même sujet, issue d’une mission d’information menée en 2021 sur l’emploi des seniors. Dans un contexte de tension budgétaire et de fragilité de notre protection sociale, notre pays doit mobiliser toutes ses forces sur cette question. Les travailleurs expérimentés, riches de compétences et d’envie, sont une ressource que nous ne pouvons plus laisser de côté. Trop souvent, ils se heurtent à des freins injustes ou à des stéréotypes dépassés.

Soyons clairs : il n’y a pas d’âge, en France, pour créer de la valeur. Il est grand temps que notre législation le reconnaisse pleinement. Le projet de loi qui nous est soumis vise à transposer fidèlement les dispositions de l’ANI du 14 novembre 2024. Il s’articule autour de quatre priorités, qui s’adressent aux branches, aux entreprises, aux salariés et aux demandeurs d’emploi.

Le titre Ier pose les bases du dialogue social. L’article 1er crée une négociation obligatoire, dans chaque branche professionnelle, sur l’emploi des travailleurs expérimentés. L’article 2 impose la même démarche dans les entreprises de plus de trois cents salariés. C’est une manière de sortir les seniors de l’angle mort des discussions collectives et de reconnaître leur place dans la stratégie des ressources humaines.

Le titre II – l’article 3 – renforce l’entretien professionnel. Il devra désormais avoir lieu dans les deux mois suivant la visite médicale de mi-carrière, organisée l’année des 45 ans. Cela permettra de mieux articuler les recommandations du médecin du travail avec les évolutions possibles du poste. On passe ainsi d’une logique de réparation à une logique d’anticipation.

Le titre III – l’article 4 – introduit le contrat de valorisation de l’expérience. Ce contrat, expérimenté pendant cinq ans, s’adresse aux demandeurs d’emploi âgés d’au moins 60 ans ou dès 57 ans lorsque la branche le prévoit. Il prévoit une exonération de 30 % sur la contribution patronale à l’indemnité de mise à la retraite, afin de rendre l’embauche plus attractive. C’est un signal clair au marché du travail : l’expérience a toute sa place dans l’entreprise.

Le projet de loi a été adopté au Sénat en première lecture le 4 juin, dans un esprit de respect de l’accord négocié par les partenaires sociaux. Les quelques amendements adoptés sont venus clarifier le texte sans jamais le dénaturer. Avec Nicolas Turquois, nous avons mené de nombreuses auditions qui ont confirmé un large consensus autour de ce projet. C’est pourquoi, je vous invite à faire preuve de la même rigueur et du même respect que nos collègues sénateurs : conservons l’équilibre du texte. Le travail mené par les partenaires sociaux mérite d’être transposé, sans déviation.

Je veux aussi rassurer celles et ceux qui pourraient s’inquiéter d’un texte figé : non, ce projet de loi ne clôt pas le débat, bien au contraire ; il en est le point de départ. Nous aurons d’autres occasions d’approfondir la question de l’emploi des seniors, notamment dans le cadre du prochain PLFSS, ou lors de nos futurs débats sur le travail.

En effet, la question de l’emploi des seniors ne se résume pas à un contrat ou à une visite médicale : elle interroge le sens que nous donnons au travail tout au long de la vie. Je terminerai en citant les conclusions du groupe de réflexion « Travail en commun », que j’ai eu le plaisir de coanimer en 2023, avec Dominique Potier et vous-même, madame la ministre, chère Astrid : « Depuis quarante ans, les gouvernements successifs et les partenaires sociaux ont considéré la question du travail avant tout sous l’angle de l’emploi et de la lutte contre le chômage. Mais la question du sens du travail doit être replacée au centre de nos débats. »

Ce projet de loi n’épuise pas la question. Il la structure. Il la rend visible. Il nous engage à continuer à avancer collectivement dans cette direction. Alors ne dévions pas ce texte de sa trajectoire. Votons-le dans le respect de l’accord qu’il transpose et préparons, ensemble, les prochaines étapes du débat.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Je partage la conclusion de mon co‑rapporteur Stéphane Viry sur le sens du travail. L’objet du présent texte est de transposer des accords trouvés, largement, entre organisations syndicales et patronales. Au-delà du contenu, cet accord souligne l’importance du dialogue social. Alors que notre assemblée est régulièrement bloquée par des oppositions politiques stériles, les organisations syndicales et patronales ont su trouver un accord utile pour notre pays et pour le monde du travail. Nous devons donc être à la hauteur de cet accord et ne pas en modifier les équilibres. Cela n’empêche pas d’y apporter des améliorations juridiques et techniques – c’est le rôle des rapporteurs, et, plus largement, celui du législateur –, pour donner aux conventions toute leur force : cela invite à ne rien en supprimer et à ne rien ajouter qui n’aurait été signé.

Il me revient de rapporter les titres IV à VII. D’abord, sont prévues des facilitations des aménagements de fin de carrière. Comme vous le savez, depuis la réforme des retraites de 2023, lorsqu’il refuse de faire droit à la demande du salarié de travailler à temps partiel ou à temps réduit, l’employeur doit justifier de l’incompatibilité de la durée de travail sollicitée avec l’activité économique de l’entreprise. À travers l’accord du 14 novembre 2024, les organisations représentatives sont convenues de limiter pour l’employeur les raisons d’un refus d’une demande de passage à un temps partiel. Je précise que l’accord verra aussi sa transposition faite par voie réglementaire, pour faciliter le recours à la retraite progressive, dès l’âge de 60 ans, contre 62 ans actuellement.

Il est aussi prévu que l’indemnité de départ à la retraite puisse être versée de manière anticipée à un salarié en fin de carrière qui souhaite réduire son temps de travail, pour maintenir tout ou partie de sa rémunération. Pour lever un frein au recrutement de salariés dans le cadre du cumul entre l’emploi et la retraite, il est également prévu que les personnes embauchées après l’âge permettant de bénéficier d’une retraite à taux plein se voient appliquer les dispositions relatives à la mise à la retraite d’office.

Ensuite, les partenaires sociaux reviennent sur la limitation, introduite par les ordonnances de 2017, du nombre de mandats que peut successivement exercer un délégué au comité social et économique (CSE) de l’entreprise. L’objectif du plafonnement à trois mandats était d’encourager le renouvellement des représentants du personnel. Il faut prendre acte que cela n’a pas fonctionné pour endiguer le manque de candidats et même que cela peut rompre des relations qui, pour être de qualité, mettent du temps à s’établir entre les délégués eux-mêmes, ou entre les délégués et les employeurs. Nos auditions ont montré à quel point ce retour à la possibilité d’acquérir une expérience solide en matière de droit du travail et de prévention était souhaité par les organisations syndicales et patronales.

Par ailleurs, les partenaires sociaux ont conclu une convention nationale dans le champ de l’assurance chômage, dont une partie a déjà été transposée du seul fait de son agrément par arrêté : elle requiert encore une intervention législative pour baisser de six à cinq mois la condition minimale d’affiliation antérieure au bénéfice de l’aide au retour à l’emploi pour les primo-affiliés ou primo-entrants – les personnes qui n’ont jamais été inscrites sur la liste des demandeurs d’emploi ou qui ne l’auraient pas été pendant une durée qui pourrait être de l’ordre vingt ans. Je précise que si ces deux termes de la modulation – l’activité antérieure et la période de référence sans inscription comme chômeur – correspondent à l’intention très claire des signataires de la convention, que partagent le Gouvernement, le Sénat et nous-mêmes en tant que rapporteurs, leur valeur n’est pas de rang législatif. Sur le fond, cet article est favorable aux jeunes comme aux seniors longtemps éloignés du marché du travail – en raison d’arrêts importants ou de séjour à l’étranger.

Enfin, le tout dernier article du texte ne manque pas d’originalité sur le plan procédural. Dans sa version initiale, était sollicitée une habilitation, pour l’exécutif, à simplifier par voie d’ordonnances les outils que l’État, les régions, France compétences et d’autres opérateurs gèrent dans le domaine de la formation et de la reconversion professionnelles. Ils se chevauchent en effet de manière peu efficiente, sur le plan financier mais surtout sur le plan opérationnel.

Comme vous l’avez dit avec clarté au Sénat, madame la ministre, et comme nos collègues sénatrices Anne-Marie Nédélec et Frédérique Puissat l’expliquent très bien dans leur rapport, l’exécutif ne souhaitait pas tant utiliser ce levier juridique qu’insérer dans le projet de loi une accroche pour éventuellement y faire figurer les dispositions dont sont en train de discuter les partenaires sociaux sur les sujets de la formation et des transitions professionnelles. Pensez-vous, madame la ministre, qu’un accord puisse être formalisé après‑demain ? Quelle forme prendrait alors l’amendement du Gouvernement, en vue de la séance ?

Je me réjouis de nos échanges à venir sur des sujets qui me sont chers et je forme le vœu que les dispositions dont nous parlons puissent trouver un large consensus dans notre assemblée, pour entrer en vigueur rapidement.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Thomas Ménagé (RN). Je salue à mon tour saluer la méthode retenue, celle de la transposition d’un accord national interprofessionnel qui repose sur le dialogue social et non sur une décision imposée par un ministère. Le groupe Rassemblement National considère le recours aux partenaires sociaux comme un préalable, à chaque fois que cela est possible, dans le monde du travail. C’est une question de bon sens, car personne ne connaît mieux la réalité des entreprises, des branches et des métiers que les partenaires sociaux. Cet accord, signé par une large majorité d’organisations syndicales et patronales, en est la preuve.

Pour que le dialogue social soit réellement efficace, il faut surtout que les partenaires sociaux soient libres d’évoquer les sujets qu’ils veulent, dans le périmètre qu’ils veulent, et qu’ils ne soient jamais muselés par le Gouvernement. Il y aurait un grand nombre de sujets à traiter : l’assurance chômage, la formation professionnelle, la question des salaires ou encore l’emploi des jeunes. Ma question porte sur ce dernier thème. Madame la ministre, comptez‑vous ouvrir des discussions et travailler sur la question de l’âge d’entrée sur le marché du travail, afin que nos jeunes entrent plus tôt et dans des métiers qui recrutent ?

Selon notre groupe, pour équilibrer nos systèmes de retraite, il est plus simple de demander aux Français de travailler deux ans plus tôt que deux ans en fin de carrière. Je ne peux en effet pas m’abstenir d’évoquer la réforme des retraites de 2023 : cette réforme imposée à coups de 49.3 n’a jamais été votée par cette assemblée. On ne peut prétendre traiter dignement l’emploi des seniors sans interroger cette réforme, qui pèse lourd sur ceux qui ont commencé à travailler tôt, ceux dont la santé s’abîme plus vite, sur les femmes, sur tous les grands perdants de la réforme Macron-Borne. Peu importe ce qui ressortira du conclave, un jour ou l’autre, il faudra rouvrir ce débat avec un nouveau vote, par une nouvelle majorité, avec une nouvelle présidence de la République : ce sera en 2027. Le Rassemblement national est clair auprès des Français : nous reviendrons sur cette réforme des retraites.

Mme Christine Le Nabour (EPR). En 2023, moins de six seniors sur dix étaient en emploi en France, contre sept sur dix en Allemagne, au Portugal ou en Suède. La comparaison est brutale, mais parlante : les freins à l’embauche, à la formation et au maintien dans l’emploi résultent de représentations dépassées que ce texte entend faire bouger.

Un salarié expérimenté n’est pas un salarié fatigué mais un professionnel solide, un repère, un levier de transmission. Dans une société où l’on parle sans cesse de sens au travail, de compétences et de confiance, comment pouvons-nous continuer de considérer l’âge comme un facteur d’exclusion ?

Ce projet de loi, fruit du dialogue entre partenaires sociaux, trace la voie d’un changement culturel dans l’entreprise que nous encourageons. Il s’agit non pas de brandir de nouvelles obligations, mais d’ancrer durablement le sujet des fins de carrière dans les pratiques sociales, dans les négociations collectives et dans les stratégies RH, et ce, à tous les niveaux : branches, entreprises et parcours individuels.

Certes, les mesures proposées sont parfois modestes, mais elles répondent à des attentes pressantes et sont le fruit d’un travail collectif. Par le biais du contrat de valorisation de l’expérience, de la reprise des négociations de branche ou encore de la revalorisation du temps partiel choisi, nous voulons redonner des perspectives à celles et ceux qui, trop souvent, se voient reléguer en marge du marché du travail bien avant l’âge légal de départ à la retraite.

Nous approuvons cette transposition fidèle des accords interprofessionnels, parce qu’elle traduit une conviction simple : notre pays ne pourra atteindre le plein emploi sans revaloriser l’expérience. La justice consiste aussi à permettre à chacun de terminer sa vie professionnelle avec dignité, utilité et fierté ; le groupe Ensemble pour la République votera en ce sens.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Madame la ministre, on ne va pas se mentir : ce projet de loi est la pommade de Michel Barnier après la réforme des retraites, qui n’a jamais été votée par personne – ce qui est pour le moins baroque.

La situation politique est assez étrange : vous avez succédé à Mme Vautrin comme ministre du travail et, après la censure du gouvernement Barnier, vous voici à nouveau ministre du travail, sous l’autorité de la même Mme Vautrin ! Or vous ne devriez même pas être ministre puisque vous avez perdu les dernières élections législatives.

On peut toujours essayer de revenir sur la réforme des retraites avec une petite pommade, mais ce texte ne propose que des mesures à propos desquelles l’employeur peut décider unilatéralement de faire ce qu’il veut, puisqu’aucune sanction n’est prévue. Sans compter que ce projet de loi ne prévoit rien à propos de la pénibilité ! De plus, tout en disant qu’il faut remplir les caisses, vous prévoyez des exonérations de cotisations sociales pour le CDI senior, pour corriger vos erreurs.

La vraie question consiste à se demander pourquoi autant de seniors sont sans emploi. En France, entre 500 000 et 800 000 emplois sont non pourvus alors que près de 6 millions de personnes n’ont pas de travail. Suffit-il vraiment de traverser la rue pour trouver du boulot ? Si certains ici le pensent, nous ne pourrons jamais être d’accord avec eux : notre pays fait face à une pénurie d’emplois. Revenir sur la réforme des retraites, c’est soulever à nouveau la question de sa légitimité politique.

Permettez-moi de m’adresser aussi aux socialistes : le conclave est en train de faire « pschitt » et les 12 milliards d’euros de crédits promis ont tous été annulés par décret.

Le groupe La France insoumise n’a pas vraiment de question à vous poser sur ce texte, madame la ministre ; pas plus qu’une pommade il ne résoudra le problème créé par l’imposition de la réforme des retraites par 49.3. Nous travaillons à une nouvelle motion de censure ; parce que vous vous êtes trahis sur tous les plans au sujet des retraites, nous allons vous censurer une deuxième fois et j’espère ne pas vous revoir dans cette commission, avec tout le respect que je vous dois.

Mme Océane Godard (SOC). Madame la ministre, le 19 mai dernier au Sénat, vous avez présenté l’ambition de ce texte : « [...] changer la loi, mais aussi changer les regards et les pratiques, pour en finir avec le [gâchis du] sous-emploi des plus de 50 ans ». Nous partageons ce constat et nous saluons le travail mené par les partenaires sociaux. Nous avons la responsabilité de respecter la parole collective qui a abouti à ce compromis solide, qui renforce la démocratie sociale dont nous avons tant besoin. Le groupe Socialistes et apparentés soutient donc la transposition fidèle de cet accord.

Néanmoins, ce texte laisse de côté les nombreuses entreprises qui ne seront pas couvertes par des accords de branche ou des négociations internes. Que prévoyez-vous pour elles, madame la ministre ? Comment faire en sorte que les nouveaux droits ne restent pas de simples principes ?

Ce projet de loi pose enfin un cadre clair permettant de mener une réflexion collective sur l’emploi des seniors au niveau des branches professionnelles. Nous soutenons pleinement cette ambition tant il est urgent de dépasser la vision limitée du maintien dans l’emploi. Nous ne devrions d’ailleurs pas aborder la situation des salariés expérimentés sous l’angle de l’emploi puisque c’est avant tout une question d’organisation et de conditions de travail, ainsi que de management.

Le renforcement des entretiens professionnels est une avancée, à condition que l’on y parle de travail et d’organisation du travail, pour accompagner individuellement les parcours, anticiper les besoins et lutter contre l’usure professionnelle. Leur succès dépendra de la qualité du dialogue instauré et de la capacité des entreprises, notamment les petites et les moyennes, à mobiliser les moyens nécessaires.

Nous sommes favorables aux mesures visant à aménager le temps de travail, comme la retraite progressive et le versement anticipé de l’indemnité de départ, qui permettent de proposer une transition plus sereine vers la retraite.

Lors de l’examen du texte au Sénat, les rapporteurs ont supprimé l’habilitation à légiférer par ordonnance sur les transitions professionnelles, pour éviter que le Gouvernement puisse transposer un futur accord sans débat parlementaire. Nous nous en réjouissons, parce que nous tenons à ce qu’il n’y ait pas de transposition automatique : le dialogue social élabore des compromis, que la démocratie parlementaire transforme en droit. Réinventer la vie professionnelle ne peut se faire sans débat démocratique.

Nous voterons ce projet de loi, non pour le sanctuariser, mais pour ouvrir les chantiers suivants, pour parler du travail, de son organisation, de conditions de travail et pour ne plus opposer la flexibilité à la protection des salariés.

Mme Josiane Corneloup (DR). Je salue ce projet de loi qui vise à transposer deux accords nationaux interprofessionnels relatifs à l’emploi des salariés expérimentés et au dialogue social.

Ce texte n’est pas simplement technique : il résulte d’un véritable dialogue social, exercice que nous respectons profondément incarnant à la fois la responsabilité des partenaires sociaux et l’intérêt national. Qui, mieux que les partenaires sociaux, pourrait identifier les mesures favorables au maintien dans l’emploi et au retour à l’emploi des seniors ?

Augmenter le taux d’emploi des seniors est l’un des grands défis de notre temps. L’âge ne doit pas être un facteur d’exclusion ; chacun doit pouvoir terminer sa vie professionnelle avec dignité et respect. Je fais miens vos propos, madame la ministre : il faut changer le regard et les pratiques. Le taux d’emploi des seniors ne peut plus être relégué au second plan : il doit devenir une priorité dans toute réforme du marché du travail ou du système de retraite.

En 2023, seuls 38,9 % des 60-64 ans occupaient un emploi en France, contre 50,9 % en moyenne dans l’Union européenne. Ce n’est pas qu’une statistique sociale, c’est un levier budgétaire majeur : si nous atteignions simplement le niveau de l’Allemagne, nous dégagerions près de 20 milliards d’euros supplémentaires de recettes issues des prélèvements sociaux. C’est, non pas un détail, mais une marge de manœuvre considérable pour notre modèle social.

Ce texte prévoit des outils concrets, utiles et attendus : des négociations obligatoires sur l’emploi des salariés expérimentés, le renforcement des entretiens professionnels de milieu et de fin de carrière, l’expérimentation d’un contrat de valorisation de l’expérience, l’assouplissement des conditions d’aménagement de fin de carrière – retraite progressive, cumul emploi-retraite.

Toutefois, nous serons vigilants à ce que le débat parlementaire ne permette ni le retour par la petite porte d’une réforme des retraites ni la réintroduction de mesures qui n’auraient pas été validées par les partenaires sociaux. Le respect du cadre de la négociation est fondamental.

Le groupe Droite Républicaine votera en faveur de ce projet de loi avec la conviction qu’il s’agit d’une étape importante vers une meilleure reconnaissance de l’expérience des salariés et la concrétisation d’une société du travail plus inclusive.

M. Paul Christophe (HOR). Ce texte revêt une importance particulière pour l’avenir du marché du travail et la cohésion de notre société. Alors que la France a connu depuis 2017 des avancées majeures en matière d’emploi et de formation professionnelle, notre pays reste confronté à un défi de taille : l’emploi des salariés seniors.

Les chiffres sont sans appel : en 2023, seuls 36 % des 60-64 ans sont en emploi contre 61 % en Allemagne et 70 % aux Pays-Bas. Près de 30 % d’entre eux ne sont ni en emploi ni en retraite, et la durée moyenne de chômage des plus de 55 ans excède dix‑huit mois. Ces chiffres témoignent d’une précarité subie que nous pourrions éviter.

Le présent projet de loi est le fruit d’un dialogue social exemplaire, qui a abouti à deux accords nationaux interprofessionnels, signés le 14 novembre dernier par l’ensemble des partenaires sociaux. Il vise à transposer fidèlement ces accords autour de quatre axes : renforcer le dialogue social sur l’emploi des seniors, préparer la seconde partie de carrière, lever les freins au recrutement des demandeurs d’emploi seniors, notamment grâce à la création du contrat de valorisation de l’expérience, et faciliter les aménagements de fin de carrière.

Le groupe Horizons & Indépendants votera résolument ce texte, qui respecte l’équilibre trouvé par les partenaires sociaux dans un contexte de vieillissement démographique et de transition économique rapide. Toutefois, si nous saluons la méthode privilégiant la concertation et la confiance, nous serons néanmoins vigilants à ce que ce texte demeure fidèle à l’esprit et à la lettre des accords, sans surtransposition ni dénaturation. Je pense notamment à l’article 10, qui, dans sa version initiale, prévoyait une habilitation à légiférer par ordonnance sur les transitions professionnelles, disposition finalement supprimée par le Sénat. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser votre position à ce sujet et nous indiquer si le Gouvernement entend proposer une nouvelle rédaction, le Parlement ne pouvant prendre l’initiative du rétablissement de cet article ?

M. Paul-André Colombani (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires continue de penser que le Gouvernement a pris le problème à l’envers en reculant l’âge légal de départ à la retraite alors que le taux d’emploi des seniors n’est pas bon.

Nous soutiendrons le rétablissement d’une obligation formelle de négociation sur l’emploi des seniors au niveau des branches et des entreprises, comme nous l’avons fait à de nombreuses reprises, mais pourquoi ne pas prévoir un mécanisme de sanction en cas d’absence d’accord ?

Les entretiens professionnels seront mieux articulés, grâce aux visites médicales de milieu de carrière et de fin de carrière, mais ces nouveaux rendez-vous demandent du temps et du personnel, que la pénurie de médecins du travail ne permettra pas de fournir.

Nous sommes plus dubitatifs sur le contrat de valorisation de l’expérience, puisqu’il est possible de mettre un salarié à la retraite dès lors qu’il est en mesure de la prendre à taux plein ; nos doutes portent également sur l’exonération de cotisation sur l’indemnité de mise en retraite. Les seniors sont nettement plus vulnérables aux accidents et aux maladies et 37 % des salariés ne se sentent pas capables de travailler jusqu’à leur retraite. Cela montre l’importance d’aménager les fins de carrière, en donnant notamment la possibilité de réduire le temps de travail et de mobiliser des dispositifs comme la retraite progressive. Notre groupe avait aussi proposé d’abaisser la condition d’âge à 57 ans ; l’annonce du Gouvernement de la remettre à 60 ans est une première étape.

Au-delà des mesures relatives au dialogue social et à l’accès facilité à l’assurance chômage, nous promouvons la reprise des dispositions de notre proposition de loi visant à protéger l’assurance chômage et à soutenir l’emploi des seniors, adoptée avant la dissolution, afin de rendre moins contraignant le document de cadrage. Si nous soutenons la transposition fidèle d’accords nationaux interprofessionnels importants, alors que le Gouvernement avait pris l’habitude de contourner le paritarisme, nous ne devons pas faire l’impasse sur ce débat essentiel dont nous avons toujours été privés.

M. Sébastien Peytavie (EcoS). Vous réparez les pots cassés, mais vous les réparez mal : quel dommage !

Nous avions donné l’alerte sur les conséquences désastreuses de la réforme des retraites pour les salariés les plus abîmés par le travail, pour les plus précaires, pour les femmes, les plus âgées. Nous avions aussi proposé des mesures portant sur la question précise de l’emploi des seniors, véritable angle mort de la réforme.

Il y a deux ans déjà, nous remarquions votre politique contradictoire visant à repousser l’âge de départ à la retraite sans vous préoccuper de la précarité des seniors exclus du marché du travail. En France, à 62 ans, 40 % des personnes qui ne sont pas encore à la retraite ne sont déjà plus en emploi et sont davantage exposées à la précarité. Quant à ceux qui restent en emploi, c’est souvent dans de mauvaises conditions. Le report à 64 ans a des effets similaires, plaçant 200 000 personnes supplémentaires dans le sas de précarité, pour une hausse de l’emploi des seniors estimée à environ 300 000 par Michaël Zemmour.

Nous souscrivons à l’objectif d’amélioration du taux d’emploi des seniors de ce projet de loi, mais comment peut-on appréhender le sujet ô combien important de l’employabilité des seniors en faisant l’impasse sur la question de la santé au travail ?

Le groupe Écologiste et Social reconnaît quelques avancées : la suppression de la limite du nombre de mandats successifs des délégués du personnel au CSE et la réintroduction de l’obligation de négocier sur l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés, malgré l’absence de sanctions en cas de non-application. Cette dernière mesure est toutefois une avancée en demi-teinte : sa suppression par les ordonnances Macron de 2017 a donné lieu à une dégradation du climat social dans les entreprises et à l’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans, passé de 312 000 en 2008 à 809 000 fin 2022 et à 868 000 au quatrième trimestre 2024. La santé au travail ne fait pas l’objet d’un plan doté de moyens massifs à la hauteur de l’enjeu, alors que dans le même temps, on ne compte plus les cadeaux faits aux entreprises.

Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste et Social défendra des amendements pour améliorer les conditions de travail et d’emploi des seniors, mais s’abstiendra sur l’ensemble du texte.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Didier Le Gac (EPR). Ce projet de loi nous permet d’examiner les difficultés auxquelles nous sommes confrontés pour faire croître significativement le taux d’emploi des seniors. S’il vise à créer un contrat de valorisation de l’expérience, il met aussi l’accent sur la formation des salariés seniors, dont les besoins doivent être identifiés aussi tôt que possible, notamment grâce à l’entretien de mi-carrière. Ce dispositif peut contribuer à orienter les salariés qui le souhaitent vers un autre métier, moins pénible.

Mais pour que les salariés soient bien formés, il faut des organismes de formation. Permettez-moi, madame la ministre, de profiter de votre audition ce jour pour vous interroger au sujet de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), qui a déjà connu une grave crise il y a quelques années et qui se trouve à nouveau en difficulté.

Les salariés de cet organisme très présent sur l’ensemble du territoire – neuf centres et 380 salariés dans ma seule région de Bretagne – s’inquiètent des décisions qui pourraient être prises dans les prochaines semaines, mettant un terme à leur carrière. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour préserver l’avenir de cet acteur historique de la formation et de la reconversion professionnelle ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Je voudrais formuler une remarque et deux questions.

Tout d’abord, je suis attaché à la démocratie sociale, qu’il faut chérir et respecter. Mais permettez-moi de vous faire part du malaise du parlementaire que je suis à chaque fois qu’il s’agit de transposer un ANI. Si nous sanctuarisons la démocratie sociale, nous aliénons dans le même temps notre faculté à aller plus loin, de manière interstitielle, pour compléter et enrichir le travail des partenaires sociaux.

Je regrette que sur un texte consensuel, le Gouvernement n’ait pas saisi l’occasion de prendre d’autres mesures relatives à l’emploi des seniors. La démocratie parlementaire aurait pu être utilement complémentaire de la démocratie sociale. Je regrette l’impuissance que nous nous assignons à nous-mêmes.

Par ailleurs, l’un des objectifs de l’augmentation du taux d’emploi des seniors est l’amélioration des finances publiques. Or cet objectif n’a pas été chiffré dans l’étude d’impact, qu’il s’agisse de son effet sur la croissance ou des montants des cotisations supplémentaires pour la sécurité sociale, en particulier pour la branche vieillesse.

Enfin, je me réjouis des dispositions relatives à la retraite progressive et de la sortie de la règle des deux années et de l’abaissement de l’âge à 60 ans. Cependant, cette faculté demeure soumise à l’autorisation de l’employeur. Quel est votre avis, madame la ministre, sur la possibilité de créer un droit opposable à la retraite progressive, qui pourrait figurer dans un texte soumis au Parlement à la suite du conclave sur les retraites ?

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Nous devons augmenter le taux d’emploi des seniors, par le biais du dialogue social et de discussions au sein des branches. Mais comment accélérer la prise en considération du travail des seniors par les chefs d’entreprise, au-delà des efforts menés en ce sens par France Travail ?

Nous avons voté l’instauration de consultations de prévention, à des âges clefs de la vie. Les médecins généralistes qui les effectuent, ainsi que les médecins du travail, devraient pouvoir tenir compte des éléments relatifs aux conditions de travail de leurs patients et contacter leurs employeurs à ce sujet.

La loi reste nécessaire, mais il nous faut avant tout changer d’état d’esprit quant aux capacités de certains salariés à poursuivre leur activité pendant encore plusieurs années et quant à leur possibilité de suivre une formation pour se réorienter. Sans ce changement d’état d’esprit, nous ne parviendrons pas à faire émerger une véritable prise de conscience de l’état de santé des salariés en fin de carrière.

M. Frédéric Petit (Dem). Au nom du groupe Les Démocrates, je tiens à saluer la volonté du Gouvernement de transposer fidèlement les différents accords conclus entre partenaires sociaux sur le dialogue social, l’accès à l’assurance chômage et l’emploi des seniors.

La comparaison avec l’Allemagne, qui se trouve dans ma circonscription, est riche d’enseignements. Nous accusons un retard préoccupant en matière d’insertion sur le marché du travail des personnes en fin de carrière : seuls 39 % des personnes entre 60 et 64 ans sont en emploi en France, contre 51 % en moyenne en Europe et 65 % en Allemagne – l’écart est énorme. Je n’ai pourtant pas l’impression d’être dans une prison ou un pays sous-développé lorsque je suis en Allemagne.

De plus, l’augmentation de la population active est essentielle à la soutenabilité de notre modèle ; certaines études évoquent 150 milliards d’euros de recettes supplémentaires, ce qui équivaut aux budgets de l’éducation nationale et de la défense réunis.

Outre-Rhin, de nombreux patrons sont passés par l’apprentissage et on constate une plus grande capacité d’évolution et de plus fréquentes trajectoires ascendantes, quoique pas nécessairement rectilignes ou circonscrites à une même entreprise. Au-delà de l’exemple allemand, nous pouvons nous inspirer des différents travaux de l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui témoignent de l’importance des politiques publiques dites incitatives en matière d’emploi, à savoir le durcissement de l’assurance chômage et le relèvement de l’âge de départ à la retraite.

Nous nous réjouissons de l’instauration des rendez-vous professionnels de milieu et de fin de carrière, prévus à l’article 4. Toutefois, madame la ministre, quelle ambition pourrions-nous avoir, au-delà de l’application de ce texte, pour changer d’état d’esprit, comme vient de le suggérer Mme Dubré-Chirat, et aller vers quelque chose de beaucoup plus positif ?

M. Gaëtan Dussausaye (RN). Il a été beaucoup question de démocratie sociale, de dialogue social et de décisions collégiales entre partenaires sociaux. Toutefois, il y a un décalage entre les discours et les décisions concrètes prises par la Macronie depuis huit ans. En matière de démocratie sociale, nous avons vu successivement un passage en force de la réforme des retraites en 2023, contre l’avis de la majorité des parlementaires et des partenaires sociaux, puis un conclave sur les retraites dont tous les échanges ont été conditionnés à l’absence de remise en cause de l’âge légal de départ. Derrière les intentions affichées, le dialogue social n’est pas au beau fixe en Macronie.

Par ailleurs, l’emploi des seniors ne relève pas uniquement d’une dimension sociale ou d’un enjeu d’employabilité. J’en conviens, il est préférable d’adapter l’emploi aux demandeurs plutôt que l’inverse, mais il n’en demeure pas moins vrai que le sujet fondamental est la création d’emplois. Combien de personnes, après 50 ans, se retrouvent sur le carreau parce que leur usine a fermé ? Après avoir travaillé quinze ou vingt ans dans la même entreprise, il n’est pas évident de retrouver un emploi, notamment pour des raisons d’employabilité. Si vous voulez aborder la dimension sociale du travail, peut-être devriez‑vous tirer les leçons des réformes qui ont été appliquées.

À cause de la réforme de l’assurance chômage et de celle des retraites, des Français de plus de 50 ans sont restés particulièrement longtemps en dehors du travail et de la retraite, dans une situation de précarité. Plutôt que d’invoquer la responsabilité des employeurs, il est temps de se pencher sur la responsabilité des décisions politiques, en particulier macronistes.

Mme la ministre. Permettez-moi une remarque liminaire générale, avant que je m’efforce de répondre à vos questions.

On a souvent eu tendance à opposer le taux d’activité des jeunes à celui des seniors, comme si l’amélioration de l’un se faisait au détriment de l’autre. Cette erreur, propre à la France, a été commise par la gauche comme par la droite depuis les années 1970. Diverses mesures, comme les départs en préretraite, ont été prises pour faciliter l’entrée des jeunes sur le marché du travail ; pourtant, le taux d’activité des personnes entre 60 et 64 ans est moitié moins important en France qu’en Allemagne, comme l’a rappelé M. Frédéric Petit, et celui des jeunes de 15 à 24 ans est de 42 %, contre 54 % en Allemagne. Comme le montrent les exemples de l’Allemagne et des pays d’Europe du nord, il n’existe pas de vases communicants : nous devons améliorer ces taux aux deux extrémités de la vie active.

Je préfère parler de travailleurs expérimentés plutôt que de seniors, pour éviter toute confusion avec les résidences seniors ; de même, je préfère parler de la valorisation de leur expérience, qui a de la valeur sur le marché du travail comme dans la vie.

La situation des travailleurs de plus de 50 ans agit comme un miroir grossissant des dysfonctionnements du marché du travail tout au long de la vie, au premier rang desquels se trouve la discrimination. Comme l’a montré la Défenseure des droits, la discrimination sur le fondement de l’âge est plus importante sur le marché du travail : un demandeur d’emploi de plus de 50 ans a deux à trois fois moins de chance d’être convoqué à un entretien d’embauche qu’un demandeur d’emploi de moins de 50 ans.

Elle est aussi un miroir grossissant s’agissant de la formation professionnelle ; c’est pourquoi nous avons demandé aux partenaires sociaux de travailler en particulier sur les transitions et les reconversions. L’accès à la formation des salariés de plus de 50 ans est presque divisé par deux par rapport à celui des autres salariés : le taux de formation des salariés de 55 à 64 ans s’élève à 35 %, contre 57 % pour les moins de 44 ans et contre 60 % pour les plus de 55 ans en Suède.

Nous avons là, par ailleurs, un miroir grossissant des dysfonctionnements en matière de santé au travail, comme l’a dit M. Peytavie. Certains métiers sont surreprésentés : un tiers des ouvriers non qualifiés de la manutention et du bâtiment passent en inaptitude professionnelle entre 51 et 59 ans, de même que 25 % des aides-soignantes.

La situation se cristallise vraiment à partir de 50 ou 55 ans – j’y reviendrai – en matière de maintien au travail ou de recrutement. Quand on a plus de 50 ans, la durée moyenne d’inscription à France Travail est de 582 jours, contre 311 jours pour les 25‑49 ans. Les chômeurs de longue durée sont ainsi surreprésentés parmi les plus de 50 ans.

Je suis d’accord avec l’idée selon laquelle la loi ne suffit pas. Le ministère du travail a néanmoins lancé une immense mobilisation en lien avec les entreprises pour changer la loi, afin d’améliorer ce qui peut l’être dans le cadre du dialogue avec les partenaires sociaux. Il ne s’agissait pas de leur passer de la pommade. Je rappelle que 75 % des organisations syndicales et 100 % des organisations patronales ont voté pour l’accord relatif aux seniors, ce qui n’est pas rien en matière de représentativité.

Il faut aussi changer les pratiques. De plus en plus d’entreprises, de toutes tailles, s’intéressent à ces questions. Nous avons engagé un travail avec l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), les organisations patronales et les organisations professionnelles pour valoriser les bonnes pratiques des entreprises, petites ou grandes, en matière de recrutement, de maintien en emploi, de mobilité et de formation.

Enfin, on doit changer les regards. La révolution culturelle viendra de là. Nous nous sommes tous habitués, depuis quarante ans, à penser qu’on n’a plus tout à fait sa place dans l’entreprise après 50 ou 55 ans. Un travail de très longue haleine doit être mené à cet égard.

Monsieur Ménagé, vous m’avez interrogée sur les jeunes. Je ne veux pas opposer – mais je ne pense pas que vous le fassiez de votre côté – leur taux d’activité et celui des travailleurs expérimentés. Je travaille en ce moment même à une stratégie pour l’insertion professionnelle des jeunes. Leur taux d’activité, je l’ai dit, est plus bas en France qu’en Allemagne, et surtout leur insertion professionnelle est plus lente et plus difficile, quel que soit le niveau de qualification. Selon une étude du Conseil d’analyse économique, le taux d’activité des jeunes diplômés qui arrivent entre 22 et 24 ans sur le marché du travail met un ou deux ans à être comparable à ce qu’on observe au Royaume‑Uni ou en Allemagne. C’est une vraie question, qui nécessitera une mobilisation des entreprises – cela ne relève pas seulement de la loi – et je m’y emploie. Passer quatre entretiens pour un simple stage, ce n’est pas possible !

Madame Godard, si les partenaires sociaux ont retenu un seuil de trois cents salariés, c’est qu’il s’agit du niveau auquel s’imposent les dispositions relatives à la gestion des parcours et des compétences. Les entreprises de plus petite taille seront néanmoins rattrapées par la patrouille si elles ne veulent pas elles-mêmes prendre le sujet en main. D’abord, le texte impose aux branches de traiter la question tous les trois à quatre ans. Il y a, ensuite, toute la mobilisation que nous avons lancée avec le ministère du travail, les organisations patronales, « Les entreprises s’engagent » et l’ANDRH. Dans toute la France, une vingtaine d’événements ont été organisés pour échanger sur les bonnes pratiques et montrer que la question des travailleurs expérimentés, qu’il s’agisse du maintien en emploi ou du recrutement, concerne l’ensemble des entreprises.

En ce qui concerne les retraites progressives, je vous remercie pour vos encouragements. Ce dispositif, très prometteur, est très largement sous-utilisé en France. Si le taux d’activité des travailleurs expérimentés s’approche de 70 % en Suède, il y a derrière beaucoup de retraites progressives, en réalité – beaucoup plus, en tout cas, que nos actuels 0,5 %.

Monsieur Guedj, la question de l’opposabilité a fait l’objet de discussions entre les partenaires sociaux, mais ils n’ont pas nécessairement trouvé un point d’équilibre en la matière – en tout cas ils n’ont pas trouvé de compromis, même pour une durée d’un jour.

M. Jérôme Guedj (SOC). Et vous, qu’en pensez-vous ?

Mme la ministre. J’ai été une femme d’entreprise : quand une personne demande à bénéficier, dans un délai de six mois, d’une retraite progressive, c’est un signal. L’employeur doit s’adapter pour l’entendre, sinon ce sera concrètement compliqué en matière d’organisation du travail. Mais je suis également sensible à la négociation et à la question du point d’équilibre. Ce qui était important, plus que l’opposabilité, c’était de passer à quatre ans au lieu de deux avant l’âge légal de départ à la retraite et de demander à l’employeur de justifier un éventuel refus, ce qui peut enclencher une discussion.

S’agissant des transitions et reconversions professionnelles, je suis totalement à l’aise avec le fait d’enlever du texte la transposition d’un futur accord par ordonnance – j’en ai discuté avec les rapporteures du Sénat. L’idée est néanmoins de garder à l’article 10 une accroche pour embarquer un accord si les négociations sont conclusives. Nous procéderons exactement de la même façon qu’aujourd’hui, dans des délais plus restreints mais en consultant les partenaires sociaux ainsi que les députés et les sénateurs qui s’intéressent à la question, afin de nous assurer de la fidélité de la transposition à l’esprit de la négociation.

Monsieur Peytavie, vous avez parlé d’impasse sur la santé. Je crois, pour ma part, aux entretiens de mi-carrière, à 45 ans, qui associent une visite médicale et un entretien relatif aux compétences. Cette approche globale, qui est franchement neuve en France, permettra de décider, en partant des compétences et de l’état de santé, soit d’un aménagement de poste soit d’une reconversion – il y aura des éléments concrets pour se poser ces questions. Certes, cela ne répondra pas à la problématique des moyens de la médecine du travail, mais on voit déjà que le nombre d’entretiens de mi-carrière a doublé à la suite de la conclusion, en 2021, de mémoire, d’un accord national interprofessionnel portant sur la santé au travail, et que les visites médicales de mi-carrière se font vraiment en partenariat entre la médecine du travail et les infirmiers et infirmières – il existe vraiment un bon niveau de délégation en la matière. Il faut naturellement continuer à avancer, mais je vois le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide : on considère maintenant la mi-carrière comme un rendez-vous important aussi bien en matière de santé que de compétences.

Monsieur Le Gac, l’Afpa joue un rôle absolument essentiel, en particulier pour l’emploi des seniors. Des expérimentations valent vraiment la peine d’être déployées au niveau national, comme celles qui se déroulent dans l’Aveyron. J’entends l’inquiétude des salariés de l’Afpa. Sa situation économique, actuellement difficile, nécessite que des mesures de rationalisation et de redressement soient prises. Nous recevrons jeudi l’intersyndicale pour échanger au sujet de la construction du futur contrat d’objectifs et de performance 2026‑2029, qui se poursuivra avec la gouvernance de l’Afpa en vue d’un aboutissement à la rentrée. L’Afpa a mis en place des dispositifs alliant de l’individuel et du collectif, des formations courtes, professionnalisantes, et une mise en application en entreprise, qui marchent pour les seniors. France Travail est en train de s’en inspirer pour développer des dispositifs plus globaux, portant sur l’ensemble du territoire.

Monsieur Guedj, vous avez eu tout à fait raison de parler de l’étude d’impact. Le deuxième rapport remis par la Cour des comptes dans le cadre de la délégation paritaire permanente, en avril 2025, a repris un certain nombre d’études montrant à quel point la question des retraites était liée à celle du taux d’activité des plus de 55 et 60 ans. Selon une modélisation purement théorique de la direction générale du Trésor, qui a été reprise par la Cour des comptes et le Haut Conseil du financement de la protection sociale, l’alignement du taux d’emploi des seniors français sur celui des seniors allemands, c’est-à-dire le passage d’un taux d’activité de 37 % à 61 % entre 60 et 64 ans, se traduirait, hors ajustement du temps de travail, par la création de 3,6 millions d’emplois, soit plus du double de la hausse observée depuis la crise sanitaire. Une augmentation du taux d’emploi d’environ 4 points aurait un impact positif majeur sur les finances sociales : le PIB pourrait croître de quelque 3 %, ce qui se traduirait par 15 milliards d’euros supplémentaires pour la protection sociale. Au total, cette hausse du taux d’emploi pourrait entraîner une augmentation des prélèvements obligatoires perçus par toutes les administrations publiques d’environ 38 milliards d’euros, les personnes en activité cotisant et payant des impôts. Ces chiffres ont été fournis à titre indicatif – ils doivent naturellement être considérés avec prudence compte tenu des hypothèses et des limites de l’analyse – mais ils montrent qu’une augmentation du taux d’activité des plus de 55 ans aurait un véritable impact macroéconomique, au-delà de la question fondamentale, du questionnement existentiel que peuvent se poser nos compatriotes de 55 ou 60 ans – et auquel vous êtes tous confrontés, en tant que députés de terrain – quant à leur place sur le marché du travail.

J’en profite pour apporter une précision. On évoque souvent les 55-64 ans. Or il faut désormais dissocier les 55-59 ans et les plus de 60 ans. S’agissant des premiers, nous avons beaucoup progressé puisque leur taux d’emploi se situe maintenant 1 point au-dessus de la moyenne européenne. C’est à partir de 60 ans que nous avons vraiment des marges de progrès : le taux d’activité est de 37 %, soit 13 points de moins que la moyenne européenne et presque deux fois moins que dans les pays d’Europe du Nord.

En ce qui concerne l’état d’esprit, madame Dubré-Chirat, je vous rejoins totalement. Il faut aussi une déconstruction des regards : avoir de l’expérience et de la bouteille a de la valeur – je pense d’ailleurs que vous n’êtes plus les mêmes, en tant que députés, qu’au moment de votre élection. Il faut faire passer ce message auprès des entreprises, même si elles en sont déjà conscientes. Il faut aussi se rendre compte que les aspirations des travailleurs de plus de 55 ans peuvent être très différentes : certains ont envie d’être à temps partiel, parce qu’ils sont des aidants familiaux ou désirent s’impliquer dans une association, d’autres souhaitent participer à la transmission des savoirs, quand d’autres encore veulent continuer leur activité. Les entreprises qui ont vraiment gagné leur pari en la matière – je n’en citerai pas, mais j’en ai rencontré un certain nombre – sont celles qui ont été capables d’appréhender les aspirations multiples des travailleurs expérimentés.

S’agissant de la France et de l’Allemagne, dont Frédéric Petit a beaucoup parlé, je ne reviens pas sur la question du différentiel entre les deux pays. En revanche, je tiens à souligner qu’on peut être très bon pour le taux d’activité des jeunes comme pour celui des travailleurs de plus de 55 ans. Pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ? Je me rendrai le 1er juillet à Berlin, avec Catherine Vautrin, pour rencontrer la ministre allemande du travail, ancienne présidente social-démocrate du Bundestag, en compagnie d’une délégation de huit organisations patronales et syndicales, qui rencontreront leurs homologues d’Allemagne. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres, que ce soit au sujet de défis qui sont les mêmes en France et en Allemagne, comme le vieillissement de la population, l’insertion des jeunes et l’impact de l’intelligence artificielle, ou de questions comme celle relative à l’industrialisation.

Monsieur Dussausaye, vous avez salué le dialogue social. Je ne suis ministre du travail que depuis septembre, mais j’ai eu la chance d’avoir comme premiers ministres M. Michel Barnier et M. François Bayrou, qui, malgré des différences de parcours et d’histoire sur le plan politique, sont très attachés, comme moi, au dialogue social. Cette question dépasse les clivages : il s’agit, d’abord, de croire à la capacité des syndicats et du patronat à agir, à tous les niveaux et à tous les échelons, en étant force de proposition et en créant du compromis au plus près du terrain. Un très important accord concernant la branche AT‑MP a ainsi été conclu avant 2024, de même qu’un accord, lui aussi majeur, sur le partage de la valeur et un autre sur la santé au travail, qui date de 2021. Je suis une ministre du travail qui croit au dialogue social. Outre la transposition, importante, qui vous est proposée avec ce texte, nous verrons ce que donnent la délégation paritaire permanente et la discussion sur les reconversions, dont les partenaires sociaux attendent beaucoup.

M. le président Frédéric Valletoux. Merci, madame la ministre, pour votre présentation du texte et vos réponses à toutes les questions qui vous ont été posées.

 

La réunion est suspendue de dix-huit heures vingt à dix-huit heures trente.

 

 

Présidence de Mme Josiane Corneloup, secrétaire de la commission

La commission examine ensuite le projet de loi, adopté par le Sénat, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social (n° 1526) (M. Nicolas Turquois et M. Stéphane Viry, rapporteurs)

Titre Ier Renforcer le dialogue social sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés

Article 1er : Création d’une négociation obligatoire sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés au niveau des branches

Amendement AS28 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le projet de loi ne nous paraît pas aller assez loin sur de nombreux points. Cet amendement consensuel – nous savons que d’autres, en revanche, ne passeront pas – demande que l’accord de branche « comporte » et non « peut comporter » un plan d’action type. Quand on parle d’emploi des seniors, c’est de discriminations qu’il est question – même la ministre l’a dit. Il ne s’agit pas seulement de comportements individuels, qu’il faudrait réprimer, mais d’une dynamique collective. Si on s’exprime de manière conditionnelle, en ne fixant aucune obligation, on n’arrivera pas à avancer.

M. Stéphane Viry, rapporteur. La transcription d’un ANI est toujours un exercice particulier. Un tel accord est par nature le résultat d’un cheminement des partenaires sociaux. S’agissant des textes dont nous discutons, ils se sont mobilisés en cherchant vraiment une convergence. Ils ont suivi une approche très collective et ma ligne, en tant que rapporteur, même si je pourrais être d’avis que nous pourrions faire autrement, pour aller un peu au‑delà, sera de jouer le jeu, comme les acteurs sociaux ont su le faire pendant plusieurs mois, comme le Gouvernement l’a également fait, en transposant fidèlement les décisions qui ont été prises, et comme le Sénat l’a fait à son tour lorsqu’il a eu à connaître du projet de loi en première lecture. J’adopterai donc une approche très prudente à l’égard de toutes les modifications qui nous sont proposées.

Pour ce qui est de l’ANI du 14 novembre 2024, les partenaires sociaux ont souhaité que l’élaboration d’un plan d’action dans les entreprises soit une faculté et non une obligation. Outre le fait que l’exposé des motifs, qui évoque des données relatives à l’emploi des seniors, est sans rapport avec l’objet de l’amendement, je trouve que celui-ci dénaturerait le texte par rapport à ce qu’était la volonté des partenaires sociaux.

Même si je comprends l’objectif visé, je ne peux émettre un avis favorable.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, je vous comprends aussi, mais si nous partons du principe qu’il s’agit seulement de retranscrire l’ANI, autant éteindre la lumière et rentrer tout de suite chez nous. Si nous débattons de ces questions à l’Assemblée nationale, c’est pour écrire la loi. Nous ne sommes pas ici pour servir l’intérêt général tel que les partenaires sociaux peuvent le voir, mais en agissant en tant que représentants du peuple français.

Ce texte comporte beaucoup de dispositions facultatives ou optionnelles. S’agissant d’un sujet aussi structurel, nous n’avons pas à faire ce que les partenaires sociaux ont estimé bon dans le cadre d’une négociation entre syndicats et patronat. Ne nous plaçons pas uniquement de leur point de vue : suivons l’intérêt général. Si nous ne rendons pas certaines dispositions obligatoires, le dispositif ne sera pas opérationnel et ne servira donc pas les personnes que nous prétendons défendre. Votre posture ne correspond pas à ce que l’on peut attendre de l’Assemblée nationale, qui doit légiférer au nom de l’intérêt général.

Le texte, par exemple, ne comporte pas d’objectifs chiffrés. Je comprends qu’on fasse appel à la bonne volonté, mais ce n’est pas le rôle de la loi. Si votre réponse, monsieur le rapporteur, doit être à chaque fois qu’il s’agit simplement de retranscrire un ANI, alors il ne sert à rien d’étudier le texte au sein de la commission des affaires sociales. Je suis sûr que vous pouvez comprendre ce que je dis.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Je le comprends très bien, en effet. Vos nombreux amendements nous permettront de débattre de ce que vous auriez aimé voir dans cet accord, qui est pour moi, je le répète, le résultat d’un cheminement et d’une maturation. Malgré leurs divergences structurelles, les partenaires sociaux ont réussi à s’engager dans un parcours commun.

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS26 et AS27 de M. Louis Boyard (discussion commune)

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Le premier amendement prévoit une obligation de négociation quadriennale dans les entreprises de plus de cinquante salariés, au lieu de trois cents. Cela permettrait d’inclure 4,5 millions de salariés supplémentaires et de garantir que l’ensemble des seniors, et pas uniquement ceux des très grandes entreprises, sont concernés. On sait que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) de moins de cinquante salariés n’ont pas la capacité de mener de telles négociations, mais au‑delà de ce seuil les entreprises sont dotées des structures syndicales nécessaires.

L’amendement suivant est de repli. Il tend à porter le seuil à 250 salariés, conformément aux critères en usage à l’échelle européenne, y compris du côté de la Commission. Nous aurons ainsi une meilleure lecture de ce qui se passe dans les entreprises, puisqu’il s’agit du seuil retenu en matière d’emploi des seniors.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Je me suis interrogé sur la portée de ces amendements. Il m’a semblé, tout d’abord, qu’ils se rapportaient davantage à l’obligation de négociation dans les entreprises et que, sur le fond, ils concernaient plutôt l’article 2 du projet de loi, raison qui me conduirait à émettre une demande de retrait. Par ailleurs, je crains que les amendements ne produisent pas l’effet que vous souhaitez. Ils seraient restrictifs, car ils limiteraient la possibilité de recourir au plan d’action défini au niveau de la branche aux seules entreprises de moins de cinquante salariés, s’agissant du premier amendement, ou de moins de 250 salariés, s’agissant de l’amendement suivant. Nous n’irions donc pas dans la bonne direction.

Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS62 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Il faut rappeler le contexte politique : à son arrivée, lorsqu’il a fait sa déclaration de politique générale, M. Barnier a décidé de passer un peu de pommade au sujet de la réforme des retraites, qui a accentué les difficultés des seniors, et on a donc abouti à cet ANI.

J’entends dire qu’il faudrait respecter les partenaires sociaux, mais pardon : la situation dans laquelle nous nous trouvons résulte notamment du fait qu’ils n’ont pas été respectés, pas plus que le peuple français. Quand tout le monde était dans la rue contre la réforme des retraites, les grands discours de morale sur le respect des partenaires sociaux n’étaient pas à l’ordre du jour. La réforme et ses conséquences ont été imposées.

Cet amendement de bon sens vise à corriger l’erreur qu’a été la réforme des retraites en prévoyant des objectifs de progression chiffrés, qui seront transmis à l’autorité administrative, afin d’atteindre, à terme, une proportion de 15 % de seniors dans les entreprises. Vous ne pouvez pas tenir un double discours en nous demandant, d’une part, de respecter les partenaires sociaux alors que vous ne l’avez pas fait à l’époque et, d’autre part, de ne pas prévoir d’obligation alors que c’est précisément ainsi que vous avez procédé quand il s’agissait de faire travailler les seniors plus longtemps.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Vous avez dit, dans votre prise de parole initiale, vouloir muscler le texte. Pour ma part, je m’efforce de transposer le plus fidèlement possible l’accord conclu entre les partenaires sociaux, considérant qu’il constitue une première brique, qui va dans le sens de l’intérêt général. Cet accord vise non pas à fixer un cadre rigide et uniforme pour tous, mais à instaurer une obligation de négociation collective, branche par branche, afin de tenir compte des spécificités professionnelles et d’insuffler plus de respiration et de pragmatisme. Je ne peux donc qu’émettre un avis défavorable sur votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS32 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Une négociation au terme de laquelle l’employeur peut décider, de manière unilatérale, de faire ce qu’il veut n’est pas un dialogue social constructif ! C’est plutôt un mauvais remake de la réforme des retraites, laquelle nous a placés dans cette situation. En définitive, nous ne sommes ici que pour jouer le rôle d’une chambre d’enregistrement.

En effet, l’article 1er indique, en son alinéa 9 : « Si à l’issue d’une négociation sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés » – le mot pénibilité n’apparaît même pas ! – « en considération de leur âge, avec les organisations syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise, un accord collectif n’a pu être conclu, l’employeur peut l’appliquer au moyen d’un document unilatéral après avoir informé et consulté le comité social et économique [...] ».

Je vous propose donc de prendre les choses à rebours : si vous voulez vraiment aboutir à un dialogue social constructif, dans lequel tout le monde se mettra autour de la table pour trouver un compromis, soutenez cet amendement, monsieur le rapporteur ! Car, j’y insiste, on ne peut pas parler de dialogue constructif lorsqu’une partie peut décider de tout, toute seule.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Les partenaires sociaux sont convenus qu’en l’absence d’accord collectif, l’employeur pourrait, par décision unilatérale, appliquer le plan d’action. Fruit d’une négociation menée au niveau de la branche professionnelle, ce dernier traduit la volonté conjointe des représentants des employeurs et des salariés. Il est donc positif et ne signifie nullement que l’employeur décidera de tout, tout seul ; il ne s’agit ni d’un oukase ni d’une décision subjective de sa part. C’est en cela que nos interprétations divergent : je considère que le plan d’action constitue une avancée concrète en faveur de l’emploi des seniors dans l’entreprise.

Or votre amendement n’instaure pas un droit de veto, comme vous l’indiquez dans l’exposé sommaire, mais supprime la possibilité pour l’employeur d’appliquer, en l’absence d’accord collectif, le plan d’action défini par la branche. Il est donc excessif. C’est pourquoi, au-delà de ma volonté exprimée jusqu’à présent de transposer fidèlement l’ANI – comme un gardien du temple –, je suis en profond désaccord avec cet amendement.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Gardons à l’esprit toutefois qu’à défaut d’accord, il sera facile à l’employeur d’établir un plan d’action, liste de beaux mots et de vœux pieux, sans aucune action ni réalité derrière, comme cela s’est déjà produit dans le passé. J’en veux pour preuve l’égalité salariale entre les hommes et les femmes : alors que chaque entreprise doit tout mettre en œuvre pour atteindre l’égalité, nous en sommes encore loin – au rythme actuel, il faudra plus de quatre cents ans pour que, à compétences égales, les salaires des femmes rattrapent enfin ceux des hommes.

Pourquoi ne pas introduire des mesures coercitives, sachant que les employeurs ne sont pas tous de bonne foi, en particulier lorsqu’ils n’ont pas de contraintes ? D’ailleurs, le risque c’est que l’employeur ne trouve jamais d’accord qui le satisfasse, d’autant qu’il aura ensuite le pouvoir de décider seul et d’appliquer sa volonté, laquelle sera minimale puisque aucune contrainte ne pèse sur lui.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS83 de M. Stéphane Viry.

Amendement AS29 de M. Louis Boyard

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous poursuivons la même dynamique : en instaurant des sanctions financières, nous voulons contraindre les employeurs à se montrer plus volontaires dans leur démarche d’emploi des seniors. Le but est que ce projet de loi ne fasse pas pschitt à l’arrivée.

M. Stéphane Viry, rapporteur. J’observe que les partenaires sociaux se sont entendus sur une obligation de négociation dans les entreprises de plus de trois cents salariés et n’ont pas retenu l’option d’une pénalité financière qui serait, par ailleurs, susceptible d’affaiblir la qualité du dialogue social en plaçant la négociation sous contrainte. Or votre amendement en change fondamentalement la philosophie, en transformant l’obligation de négocier en obligation de conclure un accord, ce qui dépasse très largement ce dont les partenaires sociaux sont convenus. Compte tenu de ma volonté de m’en tenir à la transposition de l’ANI, je ne peux pas émettre un avis favorable à votre amendement.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Si vous voulez vraiment favoriser l’emploi des seniors et le développement des plans d’action dans les entreprises, arrêtez d’avoir une vision angélique des employeurs. Certes, certains d’entre eux font bien les choses, appliquent les règles, voire les anticipent. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous. Les entreprises du CAC40, par exemple, qui réalisent des milliards de bénéfices et distribuent des dividendes à leurs actionnaires, augmentent leurs salariés d’à peine 1 %, soit bien en deçà du taux de l’inflation. Pourtant, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, elles devraient faire preuve de bonne foi et proposer une répartition plus équilibrée des bénéfices. Ces mêmes employeurs sont tenus de respecter l’égalité salariale entre les hommes et les femmes ; mais comme la loi ne comporte ni contrainte, ni obligation, ni sanction, elle n’est pas opérante et il faudra attendre quatre cents ans avant qu’elle soit pleinement appliquée. Croire que les employeurs agiront de bonne foi vis-à-vis des seniors est totalement angélique.

Je veux bien admettre que les partenaires sociaux – dont le Medef probablement – ne sont pas favorables à des pénalités financières. Néanmoins, nous devons aussi penser aux travailleurs et aux travailleuses, qui auront besoin d’être accompagnés jusqu’au bout de leur carrière.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Je prends mon corapporteur Nicolas Turquois à témoin : il ressort des auditions menées que la volonté de l’ensemble des parties prenantes, y compris des organisations syndicales, est de permettre aux entreprises d’avancer sur la question de l’emploi des seniors et d’aboutir à des mesures très concrètes. Je respecte votre vision des choses, mais je ne la partage pas. Au risque d’être lassant, je le répète, notre feuille de route est de ne pas aller au-delà de ce qu’ont voulu les partenaires sociaux – tout au plus pourrons-nous procéder à de petits ajustements techniques.

M. Nicolas Turquois, rapporteur. J’entends votre frustration. Toutefois, et ce n’est pas la première fois que je suis rapporteur, j’ai été très surpris par ce que les organisations syndicales et patronales nous ont demandé lors des auditions, auxquelles certains d’entre vous ont d’ailleurs assisté : au vu du fonctionnement de notre assemblée, elles tenaient vraiment à ce que l’accord conclu soit retranscrit tel quel et nous ont confié cette responsabilité. Les représentants du patronat ont même parlé d’un texte fondateur à propos du rapport qui s’est créé avec les organisations salariales, toutes confondues. Je comprends, monsieur Guedj, que vous soyez frustré de ne pas pouvoir enrichir le texte ; nous-mêmes, en tant que rapporteurs, aurions aimé aller plus loin sur certains aspects. Néanmoins, j’y insiste, j’ai été marqué par les propos des organisations professionnelles, quelles qu’elles soient : elles ont fait des concessions et tiennent désormais à ce que l’accord reste en l’état. Nous devons nous y attacher.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Personnellement, je n’ai passé d’accord avec personne, si ce n’est avec mes électeurs. J’entends que ce texte résulte d’un travail de fond mené entre les partenaires sociaux et que vous ne souhaitiez pas le modifier. Cependant, nous devons trouver une solution efficace et pérenne, qui garantisse l’emploi des seniors – c’est dans l’intérêt de tous, si nous ne voulons pas être obligés de nous pencher de nouveau sur cette question l’année prochaine.

Nous pourrions aussi revenir sur la réforme des retraites et permettre aux seniors de partir à la retraite, tout simplement. Cela ne me pose aucun problème, au contraire ! Mais vous, vous préférez qu’ils restent au travail plus longtemps. Faisons au moins en sorte qu’ils en aient ! Or, en l’absence de contrainte, vous êtes assurés de devoir examiner, dans un an, un nouveau texte pour favoriser l’emploi des seniors.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS33 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je pourrais presque être d’accord avec vous, messieurs les rapporteurs, si vous n’aviez pas eu une posture différente au moment de la réforme des retraites – dans la continuité de laquelle s’inscrit ce texte, voulu par Michel Barnier : à travers vos votes, vous n’avez pas respecté les partenaires sociaux. Et, aujourd’hui, vous vous présentez comme leurs premiers défenseurs ! Permettez-nous au moins de pointer l’incohérence et d’expliquer que nous sommes complètement désabusés. Comme l’a rappelé ma collègue Amiot, nous, nous n’avons signé qu’avec le peuple français.

Il se trouve que j’ai parlé de ce texte, hier, avec Sylvie, une travailleuse senior : elle pense qu’il ne changera rien. Que devrais-je lui dire, lorsque je la reverrai ? Que le Medef et la CFDT étant d’accord, nous ne pouvions rien modifier à ce projet de loi qui, pourtant, ne règle rien au problème de l’emploi des seniors ? En tant que député, ce n’est pas tenable. Les gens attendent de nous que nous changions les choses. Le sujet est grave : la ministre a parlé d’une discrimination à l’embauche, qui a des conséquences graves dans la vie de nombreuses personnes.

Par nos amendements, nous voulons au moins obliger les partenaires à aboutir à un accord. En l’état, le texte ne prévoit aucune obligation ni aucune sanction si l’accord n’est pas respecté. Nous débattons donc dans le vent et sommes amenés à nous prononcer sur du vide. En définitive, cette pommade sur la réforme des retraites n’apaise même pas !

M. Stéphane Viry, rapporteur. Vous souhaitez obliger les partenaires sociaux à conclure un accord. Ils ne sont pas sur cette ligne. C’est même juridiquement contraire au principe de liberté conventionnelle : on ne peut pas entamer une discussion sous la contrainte absolue d’aboutir à une issue positive ; on peut avoir des désaccords !

Avis défavorable.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le problème, c’est que l’employeur a le dernier mot, à la fin. Notre objectif est précisément d’éviter ce scénario. Ce texte, voulu par Barnier, est censé servir de pommade à la réforme des retraites laquelle, en plus d’entraîner des conséquences dans la vie des gens, constitue une fracture démocratique dans l’histoire de notre pays dont nous parlerons encore dans vingt ou vingt-cinq ans – à l’instar de la fracture de 2005, concernant le non à l’Europe. Il n’y a pas d’obligation de parvenir à un accord et, en définitive, c’est l’employeur qui a le dernier mot – et même en cas d’accord, il n’est pas vraiment contraignant.

Le seul argument que vous opposez à nos arguments, c’est que ce texte a déjà été discuté et qu’on ne peut plus rien changer, alors pourtant qu’il est inopérant. Circulez, il n’y a rien à voir ! À quoi bon, dans ce cas, poursuivre la réunion ? Nous sommes pourtant bien ici pour faire la loi. Et nous ne pourrons pas empêcher la discrimination à l’embauche des seniors si nous nous contentons de bonne volonté et de vœux pieux ; il faut imposer des contraintes. Nous demandons simplement que les négociations aboutissent à un accord. Franchement, nous avons déjà été plus durs que cela dans le passé !

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS35 de M. Louis Boyard

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Dans la mesure où il existe une réelle discrimination à l’embauche, les entreprises ne savent pas vraiment ce que c’est que d’employer des seniors – encore moins jusqu’à 64 ans, l’âge de départ à la retraite. Cela pose la question de la santé au travail de l’ensemble de salariés, y compris d’une population vieillissante, et de la prévention des risques professionnels, sujets que nous estimons essentiels et qui doivent faire partie des négociations.

Selon l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, l’âge moyen d’inaptitude dans ce secteur est de 54 ans. L’âge de départ à la retraite ayant été repoussé, il faudra donc que les personnes restent en poste dix années supplémentaires. La conséquence, c’est que les organismes de prévention ont augmenté les cotisations de presque 10 %, parce que la santé et la sécurité des salariés n’évolueront pas si nous n’imposons aucune contrainte. C’est pourquoi il faut intégrer cette dimension de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels, axée sur les seniors, dans les accords.

M. Stéphane Viry, rapporteur. L’article 1.3 de l’ANI définit des thèmes de négociation obligatoires – recrutement des salariés expérimentés, maintien dans l’emploi et aménagement des fins de carrière, transmission des savoirs et des compétences – et d’autres facultatifs, qui portent notamment sur les politiques en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels. Je le précise car, depuis une demi-heure, une petite musique commence à monter selon laquelle cet accord serait vide et aucune obligation ne pèserait sur les parties prenantes. Je m’inscris en faux contre cette idée : il y a bien une obligation de négocier au niveau des branches, pour les entreprises de plus de trois cents salariés.

J’en appelle donc à respecter la ligne de partage à laquelle sont parvenus les partenaires sociaux, au terme de nombreuses heures de discussion, entre les thèmes obligatoires et facultatifs. Ne voulant pas dénaturer leur accord, j’émets un avis défavorable à votre amendement.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Je soutiens l’amendement de M. Boyard. Force est de constater que les négociations obligatoires, qui ne sont pas forcément conclusives, n’aboutissent souvent qu’à un théâtre, dans lequel on joue à faire semblant de négocier : il suffit de dire qu’on a essayé de négocier et il ne se passe rien.

S’agissant de l’emploi des seniors, la France connaît un décrochage majeur par rapport aux autres pays européens. C’est pourquoi il faut prévoir des mesures coercitives : s’en remettre à la bonne volonté du dialogue social ne changera rien à la réalité sur le terrain. On note d’ailleurs que lorsque les partenaires sociaux parviennent à un accord, il est tellement modeste que l’on sait d’avance qu’il ne réglera rien en profondeur. Nous devons donc prendre nos responsabilités, en tant que législateurs, pour aller plus loin.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). On nous reproche souvent de ne pas faire confiance au dialogue social et lorsque nous proposons d’en tenir compte, il est remis en cause ! Il y a un juste milieu à trouver.

Je rappelle que nous avons institué un entretien et une consultation médicale de mi‑carrière, afin d’anticiper, grâce à la formation, une possible réorientation et d’éviter d’en arriver à un stade où la santé est affectée. Il faut donc mener un travail d’anticipation et de prévention. Dans le cas des aides-soignantes, par exemple, il existe dans certaines maisons de retraite des systèmes qui aident à lever les patients, des rails au plafond, voire des exosquelettes : la charge physique diminue, même si la charge mentale, elle, reste la même.

Grâce à ce projet de loi, nous répondons au présent et anticipons le futur, afin de tenir compte, branche par branche, des améliorations à apporter ; nous ne nous contentons pas de dire que rien n’est possible.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Imposer la négociation sur la santé au travail, sur les conditions de travail et sur la prévention des risques professionnels permettrait aussi de prévenir la survenue de maladies professionnelles qui obligent à se réorienter. Vous avez raison, madame Dubré-Chirat : du matériel existe pour faciliter certaines tâches et ne plus se casser le dos. Toutefois, combien d’établissements en sont équipés ? Et combien cherchent réellement des solutions novatrices ou modifient l’organisation du travail pour prévenir l’épuisement des corps et des esprits et éviter des situations d’inaptitude au poste, avant l’âge de départ à la retraite ? En ne faisant rien, on perd des travailleurs qui aiment pourtant leur boulot et ont envie de continuer à l’exercer. Il faut donc investir ce champ, pour garantir aux salariés qui sont en poste qu’ils pourront poursuivre leur carrière le plus longtemps possible.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS37 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). C’est plutôt vous, madame Dubré-Chirat, qui faites ce qui vous arrange ! Lorsque les partenaires sociaux ne sont pas d’accord, vous répondez qu’en tant que législateurs il nous revient de décider ; à l’inverse, vous expliquez aujourd’hui que les partenaires sociaux étant parvenus à un accord, il ne faut plus toucher à rien ! Reconnaissez au moins, chez nous, une certaine cohérence, même si vous ne la partagez pas. Tel n’est pas votre cas : vous n’écoutez pas toujours les partenaires sociaux. Par conséquent, ne venez pas nous reprocher de ne respecter le dialogue social que lorsque cela nous arrange ; c’est plutôt à vous qu’il faut le dire !

Ce texte ne fera pas bouger les lignes. Et même si je comprends la position du rapporteur qui souhaite respecter la philosophie générale de l’accord, je pense qu’en tant que législateurs nous avons le droit d’affirmer que certains sujets, tels que l’organisation et les conditions de travail des seniors, ne peuvent pas être des thèmes facultatifs et qu’ils doivent obligatoirement faire partie des négociations – malgré mes doutes sur ce qui en résultera.

Pensez-vous que les partenaires sociaux s’offusqueraient de la volonté du législateur d’intégrer les conditions de travail dans les discussions obligatoires ? Je pense qu’ils le comprendraient. Alors que les Français, eux, ne comprendraient pas que ces thèmes en soient absents. Sur ce point, vous pouvez, monsieur le rapporteur, modifier légèrement les lignes.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Pour aboutir à des mesures concrètes en faveur de l’emploi des seniors, les partenaires sociaux ont évidemment abordé les questions de la santé au travail, de la prévention des risques et des conditions de travail. Ces éléments ne figurent pas dans cet article, mais des mesures concrètes sont bien incluses en ce qui concerne la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). On ne peut donc pas dire que ces points ont été oubliés.

Chaque parlementaire est libre de présenter ses arguments, sa vision et sa ligne politique. Nicolas Turquois et moi-même avons pour mission de défendre ce qui a été négocié. C’est pourquoi j’émettrai un avis défavorable.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous savons tous que l’âge de 50 ans constitue un véritable cap. C’est à ce moment-là qu’on commence à recevoir des dizaines de courriers d’information en faveur de dépistages ou de suivis. En effet, il n’y a pas qu’à l’adolescence que les corps changent. À 50 ans, on est encore parfaitement en mesure de travailler, mais certaines choses évoluent, qu’il s’agisse des capacités physiques ou des sensations – je pense à la soif en ces temps de canicule – et il faut s’y adapter. De même, la période de la ménopause et à la préménopause, parfois très longue, peut demander des aménagements, ou du moins une réflexion sur l’organisation du travail, afin qu’il reste supportable physiquement.

Si nous voulons que les seniors continuent de travailler, on ne peut ignorer qu’ils sont des seniors. L’organisation et les conditions de travail ne sont pas accessoires et ne peuvent être facultatives dans les négociations. J’y insiste : il faut absolument considérer les gens pour ce qu’ils sont, en l’occurrence des personnes dont le corps change.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS1 de Mme Océane Godard

Mme Océane Godard (SOC). Cet amendement vise à corriger – je l’espère – un oubli, alors même que le projet de loi se veut la transposition fidèle de l’ANI de novembre dernier.

L’article 1.3 de l’accord inclut en effet les « pratiques managériales mobilisables » parmi les thèmes pouvant faire l’objet de négociations au sein des entreprises et des branches professionnelles, ce point étant d’ailleurs développé dans l’article 2.2. Pourtant, cet aspect n’apparaît pas dans le présent texte. Cette omission me semble d’autant plus problématique que les enjeux relatifs aux salariés expérimentés ont d’abord trait au travail et non uniquement à l’emploi. Ainsi que l’ont dit les partenaires sociaux lors des auditions, mais aussi des acteurs de terrain tels que des consultants, des directeurs des ressources humaines ou des représentants syndicaux, les fins de carrière interrogent les missions, l’organisation du travail, les marges d’autonomie, sans oublier les pratiques managériales.

L’enjeu est d’innover, d’inventer, d’adapter, de permettre une gestion plus fluide et évolutive des parcours de fin de carrière, donc de sortir des logiques rigides. Cela suppose un vrai travail de la part des entreprises, au plus près des collectifs, sur le rôle du management et en faveur de la souplesse des organisations et de l’ajustement des tâches.

Les entreprises manquent de soutien pour affronter l’enjeu de l’organisation du travail. C’est pourquoi nous proposons cet amendement, qui nous semble de bon sens et cohérent avec l’esprit de l’accord national. Il permettrait d’ouvrir la voie aux pratiques transformatrices que nous recherchons.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Les « pratiques managériales mobilisables » figuraient effectivement parmi les thèmes de négociation énumérés dans l’ANI. Si cette formulation n’a pas été retenue dans le projet de loi, c’est parce que le Conseil d’État l’a jugée imprécise et peu normative, raison pour laquelle nous avons préféré les mots « modalités d’écoute, d’accompagnement et d’encadrement [des] salariés ».

Je m’en remettrai à la sagesse de la commission sur ce point. Il est vrai que les partenaires sociaux ont retenu la formulation que vous proposez, madame Godard, mais, comme je l’ai dit, celle-ci est perfectible sur le plan légistique.

La commission adopte l’amendement.

Amendement AS76 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Cet amendement vise à insister sur la sous-utilisation du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), d’ailleurs identifiée par Cyrille Isaac-Sibille et Hadrien Clouet dans un récent rapport d’évaluation. L’amendement est proche, dans sa philosophie, de l’amendement AS35, défendu par Louis Boyard et Ségolène Amiot, qui prévoyait que les négociations relatives aux conditions, à l’organisation et à la santé au travail ne devaient pas seulement être obligatoires, mais aboutir.

Les organisations patronales ne peuvent pas dire que les entreprises et l’État n’ont pas les moyens, car tel n’est pas le cas. Il faut faire en sorte que les négociations aboutissent sur des projets concrets, qui amélioreront la vie des travailleurs et des travailleuses. Si les moyens sont sous-utilisés, c’est par manque de volonté et par manque de compétences techniques et d’ingénierie au sein des entreprises.

Nous saluons les organisations, qui ont essayé de faire progresser les choses au maximum, mais force est de constater que cet ANI n’est en réalité qu’un minimum, alors même que de l’argent public est prévu pour améliorer les conditions de travail et prévenir l’usure – ou ce que j’appelle pour ma part la pénibilité. Mobiliser le Fipu est essentiel. L’outil est à la disposition des employeurs et des organisations syndicales, aussi rendons son recours davantage obligatoire pour qu’il bénéficie aux travailleurs et aux travailleuses.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Le Fipu est un outil de financement récent, créé en 2024, qui soutient des actions de sensibilisation et de prévention des risques ergonomiques à l’origine des troubles musculo-squelettiques. Dans le cadre du projet de loi, le choix a été fait d’une formulation large, qui ne détaille pas les différents fonds existants. En effet, si le Fipu était cité, il faudrait faire de même du Fonds national de prévention des accidents de travail et des maladies professionnelles, qui ne figure pas non plus dans le texte. Et si le Fipu était amené à changer de nom, ce qui peut arriver, nous serions « coincés ».

Je demande donc le retrait de l’amendement, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable. Ce n’est pas une objection de fond : je préfère rester prudent vis-à-vis des éventuelles conséquences.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). J’entends vos arguments, mais préfère maintenir cet amendement, quitte à en revoir ultérieurement la rédaction. Il faut insister sur le fait que certaines entreprises sont réticentes à s’emparer de cette question, alors que l’État y consacre des moyens.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS84 de M. Stéphane Viry.

Amendement AS30 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je comprends votre volonté de préserver la philosophie du texte, mais, en l’occurrence, cet amendement n’y touche pas. Nous demandons simplement qu’avant toute négociation, soit établie, pour chaque branche professionnelle, une liste des métiers et activités particulièrement exposés aux risques professionnels. C’est une nécessité si nous voulons que les discussions entre partenaires sociaux soient efficaces, particulièrement en ce qui concerne les seniors. Nous n’introduisons ici aucune contrainte : nous faisons en sorte que les négociations reposent sur des éléments concrets – la reconnaissance des métiers à risque – et non sur du vent.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Je comprends votre intention et si la prévention des risques professionnels est un enjeu important, celui-ci concerne l’ensemble des salariés et pas seulement les seniors. L’amendement excède donc le champ des négociations qui ont eu lieu au sujet des salariés expérimentés. Une telle liste devrait plutôt être établie dans le cadre de la négociation obligatoire, prévue à l’article L. 2241-1 du code du travail, sur la GPEC et qui inclut « la prise en compte des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ».

Avis défavorable.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Je soutiens cet amendement, car c’est à l’échelon des branches que la prévention des risques professionnels doit avoir lieu. Cet élément ne s’inscrit pas seulement dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, mais dans une logique globale d’accompagnement des travailleurs et des travailleuses, afin que la vie professionnelle ne réduise pas l’espérance de vie, ni la capacité à vivre sa retraite en bonne santé – voire simplement à l’atteindre.

Disposer d’une telle liste, branche par branche, serait un atout considérable, car les entreprises pourraient ainsi bâtir des plans de prévention et parce que le compte personnel de prévention serait moins individualisé et accessible plus simplement. Dans le cadre du conclave sur les retraites, la CFDT a d’ailleurs insisté sur le fait que la prévention ne devait pas se fonder seulement sur la carrière de chaque personne, individuellement et année après année – c’est une usine à gaz qui ne marche pas –, mais qu’elle doit bénéficier de l’identification, branche par branche, des métiers liés à des risques structurels. Une telle approche collective est essentielle d’un point de vue global et pas seulement pour la GPEC.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Il faut éviter de faire des listes de métiers. Nous avons eu un mal de chien à établir celle des métiers en tension et il est ensuite souvent impossible de les réactualiser. Dans la mesure où les métiers évoluent, plutôt que de les graver dans le marbre, il serait préférable de définir des critères de pénibilité, valables pour tous les âges. J’y insiste : les métiers n’ont pas les mêmes contenus dans le temps, aussi bien physiquement que psychologiquement.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Une telle liste serait réactualisée lors de chaque négociation, si bien qu’elle suivrait l’évolution des métiers. Vous pouvez donc voter cet excellent amendement, madame Dubré-Chirat.

Par ailleurs, si j’entends que ce n’est pas le moment d’adopter de tels amendements, car le texte reprend le contenu de l’ANI, je ne sais pas quand je pourrai le faire. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut faire œuvre utile et il me paraît important de saisir cette occasion, d’autant que, je le répète, cet amendement respecte la philosophie du texte.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Création d’une négociation obligatoire sur l’emploi et le travail des salariés expérimentés dans les entreprises d’au moins trois cents salariés

Amendements identiques AS41 de M. Louis Boyard et AS64 de Mme Sophie TailléPolian et amendements identiques AS43 de M. Louis Boyard et AS63 de Mme Sophie TailléPolian (discussion commune)

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Je défends les amendements AS41 et AS43. Comme nous l’avons dit précédemment, nous souhaitons abaisser de 300 à 50 le nombre minimal de salariés à partir duquel des négociations devraient avoir lieu au sein d’une entreprise. De cette manière, nous augmenterions de manière considérable le nombre de travailleurs concernés, étant rappelé que 4,5 millions de personnes travaillent dans une PME en France et qu’elles aussi emploient des seniors. De plus, je rappelle que ces sociétés sont déjà dotées des structures nécessaires aux négociations. L’abaissement du seuil ne représenterait donc pas une usine à gaz, comme on a pu l’entendre. Dans la mesure où les négociations permettent d’améliorer l’accueil et les conditions de travail des seniors, elles doivent aussi avoir lieu au sein des PME.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Mes amendements visent à abaisser le seuil respectivement à 50 et à 250 salariés. En effet, le monde du travail souffre d’un immense problème d’égalité des droits entre ceux qui travaillent dans une grande entreprise et les autres. J’entends qu’il faut peut-être consacrer davantage de moyens à l’accompagnement des petites entreprises pour appliquer ce type de politiques, mais ceux qui payent le prix sont bien les salariés des PME. Rappelons d’ailleurs qu’avec les niches fiscales ou encore le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, nous aidons bien plus les grandes entreprises que les petites. Les salariés de ces sociétés sont laissés de côté. Nous en avons ici une nouvelle illustration puisqu’ils seront exclus des négociations alors qu’ils sont soumis aux mêmes risques professionnels, susceptibles d’avoir une très forte incidence sur leur santé. Nous ne pouvons l’accepter.

Je comprends que les organisations syndicales, dans le cadre du dialogue social, aient fixé un seuil, mais il revient à la puissance publique, à l’État, au législateur de s’assurer de l’égalité des travailleurs devant la loi et donc de consacrer des moyens supplémentaires pour accompagner les petites et moyennes entreprises. Je ne comprendrais pas que nous ne le fassions pas, d’autant que, comme je le disais précédemment, des enveloppes budgétaires sont sous-employées. Il faut que tous les travailleurs et toutes les travailleuses bénéficient des négociations.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). En effet, c’est bien l’inégalité entre les seniors qui travaillent dans les grandes entreprises et ceux employés dans les PME qui justifient l’intervention du législateur. Ainsi, l’accès à la retraite progressive, prévue à l’article 5 de l’ANI, ne concernera, dans l’immense majorité des cas, que les salariés des très grandes entreprises. L’égalité des droits entre les salariés n’est donc pas assurée. Et encore ne s’agit-il ici que d’organiser une négociation, ne comportant rien de contraignant et au terme de laquelle les employeurs pourront, in fine, établir un plan de manière unilatérale.

Enfin, collègues macronistes, je rappelle que la Commission européenne considère que les grandes entreprises sont celles qui emploient plus de 250 salariés. Adopter mon amendement AS43 reviendrait donc aussi à agir en Européens et à se mettre en conformité avec le droit communautaire. Qu’il s’agisse du climat, du droit du travail, ou de tout autre sujet, je vous ai entendus le placer au-dessus de tout. J’espère que vous ferez de même sur cette question de justice.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Nous avons eu cette discussion à l’article 1er et je ne peux que rappeler que l’article 1.2 de l’ANI a retenu le seuil de trois cents salariés pour l’organisation obligatoire de négociations sur l’emploi des salariés expérimentés. Sauf erreur, ce seuil a été choisi par parallélisme avec celui prévu par le code du travail s’agissant de l’obligation de négociations sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.

J’ajoute que l’ANI prévoit que les entreprises dont l’effectif n’atteint pas ce seuil peuvent engager volontairement une négociation sur le thème de l’emploi des seniors et qu’en l’absence d’accord, elles sont incitées à adopter le plan d’action unilatéral négocié à l’échelle de la branche, après consultation, le cas échéant, des instances représentatives élues du personnel. Ce n’est donc pas parce qu’elles ne sont pas obligatoires que les négociations sont impossibles.

Afin de préserver l’équilibre trouvé, je serai défavorable à l’ensemble de ces amendements, qui visent à modifier le seuil.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous nous renvoyez aux accords de branche s’agissant des entreprises de moins de trois cents salariés, mais nous constatons chaque année qu’il s’agit de véritables usines à gaz, dont l’application prend d’ailleurs souvent beaucoup de retard – un, deux voire trois ans – et nécessite l’intervention du ministère du travail. J’ai donc du mal à vous suivre. Je le répète, les accords de branche ne sont pas efficients et les travailleurs et travailleuses des TPE et PME sont ceux qui souffrent le plus, car ils sont moins accompagnés que les autres. Il faut que nous proposions quelque chose aux seniors de ces entreprises pour leur permettre de travailler le plus longtemps possible.

Par ailleurs, je souligne que certaines sociétés s’organisent sous la forme d’une holding et de plusieurs structures séparées afin de ne jamais atteindre ce seuil de trois cents salariés, qui impose des contraintes. Il faut donc cesser de faire preuve de naïveté et d’angélisme vis-à-vis de ces entreprises, qui usent de tous les stratagèmes pour ne pas avoir à négocier sur les questions de ce type.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS48 de M. Louis Boyard

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Cet amendement vise à prévoir que les entreprises employant moins de 15 % de seniors, c’est-à-dire celles qui ne font pas suffisamment d’efforts pour en intégrer et organiser le travail de telle manière qu’ils restent en emploi le plus longtemps possible, doivent accroître cette part d’au moins 5 % par an.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Nous avons eu ce débat lors de l’examen de l’amendement AS62 de M. Boyard et j’émettrai le même avis défavorable, pour la même raison : ce n’est pas ce qu’ont décidé les partenaires sociaux lors des négociations. Plutôt qu’un cadre rigide et unifié, ils ont préféré des négociations obligatoires par branche, afin d’aboutir à des spécificités métier par métier, au plus près du terrain et de la réalité.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je souhaite que jamais les partenaires sociaux n’écrivent sur une feuille de papier qu’il faut sauter dans le ravin – vous seriez en mauvaise posture, monsieur le rapporteur ! Je pousse le raisonnement jusqu’au bout pour que l’on comprenne que notre débat n’a pas de sens.

Notre amendement vise à inciter les entreprises à employer au moins 15 % de seniors, alors que ceux-ci représentent 17 % des actifs : nous sommes donc encore en-dessous des besoins. Alors que la situation de l’emploi de seniors a été aggravée par la réforme des retraites, nous constatons que l’ANI ne fait que passer de la pommade puisqu’il n’a même pas pour objectif de mettre fin aux discriminations. Je ne suis pas d’accord avec un texte qui ne sert à rien – je ne vois même pas pourquoi nous en discutons !

La commission rejette l’amendement.

Amendements AS65 de Mme Sophie Taillé-Polian et AS50 de M. Louis Boyard (discussion commune)

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Le nombre de demandeurs d’emploi de longue durée de plus de cinquante ans a nettement augmenté, passant de 312 000 en 2008 à 809 000 en 2022 et à 868 000 au quatrième trimestre 2024. La durée moyenne du chômage des plus de cinquante ans était de 370 jours début 2008 mais a atteint 665 jours fin 2022. Telle est l’évolution. Or, en 2017, les ordonnances Macron, qui ont fait beaucoup de mal au monde du travail, ont supprimé les sanctions pécuniaires en cas de non-mise en place des négociations, pourtant obligatoires.

Quand les partenaires sociaux ne se mettent pas autour de la table, les entreprises doivent en être pour leurs frais. Face à un tel niveau d’insécurité sociale, nous ne pouvons pas nous contenter d’observer, en espérant que des dispositions non obligatoires et non assorties de sanctions permettent d’améliorer les choses. Il faut muscler nos politiques publiques, parce que la situation sociale l’exige. Nous proposons donc le rétablissement de la sanction pécuniaire en cas de non-respect de l’obligation de négociation.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je suis entièrement d’accord pour que les partenaires sociaux discutent mais ils ne peuvent pas aller jusqu’à prévoir une sanction si l’accord n’est pas respecté : c’est le rôle du législateur. S’il n’y a pas de négociations, ou si l’accord n’est pas respecté par l’employeur : le législateur doit prévoir une sanction – c’est un amendement de bon sens.

M. Stéphane Viry, rapporteur. C’est un amendement de présomption de défaillance de la part des entreprises. Je vous renvoie encore une fois au contenu de l’ANI : ce n’est pas ce que les partenaires sociaux ont voulu. De plus, on ne négocie pas bien sous la contrainte.

Il me semble prématuré de prévoir dès maintenant une sanction à l’encontre des entreprises au motif qu’on ne leur ferait pas confiance. Il faut au contraire laisser du temps au dialogue social pour que la confiance s’installe. La volonté de mettre en place des mesures en faveur de l’emploi des seniors existe.

Avis défavorable à ces deux amendements.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Il faut être conscient du pays dans lequel on vit. En France, si l’on fixe une interdiction sans prévoir de sanction en cas de son non-respect, la loi n’est pas appliquée. Ainsi, une limitation de vitesse n’est respectée que si l’on installe un radar et que l’on envoie des amendes aux contrevenants : c’est comme cela qu’on a fait baisser le nombre de morts sur la route. Nous sommes en France.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Nous sommes malheureusement instruits par l’expérience : en l’absence de politique publique très incitative, ou très coercitive, voire les deux, il n’y a bien souvent pas d’amélioration pour un très grand nombre de salariés. C’est le cas de l’index égalité femmes-hommes : on observe, mais il n’y a pas d’amélioration à la hauteur des problèmes que rencontrent les femmes sur le marché du travail. Ce n’est pas suffisant.

Les seniors n’ont pas le luxe d’attendre, parce que nombre d’entre eux vont se retrouver sur le carreau, avec des durées de chômage qui se sont allongées et des difficultés qui se sont aggravées. La situation se dégrade depuis plusieurs années – on ne peut pas faire comme si on le découvrait. Si les organisations patronales et syndicales sont de bonne foi, où est le problème ? Elles n’auront pas l’obligation de parvenir à un accord mais, au moins, elles négocieront : il n’y a donc pas de risque à prévoir une sanction.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). À ce stade, nous ne parlons que d’une obligation de négociation : c’est le tout début du processus ! Si vous décidez dès maintenant que la négociation n’est pas obligatoire, ou que l’employeur pourra décider unilatéralement même si les partenaires sociaux parviennent à un accord, alors à quoi bon ? Il en va des entreprises comme de nos concitoyens : si la majorité est de bonne foi et respecte la loi, nous savons qu’une minorité ne la respectera pas ; c’est pour cela qu’il faut prévoir une sanction dans la loi.

Par ailleurs, vous dites que l’on négocie mal sous la contrainte. Alors que penser du conclave, organisé sous la menace d’une application de la réforme des retraites si jamais aucun accord n’est trouvé ? Si cela n’est pas une négociation sous la contrainte, je ne sais pas ce que c’est !

Monsieur le rapporteur, j’ai du mal à comprendre votre position. En dépit des incohérences et contradictions de ce texte que nous avons soulignées et des arguments de fond que nous avons avancés, vous maintenez qu’il faut transposer fidèlement l’ANI, alors que celui-ci ne sera pas opérant. Nous avons là un désaccord politique, et j’aimerais vous voir expliquer factuellement l’intérêt de cette pommade, qui ne soignera pas la réforme des retraites.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS77 de Mme Sophie Taillé-Polian

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Afin que le Fipu soit davantage utilisé, il est proposé que l’ensemble des partenaires sociaux puissent le mobiliser, et pas seulement les employeurs.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Nous avons évoqué cette question lors de l’examen de votre amendement AS76 à l’article 1er. Pour les mêmes raisons, je souhaite le retrait du présent amendement ; à défaut, avis défavorable.

Mme Sophie Taillé-Polian (EcoS). Je maintiens mon amendement mais je suis tout à fait disposée à trouver, avec le rapporteur, une formulation qui convienne mieux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS46 de M. Louis Boyard

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Tel que le texte est rédigé, l’employeur dispose de fait d’un droit de véto puisqu’il prendra la décision quelle que soit l’issue de la négociation. Il nous paraît primordial d’équilibrer la négociation en accordant le même droit aux instances représentatives du personnel. En effet, si l’accord proposé est positif pour les salariés, alors ils ne s’y opposeront pas. Ils ne pourront s’y opposer que si l’accord n’est pas bon, c’est-à-dire s’il ne permet pas d’atteindre l’objectif d’amélioration de l’accueil des seniors dans l’emploi. Cela permettrait en outre de s’assurer de la bonne foi de toutes les parties prenantes.

M. Stéphane Viry, rapporteur. Nous avons là un désaccord politique : nous ne partageons pas votre vision conflictuelle du dialogue social. Je rappelle qu’un accord n’est valide qu’à la condition d’avoir été approuvé par l’employeur et par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives des salariés ayant reçu au moins 50 % des suffrages exprimés. Il n’est donc pas nécessaire d’aménager un droit de véto.

Avis défavorable.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). « Si [aucun] accord collectif n’a pu être conclu, l’employeur peut l’appliquer au moyen d’un document unilatéral [...] » : c’est quelle conception du dialogue social, ça ?

M. Stéphane Viry, rapporteur. Il y a un accord de branche.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). L’employeur, qui peut décider unilatéralement, dispose de fait d’un droit de veto, mais vous refusez d’accorder aux employés un pouvoir équivalent – et c’est nous qui aurions une vision dure du dialogue social ? Pourquoi le CSE ne pourrait-il pas, lui aussi, produire un document unilatéral ? Ce serait super ! Puis-je avoir une réponse sur ce point ?

M. Stéphane Viry, rapporteur. L’accord de branche ou, par défaut, le plan d’action embarque toutes les entreprises de la branche – ce n’est pas comme s’il n’y avait rien. L’employeur ne peut donc pas imposer ce qu’il veut, de façon unilatérale, concernant l’emploi des seniors.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je peux vous rétorquer la même chose concernant le CSE.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 non modifié.

 

 

Titre II – Préparer la deuxième partie de carrière

 

Article 3 : Renforcer l’impact de l’entretien professionnel des salariés au cours de la deuxième partie de carrière

Amendements AS54 et AS56 de M. Louis Boyard (discussion commune)

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Nous sommes critiques s’agissant de la loi El Khomri, qui a supprimé la visite médicale d’aptitude à l’embauche. On nous rétorquera qu’il existe une visite médicale de mi-carrière. Quelqu’un sait-il combien de visites médicales de mi-carrière ont été organisées en 2022, date du dernier rapport ? 20 000 !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il y en a eu 60 000 l’année dernière.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Même 60 000, cela reste insuffisant, et aucun accord de branche ne traite cette question.

Nous faisons donc toute une série de propositions permettant de rendre cette disposition plus opérante, afin que les visites médicales assurent aux salariés de bonnes conditions de travail, respectueuses de leur santé.

M. Stéphane Viry, rapporteur. La proposition que vous faites excède largement le champ de l’ANI et même de l’emploi des seniors. La transposition de l’ANI n’est pas le bon véhicule législatif pour évoquer les dispositions de la loi El Khomri.

J’aimerais quand même évoquer un chiffre : 66 425 visites médicales de mi‑carrière ont été effectuées par des salariés en 2023. La visite médicale d’aptitude a été remplacée par la visite d’information et de prévention, qui a fait ses preuves, et cela n’empêche pas un suivi renforcé pour les salariés exposés à des risques particuliers. Ainsi, pour les postes à risques, l’examen médical d’aptitude préalable à l’embauche continue à être obligatoire.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Ce chiffre de 60 000 est à comparer aux 8 millions de visites effectuées chaque année par les services de prévention et de santé au travail selon le rapport de 2022 : on ne peut pas parler d’un franc succès !

M. Nicolas Turquois, rapporteur. Il s’agit du nombre de visites médicales de mi‑carrière, que l’on passe vers 45 ans : ce n’est pas le nombre total de visites.

Lors des auditions, la question de la difficulté à trouver des professionnels de santé pour passer les visites médicales a été évoquée. Une très forte progression a été notée concernant cet entretien de mi-carrière.

La commission rejette successivement des amendements.

Puis elle adopte l’amendement AS89, rédactionnel, de M. Stéphane Viry.

 

La réunion s’achève à 20 heures.


Présences en réunion

Présents.  Mme Ségolène Amiot, M. Louis Boyard, M. Paul Christophe, M. Paul-André Colombani, Mme Josiane Corneloup, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Gaëtan Dussausaye, Mme Marie-Charlotte Garin, Mme Océane Godard, M. Jérôme Guedj, M. Michel Lauzzana, M. Didier Le Gac, Mme Christine Le Nabour, M. Thomas Ménagé, M. Sébastien Peytavie, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Nicolas Turquois, M. Frédéric Valletoux, M. Stéphane Viry

Excusés.  Mme Anchya Bamana, M. Thibault Bazin, M. Elie Califer, Mme Laure Lavalette, Mme Karine Lebon, M. Jean-Philippe Nilor, M. Laurent Panifous, M. Jean-Hugues Ratenon

Assistait également à la réunion.  M. Frédéric Petit