Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Audition, ouverte à la presse, de M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France, sur l’Europe de la défense et les coopérations européennes 2
Mercredi
12 février 2025
Séance de 11 heures 30
Compte rendu n° 40
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président
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La séance est ouverte à onze heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux en recevant maintenant M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France.
Monsieur Dupuy, je tiens dans un premier temps à vous remercier d’avoir reçu la commission dans vos locaux à Bourges. Cette visite de vos installations a été très enrichissante pour l’ensemble des nombreux députés présents.
Vous êtes le deuxième industriel que nous auditionnons au cours de ce cycle consacré à l’Europe de la défense et aux coopérations européennes après Airbus. Issu du regroupement en 2015 des sociétés Nexter et KMW, KNDS est aujourd’hui un leader européen de la défense terrestre. La gamme des équipements produits par KNDS est étendue, elle inclut des chars de combat, des véhicules blindés, des systèmes d’artillerie, mais également de la robotique et des munitions.
Nous attendons que vous nous exposiez votre point de vue sur la place prise par les instruments européens de défense, les espoirs que vous placez dans la construction européenne de défense, la nécessité de rationaliser le type d’armement et les lignes rouges éventuelles qui seraient les vôtres.
Nous comptons également sur vous pour nous préciser les conditions d’une coopération réussie car vous portez l’une des coopérations les plus emblématiques avec le projet char du futur ou MGCS, menée en coopération avec l’Allemagne. Nous sommes nombreux à nous interroger sur son avancée. Lors de son audition devant notre commission le 23 octobre 2024, le délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, avait indiqué que les discussions visant à la création d’une société de projets entre industriels avaient pris du retard.
KNDS s’est récemment vu confier la rénovation de 100 chars Leclerc supplémentaires par la direction générale de l’armement (DGA). Cette rénovation
permettra-t-elle de tenir jusqu’à l’arrivée du MGCS ? La solution intermédiaire que pourrait incarner le char Leclerc Evolution demeure-t-elle pour vous d’actualité ?
M. Alexandre Dupuy, directeur des activités systèmes de KNDS France. Je suis ravi d’être ici, un peu plus de deux mois après ma venue devant votre commission à l’occasion d’une précédente audition consacrée à l’économie de guerre ; je représente à nouveau KNDS France au nom de Nicolas Chamussy, actuellement en déplacement.
Monsieur le Président, nous avons été heureux de vous accueillir sur nos deux sites de Bourges et la Chapelle-Saint-Ursin pour vous présenter l’ensemble de nos capacités industrielles en matière d’artillerie, canon et munitions.
Avant de vous parler d’Europe de la défense et des différents types de coopération auxquelles KNDS France prend part, je souhaite vous présenter en quelques mots notre entreprise, qui s’inscrit dans cette dynamique de consolidation européenne. Avec 4 500 collaborateurs en CDI, KNDS France est le principal acteur de la défense terrestre en France et l’un des leaders européens. Notre vaste réseau de fournisseurs et sous-traitants est à 90 % français, avec plus de 2 800 fournisseurs actifs en 2024. Il est très majoritairement composé de petites et moyennes entreprises.
Nous sommes présents sur les principaux segments capacitaires du combat terrestre (véhicules de combat Scorpion, chars Leclerc), mais également sur le segment des armes et munitions de moyen et gros calibre, sans oublier les robots. Nous sommes également présents sur des équipements de la marine et l’armée de l’air et de l’espace, notamment au travers de canons de vingt, trente et quarante millimètres. Par ailleurs, nous disposons de filiales en Belgique et en Italie et constituons depuis fin 2015 le pilier français du groupe KNDS, avec nos homologues de KNDS Allemagne. KNDS est ainsi précurseur en matière de rapprochement européen d’acteurs de l’armement terrestre, initiant une dynamique appelée selon nous à se poursuivre en raison d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) encore fragmentée.
Groupe européen, nous sommes acteurs de nombreuses coopérations européennes, sous différentes formes. Au travers de joint-venture (JV), par exemple au travers de CTAI, fondé il y a trente ans et que nous co-détenons avec BAE Systems pour développer le canon et la munition de quarante millimètres du Jaguar côté français et de l’Ajax côté britannique. Nous réalisons en coopération avec Thales son dérivé RapidFire, qui équipe dès à présent le premier bâtiment ravitailleur de la flotte et travaillons sur une version terrestre. La coopération se réalise également au travers de groupements momentanés d’entreprises (GME) pour la gamme Scorpion (Jaguar, Griffon et Serval) pour la France, mais aussi pour la Belgique au travers du programme CaMo, avec des projets d’extension au Luxembourg.
La coopération s’entend également au sens multinational. Je pense par exemple aux véhicules Titus qui s’appuient sur des mobilités d’origine tchèque ; aux munitions Bonus, des obus dédiés antichar que nous avons développés avec des Suédois ; et au futur système principal de combat terrestre MGCS. Enfin, les coopérations s’expriment à travers des programmes de recherche et de développement initiés par la Commission européenne comme l’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (PADR) devenue depuis le Fonds européen de défense (FED), ou d’études portées directement par l’Agence européenne de défense (AED). Il faut également mentionner le projet de subventions dans le cadre de l’action de soutien à la production de munitions (ASAP) visant à augmenter la capacité de production de munitions en coopération. À ce jour, KNDS France a participé où participe à quatre projets du programme européen pour l’industrie de la défense (Edip), dix projets FED et quatre projets AED. Notre montée en puissance sur le projet européen s’accompagne d’une présence permanente à Bruxelles et une adhésion au groupement des industries européennes.
Le rôle catalyseur de la guerre en Ukraine a conduit à l’augmentation des budgets nationaux des États membres et donc des commandes, impliquant de produire plus et plus vite. KNDS France s’est fortement investi dans cette dynamique d’économie de guerre. Le théâtre ukrainien a en effet été à l’origine d’une recherche d’optimisation au niveau européen, avec l’identification des capacités disponibles ou activables à brève échéance sur l’ensemble de l’Europe, et la mise en place de commandes groupées. Pour KNDS France, cela a concerné des munitions d’artillerie via des contrats cadres initiés d’abord par l’Agence européenne de la défense, puis la France et l’Allemagne.
Cette prise de conscience par les États de la nécessité d’accroître la production et l’achat d’équipements militaires s’est intensifiée après les élections européennes de 2024. La nomination d’un commissaire européen la défense en charge de la rédaction d’un Livre blanc et le choix de la présidence polonaise de l’Union européenne (UE) de fixer le renforcement des capacités de défense comme une des sept priorités en témoignent.
La défense est donc devenue une priorité de la nouvelle Commission et des États membres. Ces derniers expriment la volonté d’agir très vite et en attendent autant d'une industrie qualifiée habituellement d’industrie du « temps long ». C’est ici qu’intervient le programme EDIP. À l’instar des autres maîtres d’œuvre français, KNDS France estime qu’il est essentiel que l’autorité de conception des équipements qui seront acquis dans le cadre d’EDIP soit européenne et que l’argent communautaire s’oriente vers des bureaux d’études européens. Il s’agit d’une question économique, mais aussi et surtout d’une question de souveraineté, pour éviter qu’un pays tiers ne restreigne les conditions d’utilisation ou d’exportation des équipements. Par ailleurs, cette autorité de conception permet aussi une agilité d’adaptation du matériel.
Ensuite, nous estimons qu’il est hautement souhaitable que le budget consacré à EDIP serve à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) à chaque fois que ceci est possible. Si nous voulons une industrie de défense européenne forte, compétitive et capable de répondre aux enjeux capacitaires du moment, il est nécessaire d’investir dans celle-ci, soit par un investissement direct dans son outil industriel ou par des contrats passés auprès d’elle.
Les financements apportés par l’Europe dans le cadre du FED sont des subventions, à hauteur d’un peu plus de 7 milliards d’euros sur la période 2021-2027. En tant que subventions, elles ne couvrent qu’une partie des coûts supportés par les industriels selon un taux de couverture qui décroît avec le niveau de maturité des travaux financés. Ainsi, alors que les travaux de recherche peuvent être presque intégralement couverts par les subventions, ceux qui sont relatifs au développement le sont moins, et ceux relatifs à l’industrialisation encore moins.
Dès lors, si les financements apportés par le Fonds européen de défense constituent des opportunités de financement pour les États membres, il est essentiel que ces derniers prévoient un complément de financement national, afin que les industriels trouvent un équilibre économique. Cela nécessite un dialogue entre l’État et les industriels en amont des projets, afin de bien identifier ce que la France est prête à cofinancer avant que les industriels ne se portent candidats pour ces projets.
Ensuite, les critères d’attribution des projets et plus encore l’opportunité vue par de nombreux États membres de développer une BITD nationale, aboutissent à des consortia formés de nombreux acteurs, avec souvent bien plus de vingt partenaires de rang 1, soit beaucoup plus que le minimum de trois entreprises issues de trois États membres différents. Si ce dispositif présente le mérite de faire travailler ensemble des acteurs industriels de plusieurs pays, il n’est ni optimal en termes d’efficacité, ni rapide.
Quels sont les critères de réussite des coopérations transnationales ? D’abord, lorsque les programmes sont portés par les États, une volonté politique forte et constante des États partenaires doit se manifester. Ensuite, l’expression de besoin doit être commune, en termes de capacité et de performance, mais elle doit également être cohérente sur le plan calendaire. Celle-ci doit elle-même être déclinée dans un calendrier budgétaire compatible avec un développement unique et également compatible de livraisons dans une même période de temps. Il faut également envisager le plus tôt possible des besoins communs en matière d’outils de formation et de soutien en série.
Troisièmement, il faut établir un maître d’ouvrage unique et pouvoir s’appuyer sur un ou des maîtres d’œuvre industriels compétents et reconnus pour chaque sous-ensemble majeur. L’objectif ne doit pas consister à remonter le niveau des acteurs les moins compétents, mais bien de capitaliser sur ce que chacun peut apporter de mieux. Je parle ici de véritables coopérations industrielles où chaque partenaire apporte une contribution, dès la conception. Je ne parle pas donc de schémas parfois proposés par certains pays, qui visent à imposer un équipement associé à des productions sous licence.
Je souhaite ensuite évoquer brièvement le programme MGCS. Aujourd’hui, le char de combat apparaît comme indispensable pour la grande majorité des armées occidentales. S’il existe des débats sur sa masse, il n’existe pas d’interrogation sur la nécessité d’en disposer en nombre significatif, ni sur le besoin d’améliorer sa survivabilité au combat face aux menaces nouvelles, notamment les drones.
Le char de demain se placera au sein d’un ensemble de plusieurs plateformes capables de combiner leurs capteurs comme leurs actions, tout en demeurant en capacité d’agir seul dans certaines situations. Avant la guerre en Ukraine, l’offre de chars en Europe était relativement simple. Il y avait d’une part la rénovation de systèmes existants, le char Challenger britannique et le char Leclerc ; et d’autre part la production de chars neufs comme le Leopard 2, lequel connaît depuis le début des années 2020 l’arrivée d’un concurrent coréen, le K2.
Des réflexions sont intervenues pour préparer la suite à l’horizon 2035-2040, avec d’abord le MGCS franco-allemand, puis le lancement du projet européen porté par la Commission, le FMBT (Future Main Battle Tank). Un changement radical s’opère depuis le début du conflit en Ukraine, avec le besoin accru de chars neufs, le lancement d’un projet italien confié à Rheinmetall et Leonardo, et plus récemment l’annonce d’études en Allemagne, en vue d’un nouveau Leopard doté de capacités accrues, avant l’arrivée du MGCS.
Pour notre part, nous nous efforçons de faire en sorte que cette dynamique nouvelle débouche sur une ou des coopérations auxquels nous comptons participer en apportant notre savoir-faire, notamment en termes de canon avec la nouvelle technologie Ascalon, en termes d’intégration de systèmes dans une tourelle grâce à notre expérience sur les systèmes Scorpion, et en termes de protection.
Le programme MGCS progresse. Nous avons signé le pacte d’actionnaires de la MGCS Project Company à la mi-janvier, une étape qui doit permettre la prise en compte de l’ensemble des compétences de chaque partenaire – notamment KNDS France – avec les autres (KNDS Allemagne, Thales et Rheinmetall), afin de maintenir un haut niveau de compétence sur les chars en Europe.
Cette signature ouvre la voie à la mise en place effective de la MGCS Project Company, pour être en mesure de répondre à une consultation attendue cet été de la part de l’équipe étatique franco-allemande pour un contrat d’ici à la fin de l’année 2025. Je rappelle enfin que le système de combat MGCS doit nous emmener bien au-delà des années 2070. Il devra s’appuyer sur les dernières technologies du moment et être capable d’évoluer régulièrement.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie et cède la parole aux orateurs de groupe.
M. Thierry Tesson (RN). Je vous remercie à mon tour de votre accueil lorsque nous nous sommes rendus à Bourges. Ensuite, les crises internationales se multiplient et les Européens ont pris conscience qu’ils doivent impérativement se ressaisir en matière d’industrie de défense. Initialement promu par Emmanuel Macron et son gouvernement, le programme européen pour l’industrie de la défense, le fameux Edip, s’est totalement retourné contre ses concepteurs pour devenir une opportunité pour les entreprises extra européennes.
Edip s’aligne pour l’instant sur les positions de l’Allemagne qui s’est spécialisée dans l’européanisation de systèmes importés, à l’image de l’Eurospike, dérivé du missile israélien Spike ; et de la Pologne, qui a choisi d’acheter du matériel américain et sud-coréen pour sa montée en puissance militaire. Conscients de ces risques, une partie nos industriels, dont Dassault, Thales et Naval Group, préconise que le programme pour l’industrie de défense respecte deux impératifs : la part des composants européens des armements doit s’établir au minimum à 80 % et l’autorité de conception et de fabrication doivent être exclusivement européennes, afin de garder le contrôle d’emploi en cas de conflit.
Trente entreprises européennes de défense ont décidé de contourner l’opposition de leurs collègues français. Parmi elles, nous retrouvons logiquement la majorité des entreprises étrangères comme Rheinmetall, Saab, Leonardo ou Indra. Mais certaines appartiennent en partie à la France comme Airbus, MBDA ou KNDS. Au titre de vos responsabilités chez KNDS France, pouvez-vous nous éclairer sur les motivations de ce dernier choix et nous indiquer quelle doit être selon vous la définition stratégique du programme Edip ?
M. Alexandre Dupuy. Le groupe KNDS composé de KNDS France et KNDS Allemagne s’est exprimé vis-à-vis d’Edip, avec le souci de répondre à l’urgence. Il n’existe pas de débat sur l’autorité de conception ; nous sommes complètement alignés. Concernant la part européenne des acquisitions, certaines voix se posent la question, au regard des problèmes de disponibilités immédiates sur certains segments, de la possibilité de faire appel à des produits extra-européens.
Il ne s’agit pas de privilégier sur le temps long l’accès à l’industrie non européenne, d’autant plus que KNDS s’est voulu précurseur en matière de construction d’industrie européenne. L’objectif consiste bien à faire de KNDS un des acteurs forts de la BITD européenne.
M. François Cormier-Bouligeon (EPR). Au nom des députés du groupe Ensemble pour la République, je tiens à vous remercier pour vos propos liminaires et votre accueil chaleureux à Bourges. Plus largement, je vous remercie pour la contribution de KNDS France à la fourniture d’armements aux armées françaises, mais également pour l’effort d’investissement, de recherche et de production dans le cadre de la préparation à l’économie de guerre.
Le programme Asap a été lancé par le commissaire européen Thierry Breton pour démultiplier la production de munitions au sein de l’Union européenne, dans le contexte de la guerre en Ukraine. De quelle manière KNDS s’est-il emparé de ce programme pour augmenter sa capacité de production de munitions ? Quelles opportunités, mais également quelles menaces discernez-vous ? Enfin, quelle que soit la solution qui sera retenue en Ukraine, il sera nécessaire de continuer à produire des munitions. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Le deuxième sujet concerne le programme franco-belge CaMo, un partenariat stratégique renforcé sur la capacité motorisée pour développer l’interopérabilité de la mobilité terrestre. Programme très innovant, il comporte à la fois un volet militaire et un volet industriel. De mon point de vue, CaMo illustre bien ce que nous devrions réaliser pour la construction du pilier européen de l’Otan en matière de coopération entre les industries de défense européennes.
CaMo peut-il être étendu à d’autres pays comme le Luxembourg, l’Irlande, mais également des pays d’Europe orientale ? Peut-on imaginer le dupliquer sur d’autres segments d’armement et à quelles conditions ?
M. Alexandre Dupuy. L’initiative Asap visait à répondre dans l’urgence à la production de munitions. Concrètement, il s’agit essentiellement d’obus, pour lesquels la contrainte première porte essentiellement sur les poudres pour les charges modulaires. Asap avait pour objet de subventionner des capacités industrielles de production au travers de projets en coopération, pour inciter aussi à des groupements européens et obtenir rapidement des résultats.
Concrètement, nous avons présenté deux projets : d’une part un projet pour augmenter la capacité de fabrication de poudre et donc de charges modulaires, notamment au travers de notre filiale en Italie, avec un partenaire letton et un partenaire nordique ; et d’autre part un projet sur la production d’obus. Seul le premier a été retenu, l’ensemble du budget consacré à ASAP a été consacré à plus de 70% pour la production de poudre et explosifs. Nous espérons que notre second projet soit retenu dans un second temps. L’initiative a fonctionné, chaque industriel a rencontré ses homologues pour évaluer les capacités et surtout les complémentarités. Asap contribue à la souveraineté européenne, à soutenir la BITDE et à accroître la compétitivité puisque l’augmentation des volumes permet de faire diminuer les prix.
Désormais, se posent deux questions : l’une concerne une éventuelle situation surcapacitaire et l’autre la création d’une potentielle concurrence à l’industrie française. En ce qui concerne la surcapacité, dans le domaine de l’artillerie, nous aurons besoin pendant encore longtemps de capacités industrielles accessibles et activables, pas forcément activées en permanence. Ensuite, comme je l’ai indiqué précédemment, la compétitivité permet de diminuer les coûts en travaillant avec plusieurs acteurs. C’est le produit final né de la coopération qui est ensuite proposé à la vente avec des coûts de production partagé entre les différents pays européens.
Le programme CaMo, assis sur un accord intergouvernemental, est effectivement exemplaire. Cette coopération franco-belge dépasse le champ de l’équipement militaire, puisqu’elle comporte des engagements en matière d’entraînements communs ou d’acquisition en commun de matériels. Le programme est exigeant pour la DGA, qui mène le dialogue, achète au nom et pour le compte de la Belgique ; pour l’armée de terre, qui accueille en son sein des représentants de la composante terrestre de l’armée belge ; pour les Belges qui envoient du personnel.
Néanmoins, ce modèle fonctionne et nous a permis à nous de vendre les mêmes matériels de la gamme Scorpion à la Belgique. Le premier Griffon qui sera assemblé en Belgique est sur place depuis la mi-décembre et le premier Jaguar est prévu pour l’année prochaine. Raccroché à CaMo il y a également une commande de Caesar. L’idée consiste bien à étendre ce modèle : la Belgique s’apprête à demander à la France d’acheter pour son compte, elle-même achetant pour le compte du Luxembourg. Au-delà, ce modèle pourrait être étendu vers d’autres pays, selon des modalités qui restent à définir.
Ce modèle intergouvernemental étant cependant complexe, nous envisageons également d’autres moyens plus simples de travailler en coopération, notamment via les contrats cadres mis en place par la DGA, qui se révèlent efficaces et faciles à mettre en œuvre sur des matériels connus. Dans ce cas, la DGA se contente d’être une agence d’acquisition. Cette procédure permet d’aller vite, sans obligation de mise en concurrence, mais avec la garantie pour le pays qui achète de bénéficier d’un même matériel. Ainsi, 700 Caesar ont été livrés ou sont en commande.
M. le président Jean-Michel Jacques. Monsieur le directeur, nous avons bien entendu votre souci de préserver l’outil industriel français. Si vous devez produire des corps d’obus ou des pièces blindées, n’hésitez pas à vous tourner vers les fonderies françaises, lesquelles ont grand besoin d’augmenter leur plan de charge.
M. Manuel Bompard (LFI-NFP). Nous sommes depuis plusieurs années extrêmement dubitatifs quant aux perspectives du projet du futur char franco-allemand, puisque la liste des choix du partenaire qui contreviennent aux intérêts français est malheureusement assez longue. L’arrivée de Rheinmetall dans le projet, imposée par le gouvernement allemand, laissait peu de doute sur l’intention de phagocyter le programme.
La semaine dernière, quelques jours seulement après la signature d’un nouvel accord sur le MGCS prévoyant une mise en service en 2035 en remplacement des Leclerc et des Leopard 2, nous avons appris que les premiers contrats pour un futur char Leopard 3 avaient été notifiés. Cette décision enterre une bonne fois pour toutes les chances de disposer d’une solution souveraine adaptée à nos besoins. A minima, elle conduit à calquer le calendrier du MGCS sur celui des Allemands. Surtout, ces spécifications penchent très fortement vers celles adoptées pour le Leopard 3, notamment en matière de canon.
Plus probablement, cette décision revient à anticiper l’échec du MGCS et permettra à l’Allemagne de faire du Leopard 3 la base de la solution du char du futur dont nous devrons nous doter au nom de la préférence européenne, abandonnant de ce fait nos capacités industrielles, les salariés et notre souveraineté.
Par conséquent, j’aimerais connaître les apports de la poursuite de ce programme pour la défense française. En effet, cette poursuite forcenée nous semble relever d’un simple enjeu d’affichage politique autour de l’Europe de la défense, faisant de notre souveraineté la principale victime. KNDS France envisage-t-il de soumettre aux autorités françaises un programme alternatif au MGCS fondé sur d’autres coopérations industrielles pour répondre aux besoins de notre défense pour les chars de combat de nouvelle génération ?
Malgré ce contexte, 100 millions d’euros en autorisations d’engagement sont dédiés au MGCS dans le dernier budget. De quelle manière cette somme sera-t-elle ventilée par KNDS ? Comment garantir une répartition équitable entre les industriels quand les industriels allemands poussent fortement dans leur sens ? Comment vous prémunissez-vous du risque de transfert de technologies vers les États-Unis, très proches alliés de l’Allemagne ?
M. Alexandre Dupuy. MGCS sera un système de char doté de plusieurs matériels. Il n’y a pas d’antagonisme entre faire évoluer le char et créer ce système de combat avec plusieurs plateformes dont le char. Il s’agit d’avoir un système de systèmes commun pour permettre aux armées de s’entraîner et de combattre ensemble, avec des matériels qui peuvent être différents.
Le gouvernement allemand a récemment annoncé financer des études, notamment avec KNDS Allemagne et Rheinmetall pour faire évoluer le Leopard. Ici encore, il n’existe pas d’incompatibilité avec MGCS, dont le calendrier des livraisons s’étalera dans le temps, progressivement, il n’est pas possible de livrer du jour au lendemain 300 MGCS. Un pays européen qui achète aujourd’hui un char neuf pourra également être acheteur de MGCS en 2045 ou 2050.
Ensuite, il est indispensable que MGCS embarque des technologies de rupture. À ce titre, toutes les contributions sont les bienvenues ; il peut s’agir par exemple des « bonnes » technologies développées sur Leopard 3, de la même manière que nous travaillons en France sur certaines briques technologiques dans l’optique du MGCS. Ensuite, tant que MGCS progresse, ce qui est le cas actuellement, il faut continuer de s’y tenir.
Cela n’empêche en rien de se tenir prêt au cas où MGCS arriverait trop tard. C’est la raison pour laquelle nous veillons à ce que les technologies du jour puissent être déclinables dans un temps un peu plus court. Tel est l’objet des démonstrateurs technologiques que nous avons présentés à Eurosatory. Nous aimerions poursuivre avec la DGA pour franchir une nouvelle étape, celle de chars bancs d’essai, basé sur notre démonstrateur Leclerc Evolution pour préparer l’ensemble des acteurs français, industriels comme étatiques, à la montée en puissance des travaux relatifs à MGCS.
Sur un horizon plus proche, nous travaillons sur ces technologies pour évaluer si nous pouvons en faire un char à l’export. Dans certaines régions du monde, les matériels à forte composante allemande sont difficilement exportables. Il existe donc un marché que nous estimons pouvoir capter. En revanche, ce marché ne sera accessible que s’il offre un volume suffisant pour pouvoir contribuer au financement de la fin du développement du char concerné.
Mme Anna Pic (SOC). La situation internationale suscite évidemment de nombreuses discussions sur la place de la base industrielle technologique de défense (BITD) au niveau européen. Nous sommes aujourd’hui conduits à nous questionner sur la fiabilité d’un allié de longue date. Au niveau européen, il apparaît nécessaire de mieux nous coordonner et de mieux répondre aux enjeux de sécurité induits par la guerre en Ukraine, mais aussi aux enjeux de dépendance.
Ce constat nous oblige donc à redéfinir notre stratégie à l’égard de notre BITD, notamment parce que la BITDE ne semble pas exister. Néanmoins, des efforts sont produits en direction de cette BITDE. À cet égard, le lancement de la stratégie globale de l’Union européenne sur la politique étrangère de sécurité, la mise en place de la coopération structurée permanente (CSP), du Fonds européen de défense et plus récemment la présentation de la stratégie de l’industrie de défense européenne ou la nomination d’un commissaire européen à la défense constituent autant de signaux.
Cependant, malgré l’ensemble des partenariats que vous avez cités, seulement 18 % des dépenses d’investissement des États membres avaient été effectuées de manière coopérative en 2022, bien en deçà de la cible de 35 % convenue par les États dans le cadre de l’Agence européenne de défense en 2007. Quels sont les leviers à actionner pour aller plus loin, selon vous ? Est-ce souhaitable ? Le vice-président d’Airbus a indiqué qu’il nous fallait peut-être céder sur certains points pour gagner en mutualisation. Que pensez-vous de cette stratégie ? Comment améliorer l’européanisation de l’industrie de défense ?
M. Alexandre Dupuy. Lors de mes propos liminaires, j’ai parlé de l’opposition entre le besoin urgent et le temps long, qui caractérise les programmes d’armement majeurs. Pour construire une BITDE, il est nécessaire de travailler autour de programmes communs. Dans le terrestre, la plupart des grands programmes ont été lancés il y a un peu plus de dix ans. À cette époque, nous avons peut-être manqué la marche de la coopération. Il s’agit de préparer la suivante, qui interviendra environ dans une dizaine d’années. Après le char, viendra sans doute le segment d’artillerie.
Pour répondre à l’urgence, le plus simple consiste à consulter les industriels pour connaître la capacité de l’ensemble de la chaîne à monter en puissance, sous-traitants inclus. Il est donc primordial d’animer cette supply chain, qui est essentiellement nationale dans le monde de l’armement, pour des raisons historiques. De fait, l’européanisation de l’industrie de défense prend du temps et ne permet pas de répondre aux besoins urgents.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Le règlement Edip en cours de discussion représente un enjeu de taille pour la construction de capacités industrielles européennes de défense et celle du pilier européen de la défense. Quel est votre point de vue d’industriel ? Vous reconnaissez-vous dans la position française ? Celle-ci défend l’autorité de conception européenne et la part la plus importante possible de production européenne. Il s’agit également de sécuriser les composants face à la norme ITAR (International Traffic in Arms Regulations), pour conserver notre liberté de manœuvre au grand export.
Ensuite, si nous devons nous engager demain dans un conflit de haute intensité, l’enjeu majeur portera sur notre capacité à assurer une production industrielle dans la durée. Une des possibilités consiste à disposer de chaînes de production mises sous cocon pour pouvoir répondre à une remontée en puissance rapide, le fameux ramp-up. Menez-vous une réflexion sur le modèle économique de cette hypothèse, qui induit des coûts et des contraintes en matière de personnel ?
Enfin, j’en profite pour vous dire que dans le cadre de mes fonctions ministérielles, je me suis rendu en Belgique, où l’on m’a parlé de CaMo en des termes élogieux.
M. Alexandre Dupuy. KNDS France partage les propos que vous avez formulés au sujet de la position française. Ensuite, pour pouvoir procéder à ce ramp-up, il est nécessaire de disposer de stocks de matières premières ou de composants, qui sont précisément prévus dans la loi de programmation militaire. Les industriels se sont ainsi engagés à stocker pour pouvoir produire l’équivalent de deux ans de commandes fermes ou hautement probables.
Cela implique de disposer de suffisamment de capacités en termes de machines-outils, de surfaces, de produits ; mais également de compétences humaines, ces hommes et ces femmes qui font fonctionner ces actifs industriels. À ce titre, il est parfois nécessaire de prioriser certaines activités comme nous l’avons fait à Bourges sur le 155 millimètres pour produire des canons Caesar. Au-delà, nous devons disposer d’un plus grand nombre de personnels et donc être en mesure de former, parfois en partageant des outils. À Bourges, nous disposons par exemple d’une école commune avec MBDA pour la formation d’ajusteurs.
La réserve industrielle de défense est naissante, mais pleine de promesses, à travers de jeunes retraités ou d’actifs issus d’autres secteurs industriels, provenant notamment d’autres bassins d’emploi. Nous pourrions ainsi les solliciter pendant un certain nombre de jours pour contribuer à la production en les faisant venir régulièrement sur nos installations. À ce titre, il importe de communiquer, de se faire connaître et de les inviter à découvrir nos sites.
De telles démarches permettraient de faire tourner de temps en temps des capacités industrielles en sommeil, de les entretenir et de former des réservistes. Nicolas Chamussy s’intéresse particulièrement au sujet ; je pense qu’il partagera volontiers avec vous prochainement ces idées sur la question.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). L’industrie de défense européenne joue un rôle crucial dans la sécurité et la souveraineté de l’Union européenne. Cependant, elle est confrontée à plusieurs défis, notamment la fragmentation du marché, la concurrence mondiale et la nécessité de moderniser les équipements militaires. Pour renforcer l’autonomie stratégique européenne, l’UE a mis en place des mécanismes financiers, afin de stimuler la coopération entre les États membres. Le Fonds européen de défense vise à encourager la collaboration entre les entreprises de défense européennes et à réduire la dépendance vis-à-vis des fournisseurs non européens.
En complément, le programme Edip soutient des projets visant à renforcer la compétitivité en Europe, dans l’idée de promouvoir l’intégration des chaînes d’approvisionnement et de favoriser l’innovation dans les technologies militaires. En outre, l’Union soutient la coopération intergouvernementale via des initiatives comme la coopération structurée permanente, qui permet aux États membres de collaborer sur des projets de défense communs.
Les investissements dans les capacités de défense européenne sont essentiels pour atteindre l’autonomie stratégique, réduire les coûts de développement et favoriser l’innovation technologique. Le financement de l’industrie de défense européenne repose donc sur une combinaison de fonds européens, de coopérations entre États membres et d’initiatives visant à renforcer l’autonomie, la compétitivité de l’Europe dans un environnement géopolitique complexe. Comment développer et consolider financièrement l’industrie de défense européenne afin de favoriser la compétitivité des entreprises et l’autonomie stratégique de l’UE ?
M. Alexandre Dupuy. La question du financement de l’industrie de défense européenne fait l’objet de nombreux débats en ce moment. Ils concernent à la fois le niveau de dépenses dans un cadre budgétaire contraint, mais aussi l’accès au financement proprement dit. Même si l’image de l’industrie de défense s’est améliorée depuis la guerre en Ukraine, cet accès demeure compliqué, particulièrement pour les petites structures, qui ne disposent pas d’une importante trésorerie.
Le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) s’est saisi du sujet il y a deux ans pour expliquer, convaincre rassurer et mieux faire connaître le monde de l’industrie de l’armement, avec un certain succès. Pour pouvoir se développer économiquement, une société humaine doit pouvoir être en sécurité, sécurité à laquelle l’industrie de défense contribue de manière décisive.
M. le président Jean-Michel Jacques. Vous avez raison de souligner cet aspect. Notre commission de défense invite les groupes financiers français à prendre en considération cet enjeu, à la fois pour la défense du pays, mais également pour saisir certaines opportunités. Les parlementaires de la commission les invitent d’ailleurs à se prononcer beaucoup plus clairement sur la question.
Mme Sabine Thillaye (Dem). S’agissant de MGCS, un accord de partenariat a été signé pour la création de la société de projet. Pouvez-vous nous fournir de plus amples détails sur les prochaines étapes ? Existe-t-il un calendrier de nature à rassurer ceux qui sont assez opposés à ce projet ?
Ensuite, vous avez parlé du financement. Vous heurtez-vous à des problèmes de recrutement ? Par ailleurs, nos industries européennes demeurent extrêmement fragmentées. Pouvons-nous faire mieux et plus ? Faut-il accroître la standardisation ? Faut-il redéfinir des priorités ?
M. Alexandre Dupuy. S’agissant de MGCS, le pacte d’actionnaires est signé. Nous procédons actuellement au recrutement du PDG et à l’identification des postes à pourvoir. La structure sera basée à Cologne, en Allemagne. La consultation devrait intervenir dans quelques mois et la réponse sera apportée à la fin de l’été, en vue d’un contrat d’ici la fin de l’année. S’ensuivront trois ans d’études, sur une approche de piliers fonctionnels (fonctions mobilité, feu, protection et simulation), avant l’étape des démonstrateurs.
Ensuite, chacun des établissements de KNDS recrute sans trop de difficultés, nos salariés sont fiers de s’engager. Certains bassins d’emploi sont cependant soumis à des contraintes plus marquées, nécessitant à la fois de la formation et de la mobilité interne.
Le segment du terrestre est effectivement plus fragmenté que d’autres secteurs. KNDS souhaite consolider et les programmes communs nous y aideront. La standardisation est quant à elle essentielle, car elle permet aux forces armées de pouvoir utiliser des équipements et des matériels de manière coordonnée. À cette fin, il est essentiel que les industriels européens – et français en particulier – contribuent à ces enjeux de standardisation.
Nous avons testé le canon Ascalon sur deux calibres différents le 120 millimètres et le 140 millimètres. La technologie est commune et seul le calibre diffère, pour une performance de perforation de blindage différente. Cette technologie est par ailleurs compatible avec les munitions actuelles de 120mm.
Mme Lise Magnier (HOR). Les débats intervenant dans le cadre du sommet sur l’intelligence artificielle ont permis de prendre toute la mesure des opportunités offertes par cette technologie, notamment dans le secteur de la défense. Dans ce domaine, l’usage de l’intelligence artificielle n’est pas nouveau. L’IA appliquée aux « oreilles d’or » permet d’ores et déjà de traiter un très grand nombre de données acoustiques dans le domaine maritime, les Griffon sont équipés d’outils capables de repérer des cibles par un système de caméras intégrées. Il est également possible d’évoquer les usages de l’IA pour identifier rapidement les pièces détachées, traduire les langues étrangères en opération ou encore détecter des tentatives de désinformation contre nos forces armées.
Pour l’Europe de la défense, il existe toutefois un enjeu particulier à privilégier les solutions développées sur notre continent. Ceci apparaît d’autant plus important que les nouvelles intelligences artificielles dites génératives doivent, pour fonctionner, collecter un nombre très élevé de données. Appliquée à des usages industriels, on peut imaginer que cette collecte de données peut susciter des craintes légitimes sur le secret des affaires, et encore plus dans le domaine de la défense.
Quelle est la politique de votre entreprise concernant les fournisseurs de logiciels d’IA ? KNDS favorise-t-il les fournisseurs européens ? Enfin, comment KNDS se prémunit-il contre l’usage des données sensibles ?
M. Alexandre Dupuy. Nous employons l’IA dans différents usages. Dans nos modes de production, elle permet d’optimiser de 10 % l’efficacité de certains de nos outillages et assemblages, notamment pour le ceinturage des obus. Nous l’employons pour la conception dans nos bureaux d’études. À titre d’exemple, elle a servi de manière très pertinente dans l’élaboration d’Ascalon pour sélectionner une architecture parmi des centaines de milliers de choix. Elle est également présente dans les systèmes que nous produisons, à commencer par les robots. Plus largement, nous intégrons l’IA notamment pour agréger les données de différents capteurs et être force de proposition pour les opérateurs.
Ensuite, pour entraîner l’IA, il est effectivement nécessaire de disposer de données. Or la donnée de défense est assez différente de la donnée civile. Sur les terrains déstructurés, l’enjeu consiste plus à trouver de la donnée que de savoir comment la protéger.
Au-delà, nous menons une politique de protection de nos données et de protection cyber en général, qui n’est pas spécifiquement liée à l’IA. Nous embarquons de plus en plus d’électronique dans nos produits, y compris dans nos machines-outils. Il existe de grands spécialistes de ces sujets, de même que des initiatives françaises et européennes qui tendent à maintenir sur le sol français les données. En conséquence, nous nous tournons naturellement vers ces solutions.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de quatre questions complémentaires.
Mme Gisèle Lelouis (RN). L’industrie de défense européenne connaît une phase d’intégration croissante, illustrée notamment par la structuration de grands groupes tels que KNDS. Si cette dynamique vise à renforcer la compétitivité et la résilience du secteur au niveau continental, elle soulève néanmoins des interrogations majeures quant à la préservation de notre souveraineté nationale. La France a toujours veillé à conserver une autonomie stratégique en matière de défense, tant pour garantir sa liberté d’action militaire que pour préserver ses intérêts industriels et technologiques.
Dès lors, il convient de s’interroger sur les implications de cette intégration pour notre capacité à maintenir un contrôle national sur nos choix en matière d’armement. Dans ce cadre, alors que KNDS annonce de nouvelles coopérations industrielles dans le cadre de l’Europe de la défense, notamment avec l’Allemagne, sur le programme MGCS, quelles garanties avons-nous que ces partenariats ne conduisent pas à une marginalisation des intérêts industriels français au profit d’une vision davantage dominée par l’industrie allemande ? Comment s’assurer que la France conserve une maîtrise pleine et entière des technologies développées sur son territoire et ne se retrouve pas dépendante de décisions prises à Bruxelles, au risque de compromettre sa souveraineté stratégique et industrielle ?
Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Il existe toujours un dialogue entre long terme, moyen terme et court terme. Sur le long terme, l’enjeu consiste à pouvoir maîtriser des technologies de rupture et à ne pas être dépassé, ce qui implique d’investir massivement et de mettre en œuvre des coopérations, n’en déplaise à certains collègues qui adoptent une position très défensive sur le sujet.
Au-delà, je souhaite évoquer le court terme, et particulièrement le théâtre ukrainien. Pouvez-vous nous fournir des détails sur l’augmentation des cadences de production des canons Caesar et des munitions de 155 millimètres ? On doute souvent de nos capacités en Europe, mais nous avons réussi à adresser à l’Ukraine 1,5 million d’obus de 155 millimètres en 2024. Enfin, quels sont vos projets d’investissement et de coopération directement sur le territoire ukrainien ?
M. Julien Limongi (RN). Je tiens d’abord à vous remercier pour votre accueil sur vos sites de production, lors du déplacement de la commission. Cette immersion fut particulièrement enrichissante et nous a permis d’apprécier une fois de plus l’excellence de KNDS France.
Les bénéfices que peut apporter la coopération européenne à nos industries de défense sont souvent mis en avant, mais cette coopération n’exclut pas la concurrence, bien au contraire. Dans ce contexte, quels sont selon vous les véritables avantages que KNDS France retire de cette dynamique européenne ? Plus spécifiquement, votre maîtrise de la production des munitions et des systèmes d’armes constitue-t-elle un atout stratégique face à la concurrence, notamment allemande ?
Enfin, comment vous positionnez-vous sur le marché européen des munitions et quelles sont vos marges de manœuvre pour faire face à la concurrence accrue des autres industriels du secteur ?
Mme Stéphanie Galzy (RN). Récemment, KNDS a perdu un contrat stratégique avec le Maroc, qui aurait porté sur la fourniture de canon Caesar. Cette perte ferait suite à des problèmes techniques rencontrés avec les canons déjà livrés, qui n’auraient pas pu répondre aux exigences de performances attendues. Le Maroc a ainsi opté pour une solution alternative, mettant en lumière des défis critiques concernant la compétitivité de la France sur le marché international de l’artillerie.
Un échec fait partie de la vie d’une entreprise. Mon groupe ne vous donne pas de leçon à ce sujet, mais souhaite savoir quel est votre regard sur ce dossier marocain et quel enseignement vous en tirez.
M. Alexandre Dupuy. Les enjeux de coopération en Europe et de souveraineté peuvent effectivement paraître antinomiques. MGCS n’est pas un projet européen, mais un projet franco-allemand que la France et l’Allemagne ont prévu de cofinancer hauteur de 50 % chacun. De ce fait, via la DGA, la France dispose d’un droit de regard sur les investissements, les acteurs et les technologies associées. Il en va de même pour l’Allemagne.
KNDS n’a pas de lien direct avec la dissuasion, mais au titre des armes et des munitions, nous avons des capacités et des compétences décrites comme stratégiques par la précédente revue à stratégique. Chaque année, nous rendons des comptes à la DGA. Cela ne nous empêche pas par ailleurs de travailler en commun avec d’autres acteurs, notamment dans le cadre d’Asap.
Concernant le canon Caesar, en un peu plus d’an et demi, nous sommes passés d’une cadence de production un peu inférieure à deux unités par mois à une cadence de six par mois. La production des masses reculantes, c’est-à-dire des pièces d’artillerie, a été multipliée par six, soit douze masses reculantes par mois. Dans le domaine des munitions, il faut distinguer ce que nous produisons réellement de la capacité industrielle. Nous disposions d’une capacité de production de 30 000 munitions de 155 millimètres par an en 2022, et ce chiffre s’élèvera à 100 000 d’ici la fin de l’année. À ce jour, la commande de charges modulaires ne permet pas d’accompagner le même rythme. Si nous devions obtenir une subvention dans le cadre d’Asap, nous pourrions l’accroître encore plus.
Ensuite, nous faisons partie des industriels les plus avancés sur le plan de la production pouvant être directement confiée aux Ukrainiens. Cependant, un chemin assez long demeure entre l’énoncé du projet et sa concrétisation. Dans ce domaine, les enjeux sont multiples, qu’il s’agisse de la couverture du risque, de la concurrence potentiellement induite, du niveau de technologie transférable, sans parler du financement. Nous sommes en train de créer une co-entreprise pour le soutien des canons Caesar sur place et dans le domaine des munitions d’artillerie à portée intermédiaire.
Par ailleurs, la maîtrise du couple munition/arme permet de tirer le maximum de l’une comme de l’autre en matière de sécurité et de performance. Notre maîtrise du comportement de la charge modulaire et de la munition dans le tube permet de fournir un système Caesar sans accident de tir majeur alors que des opérateurs d’autres armées n’ont pas confiance dans la sécurité de leurs matériels. Elle permet également d’obtenir un avantage concurrentiel : nous parvenons à atteindre une distance supérieure à quarante kilomètres avec un obus non propulsé.
Comment restons-nous compétitifs face à nos concurrents ? Nous nous efforçons de nous améliorer perpétuellement, notamment par l’innovation. Il y a quelques années, nous avons ainsi produit l’obus Bonus avec les Suédois, qui capable de détecter des véhicules militaires et de les frapper. Autre exemple, notre obus Katana, qui est guidé par des signaux issus de constellations satellitaires et équipé d’une centrale inertielle permettant de rester précis en cas de brouillage. Enfin, dans le domaine du char, une nouvelle flèche Shard permet de percer la même épaisseur de blindage en usant moins le tube que d’autres flèches. L’innovation nous permet de conserver un temps d’avance.
Au Maroc, nous livrions les Caesar à deux régiments au moment où nous avons été sollicités pour l’Ukraine. Les Marocains ont effectivement observé quelques problèmes de fiabilité sur des certains sous-ensembles, qui sont réalisés par la chaîne de sous-traitance. Nous avons identifié la cause racine pour pouvoir corriger le problème et produire de nouveaux équipements à un moment où nous étions aux capacités maximums de production pour l’Ukraine. Ces opérations ont nécessairement duré un certain temps. Aujourd’hui, les deux régiments sont pleinement opérationnels et nous sommes fiers d’équiper les armées marocaines, membres du club Caesar. Elles continueront à bénéficier des améliorations que nous apportons sur le canon.
La commande effectuée auprès d’un autre fournisseur correspond à une offre différente, qui comporte à la fois une capacité canon et une capacité lance-roquettes, que nous ne proposons pas.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie pour vos propos liminaires et vos réponses nourries aux questions de la commission.
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La séance est levée à douze heures quarante-sept.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Manuel Bompard, M. François Cormier-Bouligeon, M. Hendrik Davi, Mme Stéphanie Galzy, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, M. David Habib, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, Mme Anne Le Hénanff, Mme Nadine Lechon, Mme Gisèle Lelouis, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, M. Thibaut Monnier, Mme Anna Pic, Mme Natalia Pouzyreff, M. Aurélien Pradié, Mme Marie Récalde, M. Thierry Tesson, Mme Sabine Thillaye, M. Romain Tonussi
Excusés. – M. Christophe Bex, Mme Anne-Laure Blin, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Clémence Guetté, M. Jean-Hugues Ratenon, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Stéphanie Rist, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud, Mme Corinne Vignon