Compte rendu
Commission de la défense nationale
et des forces armées
– Examen, ouvert à la presse, du rapport de la mission d’information sur « Recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des Armées » (Mme Caroline Colombier, M. Loïc Kervran, rapporteurs) 2
Mercredi
19 mars 2025
Séance de 10 heures 30
Compte rendu n° 51
session ordinaire de 2024-2025
Présidence
de M. Jean-Michel Jacques,
Président
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La séance est ouverte à dix heures trente.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous reprenons nos travaux avec l’examen des conclusions de la mission d’information sur le thème « Recrutement et fidélisation : gagner la bataille des ressources humaines du ministère des Armées », dont les rapporteurs sont nos collègues Caroline Colombier et Loïc Kervran. Cette mission d’information a été créée une première fois sous la précédente législature. Ces travaux n’ont à l’époque pas pu être menés à leur terme en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le bureau de la commission a toutefois souhaité la faire renaître afin de permettre à nos collègues rapporteurs d’achever leurs travaux sur un thème dont l’actualité est d’importance.
En effet, les ressources humaines du ministère des Armées constituent la pierre angulaire de notre politique de défense. Nous ne le répéterons jamais assez : la politique de défense repose d’abord et avant tout sur les femmes et les hommes qui s’engagent au service de la France au quotidien, pour nous défendre. Les ressources humaines sont au cœur de notre politique de défense. À ce sujet, la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 était à juste titre qualifiée de LPM « à hauteur d’homme ». Les ressources humaines étaient également au cœur de la loi de programmation militaire 2024-2030, qui fixe des objectifs ambitieux, puisqu’elle a pour objet d’augmenter les effectifs pour atteindre 275 000 équivalents temps plein (ETP) en 2030.
Pour atteindre de tels objectifs, il faut être en mesure de recruter et surtout de fidéliser ces femmes et ces hommes, enjeu qui constitue le cœur du présent rapport. Je tiens d’emblée à remercier nos deux rapporteurs pour leur travail, fruits de travaux denses et soutenus. Vous avez en effet effectué vingt-quatre auditions et deux déplacements sur le territoire national. Votre rapport est d’autant plus remarquable que vous êtes parvenus à traiter des enjeux de recrutement et de fidélisation de l’ensemble des catégories de ressources humaines du ministère des Armées, c’est-à-dire ses personnels militaires mais également civils, de manière synthétique et exhaustive. Vous formulez plusieurs recommandations dans votre rapport, dont la densité et la précision témoignent de la profondeur de l’analyse que vous avez réalisée sur le sujet. Nous avons donc hâte de vous entendre et de pouvoir débattre avec vous autour de cette mission d’information.
Mme Caroline Colombier, rapporteure de la mission d’information. En préambule, je tiens à saluer mon co-rapporteur, avec lequel j’ai particulièrement apprécié de travailler.
Mes chers collègues, nous sommes très heureux de vous présenter ce matin les conclusions de nos travaux sur le recrutement et la fidélisation des ressources humaines du ministère des Armées. L’intitulé de la mission d’information qualifiait la politique publique de ressources humaines du ministère de « bataille », et au risque de dévoyer des termes militaires, nous avons pu mesurer, lors de nos travaux, combien le recrutement et la fidélisation représentent effectivement des batailles permanentes menées avec vigueur par les états-majors, directions et services du ministère des Armées.
Il s’agissait d’une mission d’information particulièrement ambitieuse, à double titre. Tout d’abord, nous nous sommes intéressés à toutes les catégories de personnels du ministère des Armées, qu’il s’agisse des personnels civils ou des personnels militaires. Nous vous laissons imaginer l’étendue de la réflexion qui en a découlé, au regard de la très grande diversité des statuts dans chacune de ces deux catégories de personnels. Par ailleurs, s’intéresser au recrutement et à la fidélisation nécessite d’évaluer un nombre important de politiques, y compris des politiques dont on pourrait considérer de prime abord qu’elles sont hors champ. Je pense notamment à la politique de reconversion, qui, en réalité, fait partie intégrante de la politique d’attractivité du ministère, et donc de sa politique de ressources humaines.
M. Loïc Kervran, rapporteur de la mission d’information. Je remercie à mon tour ma collègue Caroline Colombier, avec laquelle il a effectivement été très agréable de travailler. Il me semble rassurant pour nos concitoyens que nous puissions nous retrouver sur des sujets aussi importants et produire un tel rapport, de manière consensuelle.
La politique de ressources humaines du ministère des Armées a fait l’objet de nombreux rapports, dont nous saluons d’ailleurs la grande qualité. En plus des rapports sociaux uniques annuels, des contributions réalisées par des organes comme le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) ou encore du rapport annuel du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) sur la condition militaire, les parlementaires se sont saisis de cette politique publique à de nombreuses reprises. Ils ont agi de la sorte de manière régulière dans le cadre du projet de loi de finances, pour assurer un suivi annuel ou de manière plus ponctuelle, dans le cadre de missions d’information de la commission de la défense ces dernières années, par exemple sur les personnels civils du ministère des Armées, sur le plan Famille ou encore sur les réserves.
Dans ce contexte, nous avons choisi de ne pas céder à la tentation de l’exhaustivité et réfléchi à un moyen de proposer une contribution originale et personnelle à la réflexion globale. Notre rapport est ainsi volontairement succinct et se focalise, dans ses recommandations, sur des sujets spécifiques qui constituent le cœur de l’apport de nos travaux.
Avant de vous présenter nos conclusions, permettez-nous de remercier l’ensemble des personnes auditionnées qui ont toutes utilement contribué à la réflexion. Plus généralement, nous souhaitons profiter de l’occasion qui nous est donnée pour rendre hommage aux femmes et aux hommes de la défense, civils comme militaires, qui s’engagent chaque jour pour nous défendre. Nous savons les sacrifices requis par l’engagement dans une carrière au service des armées françaises. Nous savons également que les femmes et les hommes sont au cœur de notre défense : chaque pan de notre politique de défense comprend une dimension relative aux ressources humaines, lesquelles constituent la pierre angulaire de notre défense.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Compte tenu du caractère limité du temps dont nous disposons, et dans la mesure où le projet de rapport qui vous a été transmis lundi fait déjà état de la politique de recrutement et de fidélisation du ministère des Armées, nous vous proposons de vous présenter directement nos douze recommandations.
La première recommandation vise à permettre aux régiments et aux bases aériennes et navales dans les territoires de recruter directement des candidats qui souhaitent les rejoindre. Actuellement, lorsqu’un candidat souhaite rejoindre une base ou un régiment en particulier, il doit tout d’abord s’affilier à l’armée correspondante et suivre une formation, sans avoir la garantie qu’il pourra, à l’issue, intégrer la base ou le régiment qu’il convoite ; même si des recrutements locaux ont déjà été expérimentés à la marge, notamment par l’armée de terre.
Cela s’explique essentiellement par une centralisation du processus de recrutement et, plus globalement, de gestion des ressources humaines aux racines historiques. Ce qui est appelé la « manœuvre RH », c’est-à-dire la gestion à l’échelle globale des ressources humaines, nécessite certes une coordination et un certain niveau de centralisation au niveau des états-majors et de la direction des ressources humaines (DRH-MD), ne serait-ce que pour éviter des distorsions de concurrence et les déséquilibres en matière de ressources humaines entre les régiments et les bases selon leur niveau d’attractivité qui pourraient, in fine, porter atteinte à la bonne conduite des missions.
Il n’en demeure pas moins que les régiments et les bases aériennes et navales ont tous une identité et des spécificités qui justifient qu’elles puissent être en mesure de recruter localement des personnels qui aspirent à les rejoindre en particulier. En outre, au-delà de l’attachement aux identités ou spécificités des diverses implantations militaires sur le territoire, un certain nombre de candidats au recrutement sous statut de militaire du rang peuvent exprimer le désir de s’engager spécifiquement dans leurs territoires, par attachement à celui-ci ou par souci de commodité.
M. Loïc Kervran, rapporteur. La deuxième recommandation vise à dépasser le système de gestion des personnels militaires fondé sur la dichotomie entre les gestionnaires et les employeurs. S’agissant du recrutement des personnels militaires dans les services interarmées – nous pensons au service de l’énergie opérationnelle (SEO), à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), à la direction du renseignement militaire (DRM) ou encore à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) –, ces derniers sont actuellement totalement dépendants des effectifs militaires que les armées sont en mesure de leur octroyer.
Pour servir dans un service interarmées sous statut militaire, il est nécessaire de s’affilier à une armée, qui, dans un second temps et après un temps de formation, redirigera – ou non – vers le service interarmées en question. Cela vaut également pour des personnels militaires expérimentés, qui, après plusieurs années, peuvent souhaiter s’orienter, par exemple, vers un service de renseignement, l’une des priorités politiques fortes de la LPM 2024-2030. Ce système, hérité de l’histoire, s’applique, en outre, plus ou moins selon les services : tandis que certains ne sont qu’employeurs – par exemple la DRM –, d’autres cumulent totalement – comme la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi) – ou partiellement – par exemple le service d’infrastructure de la défense (SID) – les fonctions de gestionnaire et d’employeur.
Or les statistiques montrent que les taux d’armement de ces postes par les armées sont loin d’être satisfaisants, entre 85 % et 92 % selon les armées et les services interarmées considérés. Par ailleurs, lors des auditions, nous avons été alertés à de nombreuses reprises sur le fait que les profils des personnels mis à la disposition des employeurs ne correspondaient pas toujours à leurs besoins. En outre, les personnels militaires affectés sur ces postes n’ont pas toujours la possibilité de s’y maintenir même s’ils le souhaitent. Sans nier les difficultés de recrutement et de fidélisation des armées, qui expliquent la faiblesse relative de ces taux d’armement, une réflexion pourrait être utilement menée sur les voies et moyens pour remédier à cette situation, qui est, du reste, regrettable pour tout le monde.
Cette situation l’est d’autant plus qu’en conséquence, les postes non occupés par des personnels militaires que les armées n’ont pas été en mesure de fournir sont parfois occupés par des personnels civils, ce que les armées appellent la « civilianisation » des postes. In fine, cela porte atteinte à la militarité de ces services interarmées, et singulièrement les services de renseignement dont le besoin de militarité n’est pas à démontrer. À titre d’exemple, s’agissant de la DRSD, en 2023, le taux de personnels militaires au sein du service était de 60,5 % pour 39,5 % de personnels civils, soit 957 militaires et 607 civils.
L’objectif de la LPM 2024-2030 vise à porter le ratio à 68 % de personnel militaire, ce qui constitue un défi compte tenu de la tendance actuelle. Il est en effet nécessaire pour la DRSD comme pour tous les services interarmées de disposer d’un socle de militarité solide afin de réaliser ses missions, sur le territoire national ou en dehors. C’est la raison pour laquelle ces services accordent un intérêt important à la qualité du dialogue de gestion avec les DRH des armées, afin de veiller au maintien d’un équilibre raisonnable entre les personnels militaires et les personnels civils. La diversification des viviers de recrutement, notamment par la voie du recrutement d’officiers sous contrat, par la voie des officiers commissionnés ou encore par la voie du recrutement ab initio de sous-officiers de la spécialité « renseignement », est également privilégiée.
La troisième recommandation vise à rationaliser la cartographie des centres d’information et de recrutement des forces armées (Cirfa), afin que chaque département soit doté a minima d’un Cirfa commun aux trois armées. À l’heure actuelle, certains Cirfa ne sont pas communs aux trois armées. À titre d’exemple, à Bourges, il y a un Cirfa Air et un Cirfa Terre mais aucun Cirfa Marine. Certains départements sont par ailleurs dépourvus de Cirfa, par exemple les départements du Cantal et des Alpes-de-Haute-Provence. Les outils numériques permettent certes de pallier ces lacunes en proposant des informations sur les sites internet des armées dédiés. Des initiatives ont également été développées afin de permettre des échanges par visioconférence entre des candidats potentiels et des personnels militaires déjà en poste. Mais cette situation entraîne une inégalité de fait dans le recrutement entre les trois armées, selon que celles-ci disposent ou non d’un Cirfa. Lorsque tel est le cas, elles se privent de viviers de recrutements.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. La quatrième recommandation vise à poursuivre les efforts de rationalisation d’octroi des primes dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Dans sa conception initiale, la mise en place de la NPRM induisait des distorsions entre des agents appartenant à un même service, par exemple, la DGSE, selon qu’ils officient à Paris ou dans une autre implantation en Île‑de‑France.
Si des mesures ont été mises en œuvre pour y remédier, les efforts en ce sens doivent encore être poursuivis. À titre d’exemple, il ressort des auditions que la base aérienne de Senlis-Creil n’a pas été inscrite dans la liste des communes isolées ouvrant droit à la majoration territoriale prévue dans le cadre de l’indemnité de garnison (Igar). Il ressort également des auditions que si la mise en place de l’indemnité de sujétions d’absence opérationnelle a entraîné des effets positifs sur la fidélisation des personnels de la DGSE, la mise en place de l’indemnité de garnison a produit des effets négatifs pour les militaires affectés dans des emprises autres que celle de Paris.
Cette situation crée ainsi une concurrence malsaine entre les services, qui porte atteinte à la bonne gestion des ressources humaines et, in fine, à l’atteinte des objectifs politiques fixés aux armées. À titre d’exemple, il n’existe pas de primes de sujétions harmonisées entre les différents services de renseignement relevant du périmètre du ministère des Armées.
De manière complémentaire avec la précédente recommandation, la cinquième recommandation vise à veiller à la bonne mise en œuvre des mesures de revalorisation de la dimension indiciaire des rémunérations des personnels. Nous avons noté avec satisfaction que de nombreux travaux ont été engagés pour revaloriser la dimension indiciaire des rémunérations des personnels militaires et des personnels civils. Il s’agit d’un enjeu crucial pour le recrutement et la fidélisation des personnels. Les différentes mesures annoncées à ce titre devront être effectivement mises en œuvre. S’agissant des officiers, ces mesures débuteront cette année.
M. Loïc Kervran, rapporteur. La sixième recommandation vise à garantir aux personnels civils du ministère des Armées qui le souhaitent de pouvoir servir dans la réserve. Nous avons pu constater lors des travaux qu’il peut exister des réticences, pour ne pas dire des obstacles, à ce qu’un personnel civil puisse servir en tant que réserviste. Le ministère des Armées ne peut pas à la fois promouvoir l’engagement dans la réserve et ne pas permettre à ses personnels civils de s’y engager pleinement. Cela passe évidemment par un dialogue fin avec les employeurs afin de déterminer les périodes idoines pour que le fait de servir dans la réserve ne porte pas atteinte par ailleurs à l’accomplissement des tâches incombant au personnel civil réserviste.
La septième recommandation vise à construire des parcours de carrière permettant à certains officiers de bénéficier d’une plus grande souplesse en matière de mobilité, afin de leur permettre d’en moduler le rythme en fonction de leurs souhaits d’évolution professionnelle. Les officiers sont soumis à un niveau de mobilité relativement important compte tenu de la nature de leurs missions. Il ressort des travaux de la mission que la mobilité est non seulement de moins en moins comprise et acceptée, mais également qu’elle peine de plus en plus à se justifier. La gestion des ressources humaines du ministère des Armées semble dominée par le paradigme de la mobilité, qui se justifie certes en partie par les besoins opérationnels et les souhaits de progression de carrière des personnels, mais qui semble également être devenu une fin en soi. Or la fidélisation des ressources humaines du ministère des Armées, singulièrement les plus expérimentées qui peuvent facilement se reconvertir dans le secteur privé, implique également de repenser le rythme de la mobilité, afin que des personnels qui ont été très mobiles par le passé puissent, à un moment de leur vie où la quête de stabilité est forte, trouver un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. La huitième recommandation vise à engager une réflexion sur les causes de la désertion au sein des armées. Le choix pour un personnel militaire de déserter n’est pas anodin. Il s’agit sans doute de la façon la plus brutale de quitter les armées. Lors de nos travaux, nous avons déploré le manque relatif d’informations quant aux causes pouvant justifier le choix pour un personnel militaire de déserter, en particulier s’il a la possibilité de quitter l’institution autrement. Une réflexion pourrait utilement être engagée en ce sens, afin de mieux comprendre ce phénomène et y apporter les réponses adaptées.
La neuvième recommandation vise à poursuivre les efforts déjà engagés en matière de diversité jusqu’à l’échelon des officiers généraux. Les armées ont déployé des efforts conséquents pour garantir la diversité en leur sein, qui est, du reste, très perceptible au sein des militaires du rang et des sous-officiers. Nous précisons que la recherche de la diversité ne peut en aucun cas se réaliser au détriment des compétences et du mérite. Des actions concrètes ont été prises en faveur de la diversité, y compris sur le plan de la diversité sociale, les armées permettant par définition à leurs personnels, d’où qu’ils viennent, de se hisser à des postes à responsabilité au mérite – il est souvent question à cet égard du rôle d’« escalier social » des armées. Les efforts accomplis doivent être salués et poursuivis. L’organigramme des « chefs » de l’armée de Terre montre que des efforts peuvent être accomplis en matière de féminisation.
M. Loïc Kervran, rapporteur. En complément, les Français d’outre-mer constituent une part extrêmement importante des militaires du rang dans nos régiments et nos bases. En revanche, cette part se dilue lorsque l’on monte dans la hiérarchie. Nous éprouvons donc encore des difficultés à promouvoir ces profils.
La dixième recommandation vise à réformer le système de représentativité des personnels militaires. Les personnels militaires ont la possibilité d’adhérer à des associations professionnelles nationales de militaires (APNM), dont les critères de représentativité sont complexes. À ce jour, parmi les trois armées, seules l’armée de l’Air et de l’Espace et la Marine nationale ont, chacune, une APNM « représentative » au sens légal (l’APN Air et l’APNM Marine). L’armée de Terre, quant à elle, n’a pas d’APNM « représentative » en son sein, tandis que les ingénieurs de l’armement ont deux APNM « représentatives » : France Armement et l’Association des professionnels de la défense (Aprodef). Les critères de représentativité des APNM gagneraient donc à être simplifiés.
En outre, coexistent aujourd’hui deux systèmes de représentativité des personnels militaires : les APNM d’une part, et le CSFM d’autre part. Les critères permettant à une APNM d’être représentée au sein du CSFM, distincts des critères permettant à une APNM d’être représentative, sont d’une complexité telle qu’à ce jour, aucune APNM n’est représentée au sein du CSFM. La coexistence de ce système de représentativité, sur un mode relativement concurrentiel, porte atteinte à l’aspiration légitime des personnels militaires à être correctement représentés, alors qu’ils sont déjà contraints de ce point de vue par le cadre légal. Je rappelle à ce titre que la création des APNM est d’ailleurs le fruit d’un contentieux porté devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Mme Caroline Colombier, rapporteure. La onzième recommandation vise à créer un statut ad hoc à destination des personnels civils sous statut contractuel permettant de les soumettre à des sujétions en contrepartie de compensations. Aujourd’hui, les personnels civils contractuels sont parfois soumis à des rythmes de travail dépassant le cadre de leurs contrats de travail, ce qui place le ministère des Armées dans une situation de risque juridique accru. Les personnels civils ne sont pas des personnels militaires, et à ce titre, ils ne sauraient être soumis à des niveaux de sujétions semblables à ceux pesant sur les personnels militaires qui, eux, voient ces sujétions compensées.
Pour autant, les rythmes de travail au sein du ministère, et les aspirations mêmes des personnels civils contractuels qui occupent parfois des postes initialement dévolus aux personnels militaires, sont tels qu’ils se retrouvent à devoir se soumettre à de tels rythmes de travail. Ce système est actuellement partiellement contourné par le recours au statut de réserviste opérationnel. Mais la fragilité de la situation actuelle, qui n’est in fine satisfaisante pour personne, ne saurait perdurer. Des réflexions sont en cours au sein du ministère pour créer un statut ad hoc, à mi-chemin entre le statut de personnel civil et le statut de personnel militaire, permettant de soumettre des personnels civils contractuels, sous conditions et en échange d’une juste compensation notamment salariale ou en termes de congés, à des niveaux de sujétions adaptés aux spécificités des métiers du ministère. Nous appuyons cette évolution, qui nous semble indispensable.
Enfin, la dernière recommandation vise à poursuivre les mesures de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS). Un rapport, commandé par le ministre des armées, a fait état des mesures prises par le ministère pour lutter contre les VSS au sein des armées. De nombreuses recommandations, précises et étayées, ont été listées dans ledit rapport. Nous souhaitons insister en particulier sur les conséquences induites par ce fléau en termes de ressources humaines, pour l’image des armées vis-à-vis des femmes souhaitant les rejoindre, et donc à terme pour l’attractivité du ministère.
La lutte contre les VSS doit devenir un axe majeur de la politique de ressources humaines du ministère. En réalité, ce sujet ne concerne pas uniquement les armées, mais il s’agit également, de manière pragmatique, d’une privation des ressources humaines pour le ministère, lequel est engagé à juste titre dans une quête des talents. À ce titre, il déploie des efforts considérables, y compris humains et financiers, pour former des personnels féminins qui renoncent à poursuivre leurs carrières au sein des armées en raison de ce fléau, que l’on retrouve dans d’autres métiers et pans de la société.
Telles sont les conclusions de nos travaux. Nous vous remercions pour votre attention et nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie pour votre présentation et cède à présent la parole aux orateurs de groupe.
Mme Michèle Martinez (RN). Je vous remercie pour votre travail et vos conclusions communes, qui symbolisent l’union de la nation sur les sujets importants du recrutement et de la fidélisation. Ces sujets sont abondamment discutés au sein de cette commission, mais votre travail s’avère très utile et édifiant. Il pointe les secteurs où les défis RH sont les plus intenses, notamment au niveau interarmées ou dans nos services spéciaux.
Nous avons par ailleurs été interpellés par le taux de désertion. Afin de faire face à ces défis, votre rapport propose des solutions innovantes, que nous saluons. Il revient également sur des dispositifs en cours. Parmi les dispositifs mis en place par le ministère des Armées pour favoriser le recrutement et la fidélisation, votre rapport fait référence au plan Fidélisation 360 lancé en mars 2024. Six axes ont ainsi été identifiés : mieux compenser les sujétions face aux nouvelles conflictualités et aux évolutions sociétales, accompagner la mobilité, assurer une juste rémunération, individualiser et dynamiser les parcours, améliorer les conditions de travail de la vie en emprise militaire et gagner la bataille des perceptions.
Des premières mesures ont d’ores et déjà été mises en œuvre, concernant notamment le reste à charge zéro en cas de déménagement. Pouvez-vous dresser un premier bilan de ce plan, dont nous fêtons le premier anniversaire ?
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Le plan Fidélisation 360 lancé en mars 2024 répond à un besoin de modernisation et d’adaptation des dispositifs liés au recrutement et à la fidélisation au sein des armées. Il sera effectivement essentiel de dresser un premier bilan des mesures qui ont été mises en œuvre et de leur impact concret. Ce plan s’articule autour de six axes principaux qui couvrent des domaines aussi variés que les ressources humaines, le logement, la rémunération, la mobilité, les conditions de travail et la gestion des perceptions. Il s’agit de mieux compenser des sujétions liées aux nouvelles conflictualités et aux évolutions sociétales, mais aussi d’assurer une juste rémunération et de dynamiser les parcours professionnels.
Parmi les premières actions mises en place, il est possible de citer la revalorisation des grilles indiciaires des sous-officiers, effective dès avril 2024, ainsi que celle des officiers, prévue cette année. Cette mesure vise à renforcer l’attractivité des carrières militaire et à répondre à l’attente légitime des soldats, à tous les niveaux. En matière de déménagement, un effort a été accompli puisque le reste à charge zéro pour les militaires mutés constitue pour eux un progrès indéniable. De plus, une plateforme en ligne a été développée pour fournir une assistance pratique et immédiate pour des démarches souvent très complexes. Je pense notamment au fameux portail Atrium.
S’agissant des parcours de carrière, des conventions ont été établies pour favoriser des passerelles entre les armées et les industriels, permettant de diversifier les trajectoires professionnelles et de répondre aux besoins de chacun. Enfin, il existe des mesures d’accompagnement mises en place dans les domaines de l’habitat, de la santé et de l’action sociale, afin d’améliorer la qualité de vie des militaires.
Pour le moment, il est sans trop tôt pour dresser un premier bilan, mais ces premières actions concrètes s’inscrivent dans la bonne direction. Il convient de poursuivre ces efforts, dans le souci constant de répondre aux attentes de ces personnels.
Mme Corinne Vignon (EPR). La fidélisation de nos militaires représente, avec le retour de la guerre de haute intensité, un défi majeur pour nos armées. Ainsi, l’année 2023 a été particulièrement marquée par de nombreux départs et des difficultés de recrutement, qui n’ont pas permis de compenser ces pertes. Conscients de cette problématique aujourd’hui récurrente, le ministère des Armées a mis en œuvre une série de mesures visant à fidéliser le personnel et à renforcer les carrières par une approche à 360 degrés, afin de dépasser la seule problématique des ressources humaines.
Le plan Famille 2 a été doté de 750 millions d’euros pour sept ans, soit plus de 40 % supplémentaires par rapport au plan précédent, afin de mieux compenser les contraintes opérationnelles, d’accompagner la mobilité des militaires et d’améliorer leur vie quotidienne et celle de leur famille. Par ailleurs, le plan Fidélisation 360 lancé il y a un an vient mettre en synergie l’ensemble de ces leviers pour répondre à un enjeu de fidélisation.
Néanmoins, le constat demeure préoccupant. La durée moyenne de service diminue, nos militaires restent en moyenne moins longtemps dans l’institution et plusieurs freins entravent encore cette fidélisation, avec des motifs d’insatisfaction clairement identifiés. En premier lieu, le logement et l’hébergement restent des préoccupations centrales. Le logiciel Atrium qui a été mis en place et permet de mener des visites virtuelles de logements domaniaux, afin que les militaires puissent bénéficier d’une vision du logement qui leur est proposé. Malheureusement, ce service ne présente quasi uniquement que des appartements ou des logements dans la région parisienne.
Que préconisez-vous pour accélérer le déploiement sur tout le territoire ? Disposez‑vous de pistes pour favoriser l’offre de location de logements privés ?
M. Loïc Kervran, rapporteur. L’année 2024 n’a pas vu se reproduire le trou d’air constaté 2023 en termes de recrutement, même s’il convient d’être prudent.
Je partage votre intérêt pour l’enjeu du logement, car celui-ci demeure un des facteurs d’attractivité extrêmement important du ministère. Le logiciel Atrium est utilisé pour la gestion des logements de manière générale et propose parmi ses fonctionnalités des visites virtuelles pour un nombre effectivement limité de logements, pour l’instant. Tout retard dans le déploiement de logiciels, dont la vocation consiste à faciliter la vie des militaires, est regrettable. Nous appelons donc de nos vœux son accélération, dans toutes ces fonctionnalités. Plus généralement, une réflexion sur les systèmes d’information dédiés aux ressources humaines mériterait d’être conduite. Nous savons également qu’un certain nombre de projets sont en cours pour améliorer les logiciels dédiés aux ressources.
S’agissant des locations de logements privés, tout ce qui peut être entrepris pour accroître l’offre de logements à destination des militaires doit l’être. À ce titre, une piste intéressante concerne les partenariats avec les collectivités locales. Le ministre Lecornu avait par exemple signé un certain nombre de conventions avec les collectivités territoriales de ma circonscription, à proximité de la base d’Avord. Dans ce domaine également, il existe une marge de progrès très concrète et atteignable.
M. Abdelkader Lahmar (LFI-NFP). Les difficultés de recrutement et de fidélisation au sein de nos forces armées sont réelles. Dans le contexte international actuel, cette réalité ne peut que nous inquiéter. Comme vous l’avez souligné, les carrières des militaires sont moins longues que par le passé, quel que soit le rang. Le taux de sélectivité s’établit à 1,3 pour un poste de militaire du rang et de moins de 2 pour les sous-officiers.
Dans un moment géopolitique où l’on parle volontiers d’économie de guerre et où l’on n’exclut plus l’escalade jusqu’à la confrontation armée sur notre Vieux Continent, il semble pertinent de se demander avec quelles forces nous partirions au front. Dès lors, il serait donc peut-être judicieux de s’intéresser à l’état réel de nos armées et à leur attractivité avant de jouer au va-t-en-guerre.
Le gouvernement ne semble pas pressé de recruter des militaires d’active et paraît plutôt compter sur un élan patriotique spontané du nombre de réservistes dans les années à venir. Il vise ainsi un ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active à l’horizon 2030, alors que ce ratio est actuellement d’un pour cinq. En 2035, le gouvernement souhaiterait même atteindre les 105 000 réservistes. Mais comment le gouvernement compte-t-il mener ce recrutement massif de réservistes étant donné les difficultés déjà rencontrées pour pourvoir les postes dans l’active ? Disposez-vous d’informations et quel est votre avis à ce sujet ?
Mme Caroline Colombier, rapporteure. L’élan patriotique s’est matérialisé par exemple lors du déclenchement de la guerre, avec un grand nombre de personnes qui se sont portées volontaires pour rejoindre l’armée ou la réserve.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Ayant l’honneur de côtoyer depuis sept ans nos militaires, je ne peux qu’être rassuré sur leur engagement. Si je devais partir au front, je le ferais avec chacun des militaires que j’ai pu croiser dans le cadre de mon activité de parlementaire, notamment ceux que j’ai rencontrés lors de notre mission d’information.
Ensuite, le recrutement de militaires est très dépendant de l’état du marché du travail. Lorsque le marché du travail était particulièrement tendu et que la demande était élevée, les recrutements du ministère des Armées devenaient plus compliqués. Quand le marché du travail civil est moins florissant, les armées retrouvent un plus grand nombre de candidats.
S’agissant de la réserve, nous avons formulé quelques recommandations. Nous estimons ainsi que le ministère doit être plus exemplaire dans sa promotion. S’il veut convaincre nos concitoyens, il doit déjà permettre à un plus grand nombre de ses propres personnels civils d’intégrer la réserve opérationnelle militaire quand ils le souhaitent. Par ailleurs, vous pouvez également constater que le débat public est actuellement marqué par un certain nombre de discussions sur une forme de service militaire volontaire ou une réserve militaire mobilisable pendant cinq ans. Ces questions ne sont complètement pas figées aujourd’hui.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Si les armées veulent plus attirer et fidéliser, elles doivent également disposer des moyens financiers en conséquence.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC). Je vous remercie pour votre travail, qui met en lumière le défi du recrutement pour nos armées, lequel se pose à de nombreux niveaux. Parmi ces défis, je me permets de mettre un exergue celui de la question cyber. Dans ce domaine, nous pouvons en effet payer très cher nos vulnérabilités. Les effets et les conséquences sont extrêmement importants. Les attaques à l’encontre de nos hôpitaux et de nos collectivités sont bien connues.
Mais il faut également évoquer la sécurité de nos logiciels embarqués et le risque de diminution de la surface d’attaque. Je pense notamment aux attaques qui ne visent pas les systèmes mais les personnes. L’armée française s’est ainsi dotée d’un commandement de la cyberdéfense (Comcyber) afin de parer ces attaques. Ces talents sont évidemment très recherchés sur le marché du travail, notamment par des entreprises privées qui disposent de plus grandes marges de manœuvre financières. Le rapport y fait d’ailleurs référence.
Quelques solutions sont proposées pour concurrencer ces entreprises qui font valoir de nombreux atouts. Il s’agit notamment du dispositif innovant de la prime de lien au service pouvant aller jusqu’à 50 000 euros pour le cyber, en échange d’un engagement à servir de deux à cinq ans ou du développement du recrutement de militaires sous statut commissionné pour répondre à des besoins et compétences spécifiques. Bien qu’il faille saluer ces avancées, elles peuvent paraître malheureusement insuffisantes dans le contexte international actuel et face à la concurrence des entreprises privées.
Dès lors, qu’est-il envisagé pour améliorer la compétitivité du secteur militaire par rapport au secteur privé sur ces métiers en tension ? Quelle évaluation en sera faite par rapport aux objectifs de renforcement de nos forces armées sur ce volet cyber et numérique ?
Mme Caroline Colombier, rapporteure. En matière cyber, l’armée est confrontée à une très forte concurrence du privé, dont les moyens financiers sont nettement supérieurs. Il faut cependant relever que les primes de lien au service ont été augmentées.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Dans la LPM, le cyber constitue un axe de progression, l’objectif affiché portant sur une hausse de plus de 950 ETP dans ce domaine, tous services confondus. Au-delà de la prime de lien au service, des grilles sont utilisées, notamment la grille de la direction interministérielle du numérique (Dinum), qui a été revalorisée, mais la mise en œuvre de sa deuxième version (Dinum 2) a été retardée. Lors de nos auditions, certains services, notamment les services de renseignement, ont indiqué que ce retard de mise en œuvre s’était avéré préjudiciable pour les recrutements.
Néanmoins, cette grille Dinum 2 vise précisément à améliorer la compétitivité face au secteur privé. Elle constitue un outil important pour continuer à pouvoir recruter ce type de profils. Enfin, le ministère est très attractif pour les débuts de carrière, en offrant des responsabilités qui ne pourraient pas être obtenues dans le civil, lesquelles permettent aux spécialistes en question de se constituer une véritable carte de visite. L’essaimage ultérieur n’est pas non plus totalement inintéressant pour le ministère, car il permet d’envoyer vers le secteur privé des gens compétents, dotés d’une culture militaire.
M. Jean-Louis Thiériot (DR). Une fois de plus, à travers ce rapport, notre commission fait œuvre utile. Nous sommes tous conscients que la richesse de nos armées réside dans les femmes et les hommes qui les servent. Je vous remercie donc pour ce travail, qui nous permet de témoigner notre reconnaissance à l’égard de ceux qui, pour reprendre le mot d’Aragon, ont librement accepté d’être les fiancés de la terre et les promis de la douleur.
Votre rapport comporte-t-il une étude comparative avec les pays qui éprouvent des difficultés dans le recrutement ? Je pense en particulier au Royaume-Uni qui a été conduit à désarmer des frégates, ou un pays comme la Pologne qui nourrit de grandes ambitions militaires légitimes compte tenu de sa situation géopolitique, mais qui peine à recruter, d’autant plus qu’elle connaît une situation de quasi plein emploi.
Ensuite, avez-vous travaillé sur les filières ? Je pense en particulier à la problématique post école de guerre pour la filière internationale. Ces postes sont stratégiques, notamment ceux des attachés de défense, mais les perspectives de carrière sont plutôt moins favorables.
Enfin, avez-vous proposé des mesures en matière symbolique ? Je pense par exemple à l’existence dans les régiments de sociétés équestres militaires, qui permettent de pratiquer l’équitation dans des conditions acceptables. De même, je sais que la disparition dans nos ports du cercle naval à Toulon ou du cercle naval à Brest a constitué un véritable traumatisme, notamment pour les officiers subalternes.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Nous n’avons pas cherché à établir de telles comparaisons, tant le sujet que nous devions traiter était déjà extrêmement dense. Par ailleurs, votre réflexion sur la problématique de la carrière après l’école de guerre est effectivement très pertinente.
M. Loïc Kervran, rapporteur. S’agissant de la comparaison avec d’autres pays, nos auditions ont permis de mettre en lumière que la France est moins confrontée que d’autres nations à des problèmes de santé ou de forme physique de sa jeunesse. Dans ce domaine, les États-Unis font face à un défi absolument gigantesque en matière d’obésité. Si la France n’est pas totalement épargnée, ces difficultés y sont moins prégnantes.
S’agissant des filières, nous avons surtout voulu réfléchir sur des parcours peut-être un peu moins systématiquement ascendants, moins linéaires. Les passages obligés dans les états-majors ne sont pas toujours attractifs pour des profils très opérationnels qui ont été très exposés, par exemple au sein de nos forces spéciales. Dès lors, il convient de mener une réflexion sur des parcours plus « circulaires, » y compris au sein du service de santé des armées (SSA).
Enfin, je partage vos propos concernant les cercles et centres équestres militaires, éléments importants qui se sont objectivement affaiblis, notamment en termes d’équipements dédiés.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Il est nécessaire de tisser un lien pérenne entre la jeunesse et les armées. Les générations se suivent mais ne se ressemblent pas. Monsieur le rapporteur, vous venez de dresser le parallèle entre la santé de notre jeunesse et celle des États-Unis. J’en profite donc pour vous appeler à soutenir les bons modèles agroalimentaires tels que ceux défendus par les écologistes.
La refonte de la journée défense et citoyenneté (JDC) constitue également un sujet. D’autres formats doivent être approfondis comme les classes de défense et la création de liens avec les armées. Le recrutement massif de réservistes parmi les civils et les anciens militaires d’active poursuit également son chemin. Il s’agit ainsi qu’ils puissent mettre leur savoir-faire et leur savoir-être au service des armées.
Ensuite, penser la place des femmes est primordial. Le travail se joue ici dans l’imaginaire des filles et leur capacité à se projeter dans les métiers de la défense, en prenant en compte les réalités de vie d’une femme, qui peut être aussi une mère. La poursuite des mesures de lutte contre les VSS représente également un enjeu crucial pour la fidélisation, comme le souligne votre douzième recommandation. L’accès à des responsabilités et la présence de rôles modèles représenteraient un indicateur et un facilitateur pour l’attractivité des armées. Les mêmes chances ne sont pas accordées aux femmes et à nos concitoyens issus de la diversité, même si des progrès sont réalisés au sein du ministère.
Un autre enjeu concerne le cadre de vie. Les personnels de l’armée sont intégrés dans nos collectivités, dans nos villes, dans nos communes. La vie de famille doit être conciliée avec l’agenda professionnel et une mobilité accrue par rapport à d’autres métiers de la fonction publique. De plus, la garantie d’un bon cadre de vie est importante pour l’image de l’institution. En conséquence, « gagner la bataille des ressources humaines » correspond-il à l’adaptation du ministère des Armées au changement de société ? Sur le volet de la rémunération et des primes, Bercy sera-t-il à l’écoute ?
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Nombre des éléments que vous avez évoqués sont abordés dans le rapport. Si des progrès demeurent à accomplir, les armées ont pris conscience de l’importance du cadre de vie des militaires et de leurs familles. Les temps ont changé, les femmes de militaires travaillent de plus en plus et souhaitent poursuivre une activité professionnelle dans les lieux où leurs maris ou conjoints sont mutés. Des améliorations voient ainsi le jour, même si ces personnes sont parfois contraintes d’occuper des postes de moindre envergure que ceux qui étaient les leurs, dans une vie antérieure.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je vous remercie d’avoir soulevé la question des femmes dans l’armée, à laquelle nous sommes très attachés, ma collègue et moi-même. À ce titre, je ne peux me satisfaire de l’organigramme actuel de nos chefs de l’armée de terre, qui ne comporte pas de femmes, ni de personnes issues de la diversité. J’espère qu’il en sera autrement, demain, tant ce sujet me paraît absolument vital. Nous avons auditionné des sociologues qui nous disent que ces éléments impactent le recrutement des armées. Elles doivent pouvoir montrer qu’il est possible d’atteindre le plus haut niveau de commandement, quel que soit son profil.
Je parlais également précédemment des parcours plus « circulaires », grâce à une gestion plus individualisée des carrières. Il faudrait par exemple permettre de passer plus de temps à un certain grade avec un peu moins de mobilité, en fonction des différents moments de la vie, en lien par exemple avec la parentalité.
S’agissant des désertions ou, de manière plus générale, des départs de l’institution, des progrès doivent également être accomplis pour bien en cerner les raisons. Lors de nos auditions, des sociologues indiquaient que le terme générique « d’inadaptation à la vie militaire » pouvait en réalité cacher l’inadaptation des armées à certains profils. Il convient donc de mener un travail plus fin pour comprendre les raisons qui poussent certains à quitter les armées, parfois de la manière la plus violente, c’est-à-dire en désertant.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je remercie nos deux rapporteurs pour la qualité de leur travail. Je souhaite également adresser une très sincère pensée pour les hommes et les femmes du ministère des Armées, qui nous défendent avec un engagement sans faille.
Ensuite, je tiens à vous faire part d’une préoccupation. Je ne sais pas comment nous allons pouvoir simultanément renforcer notre industrie de défense et maintenir dans les armées tous les excellents techniciens qui y ont développé leurs compétences. Je pense par exemple aux mécaniciens qui sont très rapidement captés par les industriels une fois qu’ils ont été formés. À ce titre, il sera nécessaire de passer des contrats, des conventions, de partenariats avec l’industrie de défense pour que nous soyons gagnants-gagnants et non perdants-perdants, en définitive.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Ce sujet d’importance n’est malheureusement pas neuf et je souscris complètement à vos propos concernant la nécessité de conventions avec l’industrie. Il n’existe malheureusement pas de solution miracle, même si les armées mènent une réflexion en ce sens.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Madame la ministre, vous avez souligné à juste titre les efforts menés par le ministère des Armées, notamment avec le plan Famille, la politique de rémunération ou les mesures à destination des blessés.
Il existe déjà des outils, voire des processus de déconfliction entre les industriels et les forces armées en matière de recrutement, mais il convient d’aller plus loin. Les capacités de formation de nos forces armées subissent en effet une très forte pression concurrentielle et voient des effectifs de qualité les quitter après y avoir été formés, en particulier au niveau des sous-officiers et de l’encadrement. Il s’agit là d’une véritable difficulté, qui va sans doute s’accroître. À défaut de disposer de solution magique, je crois à un travail fin au niveau territorial entre les grands acteurs industriels et les forces, qui sont souvent présents sur les mêmes bassins.
Mme Lise Magnier (HOR). Je remercie nos deux rapporteurs pour leur rapport qui met parfaitement en lumière des enjeux concernant la gestion des ressources humaines au sein de nos armées. Celui-ci nous fournit l’occasion de témoigner notre reconnaissance à tous ceux qui servent nos armées, qu’ils soient militaires, personnels civils ou réservistes. Il est évident que le recrutement et la fidélisation représentent des piliers essentiels pour assurer la capacité opérationnelle et la défense de notre nation. Vous avez identifié un certain nombre de défis, comme l’attractivité des carrières, la compensation des sujétions spécifiques aux métiers militaires et la nécessité de moderniser les processus de recrutement.
Dans ce cadre, un aspect retient particulièrement mon attention. Il s’agit de la potentielle dichotomie entre gestionnaire et employeur au sein de nos forces armées. Il apparaît que de nombreuses directions et services dépendent de l’allocation de ressources par les différentes DRH d’armée pour leurs personnels militaires. Cette situation peut parfois engendrer une inefficacité et des déséquilibres, notamment en termes de correspondance entre les besoins spécifiques des services et les profils des personnels qui leur sont effectivement alloués.
De quelle manière cette dichotomie influence-t-elle concrètement la capacité de certains services – je pense particulièrement à la DRM – à répondre à leurs besoins opérationnels ? Surtout, quelles mesures pourraient être envisagées pour harmoniser davantage le processus de gestion et d’allocation des ressources humaines et des compétences afin de garantir une meilleure adéquation entre les compétences requises et les personnels effectivement disponibles ?
M. Loïc Kervran, rapporteur. À l’heure actuelle, il n’existe pas d’harmonisation. Certains services comme la DRM dépendent totalement pour leurs effectifs militaires de l’allocation des trois armées, quand d’autres comme la Dirisi sont à la fois gestionnaires et employeurs. De son côté, le SID dépend de l’allocation des trois armées pour un certain nombre de postes militaires, mais a également créé son propre corps d’ingénieurs, les ingénieurs militaires d’infrastructure (IMI).
Or cette disparité nuit au bon fonctionnement. D’abord, les armées ne sont pas capables de fournir les effectifs dont elles devraient disposer. À titre d’exemple, les décisions politiques ont mis l’accent sur le renseignement, mais les armées n’affectent pas le nombre de personnels qu’elles sont censées allouer à la DRM, à la DGSE ou à la DRSD. En conséquence, les services ont tendance à « civilianiser », c’est-à-dire à recruter directement des civils, ce qui contribue à porter atteinte à la militarité et aux fonctions opérationnelles. Ce faisant, on se prive d’utiliser des « marques employeur » pourtant reconnues. Par exemple, aujourd’hui, il n’est pas possible de rejoindre directement la DRM : il faut d’abord passer par l’armée de terre ou l’armée de l’air, qui à un moment de leur carrière, affecte des personnels à la DRM. Au-delà du nombre, il est surtout question de la bonne allocation des compétences. Il existe parfois un décalage abyssal entre les profils et compétences dont ces services ont besoin et ceux que les armées leur allouent.
En conclusion, face à ces dysfonctionnements, se pose la question du recrutement direct, y compris sous statut militaire, d’un certain nombre de ces directions et services.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Je partage entièrement ce point de vue : la marque employeur n’est pas suffisamment exploitée.
M. Loïc Kervran, rapporteur. À ce titre, au-delà des services de renseignement, d’autres directions comme le SID peuvent constituer de très belles marques employeur.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous passons maintenant à une séquence de questions complémentaires.
Mme Stéphanie Galzy (RN). La revalorisation des soldes des militaires représente un enjeu crucial pour l’attractivité et la fidélisation des forces armées. Si la nouvelle politique de rémunération des militaires a permis certaines avancées, notamment via la révision des grilles indiciaires et des indemnités spécifiques, l’indemnité de garnison pose encore problème. En effet, son application inégale crée des distorsions entre les militaires d’un même service selon leur affectation géographique. Comme le souligne le rapport d’information, ces disparités engendrent une concurrence malsaine entre les services et nuisent à la gestion des ressources humaines des armées. Quelles mesures faudrait-il prendre pour corriger ces effets pervers et garantir une véritable équité dans l’application des dispositifs indemnitaires ?
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Vous avez tout à fait raison. La revalorisation des soldes de militaires, notamment l’indemnité de garnison et son complément, constitue un véritable enjeu pour attirer et fidéliser le personnel militaire. Des inégalités persistent en raison de l’application différenciée de cette Igar, laquelle a été créée en 2023 pour mieux compenser les contraintes géographiques. Cette situation crée des tensions chez les militaires affectés dans des zones géographiques différentes et nuit à la bonne gestion des ressources et la cohésion au sein des armées.
Afin de corriger ces distorsions, il est essentiel de poursuivre les efforts de rationalisation de l’octroi des primes dans le cadre de la NPRM. Il convient en outre d’envisager une réévaluation des critères d’évaluation de l’Igar pour mieux prendre en compte les spécificités locales et étendre des zones qui bénéficient de la majoration territoriale. Une telle action garantirait une plus grande équité entre les militaires et renforcerait l’attractivité et la fidélisation des forces armées.
M. Loïc Kervran, rapporteur. La question des primes constitue un enjeu de taille dans les services de renseignement, afin d’éviter une forme de concurrence déloyale entre eux. Par exemple, la DGSE à Mortier ne connaît pas le même régime de primes qu’une autre implantation, située de l’autre côté du périphérique. De même, la DRM a été pendant longtemps le dernier service de renseignement à ne pas bénéficier de la prime de sujétion, mais dispose désormais d’une prime plus intéressante que celle de la DRSD.
Vous constatez ainsi l’absence d’alignement. Il convient donc de mener un travail d’harmonisation des primes pour les services de renseignement, en lien avec la coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Ma question concerne la planification du recrutement des jeunes générations de soldats en fonction de la grande bataille du XXIe siècle, le changement climatique global. Il s’agit d’un problème majeur auquel les forces armées sont d’ores et déjà confrontées. Il convient ainsi de penser et d’opérationnaliser la nécessaire adaptation au changement climatique de nos sociétés. À l’échelle des forces militaires, cela impose de nouvelles missions, notamment un suivi et une réponse aux crises et catastrophes naturelles qui s’accompagnent de missions de sécurisation, d’aide à des populations sinistrées ou rendues vulnérables par des désastres causés par le changement climatique. Ces actions s’effectuent avec en interaction d’autres acteurs bien connus comme les sécurités civiles, les ONG humanitaires et le management de crise.
Cette nouvelle donne climatique impose une projection dans un avenir toujours plus prévisible à la lumière du diagnostic scientifique sur les dégradations des conditions d’habitabilité de la terre. Simultanément, nous constatons une certaine indétermination dans la réponse collective pour y faire face. De quelle manière le ministère intègre cette variable dans sa politique de recrutement et de fidélisation durable des ressources humaines dans une planète qui se réchauffe toujours plus ?
M. Loïc Kervran, rapporteur. Cette question est effectivement importante pour une partie significative de notre jeunesse. Il convient à ce titre de mentionner la stratégie globale « Climat & Défense ». En s’engageant dans nos armées, nos jeunes contribuent également à protéger la biodiversité, par exemple à travers les opérations de lutte contre la pêche illégale. Ils portent secours aux populations à la suite de catastrophes climatiques.
Ensuite, les armées mènent une réflexion propre en matière de climat, qui se traduit notamment dans leur équipement capacitaire. Il y a quelques jours, j’ai assisté à Bourges au concours Defstart, qui a pour objet de financer des PME innovantes. L’une des PME récompensées propose un quad électrique doté d’une autonomie extrêmement longue et d’une capacité d’emport très importante pour nos armées. En conclusion, à travers ses missions et ses efforts d’adaptation, notre armée française peut contribuer directement à la protection du climat et de la biodiversité, sans être en contradiction avec ses propres valeurs.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). En complément, je rappelle que le ministère des Armées a établi un grand plan centré autour de la biodiversité, de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et plus globalement de l’ensemble de ces sujets environnementaux. Je considère qu’il s’agit là d’un levier important aussi pour attirer la jeunesse. Le ministère des Armées s’implique fortement dans ce domaine et je tenais à le signaler.
M. Pascal Jenft (RN). Je souhaite évoquer les effectifs du service de santé des armées (SSA), lequel revêt une importance capitale pour nos armées, aussi bien lors des opérations extérieures que sur le territoire national. Le SSA effectue également des recherches médicales et peut constituer un soutien précieux en cas de crise sanitaire. Dans votre rapport, vous indiquez qu’il fait partie des métiers en tension forte. Parmi les mesures de fidélisation, on peut observer grâce à votre rapport que le complément de salaire pour atteindre l’indice 49 du plan Ségur est toujours étendu aux psychologues et aux services paramédicaux des services de santé des armées.
Estimez-vous que ces mesures soient suffisantes pour fidéliser les personnels du SSA ? Sinon, comment les fidéliser davantage ? Il s’agit là d’une question importante dans la mesure où le bon fonctionnement du service peut exercer une influence sur la fidélisation de tous les corps d’armée dans leur ensemble. De plus, le SSA doit être en mesure de s’adapter aux défis contemporains.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. La LPM 2024-2030 a placé un accent particulier sur le SSA, en reconnaissant son rôle crucial pour assurer une capacité médicale optimale dans le cadre des missions militaires. Cette attention se traduit notamment par la mise en place de mesures spécifiques pour renforcer l’attractivité du SSA et soutenir ses effectifs face aux nombreux défis qu’il rencontre, notamment dans le contexte de la modernisation de nos forces armées.
Dans cette optique, des mesures salariales ciblées ont été introduites pour améliorer les conditions de travail des personnels du SSA. Tout d’abord, la prime de lien au service peut atteindre jusqu’à 50 000 euros pour certains professionnels. Cette prime est particulièrement destinée à des familles professionnelles spécifiques comme celles du nucléaire, des systèmes d’information et de communication, ainsi qu’aux praticiens. Cependant, elle demeure conditionnée par un engagement à servir en son sein pour une durée de deux à cinq ans, l’objectif consistant à attirer et fidéliser des compétences rares et essentielles à la défense nationale, tout en en renforçant la stabilité du service de santé.
Parallèlement, une majoration indiciaire a été instaurée. Elle attribue quarante‑neuf points d’indice supplémentaires aux membres du SSA dans le cadre d’une augmentation de leur traitement indiciaire. Elle s’inscrit également dans le plan Ségur de la santé qui visait à revaloriser les soignants. Désormais, cette majoration bénéficie aussi aux soignants civils et militaires, aux paramédicaux et psychologues du SSA, à l’exception des praticiens. Ces mesures illustrent bien l’engagement de soutenir le SSA tout en assurant l’attractivité et la fidélisation de ce service vital pour nos armées.
M. Thomas Gassilloud (EPR). À travers les différents exemples qui ont été évoqués concernant les disparités de statut, force est de constater que les civils sont toujours mieux traités que les militaires. Vous parliez des armées, mais l’on pourrait comparer les différences de traitement entre nos gendarmes mobiles et nos CRS, qu’il s’agisse des conditions d’implantation ou des niveaux de salaire.
Je souhaite donc attirer votre attention sur deux points particuliers. Je pense d’abord à l’importance de la singularité militaire, qui a tendu à diminuer à l’époque des « dividendes de la paix », à la fois en termes capacitaires, mais aussi de civilianisation. Or cette singularité militaire demeure extrêmement importante en raison des considérations éthiques, juridiques et morales qui y sont attachées. L’Assemblée nationale et notre commission doivent y être particulièrement attentives.
Ensuite, toujours dans le cadre de cette singularité, nous devons veiller à ne pas prendre prétexte des restrictions des libertés syndicales de nos militaires pour trop dégrader leurs conditions d’exercice, ce qui a pu intervenir par le passé. Nous devons être attentifs à l’équilibre entre les sujétions, mais aussi les droits des militaires. À ce titre, le Parlement est également destinataire, au même titre que le président de la République, du rapport du HCECM, qui chaque année fait le point sur cette singularité militaire.
De manière un peu plus générale, vous avez exposé des propositions techniques en faveur de l’attractivité et de la fidélisation du métier des armes. Quel regard personnel portez‑vous sur la place du militaire dans notre société ? Au-delà des conditions salariales ou d’hébergement, l’attractivité et la fidélisation se jouent avant tout sur la place offerte à chacun dans la société, notamment vis-à-vis d’une jeunesse à la recherche de sens. Qu’ont-ils à nous dire ? Que peuvent-ils apporter à la Nation, au-delà de la défense de ses intérêts ?
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je vous remercie d’avoir rappelé ces points d’attention, que nous partageons. J’ai fortement insisté sur la notion de gestionnaire‑employeur, qui constitue une des sources profondes de civilianisation de nos services et directions. S’agissant de l’équilibre entre droits et devoirs, notre rapport comporte une recommandation sur la représentativité.
Vous avez également mentionné la question de la place des militaires dans la société. D’abord, je considère que la moindre visibilité des uniformes dans nos rues doit être prise en compte. Il me semble nécessaire de réobjectiver cette question. En termes de fierté individuelle, de visibilité et de contact, il m’apparaît important que les militaires puissent à nouveau circuler en uniforme dans les rues de nos villes.
Ensuite, je suis pour ma part nostalgique de l’image de l’officier du XIXe siècle tel qu’elle a été notamment dépeinte par la littérature de cette époque. Par le passé, la société a accordé une place plus importante aux officiers, qui faisaient partie des notables, au même titre que d’autres professions, notamment en province. Cela n’est pas spécifique aux armées ; il suffit de penser par exemple à nos instituteurs, nos médecins.
À titre personnel, je m’efforce de contribuer à cette réémergence. Il y a quelques jours, j’ai participé à un débat aux écoles militaires de Bourges avec Jean-Laurent Cassely, auteur de La France sous nos yeux. J’estime nécessaire de renforcer ces liens et la présence de nos militaires dans l’espace public, le débat public et la vie de la cité.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. Je partage tout à fait ce point de vue. Il me semble nécessaire d’envisager des manières de mieux rendre visible nos militaires, notamment dans les rues de nos villes. Par ailleurs, certains militaires quittent l’institution à défaut de pouvoir s’impliquer dans des missions qui donnent du sens à leur engagement.
M. Aurélien Rousseau (SOC). Je souhaite m’attarder également sur les questions relatives au recrutement et à la fidélisation. Comme nous pouvons le constater dans d’autres grands secteurs comme ceux de la santé ou l’éducation, le ressort de l’héroïsme ne suffit plus à maintenir l’engagement. Les militaires ont à la fois la volonté d’être au service de leur pays, mais doivent également se projeter dans la suite de leur carrière.
L’hybridité des menaces, la diversité des moyens que peut utiliser quelqu’un qui a connu la chose militaire doit pouvoir lui offrir des débouchés. Il est essentiel que l’armée en tant que gestionnaire et employeur puisse offrir aux militaires des exemples de sortie, afin qu’ils puissent se projeter. Cela vaut aussi bien pour les soldats, les sous-officiers, mais également les officiers supérieurs, par exemple ceux qui n’ont pas suivi l’école de guerre.
Mme Caroline Colombier, rapporteure. L’enjeu de la « reconversion » des militaires d’active est pris en charge par les armées, mais il convient sans doute de progresser encore dans ce domaine.
M. Loïc Kervran, rapporteur. Je suis persuadé que la gestion de la reconversion constitue plutôt une force de ce ministère. Ensuite, lors de nos auditions, nous avons évoqué avec des sociologues les ressorts de l’engagement. Il apparaît que le pourcentage de la jeunesse française intéressée par le fait de rejoindre les armées demeure très stable sur le long terme, alors même que ces ressorts varient dans le temps. Le vivier naturel de personnes intéressées par le métier des armes reste très stable, sur plusieurs décennies.
M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie pour la présentation de votre mission d’information qui a mis en valeur la richesse humaine de nos armées.
La commission autorise à l’unanimité le dépôt du présent rapport d’information.
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La commission de la défense nationale et des forces armées autorise à l’unanimité la publication du rapport portant sur le recueil des auditions de la commission relative à son cycle sur l’économie de guerre.
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La séance est levée à douze heures huit.
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Membres présents ou excusés
Présents. – M. Frédéric Boccaletti, M. Manuel Bompard, M Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Yannick Favennec-Bécot, Mme Stéphanie Galzy, M. Thomas Gassilloud, M. Damien Girard, M. Daniel Grenon, Mme Catherine Hervieu, M. Laurent Jacobelli, M. Jean-Michel Jacques, M. Pascal Jenft, M. Guillaume Kasbarian, M. Loïc Kervran, M. Abdelkader Lahmar, M Didier Lemaire, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, Mme Lise Magnier, M. Sylvain Maillard, Mme Michèle Martinez, Mme Josy Poueyto, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Catherine Rimbert, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Aurélien Rousseau, M. Arnaud Saint-Martin, M. Sébastien Saint-Pasteur, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon
Excusés. – Mme Delphine Batho, M. Christophe Bex, Mme Anne-Laure Blin, M. Matthieu Bloch, M. Elie Califer, Mme Cyrielle Chatelain, M. Frank Giletti, Mme Florence Goulet, Mme Anna Pic, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, M. Boris Vallaud