Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

 Audition, ouverte à la presse, de M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD)   2


Mercredi
6 novembre 2024

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 11

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD).

La séance est ouverte à 9 h 00.

Présidence de Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Avant notre audition importante avec le directeur général de l’Agence française de développement (AFD), je souhaite faire le point sur quelques actualités. La semaine dernière, j’ai participé au voyage officiel du président de la République au Maroc. Dans le contexte de la future politique étrangère de l’administration Trump, la relation de la France avec le Maroc et, plus largement, avec l’Afrique revêt une importance capitale. Ce déplacement, au-delà des 10 milliards d’euros de contrats signés, a permis de rétablir une relation de confiance avec notre partenaire marocain. Il s’inscrit dans une vision à moyen et long termes des relations de la France avec l’Afrique.

J’ai également rencontré l’ambassadrice d’Azerbaïdjan pour lui expliquer les raisons de notre décision de ne pas envoyer de délégation à la conférence des parties (COP) en Azerbaïdjan. J’ai évoqué les questions d’ingérence de l’Azerbaïdjan dans certaines affaires françaises. Elle m’a informé des avancées du traité de paix en discussion avec l’Arménie, dont la signature dans les mois à venir pourrait modifier nos relations dans cette région.

Hier, en compagnie de notre collègue Pierre Pribetich, j’ai rencontré Ahmed Fouad Alkhatib, senior fellow à l’Atlantic Council et expert de longue date sur la question de Gaza, de la Palestine et de la situation en Israël. Cet entretien s’est révélé particulièrement éclairant. J’ai initié une réflexion pour organiser, dans les prochaines semaines, peut-être en décembre, un événement d’une demi-journée au nom de la commission des affaires étrangères. L’objectif est de réfléchir ensemble à des scénarios permettant d’assurer la souveraineté du peuple palestinien, tout en garantissant la sécurité d’Israël. Alors que l’attention se porte actuellement sur la fin du conflit et les souffrances des populations, il nous incombe d’apporter au débat public une réflexion sur les possibilités de paix et de sécurité pour les habitants de cette région.

M. Michel Herbillon (DR). Je tiens à exprimer notre plein soutien à votre proposition concernant l’analyse des événements au Moyen-Orient. Votre initiative est non seulement salutaire mais également souhaitable. Elle répond à notre désir commun de rester en phase avec l’actualité et, dans la mesure du possible, d’adopter une approche prospective.

Par ailleurs, concernant le Maroc, nous avions évoqué en bureau l’idée d’organiser une mission de notre commission dans ce pays. Je suggère d’élargir cette perspective à l’ensemble du Maghreb. Il me semble en effet primordial que la commission des affaires étrangères marque sa présence dans cette région.

M. le président Bruno Fuchs. J’ai pris une initiative en septembre avec mes homologues marocains dont je vous ferai part la semaine prochaine. Concernant le Maghreb, j’ai sollicité une mission auprès des autorités algériennes immédiatement après, avant même mon départ au Maroc, pour démontrer notre capacité à dialoguer avec tous les acteurs.

À partir de la semaine prochaine, nous organiserons des sessions mensuelles, d’un format différent, qui permettront à chacun de présenter le bilan de ses missions ou travaux, et d’engager des débats plus informels qu’à l’accoutumée. La première séance se tiendra mercredi prochain à onze heures. Au programme figurent notamment une séquence sur l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, avec un compte-rendu d’Éléonore Caroit suivi d’un échange libre, ainsi qu’un point sur le Maroc et le Maghreb où je présenterai mes observations et les perspectives d’avancées, ouvrant la voie à une discussion approfondie sur les enjeux régionaux.

J’en viens à présent à l’objet de notre réunion de ce matin. Monsieur le directeur général, votre audition, initialement prévue le 18 septembre dernier, a été reportée en raison de l’absence de gouvernement et du manque de visibilité budgétaire. Ce report s’avère opportun au vu de l’actualité, les grandes lignes du débat budgétaire étant désormais connues. Bien que le budget ne soit pas encore adopté, sa première mouture aura un impact considérable sur vos activités. Nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur les conséquences potentielles pour vos missions et, plus largement, sur l’aide publique au développement de la France, son rayonnement et ses actions futures.

L’AFD compte 2 645 collaborateurs et gère 3 600 projets dans les outre-mer et 160 pays répartis sur les cinq continents. L’Afrique représente environ 40 % des montants engagés, soit 5 milliards d’euros, suivie par l’Orient au sens large (30 %, 3,3 milliards d’euros), l’Amérique latine et les « trois océans » (environ 15 % chacun), puis l’Europe balkanique et orientale (près de 5 %).

Vous intervenez dans un contexte budgétaire difficile. Le 21 février 2024, des annulations de crédits, d’un montant de 10 milliards d’euros, ont affecté significativement les dotations de l’aide publique au développement (APD), avec 542 millions d’euros annulés sur le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, en cours d’examen, acte une réduction supplémentaire de 855,5 millions d’euros pour ce même programme 209, soit une baisse de 26 %, à 2,4 milliards d’euros.

Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a indiqué que ces restrictions porteraient principalement sur les fonds multilatéraux, sans exclure un impact sur certains projets de développement financés dans le cadre de notre coopération bilatérale. Ces ajustements interviennent alors que la commission d’évaluation de l’APD, prévue par la loi du 4 août 2021, n’est toujours pas mise en place. Le premier ministre a été saisi de l’urgence de publier le décret d’application de cette loi.

M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement. Cette année revêt un caractère particulier, le projet de loi de finances pour 2025 prévoyant une réduction substantielle des ressources allouées à la politique de développement. Plus d’un tiers des crédits de la mission d’aide publique au développement sont menacés, tout comme, probablement, environ 50 % des crédits délégués annuellement à l’AFD. Une telle diminution ne saurait être considérée comme une simple contraction.

Il m’incombe, fort de l’expérience acquise au cours de mes trois mandats, de défendre notre action dans l’intérêt des Français, tout en respectant les choix du gouvernement et les décisions à venir du Parlement.

Il y a deux semaines, je me trouvais en Côte d’Ivoire à l’invitation d’Ajay Banga, président de la Banque mondiale, dont l’AFD est devenue le premier partenaire mondial avec plus de 25 milliards de dollars de cofinancements depuis mon arrivée. Le président Ouattara nous a reçus et a exprimé son inquiétude concernant ce budget, évoquant la situation au Sahel et se félicitant du renouvellement des relations avec l’Afrique.

Je rentre du Maroc où j’ai accompagné la visite d’État du président de la République. L’an dernier, je m’y étais rendu avec le député Karim Ben Cheikh pour rencontrer le ministre des affaires étrangères, Nasser Bourita. Nous avions alors discuté de la possibilité d’investir au Sahara occidental, à Dakhla, Laâyoune et Guelmim, dans l’intérêt des populations locales et conformément au droit international.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). C’est scandaleux ! « Conformément au droit international » au Sahara occidental, vous rigolez ? (M. Jean-Paul Lecoq quitte momentanément la salle de réunion).

M. Rémy Rioux. Nous sommes fiers d’avoir contribué à la réconciliation entre nos deux pays, comme nous l’avions fait au Rwanda entre 2019 et 2021, sans oublier nos projets dans la région des Grands Lacs et en République démocratique du Congo (RDC).

Ce soir, je pars pour l’Afrique du Sud célébrer le trentième anniversaire de notre agence, première à s’y implanter après la fin de l’apartheid, lors de la visite historique du président Mitterrand au président Mandela en juillet 1994. Aujourd’hui, nous finançons le volet social de la transition énergétique sud-africaine. Je devrais signer demain le plus important prêt de l’histoire de l’AFD pour cette priorité internationale. Nous dialoguons également avec l’Afrique du Sud, future présidente du G20, sur l’architecture financière internationale au nom du mouvement Finance en commun que je préside, rassemblant les 530 banques publiques et nationales de développement mondiales. Nous collaborerons avec le nouveau gouvernement sud-africain, issu de la coalition ANC-Democratic Alliance.

Je me rendrai également en Serbie en décembre pour suivre les progrès réalisés depuis 2019 avec les entreprises françaises. Je pense à l’Arménie, où l’AFD finance la politique d’irrigation agricole, et à la Moldavie, pour la convergence de ses réseaux ferroviaires et énergétiques avec ceux de l’Union européenne.

J’ai une pensée particulière pour l’Ukraine, où nos cinquante collaborateurs œuvrent quotidiennement dans des conditions difficiles sur les questions de santé et de justice pour améliorer la gestion publique. Je salue également le travail de nos équipes au Liban et au Proche-Orient.

Notre présence est constante, guidée par la conviction de servir passionnément les intérêts de notre pays. Je témoigne du grand crédit accordé par nos partenaires à l’action de développement de la France via l’AFD.

Notre fonction consiste à créer de véritables alliés pour la France, en servant nos intérêts nationaux, en bâtissant des intérêts mutuels, et en prenant en compte les intérêts de tous ceux qui souhaitent coopérer avec la France. L’action de développement est une condition de notre prospérité et de notre sécurité. Elle prépare, complète et approfondit l’action diplomatique.

Mesdames et messieurs les députés, vous avez bâti cette plateforme française nationale, utile et efficace, à travers la loi de programmation du 4 août 2021, votée à l’unanimité du Parlement. Vous avez créé le groupe AFD, composé de trois entités : l’AFD, qui finance le public et le non-lucratif, Proparco, sa filiale dédiée au soutien du secteur privé, et Expertise France pour la coopération technique. Ce groupe compte près de 5 000 collaborateurs, dont 2 500 sur le terrain, dans 150 pays et onze départements et territoires d’outre-mer, pour plus de 12 milliards d’euros de financement annuel et 1 000 nouveaux projets par an. Des synergies fortes existent entre ces trois entités, renforcées par un fonds d’innovation que vous avez souhaité.

La loi nous a assigné trois objectifs prioritaires : tout d’abord l’accès aux services essentiels dans les pays les moins avancés ; ensuite les biens publics mondiaux, la convergence économique et la lutte contre le changement climatique dans tous les pays en développement, notamment émergents ; enfin, j’insiste sur le financement du développement des outre-mer avec l’environnement régional, représentant environ 15 % de notre activité.

Concrètement, nos interventions ont permis l’an dernier à 64 millions de personnes d’améliorer leur accès aux soins et à 14 millions de jeunes filles d’être scolarisées. Pour le climat, 40 milliards d’euros ont été investis depuis 2017 pour respecter les engagements de la France et éviter 10 millions de tonnes de CO2. Concernant la biodiversité, nous avons dépassé le milliard de financements l’année dernière, permettant la conservation ou la restauration de 35 millions d’hectares. Plus de la moitié des projets financés par l’AFD contribuent à l’égalité entre les femmes et les hommes, conformément à la diplomatie féministe de la France. Enfin, notre action de gouvernance auprès des institutions et la Fondation de l’innovation pour la démocratie d’Achille Mbembe soutiennent les droits humains et la démocratie.

L’efficacité et l’impact de notre action ont été récemment salués par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans sa revue par les pairs, ainsi que par les agences de notation, notamment extra-financières, qui nous positionnent très favorablement par rapport à nos pairs. Des centaines de rapports d’évaluation sont en outre disponibles sur le site internet de l’AFD pour approfondir la discussion.

Les financements de l’AFD ont un retour positif pour les entreprises françaises, qui remportent 50 % des appels d’offres internationaux que nous finançons. Les organisations de la société civile représentent désormais plus de 50 000 emplois dans notre pays, contre 35 000 au milieu des années 2010. L’AFD, avec ses 600 millions d’euros de financements qui passent par la société civile, a contribué à cette création d’emplois en France. Je pense également à l’action internationale des collectivités locales françaises, avec le dispositif FICOL.

Cette plateforme française, agile et polyvalente, risque d’être affaiblie par le projet de loi de finances pour 2025. En tant que magistrat à la Cour des comptes, je suis très attaché à la bonne gestion des comptes publics. Il est essentiel que la notation de la France demeure crédible, y compris pour l’AFD qui émet 10 milliards d’euros d’obligations par an sur les marchés financiers avec la note de son actionnaire, la France.

C’est pourquoi le groupe AFD utilise les moyens publics avec parcimonie. Sur les 6 milliards d’euros de la mission Aide publique au développement dont vous avez débattu hier, l’AFD en reçoit 2 milliards. Avec ces 2 milliards d’euros de crédits budgétaires, complétés par des ressources de marché, nous atteignons 12 à 13 milliards d’euros de financement annuel, soit un effet multiplicateur de six. En ajoutant les cofinancements de nos partenaires, nous parvenons à environ 25 milliards d’euros de financements positifs et concrets dans tous les pays où vous nous demandez d’intervenir. Ainsi, pour 1 euro du contribuable, 12 euros sont in fine investis.

Nous maîtrisons nos risques et nos charges, avec une productivité de l’AFD ayant progressé de 23 % depuis 2020, grâce à la refonte de nos systèmes d’information et la simplification de nos procédures internes. Nous préparons actuellement un plan d’économies en cas de stagnation budgétaire.

En outre, une baisse de 50 % de nos crédits déformerait considérablement notre activité et notre stratégie, pourtant alignées sur la loi de programmation et le futur contrat d’objectifs et de moyens. Nous serions contraints de réduire nos actions dans les pays les plus vulnérables et en crise, au profit des pays émergents. Nous devrions privilégier l’atténuation des changements climatiques au détriment de l’adaptation, déjà sous-financée. Les secteurs sociaux et l’égalité femmes-hommes pâtiraient également de ces restrictions. Notre capacité à développer une action ambitieuse sur la question des migrations, comme je l’ai proposé au gouvernement, serait également compromise.

Cette réduction budgétaire entraverait notre capacité à honorer les engagements internationaux de la France. L’année 2025 marquera le dixième anniversaire de l’accord de Paris pour le climat, dont j’étais l’un des négociateurs, et celui de l’agenda des objectifs de développement durable. De plus, la grande conférence sur le financement du développement, qui n’a lieu que tous les dix ans, se tiendra à Séville début juillet. Cet événement est capital pour redéfinir le cadre et les modalités du financement du développement international avant la COP 30 à Belém, sous présidence brésilienne.

J’ajoute que la France accueillera en juin prochain à Nice une conférence majeure sur l’avenir des océans, autre enjeu climatique primordial. La France s’est positionnée comme leader sur ces questions essentielles. J’espère que nous conserverons une capacité d’action nationale forte, d’autant plus que la géopolitique a engendré une intense compétition internationale sur ces questions depuis 2020.

La Chine a récemment pris des engagements financiers conséquents, impliquant 50 milliards de dollars pour l’Afrique sur les trois prochaines années. Nous observerons attentivement la politique internationale du président Donald Trump, élu ce matin, qui avait créé notre homologue, la United States International Development Finance Corporation (USDFC) lors de son premier mandat. L’Union européenne devra redéfinir ses perspectives financières et ses priorités à l’été 2025, dans un contexte tendu.

Pour surmonter ces difficultés, je propose à titre personnel une solution que nombre d’entre vous soutiennent : l’alignement du taux de la taxe sur les transactions financières, actuellement de 0,3 %, sur celui de Londres, soit 0,5 %. Cette taxe, promue par le président Jacques Chirac et introduite sur proposition du gouvernement de Lionel Jospin a été mise en place avec des moyens conséquents par le président Nicolas Sarkozy. Elle pourrait, via le fonds de solidarité pour le développement, préserver notre capacité nationale et les moyens de la politique de développement, tout en contribuant à la réduction nécessaire du déficit public.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie monsieur le directeur général. S’agissant de la baisse éventuelle de vos dotations, vous indiquez en des termes choisis qu’une baisse « déformerait » vos actions.

M. Michel Herbillon (DR). Les termes étaient moins délicats dans sa tribune dans l’hebdomadaire Le Point !

M. le président Bruno Fuchs. Avant d’ouvrir la discussion, je souhaiterais aborder un point central du débat d’hier. La France occupe une position de premier plan en matière de développement, comme en témoigne votre rôle à la tête du consortium regroupant 530 banques publiques dans le monde. Cette influence significative soulève une question essentielle, soulevée notamment dans le rapport de notre collègue Guillaume Bigot : ne devrions-nous pas concentrer nos actions sur un nombre plus restreint de pays, avec des interventions plus fortes ?

M. Rémy Rioux. Le fait que l’AFD soit une banque nous permet de gérer efficacement nos risques en les répartissant et en faisant travailler notre bilan avec de nombreux partenaires, que je qualifierais d’amis et d’alliés. Dans le contexte géopolitique actuel, il serait imprudent de se priver d’alliés, quelle que soit leur localisation. Je ne pense pas qu’il soit dans l’intérêt de la France de restreindre excessivement le champ d’action du groupe AFD. Je me tiens à votre disposition et je suis prêt à vous accompagner lors de déplacements afin que vous puissiez constater par vous-mêmes la qualité du dialogue et des relations que nous établissons dans de nombreux pays.

M. Michel Herbillon (DR). Vous ne nous sollicitez jamais pour vous accompagner !

M. Rémy Rioux. Il convient de conjuguer la capacité d’agence, qui oriente les moyens budgétaires votés par le Parlement vers certains pays prioritaires, avec la capacité bancaire. Cette dernière permet de tisser des liens d’amitié avec la France et d’établir des relations avec un grand nombre de pays. J’estime que cela sert nos intérêts.

M. le président Bruno Fuchs. Je donne à présent la parole aux orateurs des groupes politiques.

M. Frédéric Petit (Dem). Je souhaite insister sur la complexité de l’APD, qui ne doit pas être considérée comme un obstacle, mais plutôt comme le reflet de la complexité du monde dans lequel nous évoluons. L’hétérogénéité des acteurs impliqués dans l’APD n’est pas un problème en soi mais une nécessité pour élaborer des politiques mondiales non impérialistes. Certes, cela complique le contrôle mais cette pluralité demeure indispensable.

Je salue également l’approche partenariale de l’APD. Il est préférable d’adopter une stratégie de partenariat à l’échelle mondiale, même avec des interlocuteurs dont les méthodes, les opinions et le langage diffèrent des nôtres, plutôt que de restreindre notre champ d’action en tentant de tout maîtriser.

Je tiens à souligner la double nature de l’AFD : elle est à la fois une banque et un outil de politique publique. En tant qu’outil métier de politique publique, l’AFD doit être soumise à notre contrôle. Cependant, son statut bancaire lui confère un effet de levier non négligeable.

Dans le contexte actuel de guerre en Europe, je souhaiterais obtenir des précisions sur les dispositifs mis en place par l’AFD en Moldavie, en Ukraine et éventuellement en Géorgie. Comment l’agence accompagne-t-elle notre géopolitique et notre diplomatie dans ces régions ? Je vous prie de détailler ces dispositifs et d’expliquer comment les actions de l’AFD sont coordonnées avec celles des autres acteurs de « l’équipe France », malgré leur hétérogénéité parfois critiquée.

M. Rémy Rioux. Je rappelle que huit parlementaires siègent au conseil d’administration de l’AFD, qui se réunit mensuellement pour examiner en détail la gestion, les projets et la stratégie de l’agence. L’idée d’une agence autonome ou indépendante est illusoire. Elle est, et c’est normal, étroitement contrôlée par le politique, auquel elle rend compte régulièrement et minutieusement.

Dans les territoires en guerre, il est essentiel que l’action publique, dans ses diverses composantes – diplomatique, de défense et de développement, les trois « D » de notre politique internationale – soit constamment à la disposition de l’autorité politique. Celle-ci détermine la manœuvre d’ensemble et la pondération de chaque composante. Nous appliquons ce principe dans tous nos postes, notamment dans les deux pays que vous avez mentionnés.

Concernant la Moldavie, j’ai eu l’honneur de recevoir à deux reprises la présidente Maia Sandu à l’AFD. Elle a exprimé sa grande satisfaction quant à notre travail. Nous avons désormais une équipe à l’ambassade et nous nous concentrons sur deux enjeux majeurs : la connexion des réseaux ferroviaires et électriques avec ceux de l’Union européenne, compte tenu de la menace pesant sur la sécurité énergétique du pays, et la reforestation, sujet cher à la présidente Sandu. Le pays a perdu une grande partie de son couvert végétal, le rendant vulnérable au changement climatique. Nous avons lancé un programme spécifique à sa demande sur ces questions.

Quant à l’Ukraine, le sujet mériterait un long débat. Nous y avons déployé une équipe de cinquante personnes, regroupant Expertise France, l’AFD et Proparco. Nous nous efforçons d’y mettre en œuvre l’ensemble des outils du groupe, en utilisant les moyens que vous nous avez confiés et notre capacité d’investissement. Nous y associons également des collectivités locales françaises et travaillons avec la société civile. Nous disposons d’un mandat de 400 millions d’euros, dont 50 millions de dons, à déployer dans les prochaines années en Ukraine, conformément à vos directives.

Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Vous avez évoqué l’évaluation des résultats de l’AFD par l’OCDE. Cependant, force est de constater que les objectifs fixés par la loi du 4 août 2021 ne semblent pas atteints. Cette loi visait notamment la concentration de l’aide, l’approche partenariale et l’augmentation de l’efficacité de l’aide.

Face à ce constat, nous avons souhaité, avec le président Bourlanges, la création d’une commission d’évaluation de l’APD. Nombreux sont ceux qui attendent avec impatience sa mise en place. J’aimerais savoir dans quelle mesure vous vous impliquez et vous engagez dans la création de cette commission.

De plus, vous avez souligné à plusieurs reprises ce matin l’importance de la visibilité de la France. Or, lors de mes déplacements, j’ai souvent remarqué la présence du logo de l’AFD mais pas celle du drapeau français. Il me semble essentiel de rappeler qu’il s’agit de fonds publics. En tant qu’élus, nous sommes tous responsables de leur utilisation et devons rendre des comptes à nos électeurs.

À ce propos, je souhaiterais vous relayer certaines de leurs interrogations. Est-il exact que la Chine bénéficie encore de financements publics français au titre de l’aide au développement ? En outre, qu’en est-il de la situation au Sahel ? Des pays qui ont connu des coups d’État et nous ont expulsés perçoivent-ils toujours des fonds publics français dans le cadre de l’aide au développement ?

M. Rémy Rioux. Je faisais référence au processus de revue par les pairs de l’OCDE, qui évalue périodiquement la politique de développement de la France. J’ai participé à deux de ces évaluations. La précédente datait de 2018, avant la loi de 2021. Le dernier rapport, publié cet été, permet de mesurer les innovations, les progrès accomplis et l’ambition portée par votre majorité et l’ensemble du Parlement lors du vote de la loi en août 2021. Je vous invite à comparer les rapports de 2024 et 2018. Cette comparaison est particulièrement révélatrice quant à la qualité, au leadership et à la position qu’a acquise la France sur ces sujets. Cette évaluation indépendante et publique a été menée par nos collègues japonais et belges.

Concernant la commission d’évaluation, je suis tout à fait favorable à sa mise en place. J’ai exprimé à plusieurs reprises devant votre commission mon souhait de voir cette instance créée, afin d’accroître l’information et les débats publics sur les activités de développement. Le Gouvernement est chargé de sa mise en place, l’AFD en sera l’objet. Par ailleurs, notre département d’évaluation est très actif et publie tous ses rapports. La moitié des projets de l’AFD font également l’objet d’une évaluation indépendante, et tous sont soumis à un rapport de fin de mission. Je vous invite à consulter ces documents et à nous interroger sur les résultats obtenus.

Sur le plan de la communication, nous partageons votre point de vue. Une charte graphique prévoit d’associer le logo de l’AFD à celui de la République française. Cette pratique doit être généralisée. Si vous constatez des manquements, n’hésitez pas à nous les signaler. Il convient même d’amplifier cette démarche et d’informer plus largement les populations bénéficiaires de l’intervention française par divers moyens. Bien que coûteuse, cette approche est essentielle. Nous menons actuellement un sondage en Afrique sur la perception de notre action, dont je pourrai vous communiquer les résultats une fois finalisé.

Aucun fonds public n’est utilisé dans nos activités en Chine. Il ne s’agit pas d’aide mais d’investissement. Nous nous concentrons uniquement sur la biodiversité et le climat, en collaboration avec des entreprises françaises, obtenant des résultats significatifs.

Quant au Sahel, nous avons scrupuleusement appliqué les décisions du conseil de défense sous la supervision étroite du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour les projets en cours. Depuis lors, aucun nouvel engagement n’a été pris dans les trois pays concernés.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Votre agence s’occupe de la politique internationale de développement de la France mais inclut dans son périmètre les départements français d’outre-mer. Si la logique géographique s’entend, le message politique associant les outre-mer à l’étranger est choquant. Cette organisation, héritée de la période coloniale, est une anomalie qui doit cesser.

Je souhaite aborder l’action de votre agence aux Comores. Notre collègue Guillaume Bigot nous a rendu compte hier de sa mission sur place et le constat s’avère accablant. L’argent public français y a financé des écoles et un hôpital qui ne fonctionnent pas. De plus, l’argent public français finance des projets qui ne bénéficient que marginalement aux entreprises françaises.

En outre, l’aide aux Comores est surtout liée à la lutte contre l’immigration clandestine. Force est de constater que les reconduites à la frontière ont diminué depuis la signature de l’accord de coopération entre Moroni et Paris : 27 831 reconduites en 2019 contre 24 467 l’année dernière. Nous observons moins de reconduites vers les Comores alors que l’aide envers ce pays, qui revendique et déstabilise le département français de Mayotte, est passée de 150 millions à 252 millions d’euros sur la même période.

Comment expliquez-vous cette hausse alors que les résultats ne sont manifestement pas au rendez-vous ? À la lumière de ces constats d’inefficacité de la dépense publique française aux Comores, et compte tenu des restrictions budgétaires imposées, envisagez-vous de réduire les aides à Moroni ?

Allez-vous, comme vous venez d’y faire allusion, utiliser une mission d’inspection extérieure pour examiner la politique française d’aide au développement aux Comores ?

M. Rémy Rioux. L’action de l’AFD dans les outre-mer mérite une attention particulière, notamment en ce qui concerne les enjeux de développement durable, de renforcement de la maîtrise d’ouvrage et d’intégration régionale. Nous avons d’ailleurs regroupé nos territoires et leurs voisins au sein d’un même département géographique. Dans le Pacifique, nous développons tout un réseau avec les voisins de nos territoires.

J’ai pris connaissance du rapport du rapporteur pour avis Guillaume Bigot et je souhaite en apporter une lecture nuancée. Dans un pays comme les Comores, où les maîtrises d’ouvrage sont fragiles, une phase de montée en puissance s’avère nécessaire. Sur les 150 millions d’euros prévus par le plan de développement France-Comores, 30 millions ont été décaissés à ce jour. Nous assistons actuellement à l’émergence concrète des infrastructures, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation, comme le rapporteur a pu le constater lors de sa visite. Nous pouvons affirmer, de concert avec le gouvernement comorien, que le plan de développement est en cours de réalisation.

Il convient néanmoins de souligner que ce travail est complexe et ne se résume pas à la construction de bâtiments. Dans des pays où les institutions publiques sont affaiblies, il ne suffit pas de décréter le retour des enfants à l’école ou des patients dans les hôpitaux. Un travail d’accompagnement est nécessaire, et celui-ci est prévu dans nos programmes. Cette action est en cours et nous prévoyons d’en observer les résultats croissants au cours des trois prochaines années.

Concernant les entreprises françaises, nous diffusons largement tous les appels d’offres et les opportunités de financement sur les sites publics et auprès des chambres de commerce, notamment à Mayotte et à La Réunion. Nous nous réjouissons lorsque des entreprises françaises remportent ces marchés.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je m’inquiète de la dégradation de la place l’AFD dans le classement international de transparence de l’aide au développement. Notre agence occupe en effet désormais le 35e rang sur 50, en raison de l’absence de publications concernant la politique d’allocation de l’aide, les conditions d’attribution des projets et les évaluations préalables d’impact de ceux-ci. Pour une agence qui promeut une bonne gouvernance, il serait judicieux de commencer par l’appliquer en interne.

De plus, l’accompagnement des pays dans le renforcement de leurs institutions démocratiques soulève des interrogations. Comment pouvons-nous donner des leçons à d’autres nations lorsque le vote des Français n’est pas pleinement respecté dans notre propre pays ?

Je souhaiterais également connaître les conditions auxquelles l’AFD subordonne son aide au développement. Certains projets, pourtant essentiels pour les populations, peinent à se concrétiser, notamment en raison des difficultés d’authentification de l’identité des bénéficiaires. Ces mesures, bien que nécessaires pour lutter contre le blanchiment d’argent, ralentissent l’acheminement de l’aide. Quelles solutions envisagez-vous pour améliorer l’efficacité de cette aide ?

Par ailleurs, comment expliquez-vous que la majorité des appels d’offres soient remportés par des entreprises françaises ? Bien que cela témoigne de leur compétence, ne serait-il pas plus bénéfique pour le développement des pays aidés de favoriser les entreprises locales ?

L’AFD bénéficie en outre de taux d’intérêt plus faibles en raison de son rôle. Pouvez-vous préciser le pourcentage appliqué aux prêts accordés aux États ?

J’aimerais également aborder les difficultés internes à l’agence. Le dialogue social semble compromis, avec une pause imposée par la direction et des agents en souffrance. Quelle est la situation actuelle à ce sujet ?

Enfin, j’ai manqué vos explications concernant les investissements prévus au Sahara occidental, « dans le respect du droit international ». Ce territoire non autonome, sous l’égide des Nations unies, nécessite l’autorisation du Front Polisario pour tout investissement, conformément au droit international. La cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a récemment invalidé l’accord entre l’Union européenne et le Maroc qui prévoyait des investissements dans cette région. L’AFD envisage-t-elle d’agir en contradiction avec le droit international et les arrêts de la CJUE, ou compte-t-elle respecter ces dispositions légales ?

M. le président Bruno Fuchs. Il me semble, monsieur Lecoq, que vous avez affirmé que le vote n’avait pas été respecté en France. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet ?

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). En France, on constate que ce sont les perdants qui exercent le pouvoir. Cette situation soulève une question fondamentale : est-ce vraiment le modèle démocratique que nous souhaitons promouvoir à l’échelle internationale ? Il convient de s’interroger sur la pertinence de ce système et sur l’image qu’il renvoie de notre démocratie aux yeux du monde.

Je vous invite à consulter la presse internationale pour appréhender le regard des autres pays sur les événements survenus en France au lendemain de l’élection législative. Il serait pertinent d’examiner comment les médias étrangers perçoivent et analysent la répartition du pouvoir en France à la lumière des résultats de ces élections législatives.

M. le président Bruno Fuchs. Vous êtes libre d’exprimer votre opinion mais elle ne saurait être partagée. Nos institutions fonctionnent et des majorités se dégagent.

M. Rémy Rioux. Je n’aurai pas la même analyse que vous concernant la transparence de l’agence. Celle-ci est évaluée par plusieurs indicateurs, dont celui de l’organisation non gouvernementale (ONG) Publish What You Fund que vous avez mentionnée. Bien que nous ayons perdu quelques places, nous restons à un niveau élevé. J’ai également évoqué les analyses des agences de notation extra-financière qui nous placent en tête dans notre catégorie en termes de mesures d’impact et de transparence parmi les banques publiques de développement.

Il convient de prendre en compte le fait que les règles de droit applicables à une institution nationale, votées par le Parlement, diffèrent de celles s’appliquant aux institutions privées ou multilatérales. En tant que banque, nous sommes par exemple tenus au secret bancaire. Nous nous efforçons de rendre publiques les informations délibérées devant notre conseil d’administration dans les limites de la réglementation bancaire mais cela s’avère plus complexe que pour la Banque mondiale ou une ONG ne pratiquant que le don. Ces contraintes structurelles expliquent que nous ne soyons pas systématiquement premiers dans certains classements. Néanmoins, notre politique de transparence, validée par notre conseil d’administration, vise l’excellence.

Concernant les transferts d’espèces, nous sommes soumis à la réglementation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, engageant ma responsabilité pénale. Nous nous efforçons de concilier ces obligations avec notre capacité d’action dans les territoires les plus fragiles, où ces mécanismes de transferts directs sur des comptes mobiles ou en devises constituent un outil puissant. Après de longues discussions avec les organisations de la société civile intervenant dans ces zones difficiles, nous avons établi un modus operandi qui, bien que perfectible, nous permet de poursuivre ce type d’actions.

S’agissant du personnel de l’AFD, l’agence connaît effectivement une profonde transformation depuis 2017. La charge de travail est conséquente et le dialogue social intense. La pause évoquée est désormais derrière nous et nous avons repris les échanges avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives.

Quant au Sahara occidental, je suggère que nous partagions nos analyses juridiques pour dissiper vos inquiétudes. Abstraction faite de l’aspect diplomatique, qui n’est pas du ressort de l’AFD, il me paraît pertinent d’investir dans ce vaste territoire d’Afrique de l’Ouest, région capitale pour l’Europe et la France, au bénéfice de sa population. Nous avons minutieusement examiné le cadre fixé par les Nations unies sur le statut des territoires non autonomes, ainsi que la décision de la CJUE. Celle-ci établit d’ailleurs des critères précis pour obtenir l’approbation des populations, que nous respectons scrupuleusement dans nos projets de développement. Ces derniers ne créent pas de droits pour les populations et sont soumis à un mécanisme régulier de suivi du respect des droits de l’Homme. Notre analyse indique que les procédures de l’AFD sont conformes à ce cadre juridique. Elles nous permettront de financer des projets tels que la décarbonation des ports de Dakhla et Laâyoune avec l’agence nationale des ports, améliorant ainsi leurs capacités d’échange au profit des populations locales.

Enfin, concernant les entreprises françaises et locales, j’évoquais les appels d’offres internationaux. Une part importante de notre activité finance des acteurs locaux sans passer par ce type d’appels d’offres. Même pour les appels d’offres internationaux, outre les 50 % remportés par des entreprises françaises, 25 % sont attribués à des entreprises locales, parfois en concurrence directe avec des entreprises françaises, ou en consortium avec elles.

M. Michel Herbillon (DR). Je souhaite vous exprimer mon sentiment au sujet de l’entretien que vous avez récemment donné au journal Le Point. Pour reprendre les mots d’un ancien ministre des affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, je considère que cette interview n’était pas « convenable », ni dans son calendrier, apparaissant comme un moyen de pression à la veille de l’examen budgétaire par la commission et l’Assemblée, ni sur le fond. En tant qu’agent public, vous ne devez pas vous affranchir de votre devoir de participer au redressement des finances publiques de notre pays. Or c’est ainsi que nos concitoyens l’ont perçu, certains m’ayant fait part de leur étonnement quant à votre façon de vous démarquer, notamment concernant la comparaison choquante entre le budget de l’AFD et celui de l’administration pénitentiaire.

Dans cette interview, vous qualifiez la baisse de l’APD de notre pays d’excessive. Je déplore l’emploi de cet adjectif alors que l’APD demeure à un niveau très élevé, avec plus de 5,2 milliards d’euros de crédits de paiement. Malgré ce recul, notre pays se maintiendrait cette année au cinquième rang des bailleurs mondiaux, ce qui n’est pas négligeable à l’heure où nous demandons des efforts à nos concitoyens.

Vous avez indiqué dans cet entretien que vous vous en remettiez « à la sagesse du gouvernement et du Parlement ». On aurait pu attendre également de la sagesse de la part du directeur général de l’AFD. Face à cette situation budgétaire difficile, il convient de faire preuve de responsabilité.

Concernant l’action de l’AFD en Chine, qui ne coûterait rien aux contribuables français, je ne suis pas convaincu par vos réponses. Votre agence a mobilisé ces cinq dernières années près de 800 millions d’euros pour financer des projets dans ce pays et prévoit de prêter 450 millions d’euros supplémentaires dans les huit prochaines années. Parallèlement, la Chine renforce son influence en Afrique en poursuivant ses prêts aux pays africains et promet un soutien financier de 50 milliards de dollars dans les trois prochaines années. En prêtant naïvement de l’argent pour des projets en Chine, ne permettons-nous pas en réalité à ce pays de déployer sa stratégie d’influence ?

M. Rémy Rioux. Il convient de préciser que le titre et le sous-titre de l’interview ne reflètent pas mes paroles. En particulier, le terme « non-sens » ne fait pas partie de mon discours. Je vous invite à vous référer au texte intégral de mes réponses pour une compréhension exacte de mes déclarations.

M. Michel Herbillon (DR). C’était un moyen de pression sur les parlementaires !

M. Rémy Rioux. Dans cette interview, j’ai tenu à souligner la difficulté du contexte budgétaire actuel. Nous devons tous redoubler d’efforts pour améliorer notre efficacité et préserver la qualité de la notation de la France sur les marchés.

L’objectif de cet entretien était de rappeler des ordres de grandeur car j’ai constaté des chiffres erronés dans les médias, notamment concernant la politique de développement, l’action de l’AFD, les montants alloués, ainsi que nos activités en Chine et en Algérie. J’ai donc souhaité m’exprimer publiquement pour clarifier les enjeux du débat budgétaire de cette semaine.

J’ai notamment rappelé que le cœur de la politique de développement ne représente pas 15 milliards d’euros, mais 6 milliards, correspondant à la mission Aide publique au développement soumise à votre examen. J’ai mentionné le budget de l’administration pénitentiaire, notoirement contraint, comme référence. Mon intention était de souligner que la France alloue à l’ensemble de son action internationale, dans tous les pays du monde, un montant équivalent en crédits actifs programmables à celui dédié à l’administration pénitentiaire.

Ces parallèles visent à fournir des repères dans le débat budgétaire car les Français ont souvent tendance à surestimer les montants réellement investis dans l’APD.

En tant que mandataire social de l’AFD, fonction à laquelle vous m’avez nommé, je prends mes responsabilités et m’exprime à ce titre dans cette interview. Je suis redevable envers 5 000 collaborateurs et tous nos partenaires, c’est pourquoi j’ai jugé nécessaire de rappeler ces chiffres.

Concernant la Chine, notre activité y est de nature bancaire. Nous levons de l’argent sur les marchés, y ajoutons une marge pour rémunérer nos collaborateurs et la refinançons à un taux de marché à la Chine. Ainsi, aucun fonds budgétaire n’est impliqué dans les financements de l’AFD en Chine. En outre, les financements de la France en Chine via l’AFD ne sont plus déclarés comme de l’APD. Nous collaborons avec les entreprises publiques, créons des liens positifs et menons des actions en faveur du climat et de la biodiversité en Chine.

M. Guillaume Bigot (RN). La France fait face à un endettement considérable et nous devons trouver plus de 60 milliards d’euros. Pour alléger cette charge, nous privilégions les solutions qui n’affectent pas directement le pouvoir d’achat des Français. Notre groupe aurait préféré prélever davantage dans les fonds versés à l’Union européenne et aux autres organisations internationales, car à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Bien entendu, les Français resteront mobilisés en cas de famine ou de catastrophe naturelle mais il s’agit ici principalement de développement, et non d’aide humanitaire.

Les projets de géothermie au Kenya que vous vantez dans les colonnes du Point sont certainement louables mais, alors que nous peinons à financer des lits d’hôpitaux, des places de prison ou l’accès à l’eau dans nos départements et territoires d’outre-mer, comprenez-vous l’incompréhension des Français face aux choix que vous défendez ? Estimez-vous légitime et rationnel de dépenser 6,9 milliards d’euros pour réduire de 0,013 % les émissions de CO2, selon vos propres chiffres ?

Vous avez déclaré au Point que le rang d’un pays se mesure aux subsides qu’il verse à d’autres pays ou organisations internationales. Je vous rappelle que les États-Unis donnent deux fois moins que nous en pourcentage de leur revenu national brut. Ne sont-ils pas pour autant une grande puissance ?

Par ailleurs, Olivier Richard, le directeur général-adjoint de la mondialisation au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, nous a expliqué en audition que la présence minoritaire des tutelles de l’État au sein de votre conseil d’administration visait à éviter que la dette de l’AFD ne s’ajoute à celle de la France. Cette déclaration grave et ce raisonnement vous semblent-ils fallacieux ?

En outre, vous indiquez que 50 % des marchés publics ouverts au titre de l’AFD bénéficient aux entreprises françaises. Pourriez-vous préciser devant la représentation nationale la formule exacte définissant, dans les statistiques de l’AFD, un marché remporté par une entreprise française ?

Enfin, pouvez-vous nous indiquer si vous comptabilisez le nombre d’entreprises chinoises remportant des marchés de l’AFD et, le cas échéant, combien ont obtenu des marchés financés par le contribuable français ?

M. Rémy Rioux. Le climat représente une priorité majeure, tant au niveau international que national. La France s’est engagée dans l’accord de Paris, et les événements récents à Valence soulignent l’urgence de réduire les émissions, de s’adapter aux changements climatiques et de transformer le système financier pour qu’il soutienne moins les investissements émetteurs de gaz à effet de serre.

L’AFD s’implique activement dans ces enjeux depuis 2015 avec une forte ambition. Nous avons contribué à établir une signature française reconnue à l’international dans la lutte contre le changement climatique, ce dont je suis particulièrement fier. Nous collaborons étroitement avec les entreprises françaises pour promouvoir à l’étranger des technologies décarbonées et de protection de la nature. L’AFD finance ces projets, parfois en anticipant l’arrivée des entreprises françaises, notamment en accompagnant les gouvernements dans la mise en place de politiques publiques positives.

J’ai mentionné précédemment que ces actions génèrent 2 à 3 milliards d’euros de commandes pour les entreprises françaises. Nous préparons ce terrain depuis une décennie dans l’intérêt de la France.

Concernant le projet de géothermie au Kenya, monsieur Bigot, réduire les émissions de la population kenyane contribue à l’effort global. Il est essentiel de raisonner à l’échelle mondiale sur les questions climatiques. Une tonne de carbone non émise, d’où qu’elle provienne, a le même impact. Cela bénéficie aux Français en limitant le réchauffement et les investissements nécessaires pour s’adapter aux changements climatiques. C’est précisément la mission de l’AFD, et j’espère que tous les pays s’engageront dans cette voie.

Vous avez raison de souligner que les États-Unis consacrent un pourcentage inférieur de leur richesse nationale au financement du développement et du climat, par rapport à la France et à d’autres pays qui allouent jusqu’à 0,7 % ou 1 % de leur revenu national à l’action internationale. La France se situe à un niveau intermédiaire, autour de 0,4 %.

Concernant la tutelle de l’AFD, je tiens à préciser que la composition du conseil d’administration suit une règle commune à l’ensemble des entreprises publiques. La loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public (DSP), dispose qu’il ne doit jamais y avoir de majorité d’administrateurs représentant l’État. À l’AFD, nous comptons huit administrateurs représentant l’État sur dix-sept, auxquels s’ajoutent huit parlementaires que je ne considère pas comme des représentants de l’Exécutif. Je pense que les membres du conseil d’administration peuvent attester du strict respect et de la plus grande loyauté de l’agence envers les décisions de l’État.

Enfin, concernant les chiffres relatifs aux entreprises chinoises, je vous communiquerai les données précises. Leur part dans les financements de l’AFD est extrêmement minoritaire, représentant seulement quelques points.

Mme Amélia Lakrafi (EPR). Comme beaucoup de mes collègues, je suis particulièrement préoccupée par la réduction des crédits dédiés à notre APD. En tant qu’ancienne membre du conseil d’administration de l’AFD de 2017 à 2022, j’ai suivi de nombreux projets financés par l’AFD en Afrique subsaharienne et dans l’océan Indien.

Je partage votre point de vue sur l’importance de l’APD comme outil diplomatique complémentaire à celui du ministère des affaires étrangères et des ambassades françaises qui renforcent la voix de la France dans le monde. Vous avez exprimé vos inquiétudes concernant cette diminution des crédits. J’espère que malgré ces coupes budgétaires inscrites dans le PLF, la trajectoire fixée par la loi de 2021 pourra être respectée, ainsi que les objectifs portés par le président de la République depuis 2017.

Plusieurs critiques visent notre APD, notamment sur deux points largement repris au sein même de cette commission : premièrement, une insuffisance des retombées économiques pour nos entreprises impliquées dans les projets AFD et, deuxièmement, le sentiment que nos contributions aux fonds multilatéraux diluent et invisibilisent l’action française tout en soulevant des questions relatives à la transparence.

Quelle réponse apporteriez-vous à ces critiques ? Comment mieux faire comprendre au grand public en quoi notre APD sert les intérêts stratégiques français ?

Enfin, concernant le Liban, après l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, la France a mobilisé une aide significative au-delà du volet humanitaire. Pourriez-vous dresser un bilan des actions menées par AFD dans ce cadre et indiquer les priorités futures face aux déplacements de populations et aux nouvelles destructions ?

M. Rémy Rioux. Les retombées économiques sont significatives pour les entreprises françaises, ce dont nous sommes fiers. Il faut tenir compte du fait que nous démultiplions ces moyens budgétaires par des cofinancements. J’ai mentionné le chiffre de 25 milliards de dollars de cofinancements entre le groupe AFD et le groupe Banque mondiale. Cela représente une masse financière de contrats accessibles aux entreprises françaises bien plus importante que les seuls financements annuels de l’AFD.

Le calcul est simple : les chances de succès des entreprises françaises sur l’ensemble des financements liés à l’AFD sont supérieures à celles d’une aide liée : nous ne pouvons évidemment pas imposer à la Banque mondiale que seules les entreprises françaises remportent les marchés qu’elle lance. C’est cette mécanique que nous mettons en place en étant très offensifs et actifs dans les partenariats et les cofinancements.

D’un point de vue plus politique, nous nous efforçons de mettre en place une action collective plus puissante sur les pays, les secteurs et les priorités fixés par la France dans les débats parlementaires et notre contrat d’objectifs et de moyens. Nous cherchons en effet à impliquer un maximum d’autres acteurs pour travailler avec nous et avec la France, notamment à travers le mouvement Finance en commun.

La situation au Liban suscite beaucoup d’inquiétudes. Des bombardements ont eu lieu à proximité immédiate de notre agence et du logement de nos collègues. Nous pensons à eux et prenons toutes les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité. La situation financière du Liban rend actuellement impossible l’octroi de prêts. Nous ne pouvons donc travailler au Liban qu’avec des moyens en subventions, ce qui impacte le budget de l’État que vous allez voter dans le PLF pour 2025. Nous disposons actuellement d’une enveloppe d’environ 50 millions d’euros par an, ce qui est relativement modeste compte tenu de l’urgence et des besoins humanitaires et de développement du Liban.

Nous concentrons nos efforts sur les questions de santé, notamment autour de l’hôpital Rafik Hariri dans lequel nous avons investi. Nous intervenons également dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, de l’agriculture et de l’éducation primaire, avec une attention particulière accordée aux chrétiens d’Orient à travers certains programmes.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Dans un entretien publié cette semaine, vous vous êtes félicité du respect par la France de ses engagements internationaux. Cependant, la trajectoire budgétaire prévue par le gouvernement en matière d’APD pour 2025 s’avère désastreuse et compromet le respect de ces engagements, notamment l’objectif de 0,7 % du revenu national brut.

La défense des droits humains et de l’enfant, la lutte contre la pauvreté et la contribution de la France aux objectifs du développement durable nécessitent des actions concrètes et des moyens financiers. Or le gouvernement semble avoir fait de l’APD un bouc émissaire budgétaire.

Heureusement, en commission des finances comme en commission des affaires étrangères, une majorité de parlementaires, sous l’impulsion du Nouveau Front Populaire, s’est prononcée en faveur d’un rétablissement des crédits de l’APD, notamment pour le programme 209, constitué essentiellement de dons.

Nous exprimons notre inquiétude quant à la possibilité que les projets financés par des dons deviennent la part congrue de l’APD, craignant qu’une logique purement financière ne guide l’ensemble des décisions en la matière. L’APD repose sur un principe de solidarité. À ce propos, je m’interroge sur la pertinence de l’expression « investissement solidaire et durable » que vous employez dans le même entretien. La solidarité internationale n’est pas, au sens financier, un investissement mais un instrument de coopération internationale conçu en articulation avec les institutions multilatérales et la diplomatie française.

Alors que l’endettement des pays les plus pauvres atteint des niveaux insoutenables, l’augmentation des prêts non concessionnels plus onéreux pour les bénéficiaires est à proscrire. Je me permets de rappeler les propos si pertinents du grand président burkinabé Thomas Sankara : « Si nous ne payons pas la dette, nos bailleurs de fonds ne mourront pas, soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir. ».

Cette logique financière tend à favoriser les actions dans les pays à revenus intermédiaires au détriment des pays les plus pauvres, ce qui suscite l’inquiétude des organisations humanitaires. Cette situation affecte également les agents de l’AFD, qui éprouvent une perte de sens et des craintes liées à la réorganisation du travail. Les syndicats nous ont communiqué une étude alarmante sur la souffrance psychique au sein de l’AFD.

Quelles sont vos estimations des conséquences des coupes budgétaires du gouvernement, si elles devaient être appliquées en cas de passage en force de ce dernier ? Quel est votre point de vue sur le rapport entre solidarité et financiarisation ? Quelles actions envisagez-vous de mettre en œuvre pour améliorer le bien-être des agents au travail, ou quelles mesures attendez-vous des pouvoirs publics en ce sens ?

M. Rémy Rioux. La France a tenu deux grands engagements : le premier est celui que vous avez mentionné, à savoir l’engagement d’APD, visant à atteindre 0,5 % de notre richesse nationale. Cet objectif a été atteint grâce à une contribution importante de notre part. Le second engagement concerne le financement climatique, avec une promesse d’apporter 6 milliards d’euros chaque année pour lutter contre le changement climatique. Cet engagement a également été respecté.

Lorsque je propose la création d’un nouveau cadre intitulé « investissement solidaire et durable », c’est précisément parce qu’actuellement les cadres existants – l’APD et la finance climat – se superposent ou même se contredisent. Une question cruciale est celle de mobiliser des financements privés en complément des fonds publics, ce qui n’a jamais été prévu dans l’APD mais existe dans la finance climat au plan international.

Le directeur général de l’AFD reçoit ainsi des directives contradictoires auxquelles il doit s’adapter. D’où la nécessité d’un nouveau cadre conciliant climat et développement, intégrant des financements publics substantiels tout en attirant des investissements privés vers plus de social, plus de climat et une meilleure qualité d’investissement.

Ce débat sera central lors des prochaines rencontres internationales prévues à Séville, à Washington, au G20 et dans toutes les enceintes où nous intervenons.

Aucun pays ne s’est jamais développé uniquement par les dons. Les prêts jouent un rôle essentiel car ils représentent une confiance en l’avenir. Nos prêts sont concessionnels avec des durées très longues allant jusqu’à vingt ou trente ans, permettant ainsi aux pays bénéficiaires de créer suffisamment de richesse pour rembourser ces prêts ultérieurement.

Nous souhaitons ce cheminement pour tous les pays du monde, tout en accordant une attention particulière aux nations les moins avancées et les plus vulnérables : 50 % du budget voté leur est alloué conformément à nos principes directeurs.

Mme Dieynaba Diop (SOC). Dans un contexte où le gouvernement envisage de réduire considérablement l’APD, je réaffirme que l’AFD est bien plus qu’un simple organisme de financement. Elle constitue un acteur stratégique pour le développement durable, la solidarité internationale et l’influence de la France à l’échelle mondiale.

Nous déplorons vivement l’annulation par l’ancien premier ministre Gabriel Attal de près de 724 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour l’APD, entraînant un manque de 300 millions d’euros pour l’AFD. Je m’interroge sur la manière dont vous envisagez de renforcer vos actions malgré les coupes budgétaires annoncées.

Nonobstant les éléments que vous avez déjà fournis, je me permets de vous questionner plus précisément sur la situation en République démocratique du Congo et au Soudan, qui traversent des crises particulièrement graves, avec des famines parmi les plus complexes depuis 2023. Comment comptez-vous leur venir en aide et quelles actions sont déjà engagées à cet égard ?

Enfin, je souhaite aborder la question du climat social au sein de votre organisation. Nous avons reçu des alertes sérieuses concernant des cas de souffrance au travail et des difficultés dans le dialogue social.

M. Rémy Rioux. Comme nous l’avons évoqué, l’AFD n’intervient pas dans le domaine humanitaire. Dans le dispositif français et l’allocation des crédits budgétaires, cette mission incombe au centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Le développement consiste principalement à s’appuyer sur les acteurs locaux, à se projeter sur le long terme et à tenter de faire évoluer les structures d’un pays partenaire pour améliorer le bien-être de sa population. Cela diffère de l’apport d’une réponse urgente visant à sauver des vies.

Concernant le Soudan, sa situation financière actuelle le place davantage dans une logique d’aide humanitaire que dans une perspective où les instruments de développement du groupe AFD seraient pertinents. Malheureusement, nous avons peu d’actions à mener au Soudan aujourd’hui.

En revanche, la République démocratique du Congo, dans toute sa complexité, permet d’intervenir sur ces deux aspects. Comme je l’ai mentionné, nous sommes actifs dans la région des Grands Lacs. Nous avons réalisé plus de 500 millions d’euros d’investissements ces dernières années en RDC, notamment dans l’éducation et la formation professionnelle, pour répondre aux besoins majeurs de création d’emplois. Nous avons également beaucoup œuvré dans le domaine de la santé. L’agriculture et la sécurité alimentaire constituent également des priorités. Nos actions s’étendent au-delà de Kinshasa, dans des provinces comme le Kivu et le Kasaï.

Notre objectif n’est pas que l’AFD agisse seule mais plutôt qu’elle génère un effet d’entraînement sur d’autres financeurs et, in fine, sur les structures publiques et privées de la République démocratique du Congo elle-même.

Enfin, quant au climat social de l’AFD, en tant qu’entreprise publique, notre direction des ressources humaines se tient à votre disposition. Notre effectif a doublé, entraînant une transformation majeure et une charge de travail importante. Nous avons mis en place de nombreux dispositifs d’accompagnement, d’appui et d’écoute pour nos collaborateurs, ce qui nous permet d’avoir une évaluation précise de la situation. Je tiens à souligner que tous les managers de l’AFD sont reconnus pour leur grande attention aux besoins de leurs équipes, leur écoute et leur soutien.

Mme Dominique Voynet (EcoS). L’aide au développement poursuit certes des objectifs politiques, servant d’outil d’influence, de rayonnement et d’accès aux marchés. Cependant, il convient de rappeler qu’elle répond avant tout à un devoir de solidarité, visant à réduire les inégalités mondiales, conformément aux dix-sept objectifs de développement durable de l’agenda 2030.

Vous avez évoqué avec retenue, mais fermeté, les révisions douloureuses que vous devrez entreprendre en raison de la réduction brutale de votre budget pour 2025. Cette situation survient alors même que l’humanité fait face à de nouveaux défis, notamment la multiplication d’événements climatiques extrêmes, qui menacent à moyen terme l’autosuffisance alimentaire et la sécurité de nombreuses régions du globe.

Vous avez suggéré que ces difficultés pourraient être surmontées si le fonds de solidarité pour le développement, devenu le programme 384 du budget et désormais soumis aux aléas budgétaires, bénéficiait du produit de la taxe sur les billets d’avion et d’une taxe sur les transactions financières revalorisée. Cette ambition est largement partagée. Cependant, cela ne devrait pas être le cas cette année. La question se pose donc avec acuité : comment vous préparez-vous à cette situation ? Comment ces restrictions budgétaires se répercuteront-elles concrètement ? Quels programmes seront annulés et lesquels seront priorisés, et dans quels pays ?

Vous avez abordé à plusieurs reprises les questions climatiques et les objectifs de développement durable. Dans ce contexte, le projet de nouveau siège de l’AFD près de la gare d’Austerlitz suscite l’incompréhension. Son coût de 924 millions d’euros, soit 18 500 euros par mètre carré, semble exorbitant, même pour Paris. Ce projet apparaît comme une aberration économique et écologique, d’autant plus que 4,5 millions de mètres carrés de bureaux sont vacants à Paris. De surcroît, le projet prévoit la construction d’un centre commercial et d’un vaste parking. Si l’un de vos partenaires étrangers vous présentait un tel projet, vous refuseriez probablement de le financer car il ne répondrait pas à vos propres exigences. Envisagez-vous de poursuivre le soutien au projet A7A8 ? Si oui, comment le justifier au regard de la situation budgétaire ?

Enfin, vous avez évoqué avec fierté votre participation aux côtés du président de la République à la visite d’État au Maroc la semaine dernière. Vous y avez signé des contrats, tout comme certaines entreprises du CAC 40, concernant des infrastructures portuaires et ferroviaires entre Casablanca et Dakar dans le Sahara occidental, sur lequel la France reconnaît désormais la souveraineté marocaine. Il convient de rappeler que la cour de justice de l’Union européenne a récemment annulé deux accords entre le Maroc et l’Union européenne conclus en méconnaissance des principes d’autodétermination des Sahraouis. Est-il du ressort de l’AFD de prendre position contre le droit international au profit de « projets présidentiels » et d’injonctions politiques de plus en plus présentes ?

M. Rémy Rioux. J’ai déjà répondu à votre dernière question. Je reste à votre disposition pour partager l’analyse juridique de nos services sur ce point, qui est convaincante et robuste. Cette analyse nous a conduits à prendre cette décision dans l’intérêt des populations locales et en respect du droit international.

Concernant le siège de l’AFD, je me suis expliqué à plusieurs reprises devant la représentation nationale sur ce projet approuvé au début de l’année 2020. Je tiens les éléments publics diffusés à cette occasion à votre disposition. Ce projet ne mobilise aucun fonds public ni budgétaire. Nous passerons d’une surface occupée actuelle de 56 000 mètres carrés à 40 000 mètres carrés, avec un bâtiment répondant aux plus hauts standards environnementaux actuels. Le coût net pour l’AFD sera bien moindre que celui indiqué car nous revendrons nos bâtiments actuels avec bénéfice. Tout cela se fait sous le contrôle du conseil d’administration après accord du préfet de la région Île-de-France et des autorités tutélaires.

Pour revenir au débat concernant les moyens et la taille appropriés pour notre politique de développement, je partage votre opinion : la France doit respecter ses engagements.

Mme Véronique Besse (NI). Le manque de transparence, régulièrement reproché à l’AFD, demeure préoccupant. Vous nous avez invités à vous accompagner mais je n’ai personnellement jamais été sollicitée pour un déplacement visant à observer concrètement le travail de l’AFD. Il semble que ce soit également le cas de nombre de mes collègues.

De plus, comme l’a souligné notre président, le nombre de pays aidés – 107 si je ne m’abuse – soulève des interrogations. Est-il vraiment judicieux d’intervenir dans autant de pays ? Cette multiplication des partenariats à travers le monde ne nuit-elle pas à l’efficacité de l’action de l’AFD ?

Troisièmement, l’AFD apporte son soutien à des pays tels que le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou la Chine. Je m’interroge sur la pertinence d’aider des nations dont l’économie connaît une croissance dynamique.

Enfin, par le biais des programmes de l’AFD, la France assiste des pays qui ne se montrent pas toujours coopératifs dans les procédures concernant leurs ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Je pense notamment à la Tunisie, l’Algérie, au Sénégal ou au Mali. Vous n’ignorez pas que certains de ces pays tardent délibérément à fournir les laissez-passer consulaires, voire refusent de les délivrer. Dans de telles circonstances, comment justifier que la France continue d’apporter son aide à des pays si peu enclins à coopérer ?

M. Rémy Rioux. Si des critiques relatives à la transparence sont émises, elles devraient être plus spécifiques qu’un simple classement. Je m’interroge sur les informations que le Parlement souhaiterait obtenir de l’AFD et qui ne seraient pas déjà disponibles. Je constate que nous publions constamment une multitude de rapports, de données chiffrées, d’exemples et de vidéos sur notre site, accessibles en France. Pourtant, un manque de transparence nous est régulièrement reproché. Je souhaiterais comprendre précisément quels aspects de transparence sont en cause et sur quels points spécifiques, dans le cadre juridique applicable à l’AFD en tant qu’établissement public régulé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), vous souhaiteriez que nous travaillions. Frédéric Petit et Éléonore Caroit, qui ont été administrateurs de l’agence, pourraient rendre compte à leurs collègues devant cette commission de la situation précise de l’agence.

Concernant le nombre de pays bénéficiaires, je pense que le terme « aide » est aujourd’hui inadapté. Je préfère parler d’investissements solidaires et durables. Ces investissements comportent évidemment une dimension de solidarité essentielle, comme l’a souligné madame Voynet, mais aussi un aspect de durabilité, conformément à l’agenda de développement durable. Par exemple, au Brésil, en Inde ou en Afrique du Sud, notre mission est de créer des liens avec ces grandes puissances mondiales, avec lesquelles la France doit maintenir des relations solides. Il n’est pas question de rompre avec ces pays. Nous y réalisons donc des actions positives, des investissements bénéfiques pour les deux parties, qui renforcent le crédit de la France dans ces pays.

Il convient d’abandonner le concept d’aide concernant notre action en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud. Nous intervenons sur les grands enjeux mondiaux pour tisser des liens positifs et trouver des alliés à la France, qui ne sont pas toujours les gouvernements. L’AFD consacre 50 % de ses financements aux gouvernements, l’autre moitié étant destinée aux collectivités locales, à la société civile, au secteur privé et aux entreprises publiques, avec lesquels nous établissons des relations constructives.

Enfin, je pense qu’il est nécessaire d’intégrer un volet développement à notre politique migratoire. L’AFD peut jouer un rôle significatif en accompagnant les pays partenaires de la France dans une meilleure gestion des mouvements de population et des migrations. C’est ce que nous avons fait en Éthiopie et ce que nous faisons en Guinée et au Nigeria, notamment en investissant dans l’état civil pour disposer de titres. Bien entendu, il incombe à nos ambassadeurs et au gouvernement d’élaborer la politique bilatérale globale avec chaque pays dans lequel la politique migratoire occupe une place importante. Je distinguerais donc la politique migratoire de la politique de développement.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions posées à titre individuel.

M. Pierre Pribetich (SOC). Je souhaite revenir sur vos déclarations concernant l’importance de l’AFD en tant qu’outil d’influence visant des objectifs de développement durable. En Afrique, plusieurs pays tels que la République démocratique du Congo et le Soudan se trouvent dans des situations critiques mêlant guerre civile, exil et famine.

En République démocratique du Congo, les trois agences des Nations unies tirent la sonnette d’alarme face à une crise alimentaire catastrophique menaçant des millions de personnes.

Quelles actions envisagez-vous pour renforcer le développement durable dans cette région ? Quelles mesures spécifiques prévoyez-vous pour améliorer la situation au Congo ?

M. Rémy Rioux. J’ai déjà répondu à cette question en distinguant l’humanitaire du développement. Nous vous transmettrons probablement notre fiche d’activité concernant la République démocratique du Congo. En revanche, pour la situation actuelle au Soudan, nos ambitions sont bien moindres.

M. le président Bruno Fuchs. Le centre de crise du ministère des affaires étrangères a alloué 35 millions d’euros en 2023 et prévoit d’engager près de 23 millions d’euros en 2024 pour faire face aux situations de crise dans l’est du Congo.

Mme Marine Hamelet (RN). Je souhaite soulever une contradiction entre vos déclarations et vos actions. Bien que vous affirmiez accorder une grande importance au contrôle parlementaire et vous mettre à notre disposition, plusieurs faits contredisent ces assertions.

Premièrement, depuis votre prise de fonction à la tête de l’AFD en 2016, la transmission du contrat d’objectifs et de moyens au Parlement a accusé des retards significatifs. Le contrat 2017-2019 n’a été communiqué qu’en novembre 2018, tandis que celui couvrant la période 2020-2022 n’est parvenu à la commission qu’en juin 2021.

De plus, malgré votre engagement en septembre 2022 de nous transmettre « le plus rapidement possible » le projet de contrat d’objectifs et de moyens (COM) 2023-2025, nous nous trouvons aujourd’hui à deux mois de l’année 2025 sans avoir reçu le moindre document.

Par ailleurs, vous vous étiez engagé à nous associer davantage à la définition des stratégies. Sur ce point, je vous invite à respecter les directives énoncées dans la loi du 4 août 2021, qui visait à renforcer la composante bilatérale, qui devait atteindre 65 % de notre aide. Or, en 2023, nous n’étions qu’à 57 %.

Ces éléments nous amènent à remettre sérieusement en question la sincérité de vos propos lorsque vous vous exprimez devant la représentation nationale.

M. Rémy Rioux. Ce n’est pas l’AFD qui transmet au Parlement et à sa commission des affaires étrangères les contrats d’objectifs et de moyens entre l’État et l’agence mais le gouvernement. Par conséquent, je ne peux être tenu responsable de la non-transmission du contrat d’objectifs et de moyens. Mon souhait est d’avoir un contrat d’objectifs et de moyens clair pour guider mon action avec mes collaborateurs au sein de l’AFD.

Le contrat d’objectifs et de moyens inclut également des moyens financiers ; or une incertitude pèse sur nos ressources budgétaires, à hauteur de 50 %. Cela complique considérablement notre situation.

Enfin, je représente la composante bilatérale. Les choix relatifs aux financements multilatéraux ou bilatéraux échappent donc à ma compétence directe. Ma mission consiste à exécuter ces décisions avec efficacité, impact et dans le respect du mandat fixé par vous-même pour notre politique nationale de développement.

M. le président Bruno Fuchs. La commission a rappelé au gouvernement l’importance de respecter les délais pour la transmission des divers documents.

Mme Éléonore Caroit (EPR). En 2023, l’AFD a permis à 70 millions de personnes d’accéder à des soins, construit 4 000 kilomètres de routes et accompagné 13 000 petites et moyennes entreprises (PME). L’APD se construit sur le long terme : réduire ses financements met en péril les projets portés et financés depuis des années.

Il est évident qu’il faut faire des efforts budgétaires mais il s’agit ici de l’influence de la France dans le système multilatéral, ainsi que de l’affaiblissement de nos partenariats stratégiques avec des organismes tels que le programme alimentaire mondial (PAM) et le fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF). Des sujets essentiels comme la sécurité alimentaire, la protection civile ou encore la santé mondiale sont également concernés.

À l’approche de la présidence française du G7 en 2026, ces réductions risquent d’entraver notre capacité à lancer des initiatives majeures et affecteront surtout les pays les moins avancés.

Dans ce contexte, pourriez-vous nous indiquer quels secteurs seraient les plus impactés par les réductions budgétaires ? Parmi les projets en cours, combien risquent de ne pas aboutir malgré les moyens financiers et humains déjà investis ?

M. Rémy Rioux. Plus les moyens budgétaires sont conséquents, plus nous sommes en mesure d’intervenir dans les secteurs sociaux et dans les pays les plus démunis et vulnérables : ceux qui ne peuvent accéder à des prêts ou à des investissements. À l’inverse, avec des ressources moindres, l’AFD concentre ses interventions sur des pays capables de se financer par emprunt, éventuellement sans coût budgétaire, et sur des domaines moins exigeants en crédits budgétaires, donc moins axés sur les questions sociales.

Je m’opposerai fermement à ce que l’agence s’engage dans une spirale de réduction et d’appauvrissement car j’estime que cela ne sert aucunement les intérêts de notre pays. Par ailleurs, il incombe au Parlement et au gouvernement de déterminer où placer le curseur entre, d’une part, les pays les plus pauvres et les enjeux sociaux et, d’autre part, les pays émergents et les questions d’atténuation du changement climatique. Ces deux approches peuvent être pertinentes. L’essentiel est d’assurer une cohérence entre le mandat politique confié à l’agence et les moyens budgétaires qui lui sont alloués.

M. Michel Guiniot (RN). Je suis surpris par vos réponses précédentes, notamment concernant le financement des activités en Chine. Vous avez affirmé qu’il n’y avait pas d’argent public impliqué, seulement des investissements dans la biodiversité. Selon les fiches de transparence du 30 septembre 2024, deux projets en Chine, le CCN 1102 et le CCN 1096, bénéficient actuellement de subventions totalisant 13 millions d’euros, dont 3 millions ont déjà été versés.

Cette situation ne se limite pas à la Chine. Je pourrais citer d’autres pays comme le Burkina Faso et le Niger. Je me réfère aux déclarations du ministère des affaires étrangères, qui devraient logiquement guider vos actions : « La France suspend avec effet immédiat toutes ses actions d’aide au développement et d’appui budgétaire au Niger, comme au Burkina Faso. »

M. Rémy Rioux. Concernant le deuxième point, je tiens à préciser que tous les projets de l’AFD, en particulier dans des pays aussi complexes que le Burkina Faso, seront minutieusement examinés et approuvés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Quant à la Chine, permettez-moi d’expliciter le fonctionnement. En 2022, l’AFD a émis sur les marchés financiers des obligations d’une valeur de 300 millions d’euros, acquises par la Chine. À cette période, rappelons-le, les taux sur les marchés financiers étaient presque négatifs. La même année, la France, par l’intermédiaire de l’AFD, a investi 300 millions d’euros en Chine dans des projets de lutte contre le changement climatique et en faveur de la biodiversité.

Il convient de noter que la rémunération des obligations de l’AFD était quasi négative, tandis que nous avons appliqué un taux d’intérêt plus élevé sur les prêts de l’AFD en Chine. Qualifieriez-vous cela d’aide ? En outre, il ne s’agit pas d’argent français. Ces fonds, d’origine chinoise, ont transité par l’AFD en raison de notre expertise reconnue dans les domaines de la lutte contre le changement climatique et de la préservation de la biodiversité, avant de retourner en Chine. Il s’agit d’un mécanisme financier où l’argent chinois a simplement transité par l’AFD avant de revenir en Chine sous forme de prêts pour des projets spécifiques.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je souhaite attirer votre attention sur une enquête menée par Disclose en 2021. Cette investigation révélait que 87 projets financés par l’AFD posaient des problèmes, notamment une usine d’engrais azotés au Nigeria, le financement de militaires accusés d’exactions dans le Sahel et le financement d’une exploitation d’huile de palme au Congo.

L’ONG Publish What You Fund, qui évalue la transparence des agences de développement, avait toutefois noté une amélioration de l’AFD, passant d’une note « correcte » en 2020 à « bonne » en 2022. Cependant, en 2024, l’agence est retombée à « correcte », perdant cinq places pour se classer désormais 35e sur 50.

En consultant le site internet de l’AFD, on constate un manque de transparence concernant les projets financés, ainsi que des lacunes dans les études d’impact et la transparence du financement.

L’AFD continue-t-elle de financer des projets nuisibles à l’environnement et contraires aux droits humains ?

M. Rémy Rioux. Je répondrai par la négative. J’ai déjà abordé les questions de transparence à plusieurs reprises.

Concernant le développement durable, je vous mets au défi de trouver une institution financière plus attentive que l’AFD sur ce sujet. Depuis une décennie, nous avons instauré un avis développement durable. Chaque projet est minutieusement examiné selon cette procédure interne, qui évalue le respect des droits humains, la contribution à la lutte contre le changement climatique, la dimension sociale et la gouvernance. Nous attribuons une note à chaque projet et refusons de financer ceux obtenant des évaluations insuffisantes.

Ces critères constituent le fondement des obligations que nous émettons sur les marchés financiers et que nous proposons à nos investisseurs. Je tiens à souligner que nous opérons dans le cadre légal et réglementaire français, que nous respectons scrupuleusement. Ce cadre diffère de celui de la Banque mondiale ou d’une ONG internationale. Nous nous conformons aux lois de notre pays et, dans ce contexte, nous mettons à disposition toutes les informations requises.

Concernant les enquêtes de Disclose, datant de quelques années, force est de constater que les polémiques sur l’AFD sont rares. Nous avons répondu publiquement à ces allégations. Par exemple, il nous a été reproché un investissement présumé dans l’aéroport de Douala, qui n’avait en réalité jamais eu lieu. Cela illustre le manque de rigueur de cette enquête et des informations diffusées au public.

Mme Brigitte Klinkert (EPR). L’intensification des crises mondiales exige des réponses rapides et coordonnées. Ces dernières années, l’Union européenne a entrepris d’harmoniser et de renforcer ses outils de développement. Cependant, l’optimisation de l’impact de ces interventions se heurte à une fragmentation des approches entre les agences nationales, les banques de développement et les politiques de l’Union.

Serait-il pertinent d’envisager une politique de financement unifiée au niveau européen au nom de l’Union afin d’optimiser le budget consacré aux aides ? Cette approche permettrait-elle à l’Europe de s’affirmer davantage face à des acteurs mondiaux comme la Chine et de rendre plus visibles ses actions ?

Par ailleurs, existe-t-il déjà des initiatives allant dans ce sens ? Le cas échéant, quels sont les obstacles rencontrés dans leur mise en œuvre ?

M. Rémy Rioux. Le débat que nous avons ce matin se déroule actuellement dans tous les pays européens selon des termes similaires. Au printemps prochain, il aura lieu pour l’Union européenne dans son ensemble car les perspectives financières et le budget pour les sept prochaines années de l’Union européenne, y compris sa composante de financement du développement, seront discutés. En 2019, lors de la nomination de la nouvelle Commission européenne, je me suis immédiatement rendu à Bruxelles pour rencontrer le directeur général des partenariats internationaux, Koen Doens. Je lui ai dit qu’il était impératif de constituer ce que nous appelons « l’équipe Europe ». Nous faisons partie intégrante de « l’équipe France » mais également de « l’équipe Europe ».

Nous avons collaboré avec la Commission européenne et la Banque européenne d’investissement afin d’harmoniser nos procédures lorsque nous cofinançons avec nos partenaires allemands (KFW), italiens (Casa Depositi e Prestiti), polonais (BGK) ou espagnols (ASI). L’objectif est d’éviter la duplication des diligences et des procédures afin d’accélérer notre action collective. Ce réseau existe déjà.

Notre filiale Proparco fait quant à elle partie du groupe des banques européennes spécialisées dans le financement du secteur privé. Ce groupe organise régulièrement des tours de table ambitieux ayant une réelle influence internationale. De plus, notre autre filiale Expertise France coopère activement avec ses partenaires au sein du réseau des praticiens.

Tout cela s’inscrit dans le cadre de « Global Gateway », qui représente la vision stratégique de l’Union européenne visant à renforcer sa présence sur ces sujets essentiels.

Mme Sylvie Josserand (RN). Je souhaiterais revenir sur vos déclarations lors de votre audition du 14 septembre 2022 devant cette commission. Vous aviez alors exprimé votre volonté de communiquer plus activement sur les actions de développement de la France auprès du grand public, tant dans notre pays qu’à l’étranger.

Notre collègue Guillaume Bigot s’est rendu aux Comores en octobre dernier pour rédiger son rapport sur l’APD. Il a constaté sur place un contraste saisissant entre la discrétion des panneaux arborant le logo de l’AFD et l’imposante visibilité des plaques signalant les dons du peuple chinois devant les réalisations financées respectivement par l’AFD ou la Chine. Son constat était sans équivoque : les habitants n’ont pas les moyens d’identifier l’aide apportée par Paris.

Quels sont les dispositifs mis en place par l’AFD depuis votre audition pour mettre en valeur les actions financées par la France ? Quels sont les éventuels obstacles qui s’opposent à une communication claire et assumée ?

M. Rémy Rioux. La communication représente un défi majeur pour l’AFD. Cependant, elle est onéreuse, et pour illustrer mon propos, je comparerais notre situation à celle de Bpifrance. Cette dernière disposerait d’un budget de communication d’environ 20 millions d’euros pour informer les Français de ses actions en tant que banque publique de développement. En comparaison, l’AFD ne consacre que 5 millions d’euros à la communication.

Notre mission de communication s’avère particulièrement complexe : nous devons traiter de sujets multidimensionnels qui soulèvent des débats dans de nombreux pays. De plus, il s’agit de communiquer auprès de nos partenaires directs – gouvernements, collectivités locales et autres – mais également d’atteindre les bénéficiaires, c’est-à-dire les populations des pays concernés.

C’est pourquoi je m’oppose fermement à l’idée d’un appauvrissement et d’une restriction du modèle économique et de la capacité d’action de l’AFD. Il est essentiel de rappeler que l’AFD ne reçoit pas de subvention de fonctionnement publique. Nos revenus proviennent uniquement de notre activité et de notre ambition. C’est cette dynamique qui nous permet de générer suffisamment de ressources pour allouer un montant plus conséquent à la communication.

Néanmoins, nous avons déjà pris des mesures pour améliorer notre communication. Nous avons intégré des budgets spécifiques dans un grand nombre de projets, permettant de financer des supports et des campagnes de communication autour d’exemples concrets de nos actions. De plus, nous expérimentons actuellement un dispositif particulier dans plusieurs pays africains, que nous espérons pouvoir généraliser si vous nous y encouragez.

M. Alain David (SOC). L’APD a été fortement touchée par les gels de crédits décidés par Gabriel Attal, sans mentionner ceux qui sont actuellement envisagés. Pendant ce temps, la Chine annonce un financement de 50 milliards pour l’Afrique sur trois ans. Comment pouvons-nous faire face à cette présence chinoise croissante sur le continent africain ? Quelles sont les implications pour des pays devenant de plus en plus dépendants de la Chine et quelles conséquences cela aura-t-il sur le fonctionnement et les interventions de l’AFD ?

M. Rémy Rioux. Sous le premier mandat du président Trump, une réforme significative du dispositif de coopération internationale des États-Unis a eu lieu, la première depuis l’époque du président Kennedy. Le président Trump a créé une institution nommée USDFC, comparable à Proparco. Cette institution ne se concentre pas sur l’aide comme USAID mais plutôt sur les investissements et le soutien au secteur privé, similaires aux activités de notre filiale Proparco.

Dans les années à venir, vous observerez probablement cette agence américaine devenir beaucoup plus active dans plusieurs pays que vous visiterez. Actuellement, il existe une compétition et une ambition qui prennent des formes peut-être inattendues provenant de Chine et des États-Unis. J’espère également que l’Europe conservera une forte capacité d’intervention. Mon objectif est de convaincre qu’il est essentiel pour la France d’être aussi présente dans ces discussions internationales.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). La parole de la France, à travers son APD semble quelque peu brouillée. Lors de votre audition devant cette commission en septembre 2022, vous aviez reconnu sans difficulté que l’activité de l’agence souffrait d’un manque de visibilité et de lisibilité.

Pendant cette même audition, vous avez exposé votre ambition d’en faire la première agence entièrement dédiée aux objectifs du développement durable (ODD) d’ici 2025, en mettant particulièrement l’accent sur la lutte contre le dérèglement climatique avec 57 % des engagements ayant un co-bénéfice climat mesurable. Pour résumer, le travail de l’agence s’articule vers la convergence des objectifs ODD tout en ayant un impact éco-mesurable. Cela inclut également les objectifs initiaux visant à œuvrer au développement économique, industriel et numérique des pays les plus pauvres, tout en valorisant l’influence française dans le monde et adoptant une diplomatie pleinement féministe.

Ce mélange d’orientations et d’objectifs n’explique-t-il pas partiellement les turpitudes rencontrées par l’agence, que vous reconnaissez ?

M. Rémy Rioux. Je ne reconnais aucune turpitude de l’agence. Je tiens à faire référence à deux textes fondamentaux. L’alignement sur les objectifs de développement durable, dont je fais mention, s’inscrit dans le cadre international auquel le président Hollande a souscrit au nom de la France en septembre 2015 à New York. La France a eu l’honneur d’accueillir la signature des engagements de l’accord de Paris en décembre 2015, marquant une période d’ambition multilatérale qui guide désormais notre mandat, tel que défini par les autorités politiques mondiales. Il est certes possible de modifier ou de débattre de ce cadre mais cette prérogative n’incombe pas à l’AFD. Notre mission est dictée par ce mandat. Les objectifs de développement durable présentent un intérêt particulier car ils intègrent la dimension sociale aux enjeux climatiques.

Mon second point concerne la législation. Le Parlement a lui-même inscrit à l’unanimité les ODD dans la loi d’août 2021. Ce texte définit le mandat confié à l’AFD par le Parlement. Vous disposez bien entendu du droit de voter une nouvelle loi pour le modifier mais, en tant que directeur général de l’AFD, je n’ai aucunement l’autorité de remettre en question ce mandat. Mon rôle consiste à le traduire en une stratégie et des actions concrètes.

M. Jérôme Buisson (RN). Lors d’un déplacement à Kinshasa l’année dernière, j’ai eu l’occasion de rencontrer les représentants de l’AFD et du MEDEF, entre autres. Au cours d’un dîner informel, des discussions franches ont eu lieu concernant l’efficacité de l’aide au développement. La corruption demeure une préoccupation majeure dans ce pays, avec des pratiques de versements occultes qui persistent.

Il est notamment frappant de constater que, malgré un programme d’aide pour l’accès à l’eau potable, ce pays figure parmi les quatre plus gros consommateurs de champagne au monde, du moins au sein de son élite.

Dans ce contexte, je souhaiterais savoir si vous envisagez de réorienter une partie des fonds de l’AFD vers le développement de projets miniers.

M. Rémy Rioux. Si vous avez des allégations précises concernant des cas de corruption dans certains projets, sachez que l’AFD est soumise aux mêmes procédures de lutte contre la corruption, le blanchiment et le financement du terrorisme que n’importe quelle banque en France. En tant qu’institution régulée par l’ACPR et la Banque de France, nous appliquons les mêmes standards que BNP Paribas, par exemple.

L’AFD opère souvent dans des pays où d’autres ne s’aventurent pas. Ces environnements difficiles comportent effectivement des risques. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille abandonner ces missions : il est impératif d’avoir des procédures robustes et efficaces pour traiter tout cas avéré de corruption.

Dès qu’un cas nous est signalé, nous intervenons immédiatement : nous demandons des remboursements et engageons les poursuites nécessaires. Si vous disposez d’exemples concrets à ce sujet, je vous invite à me les communiquer personnellement ainsi qu’à Marie-Hélène Loison, mon adjointe, plutôt que d’en faire état publiquement ici.

Je tiens également à préciser qu’insinuer que toutes les actions menées par l’AFD ou par la politique française en matière de développement disparaissent sans laisser aucune trace serait erroné. Si tel était le cas, je serais déjà appelé à répondre devant un tribunal plutôt que devant cette commission parlementaire.

Concernant les mines, l’AFD a élaboré une stratégie axée sur les matériaux critiques pour la transition énergétique. Cette question revêt une importance majeure dans le contexte du changement climatique et représente un enjeu stratégique pour la France et l’Europe.

Mme Pascale Got (SOC). Le contexte actuel, marqué par le résultat de l’élection présidentielle américaine, m’incite à souligner qu’en 2024, près de la moitié des habitants du globe auront participé à des élections, dans soixante-huit pays. Selon vous, dans quelle mesure la solidarité internationale et la politique de développement sont-elles influencées par les résultats électoraux et les changements des priorités gouvernementales ? Alors que l’AFD inscrit son activité sur le long terme, comment cette institution adapte-t-elle ou peut-elle adapter ses actions aux résultats électoraux, notamment en Europe ?

M. Rémy Rioux. Cette problématique suscite actuellement une vive inquiétude dans l’ensemble de la sphère multilatérale. Rappelons-nous du retrait des États-Unis de l’accord de Paris. Cependant, cela ne signifie pas que l’action nationale bilatérale sera négligeable. C’est plutôt la pondération et l’articulation de ces différents outils qui devront évoluer dans les années à venir.

J’ai la conviction que les questions que je porte et que je vous expose revêtent une importance politique et stratégique majeure. Elles resteront au cœur du débat public. Nous sommes entrés dans une ère où les rapports de force s’immiscent dans les questions de développement durable, comme je l’ai souligné en évoquant une grande compétition.

Il nous faut maintenir notre engagement en faveur du développement durable, tout en prenant en compte ce nouveau contexte géopolitique. Cela ne signifie pas que nos objectifs ne seront pas atteints mais leur réalisation pourrait différer de ce que nous avions envisagé ou de ce que nous étions en mesure d’accomplir en 2015, lors de la définition de ces grands accords internationaux.

M. Guillaume Bigot (RN). L’AFD relève de deux tutelles : le ministère des affaires étrangères, à travers la direction générale de la mondialisation, et le ministère de l’économie et des finances, via la direction du Trésor. Vous indiquez que ces tutelles sont minoritaires au sein de votre conseil d’administration, donc elles ne s’exercent pas par ce biais. J’aimerais comprendre comment elles s’exercent concrètement.

J’ai contacté six ambassadeurs de France et ils m’ont tous affirmé qu’ils n’avaient pas d’autorité sur les personnels de l’AFD dans leurs ambassades. Les ambassadeurs de France notent-ils ou non les directeurs locaux de l’AFD ?

Je reste également perplexe quant aux critères permettant d’estimer qu’au moins une entreprise française répond à un appel d’offres. Par exemple, si une entreprise française avec des partenaires étrangers remporte 20 % d’un marché pour construire un pont, est-elle considérée dans vos statistiques comme ayant remporté au moins un marché ?

M. Rémy Rioux. Je tiens à rectifier une imprécision : l’AFD est placée sous la tutelle de trois ministères, à savoir le ministère des finances, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ainsi que le ministère chargé des outre-mer.

Concernant nos relations avec les ambassades, le Parlement a créé l’AFD, établissement public industriel et commercial. Sa gestion incombe au directeur général, fonction que j’occupe actuellement. À ce titre, je suis responsable du recrutement, de la nomination et de la gestion du personnel. Cette tâche n’est pas toujours aisée mais je m’efforce de l’accomplir avec la plus grande diligence et en prenant soin de chacun. Il convient de préciser que les agents de l’AFD ne sont pas des agents de l’État mais des employés d’un établissement public, à l’instar de toute autre agence.

Il est important de souligner que nos agents font partie intégrante des équipes des ambassadeurs. Chaque année, ces derniers me transmettent leur appréciation sur la manière de servir de mes directeurs, avis que je prends en considération dans leurs promotions et évaluations.

Par ailleurs, notre fonctionnement est encadré par une convention avec l’État, toujours en vigueur, qui détaille précisément l’ensemble de nos procédures. Concernant les projets, les ambassades interviennent à plusieurs étapes : lors de l’identification initiale du projet, puis au moment de l’approbation interne. Les projets dépassant un certain seuil sont soumis au conseil d’administration, où les représentants de l’Exécutif et du pouvoir législatif détiennent la majorité.

Dans l’éventualité où des entreprises françaises remportent un lot, elles sont effectivement comptabilisées comme ayant remporté un appel d’offres. Ces données seront mises à votre disposition pour analyse.

M. Frédéric Petit (Dem). En tant que membre du conseil d’administration, je tiens à rappeler à mes collègues que la composition de cet organe a été déterminée par le Parlement dans le cadre de la loi. De même, le directeur général est également avalisé par le Parlement. Il me semble important de souligner ces éléments, car j’ai le sentiment que nous critiquons une entité comme si elle nous était étrangère, alors que l’AFD a été créée par le Parlement.

Concernant la transparence, je rappelle que huit parlementaires siègent au conseil d’administration. De plus, je rencontre mensuellement quatre représentants du personnel qui me font part de leurs doléances, m’expliquent les améliorations et les difficultés rencontrées. Je rends d’ailleurs compte régulièrement de ces échanges.

Ma question porte sur la gestion des risques, un aspect peu abordé mais essentiel dans une institution bancaire. Monsieur le directeur général, pourriez-vous nous présenter un bref état des lieux sur ce sujet ?

M. Rémy Rioux. L’AFD est soumise à la régulation de l’ACPR, au même titre que toute autre institution financière. Nous subissons des contrôles réguliers et notre directrice des risques présente régulièrement au conseil d’administration un bilan de notre situation. Ces rapports portent notamment sur le respect de nos critères de capital, d’exposition, ainsi que sur le taux de douteux, qui s’élève actuellement à environ 5 à 6 % à l’AFD.

Au-delà de ces données générales, nous suivons attentivement des cas individuels avec mon adjointe, Marie-Hélène Loison. Je tiens à rassurer la représentation nationale sur le fait que nous disposons de toutes les procédures d’une institution financière solide pour maîtriser nos risques. Notre objectif est d’éviter tout recours à notre actionnaire. C’est précisément pour cette raison que la dette portée au bilan de l’AFD n’est pas incluse dans la dette de l’Etat.

M. le président Bruno Fuchs. Je remercie chaleureusement le directeur général de l’AFD pour sa participation, ainsi que mes collègues pour leur attention.

 

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La réunion est levée à 11 h 20.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - Mme Véronique Besse, M. Guillaume Bigot, Mme Élisabeth Borne, M. Bertrand Bouyx, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Sophia Chikirou, M. Pierre Cordier, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, Mme Stella Dupont, M. Olivier Faure, M. Marc de Fleurian, M. Bruno Fuchs, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Paul Lecoq, M. Laurent Mazaury, Mme Isabelle Mesnard, M. Frédéric Petit, Mme Maud Petit, M. Pierre Pribetich, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, Mme Dominique Voynet, Mme Estelle Youssouffa

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, Mme Clémentine Autain, M. Éric Ciotti, M. Perceval Gaillard, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Marcangeli, Mme Mathilde Panot, M. Remi Provendier, M. Davy Rimane, Mme Liliana Tanguy, M. Laurent Wauquiez

 

Assistaient également à la réunion. - Mme Sylvie Bonnet, Mme Justine Gruet