Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

 

 

– Table ronde, ouverte à la presse, sur le nouveau contexte géopolitique en 2025, avec la participation de M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, ancien conseiller diplomatique et sherpa du président de la République, M. Camille Grand, chercheur et directeur du programme Défense, sécurité et technologie du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), ancien Secrétaire général-adjoint de l’OTAN, et M. Frédéric Charillon, professeur des Universités en sciences politiques à l’université Paris-Cité et maître de conférences sur les questions de défense et de relations internationales à l’ESSEC Business School et à l’Institut national du service public (INSP)              2

– Informations relatives à la commission...................24


Mercredi
22 janvier 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 27

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Michel Herbillon, Vice-président


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La commission auditionne, dans le cadre d’une table ronde ouverte à la presse sur le nouveau contexte géopolitique en 2025, M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, ancien conseiller diplomatique et sherpa du président de la République, M. Camille Grand, chercheur et directeur du programme Défense, sécurité et technologie du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), ancien Secrétaire général-adjoint de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, et M. Frédéric Charillon, professeur des Universités en sciences politiques à l’université Paris-Cité et maître de conférences sur les questions de défense et de relations internationales à l’ESSEC Business School et à l’Institut national du service public (INSP).

La séance est ouverte à 9 h 05.

Présidence de M. Michel Herbillon, vice-président.

M. Michel Herbillon, président. Mes chers collègues, je tiens en préambule à excuser l’absence de notre président de commission, Bruno Fuchs, qui assiste en sa qualité de délégué général de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie à la réunion du bureau de cette Assemblée au Vietnam.

Alors que l’année 2025 s’ouvre indéniablement dans une atmosphère de changement majeur sur l’échiquier international, il apparaît bienvenu de tenir une table ronde sur ce nouveau contexte géopolitique. Je tiens à ce titre à remercier les trois intervenants de ce matin, qui nous permettront d’en cerner les enjeux essentiels.

Monsieur Jean-David Levitte, vous êtes un éminent diplomate français, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Élevé à la dignité d’ambassadeur de France en 2006, vous avez été le conseiller diplomatique et le sherpa de deux présidents de la République, Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy. Vous avez également été représentant permanent de la France au siège des Nations unies à New York et ambassadeur de France aux États-Unis. Vous faites certainement partie de ceux qui disposent de la vision la plus large de la complexité des relations internationales, de leur ressort, mais aussi de la nécessité de s’adapter aux circonstances sans perdre de vue nos intérêts et objectifs stratégiques.

Monsieur Camille Grand, vous êtes chercheur et directeur du programme Défense, sécurité et technologie du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). Vous avez auparavant exercé les éminentes fonctions de sous-directeur des questions multilatérales et du désarmement au sein de la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du ministère des affaires étrangères et européennes de 2006 à 2008. Plus récemment, vous étiez secrétaire général-adjoint de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de 2016 à octobre 2022. Votre regard de fin connaisseur de la relation transatlantique et des questions de défense nous sera extrêmement utile.

Monsieur Frédéric Charillon, vous êtes professeur des universités en sciences politiques à l’Université Paris Cité et enseignez les questions de défense et de relations internationales à l’ESSEC Business School et à l’Institut national du service public (INSP). Vous êtes également professeur invité dans plusieurs universités étrangères, notamment l’université euro-méditerranéenne de Fès ou Sorbonne Université Abu Dhabi. Vous avez dirigé l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) de 2009 à 2015 et publié de nombreux ouvrages dont Guerres d’influence en 2022 et La France dans le monde en 2021. Vous distinguez trois postures : la posture du fort, la posture du faible et la posture du fou, distinction qui peut se révéler éclairante pour comprendre le monde actuel.

Cette année 2025 s’ouvre dans un contexte de rupture et non de continuité. Cette rupture concerne d’abord les États-Unis : il y a à peine deux jours, le président Donald Trump, dont les positions sur un certain nombre de grands dossiers du moment apparaissent très tranchées par rapport à la vision habituellement à l’œuvre à Washington, a officiellement pris ses fonctions de quarante-septième président des États-Unis et a d’ores et déjà pris une série de décrets présidentiels. L’élection de Donald Trump le 5 novembre dernier a conduit d’ailleurs un certain nombre d’acteurs à anticiper les conséquences de son retour à la Maison Blanche.

Cette rupture se manifeste également au Proche-Orient, où la situation ne cesse d’évoluer dans le sillage de la réplique de l’État d’Israël au pogrom du 7 octobre 2023. À Gaza, une trêve est intervenue entre Israël et le Hamas. Son entrée en vigueur dimanche dernier ouvre enfin des perspectives en faveur d’un règlement du conflit. En Syrie, le régime tyrannique de Bachar al-Assad est heureusement tombé. Au Liban, le Hezbollah, bras armé de l’Iran, a été considérablement affaibli et de nouvelles autorités se mettent en place, puisqu’un nouveau président de la République a été élu et un nouveau premier ministre a été désigné. Enfin, l’Iran se retrouve désormais en première ligne et en position de fragilité.

Sur notre continent européen, la guerre en Ukraine se poursuit mais beaucoup prédisent un épilogue dans les mois à venir, selon des modalités encore floues. Quelle qu’en soit l’issue, ce conflit laissera des traces indélébiles. Je pense à ce titre au rapprochement ostensible de la Russie avec la Corée du Nord, l’Iran et la Chine, aux récriminations d’importants pays en voie de développement sous l’appellation de « Sud global » contre les visions et les préoccupations occidentales, à la recrudescence des craintes de l’Europe orientale à l’égard des ambitions russes, qui ont conduit certains pays à abandonner leur statut de neutralité pour intégrer l’OTAN.

Nous attendons de votre part une analyse des grandes tendances en cours, une mise en perspective des défis qui s’annoncent et, si possible, une interprétation des conséquences à en attendre pour la France et pour l’Europe. Depuis plusieurs années, dans notre pays, nombre d’acteurs en appellent au réveil de l’Union européenne (UE). Le temps des incantations est peut-être terminé et celui des actes est désormais venu, ne serait-ce que par la force des choses.

M. Jean-David Levitte, ambassadeur de France et membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Mon intervention s’attachera à décrire ce que je ressens comme la déconstruction de l’ordre mondial depuis quelques années, qui se manifeste par trois développements majeurs. Le premier concerne le retour de la guerre en Europe pour la première fois depuis 1945 avec l’agression contre l’Ukraine. Le deuxième a trait au retour de la guerre froide, mais une guerre froide inversée : quand la première se déroulait entre les États-Unis et l’Union des Républiques soviétiques socialistes (URSS), la guerre froide actuelle oppose ces mêmes États-Unis à la Chine, devenue l’autre superpuissance, alors que la Russie a perdu beaucoup de son poids et de son rayonnement. Le troisième développement majeur est relatif au retour du mouvement non aligné, que l’on appelle maintenant le « Sud global » et qui pratique non pas le non-alignement mais le multi-alignement, consistant à ne pas choisir, à travailler avec les uns et les autres sans complexe, l’Ouest et l’Est.

Ces trois développements marquent la fin de cinq siècles de domination occidentale du monde. Celle-ci a débuté avec Christophe Colomb et Magellan en 1492, s’est poursuivie par la construction des empires occidentaux et a duré de façon extraordinaire malgré deux guerres mondiales. À la fin de la deuxième guerre mondiale, la conférence de San Francisco a jeté les bases d’un nouvel ordre mondial fondé sur nos valeurs occidentales, notamment l’égalité souveraine des États. Cette réunion fondatrice s’est déroulée aux États-Unis et les sièges des institutions des Nations unies sont situés à New York, Genève, Vienne, Paris et Rome, autant de villes occidentales.

Le sommet de l’influence occidentale est intervenu lors d’une décennie extraordinaire qui a commencé en 1991 et s’est achevée en 2001. En 1989, Gorbatchev avait décidé de laisser partir les pays de l’Europe centrale qui se révoltaient. Tout le monde se souvient de cette nuit du 9 novembre 1989 où nous avons assisté à la destruction du mur de Berlin. Par la suite, l’Europe de l’Ouest, c’est-à-dire l’Union européenne actuelle, a absorbé ces différents États. En 1991, Gorbatchev est tombé malade. Boris Eltsine, qui présidait la Russie au sein de l’URSS est devenu le responsable de l’empire. Souhaitant continuer les réformes en Russie, il a demandé aux quatorze États qui formaient l’URSS depuis les années 1920 de prendre leur indépendance et de conduire leurs propres réformes. En décembre 1991 par exemple, le peuple ukrainien a massivement voté, à 92 %, en faveur de son indépendance, y compris dans la péninsule de Crimée.

Ces événements ont marqué le début d’une décennie extraordinaire où l’Occident est devenu la référence, la puissance dominante, autour des États-Unis et d’une Union européenne qui s’est élargie. Simultanément, l’économie de marché s’est répandue à travers le monde entier, notamment en Chine, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, qui a décidé de conduire de façon très pragmatique une série de réformes. Ainsi, la Chine est devenue en un peu plus d’une décennie l’atelier du monde, bien aidée par deux révolutions : l’invention du téléphone portable, dont la Chine est devenue le premier producteur, et celle du porte-conteneurs, qui permet de réduire les coûts et d’accélérer le temps nécessaire pour le transport des marchandises.

Cette transformation du monde a vu les valeurs occidentales se répandre dans l’ancien empire soviétique et même en Chine, qui est devenue en 2001 membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais 2001 a également coïncidé avec le début d’une descente aux enfers pour l’Occident. J’ai vécu en direct, depuis la fenêtre de mon bureau à New York, les attaques du 11 septembre 2001, la pire attaque terroriste de l’histoire de l’humanité, qui a occasionné 3 000 morts, alors que j’étais ambassadeur aux Nations unies. La France présidait ce mois-là le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). En à peine vingt-quatre heures, nous avons changé le droit international.

Les États-Unis ont décidé de travailler avec les Nations unies pour lutter contre le terrorisme international, point de départ de la guerre en Afghanistan, qui est devenue malheureusement la guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis, jusqu’à ce qu’ils décident de s’en retirer dans les conditions catastrophiques que nous connaissons. Par la suite, la guerre en Irak est intervenue. Lorsque j’étais ambassadeur aux États-Unis, j’ai vécu l’épisode des « freedom fries », quand le Congrès a décidé à l’unanimité de débaptiser et de renommer les « french fries » qui étaient jusque-là servies au restaurant du Congrès. Cet épisode en dit long sur l’atmosphère qui régnait à l’époque. Ces guerres ratées en Afghanistan et en Irak ont durablement affecté l’image des États-Unis à travers le monde. S’en est suivie la crise des subprimes, qui a provoqué la crise financière des années 2007-2008.

Ces événements ont conduit à une modification du regard du monde sur les États-Unis et les pays du Sud ont changé la vision qu’ils avaient de l’Occident. Ils ont bien sûr continué à moderniser leurs économies, à embrasser la mondialisation économique, mais ils ont refusé l’occidentalisation de leur société. Il s’agit là d’un virage majeur, emprunté par Poutine qui veut être l’héritier de Catherine II de Russie, de Pierre Ier de Russie, de Lénine et de Staline. Il a été également mis en place par Erdogan en Turquie, qui se veut l’héritier de Soliman le Magnifique, beaucoup plus que d’Atatürk, mais également par l’Iran de Khamenei, successeur de Khomeini, par l’Inde de Modi, la Chine de Xi Jinping et plus largement le Sud global, qui traduit cette volonté de désoccidentaliser le monde.

Ce Sud global refuse d’appartenir à un camp ou à un autre et veut être libre de travailler avec les uns et les autres. Nous l’avons constaté au début de l’agression russe en Ukraine, lorsque le vote à l’Assemblée générale des Nations unies a été marqué par de nombreuses abstentions de la part de la Chine, de l’Inde, du Pakistan, du Vietnam, de l’Afrique du Sud ou de l’Algérie, qui ont refusé de condamner la Russie.

Nous sommes donc confrontés à un nouveau paysage géopolitique, où les acteurs de ce mouvement veulent continuer à travailler sur le plan économique avec l’Occident, passé du « just-in-time » au « just-in-case » et au nearshoring. Il n’y a pas de découplage des économies mais nous assistons à des mouvements de de-risking, la crise du Covid ayant naturellement accéléré ce rééquilibrage. Enfin, cette nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine constitue le facteur dominant au sein duquel s’inscrit le deuxième règne du président Trump.

M. Camille Grand, chercheur et directeur du programme Défense, sécurité et technologie du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). Je rejoins évidemment Jean-David Levitte pour considérer que nous assistons bien un moment de bascule de la scène internationale. La page de l’après-guerre a bien été tournée depuis deux décennies et nous vivons désormais un moment marqué par une forme de brutalisation des relations internationales et de durcissement de notre environnement de politique étrangère, auxquels les Européens n’étaient pas préparés ni intellectuellement, ni militairement. Ce phénomène s’étend bien au-delà de la seule personnalité de Donald Trump. À ce titre, se concentrer sur les événements des trois derniers jours constituerait une grande erreur. En réalité, le personnage de Donald Trump évolue dans le paysage depuis presque une décennie et il ne fait que traduire une évolution plus profonde des États-Unis. En outre, les États-Unis ne sont naturellement pas les seuls acteurs de cette brutalisation.

Cette dernière se traduit d’abord par le retour des logiques de puissance au sens strict, à travers des formes de néo-impérialisme – c’est à dire l’impérialisme territorial – et l’usage de moyens militaires pour parvenir à des objectifs internationaux. Ces logiques n’avaient jamais totalement disparu mais elles sont maintenant employées par de grandes puissances, y compris des membres permanents du Conseil de sécurité. Elles s’observent dans l’attitude de la Russie en Ukraine, de la Chine à l’égard de Taiwan, qui n’a pas encore pris la forme d’une invasion au sens strict, dans des logiques de course aux armements. De son côté, le président des États-Unis met en scène l’hypothèse d’un usage de la force pour la conquête du Groenland ou le contrôle du canal de Panama. Ces logiques de puissance majeure se retrouvent également chez de grandes puissances régionales. Ainsi, la Turquie ou l’Arabie saoudite n’hésitent pas à utiliser la force pour traiter leurs différends avec leurs voisins ou réduire des forces non étatiques.

Nous assistons donc à un retour des rapports de force, qui matérialisent la fin des logiques coopératives et du « gagnant-gagnant », qui avaient présidé à la construction de l’ordre international dans la période de l’après guerre froide. Dans l’esprit de Vladimir Poutine, si la Russie ne contrôle pas l’Ukraine, cette dernière sera contrôlée par l’Occident et constituera à ce titre une menace pour la Russie. La même vision est à l’œuvre chez Donald Trump en matière de commerce international : dans son esprit, puisqu’il y a des gagnants et des perdants, il faut que les États-Unis fassent partie des premiers, ce qui justifie pour lui d’imposer des droits de douane exorbitants pour résoudre cette problématique.

Le troisième retour est celui de la violence et de l’usage de la guerre comme moyen de résolution des conflits, comme nous l’avons constaté au Moyen-Orient ou en Ukraine. Je me rappelle que dans les années 1990 avait fleuri une littérature sur « la fin de guerre », qui considérait que la guerre comme moyen de résolution des conflits entre États était aussi obsolète que le duel comme moyen de résolution des conflits entre individus. Cette vision, qui apparaissait déjà à l’époque quelque peu utopique, a aujourd’hui totalement disparu du champ du raisonnable.

En revanche, il existe simultanément une véritable interdépendance entre les différentes régions et les différents théâtres d’opérations. Par exemple, le traitement du processus de paix au Moyen-Orient relevait, en quelque sorte, de spécialistes régionaux. Désormais, ce qui se joue là-bas a des implications ailleurs, et inversement. La déstabilisation de la Russie par sa propre invasion de l’Ukraine a finalement eu raison de Bachar al-Assad et elle vient de perdre sa base de Tartous, après soixante ans de présence en Méditerranée orientale. De la même manière, lorsque les États-Unis ont quitté l’Afghanistan, Vladimir Poutine l’a interprété comme une faiblesse, qui lui offrait une sorte de fenêtre d’opportunité pour mener à bien ses ambitions en Ukraine.

Enfin, l’interdépendance ne se limite pas aux régions mais elle se traduit également par une interconnexion entre la sphère économique et la sphère militaire. Plus que jamais, géoéconomie et géostratégie sont entremêlées, comme en témoigne l’usage devenu assez systématique de sanctions qui perdent d’ailleurs en efficacité de ce propre fait. Dans le même ordre d’idées, Vladimir Poutine estimait que le gaz russe lui offrait une carte imparable vis-à-vis des Européens. Désormais, un nouveau stade semble aujourd’hui franchi, à travers des liens établis entre des débats de politique économique, de gouvernance et la sphère stratégique. Le nouveau vice-président des États-Unis, J. D. Vance, a ainsi déclaré pendant la campagne électorale américaine que l’OTAN ne durerait pas longtemps si l’UE maintenait ses actions en faveur de la gouvernance de la sphère digitale.

Face à ces éléments, l’Europe apparaît singulièrement mal préparée, pour de bonnes raisons : il s’agit d’un continent de paix, qui s’est construit sur le refus de la guerre et du rapport de force et la promotion de la coopération. L’Europe se réveille aujourd’hui dans un monde qui lui déplaît profondément, aux antipodes de ce que l’UE porte comme message général. En 2003, la stratégie européenne de sécurité estimait ainsi que l’Union européenne était entourée de « partenaires ». Désormais, dans sa dernière boussole stratégique, elle estime être entourée de crises. Enfin, l’UE avait toujours parié sur les grandes institutions internationales, la régulation par le droit, par l’OMC, les Nations unies, les grandes conférences internationales sur le climat, les organisations traitant de la santé, des crises migratoires. L’Europe se retrouve donc démunie quand de grands acteurs, à commencer par les États-Unis, se retirent ou font des pas de côté vis-à-vis de cette régulation internationale.

En guise de conclusion et afin de traiter des conséquences pour notre propre politique étrangère, il me semble utile de formuler trois recommandations.

La première concerne un besoin d’agilité. En effet, dans le contexte actuel, je ne suis pas sûr que les grands schémas classiques de nos débats de politique étrangère soient aujourd’hui applicables. Par exemple, l’idée d’une opposition entre gaullo-mitterrandisme et atlantisme me semble en partie dépassée car elle renvoie à des réflexions qui intervenaient dans un environnement très différent.

Ensuite, nous avons besoin de penser les alliances et les relations avec les tiers. Nous vivons dans un monde très perturbant, dans lequel un pays comme la Chine peut être à la fois un adversaire stratégique et notre premier partenaire économique. Concrètement, comment gérons-nous ce type de relations ? Les États-Unis peuvent être nos alliés dans le temps, en tout cas jusqu’à nouvel ordre, mais leur nouvelle administration prend l’Europe pour cible dans la sphère commerciale ou de la gouvernance de l’espace digital. Comment pensons-nous des relations infiniment plus complexes que l’idée d’une communauté de valeurs ?

Enfin, il nous faut penser à l’échelle européenne, notamment en incluant des pays non-membres de l’UE sur certains sujets comme l’Ukraine, par exemple. Je pense naturellement au Royaume-Uni mais aussi à des pays comme la Norvège. À ce titre, une structure nouvelle comme la Communauté politique européenne (CPE) permet de mener ce type de réflexions. En outre, nous ne pouvons pas faire l’économie de repenser la dimension militaire de notre politique étrangère. Les grands creux de notre politique étrangère au XXe siècle ont coïncidé avec des moments où notre outil militaire n’était pas adapté à l’environnement. Il s’agit là d’un sujet majeur sur lequel il faut rester très attentif dans le monde que nous venons de décrire.

M. Frédéric Charillon, professeur des Universités en sciences politiques à l’université Paris-Cité. Je partage avec les deux intervenants précédents le constat d’un retour de la brutalité du monde. Nous connaissons le double risque d’une offensive de certaines puissances, notamment de puissances autoritaires, et parallèlement le risque de la perte de la garantie de sécurité américaine. À ces deux risques, peut s’ajouter un troisième : à partir du moment où l’attention mondiale est focalisée sur un certain nombre de grands conflits – aujourd’hui l’Ukraine, demain Taïwan peut-être –, des acteurs moins puissants en profitent pour avancer leurs pions. Nous l’avons par exemple observé en Arménie ou en Syrie.

Je souhaite pour ma part me focaliser sur deux tendances qui semblent particulièrement inquiétantes pour l’UE.

En premier lieu, je tiens à évoquer les guerres d’influence : ces actions entreprises par des États, qui y consacrent de nombreux moyens, pour s’attacher la loyauté d’acteurs ou de réseaux extérieurs, pour pratiquer l’ingérence, pour manipuler des opinions, pour déstabiliser des sociétés en usant de la guerre psychologique. Le but recherché consiste à faire changer les comportements et les opinions dans le sens des intérêts de l’État manipulateur, sans employer la contrainte physique, du moins dans un premier temps. Cette guerre d’influence est désormais bien identifiée, grâce à un certain nombre d’enquêtes, notamment parlementaires.

Trois types d’influence sont aujourd’hui à l’œuvre dans le monde. La première existe depuis longtemps et concerne la pratique de l’influence telle qu’elle est mise en œuvre par les démocraties libérales. L’exemple le plus emblématique à ce titre porte sur le modèle américain depuis 1945, c’est à dire l’influence consistant à afficher et projeter un modèle pour séduire et attirer à soi, soit le soft power classique, fondé sur la séduction et la conviction. Ce modèle s’adresse particulièrement aux élites pour les attirer dans les grandes universités américaines mais se diffuse également dans le domaine du management. Plus largement, il cherche à séduire l’opinion, le grand public, notamment par la diffusion de la culture populaire américaine, dont Hollywood est le premier vecteur. Ce modèle s’est diffusé dans d’autres démocraties, notamment en Corée du Sud.

Simultanément, nous sommes confrontés à un tout autre type d’influence pratiqué par les régimes autoritaires, et synthétisé sous le vocable de sharp power, car il est aiguisé comme un couteau, agressif. Ici, il s’agit moins d’attirer à soi que de faire douter l’autre – particulièrement les sociétés démocratiques – en insistant sur ses dysfonctionnements et en les attisant. Nous avons pu l’observer à de multiples reprises récemment, y compris dans nos territoires d’outre-mer.

Enfin, à la marge, il faut mentionner un troisième type d’influence très particulier, davantage issu des pays du Golfe : celui de l’alliance de la foi et de la rente. Grâce aux financements provenant essentiellement de la rente énergétique, il est possible de constituer des réseaux, de financer des soutiens, qu’ils soient religieux ou autres. Cette influence ne s’adresse pas forcément à l’opinion publique générale mondiale mais a pour objet de constituer des réseaux. Ces pratiques ont notamment été mises en lumière au Parlement européen.

Il ne s’agit là que de trois idéaux-types d’influence mais il conviendrait également d’étudier d’autres stratégies d’influence plus subtiles, tant la liste est longue et variée, depuis le Rwanda en passant par la Hongrie ou les pays d’Europe du Nord. Ces stratégies sont plus efficaces que celles de grands pays européens, auprès de certains cercles.

La deuxième tendance concerne le retour de la brutalité, et plus particulièrement le retour de l’intimidation sur la scène internationale. Elle consiste à discréditer ce qui relève du dialogue, de la concertation et du compromis pour estimer qu’il s’agit là de marques de faiblesse, pour mieux valoriser à l’inverse le fait accompli, l’usage de la force, le discours violent, l’action unilatérale, y compris d’ailleurs au nom de l’efficacité. À ce titre, je suis toujours frappé de voir chez certains de mes étudiants une forme d’engouement pour des méthodes brutales, au nom de l’efficacité affichée. De fait, des acteurs ont réussi à transmettre l’idée que ce que nous considérions comme la base des relations internationales – le dialogue, la concertation, l’échange pour éviter le conflit – était en réalité démonétisé, inefficace et qu’il fallait désormais passer à des méthodes brutales.

Ces méthodes sont incarnées par des « hommes forts », des personnalités autoritaires qui valorisent ce discours, à l’instar de Donald Trump, de Vladimir Poutine, de Benyamin Netanyahou ou de Viktor Orbán. Ces pratiques déstabilisent l’Europe, qui a toujours prôné le contraire, en valorisant le dialogue, la discussion, la négociation et la concertation.

Je terminerai mon propos en évoquant les trois postures du fort, du faible et du fou, que le vice-président Herbillon a eu l’amabilité d’évoquer en préambule.

Lorsqu’il est question d’intimidation, il est usuel de penser instinctivement à l’intimidation émanant du fort, qui formule des menaces. Telle est la pratique de Donald Trump, fort des atouts de son pays, de son poids politique, géopolitique et économique. Vladimir Poutine use également de ce procédé et l’a notamment employé au début de la guerre en Ukraine, en expliquant que la Russie n’a jamais perdu de guerre. La Chine pratique également cette méthode à l’égard des voisins avec lesquels elle connaît des litiges territoriaux, notamment en mer de Chine du Sud, depuis le début des années 2010. Lors d’un sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) consacré notamment à la question des litiges territoriaux, Pékin a ainsi répondu de manière très laconique, estimant que la seule réalité tangible dans la région était que « la Chine est un grand pays, les autres n’étant que de petits pays ».

Une autre forme d’intimidation concerne celle qui est formulée par le faible et peut se traduire par une stratégie de chantage : « je suis plus faible que vous, j’ai pu commettre des erreurs ou ne suis pas irréprochable, mais si je m’effondre, tout le monde y perdra ». Au Moyen-Orient, il est possible de citer le Liban, voire la Jordanie, des pays certes maillons faibles mais incontournables. De la même manière, ce type d’intimidation peut être le fait de petits pays au sein de l’UE.

Enfin, il convient d’évoquer l’intimidation du fou, qui joue sur son mystère et son caractère insaisissable : « vous ne savez pas de quoi je suis capable, ni jusqu’où je peux aller ». Donald Trump est sans doute le seul à l’avoir endossé officiellement à propos de la Chine lorsqu’il a dit que ce pays le respectait « car Xi Jinping sait que je suis complètement dingue ». D’autres dirigeants moins importants comme Hugo Chavez adoptent également cette position.

En conclusion, je souhaite brièvement mentionner le cas de l’Europe, pour souligner qu’il nous faut revoir notre logiciel et notre approche diplomatique. En effet, même si nous avons pris conscience du problème, nous rechignons à mettre au point des capacités offensives d’influence. En outre, l’intimidation est totalement absente de l’ADN de l’Europe telle qu’elle s’est construite depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

M. Michel Herbillon, président. Je cède à présent la parole aux orateurs des groupes politiques.

M. Jérôme Buisson (RN). Nous assistons à un changement d’époque. Le réveil des peuples en Europe et aux États-Unis sonne le glas de près d’un demi-siècle de ce qui apparaîtra comme la parenthèse du mondialisme béat. Ce revirement historique nous prouve une nouvelle fois que la nation demeure et demeurera l’échelon indispensable de l’organisation des sociétés humaines et le seul lieu possible de développement de la démocratie.

Résolument attaché à cette vision de la nation, notre groupe défend une vision des relations internationales fondées sur des rapports interétatiques rationnels mus par les intérêts de nations souveraines. Notre présidente de groupe, Marine Le Pen, a établi une déclaration des droits des peuples et des nations consacrant le droit à la souveraineté, à la liberté, à la sécurité, ainsi que le respect des identités, que nous souhaitons proposer aux nations du monde entier.

Parallèlement à la fin de la fable mondialiste, la relativisation de la puissance américaine par l’émergence de nouvelles puissances, ainsi que le ralentissement de l’ascension chinoise dessinent un monde que l’on pourrait qualifier de multipolaire. Il est aujourd’hui vital que la France et ses dirigeants prennent la mesure des changements fondamentaux qui agitent le monde.

Nous devons tourner la page des fantasmes de gouvernance supranationale pour revenir à une politique nationale suivant nos seuls intérêts nationaux, au risque d’être pris de court par des acteurs mondiaux agissant parfois agressivement. Les relations internationales sont faites tantôt de coopération, tantôt de compétition mais peuvent évidemment tourner à la confrontation. Dans ce contexte, seules les nations poursuivant leurs intérêts, chérissant leur souveraineté, préservant leur identité et leur génie national, sauront maintenir leur rang.

Contrairement aux idées reçues, au niveau international, la paix et la coopération ne pourront être assurées qu’au moyen d’une approche résolument réaliste car la négociation peut concilier des intérêts, tandis que les principes ne se négocient pas. En conséquence, ne pensez-vous pas que le retour des nations – et donc de puissances plurielles – constitue le fait majeur de ces dernières années sur le plan géopolitique ? N’assistons-nous pas à un moment westphalien de renégociation internationale entre les grandes puissances de ce monde, dont la France risque d’être absente en raison de l’obstination de ses dirigeants à vouloir faire s’effacer notre pays derrière l’Union européenne ?

M. Jean-David Levitte. Plus que jamais, l’Union européenne me semble indispensable. Nous avons naturellement besoin de nations organisées au sein de l’UE mais, face aux États-Unis plus forts que jamais et face à la Chine qui veut nous imposer ses conditions, la France ne peut répondre seule. Il nous faut une Europe rassemblée, organisée, sous l’impulsion renouvelée du couple franco-allemand. Pour le moment, cette Europe a pris du retard, qui a bien été diagnostiqué par les deux rapports d’Enrico Letta et de Mario Draghi. Ces derniers ont ainsi souligné le décrochage économique de l’Union européenne depuis une vingtaine d’années face aux États-Unis et la Chine mais ils nous proposent également des recettes pour rattraper ce retard. Celles-ci ne pourront être effectives que si nous rassemblons nos forces.

M. Frédéric Charillon. Je ne pense pas qu’il existe un retour des nations dans la mesure où celles-ci n’ont jamais véritablement disparu, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie, de la Chine mais également de l’Europe. De la même manière, je ne pense pas que le patriotisme se soit effrité. En revanche, nous assistons plus vraisemblablement à un retour du nationalisme à l’échelle internationale.

Mme Liliana Tanguy (EPR). L’année 2025 s’annonce riche en enjeux structurants sur les plans géopolitique, économique et technologique. Elle est marquée par des événements clés tels que l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour un second mandat, les élections fédérales en Allemagne, le sommet de l’OTAN, qui pourraient redéfinir les priorités de défense en Europe, ainsi que par des négociations budgétaires européennes qui s’annoncent difficiles.

Par ailleurs, la montée en puissance du groupe mené par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud (BRICS) souligne un basculement vers un monde multipolaire, conjointement avec le retour du nationalisme et du populisme et l’avènement de dirigeants autoritaires qui fragilisent le multilatéralisme. En outre, l’intelligence artificielle devient un enjeu majeur de souveraineté et de compétitivité. Je souligne à ce titre l’organisation de la conférence internationale dédiée à son développement et à sa régulation, qui se déroulera en février à Paris. Enfin, la trentième conférence des parties (COP30) organisée cette année au Brésil devrait, quant à elle, cristalliser les attentes en matière de lutte contre le changement climatique dans un contexte de tensions budgétaires et d’incertitudes économiques.

Je souhaite vous interroger sur le rôle de la France au sein de cette gouvernance internationale. Selon vous, quels leviers devons-nous privilégier pour renforcer efficacement notre influence sans risquer un émiettement de nos efforts diplomatiques ? Dans le domaine du climat, alors que Donald Trump vient de faire sortir les États-Unis de l’accord de Paris, comment notre pays peut-il exercer un leadership accru sur la scène internationale ? Enfin, dans un contexte de tension persistante au Proche-Orient, quel positionnement stratégique la France doit-elle adopter pour préserver son rôle de médiateur et d’acteur en faveur de la paix et de la protection des populations civiles, notamment au Liban, en Israël et Palestine, ainsi qu’en Syrie ?

M. Camille Grand.  Vous avez raison de souligner que l’année 2025 sera particulièrement chargée sur le plan diplomatique. L’agenda débutera par le Conseil européen du 3 février sur les questions de défense, puis se poursuivra par un sommet de l’OTAN au mois de juin. Nous aurons également l’occasion de tester l’éventuel décalage entre la rhétorique de Donald Trump et sa pratique effective du pouvoir, notamment en matière d’alliances militaires et de commerce international. Ses positions sur le climat sont en revanche bien établies et ne changeront pas.

Ensuite, je souhaite revenir sur la question de l’intelligence artificielle, qui illustrera notre capacité ou notre incapacité à réguler ces nouvelles technologies. En effet, ce sujet véhicule un potentiel de tensions transatlantiques très marqué avec les géants de la big tech. En outre, la position européenne consistant uniquement à proposer des normes en la matière n’est pas suffisante, alors que Donald Trump a annoncé 500 milliards de dollars d’investissement dans ce secteur. Nous vivons un moment durant lequel de nombreux enjeux se déploieront ; nous devrons y être extrêmement attentifs.

M. Frédéric Charillon. Nous traversons une phase difficile pour la politique étrangère de la France. Nous avons rencontré des déboires au Sahel, nous éprouvons des difficultés à nous faire entendre au Proche-Orient. Notre relation avec le Maghreb est également compliquée, même si elle s’est récemment améliorée avec le Maroc.

En contrepoint, nous disposons malgré tout de certains atouts, à l’instar de notre capacité militaire, qui permet de nous faire entendre. Lorsque je travaillais pour l’IRSEM, j’avais voyagé aux États-Unis et en Chine au lendemain de l’intervention militaire française au Mali, entamée en janvier 2013. J’avais été surpris de constater à quel point les personnes que j’y avais rencontrées étaient impressionnées ou semblaient redécouvrir la diplomatie et la puissance françaises, y compris dans les revues stratégiques américaines.

Ensuite, le renouvellement de partenaires est en cours, par exemple concernant l’enjeu irakien. Dans ce cadre, il convient d’être imaginatifs pour trouver des relais à notre action – notamment puisque les relations avec nos partenaires traditionnels sont à l’heure actuelle plus difficiles – mais également sans doute de cesser de nous présenter comme une vieille puissance classique, qui pourrait peut-être être rattrapée à la marge par d’autres concurrents. Nous devons presque nous positionner comme une « start-up » diplomatique et revoir nos relations, parler un langage nouveau sur ce marché devenu très concurrentiel.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). L’élection de Donald Trump a un seul mérite : elle oblige à regarder les États-Unis d’Amérique pour ce qu’ils sont. Ainsi, les États-Unis constituent sans aucun doute une puissance impérialiste prête à risquer toutes les déstabilisations pour préserver leurs intérêts. Il ne s’agit certes pas d’une nouveauté, comme en témoignent la désastreuse guerre du Golfe ou les coups d’État qu’ils ont appuyés en Amérique du Sud au siècle dernier.

En revanche, le contexte international évolue. Trump représente la figure d’un impérialisme qui ne se cache plus et assume sa brutalité, en paroles pour l’instant. Nous ne pouvons qu’être stupéfaits de la réaction particulièrement faible de la France face aux menaces proférées par le nouveau président des États-Unis d’Amérique. Interrogé par Ouest-France au sujet des menaces d’annexion du Canada et du Groenland, le ministre des affaires étrangères s’est contenté de tenir les propos suivants : « Il est naturel que Donald Trump promeuve les intérêts américains, c’est son job ». La seule réaction admissible et honorable eut été une réponse ferme, en s’engageant à protéger le Groenland.

Face à un dirigeant ouvertement agressif, la France s’incline. Les néoconservateurs s’agitent pour expliquer que les menaces de Trump ne doivent pas être prises au sérieux. Ils n’osent regarder en face ce que sont aujourd’hui les États-Unis d’Amérique. Je pense notamment à Elon Musk, un milliardaire fou furieux d’extrême droite nommé au gouvernement américain et qui soutient l’extrême droite la plus brutale en Allemagne. Avec de tels individus, quel sens concret revêt l’alliance stratégique avec les États-Unis ? Qu’avons-nous en commun avec Elon Musk ou Donald Trump ? Qui oserait parler sérieusement de valeurs occidentales communes partagées avec cette troupe ?

L’inconsistance de la notion d’Occident apparaît à la lumière de ce nouveau gouvernement. Lorsque Donald Trump exige que les Européens consacrent 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense, à quoi bon rester dans l’OTAN ? Le commissaire européen Stéphane Séjourné soutient que nous ne pourrions employer des mesures de rétorsion en cas de guerre commerciale contre la puissance nord-américaine car « nous aurions trop à y perdre ». Face aux États-Unis d’Amérique, l’Europe se vassalise. Donald Trump s’en prend de front au multilatéralisme, à rebours de la position internationale tenue par la France. Son pays est sorti de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que de l’accord de Paris.

« Drill, baby, drill ! » – « Fore, bébé, fore ! »  s’exclame Trump. Les franquistes criaient « Vive la mort ! », les trumpistes crient « Vive le pétrole ! » et accélèrent le changement climatique. L’ascension au pouvoir de Trump représente la victoire idéologique outre-Atlantique d’un Steve Bannon qui avait explicitement dit vouloir revenir sur les acquis de la Révolution française.

Puissance universaliste, la France ne saurait marcher dans ces pas. Pour reprendre l’interrogation du grand Jaurès dans L’Armée nouvelle, « comment porter au plus haut, pour la France et pour le monde incertain dont elle est enveloppée, les chances de paix » ?

M. Jean-David Levitte. Selon moi, Trump s’inscrit dans une tradition américaine incarnée par deux anciens présidents. Le premier est George Washington, qui considérait que les États-Unis devaient se tenir à l’écart des querelles des Européens. Donald Trump a sans doute cet exemple en tête, notamment quand il est question de l’Ukraine : je ne suis pas certain qu’il soit déterminé à se battre aux côtés des Européens en faveur de l’Ukraine. Le second président de référence est le président Monroe, auteur de la doctrine éponyme, qui visait à préserver le continent nord-américain et l’Amérique latine de l’influence du reste du monde pour en faire la chasse gardée des États-Unis. Les récentes déclarations du président Trump concernant le Groenland, le Canada et le canal de Panama s’inscrivent dans ce courant de pensée.

Je vois deux exceptions à ce regard américain sur le monde. La première concerne Israël, dans la mesure où le mouvement évangéliste américain, très puissant dans les médias et dans la société, considère qu’il existe un lien particulier, presque religieux, entre les États-Unis et Israël. La deuxième exception est relative à la Chine : les États-Unis sont convaincus que la Chine de Xi Jinping veut devenir le leader du monde, ambition totalement inacceptable pour Washington, qui veut conserver son hégémonie.

Face à ce positionnement, la France et l’Union européenne doivent assumer davantage leurs responsabilités. Je suis convaincu que la France ne peut pas, à elle seule, faire face à ces menaces croissantes. Il faut que nous, Européens, parvenions à faire plus et mieux. L’UE est dotée d’une nouvelle Commission et l’Allemagne aura bientôt un nouveau gouvernement. L’Europe doit unir ses capacités et se doter d’une doctrine sur le plan économique mais aussi sur le plan de la politique étrangère dans son environnement, qu’il s’agisse de la Méditerranée, du Proche-Orient, de l’Afrique ou de sa relation avec les États-Unis. Si nous ne sommes pas capables de valoriser nos atouts, nous serons dévorés par l’Amérique de Trump.

Les deux excellents rapports produits par Enrico Letta et Mario Draghi soulignent que l’Europe dispose d’un avenir, à condition qu’elle utilise ses capacités. Un Américain épargne en moyenne 4 %, contre 14 % pour un Européen. Mais cette épargne européenne s’oriente largement vers les États-Unis. L’Europe doit absolument s’investir pour bâtir un meilleur avenir de puissance et de capacités.

M. Pierre Pribetich (SOC). Au lendemain de l’investiture de Donald Trump se confirment les contours d’une scène internationale totalement bouleversée. Les trois intervenants ont ainsi évoqué la déconstruction, la « désoccidentalisation » du monde, mais aussi un moment de bascule et le retour de la brutalité, placés sous le règne de « deals » commerciaux et des rapports de force. Donald Trump déploie à lui seul des stratégies du fort et du fou, comme en témoigne sa volonté de s’approprier le canal de Panama, d’acquérir le Groenland, d’intégrer le Canada en tant que cinquante et unième État, avec également la remise en cause du droit international.

L’Europe et la France présentent des faiblesses en raison de leurs nombreuses dépendances : elles concernent la défense, la relation avec les géants de la tech américaine, l’énergie, l’espace, les fonds marins mais aussi les composants électroniques et les communications.

Donald Trump a symboliquement déclaré la guerre commerciale mais également la guerre fiscale : à peine élue, il a dénoncé l’impôt minimum de 15 % sur les multinationales de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE). Il nous faut maintenant dépasser les constats et esquisser une réponse européenne autour du couple franco-allemand.

Donald Trump a mis en scène à un investissement de 500 milliards de dollars en faveur d’un gigantesque réseau de data centers, capable de décupler les puissances de calcul mais aussi d’être un acteur majeur de l’intelligence artificielle. Face aux menaces qui pèsent sur l’Union européenne et la France en raison de la nouvelle administration Trump, quels pourraient être les contours d’une réponse européenne permettant de relever les défis de la dépendance ? Je pense notamment à une dépendance parfois minimisée, celle qui concerne les communications, et je rappelle l’existence de réseaux d’espionnage évolués maîtrisés par les États-Unis.

M. Camille Grand. Face à Trump, deux tendances se font jour en Europe : certains s’inquiètent d’une Amérique qui disparaîtrait du paysage européen, quand d’autres redoutent une Amérique néo-impérialiste. Lors du premier mandat de Donald Trump, des commentateurs insistaient pour ne considérer que les faits et mettre de côté la rhétorique du président américain. Je considère que la rhétorique compte : il est problématique de formuler l’idée que l’on peut utiliser la force pour s’approprier le Groenland où contrôler le canal de Panama, quand l’Occident a expliqué qu’il était inacceptable d’utiliser la force pour s’approprier l’Ukraine.

Face à l’effet performatif de la rhétorique, il faut selon moi répondre par la clarté, au sujet de nos dépenses de défense naturellement mais aussi des moyens que l’Europe se donne pour agir réellement au cœur des grands enjeux commerciaux, comme digitaux, qui structureront le XXIe siècle. Nous avons l’obligation de répondre de manière très claire aux défis posés par Trump mais aussi par d’autres. En effet, comparativement à la première présidence de Trump, la période actuelle est marquée par la guerre en Europe et une détérioration profonde du système international. La situation est beaucoup plus périlleuse.

M. Pierre Cordier (DR). Le département des Ardennes, dont je suis élu, a été très marqué par les deux guerres mondiales du XXe siècle et sait ce qu’il doit à l’intervention des Américains en 1917 et 1944. Fort de cette histoire, je me considère plutôt comme un atlantiste, même si l’élection de Donald Trump et les propos qu’il a tenus ces derniers jours sur Panama, le Groenland et le Canada tendent à modifier cette perception. De quelle manière envisagez-vous ces éléments ? Donald Trump veut-il instaurer un rapport de force de manière brutale sans pour autant envisager mettre ses menaces à exécution ? Si tel n’était pas le cas, quelles seraient les conséquences sur la scène internationale ?

M. Frédéric Charillon. Nous sommes très nombreux à nous interroger sur l’obligation de revoir notre perception vis-à-vis des États-Unis. D’une part, les derniers propos prononcés par Donald Trump ne devraient pas être tenus par le président des États-Unis. D’autre part, nous observons chez lui une fâcheuse tendance à s’en prendre de manière récurrente à ses alliés démocratiques beaucoup plus qu’aux régimes autoritaires.

À l’heure actuelle, nous ignorons encore ceux qui façonneront la politique étrangère du deuxième mandat de Trump, dans la mesure où son entourage est assez hétérogène. Le secrétaire d’État Marco Rubio est un « faucon » mais il n’est pas irrationnel : il est possible de discuter avec lui, même si ses intérêts ne correspondent pas toujours aux nôtres. En revanche, il n’en va pas de même pour d’autres, qui pourraient par exemple adopter une ligne moins dure que la sienne vis-à-vis de Vladimir Poutine. Par ailleurs, Donald Trump a aussi l’habitude de limoger un jour ceux avec lesquels il travaillait la veille.

Une deuxième incertitude tient au fait que le président Trump va rapidement être confronté à la difficile réalité internationale après avoir promis à peu près tout et n’importe quoi, y compris la paix en Ukraine en vingt-quatre heures. Comment réagira-t-il si Vladimir Poutine balaye ses propositions ? Comment réagira-t-il si M. Netanyahou n’écoute que son propre intérêt ? Le premier risque tient au fait qu’il perde en crédibilité et que face à cette perte de crédibilité, il ne s’engage dans des initiatives encore plus dangereuses, ce qui constituerait un deuxième risque.

Mme Clémentine Autain (EcoS). L’ordre du monde se délite et nous sommes témoins de l’effritement du compromis de 1945 sans pour autant qu’un nouvel équilibre n’ait vu le jour dans ce réagencement des relations internationales de l’après-guerre froide et ce moment d’affirmation des pays du Sud. La victoire et le projet de Trump marquent un tournant, une rupture dangereuse fondée sur l’affirmation de la puissance des dominants, l’écrasement des faibles par les forts et le mépris le plus vertigineux pour le défi climatique.

Dans ce contexte dominé par l’affrontement entre la Chine et les États-Unis, il me semble que nous devons défendre le droit international et affirmer activement un non-alignement, pour agir en fonction de principes comme la coopération contre la dérégulation, la paix, la justice, l’humanité et donc la lutte contre la faim, la lutte contre le « déménagement du monde » et la lutte contre le dérèglement climatique.

J’ai été surprise de ne pas entendre une seule fois le mot « France » lors de vos interventions, ce qui me semble symptomatique de notre affaiblissement, auquel Emmanuel Macron aura apporté sa sinistre pierre. Cependant, même si la France est affaiblie, elle conserve une capacité diplomatique et industrielle ; elle est forte, encore aujourd’hui, de sa Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la capacité de son peuple à résister et à contester, y compris les normes néolibérales. Siégeant à l’ONU, la France doit encore jouer un rôle, éloigné de toute forme de campisme – lequel consiste à estimer que « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » – en jetant des ponts, loin du « deux poids, deux mesures » et des discours à géométrie variable, en particulier au Proche-Orient – en Israël, en Palestine et au Liban – mais aussi en Ukraine, en Azerbaïdjan et en Arménie.

Il me semble ainsi que la France peut s’appuyer sur des pays comme le Brésil ou l’Inde. Au-delà, elle doit selon moi chercher des partenaires dans ce réagencement mondial, ne pas être au service d’un souverainisme opportuniste mais adopter une visée internationaliste et défendre une vision du monde pacifiste, active en matière de climat, porteuse de justice et d’égalité. Il faut cesser le grand écart que nous constatons aujourd’hui entre des discours qui exaltent des principes et des actes qui se traduisent par la Realpolitik la plus crasse. Il est très significatif que ce phénomène se soit d’ailleurs traduit par la liquidation de notre diplomatie à travers la réforme du Quai d’Orsay. De fait, si nous n’investissons pas dans la diplomatie, il ne reste que le rapport de force. Enfin, la question des frontières est redevenue d’actualité et suscite des conflits dangereux. Ici aussi, nous devons exercer notre influence pour faire valoir les principes et non pas nous réfugier dans le campisme.

M. Jean-David Levitte. La France n’a pas disparu. Je me suis permis de situer la France dans l’Union européenne parce que nous sommes dans un monde qui a tendance à devenir bipolaire avec, d’une part, le pôle américain et, d’autre part, le pôle chinois. À ce titre, il est essentiel qu’émerge un troisième pôle : celui de l’Union européenne, une troisième force incarnant les valeurs que vous venez de rappeler et qui sont inscrites dans la Charte des Nations unies mais aussi dans le traité de Rome. Après tout, nous avons inventé ces valeurs et il nous revient de les défendre et de les promouvoir quand elles sont menacées. J’estime que la France doit jouer son rôle. Elle le joue aujourd’hui au Liban, par exemple, au Proche-Orient, et elle constitue une force majeure au sein de l’Union européenne.

Donald Trump veut influencer l’état d’esprit de ses interlocuteurs avant toute négociation. Telle est sa méthode de négociation, héritée de ses décennies d’expérience dans le monde de l’immobilier et qu’il transfère aux relations internationales, comme en témoignent ses propos récents vis-à-vis des dirigeants du Panama, du Canada ou du Danemark. À cet égard, le Danemark fait partie de l’Union européenne et nous devons nous tenir à ses côtés. Encore une fois, la France ne peut faire face seule mais sa voix compte dans l’UE : elle fait partie des deux ou trois acteurs les plus influents en Europe.

M. Frédéric Petit (Dem). Notre groupe Les Démocrates considère qu’il vaut mieux parler de non-alignement ou de multi alignement plutôt que de « Sud global ». Le terme de brutalisation, employé par Camille Grand, nous semble également adapté pour qualifier la situation où la loi du plus fort s’est substituée à la force de la loi.

Je souhaite ensuite revenir sur des fractures mondiales dont vous n’avez pas parlé. La première concerne la citoyenneté : nous croyons que les nations du XXIe siècle sont des nations de citoyens et non des nations ethniques, linguistiques ou des nations données par un Dieu quelconque. Or la citoyenneté nous semble en difficulté dans l’ensemble du monde. Une très grande évolution du métier d’ambassadeur vis-à-vis des sociétés civiles est intervenue ces dernières années, conduite par cette majorité. De même, l’Assemblée parlementaire de l’OTAN est insuffisamment évoquée, alors même qu’elle est très active et porte quelque part cette notion de citoyenneté. Une autre illustration de cette fracture concerne la différence entre les forces armées contrôlées démocratiquement et celles qui ne le sont pas. Je rappelle par exemple que Gazprom dispose aujourd’hui d’un régiment. Partagez-vous ce point de vue sur la notion de citoyenneté ?

Ensuite, le groupe Les Démocrates déplore une deuxième fracture : la tendance actuelle qui consiste à passer sous silence les questions environnementales et de sauvetage de la planète, en termes géopolitiques. Certains collègues considèrent ainsi que les COP sont aujourd’hui plus efficaces que l’ONU. Quel est votre point de vue sur ces deux fractures mondiales ?

M. Frédéric Charillon. Je vous remercie d’avoir souligné l’enjeu de la citoyenneté, qui peut revêtir plusieurs aspects. On peut, par exemple, l’opposer à une forme de communautarisme aujourd’hui à l’œuvre dans une nation pourtant laïque au départ comme l’Inde.

Vous évoquez également à juste titre l’environnement. Ces différents aspects se rejoignent dans la question essentielle de la gouvernance : quelle gouvernance souhaitons-nous encore aujourd’hui pouvoir construire ? Dans ce domaine, la vision européenne d’une gouvernance mondiale, fondée sur le multilatéralisme, est malheureusement isolée, à l’heure même où les enjeux globaux ne cessent d’être plus prégnants, qu’il s’agisse de l’environnement, de l’éthique ou de l’intelligence artificielle par exemple. De fait, le monde de demain sera marqué par exemple par une concurrence entre les intelligences artificielles.

M. Camille Grand. Je salue à mon tour cette réflexion concernant la citoyenneté et le rôle des assemblées parlementaires. Vous avez cité l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, que j’ai beaucoup pratiquée, mais il faut également mentionner celle de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ou celle du Conseil de l’Europe, qui constituent des instances de dialogue intéressantes.

À ce titre, l’un des enjeux portera sur l’articulation entre les hommes forts dont nous avons parlé et les Parlements des pays qu’ils dirigent. Nous avons déjà observé l’effacement de tout débat parlementaire en Russie avec une Douma aux ordres. La question se pose aujourd’hui pour le Congrès des États-Unis. Pendant le premier mandat de Donald Trump, le Congrès avait adopté une attitude assez ferme, par exemple en votant une résolution pour interdire un retrait de l’OTAN sans son consentement. Agira-t-il de la même manière, demain ? Il me semble d’ailleurs important que ce type de message soit transmis à vos collègues américains dans des lieux comme l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. En effet, cette forme de diplomatie parlementaire m’apparaît très utile.

M. Jean-David Levitte. J’ajoute que les États-Unis sont un État fédéral. Les États démocrates de la côte Ouest et de la côte Est ne suivront certainement pas la ligne du président Trump en matière environnementale. Après les incendies majeurs qui ont dévasté Los Angeles, il me semble évident que la Californie mobilisera ses moyens, non seulement pour reconstruire Los Angeles mais aussi pour mieux lutter contre le réchauffement climatique.

M. Bertrand Bouyx (HOR). L’année 2025 constitue sans doute l’année de tous les dangers en matière de géopolitique mondiale. Donald Trump a certes été élu à la Maison Blanche sur la promesse de mettre fin aux conflits mais il commence déjà à attiser la colère des alliés et de ses partenaires par ses provocations sur le Groenland, le Canada et le canal du Panama. La situation actuelle semble être marquée par un retour non seulement du discours de l’America First mais aussi d’une forme d’impérialisme que l’on pensait reléguée au XXe siècle.

La Russie l’a démontré en 2022 en envahissant l’Ukraine. Que dire de la Chine qui menace de plus en plus ouvertement Taïwan d’une unification par la force avec le continent ? Ce retour des impérialismes nous fait craindre une extension, voire une mondialisation des conflits. Quelles sont vos perspectives sur la possibilité d’une mondialisation du conflit ukrainien ? Cet aspect est en effet au cœur du discours de Vladimir Poutine pour justifier l’évolution de la doctrine nucléaire de la Russie. Il s’agit également de plus en plus d’un état de fait, par l’engagement de l’Iran au côté de la Russie dans ce conflit – je pense particulièrement à la construction d’usines de drones – mais aussi par la présence de soldats nord-coréens sur le front ukrainien, qui me semble impossible sans l’assentiment de la Chine.

Voyons-nous aujourd’hui les prémices d’un conflit mondial ? Comment l’éviter ? Si cela est impossible, comment s’y préparer ?

M. Camille Grand. Vous avez raison de souligner cette mondialisation du conflit ukrainien. De fait, de moins en moins de conflits régionaux demeurent contenus dans leur espace. Ainsi, la Russie, que l’on disait toute-puissante, a besoin des munitions et des soldats nord-coréens, des drones iraniens et du soutien économique de la Chine pour mener à bien son projet impérial en Ukraine. La partie se joue donc à l’échelle globale, ce qui permet à la Russie de contourner les sanctions et de continuer à mener cette guerre d’attrition. De la même manière, le soutien à l’Ukraine s’est déployé par l’assistance des pays occidentaux, au-delà même de l’Europe et de l’Amérique du Nord, avec l’appui de pays comme la Corée du Sud, le Japon ou l’Australie.

Face à ces spécificités, il faut se garder d’employer une grille d’analyse du XXe siècle et de se réfugier dans des schémas simplificateurs, même s’il existe des points communs entre des pays sanctionnés comme la Russie, l’Iran ou la Corée du Nord, qui s’épaulent mutuellement.

Dans ce cadre, le facteur Trump vient compliquer la donne. Jusqu’ici, malgré les différences d’approches, il existait une forme d’alignement entre les pays démocratiques occidentaux face à ce type de défis. Les mois qui viennent seront instructifs quant à la pérennité des alignements ou l’existence de turbulences. Nous vivons bien un moment critique pour la compréhension des relations entre les différents blocs, qui nécessite que nous y accordions la plus grande attention.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Je souhaite évoquer la menace chinoise qui pèse directement sur Taïwan. Depuis des années, nous constatons que la Chine tente d’intimider Taïwan par diverses manœuvres militaires qui s’intensifient sans cesse. Uniquement à la fin de l’année 2024, Taïwan constatait des records de présence chinoise autour de l’île, par exemple 153 avions chinois sur une seule journée en octobre 2024 et un déploiement naval massif en décembre, le plus important depuis 2022.

Par ailleurs, le président Xi Jinping a rappelé dans son discours donné à l’occasion du Nouvel An que « personne ne pouvait arrêter la réunification avec Taïwan ». En outre, il semble que la Chine entend déstabiliser l’île de l’intérieur également grâce au réseau Front Uni, dont la mission consiste à diffuser dans la société taïwanaise un discours prochinois. Dans ce contexte, comment envisagez-vous le futur de Taïwan ? Avons-nous réellement des raisons de craindre une intervention directe de la Chine à Taïwan ?

M. Frédéric Charillon. Votre question sur Taïwan peut être reliée à celle de votre collègue Bertrand Bouyx sur la possibilité d’offensives simultanées sur plusieurs fronts de la part d’un certain nombre de régimes autoritaires. Cette possibilité constitue d’ailleurs une source d’inquiétude pour l’état-major américain depuis quelques mois, qui s’interroge sur la façon de réagir en pareilles circonstances. Il faudrait déjà déterminer s’il s’agit d’attaques concertées ou d’attaques d’opportunité.

Ensuite, nous ne pouvons pas exclure une offensive majeure de la Chine à l’encontre de Taïwan, compte tenu des déclarations réitérées de Pékin quant à la souveraineté chinoise sur l’île. En revanche, nous ignorons l’horizon temporel que les chinois se sont fixés, de même que leur degré de préparation. En outre, il existe des scénarios alternatifs, comme un blocus partiel ou total des ports, associé à une pression chinoise pour dissuader les autres pays de continuer à commercer avec Taïwan et tester la volonté des Européens et des nord-Américains d’essayer de franchir malgré tout ce blocus maritime. Il est nécessaire de lister ces scénarios et de réfléchir à la manière dont nous pourrions y réagir.

M. Jean-David Levitte. Le philosophe stratège chinois a estimé il y a très longtemps que la meilleure victoire est celle qui est obtenue sans livrer bataille. Je crois que Xi Jinping est obsédé par l’idée d’être celui qui aura permis la réunification totale du monde chinois. Hong Kong est aujourd’hui chinoise ; désormais il ne reste plus que Taïwan. Il espère qu’au fil des prochaines années, les Taïwanais comprendront qu’ils sont voués à une défaite écrasante et qu’ils se placeront d’eux-mêmes sous la tutelle de Pékin.

Dans ce scénario, il est évident que le rôle des États-Unis demeurera très important. Aussi longtemps que les États-Unis feront comprendre à Pékin que toute mainmise sur Taïwan par la force conduira à une réplique militaire de leur part, les Chinois prendront le temps de la réflexion. La même logique est à l’œuvre sur les atolls de la mer de Chine du Sud, où les Philippins ont besoin de la protection américaine pour résister aux ambitions chinoises.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je suis très attaché au droit international, dont vous avez peu parlé lors de vos interventions. Or ce droit international fait l’objet d’interprétations diverses, qui peuvent conduire à des conflits. De même, vous n’avez pas mentionné l’Afrique, que beaucoup considèrent malheureusement comme un espace qui serait désormais conquis par la Russie ou par la Chine. Pourtant, les pays africains sont des pays indépendants, dirigés par des hommes et des femmes politiques qui parlent et agissent au nom de leur peuple. Ainsi, le choix de certains d’entre eux de travailler avec la Russie ou la Chine relève de leur souveraineté. Pour ma part, je veux croire que ces pays constituent également l’avenir de la politique internationale.

Le futur s’écrira soit dans la violence, soit dans la réaffirmation du droit. Malheureusement, peu de voix s’élèvent pour promouvoir cette vision. À ce titre, je ne peux que déplorer la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par le président Macron, cet été, pour de simples considérations de « business ». Je m’interroge donc : la diplomatie sera-t-elle menée demain par des hommes et des femmes qui représentent les peuples ou simplement par quelques milliardaires ? Le domaine spatial est à ce titre illustratif : il n’y a pas de régulation parce que les milliardaires qui poursuivent leurs objectifs de conquête spatiale n’en veulent pas.

Enfin, en lien avec l’Afrique, pouvez-vous évoquer les BRICS, ce nouveau monde dont on parle peu mais qui écrit l’histoire en se séparant des valeurs occidentales ?

M. Jean-David Levitte. Je suis d’accord avec vous pour rappeler le rôle du droit international, qui s’incarne dans des valeurs que nous avons inventées. Depuis le traité de Westphalie, l’Europe a écrit le droit international avec la charte de la Société des Nations, puis la Charte des Nations unies. Nous aimerions que cette vision occidentale devenue universelle, soit respectée par un certain nombre de pays, comme la Russie en Ukraine par exemple. L’égalité souveraine des États incarne ainsi notre vision. Ainsi, au sein de l’Union européenne, chaque État, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de la France ou du Luxembourg a droit à un commissaire européen. Mais cette vision n’est pas partagée par les États-Unis, la Chine ou la Russie.

Ensuite, il est essentiel que la France – mais au-delà l’UE – maintienne et développe des partenariats avec l’Afrique. En effet, l’Afrique est la puissance émergente sur le plan démographique et si le continent africain ne parvient pas à se développer avec notre aide et nos investissements, nous pouvons craindre une vague démographique quittant l’Afrique vers l’Europe. Cette aide doit émaner de l’Europe mais également de grandes organisations internationales comme les Nations unies, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Je ne commenterai pas la politique du président de la République à l’égard du Sahara occidental. Depuis des décennies, la France essaye de trouver un chemin de réconciliation entre l’Algérie et le Maroc. Personne n’y est parvenu et, à un moment donné, il faut opérer un choix. Je crois que le président de la République a choisi de constater que le chemin proposé par le Maroc est le meilleur possible vers une solution. La situation du Sahara occidental reste extraordinairement sensible et constitue un handicap dans notre volonté de conserver de bonnes relations à la fois avec le Maroc et l’Algérie.

S’agissant des BRICS, j’ai dialogué il y a quelques mois avec le ministre indien des affaires étrangères, Subrahmanyam Jaishankar. Lorsque je lui ai demandé pourquoi ils avaient créé le groupe des BRICS, il m’a répondu que cette création s’est opérée en miroir du G7. Je lui ai alors indiqué que nous avions ensuite créé le G20 mais il m’a rétorqué que le G7 existe toujours, cependant.

Le G7, qui rassemble les pays les plus puissants sur le plan financier et économique du monde occidental, donne le sentiment aux pays émergents – qui sont déjà des puissances d’aujourd’hui – qu’ils demeurent ignorés. Il faut donc en tenir compte. Cependant, le G20 est le lieu où se retrouvent à la fois les pays du G7 et les pays les plus puissants des BRICS. Peut-être convient-il donc de travailler davantage avec le G20.

M. Lionel Vuibert (NI). Le contexte géopolitique de 2025 impose à l’Europe de relever des défis majeurs. La désinhibition de la puissance américaine réaffirmée sous Donald Trump, la montée en puissance de la Chine en tant qu’acteur économique et technologique, combinées à une Union européenne fébrile sur la scène internationale, font peser de sérieuses menaces.

Aussi, il devient crucial de renforcer la France et l’Union européenne sur le plan stratégique. Pour y parvenir, nous devons préserver et consolider nos alliances et débouchés traditionnels, notamment avec les États européens au sein du marché commun. Mon département des Ardennes illustre concrètement cette dynamique. En 2023, avec une balance commerciale excédentaire de 823 millions d’euros, ce territoire a démontré sa capacité à exporter et son rôle clé dans les chaînes de valeurs européennes.

La diplomatie doit représenter un levier pour nos territoires et doit s’appuyer sur des régions pour promouvoir son savoir-faire et renforcer les liens transfrontaliers. En effet, les départements transfrontaliers sont stratégiques pour développer un modèle de coopération européenne. En intégrant ces territoires dans une stratégie nationale et européenne, notamment à travers des missions économiques et culturelles, nous pourrons valoriser leurs atouts tout en stimulant les échanges transfrontaliers.

Nos petites et moyennes entreprises (PME) doivent être accompagnées dans leur transition vers des technologies durables, dans leur relocalisation et leur insertion dans des accords bilatéraux favorisant l’exportation. Cela implique de procéder à des simplifications fiscales, des subventions ciblées, une diplomatie économique proactive, sans sacrifier des secteurs entiers de notre économie face à une concurrence internationale trop souvent déloyale.

La sécurité de la France dépend également du renforcement de ses capacités en matière de défense. Le XXIe siècle est marqué par le retour de la guerre sur notre continent, auquel s’ajoutent de nouvelles formes de conflits hybrides, à l’instar des cyberattaques, des opérations de désinformation ou d’autres menaces qui frappent déjà notre pays. Nos forces armées doivent être soutenues et modernisées. Ces investissements doivent s’effectuer avec des entreprises issues de nos territoires et de notre continent.

En ce sens, la loi de programmation militaire (LPM) votée sous la précédente mandature doit être amplifiée et accélérée. Ce nouveau contexte géopolitique ne doit-il pas constituer une opportunité pour réaffirmer notre souveraineté, soutenir nos territoires et bâtir une Europe plus forte et solidaire ? L’Europe est-elle en mesure de saisir cette opportunité ?

M. Camille Grand. Les coopérations transfrontalières sont extraordinairement intéressantes, non seulement sur le plan économique mais aussi pour construire l’Europe de demain.

S’agissant du renforcement de nos capacités en matière de défense, je vous rejoins pour considérer que nous devons poursuivre et amplifier l’effort engagé avec les dernières lois de programmation militaire, parce que l’environnement international l’exige.

L’Europe peut-elle jouer un rôle dans ce champ-là ? Je l’espère. Il existe désormais un commissaire à la défense et à l’espace, qui affirme vouloir mobiliser des sommes importantes mais aussi bousculer quelque peu les règles européennes, notamment par le recours à l’emprunt pour financer cet effort de défense. Cette partie se jouera dans les semaines et les mois à venir. Un Livre blanc sur la défense européenne sera ainsi remis au début du mois de mars et donnera le ton dans ce domaine. J’espère qu’il sera à la hauteur des enjeux et qu’il s’articulera bien avec les États membres : on ne peut pas penser la défense comme un exercice purement communautaire, géré par la Commission.

M. Michel Herbillon, président. Je donne à présent la parole aux députés désirant intervenir à titre individuel.

Mme Pascale Got (SOC). Désormais, géopolitique, économie et écologie sont indissociables. Quelles seront selon vous les conséquences de la sortie des États-Unis des accords de Paris ? Comment la France peut-elle encourager ses partenaires européens et internationaux à établir des engagements ambitieux, notamment sur les financements pour les pays du Sud ? Pensez-vous que les diplomaties française et européenne intègrent suffisamment les enjeux climatiques ? Enfin, le changement climatique sera-t-il sacrifié sur l’autel de la défense pendant longtemps ?

M. Frédéric Charillon. L’environnement, comme souvent les enjeux globaux, est plutôt sacrifié sur l’autel des rapports de force. En la matière, la situation ne s’arrangera pas sous la présidence de Donald Trump. Au-delà, faut-il envisager la question comme un jeu à somme nulle et opposer la défense à l’environnement ? Je ne le crois pas : il s’agit de deux impératifs distincts, deux sujets majeurs, qui nécessitent de trouver un équilibre.

Mme Laurence Robert-Dehault (RN). À peine élu, le président Trump a d’ores et déjà menacé d’utiliser la force pour se saisir du Groenland et du canal de Panama, menacé le Canada de coercition économique et déclaré que les pays de l’OTAN devraient porter leur budget de défense à 5 % du PIB. Un président Trump renforcé arrive cette fois-ci au pouvoir, contrôlant le Congrès et la Cour suprême, entouré de fervents loyalistes et bénéficiant du soutien des milliardaires de la big tech. Les États-Unis renouent ainsi avec une volonté de puissance.

L’Union européenne, dédaigneuse et hautaine, qualifie de populiste tout ce qu’elle ne veut pas comprendre et ne s’est pas préparée à l’élection de Donald Trump. L’Union européenne tétanisée continue de vouloir faire ce qu’elle fait de mieux, c’est-à-dire tout réguler, comme en témoigne le bras de fer perdu d’avance engagé par les dirigeants européens avec les patrons de Meta et de X.

Monsieur l’ambassadeur, vous avez parlé des atouts de l’Union européenne. Pouvez-vous préciser votre pensée ? En effet, mis à part la production excessive de normes, notamment environnementales, qui freine la compétitivité de nos entreprises, nous éprouvons des difficultés à percevoir la valeur ajoutée de cette approche dans la réorganisation des équilibrés mondiaux.

M. Jean-David Levitte. Les atouts de l’Union européenne résident d’abord dans la capacité des vingt-sept pays d’Europe à parler d’une seule voix. Cela n’était pas le cas avant la création de la Communauté européenne, devenue depuis l’Union européenne.

À titre d’exemple, le fait que nous soyons parvenus à créer une monnaie unique, l’euro, relève presque du miracle pour moi. Quand j’étais ambassadeur aux États-Unis, j’ai eu l’occasion de déjeuner en tête à tête avec Alan Greenspan, le gouverneur de la Réserve fédérale américaine (Fed). Alors que je lui exprimais ma surprise que les Américains aient laissé les Européens créer l’euro, monnaie pouvant progressivement s’ériger en rival du dollar, il m’a répondu avec franchise, « Nous ne pensions pas que vous arriveriez ». Pourtant, nous y sommes arrivés. L’euro est aujourd’hui l’autre monnaie globale, au côté du dollar. Elle fait partie des atouts que l’on sous-estime, au même titre que le marché commun.

Certes, l’Europe adopte trop de textes de régulation mais il faut bien comprendre pourquoi : nous sommes un marché constitué de vingt-sept pays dotés des traditions différentes ; si nous voulons en faire un marché commun ouvert entre nous, il est nécessaire d’adopter des règles communes. Cependant, vous avez raison : nous sommes allés beaucoup trop loin dans la régulation. Il est désormais temps de devenir bien plus compétitifs face à la Chine et aux États-Unis. Il s’agit là de la priorité de la nouvelle Commission, au-delà des défis internationaux que nous avons évoqués ce matin. Pour autant, nous ne devons pas sombrer dans le pessimisme. Comme je le disais précédemment, il existe un chemin pour être plus compétitifs, à la lumière des rapports produits par Mario Draghi et Enrico Letta.

Désormais, il nous faut une volonté politique suffisante des gouvernements des vingt-sept pays de l’Union européenne, à commencer par le couple franco-allemand, pour impulser et convaincre la Commission de bâtir les recettes nécessaires pour que l’Union européenne soit le troisième « Grand » de ce monde qui, sinon, sera bipolaire et dangereux.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). La brutalité du monde dont vous avez parlé ne traduit-elle pas l’échec de la communauté internationale et de ses institutions ? En effet, une partie du monde nous juge responsables d’une attitude caractérisée par le « deux poids, deux mesures ». Ne faut-il pas reprendre la marche vers une réforme des institutions internationales ? Je pense notamment à l’ouverture du Conseil de sécurité et la fin du droit de veto, qui a contribué à discréditer l’action de l’ONU.

M. Frédéric Charillon. Vous avez raison, la plupart des institutions internationales datent de 1945, une époque où l’URSS dominait le monde en compagnie des États-Unis, où l’Afrique comptait très peu d’États indépendants. De ce point de vue, ces institutions internationales constituent aujourd’hui une forme d’anachronisme. Pour autant, sera-t-il facile de les réformer ? Des ajustements sont déjà intervenus : le G20 représente un forum où un bien plus grand nombre de pays peuvent s’exprimer. Mais cela n’est pas suffisant.

La situation actuelle est-elle la conséquence de l’inadaptation des institutions internationales, que certains collègues universitaires qualifient de « diplomatie de club », à l’instar de Bertrand Badie ? Face à la situation actuelle, il sera toutefois très difficile de recréer un cadre commun : alors que l’année 1945 constitue un tournant, puisqu’elle marque la fin de la guerre, comment allons-nous nous accorder aujourd’hui sur la moindre modification ? Si nous partageons un même diagnostic, les pistes de solutions sont malheureusement compliquées.

M. Camille Grand. Il existe, hélas, un droit de veto sur la modification du droit de veto et de la composition du Conseil de sécurité de l’ONU. Parmi les membres permanents, la France et le Royaume-Uni ont exprimé leur ouverture en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité, qui n’est pas partagée ni par la Russie, ni par les États-Unis, ni par la Chine, me semble-t-il.

M. Michel Herbillon, président. La réforme du Conseil de sécurité est un serpent de mer, dont il est question depuis presque aussi longtemps que la création de l’ONU.

M. Jean-David Levitte. La France et le Royaume-Uni ont pris l’initiative de proposer une réforme du Conseil de sécurité, qui se traduit par l’élargissement des deux catégories de membres non permanents et permanents. La France et le Royaume-Uni proposent, par exemple, que le Brésil devienne un membre permanent, en tant que grand pays de l’Amérique du Sud mais les hispanophones de l’Amérique du Sud rétorquent qu’ils ne voient pas pourquoi l’Argentine ou le Mexique ne seraient pas choisis. De la même manière, nous avons proposé que l’Inde et le Japon deviennent membres permanents mais la Chine nous a répondu que si elle était prête à accepter l’Inde, il n’en est pas de même pour le Japon. Vous constatez donc que ce débat ne permettra pas de trouver une solution de sitôt.

Mme Christine Engrand (NI). En ce début de XXIe siècle, marqué par une effervescence technologique sans précédent et des turbulences géopolitiques, un acteur atypique s’est invité dans l’arène internationale. Ni chef d’État ni diplomate mais à la tête d’un empire technologique, Elon Musk incarne la figure de l’entrepreneur dont l’influence transcende les frontières et peut redéfinir les rapports de force. Il semble désormais s’inviter au cœur des processus démocratiques européens. En Allemagne, son entretien diffusé en direct avec Alice Weidel, codirigeante du parti AfD illustre la manière dont il utilise son influence pour amplifier certains courants politiques. Que dire également de ses attaques répétées contre Keir Starmer, leader travailliste au Royaume-Uni, qui visait à fragiliser un acteur politique clé ?

Ces exemples témoignent d’un même phénomène : l’utilisation de son influence pour amplifier certains courants politiques et en affaiblir d’autres. Ces interventions soulèvent une question : comment les démocraties européennes peuvent-elles préserver leur souveraineté face à un pouvoir privé devenu aussi transnational et omniprésent ?

M. Frédéric Charillon. L’attitude d’Elon Musk représente effectivement l’un des sujets d’inquiétude majeurs. Elle pose la question du poids de ces tycoons dans la politique. Néanmoins, compte tenu de leurs personnalités respectives, je ne suis pas certain que l’entente entre Musk et Trump perdure pendant longtemps. Au-delà, de la même manière que l’on refusait de discuter avec des entités non étatiques, les autorités européennes pourraient refuser de parler avec Elon Musk, qui ne dispose pas de mandat électif, ce qui ne l’empêchera certes pas de multiplier ses provocations sur ses propres réseaux. Le combat que mène l’UE en matière de régulation des réseaux doit par ailleurs être poursuivi.

M. Michel Herbillon, président. Au nom de la commission, je tiens à vous remercier très chaleureusement pour votre présence et vos interventions, à l’heure où nous vivons un basculement de l’ordre international. Vos éclairages ont été particulièrement instructifs. Je retiens de vos propos qu’il est impérativement nécessaire que l’Europe – et au sein de celle-ci, la France – agisse et réagisse.

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Informations relatives à la commission

En conclusion de sa réunion, la commission désigne :

-          M. Aurélien Taché et M. Frédéric Petit, rapporteurs pour avis sur le projet de contrat d’objectifs et de performance entre l’État et l’Institut français pour les années 2024 à 2026 ;

-          Mme Sabrina Sebaihi et Mme Amélia Lakrafi, rapporteures d’information sur l’influence de la France dans un monde postcolonial ;

-          Mme Marine Hamelet, M. Frédéric Petit, M. Pierre Pribetich et M. Jean-Louis Roumégas, députés en mission en vue d’établir une contribution parlementaire sur les contours d’un accord de paix entre la Serbie et le Kosovo.

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La séance est levée à 11 h 25.

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Clémentine Autain, Mme Anne Bergantz, M. Hervé Berville, Mme Véronique Besse, M. Bertrand Bouyx, M. Jorys Bovet, M. Jérôme Buisson, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, Mme Sophia Chikirou, M. Pierre Cordier, Mme Christelle D'Intorni, M. Alain David, Mme Dieynaba Diop, M. Nicolas Dragon, Mme Stella Dupont, Mme Christine Engrand, M. Nicolas Forissier, M. Julien Gokel, Mme Pascale Got, M. Stéphane Hablot, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Sylvie Josserand, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Alexandra Masson, M. Laurent Mazaury, Mme Isabelle Mesnard, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Stéphane Rambaud, M. Franck Riester, Mme Laurence Robert-Dehault, M. Jean-Louis Roumégas, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Liliana Tanguy, Mme Dominique Voynet, M. Lionel Vuibert

 

Excusés. - Mme Nadège Abomangoli, M. Guillaume Bigot, M. Olivier Faure, M. Bruno Fuchs, M. Perceval Gaillard, M. Michel Guiniot, M. Harold Huwart, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Nathalie Oziol, Mme Mathilde Panot, M. Remi Provendier, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez