Compte rendu

Commission
des affaires étrangères

– Audition, ouverte à la presse, de de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale              2

 

 

 


Mercredi
2 avril 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 50

session ordinaire 2024-2025

Présidence
de M. Bruno Fuchs,
Président


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La commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, sur la situation internationale.

La séance est ouverte à 16 h 40.

Présidence de M. Bruno Fuchs, président.

M. le président Bruno Fuchs. Mes chers collègues, l’évolution de la situation internationale amène notre commission à souhaiter voir plus fréquemment M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui a d’ailleurs exprimé la même volonté. Une prochaine audition est d’ores et déjà prévue au mois de mai.

Monsieur le ministre, le nombre de situations urgentes pour la diplomatie française que vous nous présenterez aujourd’hui est bien plus élevé que d’habitude. Notre commission s’est également montrée très active sur le plan diplomatique.

La commission a examiné et adopté la proposition de résolution européenne appelant à la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal. Celle appelant au renforcement du soutien à l’Ukraine a été l’occasion d’un débat riche, dense et contradictoire dans l’hémicycle, trois ans après le 24 février 2022 – un débat bien plus satisfaisant que s’il s’était inscrit dans le cadre de l’article 50-1 de la Constitution. S’agissant de la situation à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), nous avons procédé ce matin à deux auditions et une délégation de notre commission se rendra prochainement dans le pays pour dessiner les contours d’un traité de coopération économique très attendu par la RDC.

Du côté des Etats-Unis, Nathalie Oziol, Franck Riester et moi-même revenons d’une mission à Washington. Certains des entretiens que nous avons eus ont été très francs et assez alarmants. Je vous ai interrogé hier dans l’hémicycle à ce sujet.

Une autre délégation, avec Pierre Pribetich, Marine Hamelet, Frédéric Petit et Jean-Louis Roumégas se rendra prochainement en Serbie pour voir de près la situation qui prévaut au Kosovo et déterminer comment l’accompagner. Des Assises de la relation franco-allemande sont aussi prévues pour aider la France et l’Allemagne à redevenir le moteur de la construction européenne.

Quant à vous, monsieur le ministre, je vous félicite, vous et la diplomatie française, pour vos réalisations.

Au Liban, vous avez pris une part active à la conclusion d’un cessez-le-feu. Vous avez été l’un des premiers, parmi vos homologues, à vous rendre en Syrie. Nous avons procédé à une audition à ce sujet et sommes intéressés par ce que vous pourrez nous dire du nouveau pouvoir – s’il est nécessaire de l’accompagner et comment.

En Israël, la situation reste tendue. Le président de la République a déploré la reprise des opérations militaires et appelé au respect du cessez-le-feu. Des manifestations ont eu lieu la semaine dernière dans la bande de Gaza pour exprimer le rejet de la guerre et réclamer la fin de la gouvernance du Hamas. Nous sommes intéressés par ce que vous pourrez nous en dire.

En matière humanitaire, la libération d’Olivier Grondeau est un premier succès, mais Cécile Kohler et Jacques Paris sont toujours détenus. Les manifestations appelant à leur libération, notamment devant les mairies, se font de plus en plus nombreuses.

Avec l’Algérie, disons que nos relations, si elles ne se réchauffent pas, arrêtent de se refroidir. Vous nous direz où nous en sommes. Votre déplacement, annoncé dans la presse pour le 6 avril, signale une prometteuse volonté de désescalade, qui est certainement à inscrire au crédit de la diplomatie française.

Le changement de gouvernance aux États-Unis a des conséquences sur nos valeurs et sur le modèle que nous défendons – la lettre adressée aux entreprises françaises par la nouvelle administration en est l’illustration la plus récente. Le président Trump et son administration exercent sur tous les acteurs internationaux des pressions de plus en plus fortes, au premier rang desquelles la hausse des droits de douane. Votre position sur ce point est claire et précise.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je salue l’engagement de votre commission et les déplacements récents de ses membres sur les théâtres de crise humanitaire pour affronter les tensions et porter la voix de la France. En revenant, vous éclairez la représentation nationale, et à travers elle le peuple français, sur des enjeux qui, au-delà de nos frontières, conditionnent notre vie quotidienne.

Merci de m’offrir l’occasion de dresser le bilan diplomatique des cent premiers jours du gouvernement de François Bayrou.

Le premier point, sans surprise, a trait au réveil stratégique de l’Europe et à la sécurité de l’Ukraine. Nous sommes entrés il y a un peu plus d’un mois dans la quatrième année de la guerre d’agression russe en Ukraine, qui a été un électrochoc pour les nations européennes. Ces dernières semaines, comme vous avez pu le constater, nous avons considérablement progressé vers ce qui pourrait être la résolution de cette crise et, plus largement, une architecture de sécurité européenne à même de dissuader définitivement la menace.

La proposition franco-britannique d’un cessez-le-feu d’un mois dans les airs, en mer et sur les infrastructures énergétiques a été reprise à son compte par le président ukrainien lors de ses échanges avec les États-Unis, qui ont quant à eux insisté pour un cessez-le-feu immédiat, intégral et inconditionnel de trente jours. Les Ukrainiens, pour lesquels il s’agit d’un compromis significatif, ont accepté. C’était il y a trois semaines.

Les Russes ont repoussé cette proposition, après avoir laissé croire qu’ils s’y conformeraient. Le constat est désormais clair : la Russie se livre à des manœuvres dilatoires, elle veut gagner du temps. Elle n’abandonne pas ses ambitions territoriales, procède à de nouvelles frappes sur les infrastructures énergétiques, poursuit ses crimes de guerre et vient même de lancer la plus vaste campagne de conscription depuis quatorze ans – 160 000 jeunes attendus pour partir au front. À ce stade, il me semble que la Russie doit aux États-Unis, qui s’efforcent de mener la médiation, une réponse claire : c’est oui ou c’est non.

Le deuxième point du bilan est l’accompagnement du Liban sur le chemin de la reconstruction. Tandis que le Liban était au bord de l’abîme, nous avons réussi à négocier avec nos partenaires américains un cessez-le-feu qui a restauré la sécurité et la stabilité du pays. Il tient, en dépit des tensions, y compris les plus récentes. Les troupes israéliennes se sont retirées de 99 % des territoires qu’elles occupaient.

Nous avons aidé à mettre un terme à deux ans et demi de vacance à la tête de l’État. Le président Joseph Aoun a été élu au mois de janvier ; il a été reçu à Paris par le président de la République le vendredi 28 mars. Le premier ministre, Nawaf Salam, est au travail pour donner corps à ce nouvel espoir pour ce pays si cher à la France.

Nous continuerons d’accompagner son redressement économique et la restauration d’un État souverain en organisant une conférence internationale dédiée à la reconstruction du Liban cet automne à Paris. D’ici là, nous engageons Israël à entrer dans une discussion avec le Liban en vue d’un retrait définitif des cinq points qu’il continue d’occuper et d’un règlement des contentieux frontaliers.

Le troisième point du bilan est notre engagement lucide et conditionnel en Syrie après la chute du régime criminel de Bachar al-Assad. Nous avons fait le choix d’un engagement exigeant auprès des nouvelles autorités syriennes, dont nous connaissons le passé, avec deux objectifs : favoriser une transition politique pacifique et inclusive conforme au pluralisme syrien, garantissant le respect des droits des femmes et de toutes les communautés ; et nous assurer que nos intérêts de sécurité, notamment la lutte contre le terrorisme islamiste, la destruction des armes chimiques et la fin du trafic de drogue sont pris en compte.

C’est ce qui explique ma visite à Damas le 3 janvier et l’organisation à Paris, le 13 février, d’une conférence internationale sur la Syrie. Plus récemment, nous avons favorisé la signature d’un accord, le 10 mars, entre les autorités de Damas et nos partenaires kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), fer de lance de la lutte contre Daech ces dernières années, en vue de garantir la prise en compte de leurs droits et de leurs intérêts dans la transition syrienne et de nous permettre de poursuivre le combat contre le terrorisme. Nous avons également obtenu que l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) puisse se déployer en Syrie pour détruire le stock d’armes chimiques illégal du régime.

Notre engagement est lucide, exigeant, conditionnel et réversible. Nous avons condamné avec force les massacres de civils alaouites et fait savoir aux autorités de Damas que, à défaut de lutte contre l’impunité, nous ne saurions procéder à une levée de sanctions.

Le quatrième point du bilan est le renouvellement de nos partenariats en Afrique. Fin novembre, le président du Nigéria a été accueilli à Paris afin de renforcer nos liens avec la première puissance démographique du continent. Il s’agissait de la première visite d’État en France d’un chef d’État africain depuis 2017. À la mi-janvier, nous avons accueilli en visite d’État le président de l’Angola, qui a pris la présidence de l’Union africaine (UA) un mois plus tard.

J’ai effectué pour ma part plusieurs déplacements en Afrique subsaharienne : à la frontière soudanaise, pour témoigner de notre mobilisation sans faille face à la première crise humanitaire au monde ; à Addis-Abeba, siège de l’UA, pour relancer, cinq ans après la dernière édition, notre dialogue stratégique avec ce nouveau membre du G20 – puisque l’UA a été admise comme membre à part entière ; à Thiaroye, au Sénégal, pour poser des mots justes sur notre histoire commune ; à Johannesburg, pour porter la voix de la France au G20, présidé cette année par l’Afrique du Sud ; et à Kinshasa et Kigali, pour appeler les chefs d’État congolais et rwandais à privilégier la diplomatie plutôt que la voie des armes.

Cinquième point du bilan : des avancées dans les négociations commerciales en Chine. Mon déplacement en fin de semaine dernière a été une première étape dans le règlement de notre différend sur le cognac et l’armagnac. Avant ma visite à Pékin, la filière était sous la menace d’une application imminente de droits de douane définitifs allant de 34 % à 39 % sur les cognacs et les armagnacs et d’une fermeture définitive de l’accès aux magasins hors taxes.

Le dialogue exigeant que nous avons mené a permis de maintenir cet accès pour les marchandises déjà arrivées en Chine et de repousser de trois mois une éventuelle application des droits de douane définitifs. Ce sursis significatif nous permet de poursuivre ce dialogue exigeant avec la Chine pour mettre ce différend derrière nous. Prochaine étape : le dialogue de haut niveau entre le ministre de l’économie et des finances et son homologue chinois le 15 mai prochain.

Le sixième point du bilan est la réussite du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA), qui s’est tenu à Paris au mois de janvier avec plus de cent pays. Coprésidé par la France et l’Inde, dont le premier ministre a effectué une visite officielle en France à cette occasion, il s’est conclu par une déclaration abordant pour la première fois les enjeux de l’IA dans leur globalité – environnementaux, sociaux et démocratiques. Par ailleurs, nous avons réussi à obtenir l’annonce d’investissements privés en France, à hauteur de 109 milliards d’euros, au bénéfice de nos entreprises et de nos concitoyens, qui seront complétés par un investissement de 50 milliards d’euros de la Commission européenne, ce qui témoigne de l’attractivité de la France pour cette technologie d’avenir.

Le septième point du bilan est la libération de plusieurs otages français. De l’Iran, nous avons obtenu le 17 mars, après des mois de mobilisation et quatre entretiens avec mon homologue, la libération d’Olivier Grondeau. Ce fut un moment particulièrement émouvant, auquel la représentation nationale a été associée lors d’un hommage rendu le 25 mars à lui-même et à deux autres de nos compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, qui restent détenus, depuis plus de 1 000 jours.

Pour les libérer, nous accentuerons la pression sur le régime iranien. D’abord, nous adopterons dans les jours à venir, sans doute lors du Conseil européen des affaires étrangères du 14 avril, des sanctions européennes additionnelles contre les responsables iraniens de la politique d’otages d’État. Ensuite, compte tenu des violations inacceptables du droit de nos deux compatriotes à la protection consulaire, qui ne sont hélas que l’un des aspects de la dureté de leurs conditions de détention, nous porterons plainte contre l’Iran devant la Cour internationale de justice pour violation du droit à la protection consulaire.

Rien de tout ce que nous avons accompli en cent jours n’aurait été possible sans le savoir-faire exceptionnel des diplomates français – ambassadrices et ambassadeurs, directrices et directeurs – dont l’engagement, le professionnalisme et le dévouement font honneur à la France. J’entends parfois des voix s’élever pour critiquer leur prétendue mollesse ou faiblesse. Ces critiques sont inacceptables et intolérables. Je compte sur vous, mesdames et messieurs les membres de la commission des affaires étrangères, pour les faire taire.

Mieux que quiconque, vous savez que la voix de la France est l’une des plus exigeantes au monde, et que la diplomatie française n’hésite jamais à faire usage de fermeté ni à appliquer des sanctions si elle estime qu’elles servent les intérêts de nos compatriotes. Simplement, la fermeté n’est que l’une des modulations de la voix de la France, et fort heureusement. Ce qui fait la force de notre diplomatie, c’est précisément qu’elle dispose d’un arsenal plus étendu que les autres, allant du dialogue aux sanctions, et qu’elle l’utilise à bon escient, instruite par des décennies et même des siècles de succès diplomatiques français.

C’est cette force que je mobiliserai dans les cent prochains jours pour défendre et promouvoir les intérêts français.

Notre premier chantier est la recherche d’une solution politique durable à Gaza. Nous œuvrons en faveur d’un cessez-le-feu permanent permettant la libération de tous les otages et l’acheminement massif de l’aide humanitaire, bloquée depuis plusieurs semaines, aux populations civiles, qui se trouvent dans une situation dramatique. Nous sommes convaincus qu’il n’y a aucune solution militaire au conflit israélo-palestinien. L’annexion, le déplacement forcé de populations et la colonisation, en particulier, sont une impasse et une menace pour la sécurité d’Israël lui-même.

Nous continuerons d’œuvrer pour retrouver le chemin d’une solution politique durable. À Gaza, nous soutiendrons le plan arabe, qui propose un cadre de reconstruction et des garanties de sécurité crédibles. Il vise à installer une nouvelle gouvernance palestinienne, à laquelle le Hamas ne doit en aucun cas prendre part. Hors de Gaza, nous continuerons de travailler avec nos partenaires saoudiens, en coprésidant dès l’été, au siège des Nations unies à New York, une conférence internationale visant à restaurer l’horizon d’une solution à deux États, la seule qui garantisse durablement paix et sécurité aux Israéliens et aux Palestiniens.

Notre deuxième chantier est la résolution de la crise au Soudan, première crise humanitaire au monde par son ampleur – 26 millions d’enfants, de femmes et d’hommes en situation de détresse humanitaire absolue. Le 15 avril marquera le deuxième anniversaire de ce conflit.

En 2024, nous avions accueilli une grande conférence internationale de soutien au Soudan et aux pays voisins, qui avait permis de recueillir plus de 2 milliards d’euros d’engagements humanitaires. Le 15 avril, je me rendrai à Londres pour la seconde édition de cette conférence, co-organisée avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Union européenne et l’UA. Nous passerons en revue les engagements pris l’an passé et appellerons les parties prenantes à assumer leurs responsabilités, de sorte que le conflit ne connaisse pas de troisième anniversaire.

Notre troisième chantier est le soutien diplomatique et humanitaire dans la région des Grands Lacs. Nous sommes mobilisés pour trouver une solution diplomatique à la crise qui déchire l’Est de la RDC, où sont déployées des troupes rwandaises soutenant le groupe rebelle M23, en violation de la souveraineté congolaise.

Nous poursuivons cet objectif à plusieurs échelons : dans le cadre bilatéral, le président de la République est en lien étroit avec ses deux homologues et avec les dirigeants de la région ; à l’échelon de l’Union européenne, laquelle a récemment adopté de nouvelles mesures individuelles contre des responsables militaires du Rwanda et du groupe rebelle M23 ; et à l’ONU, où nous avons tenu la plume et fait adopter par le Conseil de sécurité, fin février, une résolution historique condamnant à l’unanimité la présence de troupes rwandaises à l’Est de la RDC.

Par ailleurs, nous sommes en contact avec les médiateurs africains, qui sont en première ligne pour obtenir une sortie de crise par le haut, soit, concrètement, un cessez-le-feu durable et mutuellement agréé ainsi qu’une reprise des négociations. Il y a urgence. La stabilité de toute la région est en jeu, alors que le conflit a déjà engendré le déplacement de près de 1 million de personnes depuis le début de l’année, et plusieurs milliers de morts. C’est la deuxième crise humanitaire la plus grave au monde. J’ai donc décidé, nonobstant les contraintes budgétaires, d’augmenter de 5,5 millions d’euros l’enveloppe de notre soutien humanitaire.

Notre quatrième chantier est la recherche d’un accord contraignant sur le nucléaire iranien. En dépit des revers qu’il a subis au cours des derniers mois – lourde défaite du Hezbollah au Liban, chute du régime de Bachar al-Assad, attaque aérienne d’Israël contre son territoire, situation économique calamiteuse – l’Iran poursuit un agenda de déstabilisation, avec la fuite en avant de son programme nucléaire, qui atteint des niveaux sans précédent, la poursuite du soutien à des groupes régionaux déstabilisateurs tels que les Houthis, le soutien à la guerre russe en Ukraine, par la livraison de drones et de missiles, et une politique d’otages d’État.

Dix ans après la conclusion du plan d’action global commun (PAGC), notre conviction reste intacte : l’Iran ne doit jamais se doter de l’arme nucléaire. Notre priorité est de parvenir à un accord contraignant de façon durable et vérifiable son programme nucléaire. La fenêtre d’opportunité est étroite : nous n’avons que quelques mois avant l’expiration du PAGC, obtenu notamment grâce aux négociateurs français, auxquels je rends hommage. En cas d’échec, une confrontation militaire deviendrait quasi inévitable. Son coût serait très élevé, dans la mesure où elle déstabiliserait très durement la région. Nous faisons tout, depuis dix ans, pour l’éviter.

Notre cinquième chantier est l’ouverture d’un espace diplomatique avec l’Algérie. Les tensions qui nous opposent à elle, que nous n’avons pas provoquées, ne servent ni ses intérêts ni les nôtres. Nous devons les résorber avec exigence et franchise, sans faiblesse. Tel est l’état d’esprit qui a présidé à la convocation, par le premier ministre, d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration prévoyant le réexamen des accords conclus entre les deux pays.

La conversation téléphonique entre le président de la République et son homologue algérien a rouvert un espace diplomatique permettant de résoudre la crise. Nous comptons nous en saisir pour obtenir des résultats, dans l’intérêt des Françaises et des Français, en matière de coopération migratoire, judiciaire, sécuritaire, économique et mémorielle. Des principes ont été arrêtés par les deux chefs d’État. Ils doivent à présent trouver une déclinaison opérationnelle. Je me rendrai ce dimanche à Alger à cet effet. D’autres visites ministérielles, et parlementaires à n’en pas douter, suivront.

Sixième chantier : les Balkans occidentaux. Il y a trente ans exactement, la région était en proie à une guerre de très haute intensité, en plein cœur du continent européen, à moins de 2 000 kilomètres du territoire national. En Serbie, les autorités font face à une contestation populaire sans précédent. Les négociations menées depuis plusieurs mois entre le président Vučić et les manifestants ont permis d’annoncer la formation d’un nouveau gouvernement dans les prochaines semaines, ce qui est un premier jalon vers un apaisement de la situation. Samedi dernier, lors d’un échange, le président de la République a eu l’occasion de l’encourager à avancer sur cette voie.

En Bosnie-Herzégovine, depuis l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre, le président de la Republika Srpska, Milorad Dodik, multiplie les initiatives sécessionnistes, que nous avons condamnées systématiquement. Nous avons donné notre accord à un renforcement de la force européenne Althea, qui est sous commandement français, à hauteur de 600 personnels supplémentaires, afin qu’elle soit en mesure de pacifier la situation si elle venait à s’envenimer. Benjamin Haddad sera demain à Sarajevo pour s’entretenir avec les autorités et avec l’opposition.

Nous avons en ligne de mire le sommet de la Communauté politique européenne qui se tiendra le 16 mai prochain à Tirana, offrant l’occasion au président de la République de s’entretenir avec les autorités des pays de la région – ceux qui sont plongés dans la crise comme ceux qui, au contraire, avancent bien sur leur trajectoire vers l’Union européenne, notamment l’Albanie et le Monténégro.

Notre septième chantier est dans le Caucase, avec notamment notre soutien à l’Arménie. Nous avons salué l’aboutissement des négociations sur le traité de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Plus rien ne s’oppose désormais à sa signature, dont je forme le vœu qu’elle ait lieu dans les meilleurs délais. La France continuera à soutenir indéfectiblement la résilience et la souveraineté de l’Arménie. La détermination du gouvernement de Nikol Pachinian à maintenir le cap de l’indépendance, de la démocratie et de la paix est remarquable, d’autant que la Russie ne cache pas son hostilité.

Dans ce contexte, nous suivons avec attention le procès des Arméniens du Haut-Karabakh, qui a débuté le 17 janvier au tribunal militaire de Bakou. Nous sommes très vigilants quant aux inquiétudes exprimées par les organisations de défense des droits de l’homme concernant l’équité des procès et le traitement des accusés. Nous appelons à la libération de tous les prisonniers détenus de manière arbitraire en Azerbaïdjan et formons le vœu que le processus de normalisation entre les deux pays permette de régler la question des prisonniers et des détenus.

Notre huitième chantier est l’organisation de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC) à Nice en juin. Temps fort de notre calendrier international, elle a vocation, dix ans après la conclusion de l’accord de Paris sur le climat, à en être l’équivalent pour les océans. Nous visons plusieurs aboutissements – l’un d’eux est débattu en ce moment même dans l’hémicycle –, dont l’entrée en vigueur du Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine, ce qui suppose qu’il soit ratifié par soixante États signataires. Nous en sommes à une vingtaine. Nous nous mobilisons activement à tous les échelons, dont celui de votre commission en la personne d’Éléonore Caroit, que je remercie. Nous ouvrirons à Nice un bureau de ratification pendant l’UNOC, pour favoriser le dépôt, par les pays retardataires, de leur instrument de ratification.

Permettez-moi de dire un mot des deux principaux chantiers de transformation du ministère.

Le premier concerne le réarmement face à la guerre informationnelle. La France est le pays de l’Union européenne le plus ciblé en 2024 par les ingérences étrangères, avec 152 des 505 cas détectés en Europe entre novembre 2023 et novembre 2024. Cette année 2024 a apporté de nombreuses preuves que des opérations d’influence, en particulier russes, étaient menées à l’encontre de nos populations civiles. La France a des atouts pour y faire échec, mais doit investir davantage pour informer les Français. Plus généralement, elle doit non seulement se muscler pour se défendre, mais se réinventer pour faire entendre sa voix, dans une époque où l’espace informationnel s’est fragmenté.

Le deuxième chantier de transformation consiste à tourner davantage le ministère de l’Europe et des affaires étrangères vers les Français, à créer avec ce ministère régalien, qui est sans doute l’un des moins connus de nos compatriotes, un lien diplo-nation comme il existe un lien armée-nation. Jamais sans doute ce qui se passe au-delà de nos frontières n’aura eu autant d’impact sur la vie quotidienne de nos compatriotes, et vous comme moi avons perçu lors de l’examen budgétaire une compréhension insuffisante de l’action que nous menons, diplomatie parlementaire et ministérielle, au service de nos compatriotes.

Ce chantier de transformation est très profond et touche à toutes les dimensions de notre action. Il s’agit de mieux mesurer et valoriser la réponse qu’apporte le ministère aux préoccupations des Français, par exemple en matière d’emploi, de transition écologique, de santé ou d’immigration. Il s’agit d’activer les liens avec les Français en soutenant la diplomatie économique et la coopération décentralisée – les collectivités territoriales sont le premier partenaire du ministère. Il s’agit d’agir résolument, avec les élus des régions, des départements et des collectivités transfrontalières, pour enfin lever les nombreux irritants auxquels sont confrontés les millions de nos compatriotes qui font l’expérience de la frontière au quotidien. Il s’agit de multiplier les déplacements du ministre sur le territoire national, ce qui n’est pas une habitude mais paraît important dans l’époque que nous traversons, car nos compatriotes se préoccupent de ce qui se passe à l’étranger et ont besoin qu’on leur mette les cartes en main. Il s’agit enfin d’ouvrir grand le Quai d’Orsay et d’y multiplier les visites pour que soient bien compris les métiers de la diplomatie, ce en quoi elle peut changer la vie de nos compatriotes et ce pour quoi elle est si utile au quotidien.

M. le président Bruno Fuchs. J’ouvre la discussion avec deux questions.

Tout d’abord, dans votre volonté de tourner le ministère vers les Français, avez-vous entrepris une réflexion sur les médias ? Le traitement de l’information internationale par les chaînes nationales reste encore très franco-français : envisagez-vous de renforcer la diffusion des chaînes de France Médias Monde sur le territoire, afin d’améliorer la compréhension des enjeux internationaux par nos concitoyens ?

Ensuite, au-delà de la plainte déposée contre l’Iran, envisagez-vous de renforcer les sanctions et, le cas échéant, seront-elles coordonnées avec celles voulues par l’administration Trump ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je vous rejoins totalement s’agissant de l’implication des médias. Des discussions sont en cours autour d’une émission qui présenterait les grands succès ou même échecs de la diplomatie française et permettrait à nos compatriotes de mieux cerner les tenants et aboutissants de la diplomatie.

Nous fêtons cette année plusieurs anniversaires : le dixième anniversaire de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien et de l’accord de Paris sur le climat, et le soixante-quinzième anniversaire de la déclaration de Robert Schuman au Quai d’Orsay, première pierre de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Tous ces événements sont le résultat d’efforts diplomatiques considérables, qui méritent d’être connus. Au-delà, France Médias Monde a aussi un rôle important à jouer dans le décryptage de l’actualité.

Concernant l’Iran, permettez-moi de rappeler les termes de l’accord sur le nucléaire iranien : l’Iran s’était engagé à limiter l’enrichissement de son uranium, en contrepartie d’une levée des sanctions dont il faisait l’objet. Dix ans plus tard, cet accord arrivant à expiration, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont libres d’appliquer à nouveau les sanctions. Les États-Unis, qui avaient quitté l’accord en 2018 et réinstauré des sanctions contre l’Iran dans la foulée, ont d’ores et déjà annoncé un décret visant à appliquer des sanctions supplémentaires. C’est une bonne chose : cela va accentuer la pression sur l’Iran au moment où nous avons besoin qu’il fasse marche arrière dans son programme.

Si la France a consenti tant d’efforts depuis dix ans, ce n’est pas uniquement parce qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité et, à ce titre, gardienne de la non-prolifération : il y va de son intérêt national, car le programme nucléaire de l’Iran permettrait à ce pays de toucher le sol européen.

Jusqu’à présent, les États-Unis ont pris des sanctions d’ordre économique. Lors du dernier Conseil des affaires étrangères, j’ai proposé d’infliger des sanctions individuelles aux responsables de la politique d’otages d’État ; j’espère que je serai écouté et que ces sanctions seront adoptées le 14 avril prochain. C’est un sujet connexe, mais qui permet de maintenir la pression sur l’Iran dans l’espoir d’obtenir des résultats.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

M. Davy Rimane (GDR). Il y a quelques jours, après l’annonce par Manuel Valls d’un renforcement de la présence militaire française sur le territoire mahorais, Moscou a dénoncé la militarisation de Mayotte et accusé Paris de contrôler illégalement l’archipel. Le porte-parole du ministère russe des affaires étrangères a ajouté qu’en vertu du droit international, cette île appartenait à l’union des Comores, et le ministre de l’intérieur des Comores a pointé un risque d’exacerbation des tensions si la militarisation de Mayotte venait à être renforcée.

Il n’est pas question d’interroger ici le rattachement de Mayotte à la France, les citoyens mahorais s’étant prononcés démocratiquement par deux fois sur le sujet – en 1974 et en 1976. Se pose toutefois la question lancinante de la visibilité et de la capacité d’action des outre-mer en matière de politique internationale. L’exemple de Mayotte illustre que les outre-mer sont un élément de plus en plus important de la politique étrangère française ; pourtant, ils restent paradoxalement le maillon faible d’une puissance française déjà relativisée sur la scène internationale. Plutôt que d’imposer leurs positions, les autorités nationales doivent laisser les autorités locales faire valoir leur point de vue, développer leur autonomie économique et nouer des relations approfondies avec leur environnement immédiat.

Dénoncées par la France, les ingérences de l’Azerbaïdjan et de la Russie sont la preuve que les pays étrangers peuvent proposer à nos territoires ultramarins de nouvelles voies de développement pour pallier l’absence de vision stratégique, économique et sociale de la France à leur égard. Si certains territoires ultramarins, marginaux voire inexistants dans la diplomatie et la géopolitique française, venaient à accepter la main tendue par ces puissances étrangères, quelle serait la réaction du gouvernement ?

Par ailleurs, alors que la France vient d’inaugurer son ambassade au Guyana et a engagé des pourparlers pour y ériger une base militaire, le secrétaire d’État des États-Unis s’est récemment rendu au Guyana et au Suriname. Petit à petit, les Américains se rapprochent de la Guyane en tissant des liens avec la communauté caribéenne. Les velléités expansionnistes des États-Unis ne sont plus un mystère pour personne. Dans ce contexte, ne pensez-vous pas que brider le développement économique des territoires ultramarins, notamment en leur interdisant d’exploiter leurs ressources naturelles, risque de renforcer leur tentation de céder à la main tendue par les puissances étrangères ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. La politique du ministère consiste bien à laisser les outre-mer prendre toute leur place dans leur environnement régional. Des liens étroits se tissent entre les représentants de l’État dans les territoires d’outre-mer et les ambassadeurs des pays environnants afin de faciliter la coopération, en tout temps. En temps de crise, comme en a vécu à Mayotte avec le passage du cyclone Chido, cette coopération permet, par exemple, de faciliter l’acheminement de l’aide. Et ce n’est pas un hasard si l’Agence française de développement, l’un de nos instruments les plus puissants pour soutenir notre action internationale, travaille étroitement avec les territoires d’outre-mer. En tout état de cause, personne ne cherche à les brider.

Je ne commenterai pas plus avant les propos de la Russie, cette puissance révisionniste et colonialiste, sur nos territoires ultramarins, ne serait-ce que pour ne pas leur donner d’importance. Quant aux velléités expansionnistes des États-Unis, elles sont contraires aux principes de la Charte des Nations unies, dont nous fêtons cette année le quatre-vingtième anniversaire, et nous les dénonçons systématiquement ; nous l’avons encore fait récemment au sujet d’un certain territoire proche du pôle.

M. Guillaume Bigot (RN). Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul et principal opposant au président Erdogan, vient d’être incarcéré pour corruption. Cette décision intervient très opportunément, au lendemain de sa victoire aux municipales et alors qu’il fait figure de principal favori pour la présidentielle de 2028. Rien d’étonnant, me direz-vous, puisque la Turquie d’Erdogan n’est pas précisément un modèle d’État de droit : utiliser la justice comme une arme politique pour écarter un opposant n’est-il pas un grand classique des régimes autoritaires ? C’est donc à fort juste titre que votre ministère a réagi à cette mise hors-jeu du favori des prochaines présidentielles turques en dénonçant « des atteintes graves à la démocratie » et en rappelant que « le respect des droits des élus de l’opposition, la liberté de manifester et d’expression constituent des pierres angulaires de l’État de droit ».

Le seul ennui, monsieur le ministre, c’est que nous retrouvons chez nous ce que nous dénonçons chez les autres : Marine Le Pen, favorite des sondages pour 2027, vient d’être frappée d’inéligibilité avec exécution provisoire au motif que sa possible élection constituerait un trouble à l’ordre public – une décision rendue par une magistrate qui ne fait pas mystère de ses admirations politiques. Le New York Times évoque une crise politique majeure, le Corriere della Sera s’interroge sur une justice qui semble combattre la politique, et même le très sage et très conservateur The Economist parle d’un séisme politique qui abîme la démocratie. La voix de la France s’en trouve évidemment affaiblie. Comme dirait Coluche de manière fort peu diplomatique, ils nous vendent des trucs et ils n’ont pas un échantillon sur eux ! Monsieur le ministre, donner des leçons d’État de droit à la terre entière sans nous les appliquer complètement à nous-mêmes ne fait-il pas le lit de nos adversaires et de nos rivaux ?

M. le président Bruno Fuchs. Monsieur le député, cette question est très centrée sur la France. Je vous rappelle que nous sommes ici à la commission des affaires étrangères. Au reste, je ne suis pas sûr que l’on puisse dresser un parallèle entre les institutions turques et françaises : le point de départ de votre réflexion, prétexte à évoquer un événement purement français, est donc déjà faussé. Si vous voulez le conserver, parlons de l’action que la France mène en Turquie.

M. Guillaume Bigot (RN). Je vous rappelle le principe de la liberté d’expression parlementaire. La diplomatie française promeut les droits de l’homme et l’État de droit : vu ce qui s’y passe, je m’interroge simplement sur la crédibilité de la voix de la France sur la scène internationale.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je ne commenterai pas une décision de justice, ni ici, ni nulle part ailleurs.

Permettez-moi de rappeler quelques-unes des raisons qui ont suscité notre profonde préoccupation et notre vive émotion suite à l’arrestation du maire d’Istanbul, et qui expliquent sans doute l’intensité des mobilisations : l’annulation de son diplôme, son placement en détention immédiat, le grand nombre de personnes concernées par cette vague d’arrestations. Il ne me semble ni pertinent, ni raisonnable de comparer la France à la Turquie.

Je recevrai ce soir mon homologue turc Hakan Fidan pour lui faire part de notre profonde préoccupation et aborder avec lui l’ensemble des sujets qui dessinent notre relation – ceux sur lesquels nous avons vocation à coopérer dans les temps qui viennent, comme la résolution de la guerre d’agression russe en Ukraine et la surveillance d’un éventuel cessez-le-feu, mais aussi ceux qui ont entaché nos relations ces dernières années – afin de voir comment progresser dans une direction respectueuse de nos intérêts mutuels.

Mme Eléonore Caroit (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je salue votre action à la tête du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Le président américain annoncera ce soir de nouvelles restrictions commerciales, parmi lesquelles de nouveaux droits de douane réciproques. Ce mercredi 2 avril, baptisé Liberation Day par Donald Trump, marque une nouvelle étape dans la guerre commerciale engagée depuis son retour à la Maison-Blanche. Ces mesures protectionnistes, justifiées par la volonté de promouvoir les industries locales américaines et de réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger, suscitent de vives inquiétudes, notamment en France. Redoutées par de nombreux acteurs économiques, ces annonces pourraient en effet bouleverser le commerce mondial, et les secteurs économiques européens les plus exposés – agroalimentaire, automobile, industries de haute technologie – pourraient subir des répercussions significatives.

La stratégie adoptée par l’Union européenne (UE) pour défendre les intérêts de ses États membres face à cette situation interroge. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déclaré hier que l’UE ne souhaitait pas prendre des mesures de représailles, mais qu’elle disposait d’un plan solide si cela devenait nécessaire. Dans ce contexte, la France, en tant que puissance économique majeure en Europe, se doit de jouer un rôle actif dans la coordination des réponses européennes. Pourriez-vous nous éclairer sur la position de la France à l’égard de cette initiative européenne et nous préciser quelles actions concrètes sont entreprises ou envisagées pour protéger nos industries ? Des dispositifs d’accompagnement seront-ils déployés pour atténuer les conséquences économiques de ces droits de douane sur les entreprises françaises les plus exposées ?

Par ailleurs, le président Trump a exprimé sa volonté de rebaptiser le golfe du Mexique et fait part de ses prétentions sur le canal de Panama, entre autres. Comment la France s’est-elle positionnée sur ces différentes déclarations ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. En matière commerciale – une politique qui relève de la Commission européenne –, la coopération est toujours préférable à la confrontation. Et ce qui va se produire ce soir est une très mauvaise nouvelle, à la fois pour l’Europe et les autres pays du monde affectés, mais aussi pour les États-Unis et pour le multilatéralisme. Le rétablissement de droits de douane élevés, qui conduira sans doute à un réarmement tarifaire général, s’inscrit dans une dynamique diamétralement opposée à celle qui avait présidé à la création de l’Organisation mondiale du commerce.

S’il en est encore temps, j’invite les États-Unis à réexaminer leur décision. Le rehaussement des droits de douane aura avant tout des conséquences sur les classes moyennes américaines, qui vont subir le renchérissement des prix. En outre, l’économie américaine a un besoin vital de l’économie européenne : les Gafam, autrement dit les géants du numérique, réalisent 25 % de leur chiffre d’affaires en Europe, et cette dernière finance massivement – à hauteur de 3 000 milliards d’euros nets – l’économie et le déficit public américains.

Si les États-Unis décident d’appliquer ces droits de douane, la Commission européenne n’aura d’autre possibilité, pour rester crédible, que de mobiliser les instruments de défense commerciale très puissants dont elle s’est dotée ces dernières années, justement suite aux droits de douane imposés par le président Trump lors de son premier mandat. Je pense notamment à l’instrument anticoercition, qui permet à la Commission européenne de taxer les importations et exportations et d’appliquer des restrictions sur les marchés publics et les services, notamment numériques et financiers. Personne n’y a intérêt : j’espère donc que nous trouverons rapidement un chemin pour rétablir la coopération et éviter que nous nous appauvrissions mutuellement.

M. le président Bruno Fuchs. Pouvez-vous nous préciser par quel canal et à quelle fréquence vous faites valoir ces arguments auprès de l’administration Trump ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Jeudi dernier, à Pékin, j’ai invité le commissaire européen chargé de la politique commerciale à brandir les instruments de dissuasion de l’UE. C’était enfin chose faite lundi. J’espère qu’il était encore temps d’éviter le pire. Nous aurons la réponse ce soir.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Je commencerai par un mot en soutien à nos diplomates : je ne sais pas qui les accuse de mollesse, monsieur le ministre, mais pour notre part, nous adresserons toujours nos critiques aux décideurs politiques. Nous connaissons bien la très grande qualité de nos diplomates – c’est d’ailleurs pour cela que nous étions opposés à la suppression du corps diplomatique.

Le 18 mars, Israël a rompu le cessez-le-feu. Depuis, 1 042 Gazaouis ont été tués. En tout, 90 % de la population est déplacée. Vous recevrez demain le ministre des affaires étrangères israélien, qui s’est toujours opposé au départ de l’armée israélienne de la bande de Gaza – même s’il a parfois dit le contraire – et dont le parti prône la colonisation illégale des territoires palestiniens et s’oppose à la création d’un État palestinien.

Après avoir bombardé un bâtiment de l’ONU, Israël a annoncé aujourd’hui vouloir s’emparer de larges zones de la bande de Gaza. Cette déclaration a ému jusque dans les familles d’otages, qui se demandent en quoi cette opération peut servir leur retour. Ma question est donc simple : combien de temps la diplomatie française va-t-elle se résumer, au prétexte de maintenir des canaux de communication certes nécessaires, à échanger avec des criminels de guerre qui nous mentent – et qui vous mentent ?

Au Liban, l’armée israélienne a commis plus de 1 000 entorses au cessez-le-feu depuis son entrée en vigueur, il y a quatre mois. Vendredi, pour la première fois du cessez-le-feu, la banlieue Sud de Beyrouth a été visée. En tant que président du groupe d’amitié France-Liban, je vous le demande : au-delà des mots, la France envisage-t-elle de prendre des sanctions pour contraindre Israël à respecter un cessez-le-feu essentiel à la stabilité du Liban ?

Nous aurions beaucoup à dire, enfin, sur la séquence que connaît l’ordre international depuis l’arrivée au pouvoir de Trump. Les responsables européens semblent incapables de penser en dehors du cadre atlantiste. J’en veux pour preuve leur réaction après la décision inacceptable de Trump d’imposer un cessez-le-feu aux conditions de Poutine en Ukraine : la plupart des pays ont décidé d’acheter encore plus d’armes aux États-Unis, renforçant encore leur dépendance vis-à-vis d’eux.

Si elle est confirmée, que pensez-vous de la venue du vice-président américain au pèlerinage de Chartres ? Chacun sait bien que s’il s’y rend, ce ne sera pas comme un simple pèlerin ; il risque d’attaquer frontalement notre République avec un discours idéologique teinté de religion. Cela n’a pas sa place dans notre débat public. Avez-vous eu des échanges à ce sujet ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous avons accueilli le vice-président lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle et l’accueillerons à nouveau s’il souhaite revenir en France, mais je n’ai pas été informé d’un quelconque projet de visite à Chartres. C’est probablement un poisson d’avril.

À l’heure où les Européens cherchent à renforcer leur sécurité, l’industrie américaine reste la plus facilement mobilisable. Néanmoins, nous avons obtenu que le Livre blanc pour une défense européenne mette en avant le principe de préférence européenne dans le choix des instruments de défense.

La demande pour les produits européens n’est plus un problème, puisque tous les pays ont consenti à relever leur effort. Reste la question de l’offre : chacun, et surtout la France, qui dispose sans doute de l’industrie de défense la plus développée d’Europe, doit être capable de répondre à la demande. Pour cela, nous devons faire tourner nos chaînes de production – je sais que le ministre des armées y veille.

Comme vous l’avez indiqué, j’accueillerai demain le ministre des affaires étrangères israélien. Ce sera l’occasion de condamner à nouveau la rupture du cessez-le-feu, le 19 mars, trois mois après son instauration sous la pression américaine, et la reprise des violences à Gaza. Des tirs sur des ambulances ont fait quinze morts, dont des secouristes du Croissant-Rouge et de la protection civile palestinienne ainsi que des personnels de l’ONU. C’est inacceptable, tout comme la politique de colonisation extrémiste et violente qui continue de se déployer de manière très inquiétante en Cisjordanie.

Je lui dirai aussi combien il nous paraît important de soutenir le plan des pays arabes pour la reconstruction de Gaza, et dans quel état d’esprit nous abordons la conférence de cet été, qui devrait être un jalon essentiel pour l’avancée vers une solution à deux États.

Enfin, je lui demanderai le retrait définitif des 1 % de forces israéliennes qui sont encore au Liban et violent l’intégrité territoriale du pays. Nous pourrons alors poursuivre nos efforts, aux côtés des Américains toujours présents, pour résoudre la question de la frontière et ainsi donner toute sa chance au redressement politique et économique de ce pays si cher à la France.

M. Olivier Faure (SOC). Votre présence nous est particulièrement agréable et nous serions très honorés que vous reveniez plus souvent. Dans la période que nous traversons, nous avons besoin d’échanges plus réguliers.

Je m’associe aux hommages au corps diplomatique, qui mérite mieux que les sarcasmes dont il fait parfois l’objet.

La diplomatie est préférable au conflit et je me félicite que le dialogue ait repris avec l’Algérie sur un mode qui n’est pas celui de la surenchère. Je salue les propos que vous savez tenus à ce sujet lors des questions au gouvernement, qui étaient moins sujets à caution que ceux de votre homologue de l’intérieur.

Enfin, nous sommes globalement d’accord avec vous sur la question ukrainienne, et avec ce qui a été entrepris pour faire face à l’offensive de Trump et à sa manière d’envisager la résolution du conflit. L’autonomie stratégique de l’Europe doit être l’objectif à atteindre. Dans un monde aussi conflictuel, l’Union européenne doit rester un pôle de stabilité.

Nous avons en commun de vouloir défendre le droit international. Qu’on le veuille ou non, sa crédibilité dépend de l’évolution de la situation au Proche-Orient, qui concentre tous les regards.

J’ai été agréablement surpris par le fait que la France vote en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 18 septembre 2024, qui dit les choses de manière très carrée. L’ensemble des États qui l’ont votée ont appelé à ne plus avoir de relations économiques ou commerciales impliquant le territoire palestinien occupé. Ces États doivent prendre des mesures pour « mettre fin à l’importation de tout produit provenant des colonies de peuplement israéliennes, ainsi qu’à la fourniture ou au transfert d’armes, de munitions et de matériel connexe à Israël […] dans tous les cas où il y aurait des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils pourraient être utilisés dans le territoire palestinien occupé ». Le texte demande aussi aux États de « prendre des sanctions, notamment des mesures d’interdiction de voyager et de gel des avoirs, contre les personnes physiques et morales qui participent au maintien de la présence illicite d’Israël dans le territoire palestinien occupé ».

Le droit international, c’est comme le pays imaginaire de Peter Pan : ça ne marche que si l’on y croit. Y croyez-vous ? Et si tel est le cas, que faites-vous pour que cette résolution soit effectivement appliquée ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Avant de vous répondre, je vais vous raconter l’histoire du vote du 24 février aux Nations unies.

Comme chaque année, les Ukrainiens préparaient une résolution pour l’anniversaire de la guerre d’agression. Les deux précédentes avaient naturellement été approuvées par les États-Unis. Mais, trois jours avant le vote, prévu un lundi, ces derniers ont annoncé qu’ils ne soutiendraient pas la résolution ukrainienne et qu’ils déposeraient un projet concurrent.

Ce dernier a beaucoup choqué les Européens, car on n’y trouvait aucune mention ni de la Charte des Nations unies, ni de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ni du concept de guerre d’agression.

À l’initiative de la France – et je rends encore hommage à tous les diplomates qui se sont mobilisés –, nous avons négocié tout le week-end avec les États-Unis pour amender leur projet en y intégrant les trois points que j’ai cités. Nous avons eu des promesses, mais le dimanche soir, les États-Unis ont décidé de rejeter tous les amendements.

Le lendemain matin, lors de l’Assemblée générale, nous avons insisté pour que la résolution ukrainienne soit examinée en premier. Elle a été adoptée, sans les voix des États-Unis et d’autres pays qui suivaient leurs consignes. Le texte américain est ensuite arrivé. Les trois amendements que nous avions proposés, qui étaient soutenus par les Européens, ont été adoptés, puis le projet, ainsi modifié pour être conforme au droit international, l’a été – sans les voix des Américains, qui se sont abstenus sur leur propre texte amendé.

Ce fut un soulagement considérable pour les Ukrainiens, car l’adoption d’une résolution dans des termes acceptables pour la Russie aurait été pour eux un revers très significatif.

Malheureusement, les débats se sont poursuivis l’après-midi au Conseil de sécurité. Les États-Unis ont de nouveau présenté leur texte, et nous avons défendu les amendements européens. Ils auraient été adoptés si la Russie n’y avait pas mis son veto. C’est donc le texte non amendé qui a été mis aux voix. Il a été soutenu par dix États sur quinze, les cinq ayant voté contre étant les cinq Européens.

Que peut-on faire pour que les résolutions adoptées à l’Assemblée générale ou par le Conseil de sécurité soient suivies d’effet ?

Il faut tout d’abord rendre l’ONU et son Conseil de sécurité plus légitimes. C’est pourquoi je compte profiter de la présidence française du Conseil de sécurité, en avril, pour faire avancer nos projets de réforme. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité compte six membres permanents supplémentaires, qui disposeraient de l’ensemble des droits associés à ce statut : l’Inde, le Brésil, le Japon, l’Allemagne et deux pays africains. Les décisions prises par le Conseil de sécurité auraient alors une légitimité beaucoup plus forte.

Ensuite, avec le Kazakhstan, l’Afrique du Sud, la Chine et le Brésil, nous soutenons une initiative du Comité international de la Croix-Rouge visant à rendre le droit international humanitaire plus directement applicable. Cela mettrait fin à cette forme de course vers le bas qui fait que désormais, on tire sur les secouristes – et pas seulement à Gaza, puisqu’on a vu récemment des exemples dans la région des Grands Lacs.

Enfin, il faudra aborder le sujet de l’architecture financière internationale, dont le déséquilibre profite non pas aux pays dits occidentaux, mais aux grands acteurs émergents, au détriment des pays les moins avancés. Il faudra trouver de nouveaux équilibres, même si la tâche est ardue. Si nous y parvenons, nous pouvons espérer sauver le droit international.

M. Olivier Faure (SOC). Vous n’avez pas du tout répondu à ma question sur les moyens de faire respecter la résolution du 18 septembre 2024, dont les attendus sur la colonisation en Cisjordanie sont très précis. Que fait la France pour que les résolutions ne restent pas lettre morte ? Nous pouvons agir par nous-mêmes, plutôt que d’attendre des résolutions ultérieures.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Il faut être très clair : la colonisation met en péril la solution à deux États. Par-delà le fait qu’elle constitue une violation du droit international, elle menace la continuité du territoire de la Cisjordanie, et donc la possibilité même d’y créer un État.

Nous avons pris des sanctions à l’encontre de vingt-huit colons extrémistes et violents, et nous avons été à l’origine de deux paquets de sanctions européennes visant des entités ou des individus responsables de la colonisation. Les ministres des affaires étrangères n’ont pour l’instant pas réussi à se mettre d’accord au sein du Conseil pour adopter un troisième paquet. Dans la période récente, l’Union européenne a eu parfois plus de difficultés à sanctionner des colons extrémistes et violents que les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Malgré tous nos efforts, il est arrivé que l’on échoue à obtenir l’assentiment de l’ensemble des pays européens – car, en matière de sanctions, c’est la règle de l’unanimité qui prévaut.

M. Michel Herbillon (DR). Je rends à mon tour hommage à l’ensemble du corps diplomatique, dont on peut mesurer l’efficacité et le professionnalisme partout dans le monde, et je m’oppose aux attaques injustes dont vous nous dites qu’il a fait l’objet.

À la suite de l’entretien téléphonique entre le président Macron et le président Tebboune, vous vous rendrez à Alger dimanche pour donner un nouvel élan aux relations avec l’Algérie, après des mois de tensions et de crise. Parmi les sujets à l’origine de tensions figure la coopération migratoire. Le communiqué conjoint indique qu’« une coopération migratoire confiante, fluide et efficace » est nécessaire.

Je rappelle que l’Algérie a refusé à la mi-mars de réadmettre sur son territoire une soixantaine de ses ressortissants les plus dangereux. La reprise des discussions n’est une bonne chose que si elle permet de renouer une coopération migratoire efficace – sachant que le taux d’exécution des OQTF (obligations de quitter le territoire français) pour les ressortissants algériens a atteint le niveau historiquement bas de 7 % et que nos concitoyens attendent une amélioration.

Le communiqué indique aussi que votre visite doit déboucher sur des résultats concrets. Quels sont, selon vous, les critères d’un déplacement réussi ? Pour nous, le succès suppose deux choses.

Premièrement, il faut que l’accord migratoire bilatéral soit strictement respecté. L’Algérie doit donc réadmettre ses ressortissants lorsqu’ils font l’objet d’une OQTF – et notamment les soixante personnes les plus dangereuses qui figurent sur la liste présentée par le ministre de l’intérieur.

Deuxièmement, notre compatriote Boualem Sansal doit être libéré sans délai. Il a été injustement condamné à une peine de cinq ans de prison alors que c’est un écrivain âgé et malade dont le seul crime est d’avoir milité pour la liberté de penser et de créer.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je veux dire avec beaucoup d’humilité que ce déplacement n’a pas pour objet de donner un nouvel élan à notre relation bilatérale, mais de tirer parti de l’espace qui s’est ouvert à la suite de la discussion entre les deux présidents.

Dans cette affaire, il faut me voir comme un assemblier. Sur la base des principes agréés par les deux présidents, je me tourne vers mes collègues du gouvernement pour savoir quelles sont leurs attentes respectives. Je me rendrai ensuite à Alger pour rencontrer mon homologue afin de nous accorder sur la mise en œuvre opérationnelle des engagements des deux présidents, traduits en actes par les responsables des départements ministériels concernés.

La coopération migratoire est évidemment au cœur de tout cela.

L’accord de 1994 prévoit que lorsqu’un Algérien en situation irrégulière est documenté, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun doute sur sa nationalité, il doit être réadmis par les autorités algériennes. C’est l’un des piliers de notre coopération en matière migratoire. Il est attendu – et c’est l’un des grands principes qui ont été fixés par les deux présidents – que cet accord soit pleinement respecté, y compris pour les étrangers en situation irrégulière qui présentent des risques de trouble à l’ordre public. Parmi eux figurent ceux qui sont sur la liste que le ministre de l’intérieur m’a chargé de remettre aux autorités algériennes il y a quelques semaines.

C’est dans cet esprit que je me rends à Alger, et je vous rendrai compte des résultats de cette démarche destinée à concrétiser l’élan donné par les deux présidents.

M. le président Bruno Fuchs. Notre commission a voté une résolution demandant la libération immédiate de Boualem Sansal. Peut-on imaginer que vous aurez des nouvelles non seulement de sa santé, mais aussi de sa possible libération ? Vous pourriez indiquer à votre homologue, dans ce contexte de reprise du dialogue, que la discussion de cette proposition en séance publique est prévue pour le 6 mai – peut-être cela aidera-t-il à ce que Boualem Sansal soit libéré avant.

Par ailleurs, Mme Sebaihi et plusieurs sénateurs se sont déjà rendus en Algérie. Associer des parlementaires à votre déplacement ne permettrait-il pas d’augmenter les chances d’obtenir des résultats importants ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. S’agissant du premier point, je me contenterai à ce stade de reprendre les termes utilisés par le président de la République pour évoquer ce cas qui nous préoccupe beaucoup : « Le président de la République a réitéré sa confiance dans la clairvoyance du président Tebboune et appelé à un geste de clémence et d’humanité à l’égard de M. Boualem Sansal, à raison de l’âge et de l’état de santé de l’écrivain. »

Quant à la diplomatie parlementaire, elle aura un rôle important à jouer pour suivre la mise en œuvre des engagements, mais il sera probablement difficile d’associer des parlementaires à la visite prévue dimanche, qui consistera principalement en une réunion de travail avec mon homologue. Je dois ensuite partir directement pour l’Égypte, afin d’y rejoindre le président de la République pour un déplacement de deux jours, consacré notamment à Gaza et à la sortie de crise.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Depuis le début de l’année, 90 % de l’aide internationale américaine qui transitait à travers USAID, l’Agence des États-Unis pour le développement international, ont été supprimés, ce qui a conduit à abandonner du jour au lendemain des millions de personnes et de malades. Cette trahison de Donald Trump a des conséquences concrètes dans le monde entier, car le désengagement américain est général face à une crise globale.

Or notre réponse est seulement comptable. À chaque euro retiré correspond une urgence non traitée, une épidémie non contenue, une crise humanitaire qui s’aggrave. Ces enjeux sanitaires ne sont pas isolés : ils font partie d’une crise globale liée directement au changement climatique, qui alimente les pandémies. Le choléra refait surface là où les inondations détruisent les infrastructures, comme au Nigéria l’an dernier. Le paludisme, la dengue et le chikungunya progressent dans des zones où ils n’existaient pas.

Dans ce contexte, réduire notre aide au développement équivaut à se rendre complice d’un recul sanitaire général. Nous devons investir dans la santé mondiale pour répondre notamment aux enjeux climatiques immenses qui sont déjà devant nous. Cela signifie qu’il faut revenir dès maintenant à la trajectoire prévoyant de consacrer 0,7 % du PIB à l’aide publique au développement et mobiliser les recettes tirées de la taxe sur les transactions financières. La France peut-elle entraîner d’autres pays à sa suite pour compenser la perte importante liée aux décisions américaines ?

Par ailleurs, le ministre de la défense israélien a annoncé ce matin qu’il souhaitait étendre les opérations militaires dans la bande de Gaza. Lors d’autres conflits, des sanctions – notamment financières – ont été prises immédiatement. Vous avez évoqué des sanctions contre vingt-huit colons extrémistes, mais on aurait pu aller beaucoup plus loin, par exemple en suspendant l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël et en prenant des sanctions économiques. C’est un moyen d’arrêter le génocide qui se déroule sous nos yeux. Attend-on qu’il n’y ait plus un seul Gazaoui vivant pour agir fortement contre le gouvernement de Netanyahou ?

Enfin, la France et l’Arabie saoudite coprésideront une conférence sur la création d’un État palestinien. Qu’en est-il de la continuité territoriale de la Cisjordanie, alors que l’on sait que 700 000 colons y sont installés ? Qu’avez-vous prévu pour ces derniers afin d’assurer l’intégrité du territoire palestinien ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. S’agissant de l’aide publique au développement, la méthode employée outre-Atlantique entraîne évidemment des risques pour la survie d’un certain nombre d’organisations non gouvernementales et de missions et programmes des Nations unies. Nous surveillons de près ce sujet, qui sera à l’agenda du Conseil présidentiel des partenariats internationaux qui réunira prochainement le président de la République et les ministres chargés de la politique d’investissement solidaire et durable.

Cependant, les contraintes budgétaires nous ont conduits à faire des choix et à limiter notre action en 2025, car il faut compenser au niveau français certains manques de moyens qui apparaîtront du fait du retrait américain. Je compte bien activer le levier européen dans les mois qui viennent afin d’accroître le soutien apporté à Action contre la faim, Solidarités International et Médecins sans frontières – organisations qui jouent un rôle très important, y compris en ce moment même en Birmanie, et dont l’Union européenne est parfois l’un des tout premiers donateurs.

Peut-être cette dernière pourra-t-elle nous aider au cours de ce que j’espère être une année blanche avant que nous retrouvions des marges d’action en matière d’aide publique au développement. Je compte sur le Parlement pour nous soutenir dans ce sens.

S’agissant de la colonisation israélienne, nous avons réussi à faire adopter deux paquets de sanctions. En matière commerciale, il existe déjà un étiquetage différencié pour les produits qui viennent des colonies. Mais il n’y a actuellement pas de consensus politique entre les États de l’Union européenne pour remettre en cause ou suspendre l’accord d’association avec Israël. Nous avons déjà du mal à faire adopter le paquet visant des individus ou des entités qui ont été sanctionnés par les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada.

Mme Maud Petit (Dem). Après dix-huit mois d’âpres négociations, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont annoncé le 13 mars dernier s’être entendus sur un accord de paix. Même si aucune date n’a pour l’instant été fixée, sa signature imminente mettrait fin à trois décennies de conflit.

La région du Haut-Karabakh est la principale pierre d’achoppement entre les deux pays et la source de multiples affrontements. Tous deux revendiquent en effet des liens très anciens avec ce territoire.

À l’époque de l’Union soviétique, cette région était contrôlée par l’administration azérie. À la suite de l’effondrement du bloc soviétique, ce territoire à très forte majorité arménienne a voté son indépendance en 1991 et proclamé la République du Haut-Karabakh.

Cette dernière a existé jusqu’en 2023, mais a été amputée d’une très grande partie de son territoire en 2020. En effet, la seconde guerre du Haut-Karabakh a vu les troupes azéries, soutenues par la Turquie envahir le territoire. Malgré la signature d’un cessez-le-feu le 9 novembre 2020, les tensions sont restées très vives entre les deux pays. Elles ont atteint leur point culminant le 13 septembre 2023 avec la vaste offensive militaire des troupes azéries – une attaque éclair qui a permis à l’Azerbaïdjan de reprendre le contrôle de la totalité du Haut-Karabakh et a entraîné le départ de presque tous les 120 000 Arméniens qui y vivaient.

La France a toujours eu un lien très fort avec l’Arménie. Elle a d’ailleurs été le premier pays à reconnaître le génocide arménien et la communauté arménienne de France est l’une des plus importantes dans le monde. J’en profite pour saluer celle du Val-de-Marne.

Ce lien puissant et fraternel a conduit notre pays à s’engager aux côtés de l’Arménie, notamment en renforçant la coopération militaire grâce à la nomination en octobre 2023 d’un attaché de défense à l’ambassade de France à Erevan. Cette proximité n’est apparemment pas du goût de Bakou.

Alors qu’un accord de paix se dessine entre ces deux États, pouvez-vous nous en donner les grandes lignes et nous faire part du rôle joué par la France dans le processus qui a permis de renouer le dialogue ?

Le procès de seize prisonniers politiques arméniens, dont des dirigeants de la République du Haut-Karabakh, s’est ouvert le 17 janvier à Bakou. Le Sénat a voté une résolution dénonçant leur détention arbitraire et demandant leur libération. Pouvez-vous nous donner de leurs nouvelles ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. La France est pleinement mobilisée dans le Caucase. Le président de la République a d’ailleurs été parmi les premiers à saluer la conclusion des négociations de paix entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et a appelé à une signature rapide de l’accord.

L’Azerbaïdjan exige désormais une révision de la Constitution de la République d’Arménie. Cette nouvelle condition n’est pas acceptable et retarde la signature d’un accord qui constitue une avancée diplomatique majeure.

Dans le même temps, le procès de dirigeants arméniens du Haut-Karabakh se poursuit à Bakou. La France et l’Union européenne – dont une mission vient de se rendre dans la région – suivent avec attention la situation de toutes les personnes détenues arbitrairement et appellent à leur libération dans le cadre du processus de normalisation en cours.

Le Sud du Caucase doit devenir un espace de paix et de prospérité. L’Union européenne peut contribuer à l’ouverture de ses frontières et à son désenclavement, au bénéfice des populations de la région.

C’est pourquoi nous appelons au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale dans le cadre du traité de paix qui doit désormais être signé entre les deux pays.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). Lorsque l’on parle des relations commerciales internationales, on évoque rarement la géopolitique du transport aérien.

En raison du contexte actuel, les compagnies européennes – et plus particulièrement Air France – ne sont plus autorisées à survoler la Russie ni plusieurs pays africains. Près du quart du réseau d’Air France est ainsi affecté par des interdictions de survol. Lorsqu’il s’agit d’aller en Asie, les compagnies aériennes européennes doivent désormais emprunter d’autres itinéraires, ce qui allonge les trajets et augmente parfois très significativement leurs coûts. Les tensions internationales entraînent donc des distorsions de concurrence, puisque les compagnies chinoises et turques, ainsi que certaines compagnies du Moyen-Orient, ne sont pas soumises aux mêmes interdictions et enregistrent une très forte augmentation de leur trafic vers l’Europe.

À ces conditions géopolitiques très favorables s’ajoutent, pour les compagnies aériennes extra-européennes, une réglementation environnementale moins stricte, un accès facilité à des capitaux publics et des accords sur le service aérien, signés par l’Union européenne, qui menacent la pérennité des compagnies européennes. Ainsi, l’accord signé en 2021 entre l’Union européenne et le Qatar se substitue aux accords nationaux préexistants et libéralise entièrement le marché du transport aérien sur notre continent. Cet accord de ciel ouvert n’a pas encore été ratifié par la France ; ne serait-il pas souhaitable d’en évaluer rapidement les conséquences ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Je n’ai pas d’éléments concrets sur ce sujet plutôt inhabituel de la géopolitique. Le président me souffle que les détours auxquels les compagnies sont obligées pour éviter le survol de la Russie en venant de Chine augmentent le temps de vol d’une heure et demie, soit six tonnes de carburant, ce qui est très significatif du point de vue tant financier que de l’empreinte carbone. Le chiffre que vous évoquez – un quart des vols – justifie sans doute que la commission se penche sur ce sujet.

Quant à l’accord signé avec le Qatar, je vous promets une réponse précise après cette audition.

M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. François Hollande (SOC). Depuis plusieurs semaines, l’administration Trump montre sa volonté d’affaiblir, voire de rompre le lien transtransatlantique, comme en témoignent la reprise du dialogue avec l’administration Poutine, les déclarations sur le Groenland – qui est un territoire européen –, la remise en question de la sécurité de l’Europe, y compris dans le cadre de l’Alliance atlantique, ainsi que les déclarations du vice-président Vance.

Quels rapports entretenez-vous avec votre homologue américain, M. Marco Rubio ? Plus largement, quelle est désormais la nature de la relation entre la France et les États-Unis ?

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Bravo monsieur Hollande, cette fois vous avez respecté votre temps de parole !

M. François Hollande (SOC). Je tiens à ce qu’il soit noté que Mme Chikirou a applaudi mon intervention !

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Notre position vis-à-vis des États-Unis n’a pas changé : la France est alliée, mais pas alignée. Je participerai demain à Bruxelles à la réunion ministérielle de l’OTAN, à l’occasion de laquelle je retrouverai mon homologue Marco Rubio, membre de la même alliance.

Depuis la présidence du général de Gaulle, jamais sans doute la voix singulière de la France au sein de l’Alliance atlantique n’a été autant écoutée par nos partenaires européens. Nos appels de toujours à faire preuve de plus d’indépendance et d’autonomie stratégique, en matière militaire mais aussi économique et commerciale, prennent aujourd’hui tout leur sens.

Il n’a pas toujours été facile pour le général de Gaulle et ses successeurs de défendre cette vision, en particulier lorsque nos plus proches alliés et amis européens étaient tentés de s’aligner sur les positions des États-Unis. Alors que nous sommes à un tournant de notre histoire, ce patient travail de préservation de notre position singulière montre tout son intérêt.

M. François Hollande (SOC). Je ne parlais pas de la position du général de Gaulle, mais du rapport du président de la République et de votre ministère avec les États-Unis.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Comme je l’ai dit, jusqu’à nouvel ordre, les membres d’une alliance de défense comme l’OTAN sont des alliés, ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils soient alignés sur tous les sujets.

La position d’indépendance de la France n’a jamais varié : elle n’est pas indexée sur la politique des États-Unis, ce qui nous a parfois amenés à nous opposer à certaines de leurs décisions. Parce que nous avons été fidèles à cette position, nous avons survécu à cinquante-neuf élections présidentielles américaines et nous survivrons à la soixantième.

M. Kévin Pfeffer (RN). Dans le cadre de la transition politique en Syrie, prévue sur cinq ans, le président par intérim a nommé la semaine dernière un nouveau gouvernement nettement dominé par les islamistes. Les personnalités issues des minorités ne sont pas représentatives et n’ont aucune légitimité dans leur communauté. Les Kurdes sont particulièrement perdants ; ils se sont donnés six mois, avec Ahmed al-Charaa, pour régler leurs différends. Cette évolution prend une tournure particulièrement inquiétante après les massacres perpétrés contre la minorité alaouite, qui ont fait plus de 1 300 morts.

Dans ce contexte, l’Union européenne a pourtant salué la formation de ce nouveau gouvernement syrien et s’est dite « prête à coopérer avec [lui] pour l’aider à relever les défis immenses qui l’attendent ». Cette déclaration n’est-elle pas prématurée ? A-t-elle recueilli l’assentiment de la France ? Jusqu’où pourrait s’étendre la coopération de la France avec un régime islamiste qui n’offre aucune garantie et qui semble s’être rendu complice, à tout le moins, d’atrocités ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Depuis la chute du régime criminel de Bachar al-Assad, nous avons toujours dit que nous ne signerions pas de chèque en blanc et que nous jugerions sur les actes.

Parmi nos exigences figure au premier rang la défense de nos intérêts de sécurité, qui sont menacés en Syrie par la résurgence de Daech. C’est pourquoi nous exigeons que la transition politique ne fasse aucune place au terrorisme. À cet égard, nous avons déployé beaucoup d’énergie pour qu’un accord puisse être trouvé entre les autorités de transition et les Kurdes du Nord-Est du pays. Ces derniers sont non seulement nos alliés dans la lutte que nous menons depuis dix ans au sein de la coalition internationale contre l’État islamique, mais aussi les gardiens des prisons dans lesquelles des dizaines de milliers de combattants terroristes et leurs familles sont détenus, dont des Français.

Parmi nos intérêts de sécurité figure également la destruction des stocks d’armes chimiques. Nous avons intercédé pour que l’OIAC puisse se déplacer en Syrie. Sa première mission, menée au début du mois de mars, a constitué une étape importante.

Quant au processus politique en lui-même, la déclaration constitutionnelle et la formation du gouvernement vont dans la bonne direction. En revanche, nous ne pourrons pas poursuivre notre engagement en faveur de la levée des sanctions tant que la lutte contre l’impunité du régime al-Assad ne sera pas effective, et tant que les responsables des récents massacres perpétrés sur la côte occidentale de la Syrie n’auront pas été traduits en justice.

Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). En novembre dernier, Amnesty International signalait qu’au Soudan, des véhicules blindés émiriens utilisés par les paramilitaires des forces de soutien rapide de Mohamed Hamdan Dogolo, opposés à l’armée officielle, seraient équipés du système Galix conçu par KNDS France et Lacroix défense. Des éléments laissent penser que ces équipements français seraient entrés sur le territoire soudanais par le biais d’exportations émiriennes de matériel de guerre.

Par ailleurs, Amnesty International faisait état en juillet 2024 de la circulation au Soudan d’armes en provenance de Chine, des Émirats arabes unis, du Yémen, de Russie, de Serbie et de Turquie. La prolifération des armes alimente la guerre bien au-delà de la zone d’embargo du Darfour.

Monsieur le ministre, des enquêtes ont-elles été menées pour s’assurer qu’aucun équipement français ne peut être utilisé au Soudan ? La France peut-elle plaider à l’ONU en faveur d’une extension de la zone d’embargo de vente d’armes à l’ensemble du territoire soudanais ? Ce n’est pas l’unique moyen de régler le conflit, mais c’est important. J’avais posé la même question au ministre des armées en novembre dernier.

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Pour être franc, je n’ai pas de réponse à vous apporter. Je me rapprocherai du ministre des armées pour savoir si des enquêtes ont été menées.

Je n’ai pas d’objection de principe à une extension de la zone d’embargo, d’autant que nous avons déjà pris des sanctions à l’encontre de responsables de violations du droit international et humanitaire issus des deux parties belligérantes. Nous avons également appelé les puissances étrangères à cesser d’alimenter ces dernières en matériel et en armement. Ce conflit est à l’origine de la plus importante crise humanitaire du monde.

M. Pierre Pribetich (SOC). Tant de gens reprochent à la Serbie ses partenariats avec la Russie et la Chine ; que ne se félicitent-ils de son partenariat avec la France !

Le 29 août 2024, Emmanuel Macron a signé avec la Serbie un contrat de 7 milliards d’euros portant sur l’achat de douze Rafale. En novembre 2024, l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad a fait quinze morts. Depuis, la Serbie est en pleine ébullition contre la corruption. Loin de faiblir, le mouvement de contestation lancé par les étudiants s’est propagé à toutes les couches de la société serbe. Le 15 mars dernier, une véritable marée humaine de 300 000 personnes s’est déversée dans les rues de Belgrade pour réclamer l’instauration d’un État de droit.

Le partenariat noué avec la Serbie du président Vučić est-il toujours aussi formidable, dix mois après la vente des Rafale ? Quelle est notre position à propos de ces mouvements de protestation qui s’étendent aux pays voisins, notamment le Monténégro, prenant progressivement la forme d’un printemps balkanique ?

M. Michel Guiniot (RN). Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur différents points des conclusions du dernier Conseil européen, rendues publiques le 20 mars.

Au point III, le Conseil européen souhaite urgemment réaliser l’union des marchés de capitaux et achever l’union bancaire. Quelle forme prendra la mobilisation de l’épargne privée pour investir dans l’économie de l’Union européenne ? Le gouvernement français soutient-il des emprunts à l’échelle européenne et la mutualisation de la dette, au travers de l’union de l’épargne et de l’investissement ?

Au point V, les membres du Conseil européen ont procédé à un échange de vues sur le cadre financier pluriannuel et les nouvelles ressources propres. Le gouvernement soutient-il la création de ressources propres, ce qui constituerait une contribution supplémentaire des citoyens à l’Union européenne ?

Enfin, le Conseil européen a réaffirmé son soutien sans faille à l’Ukraine. Le gouvernement soutient-il le dernier plan du Service européen pour l’action extérieure en soutien à l’Ukraine, d’un montant de 40 milliards d’euros ?

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Monsieur le ministre, vous prétendez défendre le droit international, autrement dit la Charte des Nations unies. Que pensez-vous de la carte devant laquelle vous êtes assis, qui ne correspond pas à la cartographie promue par l’ONU ? Pourquoi cette carte a-t-elle été modifiée s’agissant du Sahara occidental ? Est-ce votre ministère qui demande à changer les cartes partout dans notre pays ?

Par ailleurs, la justice française a condamné un ancien président de la République pour avoir reçu des financements de la Libye de Kadhafi pour sa campagne électorale. Le gouvernement libyen a-t-il demandé des comptes à la France quant à son éventuelle implication dans l’assassinat de Mouammar Kadhafi, au moment de son intervention en Libye ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. Nous souhaitons que les pays des Balkans occidentaux, enclavés au cœur de l’Europe, poursuivent leur marche vers l’adhésion à l’Union européenne. C’est un chemin exigeant, qui suppose non seulement un rattrapage économique et social, mais aussi des réformes profondes tenant à l’État de droit, qui touchent à ce que les peuples ont de plus intime. Nous les encourageons dans cette voie, avec un plan de croissance pour les Balkans qui doit faire apparaître les bénéfices de ce chemin avant la concrétisation de l’adhésion.

S’agissant plus particulièrement de la Serbie, le président Vučić a annoncé la formation d’un nouveau gouvernement, ce qui est un premier jalon sur la voie de l’apaisement. Le président Macron l’a encouragé à poursuivre dans cette voie à l’occasion de leur entretien samedi dernier.

Monsieur Guiniot, la France soutient l’union des marchés de capitaux et l’union bancaire, parce que notre épargne est sans doute l’une de nos meilleures armes pour asseoir notre puissance économique et financer notre modèle, notamment social.

S’agissant du point V, lorsqu’ils ont contracté un emprunt pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid, les pays membres de l’Union européenne ont déjà décidé qu’il serait financé par des ressources propres plutôt que par les budgets nationaux. Ces ressources propres ne supposent pas nécessairement des impôts supplémentaires : elles peuvent provenir d’une taxe sur les services numériques par exemple.

Enfin, la semaine dernière, le président Macron a annoncé 2 milliards d’euros d’aide supplémentaire à l’Ukraine. Il a également indiqué que l’aide à l’Ukraine pourrait bénéficier en priorité de la mobilisation des revenus issus des actifs russes gelés. C’est ainsi qu’un prêt de 45 milliards d’euros a été consenti à l’Ukraine par les Européens et les Américains notamment.

Monsieur Lecoq, je n’ai pas eu de contact avec les autorités libyennes à ce jour. Quant à votre première question, nous avons il y a quelques mois exprimé notre vision du présent et de l’avenir du Sahara occidental, qui s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine, en conséquence directe du plan d’autonomie marocain. Actuellement, il n’existe pas d’autre solution réaliste et crédible. Nous soutenons les efforts de l’ONU pour favoriser le dialogue et aboutir à une solution politique durable et mutuellement acceptable. J’aurai l’occasion d’en parler dans quelques jours avec mon homologue marocain Nasser Bourita.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Thierry Breton, qui était entendu hier par la commission des affaires européennes, a décrit la stratégie de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine comme étant alignée sur celle des États-Unis : elle est considérée comme un partenaire, un concurrent stratégique et un rival systémique – c’est ce qu’on appelle la stratégie du de-risking.

Six ans après son lancement, considérez-vous que cette stratégie soit un échec, alors que nous restons très dépendants de la Chine ? Êtes-vous favorable à faire de ce pays un partenaire privilégié de l’Europe, notamment en matière de transition écologique, alors que les États-Unis sont sortis des accords de Paris ? Vous revenez justement de Chine : pensez-vous que nous pourrions entamer avec elle une nouvelle relation pour les soixante prochaines années, comme elle semble le vouloir, fondée sur des partenariats, de la coopération et des préoccupations communes en matière environnementale et scientifique ?

M. Jorys Bovet (RN). Monsieur le ministre, vous êtes attendu en Algérie dimanche prochain. La semaine dernière, le verdict est tombé : Boualem Sansal, âgé de 75 ans et affaibli par de graves problèmes de santé, a été condamné à cinq ans de prison – une sentence qui, dans son état, s’apparente à une condamnation à mort. Ce jugement, qui condamne une supposée atteinte à l’unité nationale, bafoue les principes fondamentaux de la liberté d’expression, que la France défend avec constance.

Lors de leur entretien téléphonique lundi dernier, le président Macron et le président Tebboune ont convenu de relancer la coopération migratoire. Pourriez-vous apporter des précisions à ce sujet et confirmer que les laissez-passer consulaires seront bien délivrés, après des mois de refus de l’Algérie ?

Le président français a appelé à un geste de clémence pour Boualem Sansal, mais aucune garantie n’a été apportée. Quels leviers diplomatiques, économiques ou juridiques pourriez-vous activer pour obtenir sa libération ? Votre collègue Bruno Retailleau avait indiqué en février dernier que l’accord d’association passé entre l’Union européenne et l’Algérie pouvait peser dans le rapport de force : cette option est-elle toujours d’actualité ?

Mme Pascale Got (SOC). À la veille du sommet entre l’Asie centrale et l’Union européenne, qui se tiendra en Ouzbékistan, le Kazakhstan a annoncé la découverte d’un énorme gisement de terres rares, renfermant dix-neuf des trente-quatre matières critiques utiles à l’économie européenne. Ce pays pourrait donc devenir un fournisseur de la France et de l’Union européenne, mais il ne dispose pas des technologies nécessaires au développement de ce potentiel. En 2024, le président kazakh avait indiqué être dans l’attente d’un renforcement de l’industrie française dans son pays, afin d’introduire ces technologies.

L’Asie centrale est historiquement sous influence russe, mais elle est aussi liée à la Chine voisine. Qu’en est-il de l’action de la France en matière de terres rares, au Kazakhstan et dans le reste du monde ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre. S’agissant de la Chine, avant toute chose, nous devons régler le différend qui nous oppose à propos du cognac et de l’armagnac. Pour le reste, nous partageons une certaine responsabilité en matière de lutte contre le dérèglement climatique, puisqu’elle a défendu avec nous l’accord de Paris, il y a dix ans. Notre coopération économique, qui doit être fondée sur la réciprocité et l’équité, se rééquilibre. Nous entretenons également une coopération culturelle, universitaire et scientifique. Le nombre d’étudiants chinois en France a retrouvé les niveaux d’avant la pandémie, mais très peu d’étudiants français partent étudier en Chine.

Enfin, nous avons entamé un travail de coopération en matière de règlement des grandes crises internationales, mais de nombreuses discussions sont encore nécessaires pour faire converger nos vues. Nos deux pays sont membres permanents du Conseil de sécurité et garants du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Or force est de constater que la Chine – en soutenant l’effort de guerre de la Russie contre l’Ukraine, en soutenant l’Iran par l’achat de son pétrole, en soutenant directement ou indirectement la Corée du Nord – se trouve systématiquement du côté des puissances proliférantes, qui veulent se doter d’une arme nucléaire en violation du traité sur la non-prolifération, menaçant non seulement notre sécurité, mais aussi la sécurité globale. C’est sur ce dernier point que nous aurons le plus de chemin à parcourir pour rapprocher nos positions.

S’agissant de l’Algérie, l’accord de 1994 prévoit que les ressortissants algériens en situation régulière n’ont pas besoin d’un laissez-passer consulaire pour être réadmis sur leur territoire. Pour ceux qui n’ont pas de papiers, dans le cadre de la refondation de la relation franco-algérienne que les deux présidents ont appelée de leurs vœux, nous attendons que les autorités algériennes émettent les laissez-passer consulaires demandés par les autorités françaises. Enfin, nous avons bon espoir que Boualem Sansal fasse l’objet d’une mesure de clémence, souhaitée par le président Macron.

Les terres rares sont un sujet d’une grande importance. Nous nous sommes dotés d’une stratégie en 2022 visant à sécuriser nos approvisionnements et à identifier des pays partenaires. Je reviens d’ailleurs d’Indonésie, qui est l’un des principaux producteurs de nickel. Le Kazakhstan, dont le président était en visite officielle en France il y a peu, diversifie ses partenariats ; Orano y dispose de nombreux prospects.

Avec mon collègue Laurent Saint-Martin, nous travaillons de concert pour accélérer la concrétisation de partenariats avec les pays producteurs de terres rares, non pas dans une logique extractiviste ou colonialiste, comme certains de nos concurrents, mais dans une logique de respect de la souveraineté du pays qui nous accueille, en lui permettant de renforcer ses capacités et de tirer profit de l’exploitation de ses ressources.

M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie.

 

La séance est levée à 18 h 35.

*

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Nadège Abomangoli, M. Guillaume Bigot, M. Jorys Bovet, M. Pierre-Yves Cadalen, Mme Eléonore Caroit, Mme Sophia Chikirou, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, Mme Pascale Got, M. Michel Guiniot, M. Stéphane Hablot, M. Michel Herbillon, M. François Hollande, Mme Brigitte Klinkert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Maud Petit, M. Kévin Pfeffer, M. Jean-François Portarrieu, M. Pierre Pribetich, M. Franck Riester, M. Davy Rimane, Mme Sabrina Sebaihi, M. Aurélien Taché, Mme Liliana Tanguy

 

Excusés. - M. Gabriel Attal, Mme Christelle D'Intorni, M. Marc Fesneau, M. Perceval Gaillard, Mme Marine Le Pen, M. Laurent Mazaury, Mme Mathilde Panot, Mme Marie-Ange Rousselot, Mme Michèle Tabarot, M. Laurent Wauquiez, Mme Estelle Youssouffa