Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................23
Mercredi
11 décembre 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 063
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
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La Commission auditionne Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958)
M. le président Éric Coquerel. Nous poursuivons nos travaux avec l’audition de Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques, qui a succédé à ce poste à M. Jérôme Fournel, que nous avons déjà auditionné jeudi dernier.
Je rappelle que cette audition obéit au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Mme Amélie Verdier, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite à lever la main et à dire « je le jure ».
(Mme Amélie Verdier prête serment.)
Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques. Permettez-moi tout d’abord de vous dire que je suis heureuse de pouvoir répondre à vos questions, que la direction générale des finances publiques (DGFIP), comme les autres administrations, prennent très au sérieux. La prévision est un art difficile et même si certaines explications peuvent être données, quelques interrogations demeurent encore. J’aurai évidemment à cœur d’y répondre.
M. Fournel m’a indiqué qu’il devait des précisions à Mme Louwagie, notamment au sujet de l’impôt sur les sociétés (IS). J’en apporterai une partie lors de cette audition et il transmettra bien sûr les éléments attendus par écrit, comme il s’y était engagé.
En guise de propos liminaire, je reviendrai sur le rôle spécifique de la DGFIP en matière de prévisions. Je m’attarderai sur la manière dont fonctionnent les principaux impôts en jeu dans les écarts constatés. Je préciserai la manière dont la DGFIP transmet au ministre un certain nombre d’informations et, en fonction de vos attentes, je reviendrai sur l’exercice 2024 – ayant pris mes fonctions le 4 mars 2024, je ne peux pas commenter les plus anciens.
Que fait la DGFIP ? Elle tient les comptes de la plupart des acteurs publics, dont elle paie l’essentiel des dépenses, et encaisse environ la moitié des prélèvements obligatoires, pour en reverser une partie aux collectivités locales et aux caisses de sécurité sociale – vous avez évoqué ces flux lors d’une précédente audition. La DGFIP assure également la production des données comptables de l’État et suit celles des collectivités locales en cours d’année. Enfin, elle participe, mais de manière circonscrite, à l’élaboration des prévisions de recettes.
Trois acteurs contribuent à ces prévisions. Le premier est la direction générale du Trésor, une administration centrale, responsable en dernier ressort des prévisions macroéconomiques ou de finances publiques. Elle assure leur cohérence d’ensemble et garantit la meilleure prise en compte des premières pour affiner les secondes, et inversement. La direction générale du Trésor élabore les modèles de prévision, définit les trajectoires annuelles et pluriannuelles et assure la présentation des comptes en comptabilité nationale. En outre, elle intègre les informations que lui transmettent les autres administrations, dont la DGFIP, et décide de leur pondération, la prévision n’étant pas une science exacte.
Ensuite, des administrations assurent le recouvrement des recettes. Il s’agit bien sûr de la DGFIP mais également de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et des Urssaf, qui recouvrent principalement la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). Ces administrations produisent à échéances régulières des notes de suivi des encaissements, qui se rapportent à une prévision annuelle publique et à des prévisions mensuelles qui évoluent en cours d’année, au gré des informations disponibles.
Enfin, la direction du budget et la direction de la sécurité sociale (DSS) assurent la préparation et le suivi des recettes inscrites dans les textes financiers, respectivement le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Quant à elle, la direction de la législation fiscale (DLF), administrativement et fonctionnellement rattachée à la DGFIP mais qui est autonome et dépend directement des ministres, est chargée du chiffrage des mesures nouvelles, qu’elles soient prévues par le PLF initial ou introduites par des amendements. Elle travaille en lien avec la direction générale du Trésor, notamment sur les mesures les plus significatives, tandis que la DSS concourt au chiffrage des nouvelles recettes sociales. D’autres administrations peuvent contribuer à ces travaux : la commission de régulation de l’énergie (CRE) a par exemple été sollicitée dans le cadre de prévisions relatives à la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim).
J’en viens à présent à la manière dont sont réalisées les prévisions. Pour préparer la présentation publique d’une trajectoire, exercice qui offre l’occasion d’établir une prévision et le support d’une politique publique budgétaire ou fiscale, on fait l’hypothèse d’une politique inchangée, avant de tenir compte d’éventuels arbitrages. Plus précisément, les prévisions sont élaborées en trois temps. Le premier correspond à un amorçage, réalisé en fonction d’hypothèses macroéconomiques – croissance, inflation, base taxable, dynamique de revenus, bénéfices des entreprises, etc. Les informations fournies par la DGFIP, notamment les données comptables et extracomptables des exercices passés, ainsi que la dynamique passée des composantes de la croissance, sont alors prises en compte pour alimenter les premières prévisions d’hypothèses macroéconomiques.
La direction générale du Trésor fait ensuite la synthèse de ces prévisions et fournit ainsi la matière d’une vision globale de la croissance et des finances publiques – elles sont liées – à politique constante. Avant la présentation des textes financiers, il est donc possible de mesurer l’écart entre la trajectoire que suivront spontanément les finances publiques et les objectifs fixés, et d’envisager les dispositions nécessaires pour les atteindre. Dans certains pays – la France n’en a pas fait partie ces dernières années, faute d’une marge budgétaire suffisante –c’est lors de cette phase que des baisses d’impôts ou des dépenses supplémentaires sont prévues.
Les arbitrages politiques concluent ce processus. Cibles et mesures sont retenues, à l’issue du dialogue qui suit le travail technique, analytique et précis réalisé pour chacune des mesures envisagées. Les prévisions de rendement de chaque impôt sont ainsi préparées de manière assez consensuelle, en tenant compte de données macroéconomiques et d’éléments microéconomiques. Cette méthode, certes empirique, nous semble la meilleure – ou la moins mauvaise –, pour obtenir l’information que nous cherchons.
C’est lors de la deuxième phase, celle de l’établissement des prévisions budgétaires à politique constante, que la contribution de la DGFIP est la plus importante : nous exploitons autant que possible les informations déclaratives et comptables, mais aussi nos constats. Avant un exercice budgétaire, notre rôle est donc de contribuer à la définition de la trajectoire et des prévisions, puis, en cours d’exercice, il nous revient de vérifier que les rentrées fiscales, mensuelles ou non, correspondent bien à nos anticipations. Le ministre a transmis au rapporteur les notes qui décrivent, pour chaque impôt, l’état des recettes ; elles sont assorties d’éclairages portant sur les dépenses locales en cours d’années.
À partir de juin, les informations infra-annuelles éclairent la prévision des recettes de l’année en cours ; en juin et juillet pour les budgets économiques, puis en août, lors de la définition du compte du PLF, ces prévisions sont affinées en vue de la présentation des textes budgétaires ; dans les derniers mois de l’année – octobre et novembre –, notre suivi se fait plus attentif et notre information aux ministres devient aussi précise que possible, même si les données que nous traitons sont parfois contradictoires et rarement toutes disponibles avant la rédaction des textes financiers. Notre rôle porte sur les recettes fiscales – si ce n’est toutes, au moins l’essentiel – dont nous assurons le recouvrement et nous distinguons les recettes fiscales brutes des remboursements et dégrèvements. Ceux-ci sont comptabilisés dans la mission budgétaire idoine et diminuent le niveau des recettes brutes ; leur montant varie au cours de l’année, ce qui rend plus difficile l’exercice de prévision.
La direction générale des finances publiques produit des données en comptabilité budgétaire, mais fournit à la direction générale du Trésor des données utiles à l’établissement des comptes en comptabilité nationale, notamment relatives à la TVA. S’agissant des collectivités territoriales, nos prévisions portent, pour l’essentiel, sur les recettes d’impôts locaux. Celles-ci sont ensuite reversées aux collectivités dans un compte d’avance – je simplifie volontiers, mais sachez que des mécanismes particuliers peuvent s’appliquer à certaines recettes. Nous assurons également le suivi des dépenses et des comptes de ces collectivités, sachant d’une part que ces comptes ne sont pas établis en comptabilité nationale et d’autre part qu’ils sont suivis avec une journée de décalage, contrairement à ceux de l’État, suivis en temps réel.
Évoquons à présent les trois principaux impôts – l’impôt sur le revenu (IR), la TVA et l’impôt sur les sociétés (IS) –, les mécanismes qui leur sont propres et notre capacité à prévoir leurs recettes. Alors que les deux autres sont liquidés directement par le contribuable, l’impôt sur le revenu est perçu par voie d’émission de rôle : il revient à l’administration fiscale de calculer son montant. Le rendement de l’impôt pour l’année en cours résulte du barème prévu par la dernière loi de finances initiale (LFI) votée – à ce jour, nous continuons donc d’appliquer le dernier barème adopté, celui de 2024. Ce barème est appliqué aux revenus de l’année précédente, bien que ceux-ci ne soient pas encore complètement connus au moment où le projet de loi de finances est préparé : nous devons donc croiser la dynamique prévisionnelle des revenus, fournie par la direction générale du Trésor, et notre anticipation du taux moyen de prélèvement et de retenue à la source en amont de l’exécution. Nous sommes contraints de travailler sur des hypothèses, car nous intervenons avant de pouvoir constater l’émission : en 2024, les premières émissions d’IR, payées sur les revenus de l’année 2023, ont eu lieu pendant l’été. C’est d’ailleurs en septembre que les contribuables peuvent ajuster leur taux de prélèvement à la source.
L’impôt sur le revenu possède une dynamique relativement proche de celle de la croissance nominale de l’année précédente, puisqu’il est assis sur les revenus perçus lors de celle-ci. Toutefois, de nombreux facteurs peuvent provoquer un écart à la tendance, qu’il soit positif ou négatif, ne serait-ce que parce que l’indexation des tranches du barème ne coïncide pas toujours avec l’inflation constatée ex post, que des remboursements et crédits d’impôt peuvent s’appliquer du fait de changements législatifs ou de changements de comportements – nous établissons d’ailleurs des prévisions de comportements – ou que l’impôt sur le revenu peut être conjugalisé. Pour toutes ces raisons, la prévision des recettes de l’impôt sur le revenu n’est fiable qu’à la toute fin de l’année en cours ; elle est affinée à partir de l’été, après les premières émissions, et des ajustements de taux de prélèvement peuvent avoir lieu en septembre. Nous observons alors l’effet des remboursements et crédits d’impôt déclarés par les contribuables : le plus souvent incitatifs ou rendus possibles par la situation du contribuable, ils ne sont pas liés à une dynamique macroéconomique. Compliquent encore nos prévisions d’impôt sur le revenu le rendement des années antérieures – certains contribuables paient leur impôt avec retard – et le résultat des contrôles.
La TVA est un impôt liquidé par le contribuable lui-même et l’administration n’en fixe pas le montant à atteindre : c’est ce qui fait toute son efficacité ! La prévision de recette de TVA est directement fonction de la dynamique de l’assiette taxable, c’est-à-dire d’hypothèses de consommation et d’investissement en valeur nominale, précisées par des hypothèses d’inflation. Nous y reviendrons.
On peut dire que la TVA est l’impôt le plus directement lié à la prévision de croissance économique et à la dynamique des prix, puisque l’évolution de son rendement en cours d’année est traditionnellement un indicateur fiable de la conjoncture. Il arrive cependant qu’on constate un écart entre le taux de croissance nominale et l’évolution des recettes de TVA. Cette dernière dépend en effet des demandes de remboursement de crédits de TVA que peuvent faire valoir ou non les entreprises – en l’occurrence, l’exercice de cette faculté a pu expliquer de récents écarts à la prévision –, mais également de la composition de la croissance – à niveau de croissance économique donné et toutes choses égales par ailleurs, les niveaux respectifs de la consommation intérieure et de la consommation de produits importés font varier les recettes de TVA – ou de l’inflation.
Enfin, l’impôt sur les sociétés, est le plus difficile à prévoir. Il a été conçu pour donner aux entreprises une grande latitude dans le versement d’acomptes à l’administration des finances publiques. Cette dernière s’assure bien que les sommes dues ont été payées, mais les entreprises peuvent souvent déterminer elles-mêmes l’exercice pendant lequel elles s’acquittent de l’IS. Cet impôt est calculé grâce à une estimation du bénéfice fiscal de l’année en cours, année pendant laquelle il est versé en quatre acomptes. Ensuite, le solde de l’impôt – positif ou négatif – est acquitté en mai de l’année suivante, une fois le bénéfice fiscal calculé. Il est à noter que les plus grandes entreprises sont tenues de verser un cinquième acompte avec le quatrième, au cours du mois de décembre de l’année en cours.
La prévision de cet impôt est particulièrement ardue, car les entreprises ont la faculté légale d’autolimiter le versement des acomptes, si elles anticipent un bénéfice fiscal moindre que prévu. Ainsi, l’IS est l’impôt le plus volatil et celui qui réagit le plus à la conjoncture, ce qu’a démontré l’effondrement de ses recettes lors de la crise financière de 2008 ou, mais dans une moindre mesure, lors de la crise du covid. Il a en fait été conçu pour servir d’amortisseur automatique des fluctuations cycliques et refléter les résultats économiques des entreprises, qui déterminent ses taux, mais son solde au titre d’une année ne peut être connu que l’année suivante. Ainsi, nous n’avons pu comprendre le comportement de l’impôt sur les sociétés de 2023 qu’en exploitant les liasses fiscales éditées en mai 2024, mais nous avions formulé plus tôt certaines hypothèses explicatives. Comme l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés peut faire l’objet de crédits, imputés sur l’impôt dû ou restitués par l’administration fiscale. Ils sont d’autant plus difficiles à prévoir qu’ils sont censés être incitatifs.
Je ne m’étendrai pas autant sur les informations transmises aux ministres. Celui-ci reçoit des notes de suivi des recettes et des états budgétaires comptables. Nous avons résolu de mieux formaliser et expliciter les écarts de prévision constatés, tirant en cela les enseignements de la période la plus récente.
M. le président Éric Coquerel. Lors de son audition, votre prédécesseur a esquissé une explication de l’augmentation des remboursements de TVA. Elle serait liée à l’augmentation des taux d’intérêt, qui inciterait les entreprises à dégager de la trésorerie en demandant le plus rapidement possible les remboursements. En raison de ce phénomène, la TVA serait déjà inférieure d’un milliard d’euros par rapport aux prévisions du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG). Pourtant, nous avons déjà connu des taux aussi élevés, et même plus élevés. Les conséquences de l’augmentation des taux, qui étaient annoncées, ont-elles été suffisamment prises en compte lors de l’élaboration de la prévision ?
Mme Amélie Verdier. Je souscris à l’explication qui vous a déjà été donnée par Jérôme Fournel, les demandes de remboursement de crédits de TVA ont été plus importantes qu’habituellement. Par ailleurs, nous avons bel et bien pu enregistrer des taux d’intérêt plus élevés que ceux actuellement constatés, mais les années 2023 et 2024 ont été précédées par une période de resserrement progressif des conditions d’accès au crédit – souvenons-nous qu’avant la pandémie de covid, les taux d’intérêt étaient négatifs, mais qu’ils sont remontés tandis que l’inflation progressait. De plus, les entreprises conservent une certaine liberté quant au moment où elles présentent leurs demandes de remboursement de crédits de TVA, même si cette latitude est moindre que celle que leur offre l’impôt sur les sociétés. Enfin, le rythme de traitement des demandes par les services de la DGFIP constitue un autre facteur d’incertitude quand il s’agit de déterminer le montant de la TVA encaissée en comptabilité budgétaire. Il n’affecte toutefois pas la comptabilité nationale, qui détermine le montant de la TVA nette en fonction des demandes, et pas non plus le montant de la TVA nette finalement estimée, mais joue lors du relevé des comptes, à la fin du mois de janvier : c’est à cette période que les ministres communiquent sur le solde budgétaire et les recettes fiscales de l’année précédente et annoncent le montant de la TVA budgétaire.
Les remboursements de TVA ont été étroitement suivis, car nous souhaitions comprendre pourquoi la TVA nette était inférieure à celle que nous estimions. Il y a un peu plus d’un an maintenant, nous avions rehaussé nos anticipations de remboursement de TVA, pour constater qu’ils n’étaient pas si élevés. Une hausse tardive a bien été constatée, mais plus tard : nos prévisions ne sont pas figées et nous essayons de comprendre au mieux la dynamique de ces remboursements. En l’occurrence, nous observons, comme Jérôme Fournel, que toutes choses égales par ailleurs, y compris les taux d’intérêt, les entreprises présentent plus vite et dans des proportions plus importantes leurs demandes de remboursements de crédit de TVA. Nous imputons ce phénomène aux conditions de financement, mais la DGFIP ne fait qu’observer les liasses fiscales et les demandes qui lui sont présentées.
M. le président Éric Coquerel. Lors de l’audition précédente, que vous avez eu le temps d’écouter, M. Moulin constatait que la consommation populaire n’était pas remontée au niveau attendu en dépit d’une baisse de l’inflation, et que celle-ci étant en outre plus importante que prévu, il en était résulté une baisse des recettes de TVA. Auriez-vous pu prévoir ce phénomène ?
Mme Amélie Verdier. La DGFIP n’établit pas de prévisions macroéconomiques, mais utilise les données fournies par la direction générale du Trésor. Par ailleurs, vous vous souvenez certainement que l’inflation anticipée au moment de la présentation du PLF pour 2024 était plus élevée que celle que nous avons effectivement constatée. Le revenu disponible des ménages restant assez dynamique, nous aurions pu nous attendre à une consommation elle-même dynamique, conformément aux modèles de prévision classiques. Or cette prévision n’est pas tout à fait vérifiée et les recettes mensuelles de TVA nette ne sont pas à la hauteur du niveau anticipé, raison pour laquelle nous avons révisé leur montant entre la présentation du programme de stabilité 2024 et celle du PLF pour 2025.
M. le président Éric Coquerel. Sur l’impôt sur le revenu, on observe une dynamique similaire. Comme le souligne une note de vos services du 12 novembre 2024, l’IR 2023 s’est avéré bien en deçà des attentes, notamment en raison du montant des réductions et crédits d’impôt, bien plus important qu’envisagé : depuis 2022, ce montant augmente de 6 % chaque année. Pour 2024, le rendement inférieur aux prévisions s’explique à hauteur de 0,6 milliard d’euros par les réductions d’impôt et de 1,2 milliard d’euros par les crédits d’impôt. Or il s’agit d’une des composantes les moins prévisibles du solde d’IR. Devons-nous donc en conclure que la politique actuelle, qui comporte des dispositifs qui permettent à ceux qui payent le plus d’impôts d’en réduire le montant, contribue en partie aux difficultés que nous avons connues sur les prévisions de recettes en 2023 et 2024 ?
Mme Amélie Verdier. Factuellement, nous pouvons considérer que les réductions d’impôt profitent aux ménages les plus aisés, tandis que les crédits d’impôt profitent à tous les ménages. Nous avons d’ailleurs publié une note d’analyse des effets de chaque crédit d’impôt, que nous tenons à la disposition de la commission, car nous nous sommes nous-mêmes interrogés à ce sujet.
Le crédit d’impôt associé aux services à la personne présente une dynamique notable, signe qu’un certain nombre de ménages en bénéficient, alors même qu’aucune nouvelle disposition législative n’a modifié son mécanisme. Rappelons qu’il vise à soutenir les ménages recourant à l’emploi à domicile pour assurer la garde d’enfants, l’aide à des personnes âgées ou la réalisation de menus travaux, mais également à décourager le recours au travail non déclaré.
M. le président Éric Coquerel. Vous n’évoquez là qu’un crédit d’impôt parmi d’autres.
Mme Amélie Verdier. Certes, mais ce crédit d’impôt atteint un montant très significatif, de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros. De plus, il est l’un de ceux qui ont présenté une véritable dynamique dans la période la plus récente et nous en avons d’ailleurs été surpris. Nos analyses n’ayant révélé aucune atypie et ses contrôles ne présentant pas de spécificités, nous pouvons affirmer que ce crédit se développe sous l’effet du comportement de ménages qui souhaitent en bénéficier.
M. le président Éric Coquerel. Les crédits et réduction d’impôt peuvent-ils perturber vos prévisions ?
Mme Amélie Verdier. En 2024, nous avons révisé nos prévisions de recettes d’impôt sur le revenu de 2,6 milliards d’euros, entre la présentation du programme de stabilité et la présentation, à l’appui du PLF pour 2025, du budget révisé pour 2024. Or la moitié de cette révision est justifiée par un ajustement de notre estimation des remboursements et crédits d’impôt, le reste l’étant par les émissions et les effets du barème. Ainsi, les mécanismes fiscaux eux-mêmes peuvent provoquer une révision de nos prévisions, sans évolution de la conjoncture économique.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous constatons, au gré des auditions et à la consultation des documents que nous avons reçus, une optimisation des prévisions. Il semblerait que certains curseurs n’aient pas été poussés assez loin, ce que nous pouvons désormais apprécier en toute objectivité. En la matière, quelle est le rôle ou l’influence du politique, des ministres ? Quel lien entretenez-vous, quotidiennement ou régulièrement, avec vos ministres de tutelle, avec Matignon et avec le secrétariat général de l’Élysée ? Avez-vous, personnellement, un lien direct avec le premier ministre et avec le président de la République, qui auraient pu contribuer à l’élaboration de vos prévisions ?
Mme Amélie Verdier. Si je vous comprends bien, vous jugez que nous nous sommes montrés optimistes dans nos prévisions. Ayant occupé plusieurs postes au sein du ministère des finances, je peux toutefois vous assurer que nous avons plus souvent été surpris par des recettes fiscales meilleures que prévu que par des recettes inférieures à celles que nous avions anticipées. Cela dit, je comprends que vous vous interrogiez sur les recettes fiscales moindres des exercices récents et je m’efforcerai de répondre à vos questions. Sachez que je n’ai pas constaté d’optimisation ou de biais systématique, au contraire et permettez-moi d’insister sur le fait que des observateurs extérieurs se sont récemment prononcés à ce sujet : nous disposons désormais d’un rapport de la Cour des comptes sur les recettes fiscales et d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), demandé par les ministres. J’ajoute que le Haut Conseil pour les finances publiques (HCFP) a imposé une plus grande discipline, en exigeant la cohérence d’ensemble de nos prévisions.
Notre rôle est de préparer des prévisions et il revient aux ministres de présenter leurs choix. Quitte à le dire trivialement, nous n’avons d’ailleurs pas intérêt à nous montrer trop optimistes : en effet, des observateurs se prononcent sur nos prévisions et nous devons rendre compte de l’exécution budgétaire. Tout au long de l’année 2024, les débats internes à la DGFIP ou menés entre administrations ont conclu à la nécessité de faire attention à deux risques, celui de se montrer trop optimistes au regard d’une conjoncture économique que nous n’appréhendions manifestement pas parfaitement – nous peinons à comprendre pourquoi, alors que la croissance se tient, les recettes de TVA sont moindres que prévu – et celui de noircir excessivement le tableau
S’agissant de l’impôt sur le revenu, nous nous efforçons d’analyser la dynamique des remboursements et crédits d’impôt, ainsi que l’écart entre la dynamique des revenus et le barème. S’agissant de la TVA, nous examinons la dynamique des demandes de remboursement de crédits et nous nous sommes interrogés, sans toutefois l’observer, sur l’existence d’une éventuelle déformation de la consommation, qui aurait conduit les ménages à privilégier les produits à taux réduit ou super-réduit. Toutes ces démarches ont pour objectif d’améliorer notre capacité de prévision.
Venons-en à mes éventuels liens avec l’exécutif. Je n’échange pas régulièrement avec les ministres au sujet des prévisions : la DGFIP a pour mission de fournir leur base technique, charge à la direction générale du Trésor de les intégrer à l’exercice d’ensemble. En tant que directrice générale, je participe assez régulièrement – mais pas systématiquement – aux réunions de préparation de l’arbitrage définitif du compte, tel qu’il sera présenté dans le cadre du projet de loi de finances. Le directeur général du Trésor en réalise la présentation et nous pouvons être amenés à exprimer notre opinion, sachant encore une fois que la prévision n’est pas une science exacte. Depuis que je suis directrice générale, je constate que nous sommes collectivement attentifs aux dernières informations disponibles et à leur cohérence, et c’est justement cette attention qui nous permet, si la date de présentation des textes financiers n’est pas passée, d’apporter des modifications.
Enfin, je n’ai pas de contacts avec l’Élysée. J’ai pu en avoir lors de ma prise de fonction, mais je n’en ai pas au sujet des prévisions économiques. Mes contacts avec Matignon restent exceptionnels : j’ai seulement participé à une réunion avec les services du premier ministre dans le contexte particulier du mois de septembre 2024.
M. Éric Ciotti, rapporteur. L’hypothèse d’atterrissage du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 vous paraît-elle réaliste, compte tenu du niveau de recettes dont vous avez connaissance à ce jour ?
Mme Amélie Verdier. La loi de finances de fin de gestion pour 2024 a été promulguée le 6 décembre. Le PLFG a été présenté une semaine plus tard cette année, sur la proposition des administrations tirant les enseignements de l’exercice 2023. Ce décalage a permis d’intégrer davantage d’informations tout en ménageant le temps suffisant à l’adoption du texte, indispensable à l’engagement de la dépense en cas de recours devant le Conseil constitutionnel.
Nous sommes relativement confiants pour l’IR, pour lequel nous disposons de données d’émission et d’encaissement à jour, même si elles ne sont pas définitives. Sur la TVA, vous avez constaté que le gouvernement avait souhaité effectuer une révision d’ampleur modeste, prenant en compte les dernières informations sur la baisse de son produit couplée à la hausse d’autres impositions. Cette opération était possible cette année, mais ne l’était pas l’année dernière compte tenu de la date d’examen du texte.
Nous ne disposons pas des données d’exécution des mois de novembre et décembre, mais nous sommes raisonnablement confiants. Comme chaque année, je ne dirai rien sur l’IS tant que nous n’aurons pas connaissance des chiffres du cinquième acompte. La prévision est cohérente avec le scénario global de croissance et les estimations du bénéfice fiscal. Je ne me risquerai pas à revenir sur le détail des données, d’autant plus que c’est mon collègue de la direction générale du Trésor qui est le mieux placé pour le faire à cette période de l’année.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Constatez-vous une décorrélation entre la macroéconomie et les prévisions de recettes ? Plusieurs comportements et éléments macroéconomiques apparaissent comme erratiques, que l’on pense à l’inflation, aux taux d’intérêt ou aux prix de l’électricité. Ce dérèglement est-il lié au premier choc qu’a connu notre économie, à savoir la crise sanitaire et la réponse budgétaire massive qui lui a été apportée ?
Mme Amélie Verdier. Je ne suis pas forcément la mieux placée, depuis la direction qui procède aux encaissements, pour répondre à votre question, mais, davantage qu’une prévision, je peux vous donner un sentiment. Nous verrons dans la durée si la déconnexion de l’élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance est durable ou non. Le niveau d’élasticité a causé une surprise à la hausse en 2021 et en 2022 après le covid, puis à la baisse en 2023. Comment élaborer des prévisions correctes dans ce contexte ? Nous examinerons le résultat de 2024 pour déterminer quelle est l’ampleur de l’évolution des recettes par rapport à celle de la croissance.
Il ne me semble pas que l’on puisse parler de dérèglement ou de déconnexion. Les variations sont importantes et répétées, ce qui est nouveau et inquiétant : mes équipes et moi passons beaucoup de temps à analyser les causes des écarts sur les recettes des trois principaux impôts. Nous sommes attentifs aux encaissements comptables. L’inflation a été un peu moins élevée que prévu en 2024 : le scénario macroéconomique prévoyait une relative accélération au deuxième semestre par rapport au premier, notamment sous l’effet positif pour les recettes des Jeux olympiques que l’on a effectivement constaté mais sans doute pas avec l’ampleur attendue.
Contrairement à 2008 ou à 2012, le PIB ne s’effondre pas et nous nous interrogeons sur les modalités de consommation. L’évolution du revenu disponible des ménages reste dynamique : un tel phénomène soutient traditionnellement la consommation, mais nous ne constatons pas ce lien, qui se matérialisera peut-être avec retard comme cela se produit parfois.
Il est très difficile de prévoir le produit de l’IS en temps réel. Nous avons été fortement surpris, dans un sens positif, en 2022. Nous nous sommes replongés, avec mon collègue de la direction générale du Trésor, sur les estimations du bénéfice fiscal sur lesquelles la prévision était assise : notre hypothèse d’un bénéfice fiscal en hausse de 14 % était qualifiée de très prudente par certains. Sa croissance n’a finalement pas dépassé 1 %, cet écart entraînant des effets immenses sur l’IS.
Pour établir l’existence d’une décorrélation entre l’évolution des prélèvements obligatoires et celle de la croissance, il faudra qu’elle se répète pendant plusieurs années. Le covid a eu un effet économique que l’on n’a pas encore totalement appréhendé. Un soutien massif a été apporté à l’économie par une hausse de la dépense publique directe et par les prêts garantis par l’État (PGE) aux entreprises. Cette politique a amorti la crise. Actuellement, les redressements judiciaires et les liquidations d’entreprise augmentent, mais le rattrapage des liquidations qui ne se sont pas faites pendant la crise sanitaire n’est pas achevé. Cette crise et celle de l’inflation tirée par les prix de l’énergie ont eu un impact économique qui n’a pas été parfaitement appréhendé. Mes collègues directeurs ont souligné que l’office indépendant chargé des prévisions au Royaume-Uni s’était également trompé.
Nous continuons à améliorer nos prévisions : notre compréhension de l’impact des événements économiques récents reste imparfaite et nous ajustons en temps réel, en informant les ministres et le Parlement aux échéances prévues, les données contenues dans les textes.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Pour améliorer les prévisions, nos collègues sénateurs proposent d’établir un montant net de l’IS à partir du mécanisme d’autolimitation que vous avez évoqué. La semaine dernière, Jérôme Fournel nous a dit qu’une telle latitude était nécessaire pour les entreprises. Portez-vous un regard positif sur cette proposition ?
Mme Amélie Verdier. Sans changer la nature de l’impôt ni affecter la capacité d’action des entreprises, nous pourrions améliorer nos prévisions en demandant aux sociétés de nous communiquer plus précocement certains éléments. Accorder une grande liberté d’action sur un impôt qui affecte directement leur résultat me semble cohérent sur le plan économique.
Une note récente de l’Institut des politiques publiques (IPP) revient sur la latitude donnée par l’État sur la mécanique de l’IS, laquelle rend difficiles les prévisions mais donne une capacité de réaction aux entreprises. Le choix d’instaurer un cinquième acompte visait à faire profiter plus rapidement l’État d’une dynamique fiscale favorable, mais l’autolimitation reste importante. D’autres options sont possibles, mais celle-ci rend l’IS particulièrement réactif à la conjoncture, ce qui est plutôt une bonne chose pour un impôt qui dépend des résultats.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Comment expliquez-vous, pour l’année 2024, la divergence entre la prévision, assez prudente, du besoin de financement des collectivités locales et l’exécution, aussi bien en investissement qu’en fonctionnement ?
Mme Amélie Verdier. Comme nous tenons les comptes et que les collectivités locales bénéficient du mécanisme de la journée complémentaire, nous sommes en retrait par rapport au constat effectif des dépenses et des recettes. Une trajectoire avait été travaillée dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, qui constituait la référence partagée. Une note de mon prédécesseur, transmise aux rapporteurs, analysait la situation financière des collectivités locales au début de l’année 2023 : elle montrait que celles-ci se trouvaient globalement en très bonne santé financière, même s’il est difficile de raisonner en moyenne compte tenu de leur nombre et de leur diversité. Ce constat restait vrai au début de l’année 2024, même s’il fallait le nuancer pour la strate départementale, et la situation des collectivités locales était meilleure qu’avant le covid.
Il n’était donc pas facile d’anticiper une dégradation de leur besoin de financement, même si certaines recettes, notamment celles liées aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), étaient relativement volatiles. Or les DMTO se contractent fortement depuis 2023, même si la dégradation semble ralentir et tourne actuellement autour de 20 % – taux qui reste néanmoins élevé. Quant aux dépenses, la programmation d’un effort des collectivités a tenu compte du caractère relativement dynamique de certaines dépenses. Jusqu’à présent, les collectivités n’avaient pas souhaité détériorer leur capacité de financement ou accroître leur besoin, mais la situation a changé. Elles disposaient d’une capacité de financement supérieure à son niveau d’avant la crise sanitaire et elles ont commencé à consommer cette marge, pratique jusqu’alors inédite.
M. le président Éric Coquerel. Vous établissez une corrélation entre la baisse du rendement de la TVA et le ralentissement de l’inflation, et vous dites que l’erreur de prévision provient de l’augmentation continue de l’épargne : est-ce bien cela ?
Mme Amélie Verdier. Oui, nous avions anticipé un certain dynamisme de la consommation, mais celui-ci, quoique réel, s’est révélé moins fort qu’attendu.
M. le président Éric Coquerel. Quand vous dites que la consommation reste orientée à la hausse, même dans une dimension amoindrie, prenez-vous en compte la moyenne globale ou l’évolution pour chaque décile de revenus ? L’Insee vient de publier des données montrant que la consommation et le pouvoir d’achat décroissent pour les foyers appartenant aux sept premiers déciles et progressent fortement pour les ménages des trois déciles supérieurs. Or ce n’est pas la consommation des plus riches qui est à même de doper la croissance, c’est celle des classes moyennes et populaires. Dans un tel contexte, comment affinez-vous vos prévisions ? Retenez-vous seulement des moyennes ou travaillez-vous décile par décile ?
Mme Amélie Verdier. Je suis un peu gênée par votre question, parce que la DGFIP ne va pas du tout dans ce niveau de précision : les emplois taxables forment une donnée entrant dans les prévisions ; elle est élaborée par la direction générale du Trésor, qui étudie sans doute les chiffres auxquels vous faites allusion mais je ne peux pas vous en dire davantage. De notre côté, nous analysons les liasses des chiffres d’affaires ainsi que les dynamiques par secteur, à partir des informations que nous récupérons auprès des entreprises.
M. le président Éric Coquerel. Je poserai cette question à Bruno Le Maire demain.
M. Matthias Renault (RN). Une note de la direction générale du Trésor datant de l’été 2023 indique qu’un écart significatif commence à apparaître entre la prévision de la loi de finances pour 2023 et l’exécution du budget. La situation mensuelle de l’État, établie par la DGFIP, commence à fortement se dégrader à partir de juin 2023. Le solde structurel affiche alors un écart de 40 milliards d’euros par rapport à l’année précédente. À quel moment de l’année 2023, avez-vous été alertée d’une baisse des rentrées fiscales ? Quand en avez-vous fait part à la direction générale du Trésor voire au ministre ?
Mme Amélie Verdier. J’ai pris mes fonctions en mars 2024, mais j’ai reconstitué les notes : à la fin du mois de juillet 2023, les recettes de TVA étaient effectivement en retrait, tant en comptabilité budgétaire que nationale, mais elles ont retrouvé la ligne des prévisions dès la fin du mois d’août.
Je ne sais pas quand ces informations ont été intégrées dans la note à laquelle vous faites allusion, mais au moment de l’élaboration du projet de loi de finances pour 2024 et de la révision de l’exécution de l’année en cours, les derniers éléments disponibles ne montraient aucun écart. La note de mon prédécesseur sonnant l’alerte date du 27 novembre : elle indiquait que les chiffres du mois d’octobre faisaient apparaître une moins-value d’un milliard d’euros en TVA budgétaire et un peu plus en comptabilité nationale.
Je ne connais aucune note de la DGFIP faisant état d’un écart de 40 milliards d’euros dans le solde structurel et je serais étonnée qu’une telle note de la direction du budget existe car le sujet relève plutôt de la comptabilité nationale.
M. Matthias Renault (RN). Je faisais allusion à la situation mensuelle de l’État, publiée chaque mois par la DGFIP. En juin 2023, la dégradation du solde structurel par rapport à l’année précédente atteignait 40 milliards d’euros.
Mme Amélie Verdier. J’étais directrice du budget, donc je vois à quoi ressemblent les situations mensuelles d’exécution : elles sont très difficiles à lire, car si le profil des recettes fiscales, que nous vérifions chaque année, est à peu près établi, par exemple celui de la TVA qui n’est affecté par aucune saisonnalité et dont les recettes sont, à moyen terme, presque une fonction affine de la croissance malgré quelques soubresauts liés aux demandes de remboursements de crédits, la dépense de l’État peut souffrir d’un effet calendaire lié à des versements importants à une collectivité, à un compte d’avance ou au prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne : nous expliquons ces phénomènes dans les communiqués de presse de présentation des situations mensuelles budgétaires. Nous essayons de dresser des comparaisons mensuelles, mais celles-ci sont complexes : sur la masse salariale, de telles comparaisons sont pertinentes d’une année sur l’autre, car les effets de volume et de prix rendent relativement bien compte de l’évolution globale ; nous pouvons lisser la masse salariale de l’État car nous savons quand sont recrutés les professeurs, par exemple, mais un tel exercice n’est pas possible pour toutes les dépenses.
Je comprends votre raisonnement, mais devant un écart, même élevé, à la fin du mois de juin sur la situation du budget de l’État, mon premier réflexe serait de vérifier la présence d’effets calendaires. Il y a eu indéniablement un écart sur l’exécution budgétaire de 2023 : le communiqué de presse du 24 janvier 2024 explique que les recettes nettes du budget général ont été inférieures de 7,8 milliards d’euros à la prévision et que les dépenses ont également été plus faibles qu’attendu, le total faisant apparaître, à la fin de l’année, un solde pas si éloigné de celui inscrit dans la loi de finances de fin de gestion.
M. Matthias Renault (RN). En juin et juillet 2023, les éléments remontant à la DGFIP n’ont déclenché, si je vous comprends bien, aucun affolement ?
Mme Amélie Verdier. À partir de ce que j’ai pu reconstituer, la direction s’est interrogée sur la TVA, mais le doute a été globalement levé en août et en septembre, même si le résultat de fin d’année s’est révélé mauvais. En juin, nous ne disposions pas des émissions d’IR, donc il n’y avait pas de raison de s’inquiéter ; quant à l’IS, nous vivions encore dans le climat des excellentes nouvelles relatives à son solde et au niveau très élevé du bénéfice fiscal l’année précédente. Cela ne fait pas tout, mais je ne voyais pas de point d’alerte. La note de la direction générale du Trésor reposait peut-être sur des informations qui sont absentes des éléments produits par la DGFIP.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Une note du 27 novembre 2023 indique que les recettes de TVA sont plus faibles que prévu. Pourtant, quelques jours plus tard, le 7 décembre, le gouvernement affirme que les notes de la DGFIP ne soulèvent aucun problème sur le rendement de la TVA. Peut-on considérer que la décision de ne pas prendre en compte cette trajectoire dans le PLF a fragilisé ce dernier ?
À partir de quand les estimations de l’IS deviennent-elles signifiantes ? Est-ce impossible de disposer de données solides au moment de l’élaboration du PLF ? Si tel était le cas, cela constituerait un véritable problème puisque cet impôt représente une part considérable des recettes de l’État. Les personnes auditionnées nous ont dit qu’elles n’avaient aucun élément sur la baisse du rendement de l’IS, alors que le phénomène s’est déjà produit en 2023.
Mme Amélie Verdier. Une note du 30 octobre affirmait que la TVA était en ligne avec les prévisions à la fin du mois de septembre. Un mois plus tard, dans la note du 27 novembre à laquelle je faisais allusion, mon prédécesseur faisait part de moins-values de TVA. Le dépôt du PLFG au Parlement a eu lieu le 31 octobre : ce texte est assis sur un compte – formé des lignes de prévision de recettes fiscales et de la prévision d’ensemble des finances publiques –, arrêté une dizaine de jours plus tôt pour être soumis au HCFP. Le 31 octobre, le gouvernement et son administration n’avaient pas connaissance de la dégradation du rendement de la TVA, ils savaient juste qu’après une inquiétude en juillet, celui-ci était revenu un mois plus tard dans la ligne de la prévision, redressement confirmé dans la note de fin octobre au moment du dépôt du PLFG. Celui-ci est définitivement adopté le 22 novembre et la note d’alerte date du 27 novembre. Nous ne disposions que de chiffres mensuels, non d’une analyse complète de la trajectoire. Mon prédécesseur a fait part de la mauvaise nouvelle sur le rendement de la TVA à la fin du mois de novembre et a écrit qu’il fallait surveiller la fin de l’année. À ma connaissance, personne à Bercy ne s’est à ce moment-là risqué à une prévision pour 2024, car toute l’attention était focalisée sur l’année en cours, 2023. Compte tenu du calendrier d’adoption des textes, il n’était plus possible de modifier le PLFG au moment où sont tombés les mauvais chiffres de TVA. Les données ont été publiées dès le 24 janvier dans une communication portant sur le solde budgétaire de 2023. Les services de la DGFIP ont travaillé avec ceux de la direction générale du Trésor pour refaire la prévision, à politique inchangée, des budgets économiques. Une nouvelle estimation de la TVA fut inscrite dans le programme de stabilité.
Il serait inexact de vous dire que nous ne savons pas estimer le rendement de l’IS. Les ministres ont demandé un rapport à l’Inspection générale des finances (IGF) et une étude de nos méthodes à des experts. Il y a une question sur la mise en exergue de la largeur de l’écart possible entre le rendement et sa prévision. En vertu de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), nous élaborons les prévisions les plus sincères possible en utilisant toute l’information disponible. Certains sénateurs ont proposé de faire une prévision nulle pour le cinquième acompte afin de laisser la place à d’éventuelles bonnes surprises : il me semble que le cadre juridique nous interdit une telle liberté, car nous sommes contraints d’élaborer des prévisions sincères. Nous essayons de prévoir au mieux le bénéfice fiscal et le résultat des quatrième et cinquième acomptes, mais il est possible de recevoir un chiffre négatif comme cela arrive, au plan microéconomique, pour les entreprises. Jusqu’au 15 décembre, nous devons faire avec l’incertitude du produit final de l’IS car nous ne connaissons pas le cinquième acompte. Celui-ci s’est souvent révélé meilleur qu’attendu dans la période récente, mais il peut également être moins bon, comme en 2023. Une fois que nous recevons le cinquième acompte, les services de la DGFIP recalculent l’estimation du bénéfice fiscal, mais ils n’ont pas les liasses des entreprises ; en début d’année 2024, ils avaient revu sa croissance à la baisse, de 14 % à 2 %, et ce n’est qu’en mai qu’il fut possible de connaître définitivement la croissance du bénéfice fiscal, finalement de 1 %. Les services exploitent les liasses et examinent la situation des acteurs bénéficiant le plus de certains dispositifs ou effectuant des déclarations étonnantes.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). De quelles informations précises sur les recettes disposaient les ministres en décembre 2023, au moment de l’adoption du PLF ? Pouvaient-ils identifier des marges de manœuvre et tirer des leçons pour 2024 de la situation des recettes de l’année 2023 ?
Mme Amélie Verdier. Encore une fois, je n’ai pas trouvé de note indiquant un effet des recettes de 2023 sur l’année 2024 : la direction générale ne pouvait qu’extrapoler, mais elle identifiait un risque de moins-values pour les recettes de 2023.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Calculez-vous l’impact sur les recettes et la croissance des mesures prises en cours d’année, notamment les décrets d’annulation de crédits ? Lorsque 10 milliards d’euros de crédits ont été annulés en février, avez-vous évalué l’effet de cette décision sur les recettes de l’État ?
Mme Amélie Verdier. Ce n’est pas la DGFIP qui procède à cette estimation. S’agissant de l’exemple que vous prenez, je ne pense pas qu’une nouvelle prévision ait été élaborée, parce que ces annulations de crédits ne diminuaient pas le revenu disponible des ménages – je l’ai constaté lors de ma prise de poste en apprenant que 100 millions d’euros avaient été annulés dans les crédits de la DGFIP. Ces annulations nous ont conduits à revoir la programmation de dépenses, mais sans effet direct et automatique. Dans le cadre de ses budgets économiques, la direction générale du Trésor établit des prévisions « bouclées », dans lesquelles elle évalue l’effet macroéconomique de telles mesures budgétaires.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous avez évoqué des différences dans les recettes fiscales entre la prévision du programme de stabilité et le rendement constaté. Vous avez notamment attribué ce fossé aux crédits d’impôt – vous avez évoqué le crédit d’impôt services à la personne (Cisap) –, aux réductions d’impôt et, me semble-t-il, aux déductions d’impôt : pourriez-vous nous donner le montant de ces écarts en les ventilant pour chaque catégorie ? Les déductions et les crédits d’impôt ne couvrent pas les mêmes domaines d’activité et j’aimerais savoir où les différences ont été les plus grandes.
Mme Amélie Verdier. Je pourrai vous transmettre ces éléments. Le Cisap a été dynamique ces deux dernières années, l’ensemble des crédits d’impôt ont augmenté de 1,3 milliard d’euros et les réductions d’impôt de 600 millions d’euros. S’agissant des impôts relatifs aux revenus de 2023, les remboursements d’impôt sur les dons aux œuvres ont progressé de 179 millions d’euros et le Cisap de 494 millions d’euros. La hausse du Cisap est due à un effet volume – le nombre de bénéficiaires a crû. Les crédits d’impôt dont le coût a connu la hausse la plus dynamique sont le prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus et capitaux mobiliers et le crédit d’impôt au titre des frais de garde des jeunes enfants. La somme globale est constituée de plusieurs montants élevés, mais ceux-ci sont relativement faibles par rapport au rendement total de l’IR – l’impôt sur le revenu net dans la loi de finances de fin de gestion pour 2024 est estimé à 88,1 milliards d’euros et la plus forte révision, celle du Cisap, est inférieure à 500 millions d’euros. Il faut prendre en compte l’effet généré par un revenu moins dynamique que la revalorisation du barème.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Pourrez-vous nous communiquer par écrit des éléments détaillés au sujet de 2023 ? Quant à 2024, j’imagine que vous disposez d’éléments qui permettront d’éviter que, s’agissant des prévisions sur la base desquelles sera construit le PLF pour 2025, finalement retardé pour les raisons que vous savez, les mêmes causes ne produisent les mêmes effets, à tout le moins pour l’impôt sur le revenu.
Mme Amélie Verdier. Les prévisions sont reprises dans l’annexe des voies et moyens. Nous faisons les meilleures estimations possibles, mais la plupart des éléments que je viens de citer sont comportementaux. Les modèles peuvent être apprenants, mais on ne demande pas à l’avance aux gens ce qu’ils veulent faire en matière de remboursements ou de crédits d’impôt.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Oui, mais comme tout est retardé, vous allez disposer d’informations concernant 2024 que l’on n’avait pas jusque-là.
Mme Amélie Verdier. Factuellement, oui, c’est sûr, mais je ne sais pas encore.
Mme Sophie Mette (Dem). Votre prédécesseur a expliqué le 5 décembre que la DGFIP avait lancé un travail annuel d’analyse statistique des recettes fiscales afin de comprendre leurs variations. Ce travail serait effectué par le département des études et statistiques fiscales de la DGFIP. Quels objectifs précis ont été fixés pour ces investigations ? Avez-vous d’ores et déjà réalisé de premières analyses ? Pouvez-vous, le cas échéant, nous les communiquer ? Comment ce travail sera-t-il pris en compte par les différentes administrations ?
Un tiers de l’erreur de prévision en 2024 est lié aux recettes de l’impôt sur les sociétés, alors qu’elles ne représentent qu’environ 5 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires. S’il est vrai que ces recettes sont par nature plus difficiles à prévoir que celles de l’impôt sur le revenu ou de la TVA, n’y a-t-il pas des améliorations à envisager dans le cadre, notamment, du dernier acompte d’IS dû par les grandes sociétés ? Dans une note parue en novembre 2024, l’Institut des politiques publiques (IPP) recommandait que le formulaire utilisé à cette occasion serve aussi à demander aux grandes entreprises de déclarer leur estimation du bénéfice pour l’année en cours. L’IPP a également proposé que le formulaire soit retourné plus tôt qu’en décembre afin d’aider à fiabiliser les prévisions de recettes. Qu’en pensez-vous ?
Mme Amélie Verdier. Cette note, à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure, avait également attiré mon attention. C’est une chose d’envisager de modifier les règles de l’impôt – et ce serait au législateur d’en décider – avec l’impact économique que cela impliquerait, c’en est une autre de demander un peu plus d’informations pour nous aider à améliorer les prévisions. Des éléments nous sont communiqués au moment du versement des acomptes, notamment le cinquième, ce qui est bien, mais il serait encore mieux d’avoir des informations un peu avant. C’est un sujet auquel nous réfléchissons en vue d’améliorer les prévisions. Il s’agirait d’expliquer aux entreprises l’intérêt d’avoir une anticipation de leur bénéfice qui ne les lierait pas contractuellement – c’est un peu ce qu’elles craignent. Elles ont jusqu’à décembre pour prendre des décisions, puisqu’elles ont une marge, qui est assumée, par exemple en matière d’autolimitation. À la fin, elles paieront de toute façon un impôt calculé sur leur bénéfice fiscal : leur marge ne concerne pas ce qu’elles vont payer, mais combien à quel moment.
J’insiste sur ce point, car je ne voudrais pas donner l’impression que les entreprises font ce qu’elles veulent en la matière. Des règles précises existent et leur bonne application est vérifiée lorsque les services de la direction générale des finances publiques engagent des contrôles. On regarde les liasses et on reconstitue, en partant du bénéfice commercial, si je puis dire, le bénéfice fiscal. À règles de l’impôt données, avoir un peu plus d’information en amont, notamment lors du versement des acomptes, aurait un sens. Cela permettrait d’anticiper le bénéfice fiscal.
Vous avez vu, par ailleurs, que la note de l’IPP posait la question du champ des entreprises soumises au versement des acomptes, qui dépend entièrement du législateur. Le critère actuel est la taille de l’entreprise et non l’ampleur de ses résultats. Cela fait partie des points que l’on pourrait envisager de regarder.
Des études statistiques, vous l’avez dit, ont été engagées. Je suis d’ailleurs accompagnée par le responsable du département qui en est chargé. Je vous signale en particulier une étude publiée au mois de septembre – un département d’études statistiques mène des analyses approfondies qui prennent un peu de temps, mais elles ont ensuite vocation à alimenter le débat public. Cette étude consistait à évaluer le manque à gagner en matière de TVA, thème important qui a été évoqué dans le cadre du Conseil d’évaluation des fraudes, installé par l’anté-prédécesseur du ministre du budget. Le tax gap, le manque à gagner par rapport à d’autres pays, notamment européens, n’est pas uniquement de la fraude : il peut aussi être lié aux taux réduits ou super-réduits de TVA, à des modalités de déclaration ou à la part des importations dans la structure de la consommation. Nous avons essayé d’entrer dans le détail de ce qu’on peut estimer être des manques à gagner.
Par ailleurs, j’ai fait allusion tout à l’heure à deux focus que nous avons réalisés. Le premier, qui n’a rien donné, consistait à regarder si une évolution de la structure de la consommation pouvait expliquer de moindres rendements de TVA : un déport vers des produits de première nécessité, à taux plus réduits, s’est-il produit ? Pour l’instant, ce n’est pas ce que nous avons observé – je dis « pour l’instant » car nous allons continuer à suivre cette question. La seconde portait sur un éventuel impact de la dynamique des demandes de remboursement de crédits de TVA. La réponse est oui : c’est une des explications – ce n’est pas la seule – du moindre rendement de la TVA nette.
M. Pierre Henriet (HOR). Je voudrais vous interroger sur les initiatives et les mesures que la DGFIP a prises pour améliorer les modèles de prévision fiscale à la suite de la situation que nous venons de connaître. Quelles sont, plus généralement, les recommandations que vous pourriez formuler pour éviter de nouveaux dérapages budgétaires ?
Mme Amélie Verdier. Nous essayons de nous améliorer, dans le cadre d’un travail collectif des administrations, mais notre diagnostic, plutôt conforté par les observateurs extérieurs, n’est pas que nous nous sommes complètement plantés de notre propre fait – pardonnez-moi d’être un peu vulgaire. Selon l’Inspection générale des finances, 80 % de l’erreur de prévision des recettes fiscales sont liés à des facteurs externes. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se concentrer sur le reste – nous devons améliorer notre capacité de prévision, et nous le faisons –, mais notre diagnostic n’est pas que nous utiliserions des modèles complètement ratés.
Nous avons déjà engagé un certain nombre d’actions pour mieux formaliser les remontées comptables et les croisements avec les données macroéconomiques. Le rapport de l’Inspection générale des finances disait, je crois, qu’il y avait peut-être eu moins de travail notarial, si je puis dire, de remontée après le covid. Nous nous y sommes attelés. Nous croisons les analyses d’amélioration continue : ce travail n’est pas achevé, mais le directeur général du Trésor a dû vous dire que cela nous permettait d’avoir un retour sur ce que chacun d’entre nous observe. L’Insee nous apporte, par ailleurs, une information globale, au niveau macroéconomique. Tout cela va dans le sens – je pense qu’on le verra dans le temps – d’une bonne compréhension du passé et d’une amélioration de nos modèles actuels. Nous nous efforçons d’intégrer en temps réel, autant que possible, les informations qui nous arrivent.
Vous connaissez également le projet de déploiement de la facturation électronique : à partir de septembre 2026, toutes les entreprises seront amenées à recevoir des factures électroniques et, pour les plus grandes d’entre elles, à en émettre ; ensuite, à partir de septembre 2027, tout le monde passera à la facturation électronique. Cela nous aidera à avoir des données plus contemporaines en ce qui concerne la TVA. Ce n’est pas pour tout de suite et ce n’est pas la seule raison pour laquelle nous le faisons – cela devrait assez largement simplifier la vie des entreprises –, mais cela fait partie des actions engagées à moyen terme pour avoir des données plus contemporaines, ce qui nous paraît l’essentiel, en tout cas pour la TVA.
S’agissant de l’impôt sur les sociétés, nous devons sans doute mieux croiser au niveau infra-annuel les informations que nous pouvons avoir secteur par secteur pour mieux appréhender des données que nous voyons de manière assez agrégée sur le plan comptable.
Quand nous échangeons avec nos homologues, et mes propos concernent aussi bien mes fonctions actuelles que mes fonctions antérieures, c’est surtout au sujet de l’effort structurel et non de la prévision du solde public à 0,1 ou 0,2 point de PIB près, même si je ne sous-estime pas l’écart constaté cette année. Il est très supérieur à ce que nous avions pu connaître auparavant, ce qui nous préoccupe. La clarté de l’information suppose notamment d’avoir un éclairage sur notre marge d’erreur, notamment pour l’impôt sur les sociétés, et sur la trajectoire pluriannuelle en matière d’effort structurel – ce qu’il faut faire et comment. Nous essayons de faire porter les efforts sur ces points collectivement, chacun à sa place, au ministère de l’économie et du budget.
Pour le reste, un certain nombre de propositions ont été faites au ministre. Il s’agirait, par exemple, de demander plus d’informations à des tiers. C’est une décision qui n’irait pas dans le sens d’une simplification, il faut dire les choses, mais qui pourrait améliorer nos capacités de prévision.
Nous allons, par ailleurs, vérifier dans la durée ce qui se passe. Je suis quand même assez convaincue que nous allons retrouver, notamment au sujet de la TVA, une capacité de prévision plus conforme à ce à quoi nous étions habitués. Ce qui s’est passé dans la période récente n’était pas classique – je pense aux variations de l’inflation et au fait que, à un niveau de croissance donné, nous n’avons pas bien appréhendé la consommation. Je ne reviens pas sur les masses en jeu, mais les montants sont relativement faibles en pourcentage du rendement de l’impôt.
Ce qui m’importe en tant que directrice générale des finances publiques, c’est bien sûr de contribuer à l’amélioration des prévisions, mais aussi d’améliorer la vie des contribuables, de rendre l’impôt simple, d’aller chercher les fraudeurs et de faciliter la vie de tous ceux qui sont désireux de bien payer l’impôt. Nous avions déjà un taux de paiement spontané élevé avant le prélèvement à la source et nous l’avons encore un peu amélioré grâce à cette réforme. Cela fait partie de ce que nous essayons de faire.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma première question porte sur les prévisions concernant les collectivités territoriales. Avez-vous participé à la définition, dans la LFI pour 2024, du taux de croissance de leurs dépenses de fonctionnement ? D’abord estimé à 2 %, il a été révisé à 1,8 % dans le programme de stabilité et on a fini à 4,6 %. S’agissant des investissements, on avait initialement prévu, dans le cadre du cycle dit électoral, un taux de 7,5 %, puis de 7,8 % dans le programme de stabilité, et on a fini à 13,2 %, ce qui représente un écart non pas de 13 milliards d’euros, comme on nous le dit, mais de 7,3 à 7,5 milliards par rapport aux prévisions.
S’agissant des DMTO, pourquoi avoir maintenu une prévision de 18 milliards d’euros, comme en 2023, alors qu’on a fini cette année-là avec 16,9 milliards et 2024 avec 14,8 milliards ? Les écarts sont considérables tant pour les recettes que pour les dépenses. Il existe pourtant, en ce qui concerne les DMTO, une centralisation mensuelle : on voyait donc le décrochage. Tous les élus, notamment départementaux, l’ont très rapidement constaté, dès janvier ou février.
Mme Amélie Verdier. Comme je l’ai expliqué d’une manière un peu principielle, la direction générale des finances publiques ne fait pas directement de prévisions, y compris en matière de finances locales. Nous alimentons la direction générale du Trésor, qui est chargée de faire les prévisions. S’agissant de l’évolution des dépenses, nous faisons remonter des points de situation, qui sont maintenant publiés mensuellement – je le dis parce que c’est assez récent et que cela a contribué au partage d’informations sur la réalité de la situation. Nous faisons des hypothèses en fonction des « intrants » – je mets des guillemets – qui pèsent sur les dépenses de fonctionnement, comme les allocations et la masse salariale, mais aussi, pour beaucoup, en fonction de ce qu’on a vu par le passé, des comportements antérieurs des collectivités locales. Il n’y a donc pas de participation directe de la DGFIP aux prévisions et les chiffres reflétaient assez largement des comportements passés.
Par ailleurs, vous avez peut-être vu au fil des situations mensuelles publiées cette année que des variations ont eu lieu. Nous verrons comment nous terminerons l’année – elle n’est pas achevée et, compte tenu de la période complémentaire des collectivités locales, nous n’aurons pas tout avant quelques semaines ou même quelques mois. En revanche, il est exact que nous anticipons maintenant une dynamique plus forte que prévu.
S’agissant du cycle d’investissement, je fais plutôt appel, de nouveau, à mes souvenirs dans d’autres fonctions, pour vous répondre : on passe pas mal de temps à se demander si le cycle d’investissement de la période précédente, au niveau municipal pour l’essentiel, est reproductible ou non – évidemment, ce n’est jamais exactement la même chose. Cette fois-ci, nous étions au tout début de la période du covid : il a peut-être fallu plus de temps pour lancer les investissements. C’est ce qu’on se dit maintenant et on a essayé de faire un lissage par rapport aux objectifs, sachant qu’il n’est pas évident de savoir si les opérations se déboucleront en 2024, 2025 ou 2026. Nous ne participons pas aux prévisions en la matière. J’ajoute que les chiffres pour 2024 ne sont pas définitifs et que nous allons continuer à les publier mensuellement.
Pour ce qui est des DMTO, il y a effectivement une déception. La question est de savoir à quel moment on peut se dire que le marché immobilier a touché un point bas. C’est difficile. Notre rôle, comme vous l’avez souligné, est essentiellement de faire des remontées mensuelles sur la dynamique observée et de regarder comment elle se répartit. Un chiffre très agrégé ne veut pas forcément dire la même chose dans tous les territoires ou toutes les métropoles. Des prévisions sont faites, mais nous n’y participons pas directement.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous ne m’avez pas complètement répondu. Vous dites que vous n’avez eu aucune influence sur la direction générale du Trésor, mais tout cela n’est pas sérieux. Il suffisait d’appeler trois ou quatre présidents de département pour vous faire expliquer la chute des DMTO. Vous aviez connaissance des chiffres mensuels, mais vous n’avez pas prévenu vos collègues que leurs prévisions ne tenaient pas, tant pour les dépenses de fonctionnement que, s’agissant des DMTO, pour les recettes ?
Mme Amélie Verdier. J’ai dit que nous ne participions pas directement aux prévisions concernant les dépenses. Leur dynamique fait l’objet d’une communication régulière. Par ailleurs, comme l’ont rappelé non seulement les directeurs généraux du Trésor qui se sont succédé, mais aussi les ministres, la loi de programmation des finances publiques était marquée par une volonté de faire participer les collectivités aux efforts.
S’agissant des recettes, nous faisons bien sûr remonter les données, de façon agrégée et département par département. Les informations sont connues. Des hypothèses sont ensuite formulées en fonction de la conjoncture d’ensemble.
M. Charles de Courson, rapporteur général. En ce qui concerne la TVA, vous avez des remontées mensuelles. Quand on regarde la courbe, on commence à voir un décrochage au milieu de l’année 2023. Il s’accentue ensuite, mais l’année se termine avec un écart de seulement 3,7 milliards d’euros sur des recettes de 205 milliards d’euros. En 2024, on perdrait en revanche, aux dernières nouvelles, 11,3 voire 12 milliards d’euros, ce qui est considérable – cela représente 5 % du total. Avez-vous joué un rôle dans les prévisions ? Avez-vous dit à vos collègues du Trésor qu’il fallait absolument un réajustement ?
Je pourrais vous poser la même question à propos de l’impôt sur le revenu. Vous avez connaissance, avec le prélèvement à la source, d’un ordre de grandeur. Le décrochage est moins important du point de vue des montants, mais on finira l’année avec 6 milliards d’euros de moins, sur un total qui était estimé, pour simplifier, à 88 milliards d’euros.
Mme Amélie Verdier. S’agissant de la TVA, une révision a eu lieu dans le cadre du programme de stabilité, au printemps 2024. En comptabilité budgétaire, toutes APU (administrations publiques) confondues, l’estimation était de 220,7 milliards d’eurosen LFI. Elle a été révisée de 5 milliards d’euros et on a donc abouti à 215 milliards d’euros dans le programme de stabilité.
M. Charles de Courson, rapporteur général. 212 milliards d’euros.
Mme Amélie Verdier. Ce que vous dites doit correspondre à l’écart entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité nationale, mais cela ne change pas le raisonnement concernant le delta.
On a pris en compte, dans un premier temps, ce qu’on appelle un effet base. Comme la TVA avait moins rapporté en 2023 qu’escompté, essentiellement en fin d’année, on est parti de l’idée que la base serait inférieure à la prévision en année pleine, de 2,7 milliards d’euros en comptabilité nationale. À cela s’ajoute un effet lié à la révision de la croissance, qui est passée de 1,4 % en LFI à 1 % dans le programme de stabilité. En TVA nette, toutes APU, la révision totale était de 5 milliards d’euros dans le programme de stabilité. Cela inclut un pur effet comptable, lié à l’effet base, et un effet lié à la nouvelle hypothèse de croissance macroéconomique.
Nous avons ensuite constaté au fil des mois, je l’ai dit tout à l’heure, que nous ne retrouvions pas tout à fait ce scénario, la croissance de la consommation étant notamment moindre que prévu au second semestre ; d’où la révision qui a été faite. Son ampleur est importante, je vous rejoins tout à fait : ce n’est pas très classique, surtout quand on ne révise pas beaucoup la croissance économique dans le même temps. Il y a sans doute des effets liés à la hausse des importations et au ralentissement de l’inflation, mais il faudra attendre l’exécution totale et définitive du budget pour avoir des explications complètes. Je pourrai revenir dans le détail sur les effets liés au remboursement de crédits de TVA, qui ont contribué à la baisse des recettes et continuent à être relativement dynamiques.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ce sont fondamentalement les hypothèses macroéconomiques d’une reprise de la consommation qui se sont révélées erronées tant en 2023 qu’en 2024. Le reste a une incidence, mais ce n’est pas une révision du PIB de 0,4 point qui peut expliquer le total : cela représente 800 millions sur 200 milliards d’euros.
Mme Amélie Verdier. Des effets liés à la composition de la croissance ont été pris en compte à hauteur de 4 milliards d’euros. C’est la direction générale du Trésor qui pourrait préciser complètement leur décomposition, mais ils sont importants et, je l’ai d’ailleurs déjà dit, dans un environnement où on révise la composition de la croissance économique, mais pas tant que ça son niveau
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous êtes la directrice générale des finances publiques. Je vous ai demandé si vous aviez influencé la direction générale du Trésor. Ce n’est pas vous, mais elle, qui fixe ces hypothèses ; néanmoins, avez-vous dit à vos collègues que vous constatiez un dérapage ? Votre direction générale l’a-t-elle fait, y compris avant votre arrivée ?
Mme Amélie Verdier. Je vous ai signalé la note de fin novembre 2023 sur les encaissements d’octobre – toutes les notes d’encaissement de la direction générale des finances publiques sont adressées bien sûr au Trésor. C’est à ce moment-là que la première alerte sur les recettes de 2023 a été donnée. Nous avons ensuite contribué activement au budget économique d’hiver, qui a permis de refaire la prévision et de revenir, je crois que je l’ai déjà dit, sur les montants de TVA attendus en 2024. Le programme de stabilité, quant à lui, est un exercice qui est d’abord conduit de manière macroéconomique par la direction générale du Trésor, mais nous l’alimentons en ce qui concerne les bases comptables.
Nous avons délibéré au vu des rentrées de l’été. Nous nous sommes posé les questions dans les deux sens, je vous le dis de manière très transparente, au moment du bouclage du PLF. Nous savions qu’il fallait faire attention : on risquait en effet d’être trop pessimiste par volonté de ne pas se tromper deux fois de suite, et en même temps il ne fallait pas être trop optimiste compte tenu des rentrées qu’on voyait. Nous avons proposé, et nous avons été suivis par le Gouvernement, de faire une révision dans le PLFG pour tenir compte des dernières remontées.
Je crois aussi avoir été transparente sur le fait qu’une part de l’évolution n’était pas complètement expliquée et que ce qui s’est passé n’est pas que nous n’aurions pas été écoutés, mais que nous n’avons forcément pris tout à fait la mesure, collectivement, d’une consommation un peu moindre que ce qui était prévu.
M. le président Éric Coquerel. Nous avons bien compris que personne n’avait eu raison avant l’heure.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Madame la directrice générale, je tiens à vous saluer : il me semble que c’est la première fois en deux semaines que nous avons des réponses intelligibles aux questions posées. Les représentants du peuple que nous sommes font face à la plus grave crise des finances publiques de l’histoire de la Ve République, mais nous avons l’impression que ce n’est la faute de personne, que la haute administration et les ministres à sa tête sont un trou noir : aucune lumière ne sort et on ne voit rien de ce qui s’y passe.
J’ai une question un peu générale sur l’organisation de la haute fonction publique et les relations avec le politique pour le haut fonctionnaire et la citoyenne que vous êtes. Alors que la situation des finances publiques se dégrade fortement depuis plusieurs années, malgré des rapports concordants de la Cour des comptes, du Haut Conseil des finances publiques et de membres des oppositions qui, quoi qu’on en dise, n’étaient pas du tout d’accord avec la majorité, comment peut-on arriver à des situations aussi graves, à des dérapages budgétaires aussi importants ? Au-delà de la question des étiquettes politiques, j’ai l’impression que rien ne sort, qu’il est impossible, aussi bien pour le Sénat que pour nous aujourd’hui, d’arriver à avoir des informations qui nous permettent, quand nous retournons sur le terrain et que nous rencontrons des contribuables, de leur expliquer ce qui s’est passé. On peut nous reprocher d’être en colère, d’utiliser de mauvais mots ou de ne pas être gentils, mais nous représentons des contribuables, tandis que vous êtes à leur service. L’écart est de 2 points de PIB en ce qui concerne le déficit et nous avons 1 000 milliards d’euros de dette de plus, mais la conclusion serait qu’il faut passer l’éponge, passer à autre chose.
Mme Amélie Verdier. Votre question est en partie politique : c’est votre rôle, mais le mien n’est pas forcément de répondre à cela.
Je me permets en revanche de revenir sur le fait que des informations sont communiquées au ministre, de façon anticipée, et ensuite rendues publiques à échéance régulière. S’agissant de la communication sur le solde budgétaire en 2023 – je m’y suis référée parce que je n’étais pas en poste à cette époque et que je me suis dit qu’il fallait bien regarder ce qui avait été dit et à quel moment –, il était écrit noir sur blanc que les recettes nettes du budget général étaient inférieures de 7,8 milliards d’euros aux prévisions. Il n’y a pas de copie cachée et nous assumons de donner les informations au fur et à mesure, quand elles sont connues et que nous sommes capables de faire des extrapolations.
J’ai essayé de vous répondre le plus précisément possible. Nous savons reconstituer ce qui s’est passé en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, c’est objectivement un peu plus compliqué pour la TVA, parce que nous avons moins l’habitude de faire face à des écarts de cette ampleur, même si nous avons quand même, aujourd’hui, des éléments d’explication, et c’est encore plus vrai pour l’impôt sur les sociétés.
Votre propos, si j’ai bien suivi, était plus général : il concernait les déficits publics et renvoyait donc à d’autres considérations, allant au-delà des recettes fiscales. J’ai oublié, à cet égard, de vous parler de la fameuse contribution sur la rente inframarginale. Je pense que les personnes qui sont intervenues avant moi ont évoqué les raisons de l’écart objectivement assez inédit – je n’avais pas forcément vu cela dans le passé – entre l’estimation initiale et l’exécution. Je n’y reviens donc pas.
La situation des finances publiques a été assez inédite : un effort très substantiel a été fait au moment du covid – je m’en souviens bien – et il a eu des conséquences. Nous sommes là pour essayer de les tirer entièrement, impôt par impôt. S’agissant des prévisions, nous avons à rendre des comptes à propos des écarts et à expliquer pourquoi nous n’avons pas parfaitement prévu ce qui se passerait – c’était même loin d’être parfait, je le redis. Nous essayons d’être les plus transparents possible et de répondre à vos questions ligne à ligne, si je puis dire. Des effets se sont cumulés, ce qui a conduit à des écarts importants en matière de déficit.
M. le président Éric Coquerel. Merci, madame Verdier, pour vos explications.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 11 décembre 2024 à 17 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Claire Marais-Beuil, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Matthias Renault, M. Gérault Verny
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Thomas Cazenave, M. Jean-Paul Mattei, Mme Marianne Maximi, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou