Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

 

 Vote sur la tenue d’une audition par la commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête en application de l’article 5 ter de l’ordonnance  581100 du 17 novembre 1958              2

–  Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, relative à l’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt)              5

  Présences en réunion...........................23

 


Mercredi
15 janvier 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 069

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La commission procède au vote sur la tenue d’une audition par la commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête en application de l’article 5 ter de l’ordonnance  581100 du 17 novembre 1958

 

M. le président Éric Coquerel. Avant d’entendre la Cour des comptes, il convient que nous procédions à un vote pour trancher une question abordée par le bureau lors de sa dernière réunion, le 18 décembre 2024, et pour laquelle il a décidé de s’en remettre à l’avis de la commission. Il s’agit de savoir s’il convient ou non d’auditionner le secrétaire général de l’Élysée, M. Alexis Kohler, dans le cadre de nos travaux d’enquête sur la variation et les écarts des prévisions fiscales et budgétaires pour les exercices 2023 et 2024.

Je propose à ceux qui le souhaitent de s’exprimer, en limitant le nombre d’interventions à un orateur par groupe.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Nous examinons régulièrement des amendements dont la portée politique n’égale pas celle de la décision que nous nous apprêtons à prendre, et nous y consacrons pourtant davantage de temps. Il me semble que cette question mériterait un débat plus large.

M. le président Éric Coquerel. Elle a déjà fait l’objet d’échanges nourris en réunion de bureau. Si nous donnons la parole à chaque membre de la commission, nous risquons d’y passer la matinée. Une intervention de deux minutes par groupe me semble suffisante, d’autant qu’à entendre vos réactions, le vôtre a déjà discuté de cette question, ce qui l’a d’ailleurs conduit à se mobiliser assez fortement en vue du vote.

M. David Amiel (EPR). Nous apprenons un peu tard qu’il aurait lieu dès maintenant, monsieur le président.

M. le président Éric Coquerel. Vous en avez été informés par mail hier. Les membres du bureau ne pouvaient en outre ignorer que ce débat aurait lieu. Dans la mesure où nous n’avons aucune certitude quant à la durée de l’audition de M. Charpy, il m’a semblé préférable que le vote intervienne à un moment où chacun pourrait être présent – ce qui, au vu de l’affluence, semble être le cas. Il revient maintenant à la commission de trancher. Je donne donc maintenant la parole aux représentants des groupes.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je suis presque gêné de m’exprimer le premier, car je ne comprends tout simplement pas pourquoi cette question devrait faire débat. Il est tout à fait normal que le Parlement puisse interroger M. Kohler.

À entendre nos collègues de la majorité, il me vient des réminiscences de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères que j’ai présidée : les macronistes avaient saboté les auditions et tout fait pour protéger leurs amis.

Mme Constance Le Grip (EPR). C’est faux !

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). C’est honteux !

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous sommes évidemment favorables à cette audition.

M. Mathieu Lefèvre (EPR). J’invite mes collègues à en revenir à la Constitution de la Ve République, à laquelle, en tant que parlementaires, ils devraient être tout particulièrement attachés. L’article 67 l’établit clairement : le président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité.

Or, en réalité, à travers la personne d’Alexis Kohler, c’est le président de la République que vous entendez auditionner, ce qui contreviendrait au principe de la séparation des pouvoirs. Contrairement à ce qu’a suggéré le président Coquerel, il n’existe aucun précédent d’une audition ce type portant sur la définition ou le déploiement d’une politique publique. Si des membres du cabinet présidentiel ont pu être entendus par le passé, c’était concernant des dossiers dans lesquels l’Élysée était directement impliqué.

Nous nous opposons donc à cette audition, que nous considérons comme un détournement de procédure et qui créerait un grave précédent pour notre démocratie.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Nous sommes quant à nous favorables à l’audition de M. Kohler par la commission d’enquête. Dès lors que notre objectif est d’établir les responsabilités des uns et des autres et de comprendre la chaîne de décisions qui nous a menés à la situation actuelle, il est naturel que nous entendions les personnes impliquées.

M. Philippe Brun (SOC). J’ajoute que, depuis 2017, s’exerce une pratique que nous déplorons : celle des conseillers partagés entre Matignon et l’Élysée, en vertu de laquelle nombre de conseillers ministériels se trouvent de facto placés sous l’autorité du secrétaire général de l’Élysée. Cette pratique, qui me semble constituer une grave atteinte à la séparation des pouvoirs, concerne aussi les conseillers budgétaires, compétents sur les questions qui nous intéressent aujourd’hui. Il serait ainsi d’autant plus inacceptable que la commission des finances ne puisse pas entendre M. Kohler.

Nous proposons donc d’en revenir à la lettre de la Constitution de 1958 et nous sommes favorables à cette audition.

M. Jean-Didier Berger (DR). Pour notre part, nous nous y opposons, au nom du principe de la séparation des pouvoirs.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Notre commission a déjà auditionné plusieurs responsables d’administration ainsi que les ministres compétents. Il en ressort que, manifestement, personne n’a pris les décisions susceptibles d’expliquer les variations budgétaires observées. C’est donc bien qu’elles ont été prises ailleurs. La commission des finances doit pouvoir investiguer jusqu’à comprendre précisément qui a fait les choix qui se traduisent aujourd’hui par un objectif de 50 milliards d’euros de réductions de dépenses et par l’absence de toute perspective d’amélioration en matière sociale ou environnementale.

La situation est très grave. Nous devons savoir qui a pris la décision de ne pas la faire connaître aux Français. Je ne vois donc pas pourquoi nous nous opposerions à l’audition de M. Kohler.

Mme Perrine Goulet (Dem). Nous sommes très étonnés de cette demande d’audition, qui nous semble contrevenir au principe de la séparation des pouvoirs et relever plutôt de l’envie de se payer le secrétaire général de l’Élysée.

Rappelons que ce dernier est un collaborateur du président de la République. Nous rabattre sur lui ne me semble pas être à la hauteur de notre mission – si nous devions auditionner un député ou un élu local, nous n’irions pas chercher son collaborateur.

Par ailleurs, je ne vois pas ce que cette audition apporterait : nous avons déjà entendu les personnes qui étaient aux responsabilités au moment des faits, c'est-à-dire les ministres et les directeurs d’administration habilités à prendre les décisions en question.

Enfin, la commission avait tout le loisir d’interroger les administrations concernées au moment où les écarts de prévision étaient constatés. Elle ne l’a pas fait. Se livrer à une opération de politique politicienne plusieurs mois plus tard ne nous semble pas être une bonne solution. Nous voterons donc contre cette audition.

M. Charles de Courson (LIOT). Ce débat me surprend quelque peu. De nombreux précédents existent. J’ai par exemple présidé la commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac, qui a auditionné le chef de cabinet du président de la République. Les membres de la commission d’enquête sur la forte croissance de la dette française, présidée par un député du groupe LR, avaient convoqué M. Kohler – même si ce dernier n’a finalement pas pu être entendu du fait de la dissolution. Nos collègues sénateurs, dans le cadre de l’enquête consacrée à l’affaire Benalla, ont auditionné le secrétaire général de l’Élysée.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Parce que c’était une affaire qui concernait l’Élysée, précisément !

M. Charles de Courson (LIOT). Vous évoquez la séparation des pouvoirs, mais il n’est pas question, ici, d’auditionner le président de la République. En réagissant comme vous le faites, vous ne protégez pas ce dernier ; au contraire, vous semblez suggérer qu’il aurait quelque chose à cacher.

Pour faire la vérité sur les faits, nous devons auditionner le secrétaire général de l’Élysée, et ce pour une raison très simple : M. Le Maire a indiqué que sa volonté de présenter un projet de loi de finances rectificative a été bloquée par le président de la République en personne, au cours d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée.

M. Nicolas Sansu (GDR). Notre groupe votera en faveur de l’audition du secrétaire général de l’Élysée. Les arguments développés par Charles de Courson sont imparables : des auditions comparables ont déjà eu lieu par le passé et, s’il n’a rien à cacher, M. Kohler aurait tout intérêt à venir s’exprimer devant nous. Chacun s’en portera mieux.

M. Gérault Verny (UDR). L’audition du secrétaire général de l’Élysée s’inscrit pleinement dans la mission de contrôle de l’action du gouvernement confiée au Parlement par l’article 24 de la Constitution, ainsi que dans le cadre défini par son article 47. La loi organique relative aux lois de finances impose également une obligation de transparence budgétaire, y compris pour la présidence de la République. En tant que haut responsable chargé de la coordination des activités administratives et budgétaires de l’Élysée, le secrétaire général est un acteur clé pour répondre à nos interrogations sur la tenue des comptes publics.

Cette position vise à renforcer la responsabilité de cette institution et la bonne gouvernance financière, tout en respectant la séparation des pouvoirs et le cadre constitutionnel. Nous voterons donc pour l’audition de M. Kohler.

M. le président Éric Coquerel. Les affaires Cahuzac et Benalla constituent bien des précédents. Au vu du rôle joué par l’Élysée dans ces deux dossiers, les commissions d’enquête souhaitaient auditionner le président de la République. La Constitution ne le permettant pas, ce sont ses collaborateurs qui ont été entendus. Cette jurisprudence me semble pouvoir s’appliquer.

La question qui nous occupe aujourd'hui devient une affaire impliquant l’Élysée dès lors qu’on nous explique que ce n’est pas seulement le gouvernement, pourtant chargé par la Constitution de conduire la politique de la nation, qui a décidé de ne pas présenter de projet de loi de finances rectificative, mais que ce choix a été arrêté au cours d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée. Si nous voulons en avoir le cœur net, nous devons auditionner au moins une des personnes ayant participé à cette réunion, en l’occurrence M. Kohler.

Dès lors que nous nous sommes constitués en commission d’enquête, rien ne nous empêche d’entendre M. Kohler, voire les conseillers budgétaires de l’Élysée. Je voterai donc pour cette audition.

 

La commission vote en faveur de l’audition de M. Alexis Kohler dans le cadre de l’enquête sur les variations et les écarts des prévisions fiscales et budgétaires pour les années 2023 et 2024.

Puis, la Commission auditionne M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur l’enquête demandée en application du 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, relative à l’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt

M. le président Éric Coquerel. L’enquête relative à l’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt a été effectuée par la Cour des comptes à la demande de notre commission, sur proposition du groupe La France insoumise. La demande avait été formulée sous la précédente législature et les résultats de l’enquête nous ont été transmis en décembre dernier.

M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes. Merci de nous accueillir pour parler de ce rapport que vous nous avez effectivement demandé sous la précédente législature. M. Michel Sala, le rapporteur initialement désigné, a été remplacé par M. Emmanuel Mandon, que nous avons rencontré avant la finalisation de notre rapport.

Les termes de l’étude ont été définis par un échange de lettres entre le premier président de la Cour des comptes et la présidente de l’Assemblée nationale. Notre mission a consisté à examiner les conséquences, pour les entreprises, les ménages, l’État et les collectivités territoriales, de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (THRP) et d’une partie de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises), ainsi que de la baisse des bases locatives des locaux industriels assujettis à la CFE (cotisation foncière des entreprises) et à la TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties).

Ces suppressions et réductions d’impôts ont permis aux ménages et aux entreprises de réaliser des gains très significatifs : en 2017, les contribuables versaient environ 115 milliards d’euros aux collectivités locales, soit l’équivalent de 5 % du PIB ; en 2023, ce montant était passé sous les 100 milliards, soit 3,5 % du PIB. Cette baisse significative est le produit de deux éléments, la diminution des impôts directs locaux et, en contrepartie, une hausse des impôts indirects. Sans ces réformes, les ménages et les entreprises auraient payé près de 19 milliards de plus au titre de la THRP, près de 15 milliards de plus au titre de la CVAE, et 4,3 milliards de plus au titre des locaux industriels. La baisse des impôts locaux atteint ainsi un total de 38 milliards d’euros.

Une de vos demandes était de savoir si la réforme avait eu des conséquences différentes pour les entreprises et pour les ménages. Notre étude montre que la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises n’a pas varié depuis 2017 : l’effort reste supporté à 56 % par les ménages et à 44 % par les entreprises.

J’en viens à l’analyse de chaque impôt supprimé.

La THRP, qui pesait presque exclusivement sur les ménages, était critiquée. Perçue comme injuste, du point de vue tant des ménages que des collectivités, elle était assise sur des bases datant de 1970, devenues obsolètes malgré leur actualisation et très inégalitaires selon la catégorie de locaux occupés.

Cet impôt était en outre très largement pris en charge par l’État, à hauteur de 24,7 % du montant total en 2017, pour deux raisons. D’une part, un peu plus de 5 millions de foyers modestes étaient exonérés. D’autre part, environ 9 millions de foyers dont la taxe d’habitation excédait 3,44 % de leur revenu fiscal de référence bénéficiaient d’un dégrèvement partiel. Au final, un contribuable sur deux payait intégralement sa taxe d’habitation.

Sa suppression a permis de réduire les impôts de 18,9 milliards d’euros, soit environ 1,1 % du revenu disponible, ce qui est loin d’être négligeable. Ce gain a davantage profité aux ménages percevant des revenus élevés, pour des raisons assez simples : d’abord, les personnes dégrevées ou exonérées de l’impôt n’ont, par définition, pas ou peu profité de sa suppression ; ensuite, l’impôt dont s’acquittaient les particuliers était d’autant plus élevé que le logement occupé était de haute catégorie. Ces effets antiredistributifs ont été particulièrement marqués durant la dernière phase de la réforme, c'est-à-dire entre 2021 et 2023, quand la taxe a été supprimée pour les 20 % des foyers aux revenus les plus élevés.

Deux catégories d’impôts de production, essentiellement acquittés par les entreprises, ont par ailleurs fait l’objet d’une réduction.

La CVAE, d’abord, si elle est moins problématique que la taxe professionnelle en ce qu’elle ne pèse pas sur les outils de production, accroît toutefois les coûts des entreprises et crée des distorsions entre elles. Elle aussi était acquittée par l’État pour près d’un quart, à travers la prise en charge des dégrèvements barémiques et le plafonnement de la somme de la CVAE et de la CFE par rapport à la valeur ajoutée.

S’agissant de la CFE et la TFPB, les bases d’imposition des locaux industriels correspondaient à leur valeur brute au bilan des entreprises et ne tenaient pas compte des amortissements, ce qui avait des effets assez négatifs. Faute d’avoir pu transposer aux locaux industriels la révision appliquée aux locaux professionnels en 2017, ces bases d’imposition ont été réduites de moitié en 2021.

La baisse de ces deux impôts de production a eu des conséquences significatives pour les entreprises. Leur excédent brut d’exploitation (EBE) s’est amélioré de façon là encore non négligeable, de 2,4 points – 1,5 point au titre de la CVAE et 0,9 au titre de la CFE. La baisse a aussi eu un impact favorable sur les entreprises industrielles, notamment du fait de la réduction des bases d’imposition des locaux industriels. En revanche, nous n’avons pas été en mesure d’analyser l’effet de levier qu’elles ont eu sur la consommation des ménages et les investissements des entreprises.

Les répercussions sur les finances publiques ont été assez considérables. L’État a décidé de compenser la perte de recettes pour les collectivités locales selon deux méthodes. D’abord, une affectation des recettes de TVA, à hauteur de quelque 52 milliards, dont 47 au titre des compensations des réductions d’impôt. Le tout représente 25,5 % des recettes de TVA globales – rappelons que l’État perçoit désormais moins de la moitié des recettes de TVA, le reste étant consacré pour l’essentiel aux collectivités locales et au financement de la protection sociale. Deuxième mode de compensation, un nouveau prélèvement sur les recettes de l’État pour neutraliser l’effet de la réduction de moitié des bases des locaux industriels. Il se chiffre à environ 4,1 milliards d’euros, pour une baisse de 4,3 milliards – l’État n’ayant compensé que les conséquences de la réduction des bases et non les pertes liées aux augmentations d’impôt décidées par les collectivités locales.

Même si les chiffres ont été un peu contestés par les associations d’élus, nous avons estimé que la compensation a été plutôt favorable aux collectivités locales. En 2022, en supposant des taux constants d’imposition, le gain au titre de la compensation de la THRP est de 4,3 milliards, du fait d’une dynamique très favorable de la TVA en 2021 et 2022. Il est de l’ordre de 1,1 milliard en 2023 pour la CVAE. Ce gain varie – il a été moindre en 2023, la TVA étant moins dynamique – mais on considère qu’à terme le dispositif est plutôt favorable, puisqu’il gomme le décalage d’un an qui existait entre l’augmentation des bases des locaux et celle des taux.

L’impact a été très lourd pour l’État. Les pertes de recettes sont estimées à 38,5 milliards d’euros en 2023 : 34,7 milliards au titre de la compensation des pertes de recettes des collectivités, après déduction des effets favorables pour l’État, et 3,8 milliards au titre de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public en 2022 – qui n’était pas inéluctable, même si son recouvrement était adossé à celui de la THRP. Ces pertes équivalent à 25 % du déficit public de 2023 et à 50 % de la hausse des déficits publics entre 2017 et 2023. Ces mesures de compensation, financées essentiellement par l’emprunt, ont une part significative dans la dégradation du déficit public.

Nous avons également examiné les conséquences de ces réformes sur les différents niveaux de collectivités locales. Elles n’ont pas changé grand-chose dans les régions, qui avaient très peu de pouvoir fiscal et n’en ont pas plus. Sur les 30 milliards de recettes de fonctionnement des collectivités régionales, moins de 10 % viennent des impôts sur lesquels elles ont un pouvoir de décision – les cartes grises ou la modulation de la fraction Grenelle de l’accise sur les produits énergétiques.

Les départements, quant à eux, ont désormais des pouvoirs fiscaux quasiment nuls. Ils n’ont un pouvoir de taux que sur 20,4 % de leurs 70 milliards de recettes de fonctionnement de 2023. Ce pouvoir est factice puisqu’il concerne essentiellement les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et qu’en la matière, tous les départements sauf trois sont déjà au taux maximum de 4,5 %. Lors de l’examen du projet de budget, il a d’ailleurs été question de l’augmenter de 0,5 point.

En revanche, le bloc communal a récupéré la part départementale de la TFPB. Il a une capacité de taux sur 46,6 % de ses 150 milliards de recettes de fonctionnement. En tenant compte des recettes tarifaires, les recettes sur lesquelles il a un pouvoir de décision représentent 55,3 % de ses recettes de fonctionnement en 2023, contre 58,3 % en 2017.

En réalité, les communes ont un pouvoir de taux et elles l’exercent. Globalement, les taux des impôts locaux ont plutôt augmenté entre 2017 et 2023. Plus de la moitié des communes ont augmenté le taux de TFPB entre 2014 et 2020 et plus d’un quart l’ont fait plusieurs fois. Depuis 2021, plus d’un tiers ont exercé leur pouvoir de taux. Au total, ces augmentations ont eu un impact de près de 3 milliards d’euros sur les ressources des collectivités locales.

Nous avons enfin constaté une très forte déterritorialisation des recettes locales, les régions passant de 50 % à 12,1 % de recettes locales et les départements de 49,1 à 20,4 %. Seules les communes continuent de toucher plus de 50 % de recettes fiscales territorialisées.

Cette déterritorialisation a des conséquences négatives sur les collectivités. Elle entraîne la disparition du lien contributif entre le ménage et la commune, même si près d’un ménage sur deux ne payait pas ou pas complètement la THRP. La situation est différente entre les petites et les grandes communes. Dans 83 % des communes, au moins 70 % des résidences principales sont occupées par leur propriétaire. Dans 194 communes de plus de 40 000 habitants, la part des propriétaires est inférieure à 50 %, et peut descendre jusqu’à 20 % dans les très grandes communes. Une partie des résidents ne participent pas, ou peu, au financement de la vie communale. C’est un moindre encouragement à la construction de nouveaux logements.

On constate aussi la disparition complète du lien contributif avec les régions, malgré leurs compétences dans le domaine économique, et avec les départements, malgré leurs compétences en matière de transports. L’absence de financements liés à l’activité peut être une moindre incitation à l’accueil de nouvelles activités économiques.

La Cour a fait quelques recommandations, sans aller jusqu’à imaginer un nouveau dispositif des impôts locaux. La première, c’est d’appliquer la révision sexennale des bases des locaux professionnels, sous peine de courir un risque d’obsolescence et de réduire à néant l’effort fait en 2017. Sur les locaux d’habitation, il faudrait enfin s’atteler à réviser les bases de taxe foncière qui datent en partie de 1970.

Surtout, remplacer des impôts locaux par des affectations de recettes de TVA a figé les financements des collectivités locales dans l’état où ils étaient au moment de la suppression de l’impôt. Les communes, les départements et les régions verront leur démographie et leurs besoins évoluer, mais les financements sont accordés en fonction de situations passées. Il en va d’ailleurs de même pour la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui a largement compensé des impôts anciens. Plus des trois quarts des recettes de fonctionnement des régions sont assises sur des données anciennes, et 62 % des recettes des départements ; c’est un peu moins pour les EPCI et des communes, mais cela reste important. Même si cela ne peut se faire du jour au lendemain, il est donc essentiel d’engager une réforme pour répartir les recettes de TVA et de DGF en fonction de données contemporaines, sans quoi nous risquons de voir se creuser un écart significatif entre les besoins des collectivités et leur capacité d’y répondre.

M. le président Éric Coquerel. Monsieur Charpy, vous avez rappelé deux points importants qui ne sont pas sans lien avec la situation budgétaire du pays : d’une part, les réformes de la fiscalité engagées depuis 2017 favorisent les plus aisés, alors même que leurs effets sur la consommation et l’investissement ne sont pas démontrés ; d’autre part, elles nous privent de dizaines de milliards d’euros de recettes publiques et viennent aggraver le déficit. La baisse de la fiscalité locale, c’est 38,5 milliards d’euros de recettes en moins, soit 25 % du déficit de 2023. Or ce n’est pas en coupant dans le budget que l’on résorbera le déficit mais en résolvant ce problème de recettes.

J’entends que la taxe d’habitation sur les résidences principales présentait certaines limites. Vous avez également montré ses avantages, sans vous prononcer sur son rétablissement. Comment pourrait-on reconstituer un lien fiscal fort et équitable entre le contribuable local et les collectivités pourvoyeuses de services publics locaux ?

Vous avez montré que la suppression progressive de la CVAE a fortement contribué à augmenter le taux de marge des entreprises. En revanche, son effet sur l’investissement est incertain, pour un coût très élevé. Cette réforme est, à mon avis, une erreur. Quelles modalités proposeriez-vous pour rétablir la CVAE ou, à défaut, un impôt qui pourrait restaurer le lien entre les collectivités et l’économie ? Par ailleurs, comment expliquez-vous que les banques et les assurances soient les premières bénéficiaires de la réduction de la CVAE relativement à leur excédent brut d’exploitation et à leur valeur ajoutée ? Cela semble éloigné des objectifs d’une réforme censée cibler les entreprises industrielles.

Enfin, vous estimez que les transferts de TVA se sont révélés favorables aux collectivités, et ce, à rebours des analyses des associations d’élus : comment expliquez-vous cette contradiction ? Vous notez aussi que, du fait du reflux de l’inflation, la TVA sera beaucoup moins dynamique. Jusqu’à quel seuil le système restera-t-il bénéficiaire ?

M. Christian Charpy. La Cour n’a pas proposé de rétablir un impôt résidentiel, parce que cela ne relève pas de son domaine de compétences. Dans un rapport que nous avions fait il y a quelques années pour la commission des finances du Sénat, notre position était la même. À titre personnel, je pense qu’il serait compliqué de rétablir un impôt qui a été supprimé, même si des associations d’élus le proposent depuis 2017. Je mettrais deux garde-fous au rétablissement d’un impôt résidentiel : ne pas l’asseoir sur des bases locatives datant de 1970, et éviter de le faire reposer pour un quart sur les financements de l’État. Pour le reste, c’est une décision politique.

Une incertitude plane sur la suppression définitive de la CVAE. Il semble qu’elle sera prolongée en 2025, voire au-delà, vu la situation des finances publiques. Faut-il la rétablir à son taux initial ? C’est aussi une décision qui appartient au gouvernement et au législateur. Ce qui est certain, c’est que cet impôt crée des distorsions, l’imposition étant plus ou moins forte en fonction du rapport entre la valeur ajoutée et le chiffre d’affaires. Si l’on devait maintenir un impôt dit de production, il faudrait sûrement éviter de pérenniser de telles distorsions. Et si l’on décidait de renvoyer cet impôt aux collectivités locales, il faudrait en tirer les conséquences sur les recettes de compensation qui leur ont été accordées.

S’agissant des banques et des assurances, on constate effectivement dans le graphique n° 13 du rapport qu’elles ont profité significativement de la réforme de la CVAE. En proportion, la baisse est la même – de moitié la première année et d’un quart la seconde. Mais comme elles payaient plus que les autres – du fait du calcul de la valeur ajoutée fiscale du secteur, qui répond à des modalités spécifiques – elles profitent plus de la réduction.

Concernant le montant des compensations, il est vrai que notre vision est assez différente de celle du président du comité des finances locales, qui considère que l’État doit 79 milliards aux collectivités à cause d’une sous-indexation durable. Selon nos calculs et en neutralisant les effets de taux, les conséquences ont été plutôt positives, en 2022 et 2023, et se sont réduites du fait de la baisse des recettes de TVA.

Quant au seuil jusqu’auquel le système restera bénéficiaire, je commencerai par rappeler que nous n’avons étudié que les impôts supprimés, pas transférés. D’abord, les bases locatives sont indexées sur l’inflation. La TVA aussi a un lien avec l’inflation. La différence, c’est que les taxes locatives étaient indexées avec un an de décalage, quand la TVA est immédiate. Ensuite, le système pourrait venir défavorable si les bases locatives physiques augmentaient davantage que la consommation. Ce n’est pas ce que nous avons constaté, étant donné la crise du logement notamment, et nous estimons qu’il n’y a pas de risque aujourd’hui.

M. Emmanuel Mandon, rapporteur. Merci pour cette présentation d’un important travail collégial, réalisé selon une méthodologie rigoureuse et intéressante. Votre rapport vient mettre en lumière l’extrême relâchement du lien contributif entre les collectivités territoriales et les citoyens, à la suite du bouleversement de règles applicables à notre fiscalité locale – une fiscalité ancienne qui a été très souvent critiquée. Il confirme également la baisse de l’autonomie fiscale des collectivités. Votre travail vient opportunément éclairer chacun sur les effets de la moindre territorialisation des recettes locales, mais aussi fournir des données objectives qui seront très utiles dans les débats sur la décentralisation, la fiscalité et l’état de nos finances publiques.

Vous proposez trois pistes d’amélioration du fonds national de l’attractivité économique des territoires (Fnaet). Quelles sont celles que vous privilégiez, avec quels avantages et inconvénients ? Pourquoi ne pas avoir formulé ces propositions sous la forme de recommandations officielles ?

Pourquoi avez-vous décidé d’exclure de votre estimation les hausses d’impôts locaux facultatifs – comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ou la taxe de séjour – qui ont été décidées par les collectivités locales entre 2017 et 2023 ?

Enfin, vous recommandez à juste titre l’utilisation de données contemporaines pour répartir les recettes de compensation. Comment concilier cet objectif technique de modernisation des bases avec les enjeux politiques liés aux inévitables transferts que cela impliquerait ?

M. Christian Charpy. Le Fnaet, qui date de 2023, vise à compenser la perte de lien entre l’activité économique et les recettes fiscales, en favorisant la création de projets économiques par les intercommunalités. Nous soulignons des risques mais nous ne sommes pas encore en mesure de les évaluer dans le détail ; c’est pourquoi nous n’avons pas fait de recommandations formelles.

Ces risques, c’est que ce fonds ne soit pas suffisant, ni assez attractif. Nous avons donc proposé d’en augmenter le montant, ses 147 millions d’euros risquant de ne pas avoir un véritable effet incitatif sur les 1 500 intercommunalités. Mais cette augmentation aurait pour effet de réduire la part fixe de la compensation de la suppression de la CVAE. Par ailleurs, si nous voulons une politique industrielle digne de ce nom, il faut favoriser les entreprises industrielles et les surpondérer dans la répartition de ce fonds – un peu comme pour la CVAE. Enfin, il conviendrait de distinguer une sous-enveloppe répartie entre les intercommunalités et les communes connaissant une augmentation de l’emploi.

Nous n’avons pas tant décidé d’exclure les autres impôts qu’eu du mal à tous les inclure. Nous avons pu travailler sur la taxe d’enlèvement des ordures ménagères – son produit a augmenté sous l’effet de l’indexation – mais sans être en mesure d’identifier précisément les effets de causalité entre l’augmentation de la taxe et la suppression de la redevance. De même, les collectivités ont recours à dix rubriques distinctes pour calculer le montant de la taxe de séjour : comme il était compliqué d’entrer dans le détail, nous avons préféré donner une vision globale du sujet.

La question de la contemporanéité des données ne peut pas se résoudre en un jour. D’abord, il faut savoir quelles sont les bonnes données contemporaines. La population est une donnée majeure pour estimer les services que doit rendre la commune ; le territoire, mesuré en superficie, en densité ou en longueur de la voirie, est un autre élément essentiel ; les besoins sont différents pour les centres-bourgs et les petites collectivités… et l’ensemble de ces données doit être actualisé en permanence. Cette révision ne peut se faire que progressivement, sur le moyen et le long terme, car il serait inconstitutionnel de priver les communes de ressources significatives en l’appliquant d’un coup.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Pour 2022, vous estimez que le bénéfice du système de compensation pour les collectivités locales, à taux constant, a été de 4,3 milliards d’euros. Mais quel est-il en 2023 et 2024, au vu de l’évolution de la TVA nette ? En tenant compte de l’augmentation des taux, y a-t-il encore un bénéfice, ou est-ce devenu un déficit ? Dans tous les cas, cela ne dissimule-t-il pas d’énormes écarts ? Les collectivités dynamiques d’un point de vue démographique et économique sont pénalisées, tandis que celles qui sont en déclin démographique et économique conservent des montants décorrélés de leur situation.

Deuxième question, qui hante la commission de finances depuis des années : vous avez plaidé pour une réévaluation des bases, mais pensez-vous qu’il faille maintenir le double système d’évaluation de la valeur des bâtiments d’entreprise – selon leur valeur comptable et leur valeur de marché –, qui aboutit à des écarts considérables entre les secteurs économiques ?

Troisième question : vous soulignez la fossilisation des compensations fiscales et plus généralement des dotations de l’État, notamment de la DGF, que notre collègue Pirès Beaune s’est évertuée en vain à réformer pendant des années. Comment sortir de cette situation ?

M. Christian Charpy. Il existe effectivement un risque de voir, en 2024 et 2025, disparaître les bénéfices de la TVA. Les recettes de cette dernière, pour une raison que nous peinons à comprendre, ont été particulièrement déprimées – c’est tout l’objet de votre commission d’enquête. L’élasticité de la TVA au PIB a été incroyablement basse, mais ce phénomène ne se reproduira peut-être pas tous les ans car, en général, la TVA est un peu plus dynamique que le reste des impôts.

Ce que nous disons, c’est qu’au moment de la suppression de la taxe d’habitation, le gain pour les collectivités a été, de fait, de plus de 4 milliards, et d’un peu plus de 1 milliard pour la CVAE. Pour le reste, nous ne pouvons évidemment pas prendre en compte les conséquences qu’aurait eues l’augmentation des taux des impôts supprimés sur les recettes de collectivités, mais il est clair que le gain est moins important aujourd’hui.

Comme nous l’avons encore rappelé dans un rapport sur la DGF publié en octobre, la compensation des impôts locaux supprimés par l’affectation d’une fraction de la TVA conduit à cristallier des situations héritées du passé. Se fonder sur ces données anciennes n’a pas de sens. C’est pourtant le cas pour 70 % des recettes des régions. Entre les régions de la façade ouest, qui sont très dynamiques, et le Grand Est, qui est plutôt en déprise démographique, ce mode de calcul conduit donc à consolider des recettes dans des régions qui n’en ont pas forcément besoin. Il faut impérativement faire évoluer le droit à compensation en le fondant sur des données démographiques contemporaines. Seulement, cette proposition se heurte à la doxa du Comité des finances locales qui impose une compensation à l’euro près, sur la base de l’impôt supprimé, ce qui conduit M. Laignel, son président, à réclamer 78 milliards d’euros.

M. Jean-Pierre Viola, conseiller maître à la Cour des comptes. S’agissant de la réévaluation des bases, les modalités de répartition de la dotation globale de fonctionnement ont évolué pour tenir compte des réformes fiscales ; les notions de potentiel fiscal et de potentiel financier, notamment, ont été adaptées. Néanmoins, l’augmentation de la part de la péréquation dans la DGF reste très lente : si elle frôle désormais les 50 % pour les communes, il faudrait, au rythme actuel, près de 50 ans pour qu’elle soit majoritaire dans la DGF des intercommunalités, et pas moins de 250 ans pour les départements ! Or les évolutions démographiques sont très différentes entre les régions, entre les départements ou entre les intercommunalités. Ne rien faire risque de conduire à des excès ou des insuffisances de financement par rapport aux besoins.

Le principe même de la péréquation n’est d’ailleurs pas sans reproche : non seulement plusieurs critères sont mal définis et jouent mal leur rôle péréquateur, mais il existe des garanties de non-baisse pour certaines dotations. Par exemple, les dotations de péréquation des départements ne peuvent jamais baisser – alors même qu’une quarantaine de départements sont en déprise démographique. L’intention de protéger les collectivités est louable mais, à moyen ou long terme, elle conduira à une importante désynchronisation entre financements et besoins.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Avez-vous un avis sur la juxtaposition des deux techniques d’évaluation des valeurs locatives, qui pose beaucoup de problèmes, notamment logistiques ? C’est un débat qui passionne la commission des finances !

M. Christian Charpy. Je reconnais que, sur ce sujet, nous ne sommes pas allés au fond des choses. D’un côté, la valeur immobilisée brute n’a, objectivement, pas beaucoup de sens pour les locaux industriels, mais de l’autre, les valeurs de marché évoluent beaucoup, ne sont pas toujours fiables et défavorisent l’industrie. Nous considérons donc que le système actuel est mauvais, et qu’il faudra le faire évoluer.

À titre personnel, il me semblerait préférable de s’appuyer sur la valeur comptable, à condition de prendre en compte les amortissements.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Philippe Lottiaux (RN). Votre rapport confirme que la diminution de la fiscalité des entreprises est positive, puisqu’elle a augmenté leur excédent brut d’exploitation – ce qui nous conforte dans le souhait d’une disparition plus rapide des impôts de production, quitte à trouver des mécanismes de compensation – et que la suppression de la taxe d’habitation pose un vrai problème, en distendant un peu plus encore le lien entre la population et les politiques publiques. Ce n’est, au reste, qu’un grand tour de passe-passe puisque, cette mesure n’étant pas financée, les contribuables la paient à travers la TVA et le remboursement de la dette.

Non seulement les recettes ne sont plus adaptées aux réalités des territoires, mais en plus elles deviennent une variable d’ajustement, certaines augmentations prévues étant annulées – c’est le cas de la TVA, et de la DGF avant elle. Alors, quelles solutions ? Pour notre part, nous sommes totalement opposés au retour d’un impôt résidentiel, et pensons qu’il faut davantage de responsabilisation et d’autonomie fiscale pour les collectivités – une piste déjà formulée dans un rapport de la Cour des comptes il y a quelques années. Dans son rapport, Éric Woerth proposait de leur transférer non une fraction de TVA, mais une part des impôts nationaux existants – impôt sur le revenu (IR), contribution sociale généralisée (CSG), impôt sur les sociétés (IS). Reste à déterminer qui doit en bénéficier : d’aucuns défendent les EPCI et les régions, nous plaidons plutôt pour les communes et les départements. Selon vous, est-ce une piste à creuser ?

Et ne faudrait-il pas aller plus loin et réformer certaines dotations, comme la DGF ? Aujourd’hui, plus personne n’y comprend rien : on a l’impression que celui qui en avait la formule au ministère de l’intérieur est parti en retraite avec ! Ce sujet est un peu le jour sans fin des discussions budgétaires. Dans une logique de responsabilisation, ne faudrait-il pas transférer des impôts nationaux aux élus locaux, avec un pouvoir de taux ? Cela résoudrait bien des problèmes dans notre schéma fiscal général.

M. Christian Charpy. S’agissant de l’impôt résidentiel, je ne dirai qu’une chose : bon courage à celui qui voudra l’instaurer ! Comme le soulignait le rapport d’Éric Woerth, la solution passe effectivement par davantage de responsabilisation. Reste qu’il n’est pas évident de transférer un impôt national avec un pouvoir de taux. Dans un rapport sur les scénarios de financement des collectivités territoriales remis à la commission des finances du Sénat, nous avions évoqué le transfert d’une part de l’IR aux départements et d’une part de l’IS aux régions – on pourrait aussi imaginer le transfert d’une part de CSG, même si nous avons tendance à penser qu’elle doit financer la sécurité sociale. Mais cette proposition n’est pas sans difficulté, car l’IS est un impôt très fluctuant, dont la répartition des bases est très inégale et complexe, et car la moitié des ménages ne paie pas d’IR. Et même si c’est déjà le cas d’autres impôts locaux, il faudra pouvoir répondre de cette augmentation des impôts nationaux devant nos concitoyens. Les impôts assis sur une base locale ont tout de même de nombreux avantages. Politiquement, tout cela n’est pas simple.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Merci infiniment pour cette communication d’une grande sagesse qui rétablit plusieurs vérités.

Tout d’abord, la taxe d’habitation sur la résidence principale était effectivement un impôt injuste, et la CVAE un impôt hautement imprévisible, dont les règles de répartition au sein des groupes étaient particulièrement complexes.

Ensuite, malgré l’augmentation du taux de plusieurs impôts locaux, le total dont s’acquittent les contribuables a baissé de près de 14 % en euros courants entre 2017 et 2023. Même s’il est difficile de mesurer précisément les conséquences de cette diminution, elle représente évidemment un gain de pouvoir d’achat pour les Français et un gain d’EBE pour les entreprises. Le montant des impôts de production est d’ailleurs un des critères qu’elles évaluent avant leur installation.

Par ailleurs, la compensation – à l’euro près – a effectivement été favorable aux collectivités territoriales, puisqu’elle a été à la fois positive et dynamique. Or, si la TH augmentait systématiquement d’une année à l’autre, il n’en allait pas de même de la CVAE : ainsi, à l’époque de la compensation de sa suppression, elle aurait dû baisser de 500 millions – c’était après la crise du covid-19 – et elle a été maintenue en l’état.

Enfin, vous indiquez que les départements ont perdu en autonomie fiscale mais que le pouvoir fiscal reste stable, bien que faible, pour les régions, et stable mais important pour le bloc communal – et tant mieux. Selon vous, cette perte d’autonomie aurait un impact négatif sur l’immobilier. Je ne crois pas, car le bloc communal continue de percevoir le produit de la taxe foncière et, par compensation, l’équivalent du produit de la taxe d’habitation : en définitive, avec le « coco » – le coefficient correcteur –, l’impact reste le même.

Pour terminer, je souscris à votre recommandation de faire évoluer les bases. Quant au lien fiscal, je comprends les remarques faites, mais d’un autre côté peut-on vraiment considérer que les Français qui ne paient pas d’impôt sur le revenu n’ont pas de lien avec la nation ? Je ne crois pas.

M. Christian Charpy. Au-delà des constats que vous avez rappelés, j’ai indiqué que la CVAE pesait sur les coûts des entreprises, ce qui, de ce point de vue, plaçait la France dans une situation assez différente d’autres pays. En outre, la notion d’impôt de production est compliquée. Je rappelle que la taxe d’habitation et la taxe foncière, acquittées par les ménages, sont considérées comme un impôt de production – c’est une sorte de taxe sur la production de logement.

La suppression de la taxe d’habitation a effectivement un effet déprimant sur la construction de logements. Certes, les communes récupèrent toujours le produit de la taxe foncière, mais la plupart des bailleurs de logements sociaux en sont exonérés, et les locataires ne paient plus de taxe d’habitation.

Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Merci pour ce travail qui nous éclaire très opportunément en cette période de crise. Ma lecture est radicalement différente de celle de Jean-René Cazeneuve : votre rapport confirme surtout que la fiscalité locale a été réduite à peau de chagrin – une crainte qui s’exprime depuis longtemps à gauche de l’hémicycle – et que les pertes de recettes publiques sont abyssales, de 38 milliards pour l’État, soit quatre fois le budget de la justice ou la moitié du budget de l’éducation.

Contrairement aux objectifs affichés alors par le gouvernement, les mesures déployées ont eu un effet antiredistributif et ont contribué à accroître les inégalités, puisqu'elles ont profité aux ménages les plus favorisés – qui en ont profité pour épargner plutôt que consommer, ce qui explique qu’il n’y ait pas eu d’effet positif sur la TVA, la consommation et la compétitivité des entreprises.

Dans votre rapport, vous indiquez que les effets de ces réformes sur la consommation et l’investissement sont incertains. Pouvez-vous être plus précis ? Avez-vous mis en évidence un lien causal et, le cas échéant, êtes-vous en mesure d’en préciser l’ampleur ?

Par ailleurs, pourquoi la Cour des comptes ne préconise-t-elle pas certaines modifications fiscales, en particulier s’agissant du rétablissement de certains impôts ?

M. Christian Charpy. Si nous parlons d’un impact incertain, c’est que la crise du covid-19, qui a empêché l’activité et la consommation, puis la guerre en Ukraine, qui a entraîné une forte hausse des prix de l’énergie, ont massivement perturbé l’activité économique de la nation entre 2020 et 2022, empêchant d’établir un lien de causalité entre la diminution des impôts locaux, d’une part, et l’augmentation de la consommation et le renforcement de la compétitivité d’autre part. Mais les chiffres sont incontestables : on observe un gain de pouvoir d’achat pour les ménages, estimé à 1,1 % de leur revenu disponible, et une augmentation de l’EBE, de 2,5 points en 2021. Les conséquences des réformes sur l’investissement sont plus incertaines – je ne développerai pas le célèbre théorème de Schmidt, « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » !

De façon générale, la Cour des comptes s’en tient à l’évaluation des mesures fiscales adoptées dans la loi : on détermine leur coût et leurs effets, mais on ne propose pas d’augmenter ou de baisser les impôts.

Enfin, encore une fois, je pense qu’il serait très difficile d’expliquer aux Français qu’on veut rétablir un impôt résidentiel dont ils auraient tous à s’acquitter. Ce n’est pas dans l’air du temps.

M. le président Éric Coquerel. Tout le drame du théorème de Schmidt, c’est qu’on a du mal à en trouver une quelconque confirmation !

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Je vous remercie pour ce rapport dont les conclusions, choquantes, ne sont pas si étonnantes. L’évolution récente des impôts locaux que vous avez présentée résume bien la politique fiscale injuste et irresponsable menée depuis 2017.

Cette politique est injuste parce que, comme on le craignait à l’époque, le capital a été le principal bénéficiaire de la diminution drastique de la CVAE, et que la suppression de la taxe d’habitation a avant tout profité aux ménages les plus aisés. En exonérer les plus modestes revêtait un caractère plus redistributif – un gros mot à effacer des tablettes pour certains ! Cette politique est aussi injuste envers les collectivités, dont elle grignote les ressources petit à petit, les privant d’autonomie. En effet, les compensations, censées se faire à l’euro près grâce au transfert d’une fraction de la TVA, sont souvent progressivement gelées, avant de diminuer. Au regard du dérapage du budget de l’État, une telle mise sous tutelle est pour le moins osée.

Cette politique est irresponsable, car elle entraîne une perte sèche de recettes pour l’État, de 38 milliards en 2023 par rapport à 2017, qui n’a fait qu’aggraver le déficit public. Il sera difficile de plaider que cette politique n’a simplement pas été comprise : les chiffres sont têtus, le caractère injuste de ces réformes est bien documenté et les collectivités et les citoyens l’ont bien perçu.

Les recommandations de la Cour me semblent un peu faibles au regard des constats chiffrés et documentés qu’elle fait sur les échecs structurels de ces politiques. Avez-vous écarté d’emblée toute réforme visant à redonner un minimum d’autonomie aux collectivités locales ?

M. Christian Charpy. C’est surtout que le rapport ne portait pas sur l’autonomie fiscale des collectivités locales – que nous aborderons dans le prochain opus sur les finances publiques locales. Il s’agissait des conséquences des réformes fiscales sur les ménages, les entreprises et les collectivités locales : sur ce sujet, nous sommes allés au bout de l’exercice. Nos propositions peuvent sembler purement techniques, mais le passage d’un système de compensation à l’euro près, figé dans le temps, à un mécanisme de financement évolutif adossé à des données contemporaines, par exemple, a une portée politique majeure. Le gouvernement et le Parlement devront se pencher sur ce sujet.

Enfin, il va de soi que la suppression d’un impôt, quel qu’il soit, ne profite qu’à ceux qui s’en acquittaient. Il est vrai que la suppression de la dernière tranche de la taxe d’habitation a amplifié les effets négatifs attendus, mais le Conseil constitutionnel avait clairement indiqué qu’il n’était pas possible de la maintenir éternellement, ce qui rendait la situation très difficile.

M. Nicolas Ray (DR). Merci pour ce rapport qui permet d’alimenter une réflexion devenue indispensable sur la réforme de la fiscalité directe locale.

Les mesures prises ces dernières années ont fortement réduit les leviers fiscaux des collectivités, en particulier des départements, et les recettes fiscales restantes sont de moins en moins territorialisées. Pour ma part, je ne peux pas m’empêcher de considérer que la suppression de la taxe d’habitation, que personne n’avait réclamée, était une erreur, car elle tissait un lien entre les habitants et leur territoire. L’argument selon lequel elle était fondée sur une assiette injuste ne tient pas, puisque c’est la même assiette que la taxe foncière qui, elle, existe toujours.

Vos travaux vous ont-ils permis de déterminer comment, à l’époque, le gouvernement entendait compenser cette perte massive de recettes fiscales qui, comme l’a souligné Mme Pirès Beaune, a fortement pesé dans le dérapage de nos comptes publics ces dernières années ?

Par ailleurs, je pense qu’il faut assouplir les règles et liens encadrant le peu de leviers fiscaux restants, comme la taxe foncière et la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, afin de redonner davantage d’autonomie à nos collectivités. Qu’en pensez-vous ? En outre, pouvez-vous revenir sur l’éventualité de revoir le calcul des compensations, assises sur des impôts figés et qui ne tiennent aucun cas des mutations économiques et des fermetures d’entreprises ?

Enfin vous proposez de redéfinir les critères de répartition en fonction des ressources et charges. Sachant que les chiffres du recensement eux-mêmes sont parfois contestés lors des calculs de la DGF, êtes-vous absolument certain que ces critères seraient incontestables et ne prêteraient pas à débat ?

M. Christian Charpy. Il est clair que la disparition de ces recettes fiscales, compensées par des transferts d’impôts d’État, a eu un impact sur le déficit public, qui aurait été différent s’il y avait eu des baisses de dépenses à due concurrence ou une augmentation significative de la croissance économique. Il est aujourd’hui incontestable que 25 % environ du déficit public est lié à ces baisses d’impôts. Je rappelle toutefois que la taxe d’habitation faisait l’objet de protestations fortes de la part des contribuables qui la payaient.

Les règles qui encadrent les taux sont décrites dans le rapport et certains des liens ont d’ailleurs été desserrés, par exemple concernant la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. Il n’est cependant pas anormal qu’il y ait un lien entre les différents impôts locaux, afin de ne pas pénaliser particulièrement une catégorie de contribuables. La THRP ayant disparu, il faut réexaminer ces liens – nous ne sommes peut-être pas allés au bout de cet examen.

Des critères de répartition basés sur les données contemporaines donneront évidemment lieu à des contestations. Dans les sujets les plus souvent évoqués, on trouve par exemple la longueur de la voirie, qui est parfois très mal mesurée, ou le recensement, qui peut être inexact. Nous avons proposé des critères alternatifs à la longueur de la voirie, comme la densité de population ou la taille du territoire, qui peut avoir une grande incidence en milieu rural. Ces critères nouveaux ne sont peut-être pas incontestables, mais ils permettront d’aller un peu plus loin.

Le fait que les taux s’appliquent aujourd’hui à des bases qui n’ont pas de véritable signification économique est une vraie difficulté. Nous devons donc trouver des systèmes qui répondent mieux aux exigences économiques. Ce n’est pas simple, mais avec le poids et la répartition actuelle des recettes de compensation, sans prise en compte des évolutions démographiques et économiques, on va dans le mur à moyen terme.

Mme Sophie Mette (Dem). Comme vous l’esquissiez déjà dans votre rapport sur les finances publiques locales d’octobre 2023, vous indiquez aujourd’hui sans ambiguïté que la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales et de la CVAE dans les recettes des collectivités n’a pas été sous-compensée par l’État, et avancez même qu’une compensation assise sur les recettes de TVA, par nature très réactives par rapport à la conjoncture économique, pourrait engager un gain financier durable pour les collectivités. Vous relevez toutefois que les modalités de compensation actuelles consolident des inégalités anciennes et en génèrent de nouvelles. Afin de pallier ces effets de bord, vous soutenez une évolution des clés de répartition de la TVA qui prendrait en compte des critères tels que la démographie et le niveau de richesse des collectivités, tout en permettant de corriger certaines inégalités entre les territoires. De tels scénarios pourraient-ils concomitamment permettre de réaliser des économies de recettes de TVA, à rebasculer au profit du budget général ?

Vous indiquez par ailleurs que, si le mouvement de réduction des impôts de production engagé depuis 2021 a contribué à améliorer la rentabilité des entreprises et à augmenter les investissements au sortir de la crise sanitaire, ses effets sur leur comportement d’investissement à plus long terme restent à apprécier. Que vous ont dit les associations patronales des effets de cette baisse, en matière tant de compétitivité que de capacité à investir ?

M. Christian Charpy. Sur le premier point, nous avons formulé, dans le deuxième fascicule de notre rapport sur les finances publiques locales, sorti en octobre, des propositions quant aux conditions dans lesquelles les collectivités locales pourraient contribuer au redressement des finances publiques – propositions qui ne nous ont valu qu’un succès modéré auprès des associations d’élus. Le mécanisme que nous proposons consisterait à caper une partie de la dynamique de la TVA afin d’en conserver une partie, soit pour améliorer la compensation ou la péréquation entre les collectivités, soit pour la restituer à l’État. Le coût total de l’ensemble de nos propositions était de 2 à 2,5 milliards d’euros pour l’année 2025, ce qui est assez raisonnable – en tout cas inférieur à d’autres chiffres évoqués depuis lors. Quoi qu’il en soit, si les recettes de TVA deviennent plus dynamiques, il n’y a, a priori, pas de raison qu’elles aillent à 100 % aux collectivités territoriales sans profiter à l’État ou à une meilleure péréquation des ressources.

Sur le second point, tout ce qui va dans le sens d’une réduction des impôts de production est plutôt agréable aux oreilles des organisations patronales, qui y voient un élément favorable à la compétitivité des entreprises. De fait, il est incontestable que la baisse de la CVAE a eu pour conséquence une augmentation de l’EBE. Il est plus difficile de voir ce que les entreprises en ont fait, mais la croissance économique n’a pas été négligeable. Les années 2021 et 2022 ont connu une activité relativement soutenue, qui peut certes tenir en partie au rattrapage de l’année du covid, mais qui a pu être aussi facilitée par une augmentation de la compétitivité des entreprises. Il semblerait aussi que la France ait accueilli un plus grand nombre d’entreprises, et la reprise de l’investissement a été assez significative en 2021.

On ne peut donc pas dire que les baisses d’impôt sur les entreprises n’ont pas eu d’effet. En revanche, en mesurer précisément les conséquences sur les investissements et les emplois de demain est une démonstration du théorème de Schmidt qui reste à faire.

M. François Jolivet (HOR). Merci d’avoir rappelé que l’État dispose d’une seule recette dynamique, la TVA, dont il s’est privé par les mesures fiscales qu’il a décidées, ainsi que d’avoir montré les difficultés provoquées par la réforme de la taxe professionnelle et des autres impôts destinés à la remplacer.

Les propos de M. Viola, pour qui la déprise démographique devrait générer des économies publiques, du moins au niveau des dotations, me semblent à nuancer car elle se traduit aussi parfois, pour les départements, par des dépenses supplémentaires. En la matière, on ne peut avoir de vision centrale, il faut coller au terrain.

Il est légitime de vouloir se référer à des données pertinentes concernant la population des territoires, mais je n’ai rien vu dans votre rapport sur le redressement démographique des communes dites « touristiques », qui leur permet de percevoir une DGF supplémentaire alors qu’elles appliquent une lourde taxe d’habitation sur les résidences secondaires et parfois même une autre taxe visant à dissuader leurs propriétaires de le rester.

Dans votre rapport, vous recommandez, en des termes très nuancés, de « répartir les ressources de TVA transférées par l’État aux collectivités en compensation de la suppression d’impôts locaux en fonction de la richesse relative par habitant ». De quelle richesse s’agit-il ? De l’impôt sur le revenu des habitants ?

Vous recommandez ensuite de « répartir entièrement la dotation globale de fonctionnement en fonction de données contemporaines de population, de ressources et de charges des collectivités ». Comment apprécie-t-on les ressources et les charges de collectivités avec une répartition dynamique où alternent des années avec charges et d’autres sans ? Je ne comprends pas ces deux recommandations.

M. Christian Charpy. Il est clair qu’il peut y avoir des charges liées à la déprise démographique. Mais je crois me souvenir que les dotations accordées aux départements pour l’école sont fixes et ne peuvent pas être réduites, alors que c’est le cas pour celles que perçoivent les régions pour les lycées. Or il n’est pas logique que le montant de la dotation pour l’entretien des écoles reste constant si le nombre d’élèves diminue. Vous me direz qu’une partie de cet argent peut aller financer des centres d’hébergement pour personnes âgées, mais il reste que les évolutions démographiques diffèrent d’une région ou d’un département à l’autre et doivent être prises en considération, même si ce n’est pas simple.

Deuxièmement, il importe de tenir compte de la richesse des collectivités et de leurs habitants. C’est d’ailleurs déjà le cas : le potentiel fiscal le fait, en fonction de divers critères, dont le logement. Nous recommandons de prendre en compte également le revenu disponible des ménages, qui a une incidence sur la capacité à mobiliser des ressources internes et à financer des charges publiques. La richesse démographique est très différente en Lozère, en Ille-et-Vilaine, à Paris ou dans les Hauts-de-Seine : il serait illogique de ne pas le prendre en compte dans l’attribution de ressources transférées par l’État. Ce n’est, là encore, pas simple et les travaux menés par Mme Pirès Beaune sur la DGF montrent bien la complexité effroyable de la question, sur laquelle se penchent les équipes de la Cour des comptes. Mais faire évoluer certains critères permettrait peut-être d’obtenir des résultats plus réalistes et plus raisonnables.

M. Jean-Pierre Viola. Dans les critères de répartition des dotations de péréquation de la DGF, les départements sont catégorisés en tant que ruraux ou urbains. C’est ignorer complètement le fait qu’un tiers environ d’entre eux sont dans une situation intermédiaire.

Par ailleurs, parmi les dépenses sociales des départements, qui sont leur principal poste de dépenses, seules sont prises en compte celles du RSA, et pour les seuls départements urbains. C’est un facteur d’inadaptation très important.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Tous les constats ont été faits et, comme mes collègues, je déplore que les 38 milliards de diminution de la fiscalité soient payés par la dette de l’État : le besoin quotidien d’aujourd’hui est financé par une dette à long terme.

En second lieu, la perte d’autonomie fiscale des collectivités réduit leur capacité d’investissement et donc la perception de produits de TVA, ce qui est contre-cyclique : on perd pour demain de la ressource qui était censée financer l’investissement des collectivités. J’ai du mal à comprendre ce mécanisme négatif.

Par ailleurs, étant également rapporteur budgétaire de la région des Hauts-de-France, j’observe que les régions ne connaissent leurs produits de TVA qu’au fil de l’année. Elles établissent donc des budgets primitifs sur des bases de croissance de la TVA qui ne sont jamais les bonnes et constatent régulièrement à la fin de l’exercice budgétaire qu’il leur manque des recettes, et que l’autofinancement qui apparaît dans le compte financier unique n’est pas celui qu’elles attendaient. Le niveau d’emprunt dans les régions n’est donc pas le bon.

Il n’y a pas vraiment de solution. Je crois cependant au retour d’une contribution résidentielle. Étant encore maire en raison d’un recours, ce qui fait de moi un hypercumulard, je témoigne que nous avons besoin d’une réforme complète de la fiscalité locale pour que les communes, les départements, les intercommunalités et les régions puissent continuer à être les investisseurs de notre pays.

M. Christian Charpy. Pour répondre sur votre second point, le dispositif actuel est moins sécurisant que l’ancien, dans lequel la direction générale des finances publiques définissait le montant des impôts, que les collectivités recevaient par douzièmes, sans régularisation. Pour la TVA, une régularisation négative de 0,4 milliard a été opérée en 2023 et en 2024 : cela fait donc, en effet, des ressources qui disparaissent mais en 2021 et 2022, la régularisation était plutôt positive, ou du moins les recettes étaient-elles plus favorables.

La vraie question est de savoir si nous devons considérer que les collectivités locales ont une garantie de recettes sur les impôts transférés. On pourrait imaginer une sorte de couloir : les recettes seraient maintenues et garanties jusqu’à un certain plafond au-delà duquel le surplus reviendrait à l’État, et vice versa. Ce sont des points sur lesquels nous devons travailler. Je crois qu’en 2022-2023, la direction du budget réfléchissait à des mécanismes de ce type.

Reste que le transfert d’une partie d’impôt induit des risques pour la collectivité et que, comme cela nous a été souvent dit par les associations, même s’il est possible de réduire ces risques, le manque de prévisibilité des recettes fiscales a des conséquences sur la capacité à investir et pousse les collectivités à la prudence.

Quant à l’investissement, qui transparaît dans le fonds de compensation pour la TVA, je n’ai pas constaté qu’il ait baissé en 2023 et il reste significativement dynamique en 2024. La fin de cycle communal et électoral peut avoir un effet à cet égard.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Outre qu’elles sont injustes, comme l’a dénoncé Mme Pirès Beaune, les réformes de la fiscalité locale intervenues depuis 2017 sont également très dispendieuses. Comme vous le relevez dans votre rapport, la suppression de la THRP et de la CVAE a eu un coût faramineux, avec une perte de recettes de l’ordre de 38 milliards d’euros. Ces décisions du président Macron expliquent les deux tiers de la soixantaine de milliards de recettes perdus par comparaison avec 2017 selon la Cour des comptes, ou encore la moitié de la hausse des déficits depuis 2017.

Un deuxième point de votre rapport, qui me semble le plus préoccupant, est la coupure du lien entre les contribuables et les services publics locaux, sous l’effet de ce que vous appelez la déterritorialisation. Les recettes territorialisées, qui représentaient environ 55 % en 2017, ne comptent plus que pour 39 % aujourd’hui, ce qui pose problème au regard du principe de libre administration des collectivités locales. C’est regrettable et je ne vois pas comment revenir en arrière. Votre rapport montre que les régions ont de moins en moins de pouvoir fiscal, et que ce pouvoir est même inexistant pour les départements. Ne pourrait-on pas suggérer, au-delà de vos propositions relatives à la DGF et à l’affectation de TVA, une façon de redonner un peu de pouvoir fiscal aux collectivités ?

M. Christian Charpy. La rupture du lien entre le contribuable et l’exécutif local est une difficulté que l’on ne peut négliger. Les réformes ont été coûteuses, mais l’argent est parti dans la poche des citoyens pour 18 milliards et dans les entreprises pour le reste : il n’a pas été « volé », mais redistribué. Reste que la mesure a eu un coût significatif, qui n’était peut-être pas celui qu’on imaginait au départ. Je le répète, la dernière tranche de suppression, visant les 20 % de revenus les plus élevés, représente entre un bon tiers et 40 % du coût total, soit une dépense élevée pour une mesure assez antiredistributive. Il faut donc recréer un lien. Au demeurant, je relève que dans le système fédéral allemand, les Länder sont très largement financés par des impôts partagés avec le pouvoir central, même s’ils lèvent aussi des impôts locaux.

M. le président Éric Coquerel. Je note que, pour un coût élevé, la redistribution n’est pas à la hauteur.

M. Tristan Lahais (EcoS). La perte de la THRP et de la CVAE pour les collectivités a bien été compensée à l’euro près, comme cela avait été annoncé, et je suis de ceux qui considèrent que les mécanismes de remplacement ont été honnêtes. Cependant, appeler aujourd’hui les collectivités à un effort pour réduire la dette accumulée ces dernières années revient à les inviter à compenser elles-mêmes la perte de la THRP.

Par ailleurs, l’autonomie fiscale et financière des collectivités est définie par l’article 72-2 de la Constitution, qui précise que la majorité des ressources des collectivités doivent être des ressources propres. Le législateur organique a reconnu comme ressource propre les parts d’impôt national versées aux collectivités, alors que celles-ci n’ont aucun pouvoir ni sur les taux, ni sur l’assiette de ces impôts. Avec la possibilité de geler la TVA à son niveau le plus bas, ne passerait-on pas à une pure dotation, ne glisserait-on pas de l’autonomie fiscale et financière des collectivités vers un pilotage de leur budget par l’État, qui porterait atteinte aux équilibres fixés par la Constitution ?

M. Christian Charpy. C’est une question fondamentale. Le Conseil constitutionnel a en effet validé le principe selon lequel les impôts transférés relevaient de l’autonomie financière des collectivités locales, bien qu’elles n’aient aucune marge de manœuvre sur eux. Je crois d’ailleurs me souvenir que M. Jean-René Cazeneuve avait proposé de définir plus précisément ce qu’est l’autonomie fiscale et la capacité des collectivités locales à décider de leurs recettes. Toujours est-il que la Constitution ne prévoit pas de principe d’autonomie fiscale, mais seulement d’autonomie financière.

En deuxième lieu, dès lors que plus de 50 % de leurs recettes proviennent de transferts de l’État, qu’il s’agisse d’impôts partagés ou de dotations transférées, on ne peut pas considérer que les collectivités locales ne sont pas concernées par le redressement des finances publiques. Lorsqu’elles se finançaient très largement par leurs impôts locaux et leurs ressources propres, leurs règles d’équilibre leur permettaient de s’en sortir, mais cela ne vaut plus lorsque plus de 50 % de leurs recettes proviennent de l’État et que, selon les critères de Maastricht, le déficit n’est pas celui de l’État mais celui des administrations publiques, dont elles font partie. Il en va de même, du reste, pour la sécurité sociale : le problème ne se posait pas dans les mêmes termes lorsqu’elle se finançait uniquement par les cotisations qu’aujourd’hui, où elle est financée à hauteur de 25 % par des recettes fiscales de l’État – à quoi s’ajoute encore la CSG. L’intégration est actuellement beaucoup plus forte et la résolution des problèmes des finances publiques n’est possible qu’en prenant en compte l’ensemble de leurs composantes.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres orateurs.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Ce rapport intéressant souligne la perte d’autonomie fiscale des collectivités territoriales, surtout les départements ; or les DMTO ne pourront pas augmenter sans cesse. Les 47 milliards de TVA perçus en compensation en 2023 sont une perte pour l’État.

Vous préconisez deux pistes, dont la réforme de la DGF, en introduisant des critères tels que la population, les ressources et les charges de chaque collectivité. J’ai participé dans le passé à la grande réforme de la DGF, mais lorsque nous en avons vu les conséquences sur les différentes strates de collectivités, le dossier a été refermé. Peut-être l’erreur a-t-elle été que le calendrier était trop rapide : peut-être faut-il étaler les pertes dans le temps – car il y en aura forcément, certaines collectivités percevant trop de DGF et d’autres pas assez. Ce qui a été dit tout à l’heure sur les départements était à cet égard intéressant. Enfin, le système qui permet à un département d’être à la fois contributeur et bénéficiaire de dotations de péréquation est une usine à gaz. Que pensez-vous de tout cela ?

M. Christian Charpy. De telles évolutions ne sont en effet possibles que sur une longue durée. Or, plus la durée est longue, plus on a tendance à interrompre la réforme ou à la revoir. Nous avons publié au mois d’octobre des propositions de simplification des mécanismes de la DGF : à partir d’un socle commun, quelques dotations complémentaires permettraient de tenir compte de la situation particulière des collectivités concernées. Ce mécanisme créerait toutefois des difficultés car il entraînerait des pertes ; pour pouvoir les adoucir, il serait donc plus facile de l’enclencher en période de haute conjoncture budgétaire. On a bien vu toutefois que, pour la TFPB, des mécanismes correcteurs, comme le célèbre coco, permettent de lisser les choses et d’éviter certaines pertes, avec néanmoins un risque de déterritorialisation. Bref cela peut se faire, sur le long terme, en acceptant que certaines communes ou certains départements soient perdants. Des pertes sont inévitables, elles doivent être acceptées et lissées sur la période.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Dans la situation compliquée que connaissent nos finances publiques, un manque à gagner de 38 milliards d’euros est ahurissant – surtout lorsque l’ancien ministre Bruno Le Maire explique que le déficit public est dû aux collectivités territoriales !

Vous avez souligné que ces 38 milliards avaient constitué un gain significatif pour un certain nombre de ménages. Mais le financement des collectivités territoriales inclut désormais un transfert de 47 milliards d’euros de TVA, au titre de la compensation de la suppression des impôts locaux. Comme tout le monde supporte la TVA, cette suppression n’a donc été un gain que pour les ménages les plus aisés, notamment les 20 % qui ont été exonérés en dernier de la taxe d’habitation. Vous indiquez que 56 % du financement des collectivités viendraient des ménages et 44 % des entreprises : je pense que ces chiffres n’intègrent pas les transferts de TVA, qui doivent modifier cette répartition.

M. Christian Charpy. Nous n’avons évidemment travaillé que sur les impôts locaux. Ce que nous disons, c’est que la répartition de l’effort entre ménages et entreprises n’a pas évolué depuis la réforme. Certes, la TVA sert de compensation, mais son taux n’a pas été augmenté pour les financer. Ce qui a été augmenté, ce sont le déficit, le recours à l’emprunt et la charge de la dette.

M. le président Éric Coquerel. Merci pour ce rappel utile sur l’origine du déficit.

Conformément au 2° de l’article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, il ne me reste plus qu’à demander à la commission si elle autorise la publication de ce rapport.

 

La commission autorise la publication du rapport.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 15 janvier 2025 à 9 heures

 

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Laurent Baumel, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Sébastien Delogu, M. Jocelyn Dessigny, M. Benjamin Dirx, Mme Mathilde Feld, M. Marc de Fleurian, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, Mme Océane Godard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Jérôme Legavre, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Éric Martineau, M. Denis Masséglia, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, Mme Yaël Ménaché, Mme Sophie Mette, Mme Joséphine Missoffe, M. Thibaut Monnier, M. Jacques Oberti, M. Didier Padey, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, M. Jean-François Rousset, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, M. Emeric Salmon, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, Mme Danielle Simonnet, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Gérault Verny, M. Éric Woerth

 

Excusés. - M. Éric Ciotti, Mme Félicie Gérard, M. Emmanuel Tjibaou

 

Assistaient également à la réunion. - M. Thibault Bazin, Mme Estelle Mercier, M. Jean-Pierre Vigier