Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Hippolyte d’Albis, inspecteur général des finances, ainsi que Mme Émilie Maysonnave et M. Paul-Armand Veillon, inspecteurs des finances, auteurs du rapport de l’IGF sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires de l’été 2024 dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Présences en réunion...........................19
Jeudi
16 janvier 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 071
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Ciotti
puis de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission auditionne M. Hippolyte d’Albis, inspecteur général des finances, ainsi que Mme Émilie Maysonnave et M. Paul-Armand Veillon, inspecteurs des finances, auteurs du rapport de l’IGF sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires de l’été 2024 dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58 1100 du 17 novembre 1958)
M. Éric Ciotti, président. Nous sommes réunis pour « étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 ». Dans ce cadre, notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête et conduit donc des auditions soumises au régime y afférent.
Le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Mathieu Lefèvre et moi-même avons, en tant que rapporteurs, élaboré un questionnaire écrit qui a été communiqué aux personnes auditionnées ainsi qu’aux membres de la commission.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Hippolyte d’Albis, Mme Émilie Maysonnave et M. Paul-Armand Veillon prêtent successivement serment.)
Mme Émilie Maysonnave, inspectrice des finances. Nous sommes les auteurs d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) consacré aux prévisions de recettes des prélèvements obligatoires, publié en juillet 2024. Nos travaux s’inscrivent donc pleinement dans ceux de votre commission d’enquête.
Mon propos liminaire s’articulera en trois points. Je reviendrai en premier lieu sur notre méthodologie, avant de détailler les principaux enseignements de notre travail, notamment concernant les sources des écarts de prévisions. Enfin, je présenterai brièvement quelques-unes des huit recommandations que nous avons formulées à l’issue de notre mission.
Notre travail a porté sur l’exercice 2023 et sur les seules prévisions de recettes des prélèvements obligatoires. L’écart de recettes observé par rapport à la prévision précédente – celle du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2023 – s’élevant à 21 milliards d’euros, il constitue en effet la principale composante de l’écart de prévision du déficit public, lequel devait s’établir à 4,9 % du PIB d’après le PLFG mais a finalement été estimé par l’Insee à 5,5 % en début d’année 2024.
Nous avons procédé en analysant l’ensemble de la séquence de prévisions, depuis la loi de finances initiale pour 2023 jusqu’au PLFG, ainsi que les publications de l’Insee, qui fournissent les données d’exécution en comptabilité nationale. Notre étude s’est concentrée sur deux questionnements clefs : la qualité des prévisions effectuées au regard des informations disponibles et le traitement de l’information, notamment la prise en compte des remontées comptables ou de l’évolution des variables macroéconomiques. Nous avons travaillé à deux échelles, d’une part en examinant l’ensemble des prélèvements obligatoires et d’autre part en conduisant une analyse désagrégée, impôt par impôt, pour la TVA, l’impôt sur les sociétés (IS), l’impôt sur le revenu (IR), les cotisations et prélèvements sociaux sur l’activité, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) : pour chacun de ces six impôts, nous avons étudié la séquence de prévisions en nous interrogeant sur les hypothèses sous-jacentes retenues.
L’Inspection générale des finances a reçu en avril 2024 une lettre de mission signée du ministre de l’économie et du ministre chargé des comptes publics de l’époque. Le service a constitué une équipe, dont Hippolyte d’Albis était le superviseur, Paul-Armand Veillon et moi-même étant respectivement membre et cheffe de la mission. Nous avons mené des entretiens auprès des administrations concernées – la direction générale des finances publiques (DGFIP), la direction du budget, la direction générale du Trésor (DGT), la direction de la sécurité sociale (DSS), l’Insee et la Commission de régulation de l’énergie (CRE) –, recueilli des données et documents, conduit des analyses, pour certaines chiffrées, et rédigé notre rapport. Il a été élaboré en respectant le processus de qualité classique de l’IGF, qui impose des relectures croisées par les membres du service ainsi que la transparence des données et du raisonnement dans le rapport écrit.
Les prévisions de finances publiques, objets de notre mission, sont un exercice technique. Nos analyses ont été conduites dans un délai limité – deux mois –, qui ne nous a pas permis de répliquer les prévisions étudiées. Nous n’avons, notamment, pas audité les modèles de prévision utilisés, faute de temps. Ce que nous sommes en mesure de vous communiquer aujourd'hui est donc simplement le résultat de nos investigations, qui sont externes à la direction générale du Trésor : nous n’avons pas eu d’accès direct aux outils employés.
Néanmoins, notre travail nous a permis de dégager plusieurs enseignements. À l’échelle de l’ensemble des prélèvements obligatoires, d’abord, nous avons souhaité replacer l’écart de prévision dans une série longue, en remontant jusqu’en 2005. Il en ressort que l’écart observé en 2023, bien que substantiel, ne présente pas de caractère exceptionnel : il est comparable, en valeur absolue, à ceux constatés lors d’autres exercices – qui étaient certes des années de crises. On constate aussi que, sur la période considérée, les sous-estimations de recettes sont plus fréquentes que la surestimation qui a caractérisé l’année 2023.
Nous nous sommes également intéressés à un indicateur clef, à savoir l’élasticité des prélèvements obligatoires par rapport à l’activité. Elle correspond au rapport entre le taux de croissance spontané des prélèvements obligatoires – hors effet des mesures nouvelles – et le PIB en valeur. Cette élasticité, qui, selon les données de l’Insee et du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) tend en moyenne vers 1, a été historiquement faible en 2023, s’établissant à 0,42, soit la deuxième valeur la plus faible depuis 1991. Or, plus l’élasticité s’éloigne de la moyenne, plus l’écart de prévision est grand. Ce fut le cas en 2022 comme en 2023, deux années atypiques – bien que dans des sens opposés – au cours desquelles l’écart de prévision de l’élasticité fut particulièrement grand. Ce constat traduit une difficulté à prévoir les événements extrêmes.
Nous avons ensuite décomposé l’écart de 21 milliards d’euros entre l’exécution et la dernière prévision du PLFG, qui résulte de moins-values, c'est-à-dire de surestimations des recettes pour la plupart des grands impôts, à l’exception des droits de mutation à titre gratuit (DMTG).
Cet écart s’explique principalement par le retournement de la masse salariale observé au dernier trimestre, ainsi que par une évolution de la TVA décorrélée des indicateurs macroéconomiques habituels.
Dans une moindre ampleur, nous avons également relevé des facteurs internes, c'est-à-dire inhérents à la méthode de prévision. Ils se divisent en deux catégories : les hypothèses favorables – des prévisions non centrées, c'est-à-dire moins probables que la prévision centrée – et la non-prise en compte d’informations disponibles. Nous avons estimé ces écarts à 4,6 milliards d’euros, répartis à peu près également entre les deux catégories, dont 0,6 milliard pour la TVA, 2 milliards pour la Crim et 2 milliards pour l’IS. Ces chiffres doivent cependant être appréciés avec précaution. Par exemple, le solde de la Crim a été plus élevé qu’attendu en 2024, si bien que nous avons probablement surestimé le caractère favorable de l’hypothèse retenue. Ce montant est en outre relativement faible : l’explication principale de l’écart de prévision demeure, selon nous, le scénario macroéconomique. Les surestimations peuvent enfin être compensées par de bonnes surprises, comme en témoignent les DMTG, dont le rendement avait été sous-estimé.
D’autre part, nous avons recensé les informations disponibles en fin d’année à propos de l’écart entre la prévision et l’exécution. Nos analyses ont montré que les écarts mis en évidence par les administrations étaient sous-estimés. Tout l’intérêt de ce travail de décomposition de l’écart de prévision et de mise en évidence de facteurs d’explication réside dans la possibilité d’en tirer des recommandations. J’évoquerai ici trois d’entre elles.
En premier lieu, les prévisions centrées actuellement utilisées ne sont assorties d’aucune quantification de l’incertitude : elles sont avancées à dire d’expert. On clarifierait le débat en présentant une prévision centrée au sein d’un intervalle de confiance, charge ensuite au gouvernement de se positionner dans cet intervalle.
Ensuite, alors qu’il a été plusieurs fois souligné que l’écart de prévision n’avait été perçu que tardivement en 2023, développer des profils infra-annuels de prévision permettrait de mieux suivre, en cours d’exercice, l’écart entre les remontées comptables et lesdites prévisions.
Enfin, il importe d’améliorer l’information du public sur l’examen ex post des écarts, en définissant une méthode pérenne d’analyse et une classification des sources expliquant les écarts en question.
L’écart est inhérent à tout exercice de prévision : par définition, une prévision ne tombe jamais juste. C’est d’ailleurs pourquoi nous préférons le terme « écart » au mot « erreur » – car l’erreur est évitable. Nous estimons à 4,6 milliards d’euros la portion évitable des 21 milliards euros d’écarts observés, qui doivent eux-mêmes être ramenés à la somme totale des prélèvements obligatoires, laquelle dépasse 1 200 milliards d’euros. L’écart de prévision doit donc être relativisé, et résulte à nos yeux du scénario macroéconomique atypique qui a caractérisé l’année 2023. Cet exercice illustre l’intérêt de l’analyse a posteriori des écarts de prévision et doit fournir l’occasion d’améliorer les pratiques et les processus de prévision.
Présidence de M. Éric Coquerel
M. le président Éric Coquerel. Dans votre rapport, vous décomposez les sources de l’écart de prévision pour 2023 en facteurs externes et internes. Ces derniers constituent, selon vous, la part évitable de l’écart de prévision, soit 22 % des 21 milliards d’euros observés. Il s’agit selon moi d’un écart qui aurait pu être évité techniquement, même si tout exercice de prévision revêt des difficultés importantes.
Les 78 % restants s’expliquent, selon vous, par le retournement de la macroéconomie, par le comportement des contribuables ou bien par la décorrélation entre les indicateurs macroéconomiques et les recettes. En d’autres termes, il s’agit à mon sens d’un écart qui s’explique par les politiques menées et la mauvaise prévision du taux d’épargne ou des augmentations de salaire. N’aurait-il pas pu être évité en conduisant une politique différente, ou au moins anticipé par une meilleure approche des effets de la politique menée ?
M. Hippolyte d’Albis, inspecteur général des finances. La partie dite non évitable de l’écart de prévision correspond au montant que nous ne sommes pas capables d’expliquer, a posteriori, en nous appuyant sur toute l’information disponible au moment où la prévision a été faite. Nous l’attribuons aux comportements, qui peuvent changer au cours du temps et ne peuvent pas être maîtrisés, ou encore aux données macroéconomiques, c'est-à-dire à des éléments extérieurs à l’exercice de prévision de finances publiques.
Nous nous sommes efforcés de comprendre quelle était la meilleure prévision de finances publiques possible au vu de la prévision macroéconomique qui pouvait être faite à l’époque. Or cette prévision inclut, pour les années 2022 et 2023, un élément très important et assez nouveau : l’inflation. Comme cela a été dit à maintes reprises, celle-ci a diminué plus rapidement que prévu en 2023. Dans l’absolu, il s’agit d’une bonne nouvelle, puisque cela signifie que la politique monétaire – la coordination des banques centrales pour lutter contre l’inflation – a bien fonctionné. Néanmoins, la prévision d’inflation est essentielle pour anticiper les recettes des prélèvements obligatoires, qui dépendent du niveau du PIB en valeur, c'est-à-dire du PIB en volume corrigé de l’inflation – ou, plus exactement, du déflateur du PIB. L’erreur de prévision de l’inflation rétroagit donc sur la prévision de finances publiques. Or, les services du Trésor se fondent, pour établir cette dernière, sur des prévisions macroéconomiques, que nous considérons comme une source externe.
M. le président Éric Coquerel. Si la majeure partie – 78 %, dites-vous – de l’écart constaté était donc, à vous entendre, imprévisible, comment expliquez-vous que des institutions économiques comme le HCFP aient, dès l’automne 2023, lancé des alertes et pris leurs distances avec les hypothèses de croissance et de déficit annoncées ?
M. Hippolyte d’Albis. Lorsque des organismes formulent des prévisions, ils le font sur la base de l’information disponible. En l’occurrence, le HCFP a pris en compte l’évolution de la masse salariale, qui se retournait de façon inattendue, entraînant des évolutions dans le niveau des contributions sociales. Nous comptabilisons bien l’absence de prise en compte de cette alerte dans les causes internes, c'est-à-dire évitables, de l’écart de prévision.
M. le président Éric Coquerel. Vous mentionnez dans votre rapport des exemples de mesures qui auraient permis de réduire cet écart. S’agissant de l’IS, vous indiquez ainsi qu’« une analyse par secteur économique aurait pu conduire à corriger l’indicateur macroéconomique habituellement utilisé, l’excédent brut d’exploitation (EBE) », précisant que « la hausse de l’EBE […] s’explique pour moitié par l’augmentation de l’EBE d’EDF […]. Or, il était prévisible que l’impôt sur les sociétés associé à cette entreprise serait limité au regard du déficit enregistré en 2022. »
J’en déduis que vous estimez que Bercy aurait dû tenir compte de cette information, qui aurait permis une prévision plus proche de la réalité. Pourtant, les directeurs et directrices du Trésor et de la DGFIP auditionnés par la commission d’enquête ont maintenu que leurs prévisions s’étaient fondées sur toutes les données disponibles. Avez-vous pu identifier pourquoi une information aussi importante n’a pas été valorisée lors des exercices de prévision ?
M. Paul-Armand Veillon, inspecteur des finances. Les prévisions de l’IS par la direction générale du Trésor reposent sur un modèle de microsimulations. Les services simulent d’abord l’EBE agrégé à partir des hypothèses macroéconomiques de masse salariale, d’évolution du PIB, etc., avant de microsimuler, entreprise par entreprise, l’évolution du bénéfice fiscal. Ils intègrent ainsi des agrégats macroéconomiques dans leur modèle pour microsimuler l’évolution de l’IS. Ils ne réalisent en revanche pas – ou peu – d’analyses sectorielles.
La consultation des comptes trimestriels de l’Insee, qui produit des informations détaillées sur l’évolution de l’EBE par secteur, a effectivement montré que celui du secteur de l’énergie avait enregistré une forte hausse en 2023, attribuable pour moitié à l’augmentation de l’EBE d’EDF. Le Trésor s’appuie d’ordinaire assez peu sur les données sectorielles : il privilégie des modèles de microsimulation ou des méthodes économétriques, qui, au reste, sont habituellement plus fiables qu’une approche par entreprise, dans la mesure où il est assez rare qu’un seul acteur pèse si lourdement dans l’évolution de l’EBE global.
C’est donc plutôt l’habitude et la nature des modèles utilisés qui peut expliquer que cette donnée n’ait pas été prise en compte. Nous n’avons en tout cas pas démontré que cette information aurait été portée à la connaissance des prévisionnistes et volontairement exclue des calculs.
M. le président Éric Coquerel. M. Veillon, vous exercez désormais un rôle politique auprès de la ministre chargée des comptes publics. À ce titre, que pensez-vous qu’il soit possible de faire pour corriger cette situation ?
M. Paul-Armand Veillon. Je suis en effet le directeur adjoint du cabinet d’Amélie de Montchalin, après avoir occupé la même fonction dans le cabinet de Laurent Saint-Martin.
Nous recommandons, dans notre rapport, de mieux prendre en compte l’évolution sectorielle de l’EBE – je crois savoir que le Sénat s’est également exprimé en ce sens. Les prévisionnistes devraient étudier, en plus des évolutions macroéconomiques, l’évolution de l’EBE et du bénéfice fiscal des principales entreprises, qui peuvent influer sur l’évolution de l’EBE à l’échelle macroéconomique.
M. le président Éric Coquerel. Je m’interroge sur les hypothèses favorables intégrées dans les prévisions pour 2023. Vous indiquez par exemple que « la cible de 4,9 % de déficit a été retenue […] grâce à la prise en compte d’un scénario macroéconomique ajusté […], un ajustement des dépenses […] et, à la marge, des hypothèses favorables prises sur les recettes ». De même, vous soulignez que la prévision de recettes d’impôt sur les sociétés pour le programme de stabilité 2023 reposait sur une hypothèse favorable, à savoir une croissance du bénéfice fiscal pour 2022 de 7 %, alors que le consensus entre administrations avait retenu une hausse de 4 %.
Vous évoquez également un « pilotage par le déficit » en 2023, qui consiste à fixer un objectif de déficit optimiste dans l’espoir d’aboutir à un résultat proche de la cible. Ce fonctionnement ne risque-t-il pas de conduire à une surestimation des recettes, susceptible de déraper fortement si le contexte macroéconomique est mal appréhendé ?
Mme Émilie Maysonnave. Nous avons effectivement décrit comment les prévisions sont élaborées : la direction générale du Trésor formule des prévisions techniques, qui font l’objet d’échanges avec les cabinets ministériels, puis les prévisions deviennent normées. Cette dernière étape consiste à rendre des arbitrages sur les mesures nouvelles et le choix de l’aléa pesant sur les prévisions.
Nous avons bien identifié des hypothèses favorables, dont je répète toutefois qu’elles sont d’ampleur limitée. Elles constituent une forme de prise de risque pour le respect de la trajectoire de déficit, même si de bonnes surprises sont également possibles. Cette prise de risque n’est pas nécessairement problématique : l’important est de pouvoir documenter les écarts et expliquer les choix opérés. C’est l’objet d’une de nos recommandations.
La prévision de finances publiques est un processus très complexe, incertain par nature, qui résulte de la fixation de nombreux paramètres. Nous n’avons pas nécessairement identifié le risque que vous évoquez. Nous avons simplement décrit le processus tel que nous l’avons compris. Il nous semble pouvoir être amélioré par la documentation des écarts a posteriori et par la quantification de l’incertitude, qui permettrait de clarifier le débat autour de l’hypothèse favorable et de la prévision centrée.
M. le président Éric Coquerel. Le pilotage par le déficit ne vous semble-t-il pas susceptible de conduire naturellement au genre d’erreurs qui ont été commises et qu’il conviendrait de ne pas répéter à l’avenir ?
Mme Émilie Maysonnave. C’est une bonne question. Le déficit peut être à la fois une conséquence de la prévision et, dans le cadre du pilotage par le déficit, un élément de cadrage. La cible de déficit est forcément politique, notamment parce que la France s’engage, à travers son programme de stabilité, dans une trajectoire de réduction du déficit. Le gouvernement n’a donc pas intérêt à en fausser l’estimation. La preuve en est donnée par nos travaux respectifs, qui montrent toute l’importance d’étayer et de documenter les écarts de déficit lorsqu’ils surviennent.
M. Hippolyte d’Albis. Vous abordez une question très large. Dans un exercice de prévision, certains objets reviennent de façon récurrente – par exemple, l’impôt sur le revenu, dont on suppose que le taux reste stable. Le rôle du prévisionniste consiste à se fonder sur cette législation inchangée et à l’adapter à ce qu’il perçoit de l’évolution de l’économie pour faire une prévision. Il n’effectue alors aucun pilotage : la prévision se fonde uniquement sur l’information disponible.
Une prévision intègre cependant aussi des mesures nouvelles, qui font l’objet d’arbitrages gouvernementaux ou d’amendements parlementaires devant être chiffrés. C’est bien en ayant une certaine vision de ce que serait l’état des finances publiques en l’absence de toute réforme qu’on connaît les marges de manœuvre disponibles pour satisfaire à un objectif donné, par exemple la réduction du déficit. Les mesures nouvelles, qui sont du ressort du gouvernement, donnent forcément lieu à des correspondances entre le processus de construction du budget et l’élaboration des prévisions de finances publiques.
M. le président Éric Coquerel. À plusieurs reprises, on a choisi de retenir des hypothèses favorables, par exemple en matière de déficit. Ces choix ont été faits en fonction des effets attendus de la politique menée. Lorsqu’on accumule les hypothèses favorables, on a plus de chances d’être démenti par la réalité.
Mme Émilie Maysonnave. Nous ne pouvons pas reprendre à notre compte l’idée selon laquelle il y aurait une succession d’hypothèses favorables. En tout état de cause, leur ampleur est limitée. Nous en avons mis en évidence à chaque échéance de prévision. Celles-ci sont liées mais constituent chacune un exercice complet de prévision : autrement dit, les hypothèses favorables du programme de stabilité ne se cumulent pas avec celles du projet de loi de finances et celles du projet de loi de finances de fin de gestion.
M. Hippolyte d’Albis. Nous chiffrons ces hypothèses favorables à environ 4 milliards d’euros, ce qui est élevé en valeur absolue mais faible au regard des 1 200 milliards d’eurosde recettes, dont elles représentent moins de 0,4 %. On peut certes considérer que ce montant est trop élevé et que toutes les prévisions doivent être centrées. Nous avons dit qu’il y avait de l’optimisme, ce qui ne signifie pas que l’ensemble du processus de prévision était optimiste.
Par ailleurs, l’année 2023 fait suite à deux exercices au cours desquels les recettes avaient été sous-estimées : on pourrait dire que les prévisionnistes et le gouvernement avaient été, alors, pessimistes. Lors de l’affaire de la cagnotte, au tournant des années 1999 et 2000, on avait accusé les prévisionnistes d’avoir caché des recettes fiscales potentielles pour réduire les déficits. Évidemment, les techniciens que nous sommes recommandent plutôt d’avoir des prévisions centrées. Toutefois, si ces dernières sont les plus probables du point de vue statistique, cela ne signifie pas qu’elles vont nécessairement se réaliser.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Parmi les six prélèvements que vous avez évalués, celui pour lequel l’exécution a le plus divergé de la prévision de recettes est sans nul doute la Crim. En effet, au lieu des 12,3 milliards d’euros attendus, les recettes se sont élevées à 600 millions d’euros. Quelle analyse faites-vous de cet écart considérable ? Une réponse évidente paraît être la surestimation du tarif spot de l’électricité, qui ne s’est maintenu que quelques semaines à 500 euros le mégawattheure (MWh), à l’été 2022. N’y a-t-il pas là une forme de surestimation volontaire qui témoigne d’une insincérité de la prévision budgétaire ?
M. Hippolyte d’Albis. Personne ne défendra cette prévision, qui est clairement un raté. Cela étant, j’aimerais rappeler le contexte. Établir une prévision est, par définition, un art difficile ; il l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de prévoir un prix, à plus forte raison dans le secteur de l’énergie. À la mi-2022, on se trouvait au cœur d’une crise énergétique sans précédent, caractérisée par des niveaux de prix très élevés sur les marchés spot. La meilleure chose à faire, pour un économiste qui souhaite prévoir un prix, est de regarder les marchés futurs – ou forward –, qui indiquent le prix que l’on est prêt à payer pour avoir, demain, des livraisons d’électricité. Sur les marchés forward, à l’été 2022, le prix du mégawattheure est monté à 1 300 euros ; autrement dit, on anticipait le fait que le prix allait demeurer élevé. On pensait alors que le système électrique français connaîtrait un black-out et que l’on subirait des difficultés au cours de l’hiver. On disait également que certains énergéticiens avaient réalisé beaucoup de profits grâce à la hausse des prix consécutive à l’invasion de l’Ukraine. Les acteurs avaient la conviction que ces entreprises engrangeaient des surprofits, des rentes indues, et qu’il convenait de les taxer, ce qui procurerait des recettes considérables – le chiffrage alors réalisé était en effet très élevé.
Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé : le marché s’est retourné, les prix ont très fortement baissé – étant rappelé, toutefois, que les prix spot ont remonté à l’automne. Dans les budgets d’hiver réalisés en tout début d’année 2023, les prévisions avaient déjà été ajustées, et ont continué de l’être par la suite.
Si l’on voulait tirer des enseignements de cet épisode, on pourrait dire qu’une mesure nouvelle concernant un impôt particulièrement complexe doit être mieux chiffrée. Dans le rapport, nous faisons des recommandations qui, je crois, sont largement partagées ; nous proposons notamment que les mesures d’une telle ampleur, parfois issues d’un amendement gouvernemental, puissent faire l’objet d’un chiffrage plus transparent, éventuellement contestable et discuté de façon beaucoup plus large.
M. Éric Ciotti, rapporteur. On peut admettre vos arguments quant à la volatilité des prix de marché et à l’absence de visibilité. Cela étant, on constate une évolution des prix au cours de l’année 2023 ; la prévision de recettes passe alors de 12,3 à 2,8 milliards dans le PLFG, alors que la recette s’élève à peine à 600 millions en octobre. Même le chiffre corrigé paraît très élevé. Avez-vous une explication concernant cette surévaluation dans le PLFG ?
M. Hippolyte d’Albis. Comme nous l’avons écrit dans le document, cela fait partie des éléments que nous qualifions d’hypothèses favorables. La prudence aurait recommandé de faire une évaluation un peu plus faible. Il se trouve que, compte tenu d’un décalage des paiements, le montant collecté a été un peu plus élevé que les 600 millions d’euros figurant dans le budget. Le biais d’optimisme est donc moindre que ce que l’on a écrit dans le rapport. Il a été certainement nécessaire de relancer les énergéticiens présents sur le marché des énergies renouvelables, assujettis à la taxe, mais aussi, peut-être, de leur fournir des explications sur cette dernière compte tenu de sa complexité.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 faisait état d’un écart de prévision de recettes de 8 milliards d’euros pour 2023. Toutefois, le gouvernement n’a déposé aucun amendement pour prendre en compte cette situation. Pourtant, une note de la direction du Trésor signalait ce point dès l’été 2023, me semble-t-il, et d’autres notes ont suivi à l’automne. Le gouvernement n’a absolument pas rectifié le projet de loi de finances pour 2024, alors que, techniquement, cela aurait encore été possible. Sur quoi vous fondez-vous pour dire que l’écart constaté ne justifiait pas nécessairement cette correction ?
Mme Émilie Maysonnave. Nous nous sommes penchés sur l’information disponible – c’est-à-dire transmise par l’administration – lors de l’examen parlementaire des textes budgétaires, en nous concentrant sur deux dates : le 20 novembre et le 12 décembre. Cela revenait à s’interroger sur l’opportunité de procéder aux modifications que vous évoquiez. Nous avons aussi regardé les informations disponibles en source ouverte.
En novembre, les administrations avaient mis en évidence un écart de 3,7 milliards d’euros, soit près de 0,1 point de PIB, entre la prévision du PLFG – qui est établie en septembre – et leurs anticipations du résultat qui serait constaté en fin année. Ces 3,7 milliards provenaient d’une moins-value attendue sur la TVA, qui a été documentée par la direction générale des finances publiques (DGFIP) dès la fin octobre. Ce montant s’expliquait aussi, selon nous, par les acomptes de la Crim, connus en octobre également.
Nous avons identifié deux autres éléments, qui représentent un montant de 4,1 milliards d’euros, pour lesquels l’administration n’a pas relevé l’information disponible. Il s’agit, d’une part, d’EDF et, d’autre part, de la moindre dynamique de la masse salariale, mise en évidence par le HCFP en octobre, qui a entraîné une baisse des cotisations, des prélèvements sociaux sur l’activité et de l’impôt sur le revenu. Cela représentait au total, avant le 20 novembre, un montant de 7,8 milliards d’euros, tel que la mission l’a estimé a posteriori, soit 0,3 point de PIB. Cela commençait à faire beaucoup, mais les administrations, que l’on suppose de bonne foi, ont estimé l’écart à 3,7 milliards d’euros.
En décembre, les administrations ont identifié un écart de 6,6 milliards d’euros. En employant la même méthodologie – autrement dit, en prenant en compte l’information disponible par ailleurs –, nous y ajoutions 3,7 milliards d’euros. Au total, on parvenait à un montant d’environ 10 milliards d’euros, soit 0,4 point de PIB.
Nous avons écrit que les écarts signalés par les administrations ne justifiaient pas le dépôt d’un amendement gouvernemental. Le rôle de la mission de l’IGF n’est pas de dire si le gouvernement aurait dû ou non déposer un amendement. Ce que nous voulions signifier par là, c’est que les écarts de prévision signalés par l’administration, à hauteur de 0,1 ou 0,2 point de PIB, s’inscrivent dans la marge d’erreur classique des écarts de prévision à ce moment de l’année. Toutefois, nous affirmions que ces écarts étaient sous-estimés. S’ils ne l’avaient pas été, peut-être la question aurait-elle pu s’apprécier autrement. Nous en tirons des recommandations sur le processus de suivi de la prévision au regard du résultat constaté en fin d’année, notamment sur la masse salariale, qui pèse pour plusieurs milliards, et dont la dynamique moindre n’a pas été suffisamment anticipée par l’administration.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Envisagez-vous d’accomplir le même travail sur 2024 ? Intuitivement, le ratio que vous évaluez entre facteurs internes et externes vous paraît-il applicable à 2024 ?
M. Hippolyte d’Albis. Nous ne nous autosaisissons pas et n’avons pas vocation, me semble-t-il, à conduire des missions récurrentes. En revanche – c’est une recommandation du rapport –, il nous semble nécessaire que l’administration chargée de la prévision procède à une analyse a posteriori des écarts de prévision, qui soit pérenne, visible et compréhensible. En outre, chaque année, lorsque l’analyse fait ressortir des écarts de prévision, un plan d’action approprié devrait être conduit pour les réduire.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Les modèles de prévision et, plus généralement, les modèles macroéconomiques ont-ils été perturbés par les chocs exogènes survenus au cours des dernières années ? N’est-ce pas la principale explication des difficultés de prévision que nous avons rencontrées au cours des deux dernières années ? Vous avez notamment évoqué la désinflation : ce phénomène, qui marque le succès de la politique économique internationale et, surtout, européenne, n’a-t-il pas conduit, paradoxalement, à ces écarts de prévision ?
M. Paul-Armand Veillon. Les chocs survenus entre 2021 et 2023 ont eu un impact très net sur les prévisions d’IS et de TVA. S’agissant de l’IS, la crise énergétique a entraîné une forte hausse de l’excédent brut d’exploitation d’EDF, laquelle explique la moitié de la hausse de l’EBE global en 2023. En 2022, à l’inverse, EDF avait connu un déficit très important. Le choc énergétique a donc été à l’origine de la difficulté de la prévision.
Pour ce qui est de la TVA, on a assisté à un changement de comportement des ménages et des entreprises au cours de l’année 2023, qui s’est traduit par une accélération du remboursement des crédits de TVA. Ce phénomène n’avait pas été anticipé ; le stock de crédits de TVA était plutôt stable. C’est un deuxième exemple d’effet comportemental, qui est peut-être lié à une évolution de la trésorerie des entreprises et à l’inflation, qui n’était pas pris en compte dans les modèles.
Nous avons recommandé, en conséquence, de mieux prévoir le remboursement des crédits de TVA. Désormais, les administrations établissent une prévision dédiée à cette ligne. Par ailleurs, s’agissant de l’IS, nous recommandons une analyse sectorielle.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Ne pouvait-on pas prévoir l’écart de prévision puisqu’on savait assez tôt qu’EDF allait reporter le déficit enregistré en 2022 ?
M. Paul-Armand Veillon. Nous avons analysé l’information disponible lors de l’élaboration des prévisions pour le PLF 2024. On disposait à ce moment-là de deux types de données – les comptes trimestriels de l’Insee et les prévisions de résultats d’EDF pour le premier semestre 2023 – qui permettaient de constater une très forte hausse du bénéfice et de l’EBE par rapport à 2022. On savait que le déficit de 2022 allait être effacé. En outre, on pouvait anticiper, compte tenu des informations disponibles et de la possibilité de reporter le déficit de 2022, un moindre impact de la hausse de l’EBE sur le bénéfice fiscal et sur l’IS.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Les recettes de TVA ont été nettement inférieures à l’évolution de l’emploi taxable. En dehors des remboursements de crédits, comment expliquez-vous l’écart constaté ? Considérez-vous que l’évolution de la composition de la croissance ou les changements intervenus dans le comportement des ménages – caractérisés notamment par une hausse du taux d’épargne – sont à l’origine de ces moindres recettes ?
M. Paul-Armand Veillon. Lorsque nous avons conduit la mission, beaucoup d’inconnues demeuraient sur les raisons de l’écart de prévision. Une partie de l’écart était liée aux crédits de TVA ; une autre partie pouvait s’expliquer par la différence entre les hypothèses macroéconomiques prévues et constatées, mais ce décalage était assez faible et ne suffisait absolument pas à expliquer l’écart de prévision.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Savez-vous si des travaux ont été poursuivis pour expliquer ce phénomène ?
M. Paul-Armand Veillon. À notre connaissance, des travaux ont été lancés au sujet des crédits de TVA pour comprendre les raisons de l’ampleur des remboursements et mettre en place une prévision dédiée, mais nous n’avons pas été informés des conclusions de cette étude.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Avez-vous des recommandations pour mieux anticiper l’évolution de la masse salariale, notamment à l’horizon infra-annuel ?
M. Paul-Armand Veillon. Nous indiquons dans le rapport que les administrations prévisionnistes n’ont pas exploité les dernières informations disponibles. Le HCFP a lancé une alerte à partir des remontées de l’Acoss (Agence centrale des organismes de sécurité sociale). Des données comptables sur les cotisations constatées à la fin octobre et à la fin novembre montraient une décélération de la masse salariale, mais elles n’ont pas été prises en compte dans les notes de la direction générale du Trésor. L’écart ne provient donc pas d’une erreur de prévision mais de l’absence d’exploitation des informations disponibles en octobre et en novembre.
M. le président Éric Coquerel. Pourquoi ces informations n’ont-elles pas été prises en compte ?
Mme Émilie Maysonnave. Il appartient aux administrations d’en rendre compte précisément mais nous formulons l’hypothèse que le moindre dynamisme de la masse salariale est intervenu à une période où il n’y avait pas de suivi particulier lié à l’établissement d’une prévision dans le champ de la sécurité sociale. Nous documentons ce point de manière détaillée. Une première prévision est établie en septembre, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), et une seconde en fin d’année. En l’occurrence, on se trouvait entre les deux.
C’est peut-être une explication un peu courte mais nous avons constaté, de manière générale, que le champ des administrations de sécurité sociale pourrait être mieux suivi. En effet, pour ce qui concerne l’État, on a trouvé beaucoup plus de données consolidées sur l’historique de l’écart de prévision et la décomposition des écarts. C’est moins le cas pour les administrations de sécurité sociale, dont le suivi est éclaté entre la direction de la sécurité sociale (DSS) et la direction générale du Trésor. Nous recommandons un meilleur suivi de la part de ces administrations et l’établissement de profils de prévision infra-annuels, lesquels n’existent pas pour les cotisations sociales. L’écart de prévision est très faible par rapport au volume des cotisations sociales, mais il se chiffre tout de même en milliards d’euros, que l’on retrouve dans les écarts de prévision de recettes et du déficit. Cette question doit être mieux suivie, par exemple par la tenue de réunions mensuelles entre les équipes, afin de suivre les variables macroéconomiques et d’anticiper leur impact sur l’atterrissage de fin d’année.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous recommandez que l’on ne fasse plus de prévisions liées au projet de loi de finances de fin de gestion et que l’on se concentre sur le projet de loi de finances initiale, ce qui paraît contre-intuitif, compte tenu de la nécessité de prévoir de la manière la plus fine possible l’exécution.
Les difficultés rencontrées au sujet de la contribution sur la rente inframarginale viennent du fait que la mesure est arrivée en cours de débat. Avez-vous identifié des mécanismes de nature à améliorer la prévision des recettes liées à des mesures introduites par voie d’amendement ?
M. Hippolyte d’Albis. Vous abordez là la question de l’actualisation de la prévision. Traditionnellement, la direction générale du Trésor se livre à deux grands exercices de prévision. Ceux-ci sont complexes compte tenu de l’ensemble des lignes concernées, du nombre de recettes et de dépenses et, partant, de la très grande quantité d’informations à récupérer. Il faut consolider cette information, autrement dit la placer dans un système comptable unique, et l’utiliser afin d’établir une prévision. Étant donné le poids des finances publiques en France, cette prévision a un impact sur la macroéconomie et sur la prévision de croissance. Réciproquement, la croissance agit sur les finances publiques. L’objet à prévoir est donc très lourd et très complexe.
La loi impose que les documents budgétaires indiquent une prévision qui utilise toute l’information disponible jusqu’à la date même du vote, ce qui est légitime et bienvenu mais représente une contrainte très forte. En effet, une nouvelle information peut potentiellement modifier l’ensemble des lignes, y compris la prévision de croissance, ce qui entraîne, par voie de conséquence, d’autres modifications. Des personnes très dévouées et compétentes se consacrent à la prévision, mais on peut regretter que le système ne soit pas assez automatisé. La direction générale du Trésor n’a pas la capacité de refaire un exercice complet de prévision de très bonne qualité dès qu’apparaît une nouvelle information, qui est parfois intégrée avec retard, notamment lorsqu’elle survient à l’automne. La procédure suivie peut expliquer une mauvaise prise en compte.
Il pourrait être recommandé de préciser, lorsqu’on établit une prévision, qu’elle est faite en fonction de l’information disponible à telle date. Cela reviendrait à accepter de ne pas utiliser une information nouvelle parce qu’on n’est pas en mesure de bien l’intégrer. L’administration se trouve dans un entre-deux. On lui demande une tâche objectivement très difficile. Dans d’autres pays, tels les États-Unis ou le Royaume-Uni, on ne demande pas autant d’exercices de prévision. On peut toujours améliorer les choses et systématiser les procédures mais cela représente un coût. Nombreux sont ceux qui réfléchissent déjà à cette question. Il faut se demander s’il y a un gain à réduire l’écart de prévision de 0,1 %.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Si je vous comprends bien, l’effort d’ajustement aligné sur notre calendrier budgétaire peut se révéler contre-productif. Si vous n’élaboriez qu’une ou deux prévisions dans l’année sans les ajuster aux aléas, vous feriez un travail de meilleure qualité que celui imposé par les ajustements requis par la loi, c’est bien cela ?
M. Hippolyte d’Albis. Je ne remets pas en cause le fonctionnement démocratique. Au Royaume-Uni, les parlementaires ne peuvent pas déposer d’amendements au budget : l’administration chargée d’établir la prévision présente le budget, puis celui-ci est voté par la majorité parlementaire. En France, les amendements sont autorisés et ils peuvent affecter les finances publiques : c’est une bonne chose, mais cela complique le travail de l’administration qui doit ajuster sa prévision jusqu’au vote définitif du projet de loi de finances. Ce n’est pas contre-productif, mais la grande difficulté de la tâche réduit la probabilité de la voir être menée parfaitement à bien.
M. le président Éric Coquerel. Encore faut-il qu’il y ait une majorité… Depuis deux ans, la situation a changé de ce point de vue en France.
M. Hippolyte d’Albis. C’est en effet plus facile avec une majorité. Depuis deux ans, il y a davantage d’amendements à évaluer financièrement et à intégrer dans la prévision : cette évolution complexifie le travail de Bercy.
M. le président Éric Coquerel. Même avant l’augmentation du nombre d’amendements, le HCFP relevait des écarts entre la prévision et la réalité.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je tiens à remercier les rapporteurs, qui nous communiquent les questionnaires transmis aux personnes auditionnées : c’est très précieux pour préparer nos questions.
Au fur et à mesure des auditions, nous commençons à cerner les difficultés de la prévision. Je m’inquiète tout autant de l’excès de pessimisme dans les prévisions – qui ne donne pas lieu à des commissions d’enquête – que d’optimisme. Autre élément alarmant, aucun fonctionnaire auditionné n’a évoqué l’apport de correctifs aux défauts de prévision. Cela n’augure rien de bon pour 2025 : si l’on considère qu’il n’y a pas eu d’erreur de prévision en 2023 et en 2024, comment pourrait-on imaginer que la situation ne se reproduise pas en 2025 ? Existe-t-il des éléments pouvant nous faire penser que les prévisions du projet de loi de finances pour l’année qui a commencé ne seront pas trop optimistes ? Au-delà du budget austéritaire en préparation, nous pouvons craindre le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative ou la prise d’un décret annulant des crédits, afin d’amputer davantage les dépenses puisque le gouvernement se refuse à toute action sur les recettes.
Mme Émilie Maysonnave. Votre question est large et la mission de l’IGF ne peut y apporter qu’une réponse partielle. Le levier sur lequel il nous paraît possible d’agir a trait à la correction des erreurs évitables. Notre principale recommandation technique porte sur l’absence de prise en compte d’informations disponibles. Le gouvernement peut corriger lui-même les hypothèses favorables, en retenant une cible mieux centrée et assise sur l’ensemble des éléments dont il a connaissance.
La direction générale du Trésor a intégré notre suggestion de procéder à des analyses par branche pour l’évaluation de l’IS. La prévision du produit de l’IS pour l’année suivante prendra en compte les informations relatives aux branches.
M. Hippolyte d’Albis. Il y aura probablement un écart, parce qu’il est rare de prévoir l’avenir avec exactitude. Un projecteur a été mis sur cette question de la prévision.
M. le président Éric Coquerel. Oui, à cause de l’erreur massive qui a été commise. Si les marchés perdent confiance dans la fiabilité des éléments transmis par un État, cela peut avoir des conséquences. L’erreur à l’origine de notre commission d’enquête n’est pas seulement de 0,2 %.
M. Hippolyte d’Albis. Je ne dis pas que la discussion est illégitime, mais nous constatons que le sujet est devenu politique depuis un an et demi. Cette évolution possède des vertus : mettre en lumière cet exercice et inciter l’administration à améliorer ses prévisions pour éviter les critiques.
Vous suggérez peut-être, madame Arrighi, que les prévisions peuvent être présentées selon une stratégie politique visant à élaborer une loi de finances rectificative : la visibilité d’un tel jeu le rendrait dangereux. Plus les prévisions seront transparentes et diffusées, moins un gouvernement sera tenté d’utiliser l’exercice à des fins stratégiques. Tout une partie de notre rapport porte sur la communication de la prévision.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que les écarts entre la prévision et le résultat constaté sont inhérents à l’exercice et n’obéissent pas forcément à une manipulation politique. La Cour des comptes et le Sénat ont traité le sujet de l’incertitude : il faut accepter que la prévision ne soit pas parfaite, même si l’exercice est effectué par des personnes sincères et compétentes.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Je ne mettais en doute ni la sincérité, ni la compétence des personnes qui ont effectué ces prévisions, mais je questionne le choix politique de ne communiquer que sur les hypothèses les plus favorables, pour les mesures nouvelles comme pour les recettes constatées.
Il faudrait comparer les prévisions aux éléments dont disposent les plus grandes entreprises afin de ne pas attendre le cinquième acompte de l’IS pour s’assurer, notamment grâce aux informations sur la TVA, de l’alignement du chiffre d’affaires des entreprises sur les prévisions. Cette option vous paraît-elle efficace pour limiter les erreurs évitables ?
M. Paul-Armand Veillon. Pour 2023, il aurait été utile de regarder le compte d’exploitation prévisionnel et le résultat du premier semestre d’EDF pour prévoir l’IS. Le poids des très grosses entreprises françaises dans l’IS est élevé : dans ce cadre, il peut être intéressant d’examiner la publication des résultats de ces entreprises au premier semestre afin d’ajuster, ou non, la prévision du bénéfice fiscal.
Nous n’avons pas précisément étudié les modèles de prévision de la TVA, donc j’ignore si une analyse par entreprise améliorerait la prévision.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Les directions financières des grandes entreprises sont assez affûtées pour établir leur chiffre d’affaires et peuvent moduler leur IS : je suis surprise qu’il ait fallu attendre le cinquième acompte pour ajuster la prévision. Les cent plus grosses entreprises, celles dont le chiffre d’affaires est le plus élevé, ont modulé leur acompte d’IS. Quant à la TVA, il est encore plus facile d’observer son évolution, puisque son versement par les entreprises est mensuel. Pouvez-vous m’éclairer sur l’absence d’ajustement de la prévision dans ce contexte ?
M. Paul-Armand Veillon. Le cinquième acompte correspond au bénéfice fiscal prévisionnel, établi à la fin du mois de novembre. Néanmoins, beaucoup d’événements peuvent se produire avant la clôture des comptes des entreprises, laquelle intervient généralement au début de l’année suivante. Celles-ci déclarent ensuite leur bénéfice fiscal en mars ou en avril, puis elles paient leur montant d’IS. L’administration a transmis les chiffres nécessaires à l’élaboration du PLF pour 2024 à la fin du mois d’août 2023, date à laquelle elle ignorait la prévision du bénéfice fiscal établie par les entreprises au moment du cinquième acompte. Elle disposait d’éléments sur le premier semestre de l’année et aurait pu obtenir des informations sur EDF, mais les entreprises pouvaient encore modifier fortement leur prévision de bénéfice fiscal et ajuster les quatrième et cinquième acomptes.
Les plus fortes variations se produisent au moment du cinquième acompte. En effet, comme celui-ci est versé à la fin de l’année, il constitue en quelque sorte un solde, qui peut fortement varier, à la hausse comme à la baisse. L’écart de prévision a atteint 5 milliards d’euros, mais le cinquième acompte est toujours difficile à prévoir du fait de sa volatilité. Nous avons regardé la chronique sur une longue période : elle laisse apparaître plusieurs surprises, notamment en 2022 où le cinquième acompte s’était révélé très positif, signe d’un écart de prévision.
Mme Christine Arrighi (EcoS). La régularisation fut en effet très positive en 2022 et nous en avions profité pour déposer des amendements visant à taxer les superprofits.
Certes, les prix de l’électricité varient et un contexte anxiogène a émergé autour de cette volatilité – que l’on se souvienne du col roulé de Bruno Le Maire –, mais les réponses apportées sur la Crim m’ont laissée sur ma faim. Jérôme Fournel nous a parlé d’une déconvenue majeure. Il est très étonnant qu’une rectification significative de ce dispositif mal conçu n’ait pas eu lieu en 2024. Je peux comprendre que l’hypothèse la plus favorable ait été choisie lorsque le contexte était anxiogène, mais que la même option soit retenue en 2024 est beaucoup moins défendable. Ne soumettre que les énergéticiens, notamment EDF, à cette contribution en a forcément limité le produit.
Mme Émilie Maysonnave. Il est difficile de vous répondre sur ce point. Nous n’avons pas étudié les modifications qu’il aurait fallu apporter à la Crim pour la rendre plus efficace en 2024.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Vous n’avez pas été saisis après cette catastrophe industrielle ?
Mme Émilie Maysonnave. Non.
M. Hippolyte d’Albis. Nous n’avons en effet pas été saisis, mais votre question est légitime. Faut-il construire un instrument fiscal en fonction de sa prévisibilité ? Plus il est prévisible, plus il aide le décideur politique qui dispose d’une information supplémentaire ; cependant, la prévisibilité n’est pas le seul critère présidant à la conception d’un impôt. La Crim, qui touche un faible nombre d’acteurs, est un dispositif très peu prévisible, très dépendant de l’évolution des prix de l’électricité et très complexe, mais on peut vouloir déployer un outil fiscal peu prévisible en considérant qu’il est juste de taxer les rentes inframarginales : ce choix relève d’un arbitrage politique.
Mme Christine Arrighi (EcoS). La Crim a été vendue politiquement pour son rendement.
M. Hippolyte d’Albis. Oui.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur d’Albis, vous avez affirmé que plus les prévisions étaient bonnes et diffusées, moins un gouvernement était tenté de les modifier dans un objectif politique. Est-ce un principe abstrait que vous avez énoncé ou faisiez-vous référence à des faits précis ?
M. Hippolyte d’Albis. C’est un principe, mais il n’a rien d’abstrait, il correspond à la réalité. Le gouvernement présente un projet de loi de finances reposant sur une prévision : si elle est rendue publique et qu’elle se révèle erronée, la crédibilité du gouvernement en souffre. Plus la prévision est détaillée et expliquée a priori et a posteriori, plus le processus est démocratique et vertueux.
M. le président Éric Coquerel. Certes, mais ce n’est pas exactement ce que vous avez dit. Vous avez parlé de la qualité de la prévision et de la communication autour de cet exercice.
Nous avons émis l’idée que les notes intermédiaires pourraient être transmises à certains membres de la commission des finances : même le gouvernement avait évoqué cette possibilité. Vous n’avez pas articulé la qualité de la communication à l’amélioration de l’anticipation mais à la limitation de la tentation de jouer avec la prévision. Face au soupçon d’un gouvernement qui présenterait des prévisions plus favorables en fonction d’objectifs politiques, vous défendez l’idée selon laquelle l’amélioration de la qualité des prévisions et de leur communication réduirait la tentation de manipuler les prévisions.
Dans le cas que nous étudions, estimez-vous que le gouvernement a présenté un tableau plus positif que celui qui ressortait des éléments transmis par les services de Bercy ?
M. Hippolyte d’Albis. J’ai énoncé un principe général : l’exercice de prévision doit être transparent et la communication avec le Parlement, la société civile, les tiers de confiance et, éventuellement, les acteurs à même d’effectuer des prévisions alternatives doit être renforcée. La prévision est un exercice technique qui mobilise les enseignements du passé et l’ensemble des informations disponibles.
Encore une fois, une bonne prévision ne consiste pas à sortir le bon chiffre, car il y a très peu de chance que celui inscrit dans la loi soit identique au résultat constaté ; une bonne prévision présente un intervalle dont la largeur n’est pas excessive. Un gouvernement peut se montrer plus optimiste que le technicien car il a confiance dans la politique qu’il applique. À l’inverse, il pourrait choisir la prudence par crainte de voir le déficit public déraper : en se positionnant ainsi, il révélerait la priorité qu’il accorde à la stabilité budgétaire et aux engagements qu’il a pris auprès de la Commission européenne. Le pouvoir politique peut se positionner à l’intérieur de l’intervalle de prévision, près de sa marge haute, de sa limite basse ou de son centre. À l’intérieur d’une prévision technique raisonnable et sincère, le gouvernement fixe une cible. Les Britanniques suivent cette approche : le gouvernement définit une cible de déficit public et l’institut chargé de la prévision s’assure que cet objectif se situe dans un intervalle de confiance crédible. Cette démarche n’est pas celle de la France, où le gouvernement fixe une prévision centrée technique : en 2023, il s’est montré trop optimiste, mais il avait fait preuve de pessimisme les années précédentes.
M. le président Éric Coquerel. Ma prochaine question m’a été soufflée par une journaliste, preuve que l’on nous écoute. Vous avez évoqué des lacunes dans la remontée des informations ou dans leur prise en compte par les directions de Bercy : y a-t-il des problèmes structurels de communication entre les directions ?
Mme Émilie Maysonnave. L’échange d’informations s’est quelque peu dégradé depuis la crise du covid : les directions tenaient auparavant des réunions mensuelles de suivi des prévisions, mais ces rencontres n’ont jamais repris après la crise sanitaire. Il n’y a désormais plus que quatre réunions annuelles, destinées à fonder, entre les administrations, le consensus que nous décrivons dans notre rapport. Les directions étaient arrivées d’elles-mêmes à la conclusion de la nécessité de réorganiser ces réunions – recommandation qui figurait dans notre rapport. En effet, l’exemple de l’impact de l’évolution de la masse salariale sur celle des cotisations sociales et de l’impôt sur le revenu illustre l’impératif d’échanger régulièrement les informations.
Mme Sophie Mette (Dem). Vous écrivez dans votre rapport que le processus d’arbitrage politique pour retenir les hypothèses macroéconomiques est itératif et repose sur des échanges entre la direction générale du Trésor et les cabinets ministériels portant sur les propositions techniques de l’administration, ajustées au fur et à mesure en fonction des arbitrages ministériels. Au-delà des mesures nouvelles communiquées à l’administration qui auraient un impact sur les prévisions, quelle est la nature exacte des retours effectués par les cabinets ministériels à la direction générale du Trésor ?
Vous indiquez que les hypothèses favorables ont été intégrées dans les prévisions techniques pour faciliter le respect des cibles de déficit en 2023 : est-ce une commande explicite des cabinets ministériels à la direction générale du Trésor ?
Mme Émilie Maysonnave. Nous avons rencontré des difficultés à traiter cette question. De nombreux échanges sont informels et nous n’avons pas lu de comptes rendus de réunions dans lesquels figurent des demandes explicites des cabinets à l’administration pour faire évoluer les prévisions.
La cible de déficit découle des prévisions, mais elle résulte également d’un choix politique et la maîtrise du déficit est un sujet débattu. Certaines hypothèses favorables figuraient dans la prévision technique de la direction générale du Trésor, preuve que l’exercice avait intériorisé la contrainte du déficit. Comme le processus ne nous semble pas très limpide, nous recommandons de le clarifier par la définition d’un intervalle de confiance. Un tel intervalle afficherait la prévision centrée pour chaque impôt, charge au gouvernement de se positionner à l’intérieur de cette fourchette. Un tel mécanisme dispenserait la direction générale du Trésor d’intérioriser la contrainte et clarifierait les rôles entre le technicien et le politique, celui-ci pouvant croire en sa politique et retenir des hypothèses plus risquées.
Mme Sophie Mette (Dem). Vous indiquez également que depuis 2017 et la réduction de la taille des cabinets ministériels, ces derniers ne participent plus aux réunions qui s’appelaient autrefois « arbitrage de recettes ». Ce changement porte-t-il préjudice à la bonne coordination entre le politique et l’administration dans l’exercice de prévision qui sous-tend les projets de loi de finances ?
Mme Émilie Maysonnave. Je n’ai pas d’avis personnel sur la question, ni de préférence entre les deux organisations possibles : actuellement, les réunions de consensus font converger les appréciations des techniciens, le résultat de cette réflexion étant ensuite passé au crible des cabinets ministériels.
M. Hippolyte d’Albis. Ces réunions présentent surtout l’avantage de partager des informations. Même si une administration consolide le tout à la fin, ce moment d’échanges est important.
Prévoir un impôt, ce n’est pas simplement utiliser un modèle mathématique ou statistique : il s’agit aussi de comprendre le monde dans lequel on vit. Il est très important que des personnes émanant de différentes administrations, avec des prérogatives et des compétences différentes, puissent se rencontrer. Le fait qu’un membre du cabinet suive ces échanges modifie-t-il le jeu d’acteurs entre les participants ? Probablement. Les deux solutions présentent des avantages et il n’est pas certain que l’une des deux l’emporte.
Mme Sophie Mette (Dem). Dans votre rapport, vous intégrez assez peu la dimension comparative afin d’identifier les potentielles bonnes pratiques chez nos partenaires européens. Vous indiquez seulement que vous recommandez de développer une méthode de quantification de l’incertitude afin d’adopter les meilleures pratiques internationales. Quelles sont ces meilleures pratiques auxquelles vous faites référence ? Avez-vous identifié d’autres bonnes pratiques à l’échelle internationale qui pourraient être introduites dans notre manière de construire les prévisions ?
M. Hippolyte d’Albis. C’est un vaste sujet. Il y a presque autant de façons de faire des prévisions qu’il y a d’administrations ou de pays.
Quand la prévision budgétaire est externalisée, on constate que le déficit est un peu mieux maîtrisé en moyenne, même si cela ne peut pas être une explication du déficit français. Toutefois, l’externalisation ne conduit pas à un écart moindre : ce n’est pas parce qu’une prévision est externe qu’elle est meilleure.
L’exercice de prévision est particulièrement complexe et nécessite de se trouver au cœur de l’écosystème de l’intervention de l’État pour être en mesure de récupérer et de consolider un très grand nombre d’informations. Il y a donc un avantage à ce que cet exercice soit internalisé dans l’administration centrale ; si vous l’externalisez, il y a plus de distance et c’est plus difficile. La proximité avec la décision politique est importante, ne serait-ce que pour connaître et coconstruire le budget.
La meilleure pratique que nous avons pu repérer consiste à prendre en compte l’incertitude et en parler ; c’est l’objet de notre première recommandation. Notre deuxième recommandation vise à faire un travail a posteriori transparent sur l’écart constaté et sur la mise en place de mesures correctives.
Le monde des prévisionnistes fonctionne ainsi : la prévision vise à proposer un intervalle de confiance, à parler d’incertitude. On n’associe jamais une certitude à une prévision. Les méthodes qui se développent beaucoup consistent à prévoir le présent : il s’agit de nowcasting, par opposition au forecasting, la prévision pour demain. Connaître le présent n’est pas si facile. L’utilisation d’informations qui pourraient être des indicateurs avancés pour connaître la situation présente fait partie des pistes d’amélioration. C’est très important car le PLF comporte non seulement la prévision pour l’année suivante mais aussi le résultat de l’année en cours. Or en décembre 2023, on ne connaît pas encore toute l’année 2023 : cela peut paraître étrange mais c’est ainsi, parce que certaines informations n’ont pas encore été traitées.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du jeudi 16 janvier 2025 à 9 heures
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Mickaël Bouloux, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Mathieu Lefèvre, Mme Sophie Mette, M. Jacques Oberti, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Charles de Courson, Mme Félicie Gérard, Mme Véronique Louwagie, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou