Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Michel Barnier, ancien premier ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958) 2
– Information relative à la Commission................34
– Présences en réunion...........................35
Mercredi
5 février 2025
Séance de 9 heures
Compte rendu n° 079
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
La Commission procède à l’audition de M. Michel Barnier, ancien premier ministre, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).
M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous auditionnons ce matin M. Michel Barnier. Cette audition se tient dans le cadre de nos travaux pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Ces auditions obéissent au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit, qui a été communiqué à la personne auditionnée et qui vous a également été transmis.
Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même ainsi que les rapporteurs poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également poser des questions ensuite, pour une durée d’environ deux minutes. Le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaire, procéder à des relances.
Notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.
Monsieur Barnier, je le rappelle, vous avez été premier ministre de septembre à décembre 2024.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Michel Barnier prête serment.)
M. Michel Barnier, ancien Premier ministre. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie infiniment de votre invitation à apporter ma contribution à vos travaux au sein de la commission des finances, que je connais assez bien pour en avoir fait partie il y a quelques années – je le dis sans nostalgie, mais avec le souvenir de travaux de qualité dans la pluralité de votre représentation politique. Je serai heureux de contribuer, autant que je le pourrai, à ce travail d’éclairage et de le faire publiquement, en saluant celles et ceux qui nous écoutent à l’extérieur de l’Assemblée nationale.
J’ai eu l’honneur d’être le premier ministre de notre pays pendant trois mois, du 5 septembre au 12 décembre de l’année dernière. J’ai accepté d’assumer cette responsabilité que m’a confiée le Président de la République sans avoir exercé de fonction au sein du gouvernement depuis 2009. Après avoir quitté à cette date mes fonctions de ministre de l’agriculture et de la pêche, j’ai rejoint la Commission européenne, où j’ai occupé de 2010 à 2015 les fonctions de commissaire chargé du marché intérieur et des services financiers, et de vice-président, ce qui n’est pas négligeable pour comprendre mon raisonnement et mon approche de l’environnement dans lequel notre pays est plongé.
En arrivant à la tête du gouvernement, en formant mon équipe, mon premier souci est d’obtenir la vision la plus claire et la plus fiable possible de la situation de nos finances publiques. Fort de mon expérience de membre de la Commission européenne, qui m’a permis de voir notre pays d’à côté et parmi les autres, j’ai alors à l’esprit un graphique bien connu figurant l’évolution comparative des ratios de dette publique rapportée au PIB de la France et de l’Allemagne. Jusqu’en 2008, les deux courbes se confondent. Un premier décrochage se produit alors : les deux augmentent, mais la nôtre plus rapidement que celle de l’Allemagne. À partir de 2011, l’écart se creuse.
J’y vois un effet d’alerte. De mon point de vue, avec de tels écarts, on ne peut pas avoir la même monnaie, quoi que l’on pense de la monnaie unique – à titre personnel, je pense qu’elle offre un cadre commun bénéfique dans notre monde troublé et instable. Il n’est pas bon que la gestion des finances nationales diverge à ce point au sein de la zone euro. À Bruxelles, cela s’appelle « pacte de stabilité » ou « critères de bonne gouvernance » ; je l’appellerai pour ma part « règlement de copropriété ». Nous sommes copropriétaires de l’euro et devons gérer ensemble cette monnaie.
J’ai aussi en mémoire la catastrophe, qui n’est pas complètement naturelle, de la crise financière de 2007-2008, dont j’ai dû gérer, à mon poste de commissaire au marché intérieur et aux services financiers, avec d’autres, les suites. Provoquée par le comportement insensé et irresponsable de certaines banques américaines et européennes ainsi que par le détricotage systématique, porté par un fort courant ultralibéral, de toute forme de régulation pendant trente ans, elle a eu des conséquences graves pour beaucoup de gens, plusieurs millions d’emplois ayant été détruits.
J’ai enfin en mémoire le travail que j’ai dû faire pendant quatre ans, patiemment, pour reconstruire l’architecture de régulation européenne, grâce à quarante et une lois, que j’ai présentées au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne, et qui s’inscrivaient dans la feuille de route adoptée par le G20 en 2008. Elles ont permis à notre continent de se réarmer sur le plan de la supervision, de la régulation, des sanctions et de la transparence.
J’ai donc à l’esprit, lorsque je deviens premier ministre de la France, l’interdépendance qui est la nôtre, dans le monde d’aujourd’hui, avec nos voisins, en particulier avec ceux qui font partie de la même zone monétaire.
Le 10 septembre, je m’entretiens avec Bruno Le Maire, ministre démissionnaire de l’économie et des finances, Thomas Cazenave, ministre démissionnaire chargé des comptes publics, et le directeur général du Trésor. Le gouvernement précédent, dirigé par Gabriel Attal, a pris conscience de la dégradation rapide des finances publiques. Les résultats des impôts levés en 2023, notamment ceux de l’impôt sur les sociétés, lui ont été transmis. Il a promulgué des décrets d’annulation de crédits dès février 2024. Le cadre macroéconomique a été actualisé en cours d’année. Indéniablement, des efforts ont été faits par le précédent gouvernement pour tenter de maîtriser le déficit.
Lorsque je prends mes fonctions le 5 septembre, je suis informé par la direction générale du Trésor que la situation s’est dégradée de près d’un point de PIB depuis juillet 2024, au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale. Cela représente une dégradation de 28 milliards par rapport à la première estimation officielle produite par Bercy.
Le 11 septembre – je suis en fonction depuis six jours –, je prends connaissance d’une note de la direction générale du Trésor bien différente de la note précédente, datant du 17 juillet. J’y lis ceci : « L’actualisation que nous présentons dans cette note conduit à une dégradation de la prévision du solde public par rapport aux prévisions d’une ampleur inhabituelle à si brève échéance de la présentation du projet de loi de finances ». Cette note, dont je prends connaissance à peine nommé, est pour moi essentielle. Elle confirme ma propre conviction fondée sur le graphique précité et sur mes échanges avec le gouverneur de la Banque de France qui, en tant que membre du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, a une vision globale et comparative de notre situation.
La note qui se trouve sur mon bureau fait état des dernières remontées comptables relatives aux recettes fiscales et aux dépenses des collectivités locales, en les jugeant préoccupantes. Chacun a en mémoire l’analyse du ministre de l’économie et des finances sortant, excessive de mon point de vue, selon laquelle les dépenses des collectivités locales avaient fortement dégradé les dernières prévisions de solde public.
Quoi qu’il en soit, le déficit public qui m’est indiqué dans cette note comme base de mon travail s’établit à 6,3 % du PIB en 2024 et à 6,9 % du PIB en 2025, contre respectivement 5,6 % et 6,2 % deux mois plus tôt. Pour redresser la situation, la direction générale du Trésor préconise des économies d’ampleur estimées à 45 milliards en 2025, en plus de la concrétisation des lettres plafonds envoyées à l’été par le gouvernement précédent, en vue de ramener la prévision du déficit public à 4,9 % du PIB, soit 60 milliards d’économies en tout. Une autre proposition d’économies, à hauteur de 70 milliards, vise à revenir à la cible du programme de stabilité adopté en mai 2024, soit 4,1 % du PIB – nous en sommes loin.
C’est pourquoi j’ai dit, en essayant d’exprimer la vérité de la situation que je trouvais, que le contexte était beaucoup plus préoccupant que ce que j’avais imaginé. Peut-être avais-je été mal informé ou avais-je mal suivi l’actualité, me trouvant éloigné des affaires. Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de prendre mes responsabilités et d’informer immédiatement les Français de la situation.
C’est pourquoi, dès le 1er octobre 2024, à peine trois semaines après ma nomination, je prononce ma déclaration de politique générale en essayant de satisfaire à une double exigence : indiquer la volonté de réduire la dette ; dire la vérité sur nos comptes publics en annonçant d’emblée que, pour l’année 2024, le déficit devrait dépasser 6 % de notre richesse nationale. J’essaie de dire, peut-être de façon un peu inhabituelle, la prévision des soldes publics aux Français.
Tel est le contexte dans lequel, après avoir dressé le constat le plus objectif possible, je suis amené à préparer un budget difficile mais sincère pour 2025, afin de tenter de commencer à rétablir les finances publiques de notre pays. J’ai tout à fait conscience qu’il n’y a, dans ce budget, que des points difficiles. Je le sais depuis le début, mais je considère qu’il est de ma responsabilité de faire prendre une marche descendante à la trajectoire très dangereuse suivie par nos finances publiques.
La question se pose alors de savoir s’il est opportun de présenter un projet de loi de finances rectificative. Nous avons envisagé la possibilité de prendre en urgence des mesures de frein de la dépense au second semestre. Nous y avons renoncé en raison du contexte politique très particulier de l’Assemblée nationale et faute de temps avant la fin de l’année pour réaliser un effort inédit mais nécessaire de réduction, à tout le moins de moindre accroissement, de la dépense publique, en plus des deux textes budgétaires qu’il fallait présenter, sur lesquels nous préférons nous concentrer.
Le projet de budget que je prépare s’inscrit dans un cadre macroéconomique fidèle aux prévisions validées à deux reprises par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et aux dernières prévisions transmises par le ministère de l’économie et des finances : une croissance du PIB estimée à 1,1 % ; une inflation estimée à 2,1 % ; une cible de déficit de 6,1 % du PIB pour 2024 et de 5 % pour 2025, impliquant des efforts budgétaires.
Ce choix est validé à deux reprises par le HCFP. Dans son avis du 8 octobre 2024 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025, le HCFP indique notamment qu’il s’agit d’une « inflexion de tendance par rapport [aux] deux dernières années » et « considère que la prévision de recettes, de dépenses et donc de solde public pour 2024 est encore affectée d’une incertitude non négligeable, mais est cohérente avec les informations comptables et budgétaires disponibles et avec le scénario macroéconomique ».
Il confirme cette analyse dans son avis du 31 octobre 2024 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour l’année 2024, où il rappelle que celui-ci « repose sur le même scénario macroéconomique et affiche la même prévision de déficit public que le projet de loi de finances pour 2025 » et indique qu’il « considère que la prévision de croissance du Gouvernement pour 2024 (+ 1,1 %) reste réaliste » et que « les comptes nationaux trimestriels publiés par l'INSEE après la saisine du Haut Conseil, qui conduisent à un acquis de croissance de 1,1 % à l'issue du troisième trimestre 2024, confortent ce diagnostic ».
Tel est le constat partagé dont mon gouvernement et moi partons. Je remercie les membres de mon gouvernement, auxquels j’ai demandé de participer à cet effort partagé dans toute la sphère publique de réduction des dépenses et d’accroissement des recettes en vue de réduire drastiquement le déficit public.
Je fais alors face, comme vous, à une contrainte de calendrier inédite qui pèsent sur nos travaux. C’est pourquoi je dis d’emblée que le budget que je présente est d’autant plus perfectible – aucun n’est parfait – qu’il a été préparé très rapidement. Il me semble utile de détailler, pour ceux qui nous écoutent, la chronologie de la préparation des deux projets de loi. Il ne s’agit pas de rechercher l’excuse ou la complaisance, mais de faire état des conditions dans lesquelles nous avons dû travailler tout en maintenant l’effort de rigueur et de sincérité.
Je suis nommé le 5 septembre 2024. Je prends connaissance plus en détail de la situation des finances publiques dans la note de la direction générale du Trésor du 11 septembre. Je constitue le gouvernement le 21 septembre et le réunis pour la première fois le 27, dans le cadre d’un séminaire dont un atelier est spécifiquement consacré au budget. Quatre jours plus tard, le 1er octobre, je fais état devant le Parlement de mon souci de vérité.
Le 2 octobre, le HCFP est saisi des prévisions macroéconomiques et des articles liminaires du PLF et du PLFSS. Son avis du 8 octobre confirme les prévisions macroéconomiques retenues, dont il valide la sincérité. Le 9 octobre, un mois et trois jours après ma nomination, je dépose le PLF au Parlement, certes avec une dizaine de jours de retard sur le calendrier parlementaire habituel mais en ayant eu trois semaines pour préparer un texte aussi solennel et important pour notre pays.
À chaque fois que j’ai été informé d’une nouvelle prévision concernant les dépenses publiques, j’ai essayé de réagir rapidement. Par exemple, je suis informé le 14 novembre d’un dérapage de 1 milliard de nos dépenses de sécurité sociale, en raison notamment d’une dynamique supérieure aux prévisions des médicaments les moins remisés, donc les plus chers à rembourser. Dès le lendemain, je fais jouer la clause de sauvegarde pour ne pas aggraver le déficit de la sécurité sociale, qui est déjà particulièrement élevé.
Par ailleurs, nous ne sommes pas isolés en Europe. Nous devons informer nos partenaires de notre situation, comme ils doivent nous informer de la leur, par le truchement de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne, dans le cadre de ce que j’ai appelé le règlement de copropriété de la zone euro. C’est pourquoi j’ai rapidement demandé à la Commission européenne une renégociation de notre plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT).
Les efforts nécessaires pour satisfaire à nos engagements auprès de la Commission européenne auraient dû être de 70 milliards de réduction de la dépense publique, ce qui ne m’a semblé ni envisageable ni supportable à court terme. Il n’en reste pas moins que la France a été placée, au cours de l’été 2024, sous la procédure de déficit excessif par le Conseil de l’Union européenne, ce qui exige de réagir, d’informer et de changer pour préserver la crédibilité économique et financière de notre pays.
C’est pourquoi j’ai décidé, après en avoir informé le président de la République, de renégocier le calendrier auprès de l’Union européenne, en présentant une trajectoire budgétaire pour les années 2025 – 2029 respectant les exigences des nouvelles règles budgétaires élaborées par le commissaire Gentiloni, ainsi que des réformes et des investissements sur la durée pour justifier l’accord que nous sollicitons sur un allongement de la période d’ajustement budgétaire de quatre à sept ans, en visant un déficit public de 3 % du PIB en 2029.
Cette négociation nouvelle a été présentée au Conseil des ministres et transmise au Parlement le 23 octobre avant envoi formel de la demande à la Commission européenne le 31 octobre. Le 13 novembre, je me rends à Bruxelles pour y rencontrer la présidente de la Commission, le vice-président Dombrovskis, commissaire à l’économie et à la productivité, et M. Gentiloni, commissaire aux affaires économiques et monétaires.
Faute de présenter un PLFR, j’adopte avec mon gouvernement une stratégie de réduction de la dépense par le biais du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2024, que nous avons inscrit, par cohérence et surtout parce qu’il repose sur les prévisions fiables et actualisées tous les deux mois de l’administration, dans le cadre macroéconomique retenu pour le PLF et pour le PLFSS. Nous avons donc retenu, pour ce texte, une prévision de croissance de 1,1 %, une cible de déficit public de 6,1 % et un ratio d’endettement par rapport au PIB de 109,7 %.
Dans ce cadre, nous avons procédé aux ajustements de crédits indispensables à la fin de gestion 2024, induits par des mauvaises nouvelles et des exigences nouvelles qui n’était pas budgétées, notamment les importantes dépenses – et ce n’est pas fini – dues à la situation en Nouvelle-Calédonie et au soutien à l’Ukraine, à certaines aides et prestations sociales telles que l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et les bourses sur critères sociaux pour les étudiants, et au versement de primes qui n’étaient pas budgétées aux forces de l’ordre qui ont – bien – fait leur travail pendant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP). Nous avons également cherché à limiter la dépense de l’État au strict minimum. Je rappelle que l’exécution du budget de l’État est maîtrisée pour 2024, la prévision d’exécution étant inférieure de 6 milliards au niveau prévu par le budget 2024.
Cet effort budgétaire visait à réconcilier la réalité avec les prévisions de déficit public. Le 4 décembre 2024 – une journée dont je me souviens –, après avoir engagé la responsabilité de mon gouvernement sur le texte issu de la commission mixte paritaire (CMP) conclusive pour le PLFSS, vous avez adopté à la majorité de cette assemblée une motion de censure. Ma mission s’est arrêtée là. Contraint de gérer les affaires courantes pendant quelques jours, j’ai perdu la possibilité d’agir sur la trajectoire des finances publiques. Je note toutefois que le budget présenté par mon gouvernement, que j’ai toujours voulu juste et responsable, a été largement repris par le nouveau gouvernement dans le projet de budget pour 2025 soumis à votre examen.
Je ne me satisferai jamais du niveau du déficit public mais je suis heureux que les prévisions retenues pour 2024, dans le cadre du scénario macroéconomique ayant servi de base aux textes financiers et surtout au PLFG, aient été respectées. Il y a même eu une légère amélioration par rapport au taux de 6,1 % attendu puisque, selon les dernières informations dont nous disposons, le déficit s’établit à 6 %. Cette reprise dans le contrôle des prévisions, on la doit notamment au sérieux et à la sincérité du travail mené par nos équipes.
Je terminerai par un point qui me paraît important. Le 10 janvier dernier, la direction générale du Trésor a actualisé ses prévisions macroéconomiques dans une nouvelle note. Partant des données disponibles le 16 décembre, elle évoque une baisse de 0,2 point par rapport à la prévision de croissance retenue dans le scénario macroéconomique sous-jacent au projet de loi de finances pour 2025 d’octobre validé par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Deux raisons justifieraient cette révision : le contexte géopolitique instable né de l’élection du président américain ; l’incertitude engendrée par la chute du gouvernement à la suite de l’adoption de la motion de censure en décembre, situation à laquelle votre assemblée souhaite, semble-t-il, majoritairement mettre fin – j’en suis personnellement heureux pour notre pays.
Alors que le projet de loi de budget présenté par notre gouvernement devait assurer un ajustement budgétaire à hauteur de 1,4 point de PIB, les nouvelles prévisions retiennent désormais l’hypothèse d’un ajustement structurel primaire de 1 point, ce qui porte le montant des mesures de redressement nécessaires de 60 milliards à 72 milliards. C’est ainsi que le chiffre de 12 milliards a pu être évoqué à propos des conséquences de l’adoption de la motion de censure. C’est bien la double incertitude sur la capacité de notre pays à adopter un budget et surtout à réduire de manière structurelle ses dépenses publiques qui a pesée sur nos prévisions de croissance.
Voici les éléments que je souhaitais évoquer pour éclairer les décisions que j’ai pu soumettre à votre assemblée lorsque j’étais premier ministre.
M. le président Éric Coquerel. Sur les incertitudes liées à la motion de censure, je ne partage pas votre analyse, mais ce n’est pas l’objet de notre commission d’enquête.
À votre arrivée à Matignon, vous auriez découvert une « situation budgétaire très grave » qui vous aurait conduit à demander tous les éléments pour en apprécier l’exacte réalité. Ces propos nous paraissent surprenants. Jérôme Fournel, que vous avez choisi pour diriger votre cabinet, avait exercé les fonctions de directeur général des finances publiques pendant près de cinq ans avant de devenir directeur du cabinet de Bruno Le Maire en janvier 2024. Vous aviez donc à vos côtés l’une des personnes les mieux informées de la situation budgétaire du pays. Par ailleurs, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, peu de temps après votre nomination, sont venus nous informer d’une aggravation du déficit, passé de 5,1 % à 5, 6 % du PIB, en mettant en avant un dérapage des dépenses des collectivités territoriales de 16 milliards d’euros– chiffre qui ne s’est pas vérifié et que, vous-même, vous venez de nous l’indiquer, aviez alors qualifié d’excessif. Moins de deux mois après votre nomination, la prévision de déficit a été une nouvelle fois dégradée, passant à 6,1 % du PIB, chiffre contesté par les membres de l’ancienne équipe de Bercy qui – ils l’ont répété lors des auditions – jugeaient l’objectif de 5,5 % tenable.
Cet objectif que les ministres nous avaient présenté à la fin de l’été n’était-il pas, selon vous, trop optimiste ? À votre arrivée, avez-vous jugé réalistes les mesures proposées pour l’atteindre ? Je pense notamment à la proposition de Bruno Le Maire d’annuler l’ensemble des crédits mis en réserve, soit 16,7 milliards d’euros. Enfin, afin de limiter le déficit pour 2024, pourquoi ne pas avoir recouru à un projet de loi de finances rectificative qui aurait permis, contrairement à un projet de loi de finances de fin de gestion, de prendre des décisions concernant les recettes ?
M. Michel Barnier. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le président, je peux comprendre que vous ne souhaitiez pas aborder les conséquences de la motion de censure.
M. le président Éric Coquerel. La question est autre.
M. Michel Barnier. Cela peut toutefois constituer une partie de ma réponse et je pense avoir le droit de m’exprimer sur ce point : mon rôle est de souligner devant votre commission d’enquête que la motion de censure adoptée par certains d’entre vous a été source d’instabilité et a eu un coût. Chacun dit ses responsabilités et les assume.
J’ai déjà expliqué les raisons pour lesquelles le ministre des finances, le ministre des comptes publics et moi-même avons décidé, après discussions, de ne pas faire le choix d’un nouveau texte financier, qui aurait été un troisième projet de loi de finances. J’ai pensé, et je ne me suis pas trompé, que compte tenu des difficultés rencontrées avec les deux premiers, il ne me semblait pas utile d’en rajouter. Les contribuables, en particulier les entreprises, ont besoin de stabilité en matière fiscale. J’ai toujours en mémoire l’excellent rapport sur la compétitivité française que Louis Gallois a rendu au début du mandat du président François Hollande. L’une de ses premières recommandations était d’assurer aux entreprises de notre pays plus de stabilité sur le plan fiscal mais aussi réglementaire – on n’a pas été déçus depuis, au niveau national et européen. Il ne me semblait pas bien de prendre des mesures fiscales ayant un effet rétroactif.
S’agissant des dépenses au titre de 2024, il faut distinguer trois types de mesures. Le gouvernement précédent – M. Attal a dû vous le dire – avait mis en réserve 16 milliards de crédits après une annulation de 10 milliards intervenue au mois de février. Comme toujours lorsque des annulations substantielles ont déjà eu lieu, seule une partie de ces crédits peut réellement être annulée. Au moment où j’ai pris mes fonctions, c’est-à-dire à l’automne, certains gels portaient sur des lignes de crédits n’offrant pas de véritables marges de manœuvre. Par ailleurs, il a fallu financer – était-ce prévisible ou pas ? – des dépenses pour 2024 qui n’étaient pas budgétées : le début de la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie, dont 25 % du potentiel économique a été détruit ; l’aide à l’Ukraine, qui coûte cher ; les primes et les heures supplémentaires pour les forces de sécurité et les fonctionnaires mobilisés pour les jeux Olympiques ; les élections législatives anticipées de juillet. Malgré ces contraintes, j’ai maintenu les gels de crédit. Le projet de loi de finances de fin de gestion a permis de réduire de 6 milliards les dépenses de l’État et l’atterrissage a montré que nous avions respecté les objectifs en matière de dépenses et même fait un peu mieux.
Des économies portant sur la sécurité sociale avaient été envisagées avant l’été 2024 par le gouvernement précédent sans avoir toutefois fait l’objet d’arbitrages définitifs. Il s’agissait d’augmenter le ticket modérateur sur les consultations médicales, de modifier les règles relatives à l’apprentissage et d’abaisser le plafond des indemnités journalières prises en charge par l’assurance maladie. Mon prédécesseur a peut-être une opinion différente sur ce point mais compte tenu du fonctionnement normal de l’État, dont j’ai pu faire l’expérience d’encore plus près lorsque j’étais à Matignon, les délais de mise en œuvre n’auraient pas permis que ces mesures aient des effets en 2024 en étant décidées à l’automne. De manière générale, les gains d’efficacité que l’on peut attendre de la réduction du fonctionnement de l’État, des agences, des opérateurs – et qui ont été constatés dans les collectivités locales avec des mesures similaires – ne peuvent pas se faire sentir dès l’année n + 1. Il faut du temps pour déterminer à qui l’on peut demander un effort et pour savoir si cet effort est juste et quelles conséquences directes ou indirectes il peut avoir. Lorsque je suis devenu Premier ministre, ces mesures d’économies sur la sécurité sociale ne me sont pas apparues pertinentes.
Enfin, et je l’assume pleinement, j’ai écarté deux mesures fiscales envisagées pour 2024 par le gouvernement précédent : la taxation des rachats d’actions et la taxation de la capacité de production d’électricité destinée à remplacer la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) dont le rendement s’était révélé très décevant. J’ai estimé qu’elles risquaient d’avoir un effet de petite rétroactivité sur 2024 et qu’elles avaient davantage leur place dans le projet de loi de finances pour 2025. En outre, la taxe sur l’électricité était susceptible d’être immédiatement répercutée par EDF sur les factures d’électricité. Ce choix peut bien sûr être critiqué – je respecte tous les points de vue – mais j’ai pensé qu’il n’était pas possible de présenter un projet de loi de finances rectificative au moment où je suis devenu Premier ministre.
M. le président Éric Coquerel. Si je comprends bien, l’objectif d’un déficit à 5,6 % ne vous semblait pas réaliste.
M. Michel Barnier. Les efforts imaginés pour réduire ce déficit ne m’apparaissaient en effet pas réalistes ou, pour dire les choses autrement, pas tous possibles à mettre en œuvre.
M. le président Éric Coquerel. Dans ses avis, le Haut Conseil des finances publiques s’est montré particulièrement sévère à l’égard des prévisions de croissance et des scénarios macroéconomiques. Le budget déposé par votre gouvernement n’a pas été épargné. Selon le Haut Conseil, « la prévision de croissance pour 2025 – 1,1 % – apparaît en premier lieu un peu élevée compte tenu de l’orientation restrictive du scénario de finances publiques » et « retient des hypothèses favorables » ; quant à la prévision de masse salariale pour 2025, il l’a qualifiée d’ « un peu optimiste ». Par ailleurs, l’effet récessif de vos coupes budgétaires n’a pas suffisamment été pris en compte – rappelons que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) l’avait estimé à 0,8 point de PIB.
Nous retrouvons dans l’avis que je viens de citer tout ce qui était déjà mentionné pour 2023 et 2024 avec les conséquences que nous connaissons. Elles n’ont pas manqué de se reproduire puisque la prévision de croissance a été dégradée à 0,9 point. Pourquoi n’avoir pas fait preuve de plus de prudence dans les hypothèses macroéconomiques de votre projet de loi ?
M. Michel Barnier. Tout dépend de la manière dont on lit les avis du HCFP : en voyant le verre à moitié plein ou à moitié vide, ce dont on peut débattre très longtemps, monsieur le président. J’ai cité devant vous certaines des alertes et des recommandations qu’il a émis. Dans son avis du 8 octobre, il souligne que la prévision de recettes, de dépenses et donc de solde public pour 2024 est « encore affectée d’une incertitude non négligeable » mais qu’elle est « cohérente avec les informations comptables et budgétaires disponibles et avec le scénario macroéconomique ». Son deuxième avis, publié le 31 octobre, m’a paru constructif et m’a encouragé à continuer. Nous étions donc sincères et réalistes en retenant de telles prévisions de croissance et d’inflation pour construire le budget.
M. le président Éric Coquerel. Je considère que le Parlement a été privé des moyens de contrôler les dérapages en cours. En théorie, chaque année, les deux assemblées disposent des tirés à part vers mi-juillet et le projet de loi de finances est déposé à l’Assemblée nationale au plus tard le premier mardi d’octobre. En 2024, cette procédure n’a pas été suivie bien évidemment. C’est la raison pour laquelle Charles de Courson, rapporteur général, et moi-même avons demandé au gouvernement les lettres plafonds. Hier, lors de son audition, Gabriel Attal a eu l’air étonné que nous ne les ayons pas eues alors même qu’il a pris la responsabilité de ne pas nous les transmettre lorsqu’il était premier ministre. Ensuite, c’est vous, monsieur Barnier, qui êtes devenu premier ministre. J’aimerais savoir qui a pris la responsabilité de ne pas nous les adresser ?
M. Michel Barnier. Monsieur le président, c’est le premier ministre qui est responsable.
M. le président Éric Coquerel. Je voulais des précisions car nous les avons demandées à Matignon puis à Bercy.
J’en viens à une question plus globale. L’objectif premier des politiques économiques menées depuis plusieurs années est de réduire les déficits. Or cet objectif n’a pas été atteint : le déficit public s’élève à 6,1 % alors qu’un taux de 4,4 % avait été ciblé à la fin de l’année 2023. Cet échec est-il aussi celui de ces politiques économiques ?
M. Michel Barnier. Je sais que l’une de vos préoccupations, monsieur le président, est de remettre en cause les politiques économiques qui ont été menées. Il y a bien sûr un lien entre les politiques économiques et budgétaires et le niveau de déficit. J’ai décidé de réduire le déficit que j’ai trouvé à mon arrivée car je l’estimais excessif – je vous ai longuement dit pour quelles raisons et je vous remercie pour votre patience. J’ai alors pris le risque d’être impopulaire pour ne pas être irresponsable. Et je continue de penser que mieux vaut être impopulaire qu’irresponsable. J’ai décidé de commencer par une baisse d’un point, ce qui a appelé une certaine politique économique.
Soyons justes avec les gouvernements précédents. Face au choc inédit de la crise du covid, comment auriez-vous agi, monsieur le président, si vous aviez été ministre des finances ? Soit dit en passant, j’ai toujours été passionné par la culture du risque, comme j’ai pu le démontrer tout au long de ma vie politique, et pas seulement dans le domaine de l’écologie, et je considère qu’il faut se préparer à la survenue de nouvelles pandémies. L’économie du monde s’est arrêtée, la nôtre aussi et le gouvernement a alors clairement fait le choix d’une politique budgétaire destinée à soutenir l’économie et je crois qu’il a bien fait. A-t-il proposé suffisamment tôt de s’engager dans un processus de phasing out en supprimant peu à peu les mesures mises en œuvre ? Même si, à cette époque, je n’avais pas de responsabilités publiques, je considère qu’on aurait dû expliquer aux Français et aux entreprises qu’une sortie progressive du dispositif du « quoi qu’il en coûte » était nécessaire pour amortir les conséquences auxquelles nous avons été confrontés en 2024.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Hier, lors de son audition devant notre commission, votre prédécesseur, M. Gabriel Attal, a mis en cause de manière un peu insidieuse – mais de façon édulcorée par rapport aux déclarations que lui et ses amis avaient faites dans la presse au moment de votre nomination – un certain retard dans les décisions concernant le surgel des 16 milliards de crédits et les réductions de dépenses, évaluant son coût à plusieurs milliards d’euros. Ces propos ne vous ont pas échappé. Quel jugement portez-vous sur ces critiques sous-jacentes que je trouve personnellement assez déplacées, compte tenu de l’état des lieux à votre arrivée à Matignon ?
M. Michel Barnier. Je n’ai aucune intention de polémiquer avec M. Attal. J’ai eu la chance au sein de mon gouvernement de compter sur le soutien de plusieurs ministres ayant été membres de son propre gouvernement. Moi, j’essaie de dire les choses de manière simple et non pas théorique. J’ai tenté de vous décrire objectivement quelle était la situation que j’ai trouvée. Les notes successives de la direction générale du Trésor depuis le mois de janvier montrent bien comment les choses ont évolué. J’ai dit pourquoi les mesures annoncées par le gouvernement qui a précédé le mien ne pouvaient être mises en œuvre dans leur intégralité. Le surgel était déjà décidé quand je suis arrivé et M. Le Maire avait notifié aux ministres les cibles de dépenses pendant l’été. M. Attal a souligné que je n’avais pas fait ce qu’il souhaitait : il avait en tête des mesures précises mais je peux vous donner d’autres exemples.
Si on me pousse un peu, je peux parler de l’assurance chômage. Quand je suis arrivé, il m’a dit que tout était prêt et qu’il n’y avait plus qu’à signer le décret. Après lui avoir demandé pourquoi il ne l’avait pas fait lui-même, je lui ai indiqué que cela appelait des discussions avec les partenaires sociaux. Je crois au dialogue social et la ministre du travail a fait un très bon travail. Bien sûr, cette voie n’engendre pas les mêmes économies mais un dialogue social de qualité a un coût positif, si je puis dire.
Je n’ai pas mis en œuvre non plus certaines mesures qui manquaient de réalisme et qui n’auraient pas produit d’effets sur les finances publiques en 2024. Si vous voulez aller plus loin, monsieur Ciotti, je vous encourage à le faire. Interrogez donc les responsables administratifs des services concernés par les gels ou les réductions de crédits voulus par M. Attal. Ils vous diront quels effets auraient eus en 2024 l’augmentation du ticket modérateur pour les consultations médicales, les modifications des règles relatives à l’apprentissage ou le plafonnement des indemnités journalières si ces mesures avaient été prises en septembre ou octobre. D’après ce qu’on m’a dit, il n’y avait pas d’économies à en attendre pour l’année 2024. C’est la raison pour laquelle, je n’ai pas retenu ces mesures.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je vais compléter ma question en l’abordant sous un angle plus technique même si les implications politiques ne nous échappent pas. Je cite les propos qu’a prononcés M. Attal hier devant notre commission hier : « En juillet, mon gouvernement a fait le choix d’un surgel de 16 milliards d’euros. Nous comptions en annuler 9 milliards. Pour cela, il aurait fallu notifier l’annulation aux ministères dès le début du mois de septembre. Nous n’avons donc pu en annuler que six sur les neuf ». Au-delà de vos arbitrages, pourquoi ces crédits n’ont-ils pas été annulés ?
Nous avons appartenu à la même formation politique qui a présenté un contre-budget pour 2024 dans lequel nous avions inscrit une réforme des indemnités chômage, qui aurait conduit à une réduction des dépenses publiques de 5 milliards d’euros. M. Attal a annoncé, de façon très politique, entre les deux tours des élections législatives, qu’il ne signerait pas le décret lançant cette réforme. Pourquoi, en cohérence avec les positions que vous avez toujours défendues, ne l’avez-vous pas signé alors qu’il aurait créé une source considérable d’économies ?
M. Michel Barnier. Le fait que nous ayons appartenu à la même formation politique ne m’a pas échappé. Je m’en souviens avec précision mais sans nostalgie. Les choses sont aujourd’hui ce qu’elles sont. J’ai défendu une réforme de l’assurance chômage comme j’ai soutenu le regroupement des différentes prestations sociales, exception faite de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), en une allocation sociale unique à des fins de simplification et d’harmonisation. Je n’ai pas changé d’opinion, y compris en devenant Premier ministre. Simplement j’ai pensé, à tort ou à raison, que l’ouverture d’un champ de discussion était nécessaire. Ce besoin, j’en ai pris personnellement la mesure à mon arrivée à Matignon, en recevant longuement des représentants syndicaux et patronaux aux côtés de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, et je ne regrette nullement d’avoir pris ce temps car ce n’est pas du temps perdu. Ce dialogue social, pour toutes sortes de raisons, je ne souhaitais pas l’ouvrir s’agissant de la retraite, sauf pour des sujets importants comme la prise en compte de la pénibilité, les carrières longues ou les carrières des femmes, en discussion en ce moment. J’ai donc choisi la réforme de l’assurance chômage, ce qui a provoqué des débats entre certains députés de la majorité sortante et ceux de la nouvelle majorité relative qui m’accompagnaient.
C’est une différence qu’il y a entre nous, monsieur Ciotti : moi, je crois au dialogue social. Je suis convaincu qu’un pays où il y a de cohésion dans la société et dans les entreprises est un pays qui se porte mieux et qu’il y a besoin de syndicats forts. Je ne regrette pas mon choix car, à quelques centaines de millions d’euros près, nous avons obtenu un résultat très positif et constructif grâce au dialogue social et j’espère que ce sera le cas dans d’autres domaines. J’ajoute que le décret sur l’assurance chômage n’aurait rien rapporté en 2024 si je l’avais signé.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Je reviens à ma question technique sur les notifications aux ministères des décisions concernant les gels et suppressions de crédits.
M. Michel Barnier. Rappelons tout d’abord que M. Attal, bien que démissionnaire, était toujours en fonction à mon arrivée. Par ailleurs, selon les informations portées à ma connaissance, le ministre des finances avait notifié durant l’été à tous les ministères les cibles de dépenses. J’ai pris ensuite le temps de regarder les choses en détail, d’autant que je n’avais pas exercé de fonctions ministérielles depuis 2009. Je me suis donc penché sur les annulations et les gels prévus par le précédent gouvernement, sans hostilité ni agressivité, simplement pour comprendre, même si j’acceptais leur principe pour des raisons macroéconomiques et budgétaires. Encore une fois, je ne cherche ni excuse ni complaisance – je sais que je n’en obtiendrai pas de certains d’entre vous. Je tiens simplement à expliquer mes choix. Je me suis permis de vous rappeler le calendrier dans le cadre duquel j’ai dû travailler pour réduire le déficit autant que possible en 2024, compte tenu des dérapages potentiels. Quant aux gels et aux annulations, je le redis, j’ai essayé de les examiner dans le détail en me posant certaines questions : sur qui ça tombe ? est-ce réaliste ou pas ?
Dans le même temps, j’apprenais qu’il y avait un milliard de dépenses en plus pour la sécurité sociale, que le financement des élections législatives n’avait pas été assuré, que la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie appelait de nouvelles dépenses et qu’il fallait trouver de l’argent pour le versement des primes aux membres des forces de l’ordre ayant travaillé pendant les JOP. Nous avons néanmoins fait un effort important de réduction des dépenses.
Je ne sais pas si vous avez eu le temps de demander hier à M. Attal le détail des mesures qu’il recommandait et que nous n’avons pas prises. Il serait intéressant de regarder sur qui ça tombe.
M. le président Éric Coquerel. C’est-à-dire ?
M. Michel Barnier. Je suis content, monsieur le président, que vous vous intéressiez à ce que je dis car j’ai du respect pour vous. En présentant le budget, j’ai dit à plusieurs reprises mon souhait que les Français les plus fragiles et les classes moyennes ne soient pas affectés par les efforts à venir et que les efforts, s’ils devaient concerner tout le monde, soient le plus juste possible. Je m’exprime maintenant très librement et je dois dire que j’ai toujours des scrupules ou des hésitations face à ce que l’on appelle les coups de rabot. Dans le cadre d’une gestion publique moderne, on devrait être capables de recourir à d’autres solutions, notamment en responsabilisant les fonctionnaires et en les poussant à s’intéresser aux économies à faire dans leurs propres services. Quand je dis qu’il faut se préoccuper de savoir sur qui ça tombe, je veux simplement évoquer le souci de ne pas faire quelque chose d’injuste.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous ne manquerons pas de réinterroger M. Attal, sans doute par écrit.
Vous avez évoqué les mesures que vous avez été amené à prendre pour faire face à la situation extraordinairement préoccupante que vous aviez trouvée à votre arrivée. Les comptes publics apparaissaient en effet très dégradés, et tous les paramètres étaient dans un état alarmant. Vous avez donc bâti un budget en à peu près un mois. Rétrospectivement, ne regrettez-vous pas d’avoir choisi de faire porter l’essentiel de l’effort sur une hausse des prélèvements obligatoires, portant atteinte au pouvoir d’achat des ménages et surtout à la compétitivité des entreprises ? Je pense notamment à la surtaxe d’impôt sur les sociétés (IS), que votre successeur a maintenue dans son budget et qui constitue à mon sens une erreur gravissime pour l’économie française. Ce déséquilibre, pointé par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), entre la hausse très importante des prélèvements obligatoires et la baisse bien moindre des dépenses publiques n’était-il pas une erreur ?
M. Michel Barnier. J’ai cru percevoir dans vos propos une sorte de nostalgie du temps où j’étais premier ministre… Vous évoquez des conseils que j’aurais dû suivre pour rester premier ministre, mais je n’ai pas cherché à rester en fonction à tout prix. J’ai tenté de faire ce qui me paraissait conforme à l’intérêt national.
À l’époque où nous appartenions à la même formation politique, nous avons plaidé ensemble pour une réduction du déficit afin de préserver notre souveraineté nationale. Cette notion, qui n’a peut-être pas la même signification pour vous, est importante : il s’agit de ne pas dépendre de manière excessive, comme c’est le cas aujourd’hui, des prêteurs, des fonds d’investissement et de tous ceux qui achètent notre dette. Il fallait donc réduire cette dépendance, retrouver notre souveraineté et respecter le règlement de copropriété que nous avons conclu avec nos partenaires de la zone euro.
La zone euro est très importante en ce moment. C’est un autre sujet, dont je pourrais revenir vous parler un autre jour, mais je suis persuadé que nous allons vite mesurer que notre principal atout, dans les turbulences mondiales à venir – je pense aux guerres commerciales qui se préparent, et peut-être à d’autres choses encore –, est le marché unique et la zone de stabilité et de gouvernance commune qu’il constitue. Contrairement à ce que croient les Anglo-Saxons, le marché unique est bien davantage qu’une zone de libre-échange : c’est un écosystème complet, qui prévoit peut-être trop de règles et de normes, mais qui se caractérise surtout par des régulations communes, des supervisions communes et une juridiction commune. Les Américains et les Chinois mettront peut-être un peu de temps à comprendre tout cela ; il n’empêche que le marché unique est notre principal atout, à nous Français et Européens, pour nous défendre et préserver nos intérêts sans complexe.
Ainsi, la préservation de notre souveraineté financière me paraissait essentielle. Ai-je placé le curseur là où il le fallait ? J’ai dit moi-même que ce projet de budget n’était pas parfait. J’ai eu moins d’un mois pour le bâtir, compte tenu des délais de saisine du HCFP et de la pression normale et légitime exercée par l’Assemblée nationale pour obtenir des informations. Sur le fond, le PLF et le PLFSS que j’ai présentés comportaient plus d’économies que de prélèvements supplémentaires. Je ne ferai pas de comparaison avec le budget sur lequel vous allez vous prononcer aujourd’hui même… J’ai essayé de construire un PLF équilibré. Je ne crois pas avoir été timoré dans les économies, mais là encore, j’ai toujours eu le souci d’étudier quelles seraient les conséquences de nos décisions.
Parce que ce budget était imparfait, compte tenu du manque de temps que je viens d’évoquer, j’ai fait le choix de laisser la discussion se dérouler à l’Assemblée nationale. Je pense que vous pourrez m’en donner acte. Certains m’avaient pourtant recommandé, ici ou là, de couper court aux débats dès le début de l’examen du budget, en recourant au 49.3. Le Sénat a fait un très bon travail : je le remercie de sa confiance et de son soutien. J’étais persuadé que l’on arriverait à un point d’équilibre, à un centre de gravité, et que l’on ferait en sorte que l’effort soit le plus justement partagé. Même si le projet de budget que j’avais présenté n’est plus d’actualité, on en retrouve de nombreux éléments dans le projet de loi de finances actuel.
M. Éric Ciotti, rapporteur. Ce que vous avez dit du rapport entre la baisse des dépenses publiques et l’augmentation des prélèvements ne correspond pas à l’analyse ni aux chiffres fournis par le HCFP. J’ai vu que votre ancien directeur de cabinet, M. Fournel, vous a communiqué ces éléments. La nomination de ce collaborateur vous a-t-elle été suggérée ou imposée par le président de la République ?
M. Michel Barnier. Non.
M. le président Éric Coquerel. Vous avez dit que l’on vous avait recommandé de recourir au 49.3 plus rapidement. Qui vous a donné un tel conseil ?
M. Michel Barnier. J’ai discuté avec les parlementaires et les présidents de groupe, comme vous le faites sans doute vous-mêmes au sein du Nouveau Front populaire, puisque vous n’êtes pas toujours d’accord. La situation était inédite à l’Assemblée nationale, où aucune majorité n’était possible : je ne savais pas tout, j’écoutais…
M. le président Éric Coquerel. Cela venait donc des présidents de groupe de l’Assemblée nationale ?
M. Michel Barnier. J’ai discuté avec la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, avec les présidents de groupe, avec tout le monde. J’ai finalement choisi de laisser s’engager le débat parlementaire, et je ne le regrette pas.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Votre prédécesseur a évoqué hier une batterie de mesures à la fois réglementaires et législatives qui avaient été préparées et auraient pu être prises, après votre nomination, pour contribuer à réduire le déficit public en 2024. J’ai compris de votre réponse à une question de M. Ciotti que ces mesures n’étaient pas impossibles, mais que vous ne les avez pas jugées souhaitables. Vous avez donc fait un choix politique, au demeurant tout à fait respectable. Vous auriez ainsi pu décider, par voie réglementaire, d’annulations de crédits supplémentaires, d’une réduction des indemnités journalières, d’un ajustement de la prime d’activité concomitante à l’augmentation du smic, ou de l’entrée en vigueur de la réforme de l’assurance chômage. Sur ce dernier point, vous avez, me semble-t-il, une divergence avec Gabriel Attal, qui indiquait que la réforme devait entrer en vigueur en décembre. Vous auriez également pu décider de mettre en place une fiscalité rétroactive sur les rachats d’actions ou de taxer les énergéticiens. Faut-il donc considérer que ces mesures étaient possibles mais que vous ne les avez pas souhaitées ?
M. Michel Barnier. À ceux qui me disent qu’il suffisait de faire 9 milliards d’économies, j’aimerais demander précisément lesquelles. Où trouvent-ils ces 9 milliards, ligne par ligne, budget par budget ?
Lorsque je suis devenu premier ministre, je le répète, j’ai pris quelques jours pour analyser la situation en détail. En effet, je suis assez méthodique, assez précis, et j’aime bien les détails. J’ai posé des questions, et on m’a répondu que certaines des mesures d’économies proposées ne produiraient aucun effet en 2024. C’est notamment le cas de la réforme des indemnités journalières de l’assurance chômage. Peut-être ces mesures auraient-elles pu donner des résultats si elles avaient été décidées en mai, juin ou juillet, mais en septembre, compte tenu du temps nécessaire à leur mise en œuvre, elles n’auraient permis aucune économie en 2024.
Il serait d’ailleurs intéressant que vous interrogiez les gestionnaires de ces différents mécanismes pour comprendre pourquoi il est nécessaire d’attendre aussi longtemps pour qu’une décision soit effective. J’ai toujours été passionné par la mesure de ce que j’appelle « l’effet de suivi » par rapport à l’effet d’annonce. J’attache beaucoup plus d’importance au premier qu’au second. Même trente ans après, je continue de suivre la mise en œuvre de certaines décisions que j’avais prises lorsque j’étais ministre de l’environnement. Ainsi, en arrivant à Matignon, j’ai demandé une note précise sur le fonctionnement du fonds Barnier. De même, je suis toujours la mise en œuvre du plan Loire grandeur nature, que j’ai lancé en 1995.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez assez rapidement communiqué, sur la base d’une note produite par le Trésor, sur le niveau du déficit public attendu en 2024 et sur le fait qu’en extrapolant cette trajectoire en 2025, celui-ci pourrait atteindre 6,9 % du PIB. N’avez-vous pas craint que la divulgation du contenu de cette note puisse avoir un effet macroéconomique affectant la fin de l’année 2024 ? De même, n’avez-vous pas eu peur que les mesures fiscales prévues par la consolidation budgétaire que vous vous apprêtiez – à juste titre – à mettre en œuvre nuisent à la compétitivité et aient donc des effets négatifs sur la croissance en fin d’année ?
M. Michel Barnier. Votre question est intéressante, mais qu’insinuez-vous par là ? Qu’il ne faudrait pas dire les choses ? Je considère depuis assez longtemps qu’il est de la responsabilité d’un ministre, et a fortiori d’un premier ministre, de dire la vérité aux Français. Le faire assez tôt est moins grave et produit moins d’effets que de le faire trop tard.
S’agissant du déficit de notre pays, j’ai dit les choses telles que je les comprenais. Mes propos ne se sont d’ailleurs pas révélés inexacts, s’agissant notamment de l’effort à réaliser en 2024. Les objectifs peuvent être atteints différemment, comme le montre le budget qui sera finalement adopté, mais la réalité reste ce qu’elle est. Je l’ai dit à François Bayrou, je souhaite la stabilité, mais la marche que j’avais proposée était plus haute ; cela signifie que pour atteindre l’objectif de 3 % de déficit en 2029, il faudra grimper ensuite d’autres marches.
Encore une fois, vous avez posé une question grave : le fait de dire les choses clairement risque-t-il de provoquer la récession ou certaines turbulences ? En tout cas, cela ne s’est pas produit. Tous les économistes le disent : la récession, les trop nombreuses fermetures d’entreprises et l’augmentation du chômage remontent à plus longtemps que les trois petits mois, pourtant très intenses, pendant lesquels j’ai eu l’honneur d’être premier ministre. Cependant, assumer ce devoir de vérité permet de faire comprendre aux Français l’effort qui leur est demandé.
Si l’on ne dit pas les choses, si l’on fait comme s’il n’y avait pas de déficit, on se fera rattraper un jour ou l’autre. Les acteurs des marchés financiers, que je connais assez bien, n’aiment pas toujours la lumière. Au niveau européen, entre 2010 et 2014, j’ai présenté quarante et une lois de régulation financière afin d’imposer la transparence sur tous les marchés et tous les produits financiers. Cela n’a pas toujours fait plaisir à ces gens qui n’étaient pas habitués à être régulés, supervisés, à rendre des comptes, à faire du reporting, mais c’était nécessaire.
Les marchés ne font pas de cadeaux. Nous sommes confrontés à deux risques : celui de l’étranglement progressif lié à l’augmentation des taux – les nôtres sont désormais supérieurs aux taux grecs et se rapprochent des taux italiens, ce qui doit nous inciter à faire très attention –, et celui de mouvements spéculatifs brutaux comme on en a connu par le passé. Il faut donc à tout prix faire preuve de responsabilité pour éviter ces écueils : c’est ce que fait, me semble-t-il, le gouvernement actuel, et c’est aussi ce que j’ai essayé de faire à ma manière.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Loin de moi l’idée de ne pas dire la vérité aux Français, mais nous avons vu dans le cadre de nos travaux d’enquête qu’il y avait différentes façons de communiquer sur les notes du Trésor.
Vous avez clairement expliqué pourquoi vous n’aviez pas déposé de projet de loi de finances rectificative (PLFR). Cependant, avez-vous envisagé d’introduire dans le PLF pour 2025 une fiscalité rétroactive sur les rachats d’actions et les profits des énergéticiens, ce qui aurait permis d’augmenter les recettes au titre de l’exercice 2024 ? Des obstacles de nature juridique ou économique vous en auraient-ils empêché ?
M. Michel Barnier. Je le répète, je n’ai pas voulu prendre tout de suite ces deux mesures fiscales, ni les rendre rétroactives. L’instauration d’une taxe sur les énergéticiens, comme vous dites, se serait immédiatement traduite par une hausse des factures payées par les consommateurs. Il s’agit donc d’un choix politique.
Je ne cherche pas à vous convaincre que tout ce que j’ai fait était formidable. Si tel avait été le cas, je serais peut-être encore premier ministre. J’essaie de vous dire la vérité, comme j’essaie de la dire aux Français, aux citoyens, aux consommateurs, envers lesquels nous devons faire preuve de respect et de responsabilité. La vérité est toujours une forme de pédagogie. Il est dans l’intérêt de tous de réduire la dette et de faire cesser l’augmentation mécanique du volume de nos intérêts, qui devraient atteindre 57 à 60 milliards d’euros l’année prochaine.
J’ai pris mes fonctions le 5 septembre. Aurais-je dû ramener, en trois mois, le déficit de 2024 de 6,3 %, si j’en crois les chiffres du Trésor, à 5,5 % ou 5,6 %, alors que le gouvernement précédent l’avait porté de 4,9 % à 6,3 % en disposant de tous les leviers pendant six mois ? Je ne vous demande pas d’être complaisants, mais simplement d’être justes envers moi.
M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous avez expliqué que la dépense de l’État avait été tenue, et même plus que tenue puisqu’elle est inférieure en 2024 à ce qu’elle était en 2023. Quel regard portez-vous sur l’évolution, en 2024, de la dépense locale, qui a contribué à la dégradation de la prévision qui nous occupe ? L’absence de mécanisme de correction pourrait-elle avoir joué un rôle ?
M. Michel Barnier. Les besoins de financement des collectivités locales sont des besoins de financement de la France. À ce titre, ils sont pris en compte dans les calculs de la Commission européenne, sur la base desquels nous devons établir nos prévisions.
Il y a assez longtemps, j’ai dirigé un département pendant dix-sept ans. Je ne jetterai pas la pierre aux collectivités locales, pas plus que je ne l’ai fait lorsque j’ai rencontré les présidents de département et les maires. On ne peut pas dire sans précaution que l’explosion ou l’augmentation du déficit en 2024 était due aux dépenses des collectivités locales. Ce serait trop facile !
On peut mettre en place des mécanismes de maîtrise ou d’étalement des besoins de financement. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait, avec la ministre du partenariat avec les territoires et le ministre chargé du budget et des comptes publics, en proposant un freinage assez fort de 5 milliards d’euros. Il m’est arrivé d’entendre, ici ou là, que cela aurait dû être davantage. Pour ma part, je trouvais que c’était déjà beaucoup. Je savais que ce mécanisme ferait partie des éléments dont je devrais discuter avec le Sénat et l’Assemblée nationale, et qu’il devrait être ajusté. Nous avons trouvé un point d’équilibre en ramenant l’effort des collectivités locales à 3 milliards ; ce chiffre a encore été réduit dans la dernière version du projet de loi de finances, puisqu’il n’est plus désormais que de 2 milliards. Ainsi, je ne conteste pas le fait que les collectivités locales doivent participer à l’effort budgétaire, puisque je l’ai moi-même proposé très rapidement – peut-être trop rapidement, d’ailleurs, puisque nous avons dû revoir notre copie.
Toutefois, je ne veux pas rendre les collectivités responsables de la dérive. Vous savez comment elles sont gérées : au cours d’un mandat de cinq ans, il faut d’abord du temps pour lancer les projets, puis pour que ceux-ci mûrissent, de sorte qu’ils ne sont réalisés que lors des deux ou trois dernières années. Nous sommes arrivés à ce moment, ce qui explique l’augmentation des besoins de financement. Cela étant, tout le monde doit prendre part à l’effort de maîtrise de la dépense, y compris les collectivités locales, de manière concertée.
M. le président Éric Coquerel. Une commission d’enquête doit aussi servir à déterminer ce qu’il faut faire ou ne pas faire dans une situation donnée. Je veux donc souligner l’importance de ce que vous avez dit tout à l’heure : vous vous refusez à cacher une prévision réalisée par vos services au motif que sa divulgation risquerait de la rendre inéluctable, voire de l’aggraver. Vous ai-je bien compris ?
M. Michel Barnier. Quand vous êtes premier ministre, on vous annonce plus de problèmes que de bonnes nouvelles. Il n’empêche qu’il vous faut prendre le temps de vérifier l’information, de demander plusieurs avis et d’aller au fond du sujet. Une fois que vous avez la certitude que ce qui vous est annoncé est juste, vous devez dire les choses.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous n’avez pas vraiment répondu à la question posée par le président Coquerel, malgré la relance de M. Ciotti. Quand vous arrivez à Matignon et que vous découvrez la gravité de la situation, pourquoi reprenez-vous systématiquement, parmi vos propres conseillers, les conseillers d’autres ministères et les membres de votre gouvernement, le personnel politique ou bureaucratique qui a été impliqué dans le problème que vous devez résoudre ? Aux principaux postes de Bercy, vous avez nommé essentiellement – par prudence, je n’ose pas dire « exclusivement » – des macronistes pure souche, si je puis dire.
M. Michel Barnier. « Des macronistes pure souche », avez-vous dit ?
J’ai fait appel à des gens compétents et loyaux. Il y en avait beaucoup dans le précédent gouvernement, ainsi que dans l’administration, parmi les hauts fonctionnaires qui avaient servi loyalement, avec le sens de l’État, les différents gouvernements qui s’étaient succédé.
Par ailleurs, je n’étais pas en cohabitation. Ayant été librement choisi par le président de la République, je considérais qu’il revenait au président de présider, et au gouvernement de gouverner. Nous avons rassemblé, derrière le gouvernement, quatre groupes politiques qui ont constitué le socle d’une majorité certes relative, mais plus large que ne l’auraient été d’autres coalitions, ce qui conférait une certaine légitimité au gouvernement que j’ai dirigé. Trois de ces groupes avaient soutenu le gouvernement précédent, et j’ai fait en sorte que le parti politique auquel j’appartenais se joigne à cet effort. Voilà la règle du jeu que j’ai acceptée. Après, je le répète, j’ai fait appel à des gens compétents et loyaux.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’entends bien, mais il faut aussi dire qu’en France, dans certaines hautes sphères, on a l’impression de commettre un crime de lèse-majesté dès que l’on met en cause les gens… Les individus dont vous vous êtes entouré étaient peut-être loyaux mais leur compétence ne saute pas aux yeux. Vous avez recruté des gens qui ont échoué, notamment à la direction du Trésor, dont l’analyse était fausse puisque vous avez reconnu vous-même que le problème ne venait pas des dépenses, mais des recettes. Certes, il aurait été humainement difficile de vous séparer de ces personnes, mais ce n’est pas mon problème… Où est leur compétence ? Puisque vous n’avez pas recruté vos collaborateurs sur ordre du président de la République, comment avez-vous pu juger compétentes des personnes qui avaient tous les faits contre elles ? Vraiment, je ne comprends pas.
M. Michel Barnier. Ce n’est pas la première fois que nous ne nous comprenons pas ! D’ailleurs, cette incompréhension va peut-être durer…
Je vous ai répondu. Je n’accepte pas que l’on jette l’opprobre ou que l’on mette en cause des fonctionnaires qui ont été loyaux et, je le répète, compétents. Je n’accepte pas non plus l’idée que les chiffres présentés étaient délibérément faux, comme vous le sous-entendez. Ils étaient inexacts, insuffisants, mal estimés ou mal ajustés, mais nous pourrions trouver dans l’histoire de nombreux exemples de mauvaises prévisions, en recettes comme en dépenses. Il s’agit d’ailleurs d’une question intéressante, et je pense que votre commission est dans son rôle quand elle s’interroge sur la façon d’améliorer les prévisions et de faire en sorte que le Parlement soit correctement informé. Doit-il se doter d’outils spécifiques, ou le gouvernement doit-il améliorer les siens ? Lorsque j’étais membre de votre commission, il y a quelques années, nous étions déjà incapables de nous mettre d’accord sur le niveau de déficit ; comme simple député, je ne trouvais pas cela normal, et je me suis intéressé aux moyens beaucoup plus importants dont dispose, par exemple, le Congrès américain. Il y a sans doute des progrès à faire en matière d’analyse, de prospective, d’anticipation. Vous n’avez pas besoin de moi pour vous donner ce conseil, que vous avez d’ailleurs peut-être déjà appliqué, mais il serait intéressant de savoir comment la Commission européenne établit ses propres estimations concernant notre pays et les autres membres de la zone euro.
Pour le reste, je ne changerai pas ma manière de faire de la politique. À Bruxelles, en Savoie ou au gouvernement, j’ai toujours eu besoin de fonctionnaires compétents, et même souvent plus compétents que je ne peux l’être sur certains sujets. D’aucuns les qualifient de bureaucrates ou de technocrates, mais quand ces derniers prennent le pouvoir dans notre pays, c’est que les hommes politiques le leur ont laissé. Pour ma part, je ne l’ai jamais fait.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Vous avez beaucoup dit que vous auriez eu besoin de temps, mais qu’on ne vous en avait pas laissé. Vous avez d’ailleurs déposé le projet de loi de finances avec dix jours de retard. Soit. Cependant, au vu des éléments donnés par M. Attal et par les bureaucrates entendus par notre commission ou par celle du Sénat, je ne vois pas de différence flagrante entre la copie préparée par le gouvernement précédent, soutenu par ses services très loyaux et très compétents, et celle que vous avez rendue au Parlement. Le fait que vous ne nous ayez pas communiqué les lettres plafonds a d’ailleurs beaucoup contribué au mythe de la rupture. Quelles sont donc les différences précises entre ces deux budgets ? Quels sont les arbitrages précis que vous avez rendus, en dépenses comme en recettes ? Pour ma part, je n’en vois aucun.
Vous avez dit que vous n’aimiez pas beaucoup les coups de rabot ; or, dans les économies que vous avez faites en 2024, je ne vois rien d’autre que cela. Quelles économies structurelles avez-vous donc réalisées ?
Enfin, vous avez dit tout à l’heure qu’« on » vous avait expliqué que certaines mesures n’étaient pas possibles. Qui se cache derrière ce « on » ? Sans doute un technocrate loyal et compétent ! Ce « on » est-il singulier ou pluriel ? Autrement dit, avez-vous demandé plusieurs avis ? À quel niveau hiérarchique êtes-vous descendu pour vérifier l’information ? À Mayotte, par exemple, on s’est rendu compte qu’il fallait descendre plus bas pour connaître la vérité, car les n loyaux et compétents mentaient.
M. Michel Barnier. Avec tout le respect que je dois aux parlementaires, permettez-moi de vous dire, monsieur Tanguy, que je n’aime guère le mépris que vous exprimez à l’encontre des fonctionnaires ; ils ne le méritent pas. Votre groupe et votre parti eux-mêmes s’entourent de technocrates et de fonctionnaires partageant vos convictions. Un premier ministre assume la responsabilité des décisions qu’il prend en fonction des informations dont il dispose et des gens qui l’entourent.
J’ai repris les lettres plafonds héritées de mon prédécesseur, le temps me manquant pour en élaborer de nouvelles, et j’ai annoncé 5 milliards d’économies supplémentaires dans le PLF pour 2025. À l’inverse, le PLFSS n’était pas finalisé et j’ai dû le construire. Certaines décisions prises précédemment, qui avaient pour but de produire des recettes en 2024, n’étaient plus applicables.
M. le président Éric Coquerel. Tout à l’heure, monsieur le premier ministre, vous nous avez demandé d’être justes avec vous, puisque votre bilan porte sur une période très restreinte de l’année 2024 ; vous avez précisé que vous n’étiez pas en cohabitation avec le président de la République. Quelle a été l’influence de ce dernier dans le choix de maintenir la politique économique, sachant que le personnel politique œuvrant à Bercy est issu de son parti plutôt que du vôtre ?
M. Michel Barnier. J’ai été nommé par le président de la République et nous n’étions pas en cohabitation. J’ai travaillé au Parlement avec le soutien d’un socle, plus large au Sénat qu’à l’Assemblée, composé de ses alliés les plus proches : le mouvement centriste, le parti Horizons, des députés non inscrits et des parlementaires de mon propre parti. Nous avons formé un contrat de gouvernement, bien que ces mots n’appartiennent pas encore totalement à la culture française.
J’ai travaillé en bonne intelligence avec le chef de l’État, que je connais depuis assez longtemps, et je l’ai écouté. Mais dès le départ, les choses étaient claires : conformément à la Constitution, le président préside et le gouvernement gouverne. J’ai formé mon gouvernement librement, quoi qu’en écoutant le président de la République pour ce qui est de certains postes. Les ministres ont mené la politique que nous avons collectivement décidée, suscitant des critiques, des recommandations et des questions de la part des amis d’Emmanuel Macron.
Mon objectif était triple : réduire le déficit d’un point, éviter que l’écart avec l’Allemagne en matière d’endettement continue de se creuser et dire la vérité aux Français.
M. le président Éric Coquerel. À propos de quels postes le président de la République a-t-il été consulté ?
M. Michel Barnier. S’agissant des relations internationales, des affaires européennes et de la défense, qui relèvent des prérogatives du président de la République, il m’a semblé légitime de le consulter avant de nommer des ministres, comme il est de coutume sous la Ve République.
M. David Amiel (EPR). Cette commission d’enquête porte sur les écarts de prévisions. Or un élément nouveau est apparu au dernier trimestre 2024 : pour la première fois depuis plusieurs mois, l’activité économique a reculé, ce qui constitue une différence majeure par rapport aux périodes habituellement examinées par la présente commission ; jusqu’alors, les écarts de recettes provenaient plutôt de problèmes d’élasticité avec le PIB.
J’aimerais savoir si cette dégradation de l’activité économique, ayant pour conséquence le recul du PIB et des recettes fiscales, vous a conduit à faire des choix lors de l’élaboration du PLF, en fonction d’indicateurs avancés, ou à déposer des amendements au fur et à mesure de sa matérialisation, afin de limiter l’effet récessif du budget sur l’activité économique.
M. Michel Barnier. Comme je l’ai fait devant l’Assemblée nationale lorsque j’étais premier ministre, notamment en réponse à une question très pertinente de M. André Chassaigne, il nous faut hélas constater l’augmentation du nombre de chômeurs et de plans sociaux. Depuis plusieurs mois, ce recul de l’activité touche certains secteurs plus que d’autres. Selon certains économistes, des signes étaient déjà visibles il y a plus d’un an.
Lorsque l’on bâtit un budget, il faut faire attention. Le PLF pour 2025 a été élaboré rapidement et pouvait être amélioré ; il l’a d’ailleurs été, grâce à vous et grâce aux sénateurs, au point que nous étions parvenus à un équilibre pas si éloigné de celui figurant dans la dernière version du texte. Afin d’être aussi juste que possible en demandant des efforts à ceux qui ont davantage de moyens que les autres, j’ai donc fait attention. Ainsi, sur un total de 75 milliards d’euros de soutien aux entreprises, nous demandions un effort de 4 milliards par le biais de la diminution des exonérations de charges sociales – cet effort sera finalement réduit. Un tel effort me semble raisonnable dès lors qu’il est limité dans le temps, comme celui que nous demandions aux plus hauts revenus.
C’est la raison pour laquelle j’ai fait cette remarque sur l’impact de la censure de mon gouvernement : outre son coût de 12 milliards, elle a eu un effet notable sur la stabilité. Or la stabilité est l’une des clés de la confiance, qui est elle-même l’une des clés de la croissance. La période d’instabilité commencée en juin dernier est l’un des facteurs de fragilisation de la confiance, qui se traduit au niveau économique. C’est vrai à l’échelle européenne comme à l’échelle nationale : la stabilité fiscale, administrative et politique est très importante. Vous connaissez tous, dans vos circonscriptions, des entreprises, petites ou grandes, qui ont levé le stylo, hésitant avant de recourir à des investissements pourtant nécessaires.
J’ai eu la faiblesse – la naïveté, peut-être – de penser qu’en proposant des mesures difficiles, mais équilibrées, en veillant à demander un effort juste et temporaire, nous parviendrions rapidement à mettre fin à cette période d’instabilité et nous entamerions la réforme du pays, grâce notamment à la diminution des risques d’effets récessifs. Je n’ai malheureusement pas eu le soutien de l’Assemblée nationale.
M. David Amiel (EPR). Vous avez clairement expliqué votre choix politique, et non technique, de ne pas reprendre la réforme de l’assurance chômage telle qu’elle avait été préparée par le gouvernement précédent. Un autre projet de décret portait sur les indemnités journalières : pouvez-vous nous éclairer sur les raisons pour lesquelles ce décret n’a pas été pris ?
M. Michel Barnier. Nous avons choisi de confier ce sujet aux syndicats et aux organisations professionnelles, dans le cadre du dialogue social. Je ne le regrette pas.
M. David Amiel (EPR). Je voudrais vous interroger, comme nous l’avons fait hier avec Gabriel Attal, sur la fabrique de la décision. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux de cette commission d’enquête, nous avons constaté à quel point l’élasticité des recettes au niveau de croissance était devenue un facteur déterminant dans les écarts de prévision des recettes, et du solde budgétaire, pour les années 2023 et 2024.
Lors de l’élaboration du budget, au mois d’octobre, cette question de l’élasticité a-t-elle été abordée à votre niveau, celui du premier ministre, ou a-t-elle fait l’objet d’un arbitrage du ministère des finances ? Nous souhaitons comprendre comment les décisions sont prises au sujet d’un facteur qui paraissait jusque-là très technique, mais qui est en réalité déterminant.
M. Michel Barnier. Je n’ai pas le souvenir de discussions techniques approfondies sur cette question de l’élasticité, mais il faudrait que je consulte mes notes.
Il est important que vous vous penchiez sur les ressorts – si je puis dire – de cette élasticité, pour améliorer les outils de prévision et de prospective du Parlement ; cela relève de l’intérêt général.
M. David Guiraud (LFI-NFP). Je constate, monsieur le premier ministre, une curieuse règle mathématique : que ce soit dans l’hémicycle ou en commission des finances, en votre présence, le nombre de députés du bloc central est divisé par trois.
Vous avez expliqué que vous aviez des scrupules ou des hésitations concernant les coups de rabot. Ce n’est pas le cas de tout le monde : ainsi, le 9 novembre, Gabriel Attal expliquait, en quelque sorte, que vous aviez choisi de ne pas faire suffisamment d’économies ; la veille, Bruno Le Maire évoquait à demi-mot un manque de fermeté de votre part face à des ministres menaçant de démissionner. J’aimerais connaître votre avis à ce sujet.
Par ailleurs, alors que la situation est considérée par tous comme budgétairement difficile, un point m’étonne particulièrement. Ces dernières années, nous avons collecté des recettes fiscales sans précédent. Or lorsque vous prenez vos fonctions, vous ne remettez pas en question la redistribution des recettes de la TVA, qui ont augmenté de plus de 100 milliards en près de dix ans. À ce moment-là, à combien estimez-vous le montant de ces recettes et que pensez-vous en faire ?
M. Michel Barnier. Je n’ai pas compris votre remarque relative à la présence des députés du bloc central, si ce n’est qu’elle relève de la petite polémique. Que cela vous plaise ou non, le bloc central reste le socle de majorité relative le plus important ; il ne m’a pas fait défaut, malgré certains désaccords.
Une telle augmentation des recettes de TVA depuis dix ans n’est pas un mauvais signal. Elle témoigne d’un niveau de consommation et d’investissement en hausse et d’une économie en bonne santé. Les recettes fiscales sont redistribuées par le biais de la mécanique budgétaire et peuvent être affectées au budget européen ou au budget national. À l’échelle européenne, notre taux de prélèvement reste l’un des plus forts ; il est trop important. Des efforts restent à faire pour que les impôts soient plus justes, alors que le système de protection sociale est l’un des plus efficaces – ce qui est tout à notre honneur.
Quel que soit l’endroit où l’on siège dans l’hémicycle, on doit toujours se demander comment améliorer l’efficacité de la dépense publique. Je suis un partisan du service public et je tiens à ce que les fonctionnaires soient respectés, qu’ils travaillent directement pour l’État ou pour ses opérateurs. Pour peu qu’on les écoute, ils constituent une formidable réserve d’idées visant à améliorer le fonctionnement de la puissance publique.
En tout état de cause, quels que soient les prochains gouvernements, la question de l’efficacité des dépenses publiques devra être traitée ; c’est un enjeu d’intérêt national – d’intelligence nationale, pourrait-on dire.
M. David Guiraud (LFI-NFP). Je ne reviens pas sur ce que vous traitez de petite polémique, mais je persiste à croire que le bloc central vous a fait défaut.
Vous estimez que l’augmentation des recettes de la TVA est plutôt vertueuse puisqu’elle refléterait un bon niveau de consommation et d’investissement. Vous n’envisagez pas qu’elle puisse résulter de l’inflation, c’est-à-dire de la hausse des prix subie par les Français.
Demandons-nous où va cet argent : vous parlez de redistribution, mais vous ne vous êtes jamais demandé si une partie au moins des 60 milliards, transférés du budget de l’État vers celui de la sécurité sociale pour compenser les exonérations, pourrait être affectée différemment. De même, vous n’avez pas envisagé d’utiliser une partie des 50 milliards, transférés vers les collectivités territoriales en compensation des suppressions de l’impôt de production et de la taxe d’habitation, pour contribuer à redresser les comptes publics.
M. Michel Barnier. La hausse des recettes de la TVA résulte pour partie de l’inflation, mais elle est également un indicateur du niveau de l’activité : lorsque la consommation et l’investissement sont plus faibles, les recettes de la TVA diminuent.
Lorsque j’ai pris mes fonctions, je me suis posé des questions ; je n’ai pas eu beaucoup de temps pour les traiter. Je me suis dit, naïvement, que vous m’en donneriez mais tel n’a pas été le cas. J’ai élaboré les deux budgets aussi vite que possible, dans un délai contraint qu’aucun premier ministre n’a connu sous la Ve République.
Nous avons lancé des discussions, qui n’ont pas toujours été accueillies avec enthousiasme, notamment sur les exonérations de charges sociales ; faites-moi au moins crédit de cela ! Une fois ces budgets adoptés, dans le cours normal de l’action gouvernementale, j’aurais lancé des réflexions stratégiques et ouvert certains des débats que vous avez évoqués.
M. David Guiraud (LFI-NFP). Il est question de 110 milliards d’euros : je suis très surpris que malgré les délais très serrés, vous ayez attendu les débats parlementaires sans même formuler de propositions. Un tel montant me semble être une priorité en matière de budget !
M. Michel Barnier. Vous pouvez ignorer ce fait, mais vous avez vous-même créé une contrainte, par votre attitude d’opposition délibérée et l’annonce d’une censure dès le lendemain de ma nomination, avant même la formation de mon gouvernement et la présentation de mon discours de politique générale.
Ouvrir un débat portant sur la redistribution de ces sommes demande un minimum de stabilité et de temps, voire une majorité pour adopter les réformes qui en résulteraient. Je ne cherche pas à me protéger, mais le fait est que j’ai manqué de temps pour tout mener de front.
M. Christian Baptiste (SOC). La loi de finances pour 2024 prévoyait un déficit public de 4,4 % du PIB ; il devrait finalement avoisiner les 6,1 %, soit un écart considérable par rapport aux prévisions. La présente commission cherche à comprendre pourquoi les prévisions budgétaires ont été si éloignées de la réalité. À titre personnel, je souhaite savoir pourquoi les territoires d’outre-mer en paient le prix fort.
Ces écarts ne sont pas anodins et ont des conséquences directes sur les politiques publiques et sur la vie de nos concitoyens, en France hexagonale et dans les territoires dits d’outre-mer. D’une part, nous constatons des hausses budgétaires visant à répondre à des urgences, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte notamment. D’autre part, nous subissons des coupes budgétaires qui pénalisent durablement les territoires ultramarins : des baisses de crédits consacrés à l’aménagement du territoire et aux infrastructures locales, limitant tout développement structurant ; une diminution du soutien au logement, alors même que ce secteur traverse une crise particulièrement aiguë dans ces territoires ; une réduction des aides aux associations et aux dispositifs de lutte contre la vie chère, creusant encore les inégalités.
Dans quelle mesure les prévisions des finances publiques pour les années 2023 et 2024, issues des lois de finances et des programmes de stabilité afférents, ont-elles intégré les spécificités des territoires dits d’outre-mer ?
Comment expliquer que ces territoires soient systématiquement concernés par les ajustements budgétaires résultant des écarts de prévisions ? En d’autres termes, pourquoi ces territoires, déjà si vulnérables – comme l’a montré le cyclone Chido à Mayotte –, doivent-ils subir les erreurs d’anticipation de l’État ? Quels ajustements pourrait-on envisager pour garantir qu’ils ne soient pas disproportionnellement affectés par cette dérive des prévisions fiscales, budgétaires et économiques ?
M. Michel Barnier. Je me trouve dans une position paradoxale : je suis interrogé rétrospectivement sur le budget et les politiques devant être menées, alors que ces questions concernent le nouveau gouvernement.
J’ai toujours été attaché aux territoires d’outre-mer, en tant que ministre de la république française, puis en tant que commissaire européen notamment chargé des fonds structurels et des politiques régionales concernant ce qu’on appelle à Bruxelles les régions ultrapériphériques.
Je ne crois pas qu’ils aient été spécifiquement visés. Ils ont été touchés, bien sûr, puisque les lettres plafonds que j’ai trouvées en prenant mes fonctions, prévoyant des réductions d’engagement de crédits, concernaient tous les ministères ; de plus, j’ai accentué cette réduction globale de 5 milliards. Dans un temps contraint, nous nous sommes efforcés de tenir compte des redéploiements budgétaires demandés par les ministres dans le cadre de leur enveloppe budgétaire.
Nous avons consenti des efforts budgétaires significatifs, en raison d’événements conjoncturels particulièrement graves, en Nouvelle-Calédonie, où la reconstruction et le soutien au dialogue politique nécessiteront des sommes importantes, mais aussi à Mayotte, où des travaux de reconstruction devront être conduits. Toutefois, les efforts ne sont pas toujours budgétaires : ainsi, en Martinique, nous avons beaucoup travaillé avec les différentes parties prenantes pour aboutir à des mesures significatives en matière de diminution du coût d’un très grand nombre de produits de première nécessité.
Des problèmes d’exécution de budget se posent également : d’expérience, je sais que des crédits sont retournés à Bruxelles, faute d’avoir été consommés dans le délai imparti. C’est pourquoi je recommande l’instauration, pour les territoires et les départements d’outre-mer, d’un suivi et d’un décompte précis des financements. Avec M. François-Noël Buffet, mon ministre des outre-mer, qui est resté au gouvernement, nous avions commencé à travailler avec les élus à ce que pourrait être un plan global de développement territorialisé. Les acteurs économiques et sociaux le demandent : il faut passer d’une logique de guichet à une logique de projet.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Nous pourrions débattre longuement des écarts de prévisions, mais force est de constater que les dépenses ont augmenté et les recettes diminué. On peut parler d’élasticité, mais en réalité, l’activité économique est morose et la croissance plus ou moins en berne – en tout cas, inférieure à celle qui était attendue.
Monsieur le premier ministre, vous avez tout de suite pris la mesure de la situation et des difficultés que représentait l'élaboration d’un budget. Permettez-moi de saluer le courage que vous avez eu, dans votre déclaration de politique générale, de présenter aux Françaises et aux Français la gravité de la situation, tout en leur demandant des efforts raisonnables.
Il y a quelques jours, nous avons auditionné M. Pierre Moscovici, le président du Haut Conseil des finances publiques, qui demande des moyens supplémentaires pour établir des prévisions exactes. Que pensez-vous de cette proposition ? Quels moyens supplémentaires faut-il mobiliser pour affiner les prévisions économiques ?
M. Michel Barnier. Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée avec nombre de vos collègues.
Comme je l’ai déjà indiqué, il me semble très important qu’au-delà de l’analyse des erreurs et des insuffisances de certaines prévisions, votre commission d’enquête retire de cette situation des recommandations ou des idées pour améliorer la prospective et l’analyse. Je pense que l’État doit garder une capacité de prévision propre, sous le contrôle du Parlement et sous l’autorité du Premier ministre et des ministres. Le Parlement pourrait aussi disposer de davantage de moyens, suivant l’exemple d’autres pays. C’est aussi le cas du Haut conseil aux finances publiques, comme vous l’a dit son président Pierre Moscovici ; je ne sais pas si celui-ci vous a précisé le type de moyens dont il a besoin.
M. le président Éric Coquerel. Il a besoin de moyens financiers, donc humains, et réglementaires.
M. Michel Barnier. Le gouvernement doit rester maître et responsable de ses prévisions, sous l’autorité du premier ministre. Les choix ne peuvent pas être faits par une autorité indépendante, dont les membres ne sont pas élus – certains les qualifieraient de technocrates –, mais ils peuvent être ainsi éclairés. Peut-être pourrait-on s’inspirer de la façon dont cela se passe à Bruxelles. Personnellement, je ne verrais pas d’un mauvais œil qu’au-delà des analystes privés, qui sont assez nombreux, des institutions différentes de l’État, ou à côté de lui, éclairent son jugement. Je ne suis donc pas choqué par les propos qu’a tenus M. Moscovici.
M. Nicolas Ray (DR). Vous aviez présenté un budget courageux, certes impopulaire mais nécessaire. Sans doute votre courage est-il à l’origine de la censure que nous avons profondément regrettée. Votre projet de loi de finances prévoyait un objectif de déficit de 5 % ; le projet qui devrait être adopté aujourd’hui, si le gouvernement n’est pas censuré, prévoit 5,4 %. Cet objectif est-il selon vous réaliste ? Est-il suffisant, au vu de la situation de nos finances ?
M. Michel Barnier. Je vous remercie pour votre témoignage de soutien, qui ne m’étonne pas. Lorsque j’étais premier ministre, j’avais choisi en responsabilité de demander au pays l’effort le plus juste possible pour atteindre un déficit de 5 %. Je ne vais pas vous dire aujourd’hui que cet objectif n’est plus bon. Il consistait à faire un effort important dès le début. Si cet effort est réduit, il faudra que les marches suivantes – 3 % en 2029, ce n’est pas très loin – soient plus élevées.
J’ai entendu le Premier ministre afficher l’objectif de 5,4 % ; les discussions continuent en parallèle sur des sujets importants, comme les retraites. Je souhaite simplement, comme citoyen, que cet objectif soit tenu. Certes, 5,4 %, ce n’est pas 5 %, mais c’est mieux que 5,6 % ou 5,8 %. On a beaucoup parlé de gels, de restrictions de crédits, de coups de rabot. Le gouvernement aura différents moyens pour préserver cet objectif durant l’exercice 2025. Je ne peux que vous rappeler que j’avais souhaité fixer un objectif qui soit à 5 %, ou très proche.
M. Nicolas Ray (DR). Vous avez été censuré sur la question du gel partiel des retraites, mais c’est peut-être la censure qui a coûté le plus cher finalement. Regrettez-vous d’avoir maintenu cette mesure et, après réflexion, jugez-vous qu’elle était justifiée économiquement et juste socialement ?
M. Michel Barnier. Le budget que j’ai eu l’honneur de vous présenter était un budget difficile, qui n’impliquait que des décisions difficiles. Je n’ai pu y proposer des augmentations de crédits que sur quelques sujets très importants comme l’outre-mer, les soins palliatifs, les Ehpad ou la santé mentale. Dans tous les domaines, il y avait des mesures de restriction, de maîtrise budgétaire. J’avais demandé à tout le monde un effort dont je savais qu’il n’était pas idéal mais qu’il pourrait être rendu plus juste par la discussion parlementaire. Nous étions ainsi parvenus avec plusieurs groupes, dont le vôtre, à alléger l’effort lié à la non-indexation des retraites au 1er janvier. Je ne crois pas être tombé à cause de cela. En faisant un effort supplémentaire à hauteur de 3, voire 4, 5 ou 6 milliards, on aurait tout fait exploser : ce n’était pas responsable. Et j’ai eu le sentiment que cela aurait provoqué une surenchère sur d’autres sujets. Je ne crois pas me tromper en disant cela.
M. le président Éric Coquerel. Je ne réagirai pas à vos propos, car je sortirais alors du rôle qui est le mien dans cette commission d’enquête, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre analyse.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe Les Démocrates, pour l’action que vous avez conduite courageusement avec votre gouvernement jusqu’à la censure, dans un contexte politique et financier très difficile et avec un agenda des plus contraints – le tout avec méthode, et en tenant toujours un discours de vérité.
Ce matin, vous nous avez rappelé l’importance de l’alerte de la direction générale du Trésor du 11 septembre 2024, six jours après votre nomination. Cette note vous a conduit à demander tous les éléments nécessaires pour en apprécier l’exacte réalité. Nous imaginons que vous avez reçu ces informations. Elles vous ont permis d’arbitrer en responsabilité dans une fin d’exercice où, par définition, les marges de manœuvre budgétaires en dépenses et en recettes étaient presque inexistantes – sauf à agir de façon rétroactive, une solution que vous avez écartée. Au-delà des explications recherchées dans les choix politiques, et au risque de lancer des flèches aux étoiles, l’agenda politique 2024, pour le moins chaotique, a pesé à l’évidence sur la dégradation des comptes publics. Vous affirmez par ailleurs que « nous ne sommes pas en cohabitation », en vous appuyant sur une règle simple qui n’est pas toujours évidente pour l’observateur, malheureusement : le président préside, le gouvernement gouverne. Nous étions dans un temps court et c’est un paquebot qu’il fallait piloter, pas une Formule 1. Dans ces conditions, pouvait-il en être autrement pour vous ? Rétrospectivement, aviez-vous les moyens d’inverser le cours des choses ?
M. Michel Barnier. Je vous remercie pour votre appréciation, qui me touche beaucoup, et pour le soutien de votre groupe, qui n’a jamais manqué.
Oui, je pense que si j’avais eu la confiance de l’Assemblée nationale, nous aurions atteint, à 0,1 % ou 0,2 % près, l’objectif de 5 %. Cela aurait marqué le retour de la stabilité, et c’est ce qui était important. La censure en effet a prolongé l’instabilité ; elle a eu un coût et des conséquences en termes de confiance. Je le crois vraiment.
Si j’avais eu la confiance, nous serions entrés dans une autre séquence, celle d’un travail de réforme de l’État moins contraint par le temps mais tout de même rapide. Avec les membres du gouvernement, nous avions commencé à réfléchir aux projets concrets qui apporteraient des progrès pour les Français, les entreprises, les citoyens, et qui contribueraient à lutter contre le sentiment d’abandon dans nombre de territoires français : ce sentiment d’être loin de tout, et parfois de ne plus être considéré ou respecté. Je pense que nous serions entrés dans une période constructive. Mais pour cela, il fallait que nous passions l’obstacle, que je n’ai pas pu passer, de la confiance de l’Assemblée nationale.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Quelles actions avez-vous engagées, dans la préparation du PLF, pour fiabiliser les prévisions de recettes et les projections pour 2025, afin d’éviter les surestimations constatées en 2023 pour 2024 ?
M. Michel Barnier. C’est une bonne question. Tous les deux mois environ, nous recevions des notes de la direction générale du Trésor, qui étaient importantes pour moi. J’avais aussi les recommandations du gouverneur de la Banque de France, avec lequel j’échangeais, ainsi que celles du président de la Cour des comptes et les avis de celle-ci. Dans le temps où j’ai eu à gouverner, j’ai travaillé avec l’ensemble de ces éléments. À la lumière notamment de la commission d’enquête que vous auriez probablement créée de toute façon, monsieur le président…
M. le président Éric Coquerel. Nous n’avons pas eu le temps de le savoir…
M. Michel Barnier. ...j’aurais été attentif aux moyens d’améliorer encore le travail des services sur lesquels nous nous appuyons pour nous prononcer.
Je n’ai pas eu à prendre de décision pour améliorer les prévisions. L’ensemble des services de l’État ont été interpellés et ont fait l’objet de critiques – parfois justes, parfois injustes. Le Parlement et les acteurs économiques ont exigé des prévisions plus justes et ont voulu comprendre le mécanisme de l’élasticité.
La décision que j’ai prise a consisté à respecter les recommandations et les prévisions, sans donner de coup de pouce politique si c’était là votre question. Nous devons être rigoureux et responsables, et nous garder d’interpréter ou d’utiliser des chiffres pour faciliter un exercice budgétaire. Je ne l’ai jamais fait : preuve en est le résultat de l’exercice 2024, conforme à 0,1 % près à l’estimation sur laquelle nous avions travaillé.
Si j’étais resté premier ministre, j’aurais cherché à améliorer les choses, peut-être en augmentant les moyens ou en proposant de faire évoluer la façon dont sont réalisées les prévisions de l’État. Celui-ci doit en rester responsable devant vous, mais je pense qu’il y a des moyens de les améliorer.
M. Emmanuel Mandon (Dem). Sous votre impulsion et celle des ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin, un comité scientifique inédit dans son format a été nommé en novembre dernier afin d’identifier des propositions concrètes d’amélioration des prévisions. Pourriez-vous revenir sur cette décision ?
M. Michel Barnier. J’ai eu, avec Antoine Armand comme ministre des finances et Laurent Saint-Martin comme ministre chargé du budget et des comptes publics, des ministres motivés et conscients de leurs responsabilités. La création de ce comité scientifique est significative du fait que nous souhaitions tirer des leçons de ces polémiques. Je ne dispose pas du résultat des travaux pour l’instant et ne suis même pas certains qu’ils soient achevés ; j’y serai néanmoins attentif.
Mme Félicie Gérard (HOR). Laissez-moi d’abord vous dire, monsieur le premier ministre, à quel point je suis ravie de vous revoir. Chacun connaît votre attachement à la bonne gestion de nos comptes publics ; vous l’avez prouvé à de nombreuses reprises et jusqu’à récemment dans vos fonctions de premier ministre. C’est évidemment une priorité que nous partageons au groupe Horizons & indépendants. Dès votre arrivée à Matignon, vous avez alerté sur l’état très grave de nos finances publiques. Héritant d’un budget préparé par le gouvernement précédent, vous avez décidé d’insérer de nouvelles mesures d’économies pour tenter de contenir le dérapage budgétaire. Vous aviez un objectif clair, que je partageais complètement – 5 % de déficit – et une méthode que je partageais également – la priorité à la réduction des dépenses publiques.
Ce qui me pose question, c’est la différence entre le ton de vos prédécesseurs et le vôtre quand vous êtes arrivé à Matignon. Qu’avez-vous trouvé sur votre bureau qui vous a fait adopter immédiatement un discours très clair et très ferme sur l’importance de la réduction de notre dette et de notre déficit ? Quelle mesure d’économie auriez-vous pu mettre en place pour atteindre cet objectif, dans l’intérêt des Français, si davantage de temps vous avait été accordé ?
M. Michel Barnier. Je vous remercie de l’appréciation que vous portez sur mon action. Elle prouve, rétrospectivement, que le socle dont l’un de vos collègues de gauche a déploré l’absence tout à l’heure était bien là – même s’il était, et c’est normal, exigeant, sans complaisance et constructif.
Qu’ai-je trouvé sur mon bureau ? Je le répète : j’ai eu des échanges avec le gouverneur de la Banque de France, et j’avais en tête des convictions. La divergence entre les courbes de la dette allemande et de la dette française – une mâchoire qui s’ouvre ! – est extrêmement grave ; c’est un élément fondamental. J’ai reçu la note de la direction générale du Trésor évoquant la dégradation d’une ampleur inhabituelle du solde public, à très brève échéance de la préparation du budget, et recommandant des économies très importantes. Voilà pourquoi j’ai pris le risque d’être impopulaire : on peut l’être – je ne sais pas si je l’ai été, ou si je le suis –, mais il faut au moins être respecté. J’ai toujours compris l’action publique comme devant être digne et respectable. Et ma manière d’être respecté a consisté à dire la vérité et à prendre des décisions graves et difficiles, comme celles que je vous ai proposées, qui étaient aussi améliorables.
Ces décisions, je les ai inscrites dans une double perspective. La première est celle de la baisse du déficit et, à partir de 2029, de la dette. À ce sujet, je recommande de ne pas négliger l’avis de nos partenaires européens, qui sont concernés : si l’un des membres ne va bien, cela se répercute sur tous les autres. La seconde perspective consistait à inscrire l’action du gouvernement dans la stabilité à court et moyen terme, c’est-à-dire d’ici à 2027, échéance normale des élections présidentielles puis législatives. Il s’agissait d’engager un mouvement de réforme du pays – non pas sans, à côté, ou contre les partenaires sociaux, les collectivités locales et les entreprises, mais avec l’ensemble de ces acteurs. Telle était l’idée que j’avais, et que je garde pour l’avenir.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Le mercredi 18 septembre 2024, vous avez déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) : « La situation budgétaire du pays, que je découvre, est très grave. » Quand vous avez accepté d’être premier ministre, le 5 septembre, étiez-vous conscient de la gravité de la situation des finances publiques de notre pays ?
M. Michel Barnier. Ma réponse est non, monsieur le rapporteur général.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous avez déclaré tout à l’heure que dire la vérité sur l’état de nos finances publiques a été votre ligne de conduite. Est-ce à dire que ça n’a pas été celle de vos prédécesseurs ?
M. Michel Barnier. Non.
M. le président Éric Coquerel. Non, ça n’a pas été leur ligne de conduite ? Ou bien…
M. Michel Barnier. Non, je ne dis pas que mes prédécesseurs n’ont pas eux-mêmes dit la vérité, ou leur vérité, en fonction des éléments qu’ils avaient et que je n’avais pas. Je ne me sens pas en droit de les mettre en cause sur ce terrain.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Avez-vous eu le temps, pendant la courte période au cours de laquelle vous avez été premier ministre, d’analyser les causes de la chute en 2024 des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS), de la TVA, de l’impôt sur le revenu (IR) et d’autres impôts ? Vos collaborateurs vous ont-ils fourni des explications ?
M. Michel Barnier. Je ne voudrais pas donner le sentiment que je réponds toujours non, monsieur le rapporteur général, mais je vous dis ce que je pense ! À l’évidence, mes collaborateurs se sont penchés sur le point supplémentaire de déficit évoqué par la note du 11 septembre. Mais je n’ai pas eu le temps de chercher les causes et les raisons que vous évoquez. Je l’aurais probablement fait plus tard, si j’en avais eu le temps. Sans doute est-ce aussi l’éclairage que cherche à apporter votre commission d’enquête. Or celle-ci vous prend du temps. Nous sommes ensemble depuis près de trois heures – j’en suis très heureux d’ailleurs –et vous avez auditionné, ou allez auditionner, mes prédécesseurs, ainsi que des fonctionnaires… Mesurez le temps qu’il vous faut pour comprendre ; moi je n’ai pas eu ce temps-là. Mais je pense que j’en aurais pris, si je l’avais pu, pour analyser plus en détail les raisons du décalage.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Certains membres du gouvernement qui a précédé le vôtre imputaient le dérapage des finances publiques aux collectivités locales, à hauteur de 16 milliards d’euros. Vous nous avez indiqué que vous ne partagiez pas cette analyse. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?
J’ajoute qu’a posteriori, le dérapage est extrêmement faible puisqu’il n’est que de 6 milliards, et calculé par rapport à des hypothèses totalement irréalistes
M. Michel Barnier. J’apprécie ce que vous venez d’ajouter : c’est précisément pour cela que j’ai estimé qu’il n’était pas juste de faire porter la responsabilité du dérapage sur les communes, les départements et les régions à une telle hauteur. De toute façon, à l’heure où il fallait faire un effort collectif, le fait de les montrer du doigt n’aurait pas aidé. Je ne vais pas vous dire que mes prédécesseurs se sont trompés, mais je crois que c’était une erreur de mettre ainsi en cause les collectivités locales. Leurs besoins de financement n’étaient pas injustifiés. C’est même plutôt un bon signal qu’elles jouent leur rôle pour améliorer la vie des Français, dans le cadre de la décentralisation actuelle et future. Les besoins en équipements publics sont très importants et le resteront à l’avenir, notamment pour la prévention des risques. On ne peut pas leur reprocher ces investissements.
Ayant présidé un département pendant dix-sept ans, je dis avec respect que l’on peut en revanche trouver, avec elles, un système permettant de maîtriser les choses et faire des prévisions plus justes. Cela a été tenté à plusieurs reprises par le passé. Il est normal, deux ans avant des élections municipales, que les projets arrivent à maturité et doivent être financés. Mais il est peut-être possible de lisser et d’anticiper, avec les collectivités, les besoins de financement qui participent de l’élaboration du chiffre du déficit au niveau européen.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma dernière question porte sur les lettres plafonds, que nous n’avons pas obtenues. Estimez-vous normal que, tant chez votre prédécesseur qu’au ministère des finances, on ait refusé de les transmettre au président de la commission des finances et au rapporteur général du budget ?
J’ajoute, pour la bonne information de la commission, que la secrétaire générale du ministère des finances nous a indiqué avoir reçu un ordre en ce sens de la part du directeur de cabinet du Premier ministre qui vous a précédé. C’est extraordinaire, n’est-ce pas !
M. Michel Barnier. Je n’ai pas mémoire des nouvelles méthodes de travail du Parlement avec le gouvernement. Avez-vous toujours eu communication de ces lettres plafonds ?
M. le président Éric Coquerel. Non, mais nous avions le tiré à part.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous n’avions que des tirés à part, mais il semble que nous ayons été les premiers à les demander.
M. le président Éric Coquerel. Nous ne les avons pas eus cette fois-ci.
M. Charles de Courson, rapporteur général. En plus ! Mais c’était sous votre prédécesseur, monsieur le premier ministre.
M. Michel Barnier. J’aurais trouvé normal, pour dire les choses franchement, que ceux qui ont signé ces lettres plafonds vous les donnent, ou vous transmettent le tiré à part.
Lorsque je suis arrivé, ces lettres plafonds existaient. Je ne les avais pas élaborées, mais j’ai dit aux ministres que nous allions les respecter tout en nous efforçant de les ajuster autant que possible. Voilà dans quelles conditions nous avons fabriqué le budget. Les tirés à part qui vous sont dûs auraient dû vous être remis par ceux qui ont signé ces lettres.
M. le président Éric Coquerel. Une chose m’étonne. Je pense que, si vous avez été nommé premier ministre, c’est sans doute en raison de la situation marquée par l’explosion des déficits. Or vous dites ne pas avoir eu le temps de vous pencher sur les raisons des erreurs commises dans les prévisions de recettes : n’est-ce pas courir le risque, au moment où l’on refait un budget, de reproduire les mêmes erreurs ?
M. Michel Barnier. J’ai dit au rapporteur général qu’avant d’être nommé premier ministre, je n’avais aucune indication au sujet de la note qui m’a été remise six jours après ma nomination. Peut-être aurait-elle pu être publiée deux jours avant mon arrivée, mais ce n’a pas été le cas. J’ai été surpris par l’annonce d’un déficit plus important que je ne l’escomptais. Mais si c’est une chose d’être surpris et de se demander « pourquoi ? », c’en est une autre d’avoir la réponse. Or je n’ai pas eu le temps de l’avoir.
M. le président Éric Coquerel. Excusez-moi d’insister, mais nous sommes là au cœur du problème.
M. Michel Barnier. Effectivement.
M. le président Éric Coquerel. Je pense que, si vous avez été censuré, c’est notamment parce que vous avez peu ou prou poursuivi la même politique que vos prédécesseurs, qui n’était déjà pas soutenue par une majorité.
Gabriel Attal nous a apporté hier une réponse qui ne me satisfait pas mais qui est la sienne, et qu’il assume : il dit qu’après avoir constaté qu’il n’y avait pas eu plus de dépenses publiques mais moins de recettes – IS, IR, etc. –, il a décidé de baisser les premières.
Vous dites, quant à vous, que votre réaction a consisté à ne pas taxer les rachats d’actions et à ne pas prendre les mesures sur les énergéticiens comme l’avait proposé Bruno Le Maire dans le cadre d’un éventuel projet de loi de finances rectificative (PLFR). Comprenez que je sois surpris lorsque vous répondez à Charles de Courson que vous ne vous êtes pas interrogé sur le moindre rendement des recettes, parce qu’il fallait que vous élaboriez un budget ! Cette question est fondamentale, car le problème est peut-être lié à la politique qui a été menée. Ne l’avez-vous jamais envisagé ? Ma question est à prendre au premier degré.
M. Michel Barnier. Mes réponses le sont aussi. Lorsque je suis arrivé à Matignon, et que mon prédécesseur m’a passé le relais dans des conditions dont tout le monde se souvient, j’ai indiqué qu’il y aurait, dans la politique du gouvernement que j’allais former, des sujets de persévérance, des sujets de changement et d’autres de rupture. Sans avoir le temps d’aller au bout des choses, j’ai lancé des chantiers pour impulser des ruptures ou des changements dans les domaines où s’expriment des attentes fortes et légitimes des Français : en matière de sécurité publique, d’ordre public, de déréglementation, de simplification, de décentralisation et de maîtrise de l’immigration clandestine.
Pour moi, la politique de l’offre, qui est la marque principale des sept années de présidence d’Emmanuel Macron, n’est en revanche pas un sujet de rupture. Elle a eu des effets positifs, contribuant à la création de 2,5 millions d’emplois supplémentaires et de centaines de milliers d’entreprises depuis 2017, ainsi qu’à l’attractivité retrouvée de notre pays. Même si ses amis ne l’ont pas compris tout de suite, ou m’ont fait un procès d’intention, je n’ai pas eu l’intention de modifier cette politique. Je pense simplement qu’elle ne suffit pas pour diminuer les fractures territoriales, pour réduire le sentiment d’abandon ou de manque de considération éprouvé par beaucoup de Français, ni pour rétablir davantage de justice, y compris fiscale. Nous avons là un point de désaccord, monsieur le président de la commission, au premier degré : cette politique-là est juste. Notre pays doit rester attractif, investir et faire confiance aux entreprises ; ce sont elles en effet qui créent l’activité.
Ce qui a fait plonger les finances publiques, ce sont clairement et principalement les mesures de protection légitimes qui ont été mises en place pendant les crises. On a, avec beaucoup d’argent, soutenu l’activité au moment où elle était totalement arrêtée par la crise du covid en particulier. La question qui mérite notre attention est celle-ci : est-on sorti assez tôt de ces dispositifs ? Je pense quant à moi que l’on aurait pu le faire plus tôt. On aurait ainsi réduit plus rapidement les risques de déficit.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Je vous remercie, monsieur le premier ministre, de répondre avec votre vérité. Vous avez dit que pour être respecté, il fallait savoir dire la vérité ; c’est vrai. Mais vous avez introduit un distinguo en parlant de vos prédécesseurs et de « leur » vérité : preuve que la vérité, ce n’est pas si simple. N’est-ce pas une façon de mettre en évidence – à votre façon, avec beaucoup de courtoisie – le fait qu’ils auraient minimisé l’état catastrophique des finances publiques qu’ils vous laissaient ?
M. Michel Barnier. Ce n’est pas sémantique. Je ne suis plus dans l’action publique depuis plusieurs années. Lorsque j’étais à Bruxelles, en tant que négociateur du Brexit, j’étais un peu éloigné de la connaissance, de l’analyse et de la gestion des affaires publiques françaises. Lorsque je dis « leur vérité », ce n’est pas une commodité. Je parle de la vérité qui était la leur à ce moment-là, celle qu’ils auraient dû dire, ou qu’ils ont indiqué avoir dite : celle qu’ils devaient exprimer au moment où ils étaient en responsabilités.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Je comprends qu’en arrivant à Matignon, compte tenu de ce qu’il y avait à faire, vous n’ayez pas pris quarante-huit heures pour vous interroger sur l’élasticité des recettes à la croissance. Vous avez tout de même constaté une distorsion stupéfiante avec les prévisions – sur laquelle se penche notre commission d’enquête – et étiez entouré de gens très informés. Votre directeur de cabinet nous a d’ailleurs dit quelque chose de très intéressant : il a indiqué que le problème sur les recettes avait été identifié dès l’été 2023, évoquant une forme de cristallisation. Vous en a-t-il parlé ? Saviez-vous que le dérapage du déficit était déjà en germe avant même que le PLF pour 2024 ait été élaboré et déposé sur le bureau de l’Assemblée ?
M. Michel Barnier. Oui, bien sûr. Jérôme Fournel m’a fait part de son analyse, avec la compétence et la loyauté qui sont les siennes, s’agissant de ce qui avait été cristallisé ou de ce qui était en germe, comme vous dites. Cela fait tout de même de nombreuses années que nous accumulons une dette excessive et un déficit mal maîtrisé. Je me permets de vous renvoyer à la courbe présentant l’endettement de la France comparativement à celui de l’Allemagne : elle rend humble quant à la gestion de M. Sarkozy et à celle de M. Hollande. Notre dette est mal maîtrisée, faute d’une bonne gestion et d’une réforme en profondeur de l’État qui aurait dû être menée depuis bien longtemps. Elle s’est aggravée substantiellement depuis quelques années. Il y a à cela des raisons objectives, liées à la réponse que l’on a apportée aux crises, mais je pense aussi que l’on a tardé à mettre les outils en place pour la maîtriser.
Quand j’arrive à Matignon, je constate, comme le souligne la direction générale du Trésor, un décalage inédit en aussi peu de temps, dans un délai très court avant la présentation du nouveau PLF. Je fais face autant que je le peux, en faisant ce qui me semble être ma responsabilité : réduire la dette à terme, le déficit tout de suite, et le dire aux Français – quoi qu’il m’en coûte, si je puis dire.
M. Emmanuel Maurel (GDR). Vous avez raison de faire allusion à l’humilité, une qualité dont sont dépourvus certains de vos prédécesseurs – mais l’exemple vient d’en haut.
Vous vous focalisez sur l’efficacité et le volume de la dépense publique. Je le comprends, mais je maintiens aussi qu’il y a un problème important avec les recettes. Nous avons auditionné récemment un conseiller maître à la Cour des comptes, auteur d’un rapport passionnant sur les finances locales. Il nous a indiqué qu’en supprimant la taxe d’habitation (TH) et une partie de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), Emmanuel Macron avait généré une perte de recettes de plus de 38 milliards d’euros pour l’année 2023. Les deux tiers de la baisse de recettes – comptabilisée par la Cour, par rapport à 2017, à une soixantaine de milliards – viennent donc de ces deux promesses du Président de la République. N’est-ce pas aussi une part du problème ? La France s’est elle-même privée de recettes indispensables, au point que M. Moscovici nous a indiqué qu’elle ne pouvait plus se permettre de baisse supplémentaire des prélèvements. Partagez-vous cette réflexion ?
M. Michel Barnier. Ma réponse est oui, monsieur Maurel. Je me pose ces questions. Mais je ne suis ni dans le regret ni dans le remords. Les choses ont été faites ; on peut les approuver ou pas. J’ai bien vu les conséquences de certaines de ces suppressions d’impôts sur les collectivités locales. Certaines n’ont plus de recettes directes. Je l’ai dit devant l’Association des maires de France (AMF) : ne recevant que des subventions de l’État, elles n’ont plus d’autonomie dans leurs recettes et sont transformées en sous-traitants de l’État. C’est un vrai problème que j’aurais aimé traiter, si vous m’en aviez laissé le temps.
Nous n’allons pas réécrire l’histoire de la fiscalité, mais je suis conscient de cela. Et je ne fuis pas la question que m’a posée votre président : la justesse et l’efficacité des recettes sont importantes, tout comme l’est la maîtrise des dépenses. Sans doute est-ce sur ce dernier point que nous avons un désaccord : je pense que nous devons dépenser moins et mieux.
M. Kévin Mauvieux (RN). Vous avez indiqué que vous n’aviez pas eu le temps d’analyser les causes des pertes de recettes au cours de l’année 2024 notamment. Je peux comprendre, car votre passage à Matignon a été rapide, mais je rejoins les propos de Jean-Philippe Tanguy : vous avez tout de même conservé les mêmes fonctionnaires, aux mêmes postes. Entre-temps, ils ont eu le temps, quant à eux, de creuser la question. N’auraient-ils pas dû vous présenter leur analyse, afin d’éviter que les mêmes causes ne se reproduisent dans un autre PLF ? Quand ils font une erreur, les salariés du privé sont licenciés pour faute lourde ou grave. N’avez-vous pas estimé nécessaire, pour contribuer au redressement des finances, de remplacer les fonctionnaires qui auraient accumulé les fautes ?
On a évoqué votre décision de ne pas prévoir de PLFR ; il est vrai que cela aurait été compliqué, compte tenu du temps dont vous avez disposé. Mais quel est votre sentiment sur le fait qu’il n’en ait pas été présenté un au cours du premier semestre, alors que les dérives étaient déjà connues et que nous le réclamions ?
M. Michel Barnier. Je ne crois pas ce que l’on puisse dire que des fautes graves ont été commises. Il est de votre responsabilité, au sein de cette commission, de détecter les faiblesses ou les erreurs – il faut se méfier des mots que l’on utilise avant d’avoir des preuves. Globalement, le système a mal apprécié les recettes et les dépenses, au point qu’une note en date du 11 septembre établit une dégradation d’une ampleur inhabituelle, depuis le 17 juillet, des comptes publics. Cette note a été fondamentale pour moi. Lorsque j’ai été nommé, je n’ai pas disposé de beaucoup de temps ni de nombreuses autres informations, mis à part mes convictions et mes échanges avec le président de la Cour des comptes et le gouverneur de la Banque de France. Les auteurs de cette note pourraient sans doute vous dire comment ils analysent cet écart inhabituel, qui exige des mesures beaucoup plus fortes et beaucoup plus rapides qu’anticipé.
Habituellement, c’est plutôt en juin qu’est adopté un PLFR et, si besoin, à l’automne. Je ne veux pas chercher d’excuses à M. Attal, mais le mois de juin a été une période particulière, avec les élections européennes… Les annulations et les gels de crédits auxquels il a procédé à l’époque auraient certes pu faire l’objet d’un projet de loi, mais il a pris des mesures. Il n’est pas resté passif devant les difficultés ; il a commencé à les régler et annoncé d’autres mesures, dont je vous ai expliqué pourquoi elles n’avaient été mises en œuvre que partiellement. Lui avez-vous posé la même question ?
M. le président Éric Coquerel. Oui, bien sûr.
M. Michel Barnier. Nous étions dans une période pré-électorale. Vous étiez tous mobilisés, si je ne me trompe pas. Cela aurait été compliqué.
M. le président Éric Coquerel. Ce n’est pas la raison qu’il a avancée.
Je vous remercie, monsieur le premier ministre, des trois heures que vous nous avez consacré.
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Information relative à la commission
La commission a désigné Mme Eva Sas, rapporteure sur la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra riches (n° 768).
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 5 février 2025 à 9 heures
Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Jean-Didier Berger, M. Carlos Martens Bilongo, M. Anthony Boulogne, M. Philippe Brun, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. Emmanuel Fouquart, Mme Félicie Gérard, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. David Guiraud, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, M. Philippe Juvin, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, Mme Constance Le Grip, M. Aurélien Le Coq, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Thierry Liger, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Estelle Mercier, Mme Sophie Mette, M. Marcellin Nadeau, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, M. Christophe Plassard, M. Nicolas Ray, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy, M. Éric Woerth
Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Jocelyn Dessigny, M. Jean-Paul Mattei, Mme Marianne Maximi, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou
Assistaient également à la réunion. - M. Joël Bruneau, M. Fabrice Brun, M. Pierre Cordier, M. Eric Liégeon, M. Christophe Naegelen