Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

–  Audition de M. Pierre Chabrol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958)              2

  Présences en réunion...........................17

 


Mardi
11 février 2025

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 081

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


  1 

La Commission procède à l’audition de M. Pierre Chabrol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 581100 du 17 novembre 1958).

 

M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd’hui M. Pierre Chabrol. Cette audition se tient dans le cadre de nos travaux pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête. Ces auditions obéissent au régime des auditions d’une commission d’enquête, tel que prévu par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

De façon générale, le bureau de la commission a décidé que ces auditions seraient publiques. Les deux rapporteurs de l’enquête, MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, ont élaboré un questionnaire écrit qui vous a été transmis.

Dans un premier temps, après avoir fait prêter serment à la personne auditionnée puis avoir écouté son propos liminaire, moi-même, ainsi que les rapporteurs, poserons des questions. Les commissaires appartenant aux différents groupes pourront également poser des questions ensuite pour une durée d’environ deux minutes. Le président et les rapporteurs pourront, s’ils l’estiment nécessaire, procéder à des relances.

Notre audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. L’enregistrement audiovisuel sera ensuite disponible à la demande.

M. Pierre Chabrol, vous êtes ministre conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

 

(M. Pierre Chabrol prête serment.)

 

M. Pierre Chabrol, ministre conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres. Le service économique régional de Londres est une petite équipe interministérielle composée de douze personnes, dont les missions consistent à analyser les évolutions de l’économie britannique, à nouer des relations avec les différents ministères économiques britanniques, du département chargé de la pêche à celui chargé des finances en passant par ceux de l’industrie, du commerce extérieur et de l’énergie, à accompagner les entreprises françaises au Royaume-Uni et à assurer la promotion de l’attractivité de la France.

Si vous en êtes d’accord, je commencerai par présenter la trajectoire des finances britanniques au cours des vingt-cinq dernières années, ainsi que le cadre institutionnel dans lequel les budgets et les prévisions sur lesquelles ils s’appuient sont élaborés. Je reviendrai ensuite rapidement sur la conjoncture récente de l’économie britannique. Enfin, je vous présenterai les exercices budgétaires 2023-2024 et 2024-2025.

Au cours des vingt-cinq dernières années, les finances publiques britanniques ont été marquées par un triplement de la dette. En 2001, la dette publique britannique, au sens de Maastricht, était égale à 35 % du PIB. Dix ans plus tard, à la fin de la crise financière, elle avait bondi à plus de 80 %, en raison de la contraction très forte du PIB, de l’accroissement des taux d’intérêt et de l’intervention massive de l’État pour soutenir le secteur financier par la nationalisation de certaines banques, le rachat d’actions et différentes mesures qui pèsent encore lourdement sur les finances publiques britanniques.

En 2019, la politique de réduction drastique des dépenses, engagée par le gouvernement conservateur de David Cameron, était parvenue à contenir l’endettement et à le stabiliser juste au-dessus de 85 % du PIB.

Entre 2019 et 2024, sous les gouvernements conservateurs de Boris Johnson, de Liz Truss et de Rishi Sunak, la dette a de nouveau augmenté et dépasse désormais 100 % du PIB. Cet accroissement est essentiellement dû à l’intervention massive de l’État pour atténuer les effets de la pandémie et de la crise énergétique ; les baisses d’impôts significatives décidées par le gouvernement de Rishi Sunak y ont aussi contribué.

En 2025, le poids des agrégats budgétaires est de plus en plus important au Royaume-Uni et se rapproche de la moyenne européenne. Les recettes publiques représentent ainsi à peu près 40 % du PIB et les dépenses publiques environ 45 %.

Comme l’Union européenne, le Royaume-Uni s’est doté ces dernières années de règles budgétaires concernant la dette et le déficit, dont le fonctionnement diffère de celles prévues par le pacte de stabilité et de croissance. Instaurées en 1997 par Tony Blair, elles ont été renforcées en 2011 par David Cameron et récemment modifiées par Keir Starmer. Le gouvernement britannique se fixe un double objectif de déficit et de dette à atteindre en trois à cinq ans. Chaque année, la marge de manœuvre budgétaire dont dispose le gouvernement est évaluée par rapport à cet objectif.

Comment les budgets sont-ils élaborés au Royaume-Uni ? Les années budgétaires débutent le 1er avril et prennent fin le 31 mars de l’année suivante. Deux budgets sont présentés chaque année : le budget d’automne au mois d’octobre et celui de printemps au mois de mars. Ce sont des événements politiques majeurs, à l’occasion desquels le gouvernement présente de nouvelles mesures budgétaires et fiscales. Ils sont élaborés en fonction de prévisions systématiquement actualisées. En pratique, les principaux équilibres budgétaires sont connus lorsque le chancelier de l’Échiquier – c'est-à-dire le ministre des finances – présente le budget d’automne devant la Chambre des communes. Le principe d’annualité budgétaire doit être nuancé puisque les budgets adoptés chaque année sont une mise à jour d’un cadre pluriannuel de dépenses publiques, la spending review. La dernière spending review datant d’octobre 2021, la prochaine devrait être publiée d’ici à juin 2025.

En 2010, le premier ministre David Cameron et son chancelier de l’Échiquier George Osborne ont décidé d’externaliser les prévisions macroéconomiques et les prévisions des finances publiques à une institution nouvelle et indépendante du gouvernement, l’Office for Budget Responsibility (OBR). Pour le parti conservateur alors au pouvoir, l’objectif principal consistait à éclairer l’opinion et les parlementaires sur les enjeux liés à la soutenabilité de la dette publique et ainsi conforter la politique de réduction significative des dépenses qu’il souhaitait entreprendre.

L’OBR est chargé de quatre principales missions. Premièrement, la préparation des prévisions économiques et budgétaires, deux fois par an – en général fin mars et fin octobre –, selon un calendrier prédéterminé d’échanges avec les administrations.

Deuxièmement, l’évaluation du respect des règles budgétaires par le gouvernement ex ante, à l’aide de prévisions, plutôt qu’ex post une fois les données connues. L’OBR est invité à porter un jugement sur la probabilité du respect par le gouvernement, compte tenu des mesures annoncées, des objectifs de réduction du déficit et de la dette à l’horizon qu’il s’est lui-même fixé au moment de la spending review.

Troisièmement, l’évaluation a posteriori de sa propre prévision, une fois par an. Enfin, quatrièmement, l’analyse des risques pesant sur la soutenabilité des finances publiques à plus long terme. Je pourrai revenir dans le détail sur le fonctionnement de cette institution, les textes qui le régissent, ses méthodes de travail et ses publications.

Les prévisions budgétaires sont donc élaborées selon un calendrier prédéterminé de discussions entre l’OBR et différentes administrations : le Trésor – His Majesty Treasury –, également chargé du budget ; l’administration chargée des services fiscaux et des douanes – His Majesty Revenue and Customs ; le ministère du travail et des retraites – Department for Work and Pensions. Celles-ci collectent les données, préparent de nouvelles mesures budgétaires et tracent des trajectoires de dépenses et de recettes qu’elles transmettent à l’OBR.

Le calendrier, qui fait l’objet d’un mémorandum d’accord entre ces administrations, compte plusieurs semaines et précise presque jour par jour – ce qui peut sembler assez rigide – le rythme et la nature des discussions. Six à dix semaines avant la présentation du budget à la Chambre des communes, l’OBR prépare un scénario de prévisions économiques et budgétaires avant toute nouvelle mesure, sur la base des données macroéconomiques les plus récentes d’une part, et en fonction des prévisions de flux de recettes et de dépenses transmises par les administrations d’autre part. Trois à six semaines avant la présentation du budget, l’OBR remet ses prévisions au chancelier de l’Échiquier.

Le Trésor transmet ensuite à l’OBR la liste des nouvelles mesures envisagées ; les administrations responsables, notamment l’administration fiscale, lui communiquent leurs estimations de coûts ou de recettes. L’OBR analyse toutes les informations et établit un scénario de prévisions incluant ces nouvelles mesures.

Les deux scénarios de prévision – sans, puis avec les nouvelles mesures – sont rendus publics par l’OBR le même jour que la présentation du budget au Parlement par le chancelier de l’Échiquier.

Au cours de l’exercice budgétaire, l’Office national des statistiques (ONS) – Office for National Statistics – publie tous les mois une estimation du déficit mensuel, qui est prise en compte par l’OBR au fur et à mesure de l’élaboration de sa nouvelle prévision. À la fin de l’exécution budgétaire, l’ONS dévoile sa première estimation provisoire du déficit public annuel, qui est ensuite ajustée chaque mois, parfois significativement, au fur et à mesure de la réception des données réelles transmises par l’administration fiscale et douanière et les collectivités locales.

Cette nouvelle organisation n’a cependant pas permis au gouvernement de se prémunir contre le risque d’écart significatif entre les prévisions et le réel, ni contre celui d’une polémique sur la sincérité de l’information budgétaire.

Avant d’aborder les deux derniers exercices budgétaires, permettez-moi rappeler le contexte économique récent au Royaume-Uni, qui a eu un impact réel sur l’élaboration des prévisions budgétaires. Il est très incertain depuis une décennie, aussi bien en raison de décisions politiques internes que de chocs économiques externes, qu’il s’agisse du référendum sur le Brexit en juin 2016, de la sortie effective de l’Union européenne le 1er janvier 2020, de l’épisode du minibudget de Liz Truss en septembre 2022, ou encore des conséquences économiques de la pandémie et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

L’effet de ces crises sur l’économie britannique s’est révélé plus sévère que dans les autres pays du G7. Ainsi, en 2020, sous l’effet de la pandémie, l’économie britannique s’est contractée de 10 %, soit plus que la moyenne européenne – environ 6 %. En raison du ralentissement de l’activité, conjugué aux mesures de soutien aux entreprises et aux ménages, le déficit public en 2020-2021 était égal à 15 % du PIB, soit un niveau nettement supérieur à la moyenne européenne, de 7 %. Le Royaume-Uni avait notamment instauré un programme assez massif de chômage partiel, de prêts garantis par l’État et de réduction temporaire de la TVA.

En 2022, l’inflation au Royaume-Uni a été plus soutenue et persistante qu’en France, atteignant 11,1 % au mois d’octobre. Le gouvernement a réagi rapidement par des mesures de plafonnement des factures d’énergie, d’aides directes aux ménages ou de taxation exceptionnelle des entreprises énergétiques. Cet épisode a rendu difficiles le maintien de l’équilibre des finances publiques et les exercices de prévisions macrobudgétaires.

L’épisode du minibudget, en septembre de la même année, illustre l’incertitude politique et macroéconomique qui a caractérisé le Royaume-Uni ces dernières années. Liz Truss et son chancelier de l’Échiquier Kwasi Kwarteng avaient présenté un minibudget prévoyant de massives baisses d’impôts financées par l’emprunt ; l’absence de financement crédible avait provoqué une forme de panique sur les marchés financiers, entraînant une chute de la livre sterling et une hausse des taux d’intérêt obligataires. La Banque d’Angleterre avait dû intervenir en urgence pour stabiliser les marchés ; sous la pression, le gouvernement avait retiré plusieurs mesures, précipitant la démission de la première ministre après seulement quarante-quatre jours au pouvoir.

En 2023, l’inflation est restée à un niveau très élevé – plus de 7,3 % en moyenne. Elle n’a retrouvé sa cible de 2 % qu’en septembre 2024. Ces deux dernières années ont également été marquées par une très faible croissance, de 0,4 % en 2023 et de 0,7 % en 2024, selon les tout derniers chiffres de la Banque d’Angleterre.

Dans un contexte économique marqué par ces chocs internes et externes, les prévisions de croissance de l’OBR ont été très erratiques. Pour l’année 2023, entre mars 2022 et novembre 2023, il avait prévu des taux de croissance allant de - 1,4 % à + 1,8 % ; pour l’année 2024, entre mars 2023 et novembre 2024, il avait prévu des taux de croissance allant de + 0,7 % à +1,8 %.

En novembre 2022, au moment de la présentation du budget d’automne, l’OBR prévoyait pour l’exercice 2023-2024 un déficit public à hauteur de 5,5 % du PIB, tenant compte des mesures prises pour faire face à la crise énergétique et anticipant un accroissement important des intérêts sur la dette, compte tenu de la forte hausse du taux directeur de la Banque d'Angleterre dans un contexte de hausse de l’inflation. Cette prévision prenait en compte les baisses d’impôts accordées par le gouvernement de Liz Truss, en partie maintenues par le gouvernement de Rishi Sunak.

La prévision du déficit public pour 2023-2024 a été révisée chaque semestre, passant de 5,5 % du PIB en novembre 2022 à 5,1 % en mars 2023, puis à 4,5 % en octobre 2023 et à 4,2 % en mars 2024, à la fin de l’exercice. Ainsi, en l’espace d’un an, les prévisions relatives au déficit public ont varié de plus d’un point de PIB.

Lorsque l’Office national des statistiques a publié ses premières estimations du déficit public, celles-ci étaient plus élevées que la dernière prévision de l’OBR et s’établissaient à 4,5 % en septembre 2024 et à 4,8 % en décembre 2024.

En octobre 2024, six mois après la fin de l’exercice budgétaire 2023-2024, l’OBR a publié le rapport dans lequel il revient sur ses prévisions et essaye d’en expliquer les écarts avec le réel. Non seulement il avait sous-estimé les dépenses, ce qui était assez largement imputable à des changements de politique survenus pendant l’exercice budgétaire, mais il avait aussi sous-estimé les recettes, en raison d’une évolution différente de ses prévisions de certains facteurs économiques. Finalement, les prévisions de l’OBR étaient trop pessimistes à hauteur de 20 milliards de livres sterling.

Il faut entrer dans le détail pour mesurer à quel point les prévisionnistes de l’OBR évoluent dans un contexte incertain, en premier lieu en raison de l’inflation des prix et de la croissance des salaires, plus fortes que ce qu’ils avaient prévu. Les rentrées fiscales ont été sensiblement supérieures aux prévisions, notamment l’impôt sur le revenu, en raison du gel des seuils des différentes tranches d’imposition. Les dépenses ont également été plus élevées, en particulier lorsqu’elles étaient indexées sur l’inflation. Enfin, les taux d’intérêt, plus élevés que prévu, ont conduit à une hausse des intérêts de la dette publique, qui avait elle aussi été sous-évaluée par l’OBR.

L’exercice budgétaire 2024-2025 présente la particularité d’avoir été préparé et présenté par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak, en mars 2024, alors que les élections anticipées de juillet 2024 ont été remportées par le parti travailliste. La nouvelle chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves, a immédiatement commandé au Trésor britannique un audit des finances publiques. Celui-ci a révélé que le précédent gouvernement avait laissé un trou de 22 milliards et aurait délibérément omis de transmettre à l’OBR des informations importantes sur certaines politiques engageant des dépenses particulièrement significatives. Ces révélations ont remis en cause la crédibilité de l’ensemble de l’exercice budgétaire.

La polémique sur ce que les Britanniques ont appelé le black hole, le trou noir financier, a été le sujet le plus marquant des premiers mois d’exercice du gouvernement travailliste. Celui-ci a orienté sa communication politique sur le bilan négatif des gouvernements conservateurs précédents, non seulement en matière de finances publiques, mais également s’agissant de la crédibilité même des chiffres publiés.

L’exercice budgétaire 2024-2025 ne se terminera qu’en mars prochain, mais les dernières données disponibles indiquent déjà que le déficit a été fortement sous-estimé, de l’ordre d’1,4 point de PIB. En mars 2024, avant les élections, l’OBR avait prévu qu’il serait égal à 3,1 % du PIB, soit 87 milliards de livres. Les événements survenus en cours d’année ont amené l’OBR à revoir la prévision de déficit à 4,5 % du PIB en octobre dernier, soit 127 milliards de livres. Si cet écart est confirmé, il s’agirait du plus gros écart de prévision du déficit depuis la création de l’OBR, correspondant à une sous-estimation des dépenses de 50 milliards de livres, partiellement compensée par une sous-estimation des recettes d’environ 10 milliards.

Habituellement, à plus long terme, les erreurs concernant les dépenses sont très souvent compensées par une sous-estimation équivalente des recettes. Pour l’exercice 2024-2025 en revanche, l’estimation des recettes devrait être assez juste, alors que l’estimation des dépenses s’explique par trois principales erreurs.

La première ne peut pas être imputable à l’OBR, puisqu’elle résulte de l’alternance politique : il ne pouvait anticiper les nouvelles mesures annoncées par le gouvernement travailliste en juillet 2024, comme la revalorisation des salaires dans le secteur public à hauteur de 13 milliards. La deuxième erreur est technique : en raison de la persistance de l’inflation, la Banque d’Angleterre a maintenu le taux directeur à un niveau plus élevé que ce qu’avait prévu l’OBR. Par conséquent, les intérêts de la dette ont été sous-estimés à hauteur de 16 milliards environ. La troisième erreur est plus inédite dans l’histoire de l’OBR : elle résulte de la rétention d’informations par le gouvernement, révélée par l’audit demandé par la chancelière de l’Échiquier. Ainsi, plus de 50 % de l’écart de prévision concernant le déficit s’expliqueraient par des raisons plutôt institutionnelles et organisationnelles.

L’article 9 de la loi de 2011 instituant l’OBR l’autorise à accéder à toutes les informations gouvernementales dont il peut raisonnablement avoir besoin pour examiner les finances publiques et établir les prévisions qui sous-tendent le budget. Mais si le Trésor doit répondre à toutes ses demandes d’information, il n’est pas tenu de renouveler la présentation exhaustive des dépenses publiques tous les six mois, à chaque budget.

En dehors du cadre pluriannuel de la spending review, le Trésor n’est pas tenu de détailler à l’OBR les dépenses autorisées, ministère par ministère. Il lui transmet des éléments agrégés et non décomposés, ce qui rend le suivi de la dynamique de chaque dépense plus difficile et peut provoquer des erreurs. Il est désormais établi qu’en mars 2024, au moment de la préparation du budget 2024-2025, l’OBR n’a pas eu connaissance d’une augmentation des dépenses à hauteur de 10 milliards. Cette augmentation résultait de la sous-estimation de plusieurs politiques – la prise en charge des demandeurs d’asile, diverses dépenses de santé, la maintenance du réseau ferroviaire ou le soutien militaire apporté à l’Ukraine.

Le Trésor aurait-il dû indiquer plus précisément à l’OBR ce qu’il savait de la dynamique de certaines dépenses ? Le sujet n’a pas été parfaitement tiré au clair sur le plan juridique. Le Trésor a justifié cette non-divulgation en affirmant qu’il supposait que les différents ministères chargés de ces politiques compenseraient ces dépenses par des économies internes, ce qui ne semble pas avoir été le cas. En tout état de cause, ces non-transmissions d’informations ont conduit l’OBR à produire des prévisions budgétaires incomplètes ; elles auraient sinon sans doute été assez différentes.

Au Royaume-Uni, le sujet a été médiatisé et a soulevé des questions sur le caractère légal de la non-transmission à l’OBR d’informations plus précises de la part des administrations. Des échanges assez acrimonieux entre le président de l’OBR et l’ancien chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, ont également été rendus publics. Ces révélations ont conduit les Britanniques à s’interroger sur l’évolution de la relation de confiance qui existait jusqu’alors entre les administrations et l’OBR.

M. le président Éric Coquerel. Lors de son audition par cette commission, l’ancien premier ministre Gabriel Attal a relativisé l’importance de l’écart des prévisions en invoquant le caractère exceptionnel de l’élasticité des prélèvements en 2021 et 2022 et le retour à la normale bien plus rapide qu’anticipé. Pour ma part, j’estime que cet écart s’explique en partie par l’illusion que le gouvernement entretenait sur l’efficacité de sa politique. L’ancien premier ministre, qui ne partageait pas cette analyse, a évoqué un phénomène similaire au Royaume-Uni et en Allemagne pour montrer que cette erreur était inévitable. Le Royaume-Uni a-t-il connu des écarts si importants entre l’élasticité prévisionnelle et l’élasticité observée ?

M. Pierre Chabrol. À défaut d’éléments relatifs à la notion d’élasticité, je peux au moins vous dire que des écarts apparaissent systématiquement entre les prévisions et les constats. En 2023-2024, les recettes d’IR ont été sous-estimées de 3,5 %, la raison principale invoquée du côté britannique étant le gel des seuils du barème de l’IR qui, dans un contexte où les salaires ont augmenté du fait notamment de l’inflation, a fait basculer un plus grand nombre de personnes d’une tranche à une autre, ce qui s’est traduit par une collecte d’IR plus importante qu’anticipé. L’erreur se situait donc davantage au niveau de l’anticipation de l’inflation et de son impact, avec une collecte supérieure aux prévisions.

Pour ce qui est de l’IS, les écarts ont été très importants ces dernières années entre les prévisions et ce qui a été réalisé. En 2023-2024, l’écart était ainsi de 14,5 %, car le taux de l’IS a beaucoup varié ces dernières années au Royaume-Uni – il a été relevé de 19 % à 25 % en avril 2023, de telle sorte que les prévisions se sont révélées erronées.

Quant à la TVA, elle a été, elle aussi, plutôt sous-estimée, – de 4 % en 2023-2024, en raison principalement, selon l’OBR, d’une évolution de la composition de la consommation au profit de biens soumis à un taux plus élevé de TVA. D’une manière générale, les prix des biens soumis à ces taux de TVA plus élevés ont connu une inflation plus importante que les autres. Au bout du compte, la collecte de TVA pour l’année 2023-2024 a été supérieure à ce que l’OBR avait anticipé.

M. le président Éric Coquerel. Si je vous comprends bien, les écarts observés étaient dus à une sous-estimation, et non pas à une surestimation. Qu’il s’agisse de l’IR, de l’IS ou de la TVA, ce n’est donc pas le même cas que celui de la France.

M. Pierre Chabrol. Tout à fait.

M. le président Éric Coquerel. Non seulement, donc, les écarts ne sont aucunement comparables avec ceux qu’on a observés en France, mais ils sont même inverses : ce n’est pas le même problème.

Dès ses premiers jours, le gouvernement travailliste a donné l’alerte à propos de la gestion des finances publiques par les gouvernements conservateurs qui l’ont précédé, évoquant un trou de 22 milliards de livres – on peut faire un parallèle avec la situation française. En France, comme l’a déclaré lui-même Gabriel Attal devant la commission, le gouvernement, face à un problème de recettes, a décidé de réduire les dépenses – ce qui me semble paradoxal, mais qu’importe !

Comment interprétez-vous la réponse, manifestement différente, du gouvernement britannique, qui a plutôt agi sur les recettes, largement affaiblies, nous avez-vous dit, durant le mandat de Boris Johnson ? Quels sont les effets attendus des mesures d’augmentation des recettes annoncées par le gouvernement travailliste ?

M. Pierre Chabrol. La principale annonce en matière d’augmentation des recettes, dans le dernier budget, présenté à l’automne 2024, concerne la partie employeur des cotisations sociales, dont le taux est passé de 13 % à 15 % et dont le seuil d’assujettissement a été sensiblement abaissé. Le gouvernement travailliste espère collecter ainsi près de 45 milliards de livres. Cette augmentation de la part employeur des cotisations sociales fait suite à des mesures de réduction substantielle de la part salarié décidées par le gouvernement de Rishi Sunak.

Cette augmentation, qui a suscité de nombreuses discussions, a été immédiatement caractérisée par l’OBR comme susceptible d’avoir un effet négatif sur la croissance à moyen terme, c’est-à-dire à échéance de deux ou trois ans. L’OBR anticipait en effet une augmentation du coût du travail pour les emplois les moins qualifiés, en bas de l’échelle des salaires, qui pourrait contraindre certaines entreprises à ne pas embaucher.

M. le président Éric Coquerel. Conformément aux textes qui définissent sa mission, le Haut Conseil des finances publiques, organisme jouant un rôle relativement comparable en matière budgétaire, travaille à une cohérence de la projection des finances publiques avec les engagements européens. Dans quel cadre macroéconomique travaille l’OBR ?

M. Pierre Chabrol. L’OBR obéit à des règles budgétaires qu’on peut rapprocher de celles qui s’appliquent dans le cadre du traité de Maastricht, mais qui sont assez différentes et ont été substantiellement modifiées à l’automne dernier : s’applique désormais une règle de déficit qui, à partir du prochain budget, ne concernera que le déficit courant, hors investissement, et une règle de dette qui ne concernera que le passif financier net de l’État, hors revenus de celui-ci. Jusqu’à octobre 2024, les règles budgétaires qui s’appliquaient consistaient à fixer le niveau de déficit public et la part de la dette publique rapportée au PIB qui devaient être atteints au bout de trois ou quatre ans. En fonction de cet objectif était évaluée chaque année la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement. Ces règles avaient été établies en 1997 par le gouvernement Blair et renforcées en 2010 lors de la création de l’OBR, dont l’objet principal était d’indiquer en toute indépendance, à chaque budget, si les mesures annoncées par le gouvernement lui permettraient ou non d’atteindre ses objectifs de réduction du déficit et de la dette, et même d’indiquer la probabilité de ce résultat.

En 2011, une loi a ancré l’OBR dans le paysage institutionnel et une charte a été définie pour en préciser le fonctionnement. Tous les ans, le calendrier de préparation des budgets donne lieu à un mémorandum d’accord entre les administrations et l’OBR en vue de définir le rythme des réunions permettant d’échanger sur les prévisions des différentes parties.

M. Éric Ciotti, rapporteur. L’OBR, chargé de toutes les prévisions macroéconomiques, jouit-il d’une indépendance totale, garantie institutionnellement ? Quelle est la nature des échanges entre le gouvernement et l’OBR ?

M. Pierre Chabrol. L’indépendance de l’OBR est assurée par la loi de 2011 qui l’a institué et, comme je le disais, les échanges se déroulent dans un cadre aussi public que possible, avec tous les ans, avant chaque budget, un mémorandum d’accord entre l’OBR et les administrations publiques, définissant un rythme de réunions et d’échanges. Ainsi, pour les prévisions de recettes, des réunions sont prévues entre l’OBR et l’administration fiscale – His Majesty’s Revenue and Customs –, qui présente ses projections, lesquelles font l’objet d’une discussion de l’OBR, dont résulte généralement une prévision officiellement retenue et publiée par ce dernier, et sur la base de laquelle le gouvernement décidera des mesures à prendre. L’OBR est ainsi parfois amené à formuler un jugement sur l’impact macroéconomiques de certaines mesures, comme l’augmentation de la part patronale des cotisations sociales décidée par le gouvernement en octobre dernier.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Quels sont, dans la période récente, les dispositifs mis en œuvre par le gouvernement britannique pour atténuer les effets de l’inflation des prix de l’énergie pour les usagers et, parallèlement, pour soutenir les entreprises et les ménages ? Quelles dispositions – comparables, le cas échéant, à la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim) instaurée en France pour taxer la rente des entreprises du secteur – ont été prises à l’égard des fournisseurs d’énergie ?

M. Pierre Chabrol. Trois paquets de mesures ont été adoptés entre mai et septembre 2022. En mai, tout d’abord, le gouvernement de Boris Johnson a décidé le versement d’une subvention de 400 livres, dénommée Energy Bills Support Scheme, destinée à permettre à tous les ménages de payer leurs factures d’énergie, et d’autres mesures visant certaines catégories de la population, comme un chèque de 300 livres pour les ménages retraités. Le 8 septembre 2022, un deuxième paquet de mesures, de 40 milliards de livres, a notamment instauré un mécanisme de plafonnement annuel des factures d’énergie à 2 500 livres pour un ménage moyen, ce qui lui permettait d’économiser en moyenne 1 000 livres aux prix de l’époque. Le plafond a été augmenté à 3 000 livres en avril 2023. Le troisième paquet de mesures a été, le 23 septembre 2022, le fameux mini-budget de Liz Truss, avec 48 milliards de livres consistants essentiellement en de très nombreuses baisses d’impôts.

Pour ce qui est des recettes, le Royaume-Uni a instauré dès mai 2022 une taxe sur les profits exceptionnels des grandes entreprises du secteur pétrolier et gazier. Cette taxe temporaire impose un taux supplémentaire de 25 % sur les bénéfices des entreprises pétrolières et gazières opérant au Royaume-Uni, taux relevé à 35 % en janvier 2023 et à 38 % à l’automne 2024. Cette mesure figurait au programme du parti travailliste. La combinaison de cette taxe avec la taxation classique de ces entreprises porte le taux d’imposition total de leurs bénéfices à 78 % dans le budget de l’automne 2024.

Les entreprises restent toutefois éligibles aux déductions fiscales introduites par le gouvernement de Rishi Sunak et maintenues par le gouvernement de Keir Starmer au titre des investissements dans l’appareil de production, dont la valeur est intégralement déduite de l’imposition.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pour ce qui est des fournisseurs d’électricité, les mêmes effets d’aubaine qu’en France ont-ils été constatés ? Comment fonctionne le marché de l’électricité en Grande-Bretagne ? Est-il concentré sur une grande entreprise comme EDF, avec des concurrents issus du secteur privé ? Quelles sont ses différences et similitudes avec le marché français ?

M. Pierre Chabrol. Le marché britannique de l’électricité est réparti entre plusieurs entreprises, souvent privées – EDF Energy en est d’ailleurs l’une des principales, qui exploite en outre des centrales nucléaires. Je vous répondrai par écrit pour ce qui concerne les dispositifs fiscaux imposés à ces entreprises dans le contexte de la crise, car je ne les ai pas à l’esprit en cet instant. Le paysage dans ce domaine est en tout cas différent de celui de la France en raison de l’existence de plusieurs opérateurs et du caractère beaucoup plus privé de ce marché au Royaume-Uni.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Malgré le peu de recul, a-t-on constaté un « avant » et un « après », une amélioration notable dans la qualité et la pertinence des prévisions de l’OBR ?

M. Pierre Chabrol. Comme je l’ai dit, des écarts assez importants existent dans les prévisions. Il en existait, tant pour les dépenses que pour les recettes, avant la création de l’OBR et, d’une manière générale, l’écart de prévisions s’est un peu réduit, mais pas dans une proportion très significative.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Quelle a été l’ampleur de l’écart entre la prévision et la réalisation, tant en recettes qu’en dépenses, sur les deux exercices que vous avez évoqués ? Incidemment, la Grande-Bretagne a-t-elle connu un ressaut de recettes fiscales plus importantes que prévu en sortie de crise sanitaire et avant la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine ?

M. Pierre Chabrol. On a constaté à chaque fois une sous-estimation des recettes et des dépenses. Dans le cas des recettes, cette sous-estimation a touché l’IR, l’IS et la TVA, qui constituent la masse des recettes fiscales au Royaume-Uni. Pour ce qui concerne l’IR, elle est liée à une inflation plus importante et à un marché du travail très tendu, où les salaires suivent l’inflation. Conformément à une décision constante des gouvernements britanniques, conservateurs comme travaillistes, les seuils des tranches du barème ont été gelés, de telle sorte que la collecte d’IR a systématiquement été plus importante que prévu. Pour ce qui concerne l’IS, l’augmentation du taux de 19 % à 25 % en avril 2023 a quelque peu faussé les prévisions. Quant à la TVA, sa sous-estimation est liée à des évolutions de la consommation et à une dynamique plus importante des biens auxquels s’applique un taux plus élevé de TVA, se traduisant par une collecte plus importante qu’anticipé.

Les dépenses aussi ont été sous-estimées, en raison principalement, pour les années 2023-2024 et 2024-2025, d’une augmentation sensible des intérêts sur la dette, s’élevant à 16 milliards pour l’année 2024-2025 du fait du maintien de l’inflation à un niveau plus élevé qu’anticipé, et donc du maintien des taux à un niveau élevé par la banque d’Angleterre. L’anticipation des dépenses par l’OBR souffre aussi d’un biais structurel, l’information qui lui remonte des différentes administrations n’étant pas exhaustive, notamment sur les dynamiques de certaines dépenses, ce qui peut donner lieu à sous-estimation.

Pour l’exercice 2023-2024, l’écart entre ce qui est réalisé et ce qui avait été anticipé et de l’ordre de 4 % pour les recettes et de 3,4 % pour les dépenses.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Les baisses d’impôts auxquelles ont procédé les gouvernements successifs sont-elles aussi responsables des écarts observés avec la prévision, même si cette dernière est en hausse ?

Par ailleurs, vous n’avez pas répondu à ma question relative à un éventuel ressaut inattendu des recettes après la crise sanitaire et avant la crise énergétique.

M. Pierre Chabrol. Le ressaut des recettes après l’invasion de l’Ukraine et dans le contexte de l’inflation est très largement la conséquence du gel des tranches du barème.

Certaines des baisses d’impôts opérées par Liz Truss ont été abandonnées assez rapidement, tandis que d’autres ont été maintenues. Celles du gouvernement Sunak, qui concernaient la partie « employé » des cotisations sociales, ont en général été intégrées aux prévisions et les ont donc peu impactées, puisqu’elles avaient été présentées par le Treasury à l’OBR dans le cadre de l’exercice de préparation du budget.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. À propos des dépenses, vous avez évoqué la sous-estimation. Selon vous, la sous-estimation des intérêts de la dette liée à l’inflation est-elle uniquement liée à l’appareil central de l’État, ou a-t-elle pu concerner aussi la sphère sociale ou territoriale ? D’une manière générale, pourriez-vous considérer que les chocs exogènes qu’a connus le Royaume-Uni comme toutes les économies développées ont pu, associés au contexte politique national que vous avez rappelé, contribuer à perturber les modèles de prévision ?

M. Pierre Chabrol. Les dépenses sociales et celles des collectivités locales font également l’objet d’un suivi spécifique de la part de l’OBR, qui rédige également des rapports spécifiques sur les prévisions relatives à ces dépenses, ainsi qu’à celles des nations dévolues que sont l’Écosse et le pays de Galles. Je n’ai pas constaté d’écart majeur dans ces prévisions et je pourrai revenir plus en détail, si vous le souhaitez, sur la manière dont elles sont conçues – elles sont un peu différentes de celles qui portent sur les dépenses de l’État, mais les méthodes appliquées par l’OBR à ces deux séries de dépenses sont très proches.

S’agissant ensuite des évolutions macroéconomiques, l’OBR indique que quatre éléments ont perturbé ses prévisions.

Le premier a été la difficulté à anticiper l’inflation, les décisions de la Banque d’Angleterre sur les taux d’intérêt, ainsi que les fluctuations des marchés financiers. Le marché obligataire souverain a été particulièrement volatil, le coût d’emprunt britannique ayant beaucoup augmenté – bien davantage que celui de la France. La difficulté à intégrer cette volatilité a lourdement pesé sur les prévisions de l’OBR, ainsi que, bien sûr, sur le budget britannique.

Deuxième aspect très fréquemment évoqué par l’OBR pour justifier ses erreurs de prévision de croissance et de recettes : les mauvaises anticipations d’évolution de la productivité. Alors que celle-ci progressait de 2 % par an avant la crise financière de 2008, son augmentation moyenne ne s’élève plus qu’à 0,5 %. Or l’OBR, depuis 2010, a systématiquement surestimé la croissance de la productivité du pays, atténuant assez considérablement sa capacité à apprécier l’ampleur du déficit. En effet, une productivité importante entraîne une progression des salaires et donc des recettes fiscales sensiblement supérieures. Je ne saurais dire s’il s’agit d’un parti pris : toujours est-il que cette faiblesse est critiquée par plusieurs think tanks d’économistes londoniens.

Le troisième élément est bien sûr l’évolution des prix de l’énergie, qui a beaucoup affecté le travail des prévisionnistes partout dans le monde.

Enfin, dans son tout dernier rapport, l’OBR mentionne l’impact des flux migratoires sur les recettes et les dépenses, sans pour autant en tirer de conclusions définitives. De fait, les flux migratoires ont été bien plus importants ces dernières années qu’ils ne l’étaient avant le Brexit et pourraient contribuer à expliquer les erreurs de prévision.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Qui désigne les membres de l’OBR ? Quels sont ses moyens ? A-t-il accès à toutes les informations disponibles dans les administrations de l’État ? Quel est son degré d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif ?

M. Pierre Chabrol. L’OBR est un organisme public non ministériel indépendant du gouvernement. Constitué d’environ cinquante membres, il est dirigé par un comité exécutif composé de trois personnes, sachant qu’il est également doté d’un comité consultatif et d’un conseil de supervision. En 2022-2023, son budget était de 4 millions de livres. Et n’ayant pas l’information en tête, je vous préciserai par écrit de quelle manière son président est nommé.

Son organisation a été définie en 2011 par le Budget Responsability and National Audit Act. C’est ce texte qui prévoit son indépendance, laquelle me semble désormais parfaitement admise de tous, ce qui fait de l’OBR une autorité importante dans le débat public.

Cela étant, je reconnais que la non-transmission de certaines informations par le gouvernement au moment où l’OBR établissait ses prévisions pour le budget relatif à l’année 2024, c’est-à-dire il y a environ un an, pose question concernant la solidité des arrangements institutionnels qui ont été pris. L’OBR se situe complètement hors de l’administration et pour cette raison n’a pas accès à toutes les informations dont il aurait besoin. Il ne bénéficie pas des échanges habituels entre services ni d’une autorité hiérarchique imposant aux uns ou aux autres de remonter les informations pertinentes.

Comme je le disais, les relations entre l’OBR et les administrations sont rigides et formalisées selon un calendrier très précis et public. Cependant, ces règles font que certaines informations ne lui sont pas transmises. Ces derniers mois, certaines administrations ont en effet argué du fait qu’elles n’avaient pas transmis certains éléments au motif que l’OBR ne les avait pas demandés. La thématique sur l’exhaustivité des informations transmises a suscité un débat politique très important au cours de l’été, mais aussi une interrogation juridique sur ce que l’OBR peut et doit demander.

Je rappelle enfin que, s’agissant des recettes, l’OBR est dépendant des prévisions établies par l’administration fiscale. Un dialogue s’instaure entre les deux services mais, une fois de plus, comme l’OBR est désormais extérieur à l’administration, il n’a plus aussi facilement accès à toutes les informations nécessaires.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Vous avez anticipé ma question suivante. Connaissez-vous les méthodes utilisées par l’OBR pour prévoir les recettes issues des trois grands impôts que sont la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu ? Vous parlez d’un dialogue avec l’administration, mais l’organisme se fonde-t-il sur des modèles économétriques, ou encore sur des tests réalisés auprès des entreprises ?

M. Pierre Chabrol. S’agissant des recettes, l’OBR est obligé de s’appuyer sur les prévisions fournies par l’administration fiscale qui, au Royaume-Uni, est distincte du Trésor. C’est le HMRC, His Majesty’s Revenue and Customs, qui collecte les impôts et qui établit les projections de recettes qui en sont tirées.

Il existe ainsi le même dialogue que celui que j’évoquais avec le Trésor. L’OBR transmet à l’administration fiscale ses prévisions macroéconomiques, élaborées selon les méthodes habituelles des prévisionnistes. C’est sur cette base que le HMRC établit ensuite des trajectoires de recettes pouvant être raisonnablement attendues, celles-ci étant alors intégrées par l’OBR à ses exercices de prévisions.

Le HMRC dispose de modèles d’appréciation et de prévision pour chaque impôt. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous donner des précisions sur la manière dont ils sont conçus, mais le plus important est de savoir qu’ils s’appuient sur des prévisions fournies par l’OBR lui-même. Le HMRC, lui, apporte sa connaissance de la collecte des impôts, de l’évolution des assiettes et bien sûr des taux appliqués.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Y a-t-il parfois des écarts entre les prévisions de l’administration fiscale britannique et celles de l’OBR ? Le cas échéant, quels chiffres sont-ils retenus ? Dit autrement, l’OBR pratique-t-il une contre-expertise sur les évaluations du HMRC ?

M. Pierre Chabrol. La capacité de contre-expertise de l’OBR réside dans sa compréhension des évolutions macroéconomiques britanniques. En dernier ressort, ce sont les prévisions de cet organisme qui sont retenues étant donné que c’est sur cette base que le chancelier de l’Échiquier établit le budget.

M. Charles de Courson, rapporteur général. À votre connaissance, y a-t-il déjà eu des écarts entre les positions de l’OBR et celles de l’administration fiscale ?

M. Pierre Chabrol. Je ne sais pas car les réunions de préparation du budget entre l’administration et l’OBR ne sont pas publiques. Je pourrai solliciter des contacts britanniques sur ce point.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Je crois en effet que cela intéresserait notre commission d’enquête.

M. le président Éric Coquerel. Absolument. Merci d’avoir soulevé cette question.

M. Mickaël Bouloux (SOC). Lors de son audition du 10 décembre, M. Dumont, directeur général du Trésor, a indiqué avoir été alerté dès la fin 2023, début 2024 d’un décrochage par rapport aux prévisions macroéconomiques, et ce malgré une connaissance partielle de la situation des finances publiques.

En tant que ministre conseiller pour les affaires économiques, avez-vous également été averti ?

À la même période, ou avant, des indicateurs allaient-ils dans le même sens s’agissant de l’économie britannique ? Autrement dit, des éléments relatifs au Royaume-Uni pouvaient-ils laisser penser à un décrochage en France ?

Enfin, le cas échéant, de telles alertes ont-elles été émises et prises en compte par la direction générale du Trésor ?

M. Pierre Chabrol. Non, tout est parti des événements politiques de juillet dernier. À son entrée en fonction, la nouvelle chancelière de l’échiquier, Rachel Reeves, a indiqué qu’il manquerait 22 milliards de livres dans le budget et que le gouvernement sortant aurait délibérément omis de transmettre à l’OBR certaines informations sur la dynamique des dépenses – informations qui n’auraient été dévoilées qu’au moment de l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste. C’est à partir de ce moment que nous avons été alertés sur un possible décrochage.

M. Mickaël Bouloux (SOC). En comparant les systèmes britannique et français, identifiez-vous des éléments, notamment en matière de veille et de remontée d’informations, qui pourraient être optimisés pour détecter plus rapidement et plus efficacement les signaux de dérapage budgétaire ?

M. Pierre Chabrol. Dans ses rapports, l’OBR produit une analyse intéressante des incertitudes macroéconomiques auxquelles il est confronté pour l’élaboration des prévisions. Cela correspond à ce que j’évoquais plus tôt au sujet de l’évolution de la productivité, de l’inflation, des prix de l’énergie et des flux migratoires, qui ont connu des hauts et des bas importants ces dernières années. La manière dont ces questions sont posées et articulées nourrit selon moi le débat public de manière significative et permet sans doute à l’OBR de faire évoluer ses modèles.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Il me semble que votre présentation et vos réponses permettent de relativiser au moins partiellement la situation que nous connaissons en France. Dans notre pays, les erreurs de prévisions seraient dues à une surestimation des recettes fiscales et de la consommation ainsi qu’à des modèles économiques déréglés par la conjoncture postcovid. Au Royaume-Uni, les recettes issues de la TVA ont également été mal estimées, quoique dans une moindre mesure, tandis que vous avez également insisté sur le contexte incertain qui prévaut. Nous comprenons qu’il est fréquent que les recettes et les dépenses soient mal estimées.

Pourriez-vous d’abord confirmer que les écarts entre les prévisions et la réalité ont fait l’objet d’une grande attention politique et médiatique au Royaume-Uni ?

M. Pierre Chabrol. Comme je le disais, les événements de juillet dernier ont soulevé un débat institutionnel et politique. La manière dont s’organisent les échanges entre les administrations et l’OBR est bien sûr très importante, d’autant que toutes les prévisions sont rendues publiques.

La sous-estimation de l’inflation a marqué les esprits tout comme la question de la dette a suscité un grand débat. Pour l’exercice 2024-2025, le coût des intérêts de la dette a ainsi progressé de 16 milliards de livres. Or le pays demeure traumatisé par l’épisode du mini-budget présenté en septembre 2022 par Liz Truss. Avec ce budget, le gouvernement de l’époque pensait pouvoir relancer la croissance grâce à une baisse massive des impôts, mais comme cette dernière n’était assortie ni d’une augmentation des recettes, ni d’une réduction notable des dépenses, cela signifiait qu’elle reposait exclusivement sur l’emprunt. Or les marchés financiers ont refusé de prêter. Liz Truss et son chancelier de l’Échiquier, Kwasi Kwarteng, avaient publiquement affirmé qu’ils ne tiendraient pas compte des prévisions de l’OBR, voire qu’ils agiraient au mépris de son avis. En définitive, cet épisode a conforté le positionnement de l’organisme.

Demeure toutefois la question essentielle de la capacité du gouvernement britannique à continuer d’emprunter sur les marchés financiers à des taux raisonnables dans les mois et les années à venir. Le mini-budget de Liz Truss a montré qu’il y avait un risque majeur et l’augmentation récente du coût de l’emprunt a rappelé aux Britanniques combien le sujet était sérieux.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Dans quelle mesure la structure et l’organisation de l’OBR, organisme indépendant, favorisent-elles l’objectivité et la fiabilité de ses prévisions ? Vous avez précisé que ses relations avec les administrations – notamment le Trésor britannique – étaient très encadrées et formalisées. Quel est le retour d’expérience général sur son fonctionnement ?

M. Pierre Chabrol. L’avantage de l’OBR est son indépendance. Aux yeux de l’opinion publique, ses travaux sont fiables.

Dans la pratique, en revanche, l’expérience récente a montré certaines limites à la séparation de fonctionnaires qui avaient l’habitude de travailler quotidiennement ensemble, dans les mêmes bureaux. En effet, la logique hiérarchique d’une administration est telle que les agents chargés des prévisions peuvent obtenir toutes les informations dont ils ont besoin. Au fond, le surformalisme des relations entre l’OBR et les administrations porte atteinte à la fluidité des échanges.

J’ajoute que le fonctionnement britannique conduit à des doublons, car il est naturel que les administrations conservent leur propre capacité de prévisions, ainsi qu’à des viscosités dans les échanges d’informations, voire, je l’ai dit, à la transmission de données non exhaustives. À cet égard, le nouveau gouvernement a, pour des raisons politiques, fortement souligné que celui qui l’avait précédé avait demandé à certaines administrations de ne pas transmettre délibérément à l’OBR certaines informations qu’elles avaient pourtant en leur possession, faussant ainsi la totalité de l’exercice.

Le bilan est donc plutôt en demi-teinte.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Que penseriez-vous de l’instauration, en France, d’un modèle inspiré de l’OBR ? Selon cette hypothèse, les prévisions fiscales seraient confiées à une autorité indépendante telle que le Haut Conseil des finances publiques (FCFP), dans le but d’améliorer la fiabilité des anticipations économiques et budgétaires, mais aussi de renforcer leur crédibilité auprès des investisseurs et des institutions internationales.

M. Pierre Chabrol. La création de l’OBR a permis d’améliorer la situation, notamment parce que ses prévisions fournissent un point d’ancrage pour les discussions politiques. Toutefois, cette amélioration ne me semble pas significative : les écarts de prévision restent importants et les personnes et les méthodes restent les mêmes. Au total cela ne facilite pas la préparation des budgets et ne modifie pas sensiblement les méthodes de travail.

M. le président Éric Coquerel. Merci, monsieur Chabrol, pour votre disponibilité.

 

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mardi 11 février 2025 à 16 heures 30

Présents. - M. Mickaël Bouloux, M. Éric Ciotti, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Mathieu Lefèvre, M. Emmanuel Mandon, M. Emmanuel Tjibaou

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Karim Ben Cheikh, M. Thomas Cazenave, M. Jean-Paul Mattei, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl