Compte rendu
Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire
– Audition de M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics sur le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2024 et sur le rapport annuel d’avancement du plan budgétaire et structurel à moyen terme 2
– Présence en réunion...........................30
Mercredi
16 avril 2025
Séance de 13 heures 30
Compte rendu n° 103
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Éric Coquerel,
Président
— 1 —
M. le président Éric Coquerel. Je remercie les ministres d’avoir répondu à l’invitation de notre commission pour venir présenter le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes (PLRG) de l’année 2024, et le rapport annuel d’avancement (RAA) relatif au plan budgétaire et structurel national à moyen terme (PSMT), qui doit être transmis d’ici la fin du mois d’avril aux institutions communautaires.
Après cette audition, la séquence relative aux orientations et à la programmation des finances publiques se poursuivra par un débat en séance publique le mardi 29 avril, comme le permet l’article 1er K de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Le rapport annuel d’avancement est établi conformément au nouveau cadre européen de gouvernance économique entré en vigueur l’an dernier. Il permet de faire état de nos prévisions macroéconomiques et de nos finances publiques pour 2025. Son indicateur principal, qui est à la fois notre ancre et notre priorité absolue, est le niveau de la dépense primaire nette. Ce nouvel outil vise à suivre d’une année sur l’autre la croissance en valeur de la dépense publique, déduction faite notamment de la charge d’intérêt, des mesures discrétionnaires en recettes et des mesures temporaires liées à des programmes de financement européens. Cet indicateur est évidemment moins sensible que le déficit aux aléas de la conjoncture et nous permet de nous concentrer sur ce qui est à la main du gouvernement et peut être piloté.
Dans une situation géopolitique tourmentée – pour ne pas dire plus –, nos prévisions de croissance ont été revues, même si le scénario de croissance est finalement relativement proche de celui du projet de loi de finances (PLF) de janvier. Comme attendu, et comme le montrent les dernières enquêtes de conjoncture ainsi que la bonne tenue relative de la consommation des ménages, l’adoption du budget pour 2025 a permis de réduire l’incertitude nationale. Cependant, la dégradation de l’environnement international nous conduit à revoir à la baisse notre prévision de croissance pour 2025 à + 0,7 %, c’est-à-dire – 0,2 % par rapport au scénario du PLF que nous avions déjà révisé au mois de janvier. C’est à la fois une conséquence de la politique tarifaire américaine, intégrée pour ce que nous en savons, des contre-mesures que l’Union européenne a prises ou se prépare à prendre, et plus généralement de l’aléa que provoque la nouvelle politique des États-Unis d’Amérique. L’incertitude économique affecte également nos entreprises, dégradant non seulement leurs exportations mais aussi le niveau de leurs investissements. Au total, l’environnement international aurait pour effet de diminuer la croissance de 0,3 point, contre 0,1 point anticipé en janvier. Cette incertitude engendre également une aversion accrue au risque qui entraîne une baisse de nos taux, nos bons du Trésor devenant une valeur refuge, malgré une hausse de l’écart avec l’Allemagne en début de période.
Notre trajectoire de dépenses primaires nette a été amendée par rapport à celle proposée par la France dans son PSMT d’octobre 2024. Il s’agissait de tenir compte de la cible de déficit du gouvernement pour 2025, qui a été revue – passant de 5 % dans le projet de loi de finances initiale à 5,4 % quand nous en avons repris la responsabilité –, ainsi que de la recommandation émise par le Conseil de l’Union européenne en janvier, qui était compatible avec cette nouvelle cible de déficit.
Le taux de croissance cumulé de nos dépenses primaires nettes reste identique sur la période 2024-2029 à celui proposé dans le PSMT ; c’est un point important. Au total, sur 2024 et 2025, la dépense primaire naître croîtrait de 4,2 %, un niveau inférieur au maximum fixé par le Conseil, qui s’établit à 4,6 %. Ainsi, la trajectoire prévue dans le nouveau cadre de gouvernance européen est bien suivie.
Nous réitérons donc notre engagement à faire passer notre déficit sous la barre des 3 % en 2029 – un seuil que le Premier ministre a qualifié hier de seuil d’indépendance. C’est bien le rétablissement de nos finances publiques, en effet, qui permet de garantir notre indépendance et notre souveraineté. Pour satisfaire cet engagement, nous devons piloter nos dépenses publiques de près afin d’apprécier les risques de dépassements éventuels. Nous avons à ce titre présenté hier 5 milliards d’euros d’économies et donnons rendez-vous en juin pour un second comité d’alerte, afin de respecter les engagements que nous avons pris – celui notamment de la transparence, en matière d’exécution du budget, vis-à-vis de la représentation nationale et de l’ensemble des partenaires sociaux.
L’effort de redressement devra être poursuivi et amplifié dans les années à venir, avec une cible de déficit public de 4,6 % en 2026, avant le retour sous les 3 % en 2029. C’est un objectif très exigeant mais atteignable – et qui doit être atteint.
Dans sa conférence de presse, le Premier ministre a confirmé hier une nouvelle méthode, celle d’un dialogue poussé entre le gouvernement, la représentation nationale, la commission des finances, les représentants des élus, les partenaires sociaux et toutes les parties prenantes. Cette méthode doit nous permettre de partager l’exigence de redressement des comptes publics et d’identifier ensemble les moyens de la réaliser. Vous pouvez compter sur la ministre chargée des comptes publics et sur moi-même pour mener à bien cette mission, dans un dialogue confiant et transparent avec la représentation nationale.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics. Après l’audition d’hier, je veux moi aussi vous remercier et saluer la qualité des travaux menés par votre commission sur les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires. Votre rapport a constaté la grande difficulté technique des prévisions ainsi que les aléas exacerbés auxquels notre économie et nos finances publiques font face. Ces aléas et ces risques sont décuplés par la crise, dont nous constatons chaque jour qu’elle est aussi bien géopolitique que commerciale.
L’adoption en commission mixte paritaire (CMP) du PLF pour 2025 a fait de ce texte une loi de finances initiale de compromis. Cette méthode nous oblige à vous informer de l’exécution du budget en toute transparence et avec réactivité.
Vous nous auditionnez aujourd’hui sur deux textes de nature très différente – l’un constate le passé, l’autre prépare l’avenir –, à la fois complémentaires et nécessaires au redressement de nos finances publiques, qui est notre impératif commun. Le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes pour 2024 est un texte technique, à vocation comptable, qui n’en est pas moins essentiel puisqu’il traduit la réalité des choses. Rendre compte de la gestion, c’est notre devoir d’exécutif auprès de vous, représentation nationale. Plus généralement, c’est le devoir de l’État auprès de nos concitoyens qui, en tant que contribuables, doivent être informés en toute transparence de la façon dont leur argent a été utilisé et de ce à quoi il a servi. Nous avons pour objectif d’établir un constat comptable partagé, afin de pouvoir mieux nous projeter. Je sais que les projets de loi d’approbation des comptes ont été rejetés les trois dernières années. Ce texte reste toutefois une étape incontournable pour retrouver une gestion politique et budgétaire qui soit à la fois efficace et apaisée.
C’est un texte court, qui ne compte que dix articles plus un article liminaire, répartis en quatre parties. Les articles liminaire et premier sont relatifs au solde public en comptabilité nationale, qui s’établit à – 5,8 % selon l’Insee, et au solde budgétaire de l’État, qui s’établit à – 55,9 milliards d’euros pour l’année 2024. Les articles 2 et 3 font état du tableau de financement, c’est-à-dire du recours à l’endettement – avec un besoin de financement atteignant 305 milliards d’euros –, et du résultat patrimonial de l’État dont le solde, présenté dans le compte général de l’État, s’établit à – 123,7 milliards d’euros.
Les articles 4 à 6 soldent les autorisations d’engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) non consommés sur le budget général, les budgets annexes et les comptes spéciaux : n’ayant pas été reportés à l’échéance organique du 15 mars, ils deviennent sans objet et sont annulés, conformément au principe d’annualité. Ce sont 8,7 milliards d’euros d’AE et 4,5 milliards de CP qui sont clos sur le budget général. Nous nous sommes efforcés de remettre la pratique des reports en ligne avec celle qui prévalait avant la crise du covid.
Les articles 7 à 10 sont plus exceptionnels. Ils visent à pallier l’absence de loi de règlement adoptée selon les formes depuis 2021, et affectent officiellement le résultat patrimonial des années 2021 à 2023 dans le bilan de l’État. Le dernier article arrête le solde du compte spécial Participation de la France au désendettement de la Grèce, clos au 1er janvier 2021, à + 800 millions d’euros.
Il s’agit d’assurer, comme préalable à notre vie en tant que nation, que nos comptes sont tenus. Il est donc souhaitable que ce PLRG soit adopté et qu’il referme ainsi les exceptions qui handicapent l’annualité de nos finances publiques et la sincérité des débats.
Plus concrètement, vous savez que dès le début 2024 et tout au long de l’année, des mesures de correction de la trajectoire ont été prises pour tenir compte de la dégradation de la conjoncture et de l’inflation mais également d’un déficit 2023 revu à la hausse. Puis à la fin de l’année, les débats ont été marqués par la préparation de l’entrée inédite, en 2025, en régime de services votés avec l’adoption de la loi spéciale. Je ne m’étendrai pas plus sur la gestion 2024, qui a fait l’objet d’une commission d’enquête dont nous avons discuté les conclusions hier. Je tiens néanmoins à rappeler que si la dégradation a été réelle en 2024, l’effort en gestion sur les dépenses de l’État est tout aussi substantiel : à la fin de l’année 2024, les dépenses de l’État ont été inférieures de 7 milliards d’euros au volume voté en loi de finances initiale.
Si ce texte dresse un constat, c’est bien celui de la gravité de la situation de nos finances publiques fin 2024. Le déficit de 5,8 % est certes en légère amélioration par rapport aux 6 % prévus par la loi de finances de fin de gestion mais il est largement supérieur aux 4,4 % prévus en loi de finances initiale. Il s’écarte également de la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027, qu’il dépasse de 0,5 point de PIB. Comme l’a constaté le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et comme le prévoit la Lolf, il est fait appel à un mécanisme de correction. En présentant ce projet de loi, nous détaillons les raisons de l’écart entre la prévision et l’exécution de l’année 2024 ; nous indiquons aussi que des mesures de correction seront présentées dans les prochains textes budgétaires. Il est essentiel en effet que nous puissions montrer aux Français la façon dont nous tenons la trajectoire qui nous permettra d’arriver à 3 % en 2029.
Je voudrais revenir, pour conclure, sur la pertinence de la méthode qui est la nôtre depuis que nous avons pris nos fonctions le 23 décembre : le « quoi qu’il arrive ». La loi de finances initiale pour 2025 a déjà engagé un effort courageux. L’objectif de 5,4 % est, selon les mots du HCFP, à la fois impératif, ambitieux et atteignable. C’est pourquoi notre gestion est renforcée, avec des reports de crédits strictement réduits, une réserve de précaution sanctuarisée au niveau interministériel, une réserve prudentielle dans le cadre de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et une révision des dotations en fonction des trésoreries des opérateurs notamment. Il faut que les euros publics dépensés soient d’abord efficaces et déclencheurs plutôt qu’automatiques et porteurs d’effets d’aubaine.
Nous faisons donc preuve de transparence et de réactivité. Face aux nombreux aléas liés à la croissance ou au contexte international, nous prenons des décisions : ont ainsi été annoncés 5 milliards d’euros de mesures de redressement, avec 3 milliards d’annulations sur les dépenses qui avaient été mises en réserve et 2 milliards de gels complémentaires pour remonter les crédits gelés à 7,7 milliards d’euros. Cette opération est essentielle pour que nous puissions tenir notre objectif. L’effort est significatif mais soutenable dans les programmations des ministères, qui conservent des capacités de couverture et de redéploiement. Dans la sphère maladie, 1,1 milliard d’euros mis en réserve pourra être mobilisé en cas d’aléas.
Notre souhait, avec Éric Lombard, est de travailler avec vous pour nous attacher chaque jour davantage ensemble à mieux identifier et anticiper les aléas et les risques, en associant toutes les parties prenantes et les gestionnaires publics. Avec le comité d’alerte inauguré ensemble hier, avec le plan d’action de pilotage des finances publiques, nous voulons ouvrir ce que certains appellent la boîte noire, qui n’a rien d’une boîte ni de noir, pour la partager avec les Français et avec ceux qui veulent y travailler.
M. le président Éric Coquerel. La présentation du rapport d’avancement annuel du PSMT, dont certains chiffres ont servi de base à la conférence de presse du Premier ministre, me permet de poser les questions que je n’ai pu poser hier. Je suis assez d’accord avec lui pour employer les termes d’ouragan ou de tsunami. Je considère en effet que nous changeons de période économique : alors que le système capitaliste s’appuyait sur le libre-échange, il s’appuiera désormais sur une confrontation commerciale qui, par certains aspects, ressemble à la situation d’avant 1914 ; c’est dire que le moment est grave. Or, pour affronter ce changement de période, vous nous proposez de rester sur la même barque à rames : vous envisagez, pour réagir notamment aux évolutions du contexte liées aux décisions de Donald Trump, de poursuivre une politique qui a échoué.
Depuis des années et singulièrement depuis 2017, la politique menée – et assumée comme telle, notamment par Bruno Le Maire – visait à attirer les capitaux en France pour favoriser l’investissement et l’emploi, en instaurant des conditions fiscales avantageuses. Il en a résulté une baisse importante des recettes qui, par rapport au PIB, ont chuté de 3 points depuis 2021 – les tableaux que vous nous avez distribués hier sont à cet égard très éclairants – quand les dépenses publiques sont restées stables. Ces recettes perdues, au profit notamment des plus riches détenteurs du capital, n’ont pas ruisselé. Le déficit a augmenté alors que le macronisme s’était fixé comme premier défi de le réduire. La faible industrialisation, les taux de chômage et de pauvreté, la productivité qui ne progresse plus et le niveau de la demande – qui constitue le premier problème des entreprises – attestent également l’échec de la politique du ruissellement.
Or ce que l’on nous propose, pour les années à venir, c’est surtout de réduire les dépenses publiques, notamment les dépenses sociales et celles des collectivités territoriales. Les pistes évoquées, qui ne sont certes pas actées, m’inquiètent : j’entends dire que l’on remettrait en question le système assurantiel universel et que les plus riches seraient moins bien remboursés. Je m’inquiète aussi du niveau des dépenses par rapport aux besoins dans de nombreux domaines, notamment l’écologie : l’an dernier, le budget consacré aux politiques environnementales a baissé de 2 milliards d’euros alors que l’ensemble des rapports estiment qu’il faudrait des investissements publics supplémentaires de l’ordre de 37 à 50 milliards d’euros par an d’ici 2030. De surcroît, la baisse des dépenses publiques a un effet récessif que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a évalué l’an dernier à 0,8 %. Avez-vous, à ce sujet, une estimation de l’effet récessif des baisses de dépenses que vous proposez, ne serait-ce que pour 2026 ?
Manifestement, vous n’allez pas régler le problème qui nous est posé, c’est-à-dire la baisse des recettes. Ce n’est pas la taxe Zucman que vous envisagez d’instaurer sur le patrimoine – à un taux de 0,5 % au lieu de 2 %, et sur une assiette réduite – qui rapportera les 50 à 60 milliards d’euros dont la politique fiscale prive l’État chaque année depuis 2023. Il y a une contradiction à faire ce qu’a expliqué Gabriel Attal devant nous, c’est-à-dire à s’attaquer principalement aux dépenses publiques lorsque l’on constate que les recettes baissent. De surcroît, vous remettez au premier plan l’urgence budgétaire, en dramatisant les chiffres. Sans nier son importance, je rappelle qu’on nous disait il y a quelques semaines que l’urgence concernait la défense et, il y a peu de temps, la politique commerciale.
Tout cela m’inquiète car je pense que l’heure est venue de soutenir notre souveraineté industrielle et agricole, en instaurant une forme de protectionnisme mais aussi en investissant massivement. Les Allemands vont ainsi investir à hauteur de 500 milliards d’euros, et je vois peu de plans de la même ampleur en France. La défense n’est certes pas le domaine dans lequel les investissements sont les plus nécessaires, mais la loi de programmation militaire (LPM) va être respectée et, lorsque vous avez rencontré la base industrielle et technologique de défense (BITD) à Bercy, monsieur le ministre, vous n’avez évoqué que 1,7 milliard d’euros d’investissements. On me rétorquera que les Allemands, eux, peuvent se le permettre. Mais si nous n’en faisons pas autant, le décrochage de notre production industrielle par rapport à la leur risque de s’aggraver au cours des vingt prochaines années.
Vous savez que, constatant l’écart important entre l’exécution et les orientations pluriannuelles de solde structurel, le HCFP a déclenché le mécanisme de correction prévu par le III de l’article 62 de la Lolf. Quelle option allez-vous retenir : adopter une nouvelle loi de programmation des finances publiques, ou proposer des mesures correctives dans les prochains PLF et projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ?
Des gels de 8,7 milliards d’euros ont été appliqués et vous avez annoncé, madame la ministre, une annulation de crédits de 3 milliards d’euros, ainsi que des surgels à hauteur de 2 milliards d’euros. Correspondent-ils à ceux que vous avez évoqués hier comme étant en discussion, ou en prévoyez-vous d’autres ? Accumuler des gels, n’est-ce pas une façon d’éviter un projet de loi de finances rectificative (PLFR) – et, conséquemment, le passage devant le Parlement et le recours à de nouvelles possibilités de recettes ? Autrement dit, n’est-ce pas reculer pour mieux sauter, en évitant que le Parlement puisse s’exprimer ? Vous l’aurez compris : un PLFR sera selon moi nécessaire, surtout si la croissance diminue davantage que prévu.
M. Éric Lombard, ministre. Vous avez raison : notre pays et notre continent sont à un tournant historique. Nous changeons de période économique mais aussi, plus fondamentalement, de période historique. Le capitalisme mondial est en plein bouleversement. Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à l’émergence de la puissance chinoise – dont certains moyens, contestables, appelleront sans doute un renforcement de nos réponses. Nous constatons aussi le pouvoir conquérant croissant de la Russie et la menace qu’elle constitue pour la paix, dans le Caucase et désormais en Europe. Avec l’agression contre l’Ukraine, notre continent connaît une guerre d’une ampleur qu’il n’avait pas connue depuis la deuxième guerre mondiale. Enfin, la nouvelle administration américaine mène une politique radicalement différente de celle qui, depuis quatre-vingts ans, consistait à réduire les tarifs douaniers pour développer l’économie mondiale et abaisser le coût des produits.
Si nous avons un certain nombre de points d’accord et de convergence sur cette analyse, monsieur le président, nous divergeons sur les conséquences à en tirer. Je voudrais d’abord revenir sur l’orientation générale de notre politique en soulignant d’abord que, dans ce monde en difficulté, notre continent est un espace de démocratie totale et sans limitation. C’est une excellente chose : des élections régulières permettent aux peuples de désigner leurs représentants et leurs gouvernements. C’est un point essentiel, sur lequel j’espère que nous serons d’accord.
J’aimerais ensuite rappeler notre ambition écologique. Après le conseil de planification écologique tenu il y a quinze jours, nous demeurons dans la trajectoire de l’accord de Paris : l’objectif d’une économie décarbonée d’ici à 2050 est au cœur de notre politique énergétique et de notre démarche de réindustrialisation. Il détermine nombre de nos politiques publiques à l’échelle territoriale comme nationale et vis-à-vis des entreprises. Cela nous distingue, encore une fois, de ce que l’on observe sur d’autres continents. Nous déployons enfin des politiques – dont on peut évidemment débattre de l’intensité – visant à lutter contre les inégalités, grâce à des redistributions importantes. Notre modèle social très ambitieux est un avantage mais aussi sans doute un inconvénient, dans la mesure où les dépenses publiques atteignent 57 % du PIB.
Ce modèle, nous voulons l’améliorer ; c’est sur la méthode que nous divergeons. Le monde et l’Europe sont de plus en plus concurrentiels. L’Allemagne vient de mettre un terme au frein à la dette, et l’accord de coalition qui a été signé donnera des marges de manœuvre considérables au futur gouvernement pour soutenir les entreprises. Dans ce contexte, il nous semble que notre projet politique doit également soutenir la production : c’est la raison pour laquelle nous ne souhaitons pas augmenter les impôts et les charges auxquels les entreprises sont soumises. Nous devons améliorer la productivité de notre économie pour réindustrialiser notre pays et garantir sa souveraineté. Pardon de vous contredire sur ce point, monsieur le président, mais lorsqu’avec Sébastien Lecornu nous avons réuni les industriels et les financeurs, c’est pour mobiliser l’investissement privé autour de l’effort de défense, au-delà de l’investissement public. Notre objectif, tout à fait central, est d’être ainsi au rendez-vous du maintien de la paix en Europe.
L’effort que nous défendons vise à poursuivre la lutte contre le chômage, après les réussites enregistrées ces dernières années, et à maintenir l’attractivité de notre pays. Ce sont en effet l’investissement, l’innovation et l’industrialisation qui nous permettront de relever les défis.
Vu le niveau de dépense publique, et compte tenu de l’impératif de productivité et de compétitivité, nous pensons qu’il existe des marges importantes pour réduire cette dépense sans dégrader la qualité des services publics ni celle de notre protection sociale, à laquelle nous sommes tous attachés. En réalité, cette réduction sera assez modeste : la trajectoire que nous vous avons présentée prévoit une baisse de 6 % en cinq ans – soit, compte tenu de l’effet de cumul, moins de 1 % par an en volume, sur 1 700 milliards d’euros de dépenses. Grâce à une efficacité accrue et à une plus grande sélectivité, nous pourrons réaliser cet effort sans mettre en cause notre modèle démocratique. Celui-ci vise à assurer la transformation écologique et à lutter contre les inégalités ; la politique économique que nous prônons nous permettra, me semble-t-il, de mieux le défendre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Dans de nombreux pays, les effets récessifs qui ont été évoqués viennent de l’incertitude. Le gouverneur de la Banque de France a rappelé hier qu’il était difficile, compte tenu du niveau d’épargne actuel en France – lequel résulte notamment de la crainte de futures hausses d’impôts –, de mesurer les effets keynésiens. C’est la raison pour laquelle nous privilégions les baisses de dépenses de fonctionnement plutôt que d’investissement. C’est aussi pourquoi nous voulons engager un travail sur les niches fiscales et, d’une façon générale, sur l’efficacité des dépenses. Certaines n’ont pas d’effet sur la croissance, en dépit de leur coût élevé : c’est le cas notamment de celles qui découlent de la désorganisation de l’État, ou de celles qui sont liées à certains arrêts maladie. Certaines incitations, mal calibrées, provoquent des effets d’aubaine plutôt que des effets déclencheurs.
J’en viens à vos deux questions. Le Haut Conseil des finances publiques active effectivement le mécanisme de correction. Dans un esprit de pragmatisme, compte tenu de la situation politique, du calendrier et du travail qui est devant nous, nous privilégions une présentation des mesures de correction dans le cadre du prochain budget, c’est-à-dire du projet de loi de finances (PLF) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026. Nous lancer dans la rédaction d’une nouvelle trajectoire, alors que nous venons de la présenter dans le cadre de ce rapport annuel d’avancement du PSMT, nous semble aujourd’hui difficile au vu des perspectives d’adoption de cette nouvelle trajectoire. Totale transparence, donc, et mesures de correction dans le PLF, mais aussi pragmatisme.
Pour 2025, il n’y a aucune stratégie d’évitement, mais une stratégie pragmatique. Dans le cadre de la Lolf, le gouvernement dispose d’outils lui permettant de procéder à des ajustements infra-annuels, qu’il faut utiliser pleinement et en toute transparence vis-à-vis de vous. De fait, dès que nous activons ces outils, nous vous en rendons compte par écrit en temps réel ou nous vous appelons. Il n’y a rien de caché.
Nous pouvons, dans le cadre de la Lolf, annuler jusqu’à 12 milliards d’euros de crédits et prendre jusqu’à 8 milliards d’euros de décrets d’avance. Les quantums que j’évoque – pour l’instant, 3 milliards d’annulations et 2 milliards de gels supplémentaires, qui porteront la réserve à 7,7 milliards après annulation –, sont très loin des plafonds permis par la Lolf. Alors que nous disposons d’outils qui nous permettent de continuer à bien piloter nos dépenses face à des aléas, on voit bien le coût macroéconomique qu’aurait l’incertitude générée par l’ouverture d’un nouveau débat budgétaire en pleine année, alors que la loi de finances initiale pour 2025 a été promulguée le 14 février.
Dans un monde d’incertitudes, notre responsabilité et notre devoir sont évidemment de tenir les objectifs, mais pas de rajouter de l’incertitude pour les acteurs économiques qui, comme vous l’avez dit très justement, monsieur le président, cherchent à savoir où l’on va. Nous leur devons cette forme de stabilité – toute relative, au demeurant, dans un pays qui a tout de même commencé l’année sans budget.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La commission des finances, dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, a publié hier son rapport sur les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024. Certains membres de la commission et certaines personnalités auditionnées ont émis le souhait d’un renforcement des pouvoirs du Haut Conseil des finances publiques. Pour ma part, et avec de nombreux collègues de la commission des finances, j’ai proposé d’associer le Haut Conseil à la prévision macroéconomique, soit en l’impliquant dans l’élaboration des hypothèses retenues par le gouvernement, par exemple pour la production ou la validation de certaines d’entre elles, soit en instaurant un mécanisme du type comply or explain qui permettrait au gouvernement de rectifier les prévisions jugées trop optimistes ou trop pessimistes par le Haut Conseil ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il ne les modifie pas. Quelle est la position du gouvernement à cet égard ?
Vous envisagez, en 2025, une progression de la consommation de 1,2 % en volume, soit une hausse supérieure à celle du scénario du PLF amendé, qui n’était que de 0,7 %, et une légère baisse du taux d’épargne, qui passerait de 18,2 % en 2024 à 17,9 %, tout en restant nettement plus élevé que sa moyenne d’avant la crise sanitaire, qui était de 14,6 %. Le HCFP note : « Ces évolutions sont plausibles, […], mais la hausse de la consommation sur laquelle le gouvernement table semble encore légèrement optimiste au vu des indicateurs les plus récents et des inquiétudes possibles des ménages dans le climat actuel. » En 2023 et 2024, l’écart entre le volume prévu de la consommation des ménages et ce qui a été réalisé était de 1 à 2, voire de 1 à 3.
J’abonde donc dans le sens du Haut Conseil. Selon les enquêtes de conjoncture, le solde d’opinions favorables des ménages sur l’opportunité d’épargner n’a jamais été aussi élevé, et il ne baisse pas. L’hypothèse d’une légère baisse du taux d’épargne et d’une augmentation, de 1 % ou 2 % en volume, de la consommation des ménages, ne paraît pas cohérente avec ces données. Comment justifiez-vous ce choix ?
Sur quoi se fondent vos prévisions macroéconomiques pour les années 2026 et suivantes ? Pourquoi la composition de la croissance et les méthodes selon lesquelles vous parvenez à vos estimations de croissance ne sont-elles pas détaillées dans le RAA ? J’ajoute que la composition de la croissance, très différente des prévisions, explique une bonne partie des écarts de recettes entre 2023 et 2024.
Dans son rapport sur Le Budget de l’État en 2024, la Cour des comptes déplore une « augmentation constante des dépenses fiscales, qui atteignent désormais le quart des recettes fiscales ». Les dépenses fiscales progressent effectivement de 4,6 milliards d’euros, soit de près de 6 %, pour atteindre 83,3 milliards d’euros. Ce phénomène, écrit la Cour, « met à mal la lisibilité des principaux impôts », et « laisse se multiplier [des] dispositifs dont la pertinence peut être interrogée au vu du gain pour chaque usager. » Ainsi, « douze dépenses fiscales procurent un gain inférieur à 100 euros par ménage pour un coût de 2,2 milliards d’euros. » Ne faudrait-il pas enfin envisager une rationalisation du maquis des dépenses fiscales ?
La Cour des comptes conteste particulièrement le retraitement des dépenses fiscales relatives à la TVA. Depuis le PLF pour 2024, le gouvernement présente le coût des dépenses fiscales liées à la TVA en fonction de la part de TVA nette revenant au seul État, soit 47 % ou 48 % actuellement. Le montant des dépenses fiscales assises sur la TVA s’en trouve ainsi artificiellement réduit de près de moitié – 11 milliards d’euros au lieu de 20, selon la Cour des comptes. Pourquoi ne pas revenir sur cette nouvelle convention de traitement de ces dépenses fiscales, qui les minore artificiellement dans la documentation budgétaire ?
Si les reports de crédits de 2024 vers 2025 sont en nette diminution par rapport à l’année précédente, leur niveau est toujours très significativement supérieur à celui d’avant la crise sanitaire, où il était de l’ordre de 4 milliards d’euros. Conformément à votre volonté de maîtriser la dépense, comptez-vous mettre enfin un terme, en 2026, à ces reports massifs qui nuisent notamment au principe d’annualité budgétaire et à la clarté de nos débats lors de l’examen des lois de finances ? En outre, je suis préoccupé par le niveau très élevé des restes à payer, qui représentent 217 milliards d’euros à la fin 2024, sans compter 37 milliards d’euros d’autorisations d’engagement affectées, mais non engagées. Quelle est votre stratégie de réduction de ce stock, qui pèse sur le pilotage des dépenses de l’État ?
Le rapport annuel d’avancement du PSMT évoque un objectif cumulé d’économies permanentes de 8 milliards d’euros sur la période 2025-2027 grâce aux revues de dépenses. Quelles sont les pistes étudiées, au-delà des mesures déjà prévues par la loi de finances pour 2025 ?
J’imagine que la trajectoire des dépenses primaires nettes figurant dans le rapport annuel d’avancement intègre les 40 milliards d’euros d’économies que vous souhaiteriez trouver, monsieur le ministre, pour l’année 2026. Toutefois, ces mesures, comme le souligne le Haut Conseil, ne sont pas documentées. Quelle est donc la valeur d’une telle trajectoire ?
Enfin, dans son avis sur le rapport annuel d’avancement, le Haut Conseil des finances publiques signale que « la trajectoire d’endettement est légèrement dégradée par rapport à celle du PSMT […] du fait d’un endettement plus élevé que prévu en 2024 et d’une consolidation plus tardive ». Alors que le PSMT prévoyait un point culminant du ratio de dette sur PIB de 116,5 % en 2027, le document que vous nous avez transmis prévoit une augmentation de ce ratio jusqu’à 118,1 % la même année, soit un écart de 1,6 point. Pouvez-vous présenter les différentes composantes expliquant cet écart ? Par ailleurs, avez-vous estimé l’effet de cette hausse de la trajectoire d’endettement sur la charge de la dette ?
M. Éric Lombard, ministre. Le gouvernement ne souhaite pas transférer au Haut Conseil des finances publiques ni à quiconque le soin de déterminer la trajectoire de croissance et la trajectoire économique, ni même aller vers la règle du comply or explain. En revanche, nous avons décidé d’avoir un dialogue ouvert et transparent avec un comité d’experts qui comptera les meilleurs spécialistes de la place, mais auquel le Haut Conseil des finances publiques ne souhaite pas se joindre – ce qui, du reste, est logique puisque ce n’est pas son rôle. Nous avons déjà établi cette année avec le Haut Conseil un dialogue beaucoup plus étroit, que nous voulons transparent.
Pour ce qui est de la trajectoire de consommation, notre hypothèse est que le niveau historiquement élevé de notre taux d’épargne, qui est de l’ordre de 18 %, est lié aux incertitudes considérables que le président Coquerel évoquait à juste titre. Le cessez-le-feu en Ukraine, que nous espérons, tarde à venir et des incertitudes fortes se font sentir quant au dialogue qui s’engage depuis lundi à Washington avec les Américains. L’incertitude ambiante se traduit, en toute logique, par une baisse de la consommation et une hausse du taux d’épargne.
Nous faisons tous nos efforts pour parvenir à un accord avec les États-Unis d’Amérique dans le délai de quatre-vingt-dix jours fixé par le président Trump, et plus vite si nous le pouvons. Nous faisons l’hypothèse que la levée d’autres incertitudes, avec notamment, l’établissement d’une trajectoire de finances publiques – la ministre a rappelé, à cet égard, le caractère non keynésien de la dépense publique –, rassurera les différents acteurs. L’une des raisons de l’épargne étant que les Français sont inquiets pour leur retraite, un accord entre les partenaires sociaux sera également un élément rassurant qui pourra se traduire par une baisse du taux d’épargne, et donc par une augmentation bienvenue de la consommation.
Pour ce qui concerne les prévisions macroéconomiques, le rapport qui vous est soumis porte sur 2025 et tous les éléments documentant la trajectoire économique pourront vous être fournis dans des travaux ultérieurs.
Enfin, l’évolution de la trajectoire de dette résulte tout simplement du fait que le déficit de l’année 2024 a été supérieur à ce qui était prévu dans la trajectoire initiale, cet endettement supplémentaire entretenant lui-même, de façon cumulative, les taux d’intérêt y afférents, d’où, au bout de trois ou quatre ans, cet écart de 1 % pour le taux d’endettement et le report du moment où ce taux baissera à nouveau – ce qui est un objectif d’importance stratégique.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Sur la composition de la croissance, nous pourrons vous communiquer des chiffres. La révision qui a fait passer la hausse attendue de 0,9 % à 0,7 % n’est pas liée à une réduction homothétique de chacun des postes. Des changements assez substantiels ont été apportés au modèle économique, en retenant une croissance de la consommation des ménages à 1,2 %, la Banque de France retenant quant à elle le chiffre de 1 %. Nous avons opéré, en revanche, une forte révision des enjeux en matière de balance commerciale et d’investissement.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Ma question ne portait pas sur 2025, mais sur 2026-2027.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je voulais revenir sur les chiffres de 2025, pour procéder avec méthode.
Les dépenses fiscales, à propos desquelles j’ai lu comme vous les observations de la Cour des comptes, sont un sujet nous voulons examiner de près avec vous, parlementaires, car elles soulèvent des questions d’équité, certains contribuables – ménages ou entreprises – pouvant bénéficier de réductions très substantielles. C’est aussi un important enjeu budgétaire. Les chiffres dont nous parlons – quelque 85 milliards d’euros, pour 467 dispositions fiscales – atteignent, en montant comme en nombre, un record qui doit nous interroger.
Avec le ministre et sous l’autorité du Premier ministre, nous voulons faire œuvre double. Nous voulons d’abord supprimer les dispositions qui bénéficient à très peu de ménages ou ont des rendements totaux très faibles : 67 dispositions ou niches fiscales coûtent – ou rapportent, selon la manière dont on voudra les présenter – moins de 500 000 euros. Le travail que nous avions mené avec Joël Giraud dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 avait montré que des dizaines de niches bénéficient à moins de cent contribuables. Vous avez souligné vous-même, avec la Cour des comptes, que douze dépenses fiscales rapportent moins de 100 euros à chaque ménage concerné alors qu’elles coûtent, au total, 2,2 milliards d’euros aux finances publiques. Il y a là un gisement d’efficacité collective, d’équité et de soutien à la croissance. L’objectif que nous poursuivons, avec le ministre, en supprimant de nombreuses niches, est de rendre l’argent aux Français en baissant les impôts pour tous. Cette mécanique, dont nous devrons définir la proportion, permettrait de recréer un soutien à l’équité, une forme de justice fiscale et un soutien à la croissance, tout permettant, plus prosaïquement, aux agents de la direction générale des finances publiques de consacrer moins de travail au contrôle de dispositions très complexes concernant un très petit nombre contribuables ou produisant des gains très limités pour chaque ménage. Nous souhaitons mener ce travail avec vous qui, en tant que rapporteurs spéciaux, connaissez ces dépenses et, avec vos collègues du Sénat, maîtrisez pleinement les éléments constitutifs des grands impôts. Je déplore avec la Cour des comptes la subsistance de niches fiscales très anciennes qui n’ont plus de comptabilité d’évaluation – nous ne savons parfois même pas combien de contribuables en bénéficient. Nous devons faire un grand ménage dans ces niches fiscales, car il y va de l’équité, de la lisibilité et de la croissance.
Pour ce qui est de la TVA, je tiens à la transparence à votre égard. Normalement, les dépenses fiscales sont attachées à leur bénéficiaire – en l’occurrence, l’État, qui ne perçoit pas les rendements attendus en raison de la moindre collecte de la TVA et de dispositions d’exception ou d’exemption. La Cour des comptes a raison de nous demander d’indiquer clairement quelque part et sous une forme consolidée, tout en respectant la formulation normale, l’ensemble des exemptions à la TVA, même si un peu plus d’un tiers de cette taxe est destiné à financer la sécurité sociale et 20 % les collectivités locales. C’est là une information que, pour des raisons de méthode et de transparence, nous devons vous communiquer.
Quant aux reports, nous avons cherché à les réduire fortement. C’est là une demande légitime des parlementaires. Après des années de très forte augmentation, pour lesquelles les données figurent notamment dans les différents documents remis au Parlement, nous avons réduit les reports des dépenses ministérielles de 7,8 milliards d’euros au début 2024 à 4,4 milliards d’euros en 2025. Le montant total, en incluant les reports du plan de relance, passés de 5,7 à 4,3 milliards d’euros, et en incluant les fonds de concours et les comptes spéciaux – mécanismes pour lesquels il est plus difficile de procéder d’autorité à des baisses, puisque les reports y sont de droit – s’élève à 16,8 milliards d’euros, contre 23,5 en 2024. Mon objectif est de revenir d’ici 2026, en fin de gestion, aux pratiques d’avant la crise de la covid-19, où les reports ministériels d’une année sur l’autre étaient au maximum de 800 ou 900 millions d’euros, éventuellement de 1 milliard d’euros. Ce chiffre atteint aujourd’hui 4,4 milliards d’euros. Nous l’avons quasiment divisé par deux l’an dernier et, en le divisant à nouveau deux fois par deux, nous en serons revenus à une pratique normalisée.
La même logique s’applique pour les restes à payer, même si le mécanisme est plus complexe. Une partie de ces montants tient aux lois de programmation portant sur l’équipement, comme la loi de programmation militaire, et sur l’investissement, notamment immobilier, comme celles qui concernent la justice ou l’intérieur. Une autre partie des restes à payer provient de mécanismes budgétaires comme les grands programmes d’investissement, où nous pouvons rebudgétiser certains éléments pour éviter la logique d’autorisations d’engagement sur des termes très longs, qui vont au-delà de 2028-2029.
Afin de dérigidifier la dépense publique – pour employer un terme un peu techno qu’utilise aussi la Cour des comptes –, nous voudrions éviter des volumes d’autorisations d’engagement aussi substantiels qui ne soient pas totalement justifiés. Ce travail que nous menons avec la direction du budget et mes équipes répond à un enjeu démocratique. En effet, vous devez voter la loi, mais de nombreuses dépenses sont contraintes, voire obligatoires, or il est normal que, démocratiquement, vous en ayez la maîtrise pleine et entière et que nous revenions donc – hors lois de programmation, qui sont des cadres budgétaires très spécifiques – à une budgétisation respectant davantage l’annualité.
Enfin, les revues de dépenses continuent. Michel Barnier en avait lancé quatre, portant respectivement sur l’hébergement d’urgence, sur les mécanismes de soutien à l’ingénierie locale, marqués par des redondances, ou du moins par la perception de doublons entre certains dispositifs à la fois locaux et nationaux, sur le soutien aux associations, dont nous devrions notamment examiner avec plus de vigilance les problèmes de trésorerie, et sur les frais de justice. Nous avons, quant à nous, lancé quatre nouvelles revues de dépenses, consacrées respectivement au logement social, aux prescriptions en ville et à l’hôpital, à la fraude des professionnels de santé et à la rationalisation des soutiens publics à l’investissement des collectivités.
Je tiens aussi à vous signaler deux missions communes de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances, portant sur les gains d’efficience à l’hôpital et sur les écarts entre territoires pour les aides sociales, peu compréhensibles pour nos concitoyens dans les domaines du handicap ou du vieillissement.
Nous continuons donc de mener ces revues de dépenses, dont les propositions nous permettent de faire des réformes. C’est bien ainsi, par un processus factualisé, rationalisé et porteur de sens, et non pas par des coups de rabot ou des coupes sombres, que nous voulons réduire la dépense publique et en assurer l’efficacité.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Comme chaque année depuis que je suis élu, nous recevons les documents très tardivement. Ce n’est pas sérieux et nous ne pouvons pas travailler dans des conditions pareilles. D’ailleurs, la manière dont Bercy traite le Parlement depuis des années est très éloquente. Nous n’avons donc eu que quelques heures pour lire ces documents, qui sont complets et intéressants.
Comment vous allez faire pour augmenter la contribution à l’Union européenne de 6 milliards d’euros ? Le rapport de la Cour des comptes confirme en effet qu’il faut trouver 6 milliards pour l’année prochaine, puis encore 2 milliards d’ici 2027 : où allez-vous trouver ces montants ? Le document montre aussi que la charge de la dette va augmenter de 9 milliards d’euros, soit 15 milliards d’euros de dépenses obligatoires à financer. Ce montant est-il inclus dans les 40 milliards d’euros d’économies que vous avez annoncés ou s’y ajoute-t-il ?
Par ailleurs, je ne comprends pas pourquoi vous annoncez dans les médias un chiffre compris entre 40 et 50 milliards d’euros, puisqu’on lit à la page 44, pour 2025, qu’il s’agira de 50 milliards. Quel est le bon chiffre ?
La stratégie de rétablissement des finances publiques que vous annoncez à la Commission européenne – ou à je ne sais qui – m’inquiète, car elle ne contient pas grand-chose. Elle promet une démarche rénovée et ambitieuse de revue des dépenses, mais les questions que je vous ai posées hier sur les revues portant sur le logement ainsi que sur la formation professionnelle et l’apprentissage n’ont pas eu de suite. Vous avez annoncé des réponses aujourd’hui, et j’espère donc que je les aurai. Le cas échéant, quelles autres revues de dépenses allez-vous lancer et qu’allez-vous faire de toutes celles que je n’ai pas eu le temps de citer ?
Vous consacrez deux pages de généralités à dire que le modèle social sera plus efficient et plus efficace – tout ira bien, madame la marquise ! – mais qu’est-ce que cela signifie ? Je n’ai pas le temps de les lire ici, mais ce ne serait pas piqué des vers !
Le pompon va à la politique énergétique et à l’environnement, page 50 – après quoi vient encore un bla-bla. On nous y explique qu’accélérer la transition écologique et énergétique contribue au redressement des finances publiques, mais j’aimerais savoir comment cela peut se faire. Qu’il s’agisse en effet de la stratégie nationale bas-carbone n° 3 (SNBC 3), du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc 3) ou de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3), il n’est question que de dépenses : en quoi cela peut-il contribuer à l’amélioration des comptes publics ? Cela représente en effet au moins 300 milliards d’euros de dépenses, dont au moins, selon la PPE 3, 120 milliards de nouvelles subventions aux énergies renouvelables, qui s’ajoutent à la centaine de milliards déjà dépensés. Qu’est-ce que cela vient faire parmi les économies et les recettes ? Et je ne parle même pas des coûts du réseau ni de la taxe de 23 centimes sur le carburant également prévue dans la PPE – 15 centimes au titre des crédits carbone européens et 8 centimes à celui des nouveaux certificats d’économies d’énergie (C2E).
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Pour ce qui est des délais de transmission des documents, il est de tradition que votre commission, où j’ai siégé voilà quelques années, auditionne les ministres dès qu’ils sortent du Conseil des ministres. Nous avons ainsi eu un quart d’heure pour venir de l’Élysée, où nous étions autour du Président de la République et du Premier ministre pour la présentation et la validation du rapport. Nous nous prêtons aux invitations et aux convocations de votre président et de votre rapporteur général, mais c’est à vous, si vous le souhaitez, qu’il appartient d’adopter une autre organisation. La réunion du Conseil des ministres a commencé à onze heures et s’est achevée à midi trente, tandis que nous étions auditionnés à treize heures trente.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’ai reçu le rapport hier !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Vous l’avez eu sous embargo avant le Conseil des ministres, puisqu’il a été présenté ce matin.
M. le président Éric Coquerel. En effet, avec mon autorisation. Je remarque, par ailleurs, que d’autres rapports sont envoyés à la presse alors qu’ils sont encore sous embargo.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Est-il normal de n’avoir qu’un jour pour lire le rapport ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Monsieur le député, c’est à vous de voir cela avec le président de la commission. Nous ne vous cachons pas des choses, mais nous venons quand nous sommes invités. C’est la tradition que tous les projets de loi de finances et toutes les communications budgétaires soient abordés dans la foulée du Conseil des ministres.
Le prélèvement sur recettes de l’Union européenne et la charge de la dette, dépenses sur lesquelles nous n’avons, par définition, pas de capacité de pilotage, sont inclus dans ce qu’on appelle le « tendanciel », et c’est bien par rapport à cette trajectoire à politique inchangée que nous prévoyons de prendre les mesures qui s’imposent pour tenir l’objectif de 4,6 % de déficit.
Pour ce qui concerne le prélèvement sur recettes de l’Union européenne, nous devons avoir pour objectif collectif – et je m’adresse aussi aux régions et aux autorités qui ont la délégation de ces fonds – de mieux consacrer les fonds européens à ce pour quoi ils ont été pensés. Selon les régions, en effet, les taux de retour sont très différents. De fait, si les régions Grand Est et Île-de-France affichent des taux de consommation et de programmation tout à fait en ligne avec ce qui doit leur revenir, c’est beaucoup moins vrai dans certaines autres régions. La question est donc moins celle des fonds européens eux-mêmes que celle de notre capacité à faire passer les projets des territoires par le biais des autorités de gestion déléguée, et à les faire advenir. C’est pour moi une très grande priorité car, si nous ne le faisons pas, les fonds européens ne seront pas assez activés et nous créerons des fonds français qui feront exactement la même chose, ce qui n’est pas acceptable pour les contribuables. Il ne peut pas y avoir deux mécanismes financés par leurs impôts et finançant la même chose. Je serais ravie de revenir longuement avec vous sur ces bons mécanismes européens qui permettent d’assurer une forme de concurrence loyale entre les pays, pour autant que nous puissions les attirer sur notre sol.
Je viens de faire, en réponse à une question du rapporteur général, la liste de toutes les revues de dépenses en cours et prévues, à partir desquelles nous avons porté à 2,5 milliards d’euros le montant des économies en 2025, dont 200 millions d’euros sur le plan d’investissement dans les compétences (PIC), conformément à une recommandation de la revue de dépenses sur le travail, qui s’intéressait aussi aux emplois francs et aux contrats aidés. Nous pourrons évidemment aller plus loin. Nous avons, par exemple, procédé à des prélèvements sur la trésorerie des agences de l’eau et de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), en conformité avec les revues de dépenses réalisées. Selon le même mécanisme, nous avons également prélevé 500 millions d’euros au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et supprimé le mécanisme Pinel, conformément aux recommandations de la revue de dépenses sur le logement, pour 1,4 milliard d’euros. Je m’attacherai, là aussi, à vous assurer une totale transparence et suis prête à partager avec votre commission les recommandations et les conclusions de ces travaux, d’ailleurs très cohérentes avec celles du Printemps de l’évaluation que vous avez mené.
M. Éric Lombard, ministre. Pour ce qui est, enfin, de la trajectoire énergétique, qui suscite de votre part un vif intérêt, nous souhaitons, comme je l’ai dit, décarboner l’économie, notamment en faisant évoluer notre mix énergétique vers un mix durable au moyen du nucléaire et des énergies renouvelables. Cela demande effectivement un peu de dépense publique, notamment pour développer les énergies renouvelables. Comme vous l’avez constaté, nous faisons des économies, mais à l’intérieur d’une enveloppe de dépenses de l’ordre de 1 700 milliards d’euros, de telle sorte qu’il reste des ressources pour cet objectif très important qu’est la préparation d’un avenir décarboné.
M. le président Éric Coquerel. Je reviens sur la question des délais. J’ai pris sur moi de vous envoyer hier soir les documents qui m’avaient été transmis par les cabinets des ministres sous embargo, car cela me semble normal, mais il restait en effet peu de temps entre cette transmission et l’audition. Je rappelle toutefois que le débat en commission est une sorte d’échauffement, de défrichage, car nous y reviendrons plus longuement en séance publique le 29 avril.
M. David Amiel (EPR). Je note, car cela a fait l’objet de nombreux débats, durant les travaux de notre commission exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête, à propos des années 2023 et 2024, que les chiffres qui figurent dans le projet sont en ligne avec les prédictions formulées à l’automne en matière tant de croissance que de déficit – ce dernier, avec 5,8 %, étant même inférieur. Il ne s’agit bien évidemment pas de l’immaculée réduction des déficits publics, mais du fruit des mesures prises l’année dernière. Si ces mesures, dont le montant a été chiffré à près de 30 milliards d’euros par la commission d’enquête, n’avaient pas été prises par le gouvernement, le déficit serait sans doute aujourd’hui plus proche de 7 %.
Je voudrais aussi évoquer les risques pour l’année 2025, à la lumière de ceux qui sont présentés pour 2024. Vous avez mentionné les 5 milliards d’euros d’annulations destinées à compenser les aléas touchant les dépenses de l’État. Avez-vous un chiffrage des aléas possibles en matière de dépenses sociales et de dépenses des collectivités locales ? Comment le gouvernement assurerait-il, le cas échéant, la tenue de l’objectif global de déficit ?
Pour ce qui est encore des aléas, quel est votre éclairage quant à la situation du marché de l’emploi. Vous avez évoqué la révision des chiffres de croissance, de 0,9 % à 0,7 % : qu’en est-il pour le marché du travail ? Cela a, en effet, un impact direct pour nos concitoyens, ainsi qu’un effet induit sur les finances publiques, ne serait-ce qu’au titre de l’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Troisième et dernière question : le chiffre de 3 milliards d’euros supplémentaires pour la défense par rapport à la loi de programmation militaire a été annoncé hier pour l’année 2026. Quelle est la destination de ces 3 milliards et comment s’articulent-ils avec les initiatives prises pour renforcer le niveau européen de coordination de nos politiques de défense ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Certains aléas incombent majoritairement à l’État, qui transfère des dotations ou des dotations d’équilibre à la sécurité sociale et aux collectivités, mais certains autres se répercutent directement sur les collectivités elles-mêmes ou sur la sécurité sociale. Une baisse de l’emploi ou de la croissance se répercute ainsi sur les cotisations, ce qui peut se répercuter sur les comptes sociaux. Il en va de même pour les collectivités.
Le comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie a publié hier un avis soulignant le « dynamisme », c’est-à-dire la croissance, des dépenses de soins de ville – médicaments, arrêts maladie et honoraires – qui explique une partie du décalage en 2024. Pour 2025, le comité souligne que les économies prévues sont, pour les trois quarts, déjà acquises. Le quart restant est à sécuriser et concerne notamment les médicaments, à la fois en prix et en volume. La convention médicale prévoit des objectifs de réduction du volume des prescriptions, ce qui demande de regarder les médicaments les moins onéreux parmi ceux qui sont les plus prescrits.
Si ce sont surtout les soins de ville qui posent problème, nous apportons aussi un soin particulier au déficit des hôpitaux. Le Premier ministre enverra ainsi, dans les prochaines heures, une circulaire sur l’efficience de la gestion des comptes hospitaliers.
Face à cette situation, nous avons innové. Catherine Vautrin, Yannick Neuder et les services des ministères sociaux ont établi une réserve de 1,1 milliard sur l’Ondam. Cette réserve était jusqu’à présent très décentralisée et se trouvait donc difficile à activer en cas d’aléas liés à une épidémie ou à une autre crise sanitaire. Ce montant peut paraître faible au regard des 285 milliards d’euros de dépenses de l’Ondam, ce que le comité d’alerte souligne, mais il salue ces réserves comme constituant un très grand progrès car elles permettent un pilotage infra-annuel des dépenses sociales. Il faudra poursuivre les années suivantes.
Le chiffre cité par le Premier ministre sur les dépenses de la défense est relatif à la marche de la LPM qui prévoit un accroissement des dépenses de 3,6 milliards d’euros entre 2025 et 2026. Le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des armées et moi-même travaillons pour déterminer s’il existe des besoins supplémentaires. Les enjeux liés à notre souveraineté demandent en effet une très grande lucidité.
M. Éric Lombard, ministre. Je voudrais partager une bonne nouvelle sur l’emploi : les salaires nets progressent grâce aux efforts réalisés depuis des années pour améliorer la productivité. Nous observons malheureusement un recul de l’emploi marchand, mais nous anticipons que le progrès de l’emploi des non-salariés permettra de maintenir l’emploi à un niveau stable dans les mois qui viennent.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Vous avez parlé de démocratie et de la capacité du peuple français à désigner ses représentants, ce qui est fort discutable dans le cas qui nous occupe. Vous avez prononcé de nombreuses fois les mots « transparence » et « dialogue », mais nous aurions préféré avoir ce débat en séance avant de voter le budget plutôt que de le voir passer par un 49.3.
Le rapport de la Cour des comptes n’est pas très flatteur à votre égard. Depuis 2019, la dette a augmenté de 780 milliards d’euros et, pour l’année 2024, les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) sont inférieures de plus de 10 milliards d’euros aux prévisions. Votre politique de l’offre connaît un échec cuisant. Les cadeaux fiscaux, exonérations et autres abaissements du coût du travail n’entraînent ni hausse de la compétitivité ni ruissellement. Les prévisions de recettes et de déficit sont, selon la Cour des comptes, inatteignables, mais vous avez refusé de faire une loi de finances rectificative, comme le demandait la Cour des comptes et notre groupe politique.
Plutôt que d’affronter ses responsabilités face à cet échec, le président a préféré dissoudre l’Assemblée nationale avant de refuser l’alternance politique qui en découlait. Ce fut ensuite la panique générale, qui s’est traduite par des annulations, des gels et des surgels de crédits, à tel point que la Cour des comptes a dit que vous gouverniez sans analyse.
Monsieur Lombard, vous affirmez qu’il faut à nouveau tailler dans les dépenses à hauteur de 40 ou de 50 milliards d’euros, selon les documents. Pourquoi ne remettez-vous pas plutôt en cause votre politique de l’offre qui gave les plus riches au détriment des plus pauvres, tout en étant inefficace ? Pour réduire le déficit, M. Ferracci a annoncé hier que tout était possible, – s’en prendre aux retraités, à notre modèle social ou à nos collectivités territoriales –, mais rien ne semble possible quand il s’agit des multimillionnaires.
Pourquoi refusez-vous toujours un impôt plancher à 2 % sur les multimillionnaires alors qu’il a été adopté à l’Assemblée et qu’il pourrait rapporter 20 milliards d’euros ? Que répondez-vous – vous qui vous dites pro-entreprise –à ces millions de microentrepreneurs que vous avez jetés en pâture en abaissant les seuils de franchise de TVA dans le dernier projet de loi de finances ? Allez-vous continuer à tuer nos petites entreprises pour pouvoir continuer à régaler les grandes ?
M. Éric Lombard, ministre. Dans un environnement très chahuté et difficile, la situation relative de l’Union européenne est assez bonne, mais nous allons continuer à lutter contre le chômage et à veiller à l’équilibre territorial de notre développement par un mécanisme de soutien des activités sur l’ensemble des territoires.
Les 50 milliards d’euros d’ajustement que vous évoquez sont une estimation par rapport à la tendance qui a présidé à l’élaboration de la loi de finances pour 2025. Cet ajustement s’inscrit dans la trajectoire vers l’objectif de réduction du déficit à hauteur de 3 % du PIB et sera réduit en 2026 puis en 2027.
Avec des dépenses publiques représentant 57 % du PIB, le salut ne peut venir de leur augmentation pas plus que de l’augmentation des impôts et charges sociales puisque nous détenons le record européen de pression fiscale et sociale. Ce ne serait pas une bonne façon de résister à la concurrence, tant internationale qu’à l’intérieur de l’Union européenne. Nos voisins sont très engagés dans le soutien à leurs entreprises. Nous devons être compétitifs en veillant à ce que les fruits du développement des entreprises soient le mieux partagés possible.
Après une concertation menée par Véronique Louwagie, nous avons trouvé un équilibre permettant de protéger les microentrepreneurs ainsi que les petites entreprises soumises à la TVA qui se retrouvent, dans certains segments, en compétition inégale en raison d’un écart important de tarifs dû à l’application de la TVA. Nous avons ainsi réduit le nombre de seuils pour aboutir à un seuil général de 37 500 euros, sauf pour le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) qui se voit appliquer un seuil de 25 000 euros et pour certaines professions qui se trouvent exonérées de TVA. Nous verrons par quel support législatif nous pourrons soumettre ces mesures à votre vote. Nous n’avons bien sûr aucun désir de tuer les microentrepreneurs et les entreprises. Nous cherchons au contraire un équilibre entre ces deux modalités d’action, qui sont également importantes pour notre développement économique.
La taxe dite Zucman a fait l’objet d’un débat sur une proposition de loi auquel la ministre a participé. Les grandes fortunes sont en général détenues par des personnes possédant de grandes entreprises et une taxe de 2 % sur leur fortune les obligerait à vendre chaque année leur participation à cette même hauteur. Au bout de quelques années, ces entreprises se retrouveraient donc entre les mains d’investisseurs non français et non européens puisque la masse d’investissements possibles en France se trouve limitée par l’absence de fonds de pension. L’avantage, c’est que nous n’aurions plus besoin de cette taxation, mais nous n’aurions plus la propriété de nos entreprises. Nous préférons donc travailler, dans une volonté d’équité, sur un mécanisme de lutte contre la sur-optimisation tout en protégeant nos entreprises car nous avons besoin que nos entrepreneurs puissent développer leurs entreprises chez nous.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous n’avons aucun impensé sur la fiscalité des grandes entreprises. Nous allons appliquer le taux minimum d’imposition mondiale de 15 % prévu par l’accord de l’OCDE d’octobre 2021, qui a été signé grâce à un engagement très fort d’Emmanuel Macron et de Bruno Le Maire. Les plus grandes entreprises françaises concernées le savent, ce taux devrait permettre un rendement supplémentaire de l’IS de 1,5 milliard d’euros en 2026. Ne nous faites donc pas de mauvais procès.
Nous avons débattu au cours d’une très longue soirée sur le rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et sur celui de l’exit tax, mais la taxe Zucman conduirait à ce que la France perde la propriété de ses entreprises dans un délai de cinq ans. Pour résoudre le problème, il nous semble préférable de protéger l’innovation, les entrepreneurs et les familles qui détiennent les entreprises sur le temps long tout en luttant contre la sur-optimisation. Elle consiste à utiliser des montages fiscaux complexes pour se soustraire au pacte républicain qui exige le paiement des impôts existants.
M. le président Éric Coquerel. J’ai peur que l’accord de l’OCDE soit mort-né une fois que les États-Unis seront revenus dessus.
M. Corentin Le Fur (DR). Le projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes est un exercice essentiellement technique, mais il n’interdit pas – je sais que c’est également votre philosophie – de tirer des enseignements dans la perspective de la préparation d’un projet de loi de finances dans des conditions particulièrement préoccupantes. En effet, nous connaissons un déficit public de 5,8 % et une dette de 113 %. La France est désormais le troisième pays le plus endetté d’Europe et le pays qui s’est le plus endetté au cours des dix dernières années. Le projet de loi de finances pour 2026 sera d’autant plus déterminant que le dernier a été préparé dans la précipitation à la suite de la dissolution.
Le redressement des comptes doit être une priorité. Les moindres recettes et les écarts de prévision ne doivent pas masquer le fond du problème, qui est l’excès de dépenses. Je rappelle que nos taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires sont les plus élevés d’Europe. Depuis des années, nous avons du mal à réduire les dépenses publiques. Le travail de Véronique Louwagie pour trouver des gisements d’économies parmi les agences et les opérateurs de l’État sans déplumer les services publics est donc essentiel.
Vous avez parlé d’une trajectoire de baisse modeste, ce qui est le cas jusqu’à présent. Il nous faut pourtant montrer plus d’ambition. Quelles sont vos prévisions d’économies ?
M. Éric Lombard, ministre. Le Premier ministre a lancé une revue des politiques publiques afin de vérifier la bonne utilisation des fonds de l’État en s’assurant notamment que les robinets ont bien été fermés après le fort engagement de l’État pendant le covid pour soutenir les Français et les entreprises.
Toutefois, les dépenses publiques viennent, pour l’essentiel, de la sécurité sociale et des collectivités locales. Elles sont utiles, mais nous devons nous assurer que leur évolution est maîtrisée. Nous avons mis en place un accord de méthode et le Premier ministre a lancé hier plusieurs chantiers avec les collectivités locales. Un des représentants d’une grande association de collectivités locales a suggéré hier que soient passés des contrats entre l’État et les collectivités locales pour qu’elles participent à cet effort de maîtrise tout en respectant leur liberté d’administration, garantie par notre Constitution et par nos valeurs. C’est la prochaine étape avec François Rebsamen.
Dans la sphère sociale, nous visons un accord avec les partenaires sociaux qui en ont la responsabilité première depuis la création de la sécurité sociale dont nous fêterons bientôt les 80 ans. Nous nous appuierons sur les conclusions du conclave sur les retraites. Un dialogue du même type sur la santé et les politiques familiales devrait permettre d’aboutir à un accord sur la façon de partager les efforts pour maintenir la dépense publique ou la réduire très légèrement sur la durée, tout comme le font la plupart des entreprises et beaucoup de ménages qui ne voient plus leurs revenus augmenter de 3 % ou 4 % par an.
En clair, notre objectif est de maintenir la qualité des services publics et de la protection sociale en étant économes des deniers publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Nous avons présenté lors de la conférence quatre principes qui nous aideront à bâtir le budget.
Le premier est que les dépenses de fonctionnement n’augmentent pas plus vite que la croissance. Aujourd’hui, il n’est pas respecté dans de très nombreux cadres.
Le deuxième est que l’État se concentre sur une action régalienne de planification plutôt que de continuer à agir comme un État guichet. Nous allons donc nous livrer à une revue très exhaustive des mécanismes d’aides et de subventions dont certains – Pierre Moscovici l’a souligné devant vous ce matin – sont toujours en vigueur alors qu’ils sont liés aux crises que nous avons traversées.
Le troisième principe est que l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers. Les dépenses fiscales sont pour l’État une dépense de facto et nous devons mettre fin à celles que nous ne pouvons plus nous permettre ou qui sont injustifiées. Je pense aux doublons, à l’enchevêtrement entre l’État et les collectivités, aux arrêts maladie ou à la commande publique. Sur ce dernier point, on observe que, dans certains domaines, une entité publique achète plus cher qu’une entreprise ou un ménage. Nous devons donc changer certaines règles ou certaines pratiques de la commande publique.
Le quatrième principe vise à mettre fin à la gratuité qui déresponsabilise. Les services publics sont gratuits, mais ils ont un coût. Il est utile que l’école soit gratuite mais il est aussi utile de savoir – nous n’avons pas honte de le dire – qu’un élève de primaire et un élève du collège coûtent respectivement 8 000 et 10 000 euros par an, qu’un accouchement coûte de quelques centaines d’euros à plusieurs dizaines de milliers d’euros ou qu’un trajet en ambulance coûte en moyenne 115 euros. J’ai coutume de dire qu’il n’y a pas d’argent public : il n’y a que l’argent des Français que nous mettons en commun. Savoir concrètement comment cet argent entre dans nos vies est une manière d’accroître le consentement à l’impôt, mais aussi d’évaluer l’efficacité et la pertinence de la dépense publique.
M. Christian Baptiste (SOC). En ma qualité de rapporteur spécial des crédits consacrés aux outre-mer, je me dois de porter la voix des territoires ultramarins avec responsabilité, mais aussi avec exigence. À ce titre, je ne peux que souligner, avec une vive préoccupation, les annulations d’autorisations d’engagement non consommées et non reportées dans ce projet de loi d’approbation des comptes 2024.
Près de 69 millions d’euros, dont 11,5 millions destinés à l’emploi outre-mer et 57,3 millions aux conditions de vie dans les territoires ont disparu des radars de l’action publique. Alors que les défis économiques, sociaux et culturels de nos outre-mer sont bien connus, ces crédits ont été laissés en jachère puis annulés. Ces sommes ne sont pas abstraites. Elles représentent des opportunités perdues pour nos jeunes en recherche d’emploi, pour les familles en attente d’un logement décent et pour les collectivités confrontées à des retards d’infrastructure. Ce sont autant de promesses non tenues.
Au-delà de l’insuffisance budgétaire, ce qui inquiète, c’est la question de l’exécution. Je vous pose une question simple mais essentielle : qu’est-ce qui a empêché la consommation de ces crédits ? Était-ce une défaillance technique dans la chaîne de dépenses, un arbitrage politique délibéré ou un manque d’ambition dans la mise en œuvre des priorités pour nos territoires ? Surtout, quelles mesures concrètes envisagez-vous pour que ces situations ne se reproduisent pas en 2025, afin que les crédits votés pour les outre-mer se traduisent en actions tangibles et visibles ?
Nous notons les efforts que vous déployez pour la transparence et les prévisions et nous vous en remercions. Vous avez communiqué sur votre volonté d’aller chercher 40 milliards d’euros d’économies. Êtes-vous prêts à coconstruire cette démarche avec le Parlement ? Nous avons de nombreuses propositions, par exemple sur les dispositions permettant aux grands groupes de domicilier leurs cadres en Suisse.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En raison des grandes incertitudes économiques et de la situation en Nouvelle-Calédonie et dans d’autres territoires, certains projets qui avaient été budgétés n’ont finalement pas été lancés et leurs crédits n’ont pas pu être utilisés. Je rappelle que dans le budget 2025, le débat parlementaire a eu pour effet une augmentation de 760 millions en autorisations d’engagement et de 450 millions en crédits de paiement pour soutenir les territoires ultramarins. Le budget de l’outre-mer est le seul qui ait connu une forte hausse depuis l’arrivée du nouveau gouvernement à la fin décembre.
Notre présentation des comptes publics ne comprend pas les mesures d’urgence. Pour avoir une vision complète de la mission consacrée à l’outre-mer, il faudrait donc y inclure les mesures d’urgence pour Mayotte et la Nouvelle-Calédonie, qui dépendent d’autres ministères – logement, emploi, éducation nationale ou intérieur.
S’agissant des niches fiscales, mes équipes et moi-même sommes à la disposition des députés ultramarins souhaitant engager avec nous un travail de revue des dispositions concernant leurs territoires afin d’évaluer leur efficacité et leur utilité.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Monsieur le ministre, vous avez souligné que notre économie et notre continent se trouvent à un tournant marqué par un contexte géostratégique bouleversé et incertain. Vous continuez pourtant à mener la même politique, qui a augmenté la dette et creusé les inégalités. Bref, il faut que tout change pour que rien ne change. Vous louez notre modèle social ambitieux, mais vous n’avez de cesse de vous y attaquer, qu’il s’agisse des retraites ou de l’assurance chômage. Vous vous attaquez aussi à l’État de droit, que vous démantelez avec votre projet de loi dit de simplification, mais qui est en vérité de dérégulation.
Madame la ministre, nous vous remercions pour vos engagements de transparence, qui nous changent de ce que nous avons connu jusqu’à présent. Toutefois, je vous rappelle que, depuis plusieurs années, le Parlement ne vote plus le budget. Nous ne pouvons donc porter la voix de ceux et celles qui nous ont élus et qui souhaitent une autre politique.
Une budgétisation qui respecte davantage l’annualité est un enjeu démocratique, mais, au-delà, c’est la compréhension même des orientations fortes du gouvernement qui est en question. Vous êtes en effet passé d’un investissement massif dans le ferroviaire, puis dans le spatial, puis dans la réindustrialisation, puis dans l’intelligence artificielle (IA).
Vous souhaitez coconstruire le redressement budgétaire avec les collectivités territoriales, notamment grâce à une contractualisation non contraignante. Comment pourra-t-elle être établie, dans quelles conditions et avec quelles garanties de respect de l’autonomie locale ? Surtout, comment comptez-vous compenser les pertes durables de recettes fiscales des collectivités, consécutives à vos choix fiscaux unilatéraux, tout en leur imposant un effort supplémentaire de maîtrise de la dette ?
Quelles sont vos intentions concernant la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim), dont les recettes ont été une déconvenue majeure ? Comptez-vous la réformer, la reconduire ou la supprimer ?
M. Éric Lombard, ministre. Avec tout le respect que je vous dois, nous accuser de nous attaquer à l’État de droit est très excessif et complètement injustifié. Dans le cadre du débat sur les lois de finances, nous soumettons des textes au vote du Parlement de la République. Je n’y vois aucune atteinte à l’État de droit. Si ce que nous faisons est une atteinte à l’État de droit, comment définissez-vous ce qui se passe en ce moment dans d’autres parties du monde ? Je ne voulais pas laisser passer cela.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. La seule attaque du modèle social, c’est le déficit de la sécurité sociale, qui est de 22 milliards d’euros. Si on ne le réduit pas, je suis prête à parier que, dans quelques années, il n’y aura plus de sécurité sociale. Elle n’est pas faite pour générer de la dette. Nous ne pouvons léguer à nos enfants et à nos petits-enfants la charge du remboursement de nos soins hospitaliers, de nos médicaments et de nos retraites. Le Premier ministre l’a dit, ce serait « intolérable ». Ce n’est pas le contrat passé il y a quatre-vingts ans, à une époque où notre pays était jeune et comptait avec un salariat important dont la situation était stable. Depuis, notre pays a vieilli, le salariat dans l’emploi public est moins important et les carrières sont moins stables.
Nous devons donc être lucides et ne pas faire l’autruche en considérant que la situation va se résoudre d’elle-même. Catherine Vautrin a montré hier, avec beaucoup de clarté, que ce ne sera pas le cas. Les ratios entre actifs et retraités sont tels que l’équilibre même du financement est remis en question. Notre pays compte chaque jour, en moyenne, 2 400 personnes fêtant leurs 60 ans mais 1 800 naissances seulement. Ces chiffres doivent nous faire réfléchir à l’équilibre démographique, et donc financier, de la sécurité sociale.
Si nous voulions attaquer notre modèle social, nous ne ferions rien, mais nous avons choisi exactement l’inverse pour le préserver, le réformer et lui rendre sa stabilité et sa force. C’est ce sur quoi nos débats doivent porter.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). L’audition de ce jour nous permet à la fois de revenir sur l’exécution 2024 et de se projeter pour les exercices à venir. Je me réjouis que nous puissions amorcer, dès aujourd’hui, des échanges autour du PLF pour 2026. La situation politique que nous vivons ensemble nécessite qu’un travail soit engagé entre les parlementaires – j’en profite pour lancer un appel à notre président concernant les dialogues de l’Assemblée, que nous avions essayé d’engager avant la dissolution – et le gouvernement pour aboutir à un budget de consensus, au moins sur certains points.
La question du maintien des contributions exceptionnelles mises en place dans le budget 2025 se pose. Celle concernant les grandes entreprises ne doit pas être maintenue, car elle grèverait lourdement notre capacité productive – et l’instauration du fameux impôt Zucman me semble contraire aux principes de notre droit. En revanche, la pérennisation de la contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) devrait être envisagée, car la justice fiscale s’inscrit dans le temps long. Nous avons d’ailleurs travaillé avec le gouvernement précédent afin de la maintenir tant que le déficit ne sera pas passé sous la barre des 4 % du PIB. Qu’en pensez-vous ? Pouvez-vous nous communiquer les premières remontées comptables sur le fonctionnement de ces contributions exceptionnelles ? Ne doit-on pas redouter des comportements d’évitement fiscal qui auraient des répercussions sur les recettes espérées ?
L’objectif du redressement des comptes publics, qui doit occuper une place centrale dans la construction des textes financiers, ne doit pas nous exonérer de continuer à réformer en profondeur notre système fiscal pour apporter des solutions efficaces aux défis actuels. La crise persistante que subit le secteur du logement nécessite que nous continuions de réfléchir à des mesures innovantes pour libérer et stimuler les investissements responsables et écologiques. Quelle est votre philosophie et votre programme de travail pour relancer ce secteur essentiel, véritable moteur de croissance pour notre pays ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. S’agissant de la contribution différentielle sur les hauts revenus, nous sommes assez prudents quant à l’idée de garder dans le système fiscal un taux implicite de prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 37 % – c’est en effet la réalité sous-jacente. Nous réfléchissons plutôt à un mécanisme pérenne de lutte contre la sur-optimisation qui protégerait nos entreprises, les entrepreneurs, les biens professionnels, l’investissement dans les jeunes PME et, au fond, qui soutiendrait l’économie, tout en évitant des phénomènes très contestables pour lesquels nous manquons d’outils, notamment en matière de contrôle fiscal. Un débat aura lieu sur ce point d’une manière tout à fait transparente et ouverte. Le taux implicite est de 34 % quand vous cumulez le PFU et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Il nous semble que c’est déjà un seuil très élevé dans un monde de concurrence et de mobilité, notamment du capital.
Pour ce qui est des aléas du rendement de la CDHR, la baisse du CAC40, de près de 10 % depuis un mois, peut peser sur les revenus du capital, notamment les plus-values et dividendes. Selon des estimations techniques, le rendement ne serait donc pas de 2 milliards d’euros mais plutôt autour de 1,5 ou 1,4 milliard d’euros. Cet aléa est notamment ce qui nous conduit à souhaiter une gestion très précise de certaines dépenses.
Quant au rendement de l’impôt sur les sociétés et de la surtaxe, le bénéfice fiscal serait en baisse de 2,5 % en 2024, d’après les dernières remontées comptables, alors que le budget pour 2025 intègre une baisse de 3,9 %. Ce n’est pas mirobolant, mais certains diraient que c’est « moins pire ». Cela nous amène tout de même à être très prudents. Nous avons ainsi inclus dans les comptes présentés au HCFP en janvier dernier une marge de prudence de 1 milliard d’euros sur le rendement de l’impôt sur les sociétés et de la surtaxe, afin de nous prémunir contre les aléas.
Quant au logement, je rappelle simplement que Marc-Philippe Daubresse et votre collègue Mickaël Cosson travaillent sur la fiscalité de ce secteur.
M. Éric Lombard, ministre. Nous avons veillé à ce que les mécanismes de soutien au logement soient relativement protégés dans le budget pour 2025, alors que nous avons dû être très attentifs à la dépense publique. Il faut néanmoins reconnaître, sans chercher à se défausser de ses responsabilités, du côté du gouvernement, que la question du logement relève largement des politiques locales de développement menées par les élus, notamment les maires, qui délivrent les permis de construire et mènent des projets pour les territoires.
Le rythme de construction a ralenti pour deux raisons. La première est liée au cycle économique, dont les effets ont été plus graves dans le secteur du logement, et à la hausse des taux d’intérêt. Ces derniers ont baissé et le cycle économique s’est stabilisé, mais le logement social, bien que 2024 ait été une assez bonne année, ne repart pas suffisamment. La fin du cycle municipal a également joué : on arrive en fin de mandat, ce qui signifie, logiquement, que les programmes conduits par les élus sont en train de se terminer. On constate aussi une réticence à construire, à accueillir de nouvelles personnes dans les territoires, pour des raisons que le rapport d’Éric Woerth a bien documentées et qui poussent à introduire plus de souplesse dans les ressources des collectivités locales. Avoir de nouveaux habitants implique de nouvelles charges pour les collectivités, alors que ces dernières sont un peu contraintes et le seront sans doute encore un peu plus dans les temps à venir.
La principale raison est plus politique, au sens général du terme, que financière. Pour le reste, nous avons décidé, avec le gouverneur de la Banque de France, une baisse du taux du livret A, ce qui est un élément de soutien très puissant à la construction de logements sociaux. Par ailleurs, quelques mécanismes fiscaux qui doivent permettre au logement dit libre de repartir ont été protégés. Ces mécanismes méritent d’être encouragés, mais je ne suis pas sûr que le logement soit un problème budgétaire ou fiscal ; c’est plutôt une question de volonté de construire plus ou non, de la part de l’ensemble des collectivités.
M. François Jolivet (HOR). Selon la page 92 du rapport, vous pariez sur une hausse des cotisations sociales en 2025 et donc sur une baisse du chômage, alors que vous prenez acte, par ailleurs, du ralentissement de l’économie. Je n’ai donc pas bien compris ce tableau. Qu’en est-il exactement ?
La contribution exceptionnelle des grandes entreprises aura sans doute pour conséquence une baisse des dividendes distribués aux actionnaires. Comme la loi de finances pour 2025 tablait malgré tout sur une hausse des dividendes distribués, cela signifie qu’on anticipait une très forte croissance des résultats des entreprises, ou en tout cas des grands groupes. Or ce n’est pas ce qu’on retrouve dans le tableau.
Par ailleurs, les cotisations sociales sont en hausse et vous faites un pari sur le taux de chômage : qu’en est-il ?
S’agissant de l’impôt sur le revenu, le Conseil des prélèvements obligatoires, la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques insistent sur la nécessité de mieux évaluer les niches existantes – j’en profite pour répondre aux propos de Mme Feld. La retraite par capitalisation s’est déjà beaucoup développée dans le cadre du plan d’épargne retraite (PER) et de l’épargne salariale : 22 millions de foyers font le pari d’économiser pour leur retraite future. Près de 260 milliards d’euros ont ainsi été placés, par des concitoyens qui pouvaient le faire, dans l’épargne retraite. Mais comment évalue-t-on les différentes niches en matière d’IR ? Apparemment, même vos services disent que l’impact du PER est très difficile à anticiper. Les contribuables qui le peuvent placent un peu d’argent pour réduire leur impôt sur le revenu et les montants investis seront mobilisables beaucoup plus tard, ce qui conduit à un décalage très important dans le temps.
Pour ce qui est des revues de dépenses, je suggère de s’interroger sur les C2E, qui échappent à de nombreuses règles, et sur les conditions d’utilisation des taxes de recyclage et de réemploi – il a été question de 20 milliards d’euros de coût de gestion des déchets.
On pourrait également s’intéresser à ce que devient l’épargne des Français. Elle est actuellement investie à 60 % dans l’économie d’un pays qui nous attaque. Je pense en particulier aux fonds d’assurance vie américains.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. L’élasticité des prélèvements obligatoires par rapport à l’évolution du PIB, qui ne relève pas du maquillage, est un des éléments qui nous posent beaucoup de difficulté depuis 2022. Cette année-là, l’élasticité était montée à 1,4, ce qui était historiquement très élevé et avait conduit à constater en fin d’exercice ce qu’on a pu appeler une petite cagnotte budgétaire. En 2023, l’élasticité est tombée à 0,4. En 2024, même si les calculs ne sont pas terminés, nous devrions être autour de 0,6. Des cycles existent en matière d’élasticité et il serait très étrange de ne pas revenir à une sorte de moyenne. Le budget pour 2025 a ainsi été construit sur la base d’une élasticité de 0,9. On peut raisonnablement avoir l’espoir, dans un monde où la croissance nominale serait de 2,1 %, d’une sorte de normalisation. L’inflation, si l’on regarde 2024 et 2025, est elle-même en train de revenir à une forme de normalité.
Ce qui a beaucoup joué en matière d’impôt sur le revenu, c’est qu’on applique des mécanismes au cours de l’année n alors qu’on constate l’impôt au titre de l’année n - 1. Les décalages qui se sont produits étaient inhabituels dans un monde marqué par une inflation assez stable et prévisible. Compte tenu de l’écart entre 2025 et 2024 et du cycle de l’élasticité, nous avons, là encore, une espérance raisonnable d’une forme de normalisation.
Nous suivons tous les mois le rendement de l’ensemble des impôts – nous en avons encore parlé hier au sein du comité d’alerte sur les finances publiques – pour voir si une déviation se reproduit, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Je rappelle aussi que les mesures adoptées dans la loi de finances initiale en matière de prélèvements obligatoires représentent 17 milliards d’euros. L’instauration de la CDHR conduit ainsi à augmenter le rendement des impôts sur les personnes. Si l’on arrive à 1,4 milliard d’euros supplémentaire, cela devrait se voir dans les tableaux, sinon l’impact serait doublement négatif.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). S’agissant de l’exécution budgétaire, les efforts qui ont été réalisés dans la sphère de l’État conduisent à s’interroger – il en a aussi été question hier – sur la capacité de pilotage en cours d’année, y compris du côté des collectivités et des administrations de sécurité sociale.
Vous venez d’évoquer une baisse du rendement attendu de la CDHR, qui passerait de 2 à 1,5 ou 1,4 milliard d’euros. Pourriez-vous nous indiquer les encaissements réalisés à ce jour et le nombre de foyers fiscaux imposables ? L’étude d’impact évoquait un peu plus de 24 000 foyers fiscaux entrant dans le barème et dont le taux d’imposition était inférieur à 20 %.
Où en est la réflexion sur l’abaissement du seuil d’assujettissement des autoentrepreneurs à la TVA ? La réforme a été suspendue jusqu’au mois de juin : quel sera l’impact sur les finances publiques ? Il me semble que la mesure prévue devait rapporter de l’ordre de 800 millions d’euros en année pleine.
S’agissant des dépenses d’assurance maladie, la Cour des comptes a souligné l’existence de fortes disparités régionales, les montants pouvant varier de 1 à 1,7. Pensez-vous que l’instauration d’objectifs régionaux de dépenses d’assurance maladie serait de nature à améliorer la situation en faisant converger les dépenses ou, à tout le moins, en assurant une harmonisation au niveau national ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. La CDHR, qui s’appliquera aux revenus de 2025, fera l’objet d’un acompte à verser par les ménages concernés en décembre – ils auront alors une meilleure estimation de leurs revenus. Si ces ménages se sont acquittés du PFU, la CDHR aura peut-être un rendement beaucoup plus faible, mais celui du PFU sera supérieur. Tous les détails concernant le mode de déclaration et de calcul seront précisés en septembre, mais la loi est très claire. De nombreux ménages, parmi ceux concernés – un peu plus de 20 000 –, ont déjà largement connaissance du mécanisme en question.
Pour ce qui est des divergences territoriales qui peuvent apparaître en matière de dépenses, de contrôle ou de prescription, vous savez que les principes fondateurs de la sécurité sociale établis en 1945 n’étaient pas seulement l’absence de dette et la gestion paritaire, mais aussi la gestion au niveau du département. Il est très intéressant que cette question ressorte des travaux du comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie. Si l’on a procédé à une harmonisation au niveau national en ce qui concerne les cartes Vitale ou les remboursements, il reste des divergences. Le PLFSS prévoyait d’harmoniser les services médicaux de la Caisse nationale d’assurance maladie au niveau régional afin d’aboutir à des pratiques plus cohérentes ou en tout cas plus convergentes, mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Nous travaillerons, en lien avec Catherine Vautrin et Yannick Neuder, sur ce sujet tout à fait important en matière d’efficacité, ou d’efficience, et de bonnes pratiques à exporter d’un département à un autre.
M. Éric Lombard, ministre. S’agissant de la TVA, une concertation a été conduite à Bercy par Véronique Louwagie. Nous sommes très attachés au régime des autoentrepreneurs, qui concerne plus de 2,5 millions de personnes, mais aussi à la liberté de concurrence des petites entreprises, dont la plupart sont soumises à la TVA. La proposition du gouvernement à l’issue de la concertation est de réduire le nombre de seuils de franchise, pour n’en garder qu’un à 37 500 euros et un autre, plus bas, au niveau initialement prévu dans le projet de loi de finances pour 2025, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, où la concurrence est très vive. Nous envisageons par ailleurs des exceptions pour des professions particulières dans lesquelles les revenus sont peu élevés et la question du prix importante pour l’existence même des métiers concernés. Cette solution, que nous pensons équilibrée, sera soumise au Parlement dès que nous aurons trouvé le support législatif qui le permettra.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). L’effort annoncé de 40 milliards d’euros pour le budget 2026 me rappelle la somme de 60 milliards d’euros sur laquelle le précédent gouvernement, censuré, avait axé toute sa communication à l’automne dernier. Le chiffre était bidon et comprenait bien plus de hausses d’impôt que des baisses de dépenses. Comme je vous veux du bien, je ne voudrais pas que nous que nous réitérions l’exercice dans quelques mois. Je souhaite donc m’assurer qu’il s’agira bien de 40 milliards d’euros d’efforts réels.
J’ai entendu, madame la ministre, que les crédits issus de la suppression de niches fiscales seront décomptés de cette somme. Y aura-t-il bien d’importantes baisses de dépenses publiques, fondées sur l’exécution 2025 et non sur des indicateurs poussés à l’extrême, donc de façon théorique et exubérante, comme cela a pu être le cas il y a quelques mois ?
M. Éric Lombard, ministre. Nous avons deux objectifs. Le premier est la baisse, en termes réels, de la dépense publique, dans toute son acception. C’est l’engagement que nous avons pris devant les Français et l’Union européenne et que le Premier ministre a confirmé hier. Cette baisse s’élèvera à 6 % sur cinq ans et à un petit peu moins de 1 % l’an prochain.
Le second, qui s’appuie sur une hypothèse de croissance de 0,7 % cette année, est de tenir notre engagement de ramener notre déficit à 5,4 % du PIB en 2025, avant de l’abaisser à 4,6 % en 2026, cette fois dans l’hypothèse d’une croissance un petit peu plus élevée.
Ces deux ancres permettront d’apprécier la véracité des chiffres et d’attester que la dépense publique est tenue, étant rappelé que nous avons pris des engagements fiscaux par ailleurs.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Les milliards sont calculés sur le fondement des fameux budgets tendanciels, c’est-à-dire comme si nous n’avions pas de loi de finances. En l’occurrence, prendre des mesures est nécessaire pour atteindre le chiffre de 4,6 % de déficit en 2026. Éric Lombard l’a dit clairement : des baisses de dépenses devront avoir lieu, car nous avons le montant de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe. La solution ne se trouve donc pas de ce côté.
Chaque ligne de dépense fait l’objet d’une évolution tendancielle et nous nous efforçons de rendre ces chiffres plus compréhensibles, car il est très difficile de saisir à quoi se rapportent les milliards dont nous parlons. Hors PLF, quel sera le montant du déficit ? Quel niveau voulons-nous atteindre ? Quelles mesures devons-nous prendre pour combler la différence et tenir nos objectifs de 4,6 % en 2026 et de 3 % en 2029 ?
M. le président Éric Coquerel. Je ne suis pas certain que votre explication ait convaincu Charles Sitzenstuhl qui, je le sais, s’appuie sur les tendanciels.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Pour crédibiliser l’objectif de 4,6 % de déficit en 2026, ne faudrait-il pas faire un peu mieux que ce qui est prévu pour cette année ? Je reconnais que ma question est provocatrice, mais ne devrions-nous pas nous mettre en ordre de bataille pour freiner plus rapidement la dépense, car si nous gagnons 0,1 ou 0,2 point de PIB dès 2025, ce serait toujours cela de moins à accomplir l’an prochain ?
Par ailleurs, je me félicite que vous ayez engagé une concertation avec les collectivités territoriales pour l’année 2026 et regrette la politique de la chaise vide menée par l’Association des maires de France des présidents d’intercommunalité (AMF). En 2025, le déficit qui les concerne ne devrait pas s’améliorer, s’établissant autour de 16 milliards d’euros. Or nous n’avons aucun contrôle. Quels sont les aléas dont vous avez connaissance ?
M. le président Éric Coquerel. À l’inverse de Jean-René Cazeneuve, Christine Arrighi demandait comment les collectivités pourraient supporter un effort supplémentaire en 2026 alors qu’elles sont déjà à l’os.
M. Éric Lombard, ministre. L’avantage, c’est que tout le monde à est à l’os. Dans ce domaine, il y a une égalité très républicaine !
Monsieur Cazeneuve, 4,6 % de déficit en 2026 est un objectif ambitieux et celui de 5,4 % cette année ne l’est pas moins. Nous serions ravis de faire mieux, quoiqu’il convient, ainsi que le gouverneur de la Banque de France en convenait hier, de trouver un équilibre keynésien – veuillez excuser ce langage technocratique. La réduction des dépenses ne doit pas être trop forte pour ne pas peser sur la croissance, mais l’être suffisamment pour atteindre notre objectif de 3 %. C’est ainsi que nous avons fixé, grâce à des études très sophistiquées, nos cibles pour 2025 et les années suivantes, qui nous semblent constituer le bon équilibre.
Cela étant, nous serons très attentifs à la situation. En 2024, alors que nous pensions que le déficit atteindrait le chiffre de 6,1 % du PIB, il s’est finalement élevé à 5,8 % grâce aux mesures prises en fin d’exercice par nos prédécesseurs. Ainsi, pourquoi pas faire mieux que prévu ! Et dans la mesure où nous avons surtout eu de mauvaises nouvelles économiques et macroéconomiques depuis que nous sommes aux responsabilités, nous pouvons aussi espérer que de meilleures arriveront – vous reconnaîtrez mon irrémédiable optimisme – en ce qui concerne la croissance.
Quant aux collectivités locales, notre principal levier est de partager les difficultés que rencontrent nos finances publiques. À la fin de l’année 2024, elles ont accompli un effort considérable de maîtrise des dépenses ; cette année, elles partagent l’objectif poursuivi. L’AMF était absente hier lors du comité d’alerte, mais d’autres groupements de collectivités très représentatifs étaient présents et ont tenu un discours tout à fait responsable. Certains de vos collègues pourront en témoigner.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Il ne serait pas juste de dire que toutes les collectivités sont actuellement dans une situation financière dégradée. Hier, lors du comité d’alerte, nous avons indiqué que les dépenses totales des collectivités ont crû de 4,5 % l’an dernier – alors que de premiers chiffres portaient à croire, peut-être de manière erronée, c’est à définir, que cette progression serait deux fois plus importante.
Par ailleurs, la capacité d’autofinancement brute des communes s’élève à 14,193 milliards d’euros, soit un niveau très stable depuis 2022. Celle des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se situe entre 6 et 7 milliards d’euros, en hausse par rapport à cette même année 2022. Celle des départements, elle, est passée de 12 à 5 milliards d’euros entre 2022 et 2024, ce qui constitue une vraie difficulté vis-à-vis de laquelle nous devons être collectivement lucides. Quant à celle des régions, elle est stable, étant passée de 6,2 à 5,9 milliards d’euros au cours des trois dernières années.
Si certaines régions, certains EPCI et certaines communes connaissent des difficultés et sont moins avantagés que d’autres – c’est tout à fait vrai –, la situation est donc globalement stable pour la plupart de ces collectivités. Celle des départements, en revanche, est très dégradée, leurs recettes étant en forte baisse et leurs dépenses en forte hausse. Passé le diagnostic, il nous faut conduire un travail collectif, trouver un compromis et établir une prévisibilité, plutôt que de prononcer de grandes phrases qui ne font ni honneur, ni justice au travail des dizaines de milliers d’élus, qui sont des acteurs responsables et qui, eu égard à leur autonomie de gestion que nous devons respecter, ne sont pas des filiales de l’État. J’insiste : nous devons créer un cadre de prévisibilité pluriannuel.
M. le président Éric Coquerel. Je précise que le passage de 6,1 à 5,8 % de déficit, chiffres qui figuraient également dans les tableaux présentés par François Rebsamen hier, n’est pas tant le fruit d’un effort accru que de prévisions problématiques – cela a été largement documenté. En juillet dernier, le déficit des collectivités devait atteindre 16 milliards d’euros, un chiffre qui ne voulait rien dire, mais il ne s’est finalement élevé qu’à 7 milliards d’euros.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Monsieur le ministre, vous avez indiqué que les Français sont inquiets pour leur retraite. C’est vrai, mais ils le sont aussi au sujet des conditions dans lesquelles ils vieilliront. Ce qui les rassurerait aussi, c’est de bénéficier d’un modèle économique et social leur permettant de vieillir à domicile ou en Ehpad.
Vous avez également reconnu que le logement social avait du mal à repartir. Aux éléments d’explication que vous avez donnés, j’ajouterai celui, tout simple, de la suppression de la taxe d’habitation. Désormais, un maire préfère avoir des zones économiques et des propriétaires dans sa commune plutôt que des locataires qui ne payent pas d’impôts locaux.
Troisièmement, je vous remercie, madame la ministre, d’avoir dit que les dépenses fiscales sont avant tout des dépenses. Nous sommes plusieurs, depuis quelques années, à déposer des amendements relatifs à certaines niches dont bénéficient les entreprises ou les ménages. Rapporteure de la mission Remboursements et dégrèvements, je documente assez bien certains crédits d’impôt tels que ceux relatifs à la recherche ou à l’emploi à domicile, me fondant sur les rapports de la Cour des comptes, du Conseil des prélèvements obligatoires et de France Stratégie, qui vont tous dans le même sens. Sur les 467 niches fiscales existantes, certaines sont inefficientes et je ne comprends pas pourquoi nous ne parvenons pas à revoir le plafond de certaines, comme le font tous les autres pays. Comment, par exemple, le montant du crédit d’impôt recherche est-il passé de 2,7 à 8 milliards d’euros en quelques années ? S’agissant de l’emploi à domicile, le crédit d’impôt s’élève à 50 % des dépenses engagées. Je défends bec et ongles sa conservation pour la garde d’enfant ou les personnes âgées, mais je m’étonne que nous ne puissions pas l’abaisser ne serait-ce qu’à 40 % pour l’entretien des espaces verts, par exemple. J’avais déposé un amendement en ce sens, car une telle niche est incompréhensible dans notre situation budgétaire.
Enfin, contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur Lombard, la concertation sur le seuil de franchise de TVA pour les microentrepreneurs n’a pas abouti et un équilibre n’a pas été trouvé. La ministre déléguée Véronique Louwagie devait nous réunir au sujet de l’amendement déposé au projet de loi de simplification économique et qui a été déclaré irrecevable, comme tous ceux d’ailleurs que nous avions déposés – nous sommes plus de 200 à l’avoir fait – pour revenir à la situation antérieure au 1er janvier 2025. Le Sénat, qui vient de conclure une mission flash, dit lui-même que la situation est intenable. Comme vous n’aurez pas de véhicule législatif approprié d’ici au 1er juin pour y remédier, annoncez aux autoentrepreneurs qui sont dans l’attente que nous réglerons le problème lors de l’examen du PLF pour 2026.
M. Éric Lombard, ministre. Pour faire court, car notre réunion touche à sa fin, je partage largement vos propos au sujet du vieillissement, je vous ai entendue en ce qui concerne le logement social, je laisserai Mme la ministre répondre sur les dépenses fiscales et j’ai noté votre appel concernant les microentreprises et les mesures à prendre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. En un mot, sachez que je serai ravie de travailler avec vous à l’évaluation détaillée des dépenses fiscales, afin que nous concentrions l’argent, qui n’est pas de l’argent public mais l’argent des Français, sur des mécanismes incitatifs, redistributifs et efficaces. Il faut que nous conservions les dispositifs qui bénéficient à beaucoup et que nous nous assurions de l’efficacité de ceux qui ne bénéficient qu’à quelques-uns.
M. le président Éric Coquerel. Christine Pirès Beaune a raison de rappeler que les travaux des rapporteurs spéciaux et des missions d’information contiennent souvent des éléments très intéressants, dont nous ne tenons pas suffisamment compte.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 16 avril 2025 à 13 heures 30
Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Mathilde Feld, Mme Marina Ferrari, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Tristan Lahais, M. Mathieu Lefèvre, M. Corentin Le Fur, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, Mme Christine Pirès Beaune, M. Nicolas Ray, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Charles Sitzenstuhl, M. Jean-Philippe Tanguy
Excusés. - M. Mickaël Bouloux, M. Thomas Cazenave, M. Thierry Liger