Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

 

  Commission d’évaluation des politiques publiques relatives à l’exécution budgétaire de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et du compte d’affectation spéciale Développement agricole et rural : audition de Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire              2

  Présence en réunion...........................22


Mercredi
14 mai 2025

Séance de 21 heures

Compte rendu n° 110

session ordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. Éric Coquerel,

Président

 

 


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La commission, réunie en commission d’évaluation des politiques publiques, procède à l’audition de Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. le président Éric Coquerel. Madame la ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen des politiques publiques relatives à la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales, ainsi que du compte d’affectation spéciale développement agricole et rural. Madame Annie Genevard, vous avez la parole sur l’exécution budgétaire de cette mission.

Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Je vous remercie, monsieur le président, monsieur le rapporteur général et mesdames et messieurs les députés. Notre pays navigue au milieu des tumultes et des crises, variés dans leur forme, mais unis par une caractéristique commune, l’incertitude. Cette incertitude est géopolitique, politique et financière et un épais brouillard tend à se dresser entre nos concitoyens, l’action publique et ceux qui la dirigent.

Dans ce contexte, toutes les entreprises visant à réinjecter de la transparence dans le débat public, dont cette audition fait partie, sont essentielles. Plus particulièrement à l’heure où un effort collectif est nécessaire pour mettre un terme à la spirale de l’endettement qui asphyxie l’action publique, la transparence financière est un impératif. Nos concitoyens doivent être convaincus que chaque euro dépensé par l’État l’est efficacement et au service de l’intérêt général. Le contrat de confiance entre ceux-ci et les responsables politiques est ici en jeu. Je me prête donc bien volontiers à cet exercice pour ce qui concerne les finances du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Pour bien comprendre les ressorts de l’exécution budgétaire 2024, il est indispensable de la réinscrire dans son contexte, c’est-à-dire un contexte de crise permanente. Cette crise est économique, mais aussi morale, et chacun a pu en mesurer l’ampleur lors des deux mouvements de protestation paysans, dont l’un de grande intensité au début de l’année 2024. Ils ont révélé les plaies d’un monde agricole en quête de sens, de reconnaissance, d’une meilleure rémunération et d’une plus grande cohérence des politiques publiques.

Ensuite, le contexte climatique et sanitaire était dégradé, particulièrement pendant l’été, et marqué par des aléas météorologiques très violents – grêle, précipitation, sécheresse – ainsi que par la prolifération de maladies vectorielles comme la fièvre catarrhale ovine (FCO), l’influenza aviaire et la maladie hémorragique épizootique (MHE), qui ont grandement fragilisé de nombreuses exploitations. Ces événements ont gravement affecté la trésorerie des exploitations comme le moral des agriculteurs et ont percuté notre capacité de production nationale, très fortement pour certaines filières comme celle du blé ou du vin.

Enfin, le contexte politique et financier a été marqué par une dissolution, une censure et un resserrement budgétaire imposé par l’urgence du redressement de nos finances publiques. Chaque ministère, y compris le mien, a été conduit à contribuer à l’effort. L’enveloppe allouée à la mission agriculture, initialement dotée de 4,7 milliards d’euros, dont plus de 3,7 milliards d’euros de crédits d’intervention, a ainsi été réduite de près de 200 millions d’euros d’annulations, dont 70 millions d’euros dès février 2024.

La situation qui se présentait à mon ministère en 2024 était donc celle d’une conjonction de crises sociale, climatique, sanitaire, budgétaire et politique. Elle permet de dire, sans exagération, que l’année 2024 a été la pire année pour l’agriculture française depuis des décennies. Face à cette pluie d’urgences, l’enveloppe qui nous a été allouée a prioritairement joué le rôle de bouclier budgétaire. Face aux élevages qui, du nord au sud du pays, étaient décimés par la pression sanitaire, ma main n’a pas tremblé et une stratégie vaccinale et indemnitaire d’envergure a été conduite.

D’une part, pour freiner la diffusion des maladies vectorielles, l’État a procédé à l’achat et à la mise à disposition gratuite de près de 14 millions de doses de vaccin contre la FCO-3, pour un montant global de près de 37 millions d’euros. D’autre part, pour soutenir les éleveurs frappés de plein fouet, mon ministère a mis en place un fonds d’urgence exceptionnel de 75 millions d’euros, d’abord réservé aux pertes ovines et bovines induites par la FCO-3, puis étendu à la FCO-8 pour les pertes ovines, avec en complément la mobilisation du fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) pour les pertes bovines.

Face à une crise sanitaire exceptionnelle, l’État a su répondre par un engagement budgétaire exceptionnel. Il en va de même pour les pertes subies par les exploitations agricoles, victimes du dérèglement climatique qui poursuit son œuvre. Sans prétendre à l’exhaustivité, une série de dispositifs d’aide a été déployée : aide à l’arrachage pour les viticulteurs, aide à la reconstruction pour les victimes d’inondations et soutien à l’agriculture biologique. Ces mesures ont représenté, au total, 310 millions d’euros en 2024. Dans un contexte financier difficile, ce montant illustre la priorité absolue donnée à nos agriculteurs.

Je veux maintenant avoir une pensée pour ce viticulteur girondin qui, dans une situation financière très difficile et n’ayant pu obtenir les fonds qu’il espérait, a eu le geste ultime.

Ce contexte financier difficile m’a également amené à construire des dispositifs permettant d’accompagner nos agriculteurs dans l’épreuve, tout en soulageant les trésoreries mises à mal. À ce titre, j’ai lancé deux dispositifs d’aide à la trésorerie très attendus et salués par la profession. Des prêts conjoncturels à taux préférentiels bonifiés par l’État lancés en fin d’année dernière et des prêts structurels garantis à 70 % par l’État lancés en début d’année ont déjà permis et permettront encore aux agriculteurs de faire face aux aléas climatiques en relançant la campagne ou en consolidant leurs dettes à plus long terme. Le versement de l’ensemble de ces aides s’est fait sous plafond dans le respect des crédits alloués, ce qui témoigne du sérieux budgétaire de mon ministère.

Ces événements climatiques et sanitaires ont bien sûr représenté un coût pour les finances de l’État, mais ils ont aussi amplifié le malaise qu’exprimait le monde paysan. Cette situation m’a conduite à prendre des engagements financiers fermes dans le budget 2025, en tenant ainsi les engagements pris par l’État en début d’année 2024, c’est-à-dire la pérennisation du dispositif travailleur occasionnel demandeur d’emploi (TODE), l’incitation fiscale à l’installation, la réforme du calcul des pensions de retraite sur la base des 25 meilleures années et le maintien de la baisse de taxe sur le gazole non routier.

De plus, afin d’aider au mieux nos jeunes agriculteurs, la loi de finances 2025 autorise le cumul de l’exonération spécifique aux jeunes agriculteurs avec les réductions de cotisations maladie et famille. J’ai également annoncé au salon de l’agriculture un fonds de soutien aux jeunes viticulteurs à hauteur de 10 millions d’euros en 2025. Toutes ces mesures, qui représentent un allégement de charges de près de 500 millions d’euros, contribuent à la fois à renforcer la compétitivité de nos exploitations et l’attractivité des professions agricoles. Elles participent d’une volonté, que j’affirme clairement comme ma priorité, d’accompagner avec volontarisme la reconquête de notre souveraineté alimentaire.

C’est dans cet esprit que des moyens considérables ont été investis dans la planification écologique en 2024, grande nouveauté par rapport au budget 2023, avec 1,3 milliard d’euros en autorisations d’engagement (AE). Trois grands chantiers ont ainsi pu être financés. Le premier est celui de l’adaptation, qui est impérative pour préserver nos capacités de production face à l’inéluctable hausse des températures. Je pense au plan agriculture climat Méditerranée, doté de 30 millions d’euros et qui accompagne les filières les plus vulnérables du bassin méditerranéen, tout en favorisant leur diversification, ou encore au fonds hydraulique qui a permis de financer 48 projets de gestion innovante raisonnée de la ressource en eau pour 20 millions d’euros.

Le deuxième est le chantier de la réduction de nos émissions. Mon ministère avait en 2024 compétence sur les forêts et bois et, à ce titre, 360 millions d’euros ont été mobilisés pour l’ensemble de la filière, notamment avec 200 millions d’investissements dans les plantations. Ainsi, 46 000 hectares de forêts ont déjà été renouvelés et adaptés au changement climatique. La création du fonds pérenne de renouvellement forestier par mon prédécesseur, Marc Fesneau, permettra de poursuivre cette politique ambitieuse, désormais portée par le ministère de la transition écologique. Ces milliers d’hectares reboisés sont parmi nos plus précieux alliés dans la captation du carbone et, par conséquent, dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le troisième chantier est celui de la préservation de notre biodiversité. Le plan haie, avec 70 millions d’euros d’aide, dont 48 millions d’euros pour la plantation de 4 300 kilomètres de haie, et le Parsada, qui a mobilisé près de 150 millions d’euros, ont permis de nourrir la trajectoire de baisse de la pression chimique sur les sols, tout en multipliant les espaces favorables aux vivants. Ces crédits constituent un appui de taille à la transition écologique de notre agriculture et donc de notre pays.

J’aimerais enfin attirer votre attention sur les défis auxquels nous sommes confrontés. La France fait aujourd’hui face à deux murs : le mur de la dette financière, qui nous oblige à poursuivre vigoureusement notre entreprise de réduction des déficits, et le mur de la dette agricole, qui se traduit par la baisse de production et la perte de parts de marché à l’international. Dans les deux cas, la souveraineté nationale est en jeu. Dans un monde qui se tend chaque jour un peu plus, il est indispensable pour la France de retrouver la maîtrise de son destin, financier comme alimentaire.

Nous avons toutes les cartes en main et notre pays regorge de ressources, de compétences ainsi que de volontés prêtes à s’exprimer. Nous avons les bras, nous avons les terres et nous avons les idées. Faisons en sorte que l’année 2025 soit celle du sursaut, le sursaut d’une agriculture française conquérante qui regarde son avenir avec sérénité, un avenir plus juste, plus souverain, plus durable.

M. le président Éric Coquerel. Je me permettrai de m’associer à vos mots et à vos pensées vis-à-vis de l’agriculteur qui a mis fin à ses jours et qui, malheureusement, rejoint une liste bien trop longue d’agriculteurs qui ont fait de même ces dernières années.

Monsieur Alexandre Sabatou, vous suppléez Monsieur Vincent Trébuchet, rapporteur spécial pour la mission et le compte d’affectation spéciale, je vous donne donc la parole.

M. Alexandre Sabatou (RN), rapporteur spécial. Mon collègue Vincent Trébuchet s’excuse auprès de vous de ne pas pouvoir être ici ce soir pour vous présenter son rapport. Je serai donc exceptionnellement son porte-parole en vous lisant son intervention.

Le secteur agricole s’est mobilisé de façon tout à fait historique à l’hiver 2023-2024 et nous a montré les multiples difficultés auxquelles il fait face : rentabilité et compétitivité des exploitants, protection contre la concurrence internationale, renouvellement des générations, adaptation aux changements climatiques, transition agroécologique, etc.

L’exécution du budget 2024 appelle une remarque relative à la gestion de crise permanente dans laquelle le ministère est enfermé depuis plusieurs années. La principale ligne dédiée à la gestion des crises et des aléas de la production agricole au sein du programme 149 indique ainsi un taux d’exécution de 200 % en autorisations d’engagement et de 134 % en crédits de paiement (CP) par rapport à la prévision budgétaire initiale. Outre le dégel de la réserve de précaution et les rétablissements de crédits, ce besoin de financement supplémentaire a été couvert par redéploiement de crédits au sein du programme 149.

Madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer quelles sont les actions qui ont été minorées pour financer ces dépenses et dans quelles mesures les crédits initialement dédiés à la planification écologique ont-ils servi à financer la gestion de crise ? Au-delà de l’absence de sincérité de la prévision budgétaire pour les citoyens et les parlementaires, je ne m’explique pas ce mode de fonctionnement. Cette action est systématiquement surexécutée à des degrés variables. En 2025, avec la stagnation des budgets liés aux épizooties, je prends dès à présent le pari que cette ligne budgétaire sera encore surexécutée et que nous nous retrouverons au printemps 2026 pour en discuter à nouveau.

J’entends déjà votre argument selon lequel ces dépenses sont par nature imprévisibles, avec la FCO dans ses différents sérotypes, l’influenza aviaire, la MHE, la peste porcine africaine et les risques sur les récoltes des céréales. Nous n’avons pas besoin de notre boule de cristal pour établir que les dépenses de gestion de crise seront encore élevées l’année prochaine. J’avais d’ailleurs alerté sur ce sujet au mois d’octobre lors de nos débats sur le projet de loi de finances 2025.

Dans l’ouest du Tarn, un premier foyer de FCO-3 a été détecté au début du mois de mai 2025 dans un cheptel bovin, montrant que la maladie, jusqu’alors circonscrite aux ovins, gagne en virulence et en aire géographique. Le groupement de défense sanitaire (GDS) de la Creuse alerte sur une possible extension de la FCO-3 durant l’été 2025, appelant à une vigilance accrue et à la vaccination préventive des troupeaux. Or, avec l’épuisement des stocks publics gratuits dès début 2025, les éleveurs doivent désormais financer eux-mêmes l’achat du vaccin contre la FCO-3, un surcoût lourd pour les exploitations déjà fragilisées.

Le ministère me semble ici enfermé dans le carcan de la gestion de la crise permanente. Pourquoi ne prévoit-il pas cela dès la période de prévision budgétaire et ne soumet-il pas à l’automne à la représentation nationale un budget tenant compte de ces dépenses à venir inévitables ? Quel est le signal envoyé aux agriculteurs ? Est-ce celui de devoir se battre à nouveau pour obtenir une aide au déploiement de mesures sanitaires qui s’imposent et, par la suite, une indemnisation pour les pertes subies ?

Lors des débats sur le PLF 2025, j’avais alerté sur les difficultés à obtenir les informations relatives à l’utilisation des crédits dédiés à la planification écologique, qui représentaient 1,3 milliard d’euros en AE et 504 millions d’euros en CP. Nous sommes en mai 2025 et nous n’avons guère plus d’éléments que ceux dont nous disposions à l’automne dernier. Les rapports d’action et de performance nous enseignent que le taux d’exécution de ces actions au sein des programmes 149 et 206 a été particulièrement faible, avec une moyenne d’environ 50 %. La justification est celle de la déclinaison opérationnelle de ces dispositifs, tardivement mis à disposition des opérateurs et des services déconcentrés. Néanmoins, ces crédits ont été réduits de moitié en loi de finances pour 2025, sans attendre une évaluation précise de leurs effets. Madame la ministre, quel est l’avenir de ces crédits et, plus globalement, de ces actions, dont on ne comprend finalement ni la genèse ni le pilotage ?

Mme Annie Genevard, ministre. À mon arrivée au ministère à la fin du mois de septembre 2024, nous étions au plus fort de la crise de la FCO de sérotype 3 et 8, tandis que la MHE se déployait au sud. La vaccination avait déjà débuté, car les premiers cas étaient apparus au mois de juillet. La crise était violente et la progression de la maladie était importante.

Face à cette situation, nous avions besoin d’outils de gestion adaptés. Avec le premier ministre Michel Barnier, nous avons annoncé au sommet de l’élevage à Cournon une enveloppe budgétaire initiale de 75 millions d’euros, progressivement étendue de la FCO-3 ovin-bovin à la FCO-8 parce que les éleveurs étaient désespérés de voir les cheptels touchés mortellement par ces maladies.

Les crises ne sont jamais identifiables en termes de périmètre avant leur plein déploiement. Cependant, je partage votre analyse, monsieur le député : depuis septembre, nous avons été dans la réaction, tentant d’apporter des réponses au désespoir des éleveurs. Cependant, je ne peux me satisfaire d’un système qui nous conduit simplement à financer les vaccins, la surveillance et l’indemnisation. Ces mesures ne compensent jamais le désespoir des éleveurs qui, le matin, lorsqu’ils poussent la porte de l’étable ou quand ils vont dans leur champ, découvrent les bêtes à terre. Aucun dispositif financier ne pourra jamais compenser ce préjudice moral considérable.

J’ai donc rapidement décidé, en lien avec les filières, de lancer les assises du sanitaire avec l’espoir de reprendre le contrôle de la situation à long terme. La France est actuellement le seul pays européen à financer à la fois la vaccination et l’indemnisation, ce qui représente un effort budgétaire important. Ces mesures demandent des moyens très conséquents que nous ne serons pas toujours amenés à fournir. D’ailleurs, avec le réchauffement climatique, nous anticipons une multiplication des épizooties, comme cela s’observe déjà partout en Europe.

Les assises du sanitaire visent à partager l’information avec l’ensemble des filières, à mobiliser tous les outils de surveillance du territoire et à travailler étroitement avec les laboratoires. Nous sommes malheureusement très dépendants, sur le plan sanitaire, de laboratoires étrangers, notamment espagnols, ce qui peut entraîner des déficits de vaccins puisqu’ils fournissent d’abord leur propre population. Je collabore toutefois avec les principaux laboratoires présents sur le territoire national, les vétérinaires et les instituts de recherche, en particulier l’Inrae, pour faire progresser la technicité des vaccins, notamment avec des vaccins multicibles.

En outre, nous anticipons l’année 2025 et, monsieur le député, vous avez dit que les éleveurs devaient financer leurs vaccins pour la FCO-3. La doctrine veut que l’État finance pour les virus émergents, tandis que les éleveurs prennent en charge les virus endémiques. La FCO3 est devenue une maladie endémique, ce qui explique que le relais est pris par les éleveurs. Nous continuerons cependant à financer le vaccin contre la FCO-8, qui se propage à nouveau cette année, en privilégiant la filière ovine qui est particulièrement vulnérable.

Je collabore également avec mes homologues européens pour avoir une mise en commun de la recherche et créer une banque d’antigènes. Cependant, à l’instar de la grippe humaine, nous devons faire face chaque année à de nouvelles souches, ce qui nécessite de nouveaux vaccins et complique l’anticipation. Cette année, la FCO-3 est présente mais semble moins virulente grâce à la campagne vaccinale. Pour la FCO-8, l’État fournit des doses gratuites. Malheureusement, une nouvelle souche, la FCO-1, est apparue, et nous manquons de vaccins, car les laboratoires ne peuvent pas nous en fournir. Nous avons donc mis en place une barrière sanitaire pour limiter la propagation du virus sur l’ensemble du territoire national. Notre stratégie s’articule autour de la prévention par la vaccination et, à moyen et long terme, autour de l’apport de la recherche.

Concernant la gestion de crise, nous avons prévu des sommes qui pourraient être débloquées en cas de crise majeure. En 2024, sur le budget de la planification écologique de 1,3 milliard d’euros en autorisations d’engagement, 900 millions d’euros ont été consacrés à la planification et 300 millions d’euros redéployés vers la gestion de crise.

Nous avons tout de même pu déployer un certain nombre de crédits pour la planification écologique en 2024, notamment pour les haies et le dispositif Parsada. Ce dernier, unique en Europe, aide les filières à se préparer au retrait des substances phytosanitaires, avec un investissement de près de 150 millions d’euros. Nous y consacrerons encore des sommes importantes à l’avenir.

Je m’efforce de maintenir une planification écologique ambitieuse dans les budgets 2025 et 2026. Les dispositifs sont déjà lancés et nous serons au rendez-vous de la planification pour le plan Méditerranée et le fonds hydraulique, car cette approche est la bonne pour aborder le changement climatique.

M. le président Éric Coquerel. Au sujet de la planification écologique, je ne partage pas entièrement votre vision concernant les efforts réalisés et la préservation de certains budgets. Pour l’exercice 2024, la loi de finances prévoyait effectivement une augmentation substantielle des crédits de la mission, à hauteur de 23 %. Cette hausse s’expliquait principalement par la budgétisation de nouvelles actions dédiées à la planification écologique, avec 1,3 milliard d’euros en AE et 744 millions d’euros en CP, répartis entre le programme 149 Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt et le programme 206 Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation.

Cependant, seule la moitié de ces crédits a été effectivement décaissée. Je me permets de citer le rapporteur spécial qui évoquait un « pilotage erratique » – sans vous en attribuer la responsabilité, étant donné que vous n’étiez pas présente à ce moment – des crédits de la planification écologique, qui n’ont pas fait l’objet d’une étude préalable à leur déploiement et n’ont pu être décaissés.

Les crédits alloués à la planification écologique pour 2025 ont donc été réduits par deux. Bien que vous nous assuriez d’une dynamique inverse pour 2026, j’aimerais obtenir davantage de précisions. Allons-nous revenir sur cette diminution ?

Nous ne pouvons nous contenter de réagir aux effets du dérèglement climatique, notamment face aux épizooties, et j’ajouterais que nous ne pouvons nous contenter du développement d’un certain mode de production agricole intensive. Favoriser la planification écologique constitue également un moyen de sortir de cette gestion de crise permanente dans laquelle se trouve le ministère, une situation qui ne permet pas, par ailleurs, d’indemniser adéquatement les agriculteurs.

Concernant l’indemnisation, vous avez souligné que la France était le seul pays à financer les vaccins et à indemniser. Toutefois, ne pensez-vous pas que les mesures actuelles demeurent insuffisantes ? Face aux épidémies de FCO et de MHE, la Confédération paysanne estimait les besoins à 300 millions d’euros, alors que seuls 100 millions ont été débloqués. Malgré l’effort consenti, ne considérez-vous pas que les 75 millions supplémentaires restent largement insuffisants ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer pourquoi l’indicateur relatif à la part des superficies cultivées en agriculture biologique pour l’exercice 2024 ne sera disponible qu’à partir de juin 2025 ? La cible pour 2024 était fixée à 15 %, mais il semble que le taux de réalisation pour 2023, s’établissant à 10,4 %, rende impossible l’atteinte de cet objectif, tout comme celui de 18 % en 2027 ou de 25 % en 2030 prévus par la stratégie européenne « de la ferme à la fourchette ». La programmation budgétaire de 18 millions d’euros pour le fonds Avenir Bio paraît insuffisante pour combler ce retard.

Enfin, vous avez déclaré en janvier qu’il serait pertinent de supprimer l’Agence Bio. Heureusement, l’Assemblée n’a pas suivi cette recommandation. Je considère, au contraire, que non seulement cette décision serait désastreuse, mais qu’elle s’inscrirait dans une tendance qui fragiliserait considérablement cette filière. Devons-nous en conclure que vous avez renoncé à une ambition pourtant réaffirmée en mars dans la loi d’orientation ?

Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison de souligner l’importance du projet de loi de finances 2024 en matière de crédits dédiés à la planification écologique. Le montant de 1,3 milliard d’euros en autorisations d’engagement représente effectivement une hausse considérable, que vous avez chiffrée à 23 %. Les crédits de paiement s’élèvent quant à eux à 743 millions d’euros et le budget a été réduit de moitié pour 2026.

Cette décision prise par le législateur exprimait une ambition, bien que l’affectation précise à des programmes spécifiques n’ait pas été entièrement définie. Une partie de ce budget a d’ailleurs effectivement été allouée à la gestion de crise. Néanmoins, une part importante a été consacrée aux objectifs initialement prévus, comme ceux relatifs au plan haie, au plan Protéines, sur le plan des agroéquipements de précision, au Parsada ou encore au Praam, un dispositif visant à accompagner les entreprises qui prennent des risques pour cultiver autrement.

Cependant, il est vrai que l’intégralité des sommes n’a pas fait l’objet d’une affectation ou d’une dépense. Dans un contexte de restrictions budgétaires, ces fonds ont naturellement été sollicités pour contribuer aux économies nécessaires lors de l’élaboration du budget. Toutefois, nous ne renonçons pas, et ne renoncerons pas, à certains fondamentaux. Par ailleurs, une partie des crédits a également été allouée à la forêt, sortant ainsi du périmètre de mon ministère. Il convient donc de prendre en compte cette répartition entre les ministères.

Concernant les modes de production intensifs qui auraient selon vous ma faveur, je pense que nous sommes peut-être plus en accord que vous ne le supposez. Je considère qu’il est possible d’encourager la production sans tomber dans une logique productiviste. Notre mode d’élevage est, dans l’ensemble, très extensif. Récemment, nous avons beaucoup parlé du comté et son cahier des charges vient encore d’être renforcé. De plus, nous avons augmenté la surface de pâturage des animaux.

Je tiens à rappeler que l’élevage est bénéfique pour l’environnement à plusieurs égards. D’abord, il permet un couvert permanent, ce qui est positif pour l’environnement. Ensuite, il contribue à la captation de carbone, avec une efficacité comparable à celle de la forêt. Enfin, l’enrichissement naturel des terres de pâturage est également bénéfique pour l’environnement. Nous devons produire pour nourrir et nous savons que nous sommes en déficit de souveraineté alimentaire dans de trop nombreuses filières. Par conséquent, je pense qu’il existe encore des marges de manœuvre.

Je voudrais maintenant insister sur l’importance essentielle de concilier environnement et agriculture. Ni moi, ni mon prédécesseur, ni beaucoup d’entre vous ne considérons qu’il est impossible de les concilier de manière intelligente et équilibrée. Cependant, je m’oppose fermement à une remise en cause systématique de l’agriculture, qui serait présentée comme hostile à l’environnement. Cette vision ne correspond pas à la réalité que je connais de l’agriculture et je crois qu’aujourd’hui, de plus en plus d’agriculteurs sont conscients des enjeux.

Concernant le budget de gestion des épizooties, vous vous appuyez sur l’évaluation de la Confédération paysanne qui estime les besoins à 300 millions d’euros. Je pense précisément que si nous parvenons à mieux anticiper les épizooties, le budget devrait diminuer. Pour l’année 2024-2025, la vaccination a été budgétée et dépensée à hauteur de 109 millions d’euros. Pour 2025-2026, nous prévoyons un budget de 62 millions d’euros. L’indemnisation des pertes directes sur l’ensemble des filières s’élève quant à elle à 87 millions d’euros. En cumulant ces sommes sur les mêmes années, nous nous approchons donc des 300 millions, même si nous n’atteignons pas exactement ce montant.

Par ailleurs, le secteur de l’agriculture biologique fait face ces dernières années à une crise à la fois conjoncturelle et structurelle. La baisse de la consommation de produits bio par les ménages, notamment en raison de l’inflation sur les prix alimentaires, a effectivement entraîné une diminution de 12 % des ventes en 2023 par rapport à 2022. Une amélioration de la fréquentation des magasins spécialisés bio se profile toutefois pour 2025. L’engagement financier de 5 millions d’euros du ministère pour l’Agence Bio, destiné à déployer une campagne de communication d’envergure, devrait d’ailleurs contribuer à soutenir cette fréquentation. L’agriculture biologique demeure un axe fondamental de notre politique agricole qui vise à concilier souveraineté alimentaire et transition écologique. Le gouvernement n’a jamais cessé son soutien au secteur bio durant cette période difficile.

Nous avons ainsi déployé deux aides d’urgence de trésorerie, c’est-à-dire 104 millions d’euros en 2023 et 103 millions d’euros en 2024. De plus, des aides pérennes au maintien des exploitations bio ont été accordées via la revalorisation du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique jusqu’à fin 2025, ainsi qu’au travers de l’écorégime pour plus de 50 millions d’euros. Des aides à la conversion sont également attribuées via le plan stratégique national (PSN).

Dans le cadre de la planification écologique, un soutien spécifique a été accordé au bio en 2024 pour permettre de renforcer le fonds Avenir Bio à hauteur de 16,4 millions d’euros pour le déploiement de projets structurants et la réalisation de la campagne de communication. Les objectifs Egalim constituent également un levier pour soutenir la consommation de produits bio. L’État poursuit aussi ses efforts pour atteindre 20 % de produits issus de l’agriculture biologique en restauration collective.

Concernant les perspectives budgétaires pour 2025, les aides pérennes au maintien et à la conversion seront maintenues. De plus, j’ai veillé à ce que des crédits soient conservés pour le fonds Avenir Bio, bien qu’à un niveau inférieur à celui de 2024 en raison des restrictions budgétaires et du tarissement des crédits de la planification écologique. Ainsi, 8,8 millions d’euros seront alloués à cet effet en 2025, contre le double en 2024.

Quant à l’ambition de convertir, la loi fixe actuellement un objectif de 21 %. Vous avez évoqué une cible de 25 % pour 2030, alors que nous sommes aujourd’hui à 10 %. Bien que nous soyons loin de l’objectif, nous n’avons pas revu nos ambitions à la baisse. Cette position a été réaffirmée dans la loi d’orientation agricole, ce qui démontre notre confiance et notre soutien au secteur bio. J’ai choisi de ne pas abaisser cet objectif malgré les suggestions de certains, car cette démarche aurait pu être interprétée comme un affaiblissement de notre engagement.

Enfin, je ne me suis pas prononcée en faveur de la suppression de l’Agence Bio. J’ai simplement répondu à un amendement sénatorial qui préconisait sa suppression par fusion, en précisant que la question était pertinente et méritait d’être étudiée. Cependant, lorsqu’il a fallu trancher, j’ai opté pour le maintien de l’Agence Bio.

M. le président Éric Coquerel. J’espère que nous observerons la même tendance pour 2026. Concernant le comté, nous serons d’accord pour dire que la généralisation de son mode d’organisation, d’exploitation et de respect du produit ainsi que de la nature nous satisferait.

M. Charles de Courson (LIOT), rapporteur général. Premièrement, concernant les apurements des comptes de l’État français par l’Union européenne, nous avions 157 millions de refus d’apurements en 2024. Pouvez-vous nous informer de la situation actuelle ? Les crédits ouverts sont-ils suffisants pour apurer notre compte ? Les recommandations de la Cour des comptes ont-elles été mises en œuvre et ont-elles porté leurs fruits ?

Deuxièmement, au sujet de la dette de l’État envers la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), notamment au titre du TODE, une dette d’environ 120 millions était constatée fin 2023. Qu’en est-il à fin 2024 ? Êtes-vous susceptible d’apurer cette dette ?

Troisièmement, la MSA sera-t-elle prête à effectuer les liquidations selon les nouvelles modalités, c’est-à-dire sur la base des 25 meilleures années, au 1er janvier 2026 ? Des difficultés importantes de reconstitution de carrière ont en effet été rencontrées.

Quatrièmement, des groupes de travail se penchent sur la réforme de l’assiette des cotisations sociales des exploitants agricoles. Où en est cette réflexion ?

Mme Annie Genevard, ministre. Concernant le refus d’apurement communautaire, vous savez que, chaque année, des sommes importantes d’aides européennes font l’objet d’un refus d’apurement. La Commission européenne refuse en effet parfois de verser les montants prévus à la suite d’inspections lorsqu’elle estime que les conditions nécessaires ne sont pas remplies. Je suis consciente de la rigueur de la Commission européenne dans ce domaine, ayant moi-même été confrontée à des remboursements partiels de fonds européens lorsque j’étais élue locale.

Le budget de mon ministère prévoit une provision pour aléa destinée à rembourser les décisions de refus d’apurement. Vous mentionnez 157 millions d’euros en 2024 et, pour 2025, nous ne disposons pas encore des chiffres exacts, mais nous avons déjà connaissance de deux décisions de refus d’apurement pour un total de 85 millions d’euros. Ces décisions concernent principalement les mesures relatives à la restructuration et à la reconversion des vignobles, le soutien couplé et les actions de promotion. Nous nous efforçons toutefois de minimiser le risque de refus d’apurement chaque année, étant donné que ces charges ne sont pas forcément toujours les bienvenues.

Concernant la dette de l’État envers la MSA, le dispositif TODE prévoit une compensation financière par l’État auprès de la MSA et de l’Unedic, qui est imputée sur les crédits de la mission agriculture. En 2024, le montant versé s’est élevé à 598 millions d’euros, dont 523 millions d’euros pour la MSA et 75 millions d’euros pour l’Unedic. La Cour des comptes a effectivement évoqué la dette de l’État envers la MSA et le montant versé à la MSA ainsi qu’à l’Unedic n’est connu qu’après l’exercice de construction budgétaire, ce qui peut entraîner un décalage avec le montant inscrit en loi de finances.

À la fin de 2023, ce différentiel au titre du dispositif TODE s’élevait à 120 millions d’euros. En 2024, un effort de rebudgétisation a été engagé, ce qui a réduit la dette envers la MSA de près de 20 millions d’euros, la ramenant à 103 millions d’euros au 31 décembre 2024. Cet effort sera poursuivi dans les années à venir. Le terme « dette » peut cependant sembler impropre, car il s’agit plutôt d’un montant dû résultant de temporalités différentes entre la construction budgétaire et le moment où la MSA nous communique ses besoins.

Concernant la réforme des retraites, j’ai interrogé la MSA pour m’assurer qu’elle serait prête à la délivrance des retraites basées sur les 25 meilleures années au 1er janvier 2026. Cette préoccupation était présente lors du vote de la loi parce que la MSA avait indiqué qu’elle ne pouvait pas mettre en œuvre immédiatement la réforme pour les agriculteurs. Nous étions naturellement soucieux que la réforme puisse être appliquée au terme des deux années supplémentaires demandées. Des points d’étape réguliers sont faits et, lors du dernier échange entre les services qui s’est tenu le 12 mai, il a été constaté que les différents chantiers avançaient au rythme prévu pour une mise en œuvre au 1er janvier 2026 des premières liquidations selon les nouvelles modalités.

Un des points les plus techniques et délicats sera l’alimentation par la MSA du registre des carrières uniques du régime général pour permettre la liquidation des droits des assurés polypensionnés selon les nouvelles règles de calcul.

S’agissant de la réforme de l’assiette des cotisations, dite assiette du super brut, elle prévoit que les cotisations et contributions sociales des exploitants seront assises sur une assiette unique à partir du 1er janvier 2026. Elle se basera sur le revenu professionnel de l’exploitant, à savoir le chiffre d’affaires duquel seront déduites les charges professionnelles hors cotisations et contributions sociales, le tout diminué d’un abattement forfaitaire de 26 %, qui ne pourra être inférieur à un montant plancher fixé à 1,76 % du Pass ni être supérieur à un montant plafond fixé à 130 % du Pass. Cette nouvelle assiette entraîne la diminution du mouvement de la CSGCRDS. En contrepartie, les cotisations sociales augmentent de manière à garantir davantage de droits sociaux aux agriculteurs, notamment en matière de retraite de base et complémentaire. Compte tenu de la sensibilité du sujet, j’attacherai la plus grande vigilance au suivi de ces chantiers pour lesquels les services compétents se sont mis en ordre de marche.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). La politique agricole commune représente le premier poste de dépenses européennes, soit 37 % du budget de l’Union européenne, et repose sur deux piliers. Le premier est financé par le Fonds européen agricole de garantie et concerne les aides directes et les dépenses de marché. Le second est quant à lui financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural et des cofinancements nationaux.

Sur le terrain, les agriculteurs sont confrontés à une usine à gaz technocratique : déclaration complexe sur Telepac qui nécessite de faire appel à des intermédiaires souvent rémunérés, exigences environnementales irréalistes, critères sociaux inapplicables, retard de paiement massif et aides régionales toujours bloquées dans plusieurs territoires, faute d’instructions. La complexité de la PAC et l’impression d’une logique administrative sans lien avec les contraintes de leur métier pousseraient même désormais certains exploitants agricoles à renoncer à l’accès aux aides de la PAC, à changer de métier ou, pour les jeunes générations, à renoncer à des projets d’installation. Pire encore, ceux qui ont cru à vos engagements écologiques se voient pénalisés par une baisse rétroactive des montants de l’écorégime. Le sentiment d’abandon, voire de trahison, est immense.

Alors que la France est le premier bénéficiaire de la PAC et en reste pourtant un contributeur net au budget européen, nos agriculteurs doivent aujourd’hui quémander leurs aides dans un labyrinthe administratif inhumain pendant que l’argent public file vers d’autres priorités que la souveraineté alimentaire. Madame la ministre, combien de temps encore allez-vous laisser une minorité hors-sol bruxelloise et votre propre administration saboter notre modèle agricole ? Quand rétablirez-vous une gestion nationale simple, équitable et efficace de la PAC au service de nos agriculteurs, et non contre eux ?

Mme Annie Genevard, ministre. Vous avez raison de rappeler que la politique agricole commune représente le premier budget européen. Chaque fois que je visite une exploitation agricole, on me prépare une petite fiche avec le récapitulatif de toutes les aides touchées par l’exploitation. Je mesure donc à chaque fois la part des aides européennes dans le fonctionnement économique des exploitations. Nous sommes très attachés à cette politique et Michel Barnier avait coutume de parler d’une politique d’avenir. Il avait raison, car celle-ci touche tous les territoires et toutes les populations. Sans la politique agricole, nous n’aurions plus une agriculture aussi performante. Je rappelle d’ailleurs que l’agriculture française est la première agriculture européenne et je suis très attachée à la politique agricole commune ainsi qu’à sa répartition, en deux piliers, dont le premier est dédié aux revenus des agriculteurs.

En outre, je partage une partie de vos vues sur le fait que cette politique induit beaucoup de complexité. Nous préparons pour le moment la future PAC et tous les ministres de l’agriculture de l’Union européenne ont conclu à un besoin de simplification. Dès que je suis arrivée, j’ai mené un certain nombre de simplifications à ce sujet. En effet, j’ai pris la décision que tous les agriculteurs touchent leurs aides PAC, même s’ils faisaient l’objet de contrôles. Le contrôle est normal, mais il était problématique d’attendre qu’il soit terminé pour que l’agriculteur touche ses aides.

De même, j’ai fait en sorte que les agriculteurs connaissent en temps réel les feux verts et les feux rouges pour pouvoir contrôler, sur leur propre exploitation, les conditions de délivrance des aides.

Sur les aides régionales bloquées, je suis bien au courant de la situation et l’État a apporté sa contribution. Nous avons délégué du personnel, financé par les régions, pour aider celles d’entre elles qui étaient en difficulté. Pour rappel, elles ont hérité de la gestion des aides européennes et certaines n’étaient pas outillées pour le faire, ce qui a généré du retard.

Par ailleurs, madame la députée, je ne peux pas accepter de vous entendre dire que l’administration nationale et européenne sabote notre agriculture. Le dévouement au service de l’agriculture des personnels de mon ministère est très important et je ne peux pas vous laisser faire une telle analyse si éloignée de la réalité. Toutefois, il est vrai qu’il existe des marges de progrès en matière de simplification, car les agriculteurs s’épuisent dans des tâches administratives dont nous devons les soulager.

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je voudrais d’abord souligner et saluer certains points de l’exécution 2024. Un record d’exécution a été établi avec 5,17 milliards d’euros engagés et 95 % des crédits ont été consommés pour l’ensemble de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales. Le programme 206 Sécurité sanitaire a financé sans retard les campagnes contre l’influenza aviaire et la MHE, atteignant 102,6 % de l’exécution en AE et 96 % des CP. Le compte d’affectation spéciale développement agricole et rural enregistre quant à lui un excédent cumulé de 142 millions d’euros, offrant des marges de manœuvre pour la transition écologique. Pour sa part, le programme 776 a consacré 15,6 millions d’euros à trois appels à projets, dont celui sur le dépérissement du vignoble, salué par la profession.

Madame la ministre, je vous sais très sensibilisée aux problèmes de la viticulture française. Les aléas climatiques, en particulier sur le vignoble gascon, sont maintenant devenus systématiques, et s’y ajoutent la baisse de la consommation ainsi que les obstacles à l’exportation qui sont extrêmement importants avec les menaces chinoises et américaines.

Lors de la loi de fin de gestion, la représentation nationale a voté un fonds de 20 millions d’euros, tant la crise est profonde pour les viticulteurs. Il s’agit d’un des rares amendements passés en CMP à l’unanimité des sénateurs et des députés. Ces 20 millions d’euros ont été reportés en 2025, selon un engagement de la ministre du budget. Or je ne vois toujours pas de décret prévu sur l’utilisation de ce montant en 2025. Avez-vous des précisions à apporter à ce sujet ?

Mme Annie Genevard, ministre. Je vous remercie d’avoir souligné le bon taux de consommation des différents programmes, qui témoigne de notre engagement soutenu tout au long de l’année 2024. Par ailleurs, la viticulture est actuellement l’un des secteurs les plus affectés de l’agriculture. En effet, des territoires entiers sont impactés, particulièrement en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie.

Premièrement, le changement climatique engendre des phénomènes météorologiques extrêmes tels que la grêle, la sécheresse, et, actuellement, un excès d’eau favorisant la prolifération du mildiou à un niveau très important. Deuxièmement, nous observons une évolution des habitudes de consommation, notamment une diminution de la consommation de vin, en particulier de vin rouge. Parallèlement, nous faisons face à une production qui ne correspond pas aux capacités d’absorption du marché. Enfin, les tensions géopolitiques nous privent de certains marchés.

Cette conjonction de facteurs crée une situation extrêmement préoccupante qui combine des problèmes structurels et conjoncturels. Parmi les difficultés structurelles, nous constatons une fragilité du système coopératif, qui a longtemps soutenu la viticulture française.

Vous vous inquiétez en outre de la réalité d’un amendement que vous avez fait adopter en 2024, prévoyant 20 millions d’euros de soutien à la viticulture. Ce montant a été adopté en fin de gestion 2024 et nous avons sollicité son report sur 2025, mais cette demande n’a malheureusement pas abouti. Ces fonds ne figurent donc pas dans le budget 2025. La censure du gouvernement a considérablement perturbé l’exécution budgétaire, ce qui s’est ajouté aux restrictions budgétaires que nous avons dû appliquer.

Néanmoins, nous fournissons des efforts en faveur de la viticulture. En 2024, nous avons alloué, et quasiment entièrement déboursé, 120 millions d’euros, dont 110 millions pour l’arrachage viticole afin de diminuer la production. Nous avons également accordé des prêts structurels pour soutenir la trésorerie des exploitations et octroyé 10 millions d’euros spécifiquement aux jeunes agriculteurs, avec un accent particulier sur les jeunes viticulteurs. S’ajoutent à cela les 10 millions destinés aux caves coopératives, conformément à l’amendement que vous avez fait adopter.

Dans cette optique, j’ai confié au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) une mission sur la restructuration des caves coopératives. Ainsi, sur les 30 millions d’euros initialement espérés, nous délivrons 20 millions d’euros : 10 millions pour les caves coopératives et 10 millions déjà en cours de versement pour les jeunes agriculteurs. Une enveloppe a également été allouée aux pépinières, c’est-à-dire aux producteurs de ceps de vigne.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). L’année 2024 a marqué une prise de conscience collective, tant de la part des Français que des pouvoirs publics, concernant la présence massive des PFAS, ou polluants persistants, dans l’eau, dans l’air ou dans nos organismes. L’agriculture n’échappe pas à cette contamination, que ce soit par l’utilisation de produits phytosanitaires ou par l’épandage de boues d’épuration contenant des PFAS sur les terres agricoles.

Actuellement, 30 substances actives de PFAS sont autorisées dans les pesticides, avec des ventes atteignant plus de 2 300 tonnes en 2021, soit un triplement par rapport à 2008. Parmi ces substances, le flufénacet et le diflufénican, des herbicides classés comme très persistants, sont pulvérisés en plein champ malgré les risques sanitaires connus, notamment l’augmentation significative des risques de certains cancers, en particulier des reins, des testicules et du foie.

En 2020, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a alerté sur les effets néfastes de ces substances sur la santé. L’Agence européenne pour l’environnement (AEE) a également mis en lumière des risques accrus de maladies thyroïdiennes, d’obésité et de troubles de la fertilité. Plus récemment, en novembre 2024, un groupe de travail du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a classé le PFOA, l’un des PFAS les plus connus, comme cancérogène pour l’humain.

Malgré ces données alarmantes, aucune réglementation n’interdit l’utilisation de PFAS dans les cultures alimentaires, alors même que ces substances s’infiltrent durablement dans les nappes phréatiques et les aliments que nous consommons. À ce titre, j’interviendrai en juin prochain devant la Conférence des Nations unies sur l’océan pour aborder cette problématique.

Madame la ministre, vous affirmez que la France doit faire face. Cependant, il est regrettable que, sur l’exercice budgétaire 2024, aucune mesure n’ait été prise pour financer et soutenir nos agriculteurs dans l’élimination de ces poisons de nos cultures. Votre ministère envisage-t-il des mesures immédiates, telles qu’un moratoire sur l’épandage des boues contaminées – comme cela serait nécessaire dans mon département du Rhône – ou sur l’utilisation des produits contenant des PFAS, afin de protéger la santé des habitants de notre pays ? Madame la ministre, je suis convaincu que les PFAS représentent pour le XXIe siècle ce que l’amiante a été pour le XXe siècle.

Mme Annie Genevard, ministre. Cette question s’adresse à la fois aux ministres de la transition écologique et de l’agriculture. La protection des puits de captage est effectivement une nécessité, étant donné leur rôle dans l’approvisionnement en eau potable, et je sais que ma collègue ministre de la transition écologique y accorde une attention toute particulière. La question de la contamination de ces puits doit être examinée avec la plus grande vigilance, en distinguant les contaminations héritées du passé par des substances qui ne sont plus utilisées de celles qui pourraient survenir actuellement.

Concernant l’épandage des boues, lorsque j’étais maire et qu’il m’a un jour été dit que les boues n’étaient plus conformes, nous avons arrêté de les épandre. En effet, ces boues sont contrôlées de près et l’épandage est interdit en cas de contamination.

Quant au volume de produits phytosanitaires vendus, je vais prendre l’exemple de la filière noisette : l’interdiction de l’acétamipride a conduit à son remplacement par une multitude d’autres produits dont les interactions sont encore mal maîtrisées. Les producteurs eux-mêmes expriment leur inconfort face aux alternatives proposées. Ainsi, la simple considération du tonnage ne suffit pas à appréhender la complexité du sujet.

Il est évident qu’aider les agriculteurs correspond à les amener à d’autres pratiques. Ils ont déjà réalisé énormément d’efforts et, récemment, avec mes collègues ministres de la transition écologique, de la santé et de la recherche, nous avons dressé un premier bilan du plan Écophyto, en vigueur depuis un an. Nous avons constaté une réduction de 36 % de produits phytosanitaires, ce qui n’est pas suffisant, mais tout de même significatif. Nous devons donc encore continuer dans cette voie.

Par ailleurs, un plan de surveillance des PFAS dans l’alimentation est en cours. La direction générale de l’alimentation (DGAL) de mon ministère prévoit 400 prélèvements en 2025, soit dix fois plus qu’auparavant, et nous aurons une évaluation par l’Anses. En outre, l’évaluation du flufénacet par l’Efsa est en cours et celui-ci ne sera pas renouvelé au printemps. Il existe un délai de grâce de 18 mois pour permettre aux filières de s’adapter, mais ce produit ne sera plus utilisé.

Je tiens enfin à souligner l’importance d’accompagner les agriculteurs dans cette transition. Celle-ci est exigeante, impacte les rendements et peut parfois générer un sentiment d’impuissance. Elle entraîne donc des répercussions considérables sur le moral des agriculteurs.

M. Christian Baptiste (SOC). Le rapport budgétaire révèle un aveuglement profond et persistant de l’État à l’égard des territoires ultramarins, particulièrement de la Guadeloupe. Dans les milliards d’euros mobilisés pour les programmes agricoles, où les crédits réellement fléchés vers la souveraineté alimentaire de nos territoires sont-ils ? Où la stratégie ciblée pour libérer la Guadeloupe de sa dépendance à 80 % aux importations alimentaires se trouve-t-elle ? Nous réclamons une politique cohérente, ancrée dans nos réalités géographiques, économiques et environnementales. La Guadeloupe possède les terres, les talents et la volonté nécessaires. Cependant, il manque une vision étatique qui se traduirait dans les budgets.

Nous constatons l’existence d’une programmation nationale uniforme et technocratique, oubliant que l’outre-mer constitue un front stratégique de notre souveraineté alimentaire. De plus, le silence budgétaire sur la question du chlordécone est inquiétant. Il faut avoir le courage d’affronter la vérité : l’impact du chlordécone est massivement agricole. Or, dans la mission agriculture que nous évaluons aujourd’hui, cette réalité est quasiment absente. Rien n’est prévu pour accompagner les agriculteurs contraints de se détourner de leurs terres contaminées et rien de clair n’est communiqué sur les aides à la reconversion, à la transition agroécologique ainsi qu’à la régénération des sols.

Je ne vous accuse pas d’inaction, madame la ministre, mais d’incohérence. On ne peut pas à la fois affirmer que la souveraineté alimentaire est un impératif stratégique et ignorer ceux qui luttent pour produire sainement, localement et durablement, malgré les séquelles d’un scandale d’État. Nous avons besoin d’un pilotage unifié, d’une ambition claire et surtout de crédits visibles.

Quand la politique agricole nationale assumera-t-elle pleinement sa responsabilité dans la réparation du préjudice causé par le chlordécone ? Quand la mission agriculture, qui compte près de 5 milliards d’euros, réservera-t-elle enfin une part juste à nos agriculteurs antillais ? La Guadeloupe ne peut continuer à vivre sous perfusion alimentaire et institutionnelle. Nous réclamons un plan agricole spécifique pour l’outre-mer, adossé à une volonté politique forte, à des crédits identifiés et à une évaluation transparente. Nous ne voulons pas de simples ajustements ou des annonces, mais une véritable politique agricole.

Mme Annie Genevard, ministre. Je partage votre préoccupation concernant la dépendance alimentaire à hauteur de 75 % à 80 %. La diversification et l’autoproduction constituent effectivement une orientation stratégique primordiale, bien que la conversion ne soit pas aisée.

Par ailleurs, le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé en Guadeloupe et en Martinique de 1972 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier. Son ampleur et sa persistance dans le temps et les sols en font un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social majeur pour les Antilles. L’objectif est de combattre la présence et la consommation de cette molécule toxique, responsable d’une augmentation des cancers et susceptible de contaminer les denrées végétales, animales ainsi que les milieux aquatiques.

L’État a reconnu sans ambiguïté sa responsabilité dans cette pollution, ayant répondu favorablement à la demande des exploitants bananiers de prolonger l’utilisation de cette substance de manière dérogatoire jusqu’en 1993.

Toutefois, la lutte contre la pollution au chlordécone s’est structurée autour de quatre plans nationaux depuis 2008. Le plan chlordécone 1, couvrant la période 2008-2010, a commencé les premières actions d’évaluation de l’impact sanitaire et environnemental du chlordécone, ainsi que la surveillance de la qualité des eaux et des sols. Le plan chlordécone 2, couvrant la période 2011-2013, a poursuivi ces actions de surveillance et d’accompagnement des populations exposées, tout en renforçant les contrôles sanitaires et le soutien aux filières agricoles affectées. Le plan chlordécone 3, couvrant la période 2014-2020, a établi une cartographie des zones polluées et mis en place un accompagnement des professionnels agriculteurs et pêcheurs, ainsi que des programmes de sensibilisation et de protection des populations.

Actuellement, le plan chlordécone 4, qui se poursuit jusqu’en 2027, alloue 1,5 million d’euros par an pour accompagner les professionnels agricoles et pêcheurs, organiser des dépistages, soutenir la recherche sur les effets du chlordécone et développer des programmes promouvant une alimentation saine et locale.

Ces plans ont permis de répondre à plusieurs enjeux agricoles, notamment par la cartographie et l’identification des cultures adaptées à chaque type de sol. Par exemple, les arbres fruitiers présentent peu de risques de contamination, contrairement aux légumineuses qui nécessitent un sol vierge. La dépollution progressive des sols permet d’assainir les surfaces cultivables.

Néanmoins, d’autres actions restent à consolider et sont prioritaires dans le plan chlordécone 4. Il s’agit notamment de la possibilité de s’approvisionner avec une alimentation tendant vers le zéro chlordécone, de l’éducation et de la formation, du suivi médical des travailleurs, ainsi que de la recherche pour renforcer et appliquer les connaissances acquises.

Le budget prévisionnel du plan chlordécone 4 pour la période 2021-2027 s’élève à 92 millions d’euros. Je tiens à souligner notre mobilisation totale sur ce dossier. La contamination au chlordécone constitue un cas d’école quant aux questions que nous devons nous poser sur l’utilisation de certains produits phytosanitaires, notamment vis-à-vis de leur rémanence dans les sols et l’alimentation. Cette expérience nous livre des enseignements dont nous devons tirer les conclusions les plus résolues.

M. Corentin Le Fur (DR). Je souhaite vous interroger sur la question essentielle des jeunes agriculteurs et des installations, qui est une priorité de votre ministère et de vous-même. Nous faisons face à un enjeu majeur, car d’ici moins de dix ans, plus de la moitié des agriculteurs français seront en âge de partir à la retraite. Bien que les terres trouvent souvent des repreneurs, nous assistons à une décapitalisation préoccupante, particulièrement dans une région d’élevage comme la Bretagne.

Cette situation soulève un enjeu de souveraineté alimentaire majeur. Nous savons que nos agriculteurs français, et notamment bretons, sont particulièrement vertueux. Si nous ne parvenons plus à produire nous-mêmes, nous risquons d’importer des produits ne respectant pas les mêmes normes environnementales, sanitaires et écologiques, ce qui nuirait à la fois aux producteurs et aux consommateurs.

L’installation et la transmission des exploitations sont donc des priorités absolues. Par conséquent, comment votre politique, notamment par des mesures fiscales et sociales, encourage-t-elle ces installations et incite-t-elle les jeunes agriculteurs à reprendre des exploitations, en particulier dans le secteur de l’élevage ? Comment comptez-vous, par une politique volontariste, enrayer cette crise de vocation qui serait extrêmement préoccupante ? Je rappelle qu’en élevage, une ferme génère environ sept emplois induits. L’enjeu économique pour la France, et particulièrement pour la Bretagne, est donc considérable.

Mme Annie Genevard, ministre. Je partage votre préoccupation, car face au départ à la retraite de la moitié de nos agriculteurs dans les dix ans à venir, le renouvellement des générations constitue un enjeu majeur. De plus en plus de jeunes s’orientent vers l’enseignement agricole, ce qui témoigne de l’intérêt persistant pour les métiers du vivant. Ces métiers donnent du sens à la vie et les jeunes voient un avenir dans ceux-ci, ce qui est encourageant. Nous observons d’ailleurs une diversification des profils de ces jeunes, qu’ils soient issus du milieu agricole ou non. Dans chaque nouveau dispositif que je mets en place, je veille systématiquement à inclure un volet spécifiquement dédié à la jeunesse agricole.

Concernant les mesures budgétaires, le stage à l’installation finance une partie du programme d’accompagnement à l’installation et à la transmission en agriculture, à savoir le dispositif AITA. Dans le cadre du plan stratégique national (PSN), qui est la déclinaison française des aides européennes, la dotation jeunes agriculteurs (DJA) finance une aide en capital pour faciliter le démarrage des exploitations. Depuis 2023, la gestion de ce dispositif a été confiée aux régions, avec une enveloppe de 116 millions d’euros prévue pour 2024, hors Mayotte et Saint-Martin. S’y ajoute une aide complémentaire pour les jeunes agriculteurs de 80 millions d’euros en 2024.

La loi d’orientation agricole (LOA) introduit également des mesures non budgétaires significatives. Nous créons notamment des guichets France Services Agriculture dans tous les départements d’ici 2027 pour accompagner la transmission des exploitations. La loi renforce également la formation des jeunes agriculteurs, avec un accent particulier sur la transition écologique. À ce titre, nous avons ajouté une sixième mission à l’enseignement agricole, spécifiquement dédiée à la transition climatique et environnementale, complétant ainsi les cinq missions initialement définies par Michel Rocard.

Sur le plan fiscal, nous avons mis en place plusieurs mesures incitatives pour faciliter la transmission des exploitations. Cela inclut le relèvement de 100 000 euros des seuils de recettes ouvrant droit à l’exonération de la plus-value professionnelle lors de la cession d’une entreprise agricole à un jeune, la possibilité d’échelonner sur 72 mois les cessions de droits ou parts de sociétés agricoles relevant de l’impôt sur le revenu au profit d’un jeune, le renforcement de l’abattement pour les cessions à de jeunes agriculteurs et le rehaussement des plafonds de valeur des éléments transmis ouvrant droit à une exonération des plus-values professionnelles.

En matière de protection sociale, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 autorise le cumul de l’exonération jeune agriculteur avec les exonérations maladie et famille, pour un coût annuel de 25 millions d’euros. J’ai également augmenté de 10 millions d’euros l’aide aux jeunes via la MSA et débloqué 10 millions d’euros supplémentaires spécifiquement pour les jeunes viticulteurs.

M. Jean-Paul Mattei (Dem). Étant donné qu’une majeure partie des crédits de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales est dédiée à la gestion des crises agricoles, l’analyse de l’exécution budgétaire doit se faire au regard de ce prisme particulier. Même si l’impact des crises sanitaires, environnementales et économiques a été moins sévère pour le secteur agricole en 2024 comparativement aux deux années précédentes, des ajustements budgétaires conséquents ont néanmoins été nécessaires en cours de gestion pour faire face aux aléas au détriment de politiques publiques essentielles pour l’avenir, notamment la planification écologique, dont les crédits ont été sous-consommés pour financer les mesures de crise.

Dans ce contexte, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous éclairiez sur les méthodologies employées par les administrations pour budgétiser les crédits destinés à la gestion des crises lors de l’élaboration des projets de loi de finances. Même s’il est impossible de tout prévoir, les approches de budgétisation ont-elles évolué pour s’adapter à un environnement marqué par la recrudescence des crises économiques, climatiques et sanitaires ?

Par ailleurs, la Cour des comptes souligne dans sa note d’exécution budgétaire l’absence de retour d’expérience sur l’efficacité et l’impact des dispositifs de crise mis en œuvre. Comment le ministère organise-t-il le suivi et l’évaluation des nombreux dispositifs de crise déployés chaque année, notamment par l’opérateur FranceAgriMer ? Nous souhaiterions par exemple savoir combien d’exploitations ont été accompagnées et sauvées ou combien d’emplois ont été préservés.

Enfin, sur les 34 dépenses fiscales rattachées à la mission, la connaissance du nombre de bénéficiaires reste indéterminée pour 13 d’entre elles, représentant un montant de 247 millions d’euros en 2024. À l’instar des observations de la Cour des comptes, il apparaît essentiel d’améliorer la connaissance de ces dépenses fiscales et de leurs bénéficiaires. Pourriez-vous nous expliquer les raisons qui empêchent actuellement cette quantification pour ces 13 dépenses fiscales spécifiques ?

Mme Annie Genevard, ministre. Il est par essence difficile de prévoir les crises. Toutefois, face à la récurrence de celles-ci, qui sont notamment sanitaires, nous avons pris la décision d’intégrer une réserve de crise dans notre budget. Néanmoins, nous devons les anticiper du mieux possible. Certaines crises, comme les crises sanitaires animales, offrent des possibilités d’anticipation. Dans ces cas, nous mettons en effet l’accent sur la prévention à travers la vaccination, la surveillance accrue et la responsabilisation des éleveurs. En 2023, nous avons dû mobiliser plus d’un milliard d’euros pour sauver la filière volaille face à la grippe aviaire. Une telle action ne serait pas possible aujourd’hui, ce pour quoi l’anticipation est une nécessité budgétaire et humaine.

De plus, nous avons développé des outils de gestion et de surveillance des crises. Actuellement, nous sommes particulièrement vigilants au sujet de la tuberculose bovine. Le maintien du statut « indemne » de la France pour cette maladie, comme pour la grippe aviaire, est primordial pour préserver l’économie de nos filières agricoles.

Notre stratégie prioritaire n’est pas uniquement budgétaire, mais avant tout organisationnelle. Elle repose sur l’observation, le dépistage, la prévention et la vaccination. Cependant, malgré ces efforts, le financement de dispositifs d’urgence reste parfois nécessaire. Pour rappel, pour les maladies émergentes, l’État prend en charge la vaccination et l’indemnisation ; en revanche, pour les maladies endémiques, une fois le vaccin développé et la maladie identifiée, la responsabilité incombe aux éleveurs. Nous espérons que les efforts de vaccination réalisés en 2024, notamment contre la FCO-3 et la FCO-8, permettront de renforcer l’immunité vaccinale, mais je n’en ai pas l’absolue certitude.

Un suivi très attentif est assuré par les services de la DGAL, les groupements de défense sanitaire, les vétérinaires de l’État et privés, ainsi que par les éleveurs eux-mêmes. Ce maillage s’étend au niveau européen, étant donné que les virus ne connaissent pas les frontières. Je peux vous fournir des informations sur le nombre d’exploitants que nous avons dédommagés, ce qui contribue à la reconstitution des cheptels et à la pérennité de l’activité.

Quant aux dépenses fiscales, vous avez mentionné le nombre de dispositifs et leur volume financier, mais je ne suis pas en mesure de vous donner le nombre exact de bénéficiaires, bien que ces données existent probablement. En tout cas, le revenu des agriculteurs repose sur trois piliers essentiels. Premièrement, les moyens de production, la terre, l’eau et les outils de protection tels que les vaccins, les traitements de biocontrôle ou les produits phytosanitaires sont nécessaires. Deuxièmement, il existe des allégements de charges, tant sociales que fiscales, représentant près d’un demi-milliard d’euros dans le budget 2025. Troisièmement, il est nécessaire d’avoir des prix garantis, avec la loi Egalim qui a contribué à préserver la valeur de la matière première agricole. L’ensemble de ces éléments permet d’assurer un revenu à l’ensemble du monde agricole.

M. Pierre Henriet (HOR). Le rapport budgétaire de la mission agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales met en évidence une exécution globalement maîtrisée en 2024, dans un contexte de hausse significative des crédits votés. Il convient de saluer l’effort budgétaire consenti par le gouvernement pour renforcer la résilience de notre modèle agricole, notamment face aux crises climatiques et sanitaires. Cependant, plusieurs signaux invitent à améliorer notre stratégie de pilotage.

Le programme 149, qui représente près de 60 % des crédits, montre une exécution dépassant à nouveau légèrement les prévisions en matière de gestion de la crise agricole. Dans ce contexte, madame la ministre, envisagez-vous la mise en place de mesures structurelles pour améliorer l’anticipation budgétaire, tout en conservant la flexibilité nécessaire pour faire face aux aléas climatiques et sanitaires ?

Par ailleurs, le travail de notre collègue soulève explicitement un problème récurrent de recrutement chez plusieurs opérateurs. Comment comptez-vous résoudre ces difficultés, notamment à l’Agence de services et de paiement (ASP), au Centre national de la propriété forestière (CNPF) ou à l’Office national des forêts (ONF) ?

Enfin, j’aimerais avoir votre regard sur la capacité du ministère à développer des politiques publiques ambitieuses d’anticipation des prévisions agroclimatiques, en complément des actions menées sur la résilience, afin de préparer l’agriculture de demain.

Mme Annie Genevard, ministre. Concernant le programme 149 et la gestion de crise, nous disposons d’une provision pour aléas mobilisable en cas de besoin. L’ampleur considérable des crises de 2024 a nécessité une mobilisation de fonds supplémentaires, au-delà des 300 millions pris sur la planification écologique. Nous avons en effet dû ajouter 75 millions pour faire face à la situation. Des crédits de soutien à la trésorerie ont également été déployés fin 2024 pour répondre aux problèmes conjoncturels et structurels. À l’avenir, cette provision devra être réévaluée, en espérant qu’elle ne soit pas nécessaire, bien que certaines crises restent malheureusement imprévisibles dans leur ampleur.

En outre, les difficultés de recrutement chez les opérateurs s’expliquent en partie par la recherche de profils très spécifiques, notamment dans le domaine informatique, qui sont essentiels pour la numérisation du secteur agricole. Par exemple, nous travaillons actuellement sur la numérisation des boucles d’identification des veaux. D’autres profils, comme les spécialistes forestiers à l’ONF, sont également rares. Ces défis de recrutement reflètent une réalité plus large du marché du travail, qui est tendu dans de nombreux secteurs.

L’attractivité des métiers de l’agriculture, que ce soit au sein du ministère, chez les opérateurs ou dans le monde agricole en général, est un sujet qui bénéficie de toute mon attention. Les exigences croissantes et la technicité accrue des métiers nécessitent une main-d’œuvre bien formée, capable de maîtriser les technologies de pointe pour une agriculture de précision, réduisant l’usage des produits phytosanitaires et intégrant la robotisation.

Concernant l’anticipation agroclimatique, je suis convaincue que la technologie et la recherche ont encore beaucoup à apporter. Des recherches portent sur des alternatives aux produits phytosanitaires et l’Inrae travaille pour trouver des alternatives vis-à-vis des agressions qui perturbent les rendements ou la vie des cheptels. Les nouvelles techniques génomiques offrent des perspectives prometteuses pour développer des cultures et des arbres plus résistants aux agressions. En matière d’irrigation, nous pouvons nous inspirer des pratiques de pays comme le Maroc, qui ont développé des systèmes d’irrigation enterrés économes en eau. Il est clair que le défi climatique est au cœur des préoccupations du monde agricole, plus que dans tout autre secteur. Nul autre que les agriculteurs ne mesure mieux le danger qui consisterait à ignorer le changement climatique.

M. le président Éric Coquerel. Les agents et les scientifiques de l’Inrae méritent d’ailleurs de ne jamais être pris pour cible.

Mme Sylvie Ferrer (LFI-NFP). Madame la ministre, j’attire votre attention sur l’importance d’utiliser efficacement le reliquat de l’aide à la conversion à l’agriculture biologique mis en place dans le cadre de la PAC. Ce reliquat s’élève à environ 1 milliard d’euros pour la période 2023-2027 et je vous sollicite pour que ces fonds restent alloués à la France afin de financer la réintroduction d’une aide au maintien de l’agriculture biologique nationale pluriannuelle plafonnée et accessible à tous les paysans bio sur l’ensemble du territoire. Cette mesure a été supprimée en 2018 et partiellement remplacée par des aides régionales. Pour rappel, l’objectif national est fixé à 18 % de surface agricole utile en bio d’ici 2027.

Madame la ministre, alors que vous allez devoir arbitrer l’utilisation de ce reliquat de fonds, envisagez-vous de sacrifier ces investissements vitaux pour l’avenir de notre agriculture ou comptez-vous prendre pleinement en compte les besoins de l’agriculture durable ?

Mme Annie Genevard, ministre. La programmation 2023-2024 a effectivement généré un reliquat de crédits non utilisés de 257 millions d’euros pour l’aide à la conversion au bio. Nous ne connaîtrons le reliquat définitif qu’à la fin de l’année 2025, mais je m’en tiens pour l’instant aux données disponibles. L’estimation d’un milliard que vous avancez repose sur l’hypothèse d’un arrêt total des conversions de terres en bio, ce qui ne correspond pas à mes intentions. En outre, l’objectif fixé dans les textes français n’est pas de 18 %, mais de 21 %. Vous avez d’ailleurs tous exprimé votre souhait de maintenir cette ambition.

Nous allons donc réaffecter ces 257 millions d’euros, dont une part significative sera consacrée au bio. Je réitère l’engagement que j’ai pris, mais je ne vais pas dépenser des sommes que nous n’avons pas. D’une certaine manière, j’espère même ne pas les avoir, car cela signifierait que nous avons réussi à convertir davantage de terres à l’agriculture biologique.

M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie, madame la ministre, pour votre intervention.

 

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

 

Réunion du mercredi 14 mai 2025 à 21 heures 

 

Présents. - M. Christian Baptiste, M. Jean-René Cazeneuve, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Emmanuel Fouquart, M. Pierre Henriet, M. Corentin Le Fur, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jean-Paul Mattei, M. Kévin Mauvieux, M. Alexandre Sabatou

 

Excusés. - M. Karim Ben Cheikh, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Sophie Pantel, Mme Christine Pirès Beaune, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl

 

Assistaient également à la réunion. - M. Gabriel Amard, Mme Sylvie Ferrer