Compte rendu

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur l’activité du CESE et la gestion de l’institution de M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial de la mission Conseil et contrôle de l’État              2

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information visant à mieux définir la stratégie de renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile de M. Damien Maudet et de Mme Sophie Pantel, rapporteurs spéciaux de la mission Sécurités : Sécurité civile              15

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur les dépenses de soutien aux aéroports de Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale de la mission Écologie, développement et mobilité durables : Infrastructures et services de transports              26

  Examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la situation des pêcheurs de M. Matthias Renault, rapporteur spécial de la mission Écologie, développement et mobilité durables : Affaires maritimes.              37

  Présence en réunion................................43


Mercredi
2 juillet 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 134

session extraordinaire de 2024-2025

 

 

Présidence de

M. François Jolivet,

Vice-Président

 


  1 

La Commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur l’activité du CESE et la gestion de l’institution de M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial de la mission Conseil et contrôle de l’État.

M. François Jolivet, président. Notre ordre du jour appelle l’examen des différents thèmes d’évaluation retenus par les rapporteurs spéciaux dans le cadre du Printemps de l’évaluation. M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial de la mission Conseil et contrôle de l’État, a choisi comme thème d’évaluation l’activité du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et la gestion de cette institution.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial de la mission Conseil et contrôle de l’État. Le Conseil économique, social et environnemental est une institution que l’on évoque peu, sauf quand elle fait parler d’elle. Il concentre moins de 4 % des crédits budgétaires de la mission, mais a récemment fait l’objet de nombreuses critiques : articles de presse, fuite d’un pré-rapport de la Cour des comptes, propositions de loi déposées tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale pour le supprimer, et même amendements au projet de loi de finances pour 2025 pour réduire à zéro les crédits du programme 126 qui porte les crédits de l’institution.

Face à ces critiques, il m’a semblé justifié de chercher à démêler le vrai du faux, et le Printemps de l’évaluation m’a offert l’occasion parfaite pour approfondir ce sujet. J’ai adressé plusieurs questionnaires à l’institution, échangé avec son président, l’un de ses vice-présidents et sa trésorière. Je me suis également rendu au Palais d’Iéna, siège de cette assemblée, et j’ai consulté les travaux du CESE.

Permettez-moi d’abord de rappeler quelques chiffres. Le CESE est une assemblée composée de 175 membres, qui dispose d’un budget de 35 millions d’euros en 2025, et pour laquelle travaillent environ 150 agents.

Le CESE a été réformé en 2021, une démarche qui était à mon sens nécessaire. Cette réforme a réduit le nombre de membres de 233 à 175 en supprimant les sièges des 40 personnalités qualifiées nommées par le gouvernement. Elle a également abaissé de 500 000 à 150 000 le nombre de signatures requises pour adresser une pétition au CESE, lui a permis d’organiser des consultations publiques et a renforcé les règles déontologiques auxquelles sont soumis ses membres.

Ces évolutions vont dans le bon sens, mais des marges d’amélioration demeurent pour faire de cette institution républicaine un modèle exemplaire. Troisième chambre chargée de représenter la société civile, elle se doit d’incarner l’exemplarité. C’est là une exigence démocratique fondamentale.

Commençons par les aspects positifs observés au cours de mes travaux. Je constate un véritable changement à la faveur de la mandature actuelle, qui fait preuve d’un certain volontarisme. Ceci est particulièrement notable en matière d’entretien du Palais d’Iéna, précédemment délaissé. Je salue également la mise en place d’un contrôle systématique des absences avec l’application de pénalités sur les rémunérations en cas d’absences répétées. Je me félicite par ailleurs de la certification des comptes du CESE par la Cour des comptes, que j’ai longtemps appelée de mes vœux, et du contrôle systématique désormais appliqué aux frais remboursables.

Pour autant, plusieurs points de préoccupation demeurent. Sur la forme, je regrette que le dialogue avec les équipes du CESE ait parfois manqué de fluidité. Au premier questionnaire que je leur ai adressé, des interrogations ont été formulées auprès de mon administrateur sur la légitimité de ma démarche. Certains de mes courriels sont restés sans réponse. Les réponses reçues, parfois empreintes d’une certaine fermeté de ton, comportaient des comparaisons qui ne m’ont pas toujours semblé des plus heureuses, notamment à l’égard des parlementaires.

Sur le fond, il convient de distinguer deux sujets majeurs : l’activité des conseillers et la façon dont l’institution est administrée. Concernant les conseillers, la question qui m’a particulièrement préoccupé est celle de leur travail dans le cadre de leur mandat. Je sais qu’ils continuent d’exercer, en parallèle, une activité professionnelle ou syndicale, dont ils tirent d’ailleurs leur légitimité comme conseillers. Je rappelle que les conseillers du CESE perçoivent une rémunération d’environ 2 500 euros nets par mois. Cette rémunération substantielle est à mettre en regard d’une obligation de présence limitée à une demi-journée par semaine en formation de travail – l’équivalent de nos commissions – et de deux demi-journées toutes les deux semaines, soit approximativement quatre journées par mois au total. Les conseillers sont libres, bien entendu, de s’impliquer davantage en valorisant les travaux du CESE ou en représentant l’institution dans diverses enceintes.

Dans les faits, l’analyse des rapports individuels d’activité des conseillers révèle que leur activité se limite essentiellement à une participation aux formations de travail et aux formations plénières – soit les quatre jours mentionnés précédemment. De surcroît, tous les membres du CESE ne sont pas assidus à ces réunions. Environ quarante conseillers manquent en moyenne systématiquement à chaque plénière, soit un quart des effectifs. Certes, des pénalités sont appliquées, mais uniquement à partir d’un certain nombre d’absences, et la liste des motifs acceptés pour justifier une absence est relativement étendue. Personnellement, je ne me satisfais pas d’un tel constat.

Un investissement plus conséquent est observé chez les rapporteurs. Mais là encore, seulement trente-huit conseillers en moyenne assument cette fonction chaque année. En me penchant sur les avis rédigés, j’ai constaté que certains reposent sur un nombre d’auditions très faible.

J’ai par ailleurs une véritable divergence de fond concernant les sujets retenus. Le CESE est bien entendu libre de sa programmation thématique. Pour autant, j’estime que les travaux devraient s’intéresser de façon équilibrée aux trois thématiques présentes dans le nom même de l’institution : l’économie, le social et l’environnement. Or, on constate un réel tropisme en faveur des questions environnementales. Si cela résultait des saisines externes du CESE, on ne pourrait pas le reprocher à l’institution. Toutefois, le CESE est saisi de façon très marginale par notre Parlement – jamais par l’Assemblée nationale – ou le gouvernement. Ses travaux sont donc essentiellement le fruit d’autosaisines, et j’estime que ces publications devraient refléter plus largement son champ de compétences et les préoccupations réelles des Français.

Concernant la gestion administrative de l’institution, je m’arrêterai sur trois points : la transparence financière du CESE, les conditions de travail des agents et l’entretien du Palais d’Iéna.

Les comptes du CESE sont désormais audités et certifiés, ce qui constitue un progrès incontestable. Toutefois, cette démarche de transparence demeure inaboutie. Les résultats de cette certification ne sont pas rendus publics. La seule trace accessible figure dans les rapports annuels de performance, mais l’information qui y est fournie est pratiquement inexistante sur le fond. Elle ne permet en aucun cas d’apprécier la réalité de l’exécution budgétaire du CESE ni de comprendre l’usage des crédits qui lui sont alloués. En somme, la certification existe, mais elle reste sans portée démocratique, faute d’un réel accès à ces résultats.

Je considère par conséquent qu’il serait bénéfique que le CESE rende publics ses comptes et que l’institution soit rattachée à Chorus. Cela permettrait à la Direction du budget et à la représentation nationale de suivre de façon détaillée et contemporaine sa comptabilité, sans dépendre de la bonne transmission des documents nécessaires par l’institution.

Concernant les conditions de travail des agents, deux sujets méritent notre attention. Le temps de travail, tout d’abord. Comme vous avez pu le lire dans mon rapport, les agents du CESE bénéficient d’un nombre particulièrement élevé de jours non travaillés. Aux congés et RTT prévus par le droit du travail s’ajoutent douze « jours CESE ». La fermeture administrative entre Noël et le Nouvel An n’est pas comptabilisée parmi les jours de congé des agents. Cela porte le nombre total de jours non travaillés, hors jours fériés et week-ends, à cinquante-quatre jours.

Il convient de souligner que le référentiel ressources humaines actuel du CESE comptabilise les jours fériés comme des jours travaillés. La Cour des comptes relevait déjà, il y a dix ans, qu’en raison de cette méthode de calcul et des cinquante-quatre jours non travaillés, il était impossible que les agents du CESE travaillent effectivement trente-cinq heures par semaine. Rien n’a changé depuis. Cette situation n’est pas représentative du temps de travail des salariés de la société civile que le CESE est censé représenter.

Elle est d’autant plus préoccupante au regard du niveau de rémunération des agents de cette institution, près de 5 500 euros bruts en moyenne par mois, en raison de primes de tous ordres, parmi lesquelles une prime d’assemblée, alors qu’il paraît normal pour une assemblée de se réunir, ou encore une prime de retraite.

Je conclurai sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : l’entretien du Palais d’Iéna. La mandature et l’équipe précédentes l’avaient totalement délaissé. Un indicateur simple de ce constat est le niveau de trésorerie de l’institution, qui s’élevait à 26 millions d’euros au 31 décembre 2023. Le CESE a la capacité de générer des ressources propres qui doivent être utilisées exclusivement pour l’entretien du Palais. En d’autres termes, ces 26 millions d’euros auraient dû être utilisés pour entretenir le Palais d’Iéna.

L’équipe dirigeante actuelle a élaboré et lancé un plan d’investissement budgété destiné à rénover le Palais, ce qui constitue une très bonne initiative. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de me rendre sur place pour constater le début des travaux. Je rappelle que le CESE est lié par une convention à l’État qui l’oblige à entretenir sur ses ressources propres ce joyau du patrimoine national mis à sa disposition. Le Palais d’Iéna est aujourd’hui dégradé, faute d’avoir été entretenu, ce qui justifie de mobiliser les 26 millions d’euros de réserves.

J’ajoute, pour finir, que la Cour des comptes publiera la semaine prochaine un rapport sur le CESE, ce qui devrait éclairer davantage nos réflexions.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial.

Vous indiquez dans votre rapport que 93 % des dossiers et des travaux menés par le CESE sont issus d’autosaisines, et que sur les vingt-quatre autosaisines du CESE en 2023, sept concernent l’environnement, une seule les affaires sociales, toutes les autres portant sur des sujets très périphériques.

Vous remarquez également que l’Assemblée nationale ne consulte jamais le CESE et vous précisez dans votre rapport que ses travaux sont cités dans seulement 1 % des amendements déposés par les députés. En d’autres termes, si le CESE apparaît comme une caisse de résonance des partenaires sociaux, le Parlement le considère dans le meilleur des cas avec une grande distance. Dès lors, que proposez-vous pour faire en sorte que le travail du CESE soit davantage utilisé par l’Assemblée nationale et le Sénat ?

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Il me semblerait louable que les sujets dont s’empare le CESE soient pour un tiers des sujets à caractère économique, pour un autre tiers des sujets à caractère social et pour un dernier tiers des sujets relatifs aux questions environnementales.

En tant qu’économiste, j’ai été frustré de constater l’insuffisance de sujets économiques appréhendés par le CESE. Lorsque je remarque en parcourant ses publications qu’il s’empare de la question d’un « nouveau modèle productif », je me réjouis. Mais quand je lis en détail le rapport, je regrette que la question du travail n’y soit pas évoquée, comme si celle-ci n’était pas un élément stratégique dans la redéfinition d’un modèle productif. J’ai bien noté que le CESE s’efforce de « réenchanter le travail » dans un modèle « humano-centré », ce qui est certes tout à fait intéressant mais ne dispense pas d’une réflexion sur le travail. En tout cas, ignorer le travail comme objet d’analyse central dans le cadre d’un rapport sur un modèle productif m’a semblé particulièrement problématique.

L’Assemblée nationale, en effet, ne saisit jamais le CESE. Peut-être en sommes-nous les premiers fautifs, et peut-être devrions-nous envisager de nous emparer de cette possibilité qui nous est offerte. Mais j’aimerais souligner que, depuis huit ans que j’occupe la fonction de rapporteur de la mission Conseil et contrôle de l’État, je faisais remarquer à l’ancien président du CESE à chacune de nos rencontres que si un député au moins devait recevoir les avis du CESE, j’étais celui-ci. Or, je ne les recevais jamais. J’ai formulé cette remarque au nouveau président lorsque je l’ai rencontré, et je dois dire que j’ai immédiatement commencé à recevoir les avis de son institution, ce dont je me félicite.

Aujourd’hui, le président du CESE m’a informé qu’il avait engagé une démarche de relations publiques, notamment à l’égard des parlementaires, visant à mieux faire connaître les travaux du CESE, à percevoir plus finement les problématiques intéressant les parlementaires et à faire en sorte que les travaux du CESE correspondent davantage aux préoccupations de la représentation nationale. Par ailleurs, le président du CESE a lui-même reconnu que, sous sa mandature, le tropisme environnemental avait peut-être été excessif et qu’il convenait de rééquilibrer les priorités. J’en prends note également.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le rapporteur spécial, votre rapport décoiffe, c’est le moins que l’on puisse dire. Avant même d’aborder les questions relatives à la qualité de la gestion du CESE ou à l’utilisation de ses crédits, une question simple et centrale s’impose à l’esprit : à quoi sert cette institution ? Depuis un tiers de siècle que je fréquente notre parlement, je constate que le CESE ne remplit pas sa mission première, qui est d’éclairer le Sénat et l’Assemblée nationale de ses avis. Qui parmi nous a déjà reçu un avis du CESE sur le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale ? Votre rapport ne dit pas autre chose en évoquant, avec une certaine délicatesse, son « autonomie institutionnelle » et son « isolationnisme ».

Les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (Ceser), en revanche, fonctionnent très différemment. Dans ma région, cette institution s’avère efficace, bien que la situation varie selon les territoires. J’ai toujours défendu les Ceser, car ils apportent une réflexion sur les projets de budget permettant aux différentes sensibilités politiques d’éclairer leur position.

La question essentielle demeure : pouvons-nous sortir de cette impasse ? Le président du CESE est-il jamais venu devant notre commission pour nous demander si nous serions intéressés par ses travaux ? A-t-il proposé des collaborations avec la Cour des comptes ? S’est-il enquis de nos besoins dans des délais compatibles avec nos contraintes ? Une réforme du CESE est-elle envisageable ? Certes, les conventions citoyennes sont louables, mais elles demeurent trop ponctuelles.

Je considère qu’il serait pertinent d’auditionner le président du CESE en lui posant directement la question de l’utilité de l’institution qu’il préside, et dont il convient de rappeler qu’elle est de nature constitutionnelle. Nous devrions lui transmettre le rapport de notre rapporteur spécial et lui demander quelles réponses et propositions il formule.

Par ailleurs, les aspects budgétaires du rapport sont édifiants. Bien que le CESE dispose d’un budget modeste, il emploie environ 150 personnes et des questions se posent sur les rémunérations et les méthodes de travail, étant donné que les ressources dont il jouit appartiennent au peuple français. Le président du CESE s’engage-t-il à mettre de l’ordre dans cette situation ou conteste-t-il les observations formulées dans votre rapport ? Restant attaché au principe de la procédure contradictoire, j’estime que ce rapport justifie pleinement une audition du président du CESE par notre commission.

M. François Jolivet, président. Étant donné l’état de nos finances publiques, tous les budgets, quelle que soit leur taille, méritent notre attention.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Sans doute est-il opportun, voire nécessaire, d’auditionner le président du CESE. Le rapport à venir de la Cour des comptes confirmera vraisemblablement mes observations et les approfondira.

Pour rebondir sur l’exemple que vous nous avez soumis, monsieur le rapporteur général, je signale que le CESE a rédigé une note intitulée « Projet de loi de finances pour 2025, document contributif du Conseil économique, social et environnemental ». Mes chers collègues, en avez-vous eu connaissance ? Sachez qu’il est en ligne sur le site du CESE.

Lorsque j’ai interrogé le CESE sur sa contribution aux débats parlementaires, il m’a été répondu qu’au cours de la XVIe législature 777 amendements déposés avaient fait référence à ses travaux, cela en guise de preuve d’une forte contribution à la réflexion politique. Or le CESE semble avoir oublié que 10 000 amendements ont été déposés sur la période, et que ces 777 mentions correspondent donc à moins de 1 % des amendements.

Le président du CESE dispose actuellement d’une réelle opportunité. Face aux critiques et aux pistes d’amélioration identifiées, le renouvellement des membres prévu en mai 2026 lui offre en effet l’occasion d’engager des réformes avant la prochaine mandature. Cela permettrait aux nouveaux conseillers de débuter avec une feuille de route élaborée durant les six ou neuf prochains mois.

Par ailleurs, nous pouvons nous demander si la légitimité du CESE ne réside pas désormais uniquement dans l’organisation des conventions citoyennes représentatives de la société civile. Cette réflexion pourrait conduire à une réforme consistant à recentrer le CESE exclusivement sur ces conventions, en supprimant les conseillers actuels.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Christian Girard (RN). La lecture attentive de ce rapport met en lumière des dysfonctionnements préoccupants qui confirment pleinement l’analyse du Rassemblement national, selon laquelle il faut supprimer le CESE.

En effet, notre formation politique ne peut accepter qu’une institution financée à hauteur de 35 millions d’euros par an, et qui dispose de plus de 4 millions d’euros de recettes propres chaque année, souffre d’une telle crise de légitimité, avec un rôle quasi invisible et une production d’avis limitée et généralement sans influence. Comment justifier une structure où près de 90 % des saisines sont auto-initiées et portent des thématiques souvent déconnectées des grandes priorités économiques et sociales des Français ? Comment ne pas mentionner les rémunérations élevées et avantages substantiels difficilement compréhensibles dont bénéficient ses membres au regard d’une charge de travail manifestement réduite ? Ma question est simple : en supprimant à la fois le CESE et les Ceser, quelle économie totale serions-nous susceptibles de réaliser ?

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Mon analyse se concentre uniquement sur le CESE, et je partage d’ailleurs l’opinion de M. le rapporteur général sur les Ceser, qui peuvent effectivement s’avérer utiles. Je sais que cette utilité varie selon les territoires, mais dans ma région Centre-Val de Loire, par exemple, le Ceser produit un travail de qualité qui éclaire véritablement l’action publique régionale.

Le CESE dispose d’un budget de 35 millions d’euros, mais l’enjeu ne réside pas tant dans ce qu’il coûte que dans ce qu’il incarne au sein de nos institutions. Aussi cette somme ne constitue pas, en soi, une dépense budgétaire considérable pour ce qui reste la troisième assemblée constitutionnelle de la République française. Mais, à ce titre, le CESE porte un devoir d’exemplarité et doit se montrer irréprochable. Or, de mon point de vue, le compte n’y est pas.

M. David Amiel (EPR). Les missions du CESE présentent plusieurs facettes distinctes. Il existe d’abord une dimension de réflexion et de production de rapports. La question fondamentale concerne l’utilité effective de ces travaux, tant pour les assemblées que pour le gouvernement. Dans le cadre de vos auditions, avez-vous identifié certains rapports ayant exercé une influence tangible ?

La deuxième dimension concerne les conventions citoyennes et plus généralement les liens avec la société civile. Il est certain que les récentes conventions citoyennes ont influencé le débat public et nos travaux à l’Assemblée nationale, qu’il s’agisse des questions relatives à la fin de vie ou au climat. Ces initiatives vous semblent-elles constituer un axe à développer ?

Enfin, le troisième volet concerne la concertation et presque la négociation sociale, puisque cette chambre, conformément à sa vocation première, réunit organisations patronales, syndicales et associatives. Face aux défis considérables qui nous attendent, notamment en matière de transition énergétique et de formation, cette fonction mérite également notre attention. Le CESE ne pourrait-il pas constituer précisément un lieu de concertation, où les différents acteurs définiraient, par exemple, les besoins de formation de la nation ?

L’Assemblée nationale ou le Sénat n’étant pas parfaitement équipés pour accomplir cette tâche, nous pourrions envisager que le CESE, plutôt que de chercher à influer sur les décisions de l’Assemblée nationale, du Sénat et du gouvernement, s’attache davantage à mettre en œuvre des politiques publiques dans un format plus approprié que celui des négociations sociales classiques.

Ce ne sont là que quelques pistes de réflexion, mais j’apprécierais, monsieur le rapporteur spécial, que vous nous exposiez, à la lumière de vos auditions, les atouts du CESE, et le rôle qu’il pourrait jouer en dépit des dysfonctionnements que vous avez soulignés.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Dans le cadre de mes investigations, j’ai examiné un avis rendu par le CESE sur la question des plastiques dans les océans. Cet avis comportait quinze recommandations, et j’ai demandé à l’institution si certaines d’entre elles avaient été intégrées au traité signé à Paris sur ce sujet. La réponse qui m’a été faite est révélatrice : faute d’indicateur pertinent, le CESE ignore si ses recommandations ont été prises en compte ou même joué un quelconque rôle. J’ai observé le même phénomène à propos du projet de loi relatif à Mayotte : à l’évidence, un travail substantiel a été fourni, mais là encore, je ne puis vous indiquer si ce travail a influencé les amendements ou la réflexion des députés impliqués dans ce projet, faute d’indicateurs pertinents.

Ce constat soulève un véritable enjeu, et je crois que l’actuel président du CESE en est conscient. L’institution doit impérativement mesurer son influence à l’aide d’outils adaptés, sachant que des organismes spécialisés existent dans ce domaine. Le CESE ne peut que reconnaître que ses recommandations sont très peu suivies d’effets, peut-être parce qu’elles sont trop audacieuses, ou insuffisamment documentées – en tout cas, elles sont plus ou moins ignorées. Une réflexion approfondie s’impose donc sur son influence réelle dans le débat public et dans la mise en œuvre des politiques publiques.

Je constate néanmoins que le CESE remplit son rôle dans la mesure où la majorité des avis sont adoptés à l’unanimité, ce qui suggère qu’un travail considérable a été accompli pour permettre la convergence des différents points de vue. Toutefois, ces avis sont généralement votés par 130 à 140 membres, jamais par l’ensemble des 175 conseillers.

Je suis convaincu que le CESE peut constituer une chambre utile à condition qu’elle assume pleinement sa mission. Elle doit s’emparer des sujets relevant d’une préoccupation commune, se montrer davantage à l’écoute de nos préoccupations de parlementaires, et interroger plus activement le gouvernement afin d’identifier les domaines dans lesquels elle pourrait utilement éclairer tant le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif. Ce travail est indispensable pour que le CESE retrouve une forme de légitimité.

Il est impératif que la nouvelle mandature, qui débutera en mai 2026, marque un renouveau, une renaissance du CESE. Nous avons besoin d’un CESE profondément renouvelé. Reste à déterminer si cette ambition sera portée, si les réformes nécessaires seront engagées, et si une réelle volonté d’avancer dans cette direction se manifestera. Je le souhaite vivement.

Le CESE dispose par ailleurs de la légitimité nécessaire pour assumer un rôle de caisse de résonance des échanges entre partenaires sociaux. Il pourrait, par exemple, définir des orientations relatives aux besoins en formation ou aux grandes négociations sociales. Alors pourquoi ne le fait-il pas ? J’ai examiné les intitulés de nombreux avis émis par le CESE au cours des deux ou trois dernières années et je me suis posé une question toute simple : les sujets abordés par le CESE sont-ils ceux qui alimentent les conversations entre citoyens dans la vie de tous les jours ? La réponse est non. Non, aucun des thèmes traités par le CESE depuis deux ou trois ans ne m’est apparu en phase avec les préoccupations concrètes de mes concitoyens, notamment en matière de dialogue social.

Le CESE constitue pourtant un lieu où ce dialogue social devrait s’épanouir. C’est d’ailleurs le cas dans une certaine mesure, puisque la quasi-totalité des avis est adoptée à l’unanimité, ce qui témoigne d’une capacité au compromis de la part des représentants du monde de l’entreprise, des salariés, des organisations environnementales. À l’évidence, une culture du dialogue social existe au sein du CESE, mais il est impératif que les sujets abordés s’inscrivent en résonance avec les préoccupations contemporaines.

Peut-être avons-nous tort, en tant que parlementaires, de ne pas saisir davantage le CESE. S’il est inaudible, nous en sommes peut-être en partie responsables. Mais nous attendons naturellement que le CESE produise un travail rigoureux, comprenant de nombreuses auditions, et ne se contente pas de formules générales auxquelles chacun peut adhérer et qui ne débouchent sur aucune application concrète.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur spécial, vous regrettez que le CESE ne s’empare pas de sujets pertinents et concrets. Pourtant, j’ai moi-même contribué à des travaux approfondis du CESE, à la suite d’une saisine par le Sénat, sur la protection de l’enfance – un sujet qui, vous en conviendrez, revêt une grande importance. Je note d’ailleurs que les conclusions rendues par le CESE concordaient remarquablement avec celles de la commission d’enquête parlementaire. Elles étaient fondées sur un travail rigoureux, nourri par de nombreuses auditions et l’intervention de multiples interlocuteurs. Pourtant, ni les travaux du CESE ni nos propres travaux parlementaires n’ont reçu le moindre début de réponse de la part du gouvernement, le moindre écho, le moindre débouché en matière de politique publique, alors que nous constations l’effondrement du service public de la protection de l’enfance.

Alors j’aimerais retourner la question que vous adressez au CESE, monsieur le rapporteur spécial : le problème n’est-il pas dans le manque de considération des pouvoirs publics à l’égard des travaux du CESE ? Les conclusions des travaux menés conjointement par le CESE et les parlementaires sont-elles véritablement écoutées et prises en compte par ceux qui détiennent le pouvoir d’agir ?

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Vous avez raison de rappeler que le Sénat sollicite le CESE – très peu certes, puisque j’ai recensé trois saisines, mais, en l’occurrence ce sont trois de plus que l’Assemblée nationale.

La qualité des avis rendus par le CESE – et j’ai eu l’occasion au cours de mes travaux d’en examiner un grand nombre – est assez variable d’un travail à l’autre. Vous soulignez que le travail mené sur la protection de l’enfance a été sérieux, documenté, avec de nombreuses auditions : voilà précisément à quoi doit servir le CESE.

Je ne remets nullement en question l’ensemble du travail de cette institution, mais je constate que le fait que 93 % d’autosaisines sur des sujets qui n’ont pas nécessairement un lien immédiat avec les préoccupations des Français constitue un problème majeur. Il est impératif que ces autosaisines soient davantage en phase avec les questions d’actualité, celles qui intéressent le gouvernement, l’Assemblée nationale ou le Sénat.

À cet égard, le CESE doit certainement se montrer davantage proactif et apporter la preuve de son utilité. Or j’ai le sentiment que cette institution estime ne pas avoir à justifier de sa pertinence. J’appelle de mes vœux une renaissance du CESE qui jouerait pleinement son rôle de chambre du dialogue social et de chambre d’appui, par sa réflexion, aux deux autres chambres constitutionnelles.

Mme Estelle Mercier (SOC). Monsieur le rapporteur spécial, il ressort à la lecture de votre rapport que l’appréhension du sujet s’est limitée à une approche gestionnaire, pour ne pas dire comptable, des dépenses et de ce que vous qualifiez de politique des ressources humaines au sein du CESE. Il manque manifestement une évaluation du travail de fond mené par le CESE.

Vous affirmez à juste titre que les sujets traités par le CESE doivent correspondre aux préoccupations des Français et aux réalités du terrain. Ces préoccupations ne coïncident pas toujours avec celles des parlementaires, mais reconnaissons également que nous, parlementaires, ne sommes pas systématiquement en parfaite adéquation avec les attentes de nos concitoyens.

J’ai personnellement collaboré avec le CESE et bénéficié de leurs travaux, notamment sur le droit au travail et l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». J’ai également assisté à une conférence consacrée à la santé au travail. Ces sujets, complexes, n’alimentent certes pas les conversations sur les marchés, mais vous m’accorderez que le travail, le droit du travail, et la santé au travail ne sont pas des thématiques secondaires dans la vie des Français, et qu’elles demandent un examen approfondi par les partenaires sociaux compétents – ce que nous-mêmes, au Parlement, ne faisons sans doute pas suffisamment.

Je vous concède volontiers que nous autres parlementaires ne sollicitons pas assez le CESE. En revanche, le CESE nous informe régulièrement et nous convie à valoriser les travaux qu’il conduit. J’insiste donc sur ce point : si nous ne les sollicitons pas suffisamment, eux, en revanche, nous sollicitent.

J’attire également votre attention sur l’excellente qualité du travail des Ceser qui, ainsi que l’a souligné le rapporteur général, constituent une ressource stratégique de proximité mobilisant les acteurs économiques, socio-associatifs et la société civile. Ces intermédiaires sont absolument indispensables dans le contexte actuel de fragilisation du lien démocratique.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. J’assume effectivement une approche comptable, puisque je suis rapporteur budgétaire de cette institution. Et c’est bien à ce titre que je m’interroge, par exemple, sur la pertinence d’intégrer les jours de congé dans le calcul de la durée du travail.

Je ne demande pas mieux que de connaître l’influence réelle du CESE. Mais le problème, précisément, réside dans le fait que le CESE lui-même ignore l’étendue de son impact. Son président a récemment manifesté la volonté de développer des instruments de mesure de la performance, de l’audience et de l’influence du CESE dans le débat public. Cette démarche est nouvelle, et pourtant j’interpelle depuis plusieurs années le CESE sur l’utilité concrète de son travail.

J’ai parcouru le rapport du CESE sur la santé au travail, et j’ai été frappé de constater que, sur un sujet d’une telle importance, seules sept auditions avaient été réalisées. Cela me paraît très insuffisant. Quelle est la portée d’un avis relatif à la santé au travail fondé sur un si petit nombre d’entretiens ? Il est permis de s’interroger. Peut-être ces sept personnes étaient-elles des sommités dans ce domaine, mais lorsque nous menons au sein du Parlement des missions d’information ou de contrôle, nous auditionnons un nombre considérable de personnes afin d’obtenir l’éclairage le plus complet possible.

Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Je tiens à saluer votre courage, monsieur le rapporteur spécial, car il n’est jamais aisé de décrire les choses telles qu’elles sont, et j’en veux pour preuve les réactions négatives venues de certains bancs.

En tant que membres de la commission des finances, il nous appartient d’examiner l’utilisation de l’argent public, et vous mettez justement l’accent, monsieur le rapporteur spécial, sur l’usage des crédits alloués au CESE. Si la certification des comptes constitue un minimum obligatoire, il est proprement extraordinaire qu’un organisme public ne publie pas ses comptes. Toutes les institutions se plient déjà à cet exercice, à l’exception du CESE. À cet égard, votre cinquième recommandation est parfaitement pertinente.

En découvrant vos observations relatives au statut du personnel au sein du CESE, j’ai cru vivre un cauchemar. Vous demandez le respect des 35 heures de travail hebdomadaire : est-ce à dire que ces personnes ne respectent pas la durée légale du travail ? On marche sur la tête ! Et que sont ces douze « jours CESE » que vous avez mentionnés dans votre propos liminaire ? Vous avez également évoqué des primes : j’aimerais connaître leur montant et ce qui les justifie.

Si mes collègues de gauche découvraient de telles pratiques dans une entreprise privée, je n’ose imaginer leur indignation. Mais parce qu’il s’agit du CESE, on cautionne des pratiques à l’évidence très problématiques. Or, rien ne justifie l’existence de statuts privilégiés pour les personnels du CESE.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Le CESE, en tant que chambre constitutionnelle, reçoit le 1er janvier une dotation budgétaire qui est considérée comme entièrement consommée au 31 décembre, sans autre forme de procès. Cela mérite assurément une révision approfondie.

Je n’évoque dans mon rapport que les primes CESE, mais d’autres primes existent, telles que des primes interministérielles par exemple. L’indemnité spéciale d’assemblée représente 1,6 million d’euros, la prime de fin d’année 761 000 euros, la prime de retraite 23 000 euros pour deux agents, et l’indemnité compensatrice 52 000 euros. S’ajoutent le complément d’indemnité de fonction et les indemnités de permanence de nuit, justifiées, je suppose, par la présence nocturne d’agents au Palais d’Iéna.

De manière générale, j’en appelle simplement au respect du droit commun et du droit du travail, ni plus ni moins. Le CESE, chambre constitutionnelle, doit assumer un rôle d’exemplarité identique à celui de l’Assemblée nationale et du Sénat.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Monsieur le rapporteur spécial, votre analyse relance un débat récurrent sur le CESE, donc chacun perçoit le rôle spécifique dans le cadre d’une forme de démocratie sociale et participative. Malgré la réforme de 2021, les questionnements autour de cette institution persistent.

Notre groupe adhère globalement à votre approche et nous accordons une attention particulière à l’avenir du dialogue social, en particulier dans la période actuelle. Toutefois, si le CESE suscite autant d’interrogations, c’est que nous sommes vigilants quant à l’exemplarité dans toutes ses dimensions. Les dérives décrites dans votre rapport, particulièrement concernant le temps de travail, nous paraissent très surprenantes, et les avantages accordés aux agents du CESE s’avèrent difficilement compréhensibles pour nous et nos concitoyens, a fortiori parce qu’il s’agit d’une institution publique. Des efforts ont été engagés, certes, mais nous espérons qu’ils se poursuivront et que la question de la légitimité du CESE ne continuera pas à se poser invariablement.

Comment pensez-vous pouvoir influencer l’évolution du CESE ? L’Assemblée nationale doit-elle le saisir davantage ? Les recommandations figurant dans votre rapport ne manquent-elles pas d’une traduction opérationnelle ? Je pense en particulier à la question de l’autosaisine.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Ce sont le rapport à venir de la Cour des comptes, peut-être mon propre rapport d’information, l’opinion publique et, finalement, l’air du temps, qui contraindront le CESE à adopter des pratiques managériales plus rigoureuses et à faire concorder ses thématiques de travail avec les préoccupations réelles des Français. Cette institution ne saurait continuer à s’éloigner, que ce soit en matière de rémunérations, de temps de travail ou de préoccupations thématiques, de la société civile qu’elle représente.

Concernant l’autosaisine, un rééquilibrage s’impose. Nous avons observé une forme de dérive ces deux derniers mois durant lesquels les avis portaient exclusivement sur des sujets environnementaux. Sans minimiser l’importance des questions environnementales, ce tropisme interpelle l’économiste que je suis. D’autres thématiques cruciales comme la réindustrialisation, l’intelligence artificielle ou les nouvelles technologies mériteraient également l’attention du CESE. Le président du CESE a lui-même reconnu certaines dérives durant sa mandature qui s’achève le 26 mai 2026. J’espère que le CESE issu de la prochaine mandature s’établira sur des bases plus conformes aux attentes de nos concitoyens, de la société civile et des pouvoirs publics.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Philippe Lottiaux (RN). Monsieur le rapporteur, la lecture de votre rapport m’a rappelé cette phrase de Théophile Gautier : « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien. » Je dois dire que j’admire votre sens de la diplomatie : à vous lire entre les lignes, on vous sent tout à fait convaincu de l’inutilité du CESE, mais vous n’êtes pas autorisé à exprimer cet avis ouvertement parce que votre mission consiste en réalité à sauver le soldat CESE.

Imaginons un instant que des salariés d’une entreprise privée se comportent comme les membres du CESE : tous seraient immanquablement dégagés. Dans un contexte où la dette nationale atteint 3 300 milliards d’euros, où des économies s’imposent et où l’on demande des efforts aux Français, comment ne pas être interpellé par le fonctionnement du CESE ? Certes, le budget du CESE représente moins de 50 millions d’euros, mais la question se place sur le plan symbolique. Et sur ce plan, on ne peut se contenter de réfléchir à un « nouveau CESE », plus vertueux. Non, si nous ne parvenons pas à supprimer cette institution, nous ne parviendrons à rien. Voilà mon sentiment.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Le CESE a démontré son utilité dans l’organisation des conventions citoyennes, un domaine où il excelle incontestablement et qui requiert une machinerie particulièrement complexe. Les difficultés se situent davantage dans ses autres missions.

Des pistes d’amélioration existent, soutenues par une réelle volonté politique d’évolution. La fin de la mandature représente une échéance déterminante pour que le président du CESE engage courageusement des réformes structurantes pour son avenir. Nous avons nous-mêmes su mener des transformations au sein de l’Assemblée nationale, avec des résultats tangibles qui ont modifié positivement la perception de notre institution, notamment en matière de fonctionnement et de respect des règles déontologiques. Rien n’empêche le CESE d’entreprendre une démarche similaire.

La suppression du CESE n’est pas une procédure anodine, puisqu’elle nécessite une loi organique. Si les réformes indispensables ne sont pas entreprises, cette question pourrait néanmoins s’imposer d’elle-même. La balle est désormais dans le camp du CESE.

Mme Sophie Pantel (SOC). J’aimerais à mon tour souligner l’utilité des Ceser, qui a été clairement démontrée.

Je souhaitais moi aussi vous demander si vous prôniez la suppression du CESE, mais mon collègue m’a devancée. Je me contenterai donc d’appeler à la prudence et, selon l’expression consacrée, à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Votre rapport doit être interprété comme un coup de semonce, comportant des avertissements nécessaires, sans pour autant nier l’intérêt fondamental que représente le CESE, tant pour les chambres parlementaires que pour l’ensemble des institutions et des décideurs publics.

M. Daniel Labaronne, rapporteur spécial. Mon rapport a justement vocation à interpeller les responsables du CESE afin qu’ils se saisissent de ces problématiques pour faire évoluer leurs pratiques. Le rapport de la Cour des comptes viendra probablement renforcer ce message.

Je n’ai jamais remis en question l’intérêt fondamental du CESE. J’ai au contraire réaffirmé mon attachement à cette troisième chambre. Celle-ci doit néanmoins se transformer en profondeur pour représenter véritablement cette société civile qu’elle a pour mission de porter au sein de son assemblée. C’est dans ce cadre qu’un dialogue social dynamique et constructif peut s’établir. Il est impératif que les avis, recommandations et productions du CESE exercent une influence réelle, mesurable par des instruments appropriés qui font aujourd’hui cruellement défaut.

Par ailleurs, les thématiques abordées par le CESE semblent trop éloignées des préoccupations que nous rencontrons en tant que parlementaires, que le gouvernement affronte, et qui s’expriment dans nos circonscriptions. Une meilleure adéquation entre les autosaisines et les sujets s’avère nécessaire pour cette noble institution républicaine qui doit engager sa transformation de l’intérieur.

M. François Jolivet, président. Nous devrions nous saisir de la suggestion du rapporteur général d’inviter le président du CESE devant notre commission, puisque ce rapport le concerne directement et lui confie, en quelque sorte, un mandat de changement. Cette audition permettrait également d’interroger la vision des partenaires sociaux sur l’avenir de cette institution, puisqu’ils en constituent les acteurs principaux.

En attendant, je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport et votre volonté de nous interpeller, ce qui correspond pleinement à la mission qui nous est confiée dans le cadre du Printemps de l’évaluation.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

Puis la commission examine, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information visant à mieux définir la stratégie de renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile de M. Damien Maudet et de Mme Sophie Pantel, rapporteurs spéciaux de la mission Sécurités : Sécurité civile.

M. François Jolivet, président. Nous accueillons à présent Mme Sophie Pantel et M. Damien Maudet, rapporteurs spéciaux de la mission Sécurités : Sécurité civile, pour la présentation de leur rapport d’information visant à mieux définir la stratégie de renouvellement de la flotte aérienne de la sécurité civile.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial de la mission Sécurités : Sécurité civile. Je tiens tout d’abord à exprimer ma solidarité avec les sapeurs-pompiers actuellement mobilisés dans l’Hérault et dans d’autres départements, ainsi qu’avec ceux qui devront affronter les incendies malheureusement prévisibles au cours de l’été à venir.

Je souhaite également remercier ma collègue Sophie Pantel, initiatrice de ce rapport, qui en a eu l’idée et a utilisé son droit de tirage pour le mettre en œuvre.

Les avions et hélicoptères de la sécurité civile sont des éléments essentiels de la lutte contre les crises et de la protection des populations, particulièrement dans le cadre des incendies. Leur diversité permet de couvrir l’ensemble des missions de la sécurité civile, depuis la surveillance préventive des zones à risque jusqu’aux attaques directes contre les feux, en passant par le transport de personnes et de matériel.

Pourtant, cette flotte affronte aujourd’hui une crise majeure. Alors que les feux de forêt et les événements climatiques extrêmes, tels que les tempêtes et les inondations, se multiplient en raison du changement climatique, les moyens aériens de la sécurité civile ne correspondent plus aux besoins. Nous avons donc souhaité évaluer les actions entreprises pour renouveler cette flotte stratégique. Dans cette perspective, nous avons consulté les administrations françaises et européennes en charge de la protection civile, les personnels incluant les pilotes, ainsi que les industriels de l’aéronautique.

Au terme de nos travaux, un constat s’impose : la flotte est vieillissante, particulièrement concernant les avions. Ainsi la moyenne d’âge des Beechcraft, avions de reconnaissance et de coordination, dépasse quarante ans, ce qui allonge et renchérit considérablement les opérations de maintien en conditions opérationnelles. Les Canadairs, appareils amphibies absolument stratégiques dans la lutte contre les incendies, subissent une exploitation intensive lors des saisons des feux, accélérant leur vieillissement et réduisant leur disponibilité à terme. Fait particulièrement préoccupant, nous avons relevé que certains appareils n’ont pas été en mesure de voler durant certaines journées de l’été dernier.

Pour pallier ces difficultés, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) en vient à louer des avions et des hélicoptères pour garantir la disponibilité de sa flotte durant les saisons des feux. Si cette solution paraît avantageuse à court terme, elle s’avère finalement extrêmement coûteuse pour les finances publiques : plus de 106 millions d’euros seront ainsi consacrés à la location d’appareils entre 2020 et 2025, dont 30 millions d’euros pour la seule année 2025. Nous estimons que la location doit demeurer une solution d’appoint ponctuelle et non se substituer aux investissements nécessaires dans notre propre flotte.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale de la mission Sécurités : Sécurité civile. La deuxième partie de nos travaux a consisté à définir une réelle stratégie de renouvellement de la flotte. Nous nous félicitons d’abord du marché public passé pour renouveler les trente-six hélicoptères, auxquels s’ajoutent quatre nouveaux appareils. Il s’agit d’un marché commun entre la sécurité civile et la gendarmerie, cette dernière bénéficiant également de six appareils.

En revanche, nous sommes particulièrement inquiets à propos des avions bombardiers d’eau. Le président de la République s’était engagé en 2022 à renouveler la flotte des douze Canadairs d’ici la fin du quinquennat. Or seulement deux avions ont été commandés à ce jour, environ 50 % du coût de cette commande étant financé par l’Union européenne. Par un décret d’annulation publié en février 2024, la commande de deux avions supplémentaires a été supprimée. Le représentant du constructeur canadien De Havilland nous a clairement indiqué que si nous commandions aujourd’hui ces appareils, ils ne pourraient pas être livrés avant 2032, ce qui représente un délai considérable.

De façon générale, nous constatons une absence de réelle stratégie, situation fortement préjudiciable aux acteurs de la sécurité civile. Cette lacune est d’autant plus problématique dans le contexte actuel de transition écologique et de réchauffement climatique, qui entraîneront inévitablement une intensification du risque d’incendie. Nous émettons donc de très sérieuses réserves quant à la capacité du constructeur canadien à respecter le calendrier de livraison annoncé à l’État. En outre, le fait de commander ces appareils à un constructeur extra-européen, qui se trouve aujourd’hui en situation de monopole sur ce type d’avion, constitue une véritable menace pour notre souveraineté.

Un appel à candidatures a été lancé au niveau de l’Union européenne pour des avions bombardiers d’eau. La France y a répondu dans le cadre du programme de réserve de ressources « RescEU », ce qui nous permettra d’obtenir les deux appareils mentionnés précédemment. Un autre appel à candidatures concernant des avions gros-porteurs a été publié, mais la France n’a pas choisi de s’y positionner. Nous estimons qu’une véritable stratégie vis-à-vis de l’Union européenne est nécessaire, incluant l’inscription dans ces programmes essentiels lorsque nous avons besoin de soutien, tout en préservant notre souveraineté.

Cette question de souveraineté n’est pas sans rappeler l’épisode du covid-19 avec la problématique des masques et des vaccins. Aujourd’hui, nous ne sommes pas à l’abri que le constructeur canadien décide de servir en priorité l’Amérique du Nord au détriment de l’Europe. L’annonce récente des États-Unis concernant les armes destinées à l’Ukraine illustre cette tendance à privilégier la conservation du matériel sur le territoire national.

Face à ces retards constatés et aux délais difficilement tenables, nous proposons qu’une partie des investissements soit orientée vers le développement d’une filière française et européenne, notamment en ce qui concerne la production d’avions bombardiers d’eau. À cet égard, nous avons rencontré plusieurs start-ups qui portent des projets prometteurs, certaines ayant noué des alliances stratégiques rassurantes impliquant de grands industriels du secteur aéronautique comme Airbus et Thales.

Ces projets nécessitent un soutien fort de la DGSCGC, et plus encore d’un soutien public national et européen rapide et ferme, afin de leur permettre de développer des prototypes. Il s’agit pour nous d’un véritable enjeu, tant en termes d’indépendance stratégique que de création d’emplois dans nos territoires.

En conclusion, nous préconisons l’adoption d’une stratégie de renouvellement de la flotte aérienne. Compte tenu du retard pris sur les commandes auprès de De Havilland, nous recommandons de réduire le nombre d’appareils commandés à ce constructeur, dans la mesure où la livraison serait excessivement tardive au regard des besoins de renouvellement de la flotte. Nous suggérons à la fois d’augmenter la flotte avec le seul fournisseur actuellement disponible, De Havilland, tout en réorientant parallèlement une partie des crédits vers le développement d’une filière européenne de production d’aéronefs. Cette approche nous permettrait de ne plus dépendre exclusivement d’un constructeur étranger, et de développer des filières françaises et européennes. Elle nous permettrait également de nous inscrire plus significativement dans la coopération européenne, dans une logique de complémentarité, notamment en lien avec le programme « RescEU ».

Cette démarche ne peut fonctionner qu’en établissant un contrat opérationnel de renouvellement. Face au vieillissement de la flotte et à l’importance cruciale de son renouvellement, nous ne pouvons plus nous contenter d’une gestion annuelle soumise aux aléas des retraits de crédits et des décrets d’annulation. Nous devons disposer d’un véritable contrat s’inscrivant dans la durée, indépendamment des fluctuations politiques.

Il convient de rappeler que la flotte aérienne représente, en termes de doctrine de sécurité civile, l’élément qui nous permet d’intervenir très rapidement selon une approche d’attaque massive pour stopper les incendies. Sans une flotte en état opérationnel, nous compromettrons gravement l’efficacité des hommes et des femmes qui s’engagent quotidiennement sur le terrain au sein de nos corps de sapeurs-pompiers départementaux.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie, Madame et Monsieur les rapporteurs spéciaux. Votre rapport met en lumière un sujet insuffisamment connu par notre commission. Vous soulignez notamment l’absence de stratégie globale concernant la flotte aérienne de la sécurité civile, et vous relevez notre dépendance vis-à-vis d’un constructeur canadien.

Vous préconisez le développement d’une filière européenne de construction d’avions bombardiers d’eau. Or je n’ai pas identifié dans votre rapport les moyens précis pour y parvenir ni l’estimation des coûts associés. Si la sécurité n’a pas de prix, elle a néanmoins un coût. La création d’une filière dans ce domaine nécessite probablement un temps considérable, peut-être supérieur aux délais de livraison depuis le Canada.

Certains États pratiquent le rétrofit d’avions, qui consiste à adapter des avions à de nouveaux usages. J’aimerais connaître votre avis sur cette approche, sachant que nous disposons d’un constructeur européen majeur et que certains avions-cargos pourraient potentiellement être adaptés.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Plusieurs éléments laissaient craindre l’adoption d’un « Patriot Act » au Canada, susceptible de compromettre notre position prioritaire dans les commandes. Notre retard est tel qu’il nous faut impérativement acquérir certains appareils auprès de De Havilland pour répondre aux besoins urgents, bien que ces équipements ne soient livrables que dans un délai de trois à cinq ans, voire davantage. Il est donc impératif de mettre un terme à cette dépendance.

Concernant les projets alternatifs, nous avons auditionné la société Hynaero, qui se trouve à la veille de construire un prototype d’hydravion bombardier d’eau, et qui bénéficie du soutien de l’État et d’Airbus. Ces garanties de sérieux nous permettent d’envisager favorablement l’aboutissement de ce projet. Une option transitoire consisterait également à reconditionner certains appareils – vous faites peut-être allusion, Monsieur le président, au projet de la société Kepplair, qui consiste à convertir un avion de transport en bombardier d’eau.

Tous ces projets nécessitent aujourd’hui un soutien financier décisif de l’État. La difficulté réside dans le fait que ces financements relèvent d’autres lignes budgétaires, notamment la recherche ou l’industrie, ce qui nous prive d’une visibilité complète. C’est pourquoi nous avons raisonné en enveloppe globale, estimant nécessaire de commander seize Canadairs. Au vu du retard accumulé, il serait judicieux de n’en commander qu’une partie et de réorienter le reste des moyens financiers vers le développement d’une filière française.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Le développement d’une filière sera assurément long – la DGSCGC estime qu’une dizaine d’années serait nécessaire –, mais il est inévitable. Les effets du changement climatique vont persister et s’amplifier dans les années à venir, ce qui nous contraint à agir dès à présent, sur la base d’une directive claire et d’une ambition politique réelle.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. La décision de développer une filière franco-européenne doit être prise dès aujourd’hui afin d’engager immédiatement les premières actions. Sans cela, nous continuerons chaque année à commander des appareils à l’étranger au prétexte de l’urgence. Dès lors, l’enjeu consiste à établir une stratégie équilibrée entre la réponse aux besoins immédiats et l’anticipation des défis à venir.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie de souligner ainsi que le rythme de nos investissements doit être dicté par la cartographie des risques.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le sujet de votre rapport, Madame et Monsieur les rapporteurs spéciaux, n’est pas nouveau. Ainsi que vous le soulignez, le vieillissement de la flotte n’est pas un sujet nouveau. Lors des grands incendies, nous avons dû nous résoudre à solliciter l’aide de nos partenaires italiens, espagnols et d’autres pays pour faire face à la situation.

Vous évoquez, dans votre rapport, le faible taux de disponibilité des hélicoptères et des bombardiers d’eau. La disponibilité ne peut évidemment jamais atteindre 100 %, compte tenu des périodes de maintenance et de grands entretiens. Mais il m’a été rapporté que lors de crises majeures, de nombreux appareils étaient inutilisables, car jugés dangereux. Disposez-vous de données précises concernant ce taux de disponibilité des hélicoptères et des bombardiers d’eau, rapporté à un taux normal ?

Avez-vous pu évaluer la qualité de la maintenance des hélicoptères et, dans une certaine mesure, des avions ? Existe-t-il une concurrence réelle dans le domaine de l’entretien des appareils ? Le choix d’externaliser l’entretien est-il plus pertinent que celui de disposer de ses propres ateliers de maintenance ?

Vous abordez également la dimension européenne du problème, au-delà de la seule production. Pourquoi importons-nous des bombardiers alors que nous possédons l’un des leaders mondiaux des hélicoptères à travers une filiale du groupe Airbus ? La piste de l’internationalisation, promue par l’Union européenne, qui cofinance d’ailleurs une partie des équipements à hauteur de 50 %, progresse-t-elle ? Le réchauffement climatique va multiplier les difficultés, rendant nécessaire une mutualisation de nos moyens pour intervenir en Grèce, en Italie et ailleurs, d’autant que les périodes critiques ne coïncident pas nécessairement.

Enfin, vous semblez critiques vis-à-vis de la location d’appareils. Or, considérant la forte concentration estivale de l’utilisation des bombardiers d’eau et des hélicoptères, cette solution n’est-elle pas utile pour gérer les pics d’activité et optimiser l’utilisation des équipements pour les entreprises propriétaires ?

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Nous avons rencontré au cours de nos travaux certaines difficultés pour obtenir des données. Toutefois, nous disposons du taux de disponibilité des hélicoptères pour l’année 2022, en l’occurrence 91 %. Le renouvellement de la flotte de quarante hélicoptères est actuellement engagé, avec un déploiement prévu sur quatre à cinq ans. Le taux de disponibilité des avions s’établit quant à lui à 88 % en 2022. Cependant, les témoignages recueillis sur le terrain révèlent que ce taux était bien moindre lors de certaines journées particulièrement chaudes de la période estivale. J’insiste sur le fait que ces données concernent l’année 2022 et ne reflètent pas la situation de la saison 2025. Il s’agit bien de moyennes annuelles qui masquent la réalité du vieillissement de la flotte et d’une disponibilité décroissante en période opérationnelle critique.

Le marché de la maintenance et de l’entretien est actuellement détenu par une entreprise privée, qui se trouve en situation de monopole, ce qui est problématique à bien des égards.

Quant à la location d’appareils, nous la considérons effectivement comme une solution transitoire permettant de traverser cette période critique, mais elle ne saurait constituer une réponse pérenne en raison de son coût exorbitant. Je rappelle les chiffres mentionnés dans notre rapport : 106 millions d’euros dépensés de 2020 à 2025 dans la location d’appareils. Nous prévoyons 30 millions d’euros pour 2025.

M. François Jolivet, président. J’ajoute que la disponibilité ne dépend pas uniquement de facteurs techniques, mais également des ressources humaines, notamment des pilotes.

Nous en venons à présent aux interventions des orateurs de groupe.

M. Emmanuel Fouquart (RN). Vous venez d’évoquer la société Hynaero, qui vient d’annoncer l’implantation d’une usine de production d’avions bombardiers d’eau dans ma circonscription, la treizième des Bouches-du-Rhône. Notre territoire étant particulièrement touché par des incendies, la création d’une filière française constitue un enjeu majeur de souveraineté. Cette nécessité s’avère d’autant plus cruciale que, selon les études liées au réchauffement climatique, les zones à risque d’incendie vont inéluctablement s’étendre, accroissant ainsi notre besoin en aéronefs de lutte contre les feux. Le calendrier annoncé paraît ambitieux, mais réaliste, puisque l’appareil Frégate-F100 pourrait être disponible dès 2029. J’encourage vivement l’ensemble de nos collègues à s’intéresser de près à ce projet stratégique pour notre territoire.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Ce projet est effectivement bien identifié par l’État. L’intérêt majeur du modèle F100 développé par Hynaero réside dans sa conception innovante et ses avantages significatifs par rapport au Canadair : une capacité d’emport d’eau nettement supérieure et une résistance accrue à la corrosion – l’un des principaux défauts du Canadair qui, conçu pour les grands lacs nord-américains, souffre de corrosion lorsqu’il est utilisé en milieu marin.

Les porteurs du projet ont récemment obtenu une aide financière leur permettant de lancer la construction du premier prototype. L’État manifeste donc son soutien, mais il doit s’engager davantage, car cette initiative pourrait constituer le socle d’une véritable filière industrielle nationale dans ce domaine stratégique.

M. Daniel Labaronne (EPR). Ce domaine des moyens de lutte contre les incendies se caractérise par une dépendance étrangère préoccupante, alors même que nos besoins augmentent considérablement en raison du changement climatique. L’enjeu d’autonomie stratégique que vous soulignez, Madame et Monsieur les rapporteurs spéciaux, est donc parfaitement légitime.

Avez-vous consulté lors de vos travaux les acteurs majeurs de notre industrie aéronautique, notamment Airbus, Dassault, ATR, Thales et Safran ? Existe-t-il des possibilités d’adaptation des plateformes existantes, comme la conversion du ATR 72, ou de certains Airbus tels que le C295 et l’A400M, en version bombardier d’eau ?

Par ailleurs, quelle structure juridique administre actuellement ces questions, tant pour la gestion de la flotte existante que pour les projets de développement futurs ? S’agit-il d’un groupement d’intérêt public ou d’un consortium industriel ?

Des avancées significatives sont à relever en matière d’innovations technologiques, particulièrement celles liées à l’intelligence artificielle. Une entreprise de ma circonscription a contribué au développement d’un système de détection précoce des risques d’incendie en milieu forestier, ayant bénéficié d’un financement européen de 30 millions d’euros. Quelles perspectives entrevoyez-vous dans ce domaine de la prévention des feux ? Je crois savoir que le programme européen Horizon Europe soutient financièrement ce type d’innovations portées par des PME.

Enfin, une mission d’information particulièrement pertinente sur le financement des services d’incendie et de secours (SIS) a récemment été conduite par nos collègues députés. Pourriez-vous nous indiquer quelles suites le gouvernement entend donner à ces travaux, et comment vous avez intégré cette réflexion dans votre propre réflexion ?

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Nous avons bien entendu rencontré l’ensemble des acteurs majeurs du secteur, notamment à l’occasion du Salon du Bourget. Nous maintenons avec eux un dialogue continu qui s’est traduit par plusieurs auditions et la réception de nombreuses contributions écrites.

La reconversion des appareils existants est un enjeu majeur. La transformation des ATR constitue précisément le cœur du projet porté par Kepplair Evolution, entreprise établie à Toulouse qui construit actuellement le hangar destiné à accueillir ses activités. Cette solution représente une mesure transitoire, au même titre que le recours à la location, dans l’attente soit des appareils de De Havilland, soit de ceux développés par Hynaero, ou plus largement d’une véritable filière française. Ce processus est non seulement envisageable, mais déjà engagé.

Nos travaux ont mis en évidence certains manques en matière de coordination, ce qui confirme les observations que nous avons réalisées sur programme le 161, Sécurité civile, dans le cadre du projet de loi de finances. Si la DGSCGC intervient dans les projets d’investissement, plusieurs ministères et organismes sont impliqués, tels que le secrétariat général pour l’investissement (SGPI) et la Banque publique d’investissement (Bpifrance). Or une véritable transversalité et une vision plus globale font défaut : la structuration actuelle en silos nuit manifestement à l’efficacité des projets, et les réelles difficultés que nous avons rencontrées pour obtenir des informations précises en témoignent.

Hynaero a récemment reçu une confirmation écrite lui permettant de lancer la production d’un prototype avec un soutien financier correspondant à ses attentes. Néanmoins, la vision d’ensemble reste difficile à appréhender.

En matière de recherche, vous vous souvenez peut-être que lors de l’examen de la précédente loi de finances, nous avions déposé un amendement qui visait à créer une ligne dédiée dans le budget du programme 161 pour la recherche, notamment sur l’intelligence artificielle. Diverses initiatives de recherche sont actuellement menées dans plusieurs structures : à l’Entente pour la forêt méditerranéenne à Gardanne, qui dispose d’un pôle laboratoire ayant notamment expérimenté le tanin de châtaignier comme retardant, à l’unité de recherche de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), ou encore à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris, qui développe la lance diphasique entre autres innovations. Ces efforts de recherche existent, mais requièrent une bien meilleure coordination et davantage de lisibilité sur les financements et les moyens mobilisés.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Nous avons observé une forte disparité selon les SIS en matière d’accès aux équipements innovants. Lors de nos échanges avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), ses représentants ont eux-mêmes reconnu ne pas disposer d’une vision exhaustive des équipements innovants accessibles à l’ensemble des SIS, puisque l’accès à ces équipements dépend de la capacité d’investissement de chacun d’eux.

Notre rapport propose d’intégrer ces équipements innovants au sein des pactes capacitaires, afin d’en centraliser davantage la gestion au niveau national, contrairement à la situation actuelle où l’acquisition de ces technologies repose exclusivement sur les moyens financiers des SIS et, par extension, sur les ressources des collectivités territoriales.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Ce rapport sur les moyens de lutte contre les incendies résonne malheureusement avec l’actualité brûlante, alors qu’une vague de chaleur exceptionnelle frappe notre pays. Je tiens également à m’associer à l’hommage rendu aux pompiers, aux secouristes et aux soignants qui sont intensément mobilisés et risquent de l’être tout au long de l’été.

Ce rapport va à l’encontre d’un certain discours que nous avons entendu lors de la discussion précédente en montrant la forte intrication qui existe entre les enjeux d’environnement, de santé publique et d’économie. J’espère que chacun dans cette commission prend pleinement conscience du mur climatique auquel nous nous heurtons et de l’impérieuse nécessité d’engager des politiques d’adaptation et de planification dans notre pays.

Avec la canicule, les situations alarmantes se multiplient : des enfants de maternelle dorment dans des dortoirs à 36 °C, des températures atteignant 35 °C dans les classes, des voyageurs piégés dans des trains sans climatisation où le thermomètre affiche 40 °C. Si seulement ces passagers disposaient de réseau dans l’intercité Paris-Clermont, ils auraient pu contacter la ligne info-canicule, le énième numéro vert mis en place par le gouvernement… Ce trait d’humour masque mal une réalité inquiétante : rien n’est véritablement préparé pour faire face aux événements climatiques extrêmes qui deviendront, qui deviennent déjà notre quotidien, notamment concernant le risque, très concret, de la multiplication des incendies de très forte intensité.

Dans mon département, le Puy-de-Dôme, nous avons connu en avril un incendie d’ampleur. Par chance, relative, peu de feux de forêt faisaient rage à cette époque de l’année. Nous avons néanmoins dû attendre l’arrivée de bombardiers d’eau venant d’autres régions, ce qui prend inévitablement du temps malgré la réactivité des services. Combien de temps attendrons-nous avant que le gouvernement agisse de manière significative ? L’argument budgétaire ne tient plus pour refuser d’investir dans la sécurité civile et dans les politiques publiques essentielles face au changement climatique, particulièrement lorsque le président de la République s’engage à consacrer 5 % de la richesse nationale à la défense via l’OTAN. On nous répète qu’il n’existe pas d’argent magique, sauf apparemment pour financer des politiques de défense sous influence américaine.

La question n’est donc pas celle des capacités budgétaires, la question est celle des choix politiques du gouvernement. Il est presque déjà trop tard pour prendre les décisions nécessaires face à cette urgence vitale qui menace la viabilité même de notre planète et de notre pays. Alors je pose cette simple question à Madame et Monsieur les rapporteurs spéciaux : pensez-vous que le gouvernement va enfin réagir à la suite de vos différents rapports et dans le contexte critique dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui ?

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Je partage totalement votre point de vue sur l’insuffisance des moyens alloués à la sécurité civile. Lors de l’élaboration de notre premier rapport, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris nous avait indiqué qu’elle atteignait l’équilibre budgétaire uniquement à la faveur de son sous-effectif chronique, ce qui traduit brutalement ce manque de moyens.

Les SIS sont le service public le moins coûteux du pays, avec environ 5 milliards d’euros de budget. À titre de comparaison, l’enseignement privé mobilise 10 milliards d’euros. Notre dispositif de sécurité civile repose excessivement sur l’engagement de volontaires, dont la disponibilité devient problématique. Nous avons trop longtemps compté sur le dévouement exceptionnel de nos sapeurs-pompiers, et le moment est venu d’accorder à cette profession la reconnaissance et les moyens nécessaires pour affronter efficacement les conséquences du changement climatique.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Nous disposons d’un modèle de sécurité civile unique, caractérisé par un engagement remarquable des sapeurs-pompiers qui seront à nouveau en première ligne tout au long de l’été. Le Beauvau de la sécurité civile a permis de mettre de nombreux sujets sur la table, et aujourd’hui la grande famille des sapeurs-pompiers attend légitimement une loi de modernisation ambitieuse, qui a été annoncée pour juin et qui a été reportée à l’automne.

Nous devons impérativement développer une stratégie nationale cohérente, tout en l’articulant pleinement avec la stratégie de l’Union européenne, qui vient d’ailleurs d’adopter sa propre politique de prévention des risques. Certains de nos collègues élus au niveau européen sont précisément spécialistes de la sécurité civile, ce qui facilite cette articulation. Nous avons d’ailleurs auditionné M. Grégory Allione, député européen et officier sapeur-pompier. La collaboration avec l’Union européenne s’avère essentielle, mais les attentes demeurent considérables concernant le projet de loi à venir.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Une question subsidiaire me vient à l’esprit. Les comparaisons internationales s’avèrent toujours riches d’enseignements. Avez-vous pu examiner comment la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et d’autres pays méditerranéens ont organisé leur dispositif ?

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Nous avons justement demandé à M. Allione si l’Union européenne pouvait nous fournir un état des lieux exhaustif du nombre de bombardiers d’eau disponibles, en distinguant clairement ce qui relève des flottes nationales et ce qui s’inscrit dans le cadre du programme « RescEU ».

Le programme « RescEU », je le rappelle, comporte trois niveaux d’intervention. Dans tous les cas, l’activation du dispositif requiert une demande formelle du pays membre concerné. L’intérêt majeur de ce programme, qui suscite d’ailleurs notre interrogation puisque la France n’a pas souhaité candidater lors de l’appel à candidatures lancé l’année dernière pour de nouveaux appareils, réside dans le fait que les aéronefs restent à la disposition du pays d’accueil lorsqu’ils ne sont pas mobilisés en renfort dans d’autres pays membres.

Les deux bombardiers d’eau commandés dans ce cadre sont financés intégralement par l’Union européenne. Toutefois, en incluant les équipements nécessaires à leur fonctionnement ou encore les droits de douanes, le coût total est pris en charge à 50 % par l’Union européenne et à 50 % par l’État. Cette opportunité mérite d’être saisie, mais il convient de déterminer précisément l’équilibre optimal entre cette flotte européenne et notre flotte nationale.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Madame et monsieur les rapporteurs spéciaux, votre travail met parfaitement en lumière les défis posés par l’évolution des risques climatiques et souligne les efforts déjà engagés en matière d’investissement, de modernisation et de coopération européenne. Il alimente utilement notre ambition de doter la sécurité civile de moyens à la hauteur des enjeux présents et futurs.

J’aimerais revenir sur la location des aéronefs, que vous qualifiez de coûteuse à long terme. J’entends qu’elle ne saurait constituer qu’une solution d’appoint. Néanmoins, vous indiquez que la DGSCGC peut louer jusqu’à six avions et dix hélicoptères bombardiers d’eau, alors que la flotte aérienne de la sécurité civile compte actuellement soixante aéronefs. Ce recours à la location ne semble pas disproportionné, particulièrement lorsqu’il s’agit de répondre à des besoins ponctuels liés à des phénomènes exceptionnels de grande ampleur. Avez-vous déterminé un seuil au-delà duquel la location d’aéronefs deviendrait excessive au regard de la flotte dite patrimoniale ?

J’observe par ailleurs que la situation de nos moyens de lutte contre les incendies conduit à réinterroger le modèle des SIS et la vision départementale qui s’est imposée en France.

Enfin, j’aimerais savoir quelles perspectives se dessinent dans le domaine de la détection précoce des feux et de la coordination des interventions aériennes, à la faveur des technologies émergentes, notamment l’intelligence artificielle.

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. En 2020, les coûts de location s’élevaient à 2,4 millions d’euros. En 2025, ils atteignent 30 millions d’euros. Si l’on projette cette évolution sur les cinq années à venir, la situation est réellement préoccupante.

La location n’est qu’une solution à court terme, et nous ne saurions nous en satisfaire. La question n’est pas tant celle du nombre d’appareils loués par rapport à la flotte des soixante aéronefs, mais bien le coût croissant de cette location.

M. François Jolivet, président. Pourriez-vous éclairer notre commission en rappelant le coût d’acquisition d’un Canadair ?

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. Un Canadair coûte environ 60 millions d’euros. En d’autres termes, si les coûts de location atteignent 60 millions d’euros l’année prochaine, cela équivaudra à l’acquisition d’un Canadair neuf.

Bien que notre rapport soit émaillé de points d’alerte, je ne voudrais pas qu’à sa lecture une impression négative l’emporte. Nous y saluons aussi le travail accompli concernant les hélicoptères et notamment la commande de quarante H145, qui changeront considérablement la donne.

Parallèlement à la question de l’acquisition d’équipements, nous devons appréhender celle de la couverture territoriale. C’est une question qui relève du pacte républicain. Aujourd’hui, certaines zones du territoire national demeurent des zones blanches, par exemple au sud du Massif central, ce qui n’est pas acceptable.

Le financement de la sécurité civile représente globalement 6 milliards d’euros, dont un peu moins d’un milliard d’euros en provenance de l’État. Le financement repose essentiellement sur les départements et les communes, sachant que ces dernières sont soumises à un plafond. Or nous savons les difficultés financières actuelles des départements. Nous atteignons par conséquent les limites d’un système, et c’est à cet égard que le projet de loi de modernisation nourrit de grandes attentes, et qu’il convient d’examiner quelles possibilités de financement s’offrent à nous.

Aujourd’hui, ce sont les assurances qui bénéficient des interventions des sapeurs-pompiers. En effet, lorsque ces derniers sauvent des maisons ou des vies, cela réduit le montant des indemnisations que les assureurs doivent verser. Certains pays comme la Suisse, par exemple, financent essentiellement leur sécurité civile par les assurances. C’est la raison pour laquelle, lors de l’examen du projet de loi de finances, nous avions proposé des amendements visant à augmenter la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA) sur la base de la valeur des biens sauvés.

Nous vous avions également proposé un amendement relatif à la taxe de séjour pour soutenir l’effort financier des départements. Il convient en effet de rappeler que de nombreux SIS sont aujourd’hui contraints, en plus des appareils alloués par l’État, de louer des équipements supplémentaires pendant la saison estivale et d’embaucher des saisonniers. Ces mesures, ces coûts supplémentaires, visent à faire face à l’afflux de touristes, lequel génère par ailleurs une activité économique importante.

M. Damien Maudet, rapporteur spécial. Aujourd’hui les financements ne sont plus à la hauteur des besoins des SIS. Le problème de la location n’est plus simplement ponctuel, il devient structurel. Les saisons des feux vont s’intensifier, entraînant mécaniquement une augmentation des locations. En outre, d’autres pays pourraient également avoir des besoins croissants, ce qui risque de tendre davantage le marché et potentiellement d’augmenter les prix de location.

M. François Jolivet, président. Une dernière question : je n’ai pas relevé, dans votre rapport, de section consacrée à la prévention et à la façon dont celle-ci pourrait éviter certains investissements ainsi que le coût des interventions. L’intelligence artificielle, les drones et les hélicoptères constituent des outils précieux pour la prévention. Quelle est votre appréciation des actions conduites en matière de prévention, qui relèvent souvent de la compétence des SIS ?

Mme Sophie Pantel, rapporteure spéciale. La prévention, comme dans tous les domaines et pour toutes les problématiques, est naturellement impérative. Notre recommandation de diversifier les investissements, notamment vers les drones et l’utilisation des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle, est en lien avec la prévention.

De nombreux SIS ont déjà mis en place des dispositifs de surveillance des forêts impliquant des citoyens et des sapeurs-pompiers volontaires, avec des partenariats établis avec l’Office national des forêts (ONF) et d’autres institutions. Il est certainement nécessaire de poursuivre cette surveillance, mais nous ne devons pas nous interdire d’exploiter les nouvelles technologies pour le monitoring de nos forêts et la détection précoce des départs de feu. Cette approche permettrait ainsi à la tactique française de sécurité civile, basée sur l’attaque massive et très rapide, de s’exercer pleinement.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie, Madame et Monsieur les rapporteurs spéciaux, et pour conclure ces échanges sur une note positive, j’aimerais tout de même rappeler que notre dispositif est cité en exemple dans le monde entier.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.


La Commission examine ensuite, en commission d’évaluation des politiques publiques, le rapport d’information sur les dépenses de soutien aux aéroports de Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale du programme 203 Infrastructures et services de transports de la mission Écologie, développement et mobilité durables, ainsi que du budget annexe Contrôle et exploitation aériens.

M. François Jolivet, président. Nous passons au rapport d’information sur les dépenses de soutien aux aéroports présenté par Mme Christine Arrighi.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale du programme 203 Infrastructures et services de transports de la mission Écologie, développement et mobilité durables, ainsi que du budget annexe Contrôle et exploitation aériens. À l’heure où chacun recherche des pistes d’économies budgétaires et invoque un contexte budgétaire contraint pour justifier l’absence d’investissements pourtant indispensables à la transition écologique, notamment dans le transport ferroviaire, il m’a semblé pertinent d’examiner, dans le cadre du Printemps de l’évaluation, des dépenses dont la légitimité n’apparaît pas avec la force d’une évidence, à savoir celles de soutien aux aéroports.

Le rapport d’information que je vous présente aujourd’hui ne fait toutefois qu’amorcer un examen de ces dépenses, et nécessitera assurément des recherches complémentaires. Je dois en effet souligner d’emblée les conditions particulièrement difficiles dans lesquelles j’ai mené ce travail. Je me suis heurtée à de fortes réticences pour agréger l’ensemble de la documentation et obtenir des informations fiables sur le montant des aides versées aux aéroports, notamment les aides d’exploitation. J’ai reçu des réponses partielles, tardives, quand elles me sont parvenues. J’ai même essuyé des refus au nom de la sensibilité commerciale ou du secret des affaires, ce qui est inacceptable, car il s’agit de fonds publics versés à des structures souvent déficitaires dans un contexte budgétaire tendu. Le Parlement a le droit de connaître précisément l’utilisation de l’argent public et les moyens dont bénéficient ces acteurs économiques, parfois en concurrence avec d’autres modes de transport beaucoup plus vertueux sur le plan environnemental. Cette opacité constitue un problème tant démocratique que budgétaire et appelle une réponse collective adaptée, que je m’efforcerai de formuler prochainement, car, malgré ces obstacles dressés devant moi, je compte poursuivre mes investigations sans relâche.

Les aéroports appartiennent majoritairement aux collectivités territoriales et, pour certains d’entre eux, à l’État. Leur financement repose sur diverses recettes : redevances aéroportuaires, recettes extra-aéronautiques, tarif de sûreté et de sécurité des taxes sur le transport aérien de passagers et sur le transport aérien de marchandises, auxquelles peuvent s’ajouter emprunts et subventions d’exploitation ou d’investissement versées par leur propriétaire. Il s’agit ainsi d’un véritable maquis d’aides et de subventions.

L’octroi de certaines de ces aides est autorisé sous condition par le droit européen et strictement encadré, tandis que d’autres aides sont assimilables à des dépenses économiquement rationnelles d’un opérateur en économie de marché. Par ailleurs, certaines aides sont octroyées par le propriétaire de l’aéroport à l’exploitant, alors que d’autres sont accordées par l’exploitant aux compagnies aériennes. Ces deux catégories sont toutefois étroitement liées : c’est précisément parce que les exploitants versent des aides aux compagnies aériennes que la puissance publique, autrement dit le contribuable, doit ensuite compenser ces aides par des subventions pour équilibrer les comptes. Il s’agit là d’une forme de chantage extrêmement pernicieuse.

Commençons par examiner les redevances aéroportuaires. De même que l’on parle tantôt de charges sociales, tantôt de cotisations sociales selon le point de vue, ou bien d’aides aux entreprises plutôt que de subventions, la terminologie varie en fonction de ce que l’on veut faire dire au terme redevance : ce qui constitue ici une redevance peut être qualifié là d’aide ou de subvention selon la perspective que l’on adopte. Les redevances aéroportuaires sont acquittées par les compagnies aériennes en contrepartie des services rendus par les exploitants d’aéroports. La loi prévoit qu’elles peuvent faire l’objet de modulations pour divers motifs d’intérêt général, ou dans le cadre de l’application du principe de l’opérateur en économie de marché.

Cependant, cette dernière possibilité est fréquemment détournée pour octroyer des aides déguisées, accordées de manière illégale et discriminatoire aux compagnies aériennes à bas coût. Le prix final est assumé par les contribuables, puisque le passager bénéficie de tarifs réduits tandis que lesdits contribuables soutiennent une activité dont nombre d’entre eux ne peuvent bénéficier, faute de moyens pour voyager. Les obligations de notification de ces aides ne sont pas respectées, ce qui empêche la direction générale de l’aviation civile (DGAC) d’en vérifier la légalité et d’en avoir une vision globale.

Un autre gisement d’aides considérable pour les compagnies à bas coût réside dans les accords commerciaux conclus avec les exploitants d’aéroport pour des contrats de prestations mercatiques. Ces accords ne profitent qu’aux compagnies aériennes, nullement aux aéroports, mais certains exploitants persistent pourtant à les signer par crainte d’un effondrement du trafic. Cette pratique, qui s’apparente à un véritable chantage vis-à-vis des aéroports, permet aux compagnies aériennes de gonfler leurs profits et aux passagers de payer leur billet bien en deçà de leur coût réel. Elle s’effectue au détriment du contribuable, qui finance les aéroports rendus déficitaires par ces contrats désavantageux, et de la planète, qui subit les conséquences d’une hausse du trafic induite par ces subventions déguisées. Les retombées économiques sur le territoire du trafic aéroportuaire semblent par ailleurs très limitées, comme le démontrent plusieurs études mentionnées dans mon rapport d’information.

La pratique des contrats de prestation mercatique a généré un contentieux nourri au niveau européen. Le contrôle de sa légalité s’avère particulièrement difficile en raison de la complexité du sujet, de l’insuffisance des moyens administratifs et, concrètement, de l’absence de contrôle en cas de non-transmission de ces contrats. L’Autorité de régulation des transports (ART) pourrait utilement voir son rôle renforcé en la matière, sous réserve d’une augmentation significative de son budget et de ses moyens juridiques. J’ai saisi l’ART en suggérant cet élargissement de ses compétences. Sans surprise, l’ART n’y est pas favorable dans le contexte actuel, mais il sera loisible au législateur de lui octroyer les moyens nécessaires dans le cadre d’un éventuel transfert de compétences.

De nombreux aéroports étant structurellement déficitaires en raison des aides légales ou illégales qu’ils accordent aux compagnies aériennes, ils dépendent inévitablement des subventions publiques pour poursuivre leurs activités. Ces aides sont également encadrées par le droit européen, tant pour le fonctionnement que pour les investissements. L’avenir des aides de fonctionnement demeure actuellement incertain. Initialement programmées pour s’arrêter en 2024, elles ont été prolongées jusqu’en 2027, et il paraît peu probable qu’elles ne soient pas reconduites sous une forme ou une autre. Si tel devait être le cas, elles gagneraient à être assorties d’une éco-conditionnalité ambitieuse.

La transparence de ces aides doit être considérablement renforcée. Estimées à hauteur d’une soixantaine de millions d’euros annuels acquittés volontairement par les collectivités territoriales, elles restent particulièrement difficiles à examiner en raison d’une très forte et déplorable opacité. Le rapport sur l’impact environnemental du budget pourrait utilement inclure un panorama complet de ces aides. Alors même que leur efficacité n’a pas été démontrée, le contrôle politique exercé sur ces subventions devrait être substantiellement renforcé afin que les élus locaux en soient mieux informés et puissent se prononcer de façon plus éclairée sur leur bien-fondé.

Vous avez pu prendre connaissance dans mon rapport d’information de mes recommandations. Elles visent toutes à assurer une meilleure transparence et une régulation plus stricte de ces aides, ces deux aspects étant actuellement très insuffisants. Cette opacité complique considérablement notre mission de législateur et d’évaluateur des politiques publiques. J’espère par conséquent que nous nous retrouverons unis lors des votes quand je déposerai des propositions législatives visant à corriger ces manquements.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie, madame la rapporteure spéciale, pour ces éclaircissements sur l’enchevêtrement complexe entre collectivités territoriales, partenaires, exploitants, compagnies aériennes, et sur le système des aides directes, qu’elles soient notifiées ou non à l’Union européenne, avec les risques que vous avez identifiés.

Vous proposez dans votre rapport d’information de conditionner les aides aux aéroports et aux compagnies à des objectifs environnementaux ambitieux. Parallèlement, vous soulignez l’existence de dessertes pour lesquelles aucune alternative n’est disponible. Dès lors, comment envisagez-vous concrètement la mise en œuvre de cette conditionnalité environnementale ? Dans cette configuration, la compagnie se trouve inévitablement en position de force, car si une collectivité territoriale entreprend de conditionner l’aide, elle pourrait décider de ne plus desservir le territoire en question, ce qui ne manquerait pas de poser de graves problèmes d’enclavement.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Vous soulevez précisément la question des lignes subventionnées pour des raisons de continuité territoriale ou en raison d’une rentabilité insuffisante sans soutien public. Ces situations sont effectivement prévues dans le cadre réglementaire des aides.

Permettez-moi de clarifier un point fondamental : ces sommes sont techniquement qualifiées de redevances puisqu’elles sont acquittées par les compagnies aériennes. Ces redevances peuvent être modulées, et c’est précisément lorsqu’elles le sont qu’on les désigne comme des aides. Cette nuance explique certaines confusions. Ce qui constitue en principe une recette pour l’aéroport peut, par le biais de ces modulations tarifaires, devenir une aide. Ces modulations sont soumises à l’ART pour les aéroports accueillant plus de cinq millions de passagers par an. Pour les autres aéroports, les modulations sont examinées par une commission consultative économique. Je préconise justement d’étendre les compétences de l’ART à ces aéroports.

Plusieurs formes de modulation sont actuellement en vigueur.

La première forme concerne les modulations visant à réduire ou compenser les atteintes à l’environnement. Tous les élus ayant un aéroport dans leur circonscription connaissent bien cette problématique, car nous sommes régulièrement interpellés par des riverains subissant les nuisances aériennes sans nécessairement bénéficier des services offerts par l’aviation. Ces modulations environnementales concernent notamment les nuisances sonores, avec des pratiques variant selon les sites. Ces dispositifs peuvent inclure des amendes, contrôlées par l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA). Les écologistes ont d’ailleurs proposé qu’une loi renforce ces sanctions, et je rappelle qu’un amendement que j’avais déposé pour aggraver ces amendes avait été adopté par l’Assemblée nationale, mais finalement écarté par le Gouvernement à la suite de son recours à la procédure prévue à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution. Des amendes sont également prévues en cas d’infraction au couvre-feu. Par ailleurs, ces modulations permettent aux aéroports d’inciter les compagnies à utiliser des créneaux horaires moins demandés, afin de mieux répartir le trafic sur l’ensemble de la journée.

Le deuxième type de modulation concerne l’amélioration de l’utilisation des infrastructures. Ces dispositifs répondent à des critères précis pour renforcer les liaisons existantes. Dans la pratique, ces aides au renforcement des liaisons aériennes sont souvent dissimulées, coûteuses et parfois même illégales. Elles prennent généralement la forme d’accords commerciaux entre une compagnie aérienne et l’exploitant aéroportuaire. En théorie, ces accords devraient être mutuellement bénéfiques, mais la Cour des comptes a relevé que certains aéroports concluent des contrats économiquement défavorables, allant jusqu’à offrir gratuitement l’utilisation des services aéroportuaires. À cet égard, les redevances de l’aéroport de Paris-Beauvais constituent un exemple emblématique.

Le troisième type de modulation vise à favoriser la création de nouvelles lignes. Pour les liaisons que les compagnies n’exploiteraient pas spontanément faute d’intérêt économique, des aides au démarrage sont susceptibles d’être accordées et s’inscrivent dans le cadre dérogatoire au droit européen de la concurrence libre et non faussée. L’Union européenne tolère ces aides au démarrage, mais sous des conditions strictes : les compagnies doivent notamment présenter un plan d’affaires démontrant que les nouvelles liaisons continueront à être exploitées sans aide au-delà de la période subventionnée de trois ans.

En pratique, lors de mes investigations auprès des aéroports, je me suis heurtée au secret des affaires, ce qui, je le répète, n’est pas acceptable. Mais j’ai tout de même pu découvrir dans certains cas qu’aucun plan d’affaires n’était même établi : l’aéroport et la compagnie concluent simplement un contrat déficitaire, conduisant ensuite la collectivité territoriale, donc les contribuables, à combler le déficit.

Enfin, il existe une dernière catégorie de modulations. Il s’agit de celles répondant aux impératifs de continuité et d’aménagement du territoire. Ce dispositif est relativement peu utilisé par les exploitants, qui lui préfèrent généralement les obligations de service public, autre outil permettant de déroger aux règles européennes de concurrence. Ces modulations territoriales ont notamment servi à subventionner le déficit d’exploitation de la liaison entre l’aéroport de Pau-Pyrénées et l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, pour un montant de 194 914 euros, en contrepartie du transport de 255 personnes sur deux semaines. Cela représente une prise en charge publique de 764 euros par passager. La chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine a estimé que cette subvention apparaissait largement infondée – conclusion que j’approuve pleinement.

L’évaluation globale de ces aides reste très lacunaire dans mon rapport d’information, je vous l’accorde, n’étant pas parvenue à obtenir les informations pertinentes. Dans son excellent rapport intitulé Le maillage aéroportuaire français de juin 2023, dont les recommandations sont malheureusement restées lettre morte, la Cour des comptes avait interrogé chaque aéroport pour disposer de données consolidées au niveau national. Je propose donc que ces informations remontent régulièrement, sinon directement au Parlement, du moins à la DGAC, afin que nous puissions, le moment venu et dans le cadre d’une politique cohérente sur le maillage aéroportuaire français, prendre des décisions éclairées sans avoir à collecter à nouveau l’ensemble des données.

M. Charles de Courson, rapporteur général. L’évaluation de ces aides est rendue complexe par la structure de propriété. Les collectivités territoriales, propriétaires des aérodromes, assument souvent les investissements tandis qu’une société privée en assure l’exploitation. La qualification même des aides à l’investissement pose question. Peut-on considérer qu’il s’agit réellement d’une aide si les installations ne sont pas louées à l’exploitant ?

S’agissant des aides mercatiques, les négociations avec les compagnies aériennes, notamment les compagnies à bas coût, qui y portent le plus grand intérêt, s’avèrent particulièrement complexes, d’autant que ces dispositifs sont limités dans le temps. Certaines compagnies pratiquent un véritable nomadisme aéroportuaire, ne restant que deux ou trois ans avant de changer de plateforme. Ainsi, différentes collectivités territoriales financent successivement leurs frais de démarrage, d’ouverture de lignes, de publicité et autres. Il serait pertinent, madame la rapporteure spéciale, d’approfondir dans votre prochain rapport cette question des compagnies à bas coût itinérantes.

Je tiens à rappeler que l’augmentation du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers a eu des répercussions significatives sur les implantations aéroportuaires. J’avais d’ailleurs signalé en commission que les deux principales compagnies concernées m’avaient clairement indiqué que l’adoption de cette mesure entraînerait la fermeture d’une partie de leurs implantations, ce qu’elles ont effectivement fait par la suite.

Il conviendrait probablement de demander aux préfectures d’examiner précisément les investissements réalisés par les différentes collectivités propriétaires de ces plateformes, qu’il s’agisse de communes, d’intercommunalités, de départements ou de régions, puisque tous ces cas de figure existent. Concernant le fonctionnement, le processus de notification et d’autorisation rend ces informations plus accessibles. En revanche, pour les investissements, une investigation approfondie auprès de l’ensemble des propriétaires de plates-formes s’impose, sachant qu’on en dénombre environ 250.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Un tel travail d’évaluation réclame une analyse aéroport par aéroport, en conséquence directe du transfert de propriété de beaucoup d’entre eux aux collectivités territoriales en 2000. J’ai tenté d’obtenir auprès des régions les informations relatives aux aides octroyées dans le cadre de ces contrats et aux subventions associées. Malheureusement, seules deux régions m’ont répondu, tandis que d’autres soit n’ont pas donné suite, soit ont invoqué l’absence ou l’indisponibilité du responsable technique et administratif pour justifier leur incapacité à me fournir ces éléments. Le temps ne m’a pas permis d’approfondir ce point, mais cette absence d’information et ce refus de communication témoignent de la difficulté qu’éprouvent certaines collectivités face à cette question.

Vous évoquez, monsieur le rapporteur général, le nomadisme aéroportuaire pratiqué par les compagnies à bas coût pour bénéficier des aides. Si le passager peut parfois en tirer avantage, profitant de tarifs avantageux ou de nouvelles liaisons, la faible fréquentation de certaines lignes révèle que la principale victime de ces pratiques reste le contribuable.

Dans ce contexte, j’ai également sollicité les plans d’affaires qui doivent normalement accompagner ces projets. Force est de constater que ces documents sont soit inexistants, soit extrêmement lacunaires. Du côté des collectivités, les études sur les retombées touristiques, qu’on pourrait légitimement attendre, sont généralement absentes, notamment parce que ces lignes sont souvent destinées à des voyages vers l’extérieur plutôt qu’à attirer des touristes. Nous subventionnons donc indirectement des pays étrangers pour permettre à nos concitoyens d’y séjourner le temps d’un week-end. On pourrait qualifier cela d’aide au développement indirect, mais certainement pas de contribution à la lutte contre le dérèglement climatique.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Le Rassemblement national entend veiller au rétablissement d’une véritable égalité entre les territoires et les villes, et faire de la continuité territoriale un impératif national concret, au-delà des simples déclarations d’intention.

Madame la rapporteure spéciale, votre rapport d’information me semble empreint d’une certaine dimension moralisatrice. Vous présentez les compagnies à bas coût et leurs passagers comme les grands bénéficiaires de nos dépenses publiques, tandis que la planète en serait la principale victime. Cette approche néglige les enjeux essentiels de compétitivité et d’attractivité de nos territoires.

Votre analyse ne prend pas suffisamment en compte les retombées économiques, qu’il s’agisse de l’aviation d’affaires, du tourisme ou de l’emploi, particulièrement dans les zones rurales. J’entends qu’il est difficile d’agréger la documentation nécessaire, mais enfin vous jugez que ces retombées économiques sont très limitées sans vous appuyer sur des études exhaustives. La fonction d’aménagement du territoire, pourtant fondamentale pour les départements enclavés, se trouve reléguée au second plan, éclipsée par le seul objectif de réduction du trafic aérien.

En guise d’amélioration, vous multipliez des recommandations que nous jugeons disproportionnées et pénalisantes, principalement à l’égard des territoires. Ces mesures augmenteraient mécaniquement le prix des billets pour nos concitoyens, en particulier les ménages populaires, fragiliseraient les aéroports régionaux et créeraient une nouvelle taxe sur l’aviation pour financer davantage l’ART.

Pourquoi n’envisagez-vous aucune approche technologique et incitative, comme le soutien à la modernisation des flottes plutôt que la taxation du trafic ? Pourquoi ne pas effectuer une véritable analyse coût-bénéfice intégrant l’ensemble des retombées locales ? Pourquoi ne pas adapter les exigences environnementales à la taille des petits aéroports régionaux comparativement aux grandes plates-formes ? Et enfin, pourquoi créer une nouvelle taxe et renforcer un contrôle que vous reconnaissez vous-même inefficace ?

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Les réponses à ces questions figurent en réalité dans le rapport spécial que j’écris chaque année sur le projet de loi de finances ; ils couvrent l’ensemble des mobilités.

Je ne souhaite nullement contraindre la mobilité de nos concitoyens, mais rappeler que d’autres options sont possibles, notamment les liaisons ferroviaires. Vous trouverez dans mes rapports spéciaux susmentionnés, ainsi que dans plusieurs autres travaux que j’ai effectués, des propositions extrêmement précises et denses sur les liaisons ferroviaires qui pourraient efficacement remplacer certaines liaisons aériennes, avec un coût identique pour le passager et un impact environnemental considérablement réduit en matière d’émissions de gaz à effet de serre.

Mon rapport d’information s’inscrit dans le cadre du Printemps de l’évaluation. À ce titre, il n’a pas vocation à traiter l’ensemble des sujets relatifs au transport aérien, notamment la production de carburants d’aviation durables ou les nouvelles technologies développées par Safran pour les moteurs. Il ne couvre pas non plus les incitations à la production de ces énergies alternatives sur notre territoire, éléments qui s’inscrivent dans notre projet de réindustrialisation en faveur de la transition écologique. En un mot, ce rapport d’information se concentre sur la question du maillage aéroportuaire, son utilité, son coût pour la collectivité et particulièrement pour les contribuables.

Vous affirmez, madame Roy, ne pas vouloir priver nos concitoyens qui en bénéficient de ces liaisons. Permettez-moi de vous demander combien de nos concitoyens, à votre avis, en bénéficient réellement ? Lorsqu’on prend un avion, même à bas coût, pour un week-end à l’étranger, il faut ensuite se loger et se nourrir sur place. Pensez-vous sincèrement que les personnes issues des quartiers populaires utilisent ce type de liaison, que nos compatriotes en difficulté économique y ont accès et que ces compagnies à bas coût profitent à l’ensemble des citoyens que vous prétendez défendre ? Non, bien entendu, et ce n’est pas là mon appréciation personnelle, car les chiffres sont têtus madame, et démontrent sans ambiguïté que ces liaisons favorisent uniquement les classes moyennes supérieures, celles qui peuvent se permettre de débourser non seulement le prix du billet d’avion, mais également celui de l’hébergement à destination.

M. Daniel Labaronne (EPR). Les aéroports, particulièrement les petits et moyens aéroports régionaux, concentrent des enjeux multiples : économiques, environnementaux, territoriaux, budgétaires et géopolitiques.

Avant de vous adresser mes questions, madame la rapporteure spéciale, permettez-moi une remarque : l’aéroport de Tours-Val de Loire assure des liaisons vers le Portugal, l’Algérie et le Maroc, et je puis attester que les voyageurs qui utilisent ces lignes sont majoritairement des personnes à revenu modeste.

Cela étant précisé, pourriez-vous clarifier si les aides que vous évoquez dans votre rapport d’information englobent les subventions d’exploitation, les aides à l’investissement et les compensations des obligations de service public ? Avez-vous défini des critères d’éligibilité précis pour l’octroi d’aides aux aéroports ? Existe-t-il une méthodologie permettant de déterminer quels aéroports peuvent légitimement bénéficier de subventions et lesquels ne le devraient plus ?

L’aéroport de Tours-Val de Loire, j’y reviens, revêt une importance cruciale pour les transports sanitaires, notamment concernant les greffes cardiaques. Dans ce cas, l’activité commerciale permet le maintien de cet aéroport pour cette mission de santé publique essentielle. Selon votre analyse, sommes-nous en situation de surcapacité aéroportuaire en France ? Enfin, existe-t-il une vision stratégique à long terme pour l’avenir des petits aéroports régionaux ?

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. En prenant l’exemple de l’aéroport de Tours-Val de Loire, vous faites référence, monsieur Labaronne, aux lignes aériennes utilisées par les classes populaires. Ces liaisons, que l’on qualifie de lignes familiales, sont effectivement très fréquentées et indispensables pour permettre un retour au pays d’origine pendant les périodes de vacances.

Mon analyse ne vise absolument pas ce type de liaisons aériennes. Son objectif consiste à établir une synthèse claire de ce maquis complexe constitué de taxes, d’aides et de redevances qui caractérise le secteur aéroportuaire. J’ai d’ailleurs pris soin de traiter à part les aéroports de plus de cinq millions de passagers, puisque le décret n° 2025-378 du 25 avril 2025 relatif aux redevances aéroportuaires confère de nouvelles compétences à l’ART concernant le contrôle des redevances.

Il s’agit également d’évaluer, au regard du maillage national, les perspectives d’évolution de certains aéroports dans le cadre d’une vision prospective d’aménagement du territoire. Cette démarche ne se limite évidemment pas à la seule question aéroportuaire, car une approche restreinte de la mobilité serait trop étriquée. Au contraire, nous devons inscrire cette réflexion dans une vision globale d’aménagement territorial intégrant l’ensemble des modes de transport : ferroviaire, routier, autoroutier et aérien.

Dans cette perspective, l’utilité de certains aéroports mérite d’être interrogée. Prenons l’exemple concret des aéroports de Pau-Pyrénées et Tarbes-Lourdes-Pyrénées, distants d’une trentaine de kilomètres. Est-il vraiment pertinent que des collectivités territoriales, donc les contribuables, financent un aéroport déficitaire qui concurrence directement l’infrastructure voisine ? Cette situation nécessite en effet des modulations d’aides et des subventions pour maintenir artificiellement l’un ou l’autre en activité.

En réponse à votre dernière question portant sur l’utilité de certains aéroports qui ne servent pas uniquement aux lignes commerciales, mais également aux écoles de pilotage, à la défense nationale, au transport de fret ou au transport d’organes pour les greffes, ces aspects sont naturellement pris en compte dans notre vision globale des infrastructures aéroportuaires.

Les innovations technologies méritent également une réflexion approfondie. Des lignes transversales qui nécessiteraient des investissements ferroviaires extrêmement lourds, tant sur le plan financier que sur le plan environnemental, pourraient être utilement desservies par de petits aéronefs. Nous espérons que ces appareils seront, à terme, non pas simplement bas-carbone, mais totalement décarbonés, même si l’empreinte environnementale de leur fabrication demeurera. Des technologies prometteuses émergent. Je ne parle pas là de celle de l’avion à hydrogène, qui a été abandonnée, mais d’autres solutions qui seraient susceptibles d’offrir des perspectives intéressantes.

Je tiens à souligner que mon rapport d’information ne vise aucunement à condamner l’aviation, mais à la repenser dans l’environnement de demain, caractérisé par une articulation intelligente des différentes mobilités. Cette réflexion que nous devons mener intègre les impératifs climatiques qui s’imposent à nous et notre responsabilité d’agir pour la planète, pour la décarbonation et, in fine, pour la santé de tous.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Votre rapport d’information, madame la rapporteure spéciale, lève le voile sur un système à la fois coûteux et absurde : celui du soutien public massif accordé au transport aérien sans véritable discernement. La présentation de ce rapport d’information nous vaut par ailleurs des réactions aussi savoureuses que révélatrices de la part des députés membres du groupe Rassemblement national, qui démontrent s’il en était besoin non seulement leur incompréhension des enjeux tant écologiques que budgétaires, mais aussi l’arnaque sociale qu’ils promeuvent. J’observe en tout cas qu’ils sont peu regardants sur l’utilisation des fonds publics lorsque, chaque année, 60 millions d’euros d’argent public partent en fumée dans des conditions particulièrement opaques, au bénéfice de compagnies privées souvent peu scrupuleuses en matières sociale et environnementale.

En réalité, nous finançons à grands frais des aéroports et des liaisons déficitaires, souvent désertés, pendant que nous laissons fermer des gares. À cet égard, les chiffres donnent le vertige : on dépense jusqu’à 200 euros en subventions publiques par passager sur certaines lignes, notamment celle reliant Le Puy-en-Velay à Paris, où la région Auvergne-Rhône-Alpes a triplé sa subvention cette année pour une moyenne de cinq passagers par vol. Dans le même temps, la réouverture de la ligne ferroviaire reliant Clermont-Ferrand à Ussel, desservant un bassin de vie de 500 000 habitants, est jugée trop coûteuse par le gouvernement et la région Auvergne-Rhône-Alpes. Autre exemple frappant, qui confine même au scandale : l’aéroport de Clermont-Ferrand-Auvergne, dix fois moins fréquenté que la gare, reçoit plusieurs millions d’euros d’aides publiques chaque année pour fonctionner, alors qu’il a été concédé à Vinci, multinationale aux 4,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Ce système s’avère non seulement inefficace, mais également néfaste. Il gaspille l’argent public avec peu de contrôle et de transparence tout en aggravant les disparités territoriales et les inégalités dans le contexte actuel. Nous estimons qu’il est temps d’y mettre un terme. Nous avons formulé des propositions, car défendre les territoires ruraux et lutter contre l’enclavement ne peut dépendre d’un avion financé à prix d’or ne profitant qu’à quelques passagers. Cette défense passe avant tout par un réseau ferroviaire public utilisable par le plus grand nombre.

Je souhaite assurer madame la rapporteure spéciale qu’elle peut compter sur notre soutien pour voter ses amendements pendant les débats à venir, mais également pour travailler sur la reconversion des emplois essentiels dans les aéroports. En effet, ces derniers doivent aujourd’hui trouver d’autres débouchés dans la période que nous traversons et que nous continuerons malheureusement à vivre, compte tenu de l’inaction du gouvernement en matière de bifurcation écologique.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Je partage entièrement votre diagnostic, madame Maximi. Je précise toutefois que les 66 millions d’euros d’aides mentionnés dans mon rapport d’information concernent uniquement les aides de fonctionnement et d’investissement. En revanche, je demeure dans l’incapacité de déterminer, en prenant en compte, outre ces aides, les contrats mercatiques et l’ensemble des modulations de redevances aéroportuaires, combien ce secteur coûte réellement.

M. Romain Eskenazi (SOC). Madame la rapporteure spéciale, je tiens à saluer votre travail et votre initiative dans le cadre de ce que nous pourrions qualifier de mission de contrôle parlementaire des politiques publiques. Il existe manifestement un déficit de contrôle de ces politiques, tant en matière de volume que d’efficacité et d’impact réel.

En ma qualité de rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire sur le budget annexe Contrôle et exploitation aériens pour le projet de loi de finances pour 2025, j’avais pu constater les différences de prix significatives entre un même trajet en train ou en avion. Ces écarts ne résultent pas uniquement des mécanismes du marché, mais également d’un soutien public considérable accordé au secteur aérien. Nous savions que le kérosène, en vertu d’accords internationaux, n’est pas taxé, nous savions également que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est inexistante pour les vols internationaux et qu’elle est appliquée à taux réduit pour les vols intérieurs. Votre rapport d’information nous apprend désormais que des lignes et des aéroports sont également subventionnés par le biais de diminutions des redevances aéroportuaires. Il est parfaitement normal qu’une compagnie rémunère les services de la plateforme, mais ces réductions tarifaires ne font l’objet d’aucune évaluation rigoureuse. Envisagez-vous, dans les travaux que vous mènerez ultérieurement, d’établir une vision plus globale de ces montants ?

Je partage entièrement votre position quant à la nécessité d’assurer une continuité territoriale, notamment pour les territoires ultramarins où les liaisons ferroviaires s’avèrent parfois impossibles. Il ne s’agit aucunement de supprimer indistinctement l’ensemble de ces aides. La puissance publique peut légitimement, par solidarité et par nécessité, soutenir certaines liaisons, mais d’autres apparaissent superflues et ne répondent pas à un besoin réel des populations.

Ces fonds publics, dont la raréfaction s’accentue aujourd’hui, pourraient – sans opposer entre eux les modes de transport – contribuer à la décarbonation du secteur aérien lui-même, comme vous l’avez évoqué, par le développement de carburants d’aviation durables et le renouvellement des flottes. Ils pourraient également, à l’image de l’affectation d’une partie des recettes du tarif de solidarité de la taxe sur le transport aérien de passagers à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), financer des investissements dans le réseau ferroviaire afin de réduire cet écart de prix artificiel qui persiste entre un billet d’avion et un billet de train.

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Mon rapport d’information met en évidence à la fois un maquis réglementaire peu lisible et une forte stratification des instances de contrôle puisqu’en deçà du niveau européen viennent la DGAC et l’ART, dont l’intervention dépend de la catégorie de l’aéroport ; s’ajoute ensuite le contrôle de légalité exercé par les préfectures, qui disposent de moyens limités pour examiner des dossiers d’une extrême complexité réglementaire. Au milieu de cette architecture institutionnelle s’insèrent les contrats mercatiques, qui ne relèvent pas du régime des redevances, mais constituent des accords conclus entre l’exploitant et une compagnie.

Cet ensemble forme un véritable labyrinthe de dispositions disparates. C’est pourquoi je formule des préconisations concernant l’obligation de communiquer l’intégralité de ces éléments. En effet, les régions intègrent souvent les montants des contrats mercatiques dans les subventions. Lorsque ces informations parviennent au niveau du contrôle de légalité, elles ne sont pas nécessairement identifiées pour permettre un contrôle effectif ni même portées à la connaissance de l’assemblée délibérante, puisqu’il s’agit de décisions adoptées parfois sans délibération spécifique, noyées dans le flux des opérations budgétaires.

Il est par conséquent indispensable d’approfondir considérablement ce sujet, non seulement dans le cadre de notre mission d’évaluation des politiques publiques en matière budgétaire, mais également dans une perspective plus large. Il apparaît en effet essentiel d’appréhender globalement notre maillage territorial combinant réseaux ferroviaire, routier, services d’autocar et liaisons aériennes, afin de concevoir une vision prospective fondée sur des recommandations précises, des constats objectifs et des diagnostics rigoureux.

Aujourd’hui je me trouve dans l’incapacité de réaliser un diagnostic financier précis concernant ce maillage aéroportuaire, mais je compte bien y parvenir étant donné l’importance qu’il revêt au regard des enjeux technologiques, budgétaires et de décarbonation auxquels nous faisons face. Il est impératif que nos décisions politiques s’appuient sur une connaissance approfondie, une information rigoureuse et un contrôle efficace des pratiques non vertueuses, qui sont d’ailleurs contestées au niveau européen par Air France.

Il nous appartient de mettre en place une articulation administrative permettant à une autorité de disposer de l’ensemble des dossiers et d’exercer un contrôle sur pièces. Force est de constater que l’organisation même de cette collecte d’informations présente actuellement d’importantes défaillances.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Le dense maillage aéroportuaire français constitue à mon sens un atout stratégique, particulièrement du point de vue de l’aménagement du territoire, qu’il convient de préserver face aux incertitudes de l’avenir. Comme vous le soulignez dans votre rapport d’information, madame la rapporteure spéciale, ce réseau aéroportuaire a connu un important mouvement de décentralisation au milieu des années 2000, avec le transfert par l’État de près de 150 aéroports vers les collectivités territoriales. Vous rappelez également que la Cour des comptes dresse un bilan critique de cette décentralisation, celle-ci ayant entraîné une certaine dispersion des responsabilités, phénomène malheureusement courant.

Quel est votre sentiment concernant cette phase de décentralisation ? Avez-vous identifié des pistes d’amélioration pour l’organisation du paysage aéroportuaire français ? Comment recentrer concrètement l’État dans son rôle d’arbitre de l’organisation aéroportuaire ?

Par ailleurs, vous pointez dans votre rapport d’information les doutes qui planent sur l’efficacité des aides. Avez-vous envisagé des modèles de financement alternatifs dont l’efficacité serait plus avérée ? Vos travaux vous ont-ils permis d’identifier, chez nos voisins européens, certaines bonnes pratiques de soutien aux aéroports susceptibles d’être transposées dans notre pays ?

Mme Christine Arrighi, rapporteure spéciale. Vous présupposez, monsieur Mandon, que le maillage aéroportuaire français, plus dense que celui de nos voisins européens, constitue un atout. En réalité, nous n’en avons aucune certitude, car cette configuration n’a jamais été interrogée depuis sa mise en place. Dans le contexte actuel, où nous devons repenser l’ensemble de nos mobilités non seulement pour des raisons financières, mais également pour des enjeux de décarbonation, nous devons impérativement réexaminer cette question. Ce qui représentait un atout il y a vingt ans ne l’est pas nécessairement en 2025. Mieux, il est permis de s’interroger : s’agit-il d’un atout ou plutôt d’une faiblesse ? Je ne saurais répondre catégoriquement à cette question sans la réexaminer au prisme des évolutions technologiques, des coûts financiers et de l’inefficacité de certains aéroports relevée par la Cour des comptes.

Les recommandations figurant dans mon rapport d’information feront l’objet d’une proposition de loi que je déposerai prochainement. De nombreux progrès restent à accomplir, tant dans l’acquisition de connaissances que dans la formulation de propositions concrètes visant à améliorer notre compréhension de ces enjeux. Ainsi, le jour où des responsables politiques décisionnaires voudront agir, nous disposerons de l’ensemble des informations pertinentes qui font aujourd’hui défaut dans ce rapport d’information.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.


Enfin la commission procède à l’examen, en commission d’évaluation des politiques publiques, du rapport d’information sur la situation des pêcheurs de M. Matthias Renault, rapporteur spécial du programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

M. François Jolivet, président. Nous terminons cette séance par un rapport d’information sur la situation des pêcheurs, présenté par M. Matthias Renault.

M. Matthias Renault, rapporteur spécial du programme Affaires maritimes, pêche et aquaculture de la mission Écologie, développement et mobilité durables. La pêche constitue un enjeu essentiel pour la souveraineté alimentaire et le dynamisme économique de notre pays. Pourtant, les pêcheurs traversent actuellement une situation difficile, étant confrontés à une succession de crises conjoncturelles. Ils subissent de plein fouet l’explosion des prix de l’énergie et affrontent, particulièrement en outre-mer, la concurrence d’une pêche illégale qui prospère en toute impunité.

Surtout, l’exercice de leur activité professionnelle fait l’objet d’attaques répétées de la part de l’État au nom d’une certaine vision de l’écologie. J’ai identifié trois restrictions étatiques majeures imposées au nom de l’écologie.

La première restriction concerne les zones de protection forte (ZPF), dont l’ampleur reste à définir, mais où les activités humaines en mer peuvent être considérablement restreintes, voire totalement interdites. Je déplore que ces restrictions s’appliquent de manière indiscriminée à tous les types de pêche, y compris la pêche artisanale qui n’engendre pourtant aucun risque de surpêche.

La deuxième restriction concerne le golfe de Gascogne, qui est désormais fermé à la pêche un mois par an, dans le louable objectif de protéger les cétacés des captures accidentelles. Alors même que les données sur la responsabilité de la pêche sur ce point sont parcellaires, une telle fermeture engendre des impacts économiques considérables pour les pêcheurs et l’ensemble de la société.

Enfin, la troisième et peut-être la plus grave menace qui pèse sur les pêcheurs est le développement irraisonné des éoliennes en mer. Ces engins envahissent toutes les façades maritimes du pays, enlaidissant nos côtes, provoquant des effets meurtriers pour la biodiversité et privant davantage les pêcheurs d’accès aux ressources marines. L’obstination de l’État à imposer toujours plus d’éoliennes en mer est d’autant plus incompréhensible que ces installations suscitent une opposition quasi unanime, tant des associations de défense de la biodiversité que des organes d’audit français et européens, sans oublier celle des riverains qui déplorent la dégradation de leur patrimoine paysager. Cette frénésie dévastatrice est par ailleurs largement financée par l’argent public, pour des montants difficiles à évaluer avec précision, mais qui atteignent sur l’ensemble de la durée de vie des parcs plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ces chiffres vertigineux ne peuvent qu’interroger lorsque l’on considère la situation budgétaire du pays et les arbitrages difficiles auxquels les dirigeants publics font face.

À partir de ces constats, j’ai élaboré plusieurs recommandations, à commencer par l’instauration d’un moratoire sur toute nouvelle fermeture d’espaces de pêche excédant une semaine. Je propose également de réaffirmer solennellement que le soutien aux pêcheurs constitue l’objectif principal des politiques publiques dans ce domaine. À défaut de les supprimer, j’estime nécessaire de mieux encadrer et distinguer sur le plan budgétaire le déploiement futur des éoliennes en mer afin d’empêcher leur construction lorsqu’elles portent atteinte à la biodiversité ou aux paysages. Enfin, j’appelle à une meilleure intégration des pêcheurs artisanaux aux discussions relatives aux mesures concernant la pêche.

Je souhaite particulièrement insister sur une recommandation qui concerne directement notre commission et dont la mise en œuvre dépend uniquement de nous. Il s’agit de la sixième recommandation de mon rapport d’information, qui vise à transférer l’examen des crédits de l’État en faveur des éoliennes en mer du rapport spécial couvrant les crédits du programme 345 Service public de l’énergie vers celui couvrant les crédits du programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture.

Cette proposition présente, je l’admets, un intérêt personnel pour moi en tant que rapporteur spécial chargé des affaires maritimes, car elle me permettrait d’exercer un contrôle plus rigoureux sur le soutien public aux éoliennes en mer. Toutefois, je souligne qu’actuellement les documents budgétaires du programme 345 Service public à l’énergie fournissent des informations extrêmement parcellaires, notamment concernant la prévision des compléments de rémunération versés aux éoliennes en mer. Dès lors, il serait pertinent de disposer, pour chaque parc déjà en exploitation et pour les dix prochains parcs éoliens en mer, d’un montant prévisionnel établi à partir des données de la Commission de régulation de l’énergie. Certes, le montant de ces compléments de rémunération dépend du prix du marché, par nature difficile à anticiper, mais des scénarios et des prévisions existent. Au vu des montants en jeu pour 2025 – 595 millions d’euros – et de la montée en puissance prévisible des parcs éoliens en mer en l’absence de moratoire, nous faisons face à une charge financière considérable.

J’aimerais également m’attarder sur la septième recommandation de mon rapport d’information, qui vise à libérer l’initiative parlementaire en réaffectant les 720 millions d’euros de dépenses de l’État en faveur de l’éolien en mer, actuellement budgétés sur les programmes 174 Énergie, climat et après-mines et 345 Service public de l’énergie, au programme 205 Affaires maritimes, pêche et aquaculture. Cette mesure offrirait la possibilité de reverser ces crédits en faveur de mesures de soutien aux pêcheurs, directement affectés par ces projets. Alors que certains parlementaires déposent des amendements avec des gages de façade pour soutenir les pêcheurs, les sauveteurs en mer et les ports, mon approche plus responsable identifie les économies là où elles sont possibles, en l’occurrence sur ces coûteuses, hideuses et nuisibles éoliennes en mer, pour les réaffecter là où se trouvent les besoins réels, le tout sans augmenter les dépenses de l’État.

M. François Jolivet, président. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial. Comme d’autres activités de production, la pêche se trouve logée dans un ministère, le ministère en charge de la transition écologique, qui est un ministère de réglementation. Un ministre peut très facilement commencer à réglementer ce qu’il contrôle, comme l’activité sylvicole ou la pêche. Ne pourrait-on pas s’interroger sur ce dysfonctionnement systémique, qui n’est pas nouveau, consistant à loger des ministères de production dans des structures également chargées de réglementer ?

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Mais alors quelle serait la recommandation subséquente ? Suggérez-vous qu’il faille supprimer le ministère en charge de la pêche, considérant que ses moyens financiers sont, de fait, transférés à la Commission européenne ? Mon rapport d’information souligne que les aides directes aux pêcheurs prises en charge par le ministère en charge de la pêche restent financièrement assez faibles. Ces dernières années, l’essentiel du montant des aides a été concentré sur une période relativement courte, entre 2022 et 2024 : dans le contexte de la flambée des prix de l’énergie, environ 100 millions d’euros ont été mobilisés.

M. François Jolivet, président. Je ne souhaitais, bien entendu, rien suggérer de tel. Mais de la même manière que le ministère en charge de l’agriculture existe comme entité autonome, sans rattachement à un autre ministère, on pourrait imaginer que la pêche jouisse d’une autonomie ministérielle ou bien, comme l’industrie, soit rattachée au ministère en charge de l’économie. Je souhaitais simplement faire remarquer que les ministères de production n’ont pas leur place au sein des ministères de réglementation, qui sont par définition toujours tentés de réglementer plutôt que de convaincre.

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Je partage ce constat, monsieur le président : lorsque l’on perd la capacité d’action, notamment financière, il ne reste plus que la possibilité de réglementer et de contraindre.

Pour autant, je ne partage pas votre conclusion, qui relève d’une perception politique de l’organisation ministérielle. Le parti politique auquel j’appartiens envisage quant à lui la création d’un grand ministère de la mer englobant naturellement la marine, l’outre-mer et la pêche.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le rapporteur spécial, vous affirmez que l’installation d’éoliennes en mer provoque, je cite, « des effets meurtriers pour la biodiversité ». En êtes-vous certain ? En quoi précisément l’installation de pylônes en mer se révèle-t-elle défavorable à la pêche ?

Par ailleurs, vous critiquez la décision, consécutive à une évaluation de la densité de poisson, de fermer le golfe de Gascogne pendant un mois durant la période de reproduction, afin de reconstituer les ressources halieutiques. Si j’ai bien compris, vous préconisez de limiter cette fermeture à une semaine maximum. Êtes-vous sûr qu’une durée si courte suffise à reconstituer les stocks de poissons ?

Enfin, vous proposez d’autoriser au moins la pêche artisanale dans les zones de protection forte. Êtes-vous convaincu qu’une telle proposition soit tenable ?

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Nous constaterons les impacts des éoliennes en mer sur la biodiversité après plusieurs années d’exploitation. Cette inquiétude n’est pas seulement la mienne, elle est partagée par des institutions et des associations de défense de la biodiversité. J’ai auditionné l’ONG Sea Shepherd France et l’association Défense des milieux aquatiques, deux organisations peu suspectes d’être alignées avec le parti politique auquel j’appartiens ; l’une comme l’autre s’avèrent extrêmement défavorables aux éoliennes en mer, en raison de leur impact sur les milieux marins – impact qui, je vous le concède, n’est que supposé à ce stade. La Cour des comptes européenne ainsi que le Conseil national de la protection de la nature partagent ces inquiétudes. Les résultats définitifs relatifs à l’impact des éoliennes en mer ne seront connus que dans cinq à dix ans.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Des champs d’éoliennes en mer existent depuis de nombreuses années dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni. Il est donc tout à fait possible de solliciter des études sur l’incidence de ces installations sur la densité de poisson et d’autres paramètres environnementaux dans ces territoires.

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Les études scientifiques sur les parcs éoliens en mer à l’étranger existent effectivement, mais mon rapport d’information cible spécifiquement les champs éoliens français.

Le chiffrage de l’impact des parcs éoliens en mer sur l’activité de pêche s’avère particulièrement difficile à établir. Le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) nous a renvoyés vers ses comités régionaux, considérant que l’évaluation dépend de chaque parc. Ces comités régionaux, s’appuyant sur des données fournies par les pêcheurs eux-mêmes, avancent une diminution de 30 % du chiffre d’affaires due aux éoliennes – une estimation que j’accueille avec prudence puisqu’elle n’a pas été confirmée par la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DGAMPA). Celle-ci, bien qu’elle ne soit pas en mesure de le quantifier précisément, reconnaît néanmoins un impact réel sur l’activité de pêche.

Par ailleurs, si la possibilité théorique de pêcher au milieu d’un parc éolien existe sur le papier, la navigation entre des structures de 180 mètres de hauteur représente en pratique un comportement extrêmement risqué. En outre, la question de la responsabilité en cas d’accident reste entière : qui de l’exploitant ou du pêcheur assume la charge des éventuels sinistres ? Les assurances n’ont pas clarifié cette situation.

Ma proposition relative à une fermeture de zone d’une semaine au maximum ne se limite pas au golfe de Gascogne. Je propose un moratoire sur ces fermetures de zones, parce que certaines associations souhaitent que le dispositif appliqué dans le golfe de Gascogne soit répliqué dans d’autres zones maritimes, ce qui constitue un risque significatif. C’est pourquoi, considérant le coût exorbitant que représente pour l’activité de pêche la fermeture d’un mois du golfe de Gascogne, l’engagement du précédent ministre en charge de la pêche de ne pas renouveler l’exercice au-delà de 2026 et enfin les recherches qui pourraient être conduites pour rendre opérationnels les dispositifs sonores d’éloignement des cétacés, je propose de privilégier des solutions techniques avant toute généralisation de ce dispositif.

Votre question sur la pêche artisanale dans les ZPF se rapporte à celle de la définition d’une ZPF et des activités qui y sont interdites. L’objectif des ZPF consiste à expurger de tout ou partie de l’activité humaine 10 % des zones maritimes, un objectif d’ailleurs porté à 14 % lors de la récente Conférence des Nations unies sur l’océan à Nice (UNOC 3). Un effort de labellisation des ZPF est en cours, mais il demeurera insuffisant pour atteindre les 14 %. Il sera donc nécessaire d’identifier de nouvelles zones maritimes et de déterminer quelles activités humaines y seront autorisées ou interdites. L’interdiction de toute activité, y compris la pêche artisanale, sur 14 % de la zone maritime française me paraît déraisonnable et préjudiciable pour le secteur. Les professionnels artisans-pêcheurs y sont d’ailleurs fermement opposés.

M. François Jolivet, président. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je vous remercie vivement, monsieur le rapporteur spécial, pour votre travail sur un sujet particulièrement important pour mon parti politique.

Nous avons été alertés sur une préoccupante perte de compétences dans la construction navale française, notamment dans l’équipement des bateaux de pêche. Les flottes bretonnes manifestent un intérêt marqué pour les technologies norvégiennes, dont le coût est susceptible d’être deux fois supérieur, mais dont les performances justifient cet investissement. Cette situation engendre une double conséquence : d’une part, l’érosion des compétences de nos chantiers navals et, d’autre part, la perte d’opportunités économiques considérables, alors même que la France possède les compétences requises et pourrait les développer grâce à des projets de recherche européens. Avez-vous recueilli, lors de vos auditions, des témoignages ou des alertes sur ce sujet ?

Ma deuxième question porte sur les quotas et un double paradoxe particulièrement frappant. La France, disposant de la deuxième surface maritime mondiale et de la première en Europe, importe pourtant un volume considérable de ressources halieutiques, tendance qui ne fait que s’accentuer, tout en finançant la destruction de bateaux de toutes tailles à Boulogne-sur-Mer. Parallèlement, certaines espèces très prisées et économiquement rentables, comme les seiches et les poulpes, ne sont pas soumises aux quotas : il s’agit d’une situation difficilement compréhensible dans une perspective de pérennité de ces pêcheries.

Enfin, j’ai pu montrer dans un rapport que la réserve d’ajustement au Brexit (RAB), dotée de 500 millions d’euros, a été réaffectée vers des dispositifs non destinés à protéger les entreprises affectées par le Brexit, particulièrement les pêcheurs, les mareyeurs et le secteur de transformation des produits de la mer. Vos auditions vous ont-elles apporté des informations complémentaires sur ce sujet ? Ces financements ont-ils effectivement manqué aux professionnels de la mer français ?

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Le secteur de la construction navale ne relève pas du périmètre de mon rapport d’information, et je ne dispose donc pas d’éléments factuels sur ce point.

La question des quotas relève du Parlement européen, mais n’a pas fait l’objet d’auditions spécifiques dans le cadre de ce rapport d’information.

Enfin, la réserve d’ajustement au Brexit est désormais clôturée. Environ 8 millions d’euros ont été distribués, bénéficiant à quarante sociétés. Aucune demande particulière de prolongation de ce dispositif de compensation n’a été portée à ma connaissance.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Monsieur le rapporteur spécial, vous avez consacré un long développement à la fermeture annuelle de la pêche dans le golfe de Gascogne. Cette mesure temporaire et expérimentale vise à réduire les captures accidentelles de dauphins et de marsouins, dont les échouages ont sensiblement augmenté durant les périodes hivernales depuis 2016.

Dans votre rapport d’information, vous remettez en cause l’efficacité d’une telle mesure. Or les premiers chiffres s’avèrent particulièrement encourageants. Durant la première fermeture du golfe, de décembre 2023 à mars 2024, 1 450 décès de dauphins ont été relevés de la façade atlantique à la Manche occidentale, contre 6 100 en moyenne entre 2017 et 2023, selon l’Observatoire Pelagis, rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). C’est le plus bas niveau enregistré depuis 2015. En outre, l’Observatoire Pelagis affirme sans ambiguïté que cette fermeture constitue l’un des principaux leviers de la diminution des captures accidentelles. Au regard de ces données, pourriez-vous nous éclairer sur le raisonnement qui vous a conduit à porter un jugement aussi critique sur l’efficacité de ce dispositif d’urgence ?

Au-delà de l’urgence, nous attendons bien entendu des mesures structurelles plus pérennes, permettant une cohabitation durable entre les pêcheurs et les mammifères marins. À cet égard, avez-vous été en mesure d’identifier des mesures concrètes permettant de prévenir les captures accidentelles des cétacés ? Si vous connaissez des exemples de mesures efficaces appliquées dans d’autres pays, nous vous serions reconnaissants de nous les faire connaître.

M. Matthias Renault, rapporteur spécial. Il convient de distinguer efficacité et efficience. Sur l’aspect de l’efficacité, les rapporteurs de la commission des affaires économiques du Sénat ayant travaillé sur ce sujet dans le cadre de leur rapport d’information n’ont pas contesté le résultat, constatant, ainsi que vous l’avez souligné monsieur Mandon, une diminution par quatre des captures accidentelles de cétacés.

En revanche, le lien de causalité suscite encore des interrogations. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). En effet, à ma question sur l’effet de la fermeture à la pêche du golfe de Gascogne sur les captures accidentelles de cétacés, l’IFREMER m’a répondu ceci : « Si la fermeture aux engins à risque a très vraisemblablement largement contribué à ce résultat à l’échelle de l’hiver, il est difficile aujourd’hui d’interpréter pleinement le rôle de différents facteurs dans ces fluctuations du risque de capture en 2024, puisque d’autres éléments peuvent également avoir varié de manière difficilement prévisible, tels que la présence effective des dauphins et de leurs proies dans les zones concernées. Il reste ainsi trop tôt pour savoir si cette fermeture d’un mois pourrait finalement être considérée comme suffisante pour atteindre les objectifs de conservation de l’espèce. »

Le constat de réduction des captures accidentelles de cétacés est incontestable, mais la question demeure : s’agit-il d’un facteur unique ou de multiples facteurs combinés ? La preuve scientifique définitive reste à établir. Les pêcheurs artisanaux affirment que le phénomène est multifactoriel, et je partage leur point de vue.

En matière d’efficience, et même en admettant l’efficacité de la fermeture, nous devons nous interroger sur son caractère potentiellement disproportionné. Cette préoccupation était d’ailleurs partagée de manière transpartisane par les rapporteurs de la commission des affaires économiques du Sénat.

La commission autorise, en application de l’article 146 alinéa 3 du règlement de l’Assemblée nationale, la publication du rapport d’information.

 


Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

 

Réunion du mercredi 2 juillet 2025 à 9 heures

Présents. - M. David Amiel, Mme Christine Arrighi, M. Christian Baptiste, M. Jean-Pierre Bataille, M. Karim Ben Cheikh, M. Jean-Didier Berger, M. Anthony Boulogne, M. Michel Castellani, M. Eddy Casterman, M. Thomas Cazenave, M. Charles de Courson, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Jocelyn Dessigny, Mme Mathilde Feld, M. Emmanuel Fouquart, M. Christian Girard, Mme Perrine Goulet, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Aurélien Le Coq, M. Jérôme Legavre, M. Philippe Lottiaux, M. Emmanuel Mandon, Mme Claire Marais-Beuil, M. Damien Maudet, M. Emmanuel Maurel, M. Kévin Mauvieux, Mme Marianne Maximi, M. Jacques Oberti, Mme Sophie Pantel, M. Nicolas Ray, M. Matthias Renault, M. Charles Rodwell, Mme Sophie-Laurence Roy, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Carlos Martens Bilongo, M. Éric Coquerel, Mme Yaël Ménaché, M. Nicolas Metzdorf, Mme Christine Pirès Beaune, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Charles Sitzenstuhl, M. Emmanuel Tjibaou, M. Éric Woerth

Assistaient également à la réunion. - M. Romain Eskenazi, Mme Estelle Mercier