Compte rendu

Commission
des lois constitutionnelles,
de la législation
et de l’administration
générale de la République

 Examen de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (n° 693) (M. Philippe Gosselin, rapporteur)                            2

 Examen de la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d'actions d'entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d'abattage ou de commerce de produits d'origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur).                            33

 Informations relatives à la Commission................ 47

 


Mercredi
29 janvier 2025

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 31

session ordinaire de 2024-2025

Présidence
de M. Florent Boudié,
Président


  1 

La séance est ouverte à 9 heures

Présidence de M. Florent Boudié, président.

La Commission examine la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte (n° 693) (M. Philippe Gosselin, rapporteur).

M. le président Florent Boudié. Nous examinons aujourd’hui les propositions de loi (PPL) relevant de la commission des Lois inscrites dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Droite républicaine du 6 février prochain. Nous commençons par l’examen de celle visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Six semaines après le passage du cyclone Chido et quelques jours après l’adoption, à l’unanimité, du projet de loi d’urgence pour Mayotte, nous sommes réunis pour évoquer la situation – préoccupante – de l’archipel, durement touché par la catastrophe naturelle. Je profite de la présence de notre collègue Estelle Youssouffa pour redire tout notre soutien à nos compatriotes Mahorais.

Le cyclone Chido est un révélateur et un catalyseur de la situation critique que connaît Mayotte. Nous pouvons, certes, nous réjouir de l’adoption du projet de loi que je viens d’évoquer, mais la loi demeure incomplète, même si elle apporte un certain nombre de réponses concrètes pour la reconstruction. Je suis resté sur ma faim. En effet, ce texte ne répond pas aux difficultés structurelles de l’île, dont fait partie la situation migratoire. Au-delà de la présente proposition de loi, il faut en effet un plan large, global et cohérent pour Mayotte, dans lequelle régalien soit davantage présent, en sus du développement économique et de l’implantation de services.

Mayotte est confrontée à une pression migratoire et démographique exceptionnelle, qui dépasse tout ce que l’on peut connaître ailleurs sur le territoire de la République et qui nécessite une adaptation urgente de nos politiques publiques. Ce département, le plus pauvre de France, connaîtune croissance non maîtrisée de sa population etdoit ainsi faire face à une immigration massive, principalement en provenance des Comores, mais aussi de l’Afrique australe et de l’Afrique des Grands Lacs, avec des filières très organisées et plus violentes.

Selon l’Insee, dont les chiffres sont parfois contestés à Mayotte, plus de la moitié de la population est étrangère. Estimée à 320 000 habitants, elle avoisinerait 380 000 à 400 000 personnes – je récuse le nombre de 500 000 habitants, que j’ai parfois entendu –, un effectif très important pour un territoire de seulement 374 kilomètres carrés ; 87 % de la population étrangère ont la nationalité comorienne, un tiers des habitants étant en situation irrégulière. La crise migratoire engendre également un nombre important de mineurs isolés – les mineurs non accompagnés (MNA) –, estimé à plus de 4 000 gamins, dont la prise en charge est compliquée. Ces chiffres de 2019 proviennent de la chambre régionale des comptes ; ils ont vraisemblablement été largement dépassés.

La population a quadruplé entre 1985 et 2017, un solde démographique impressionnant porté par une forte natalité des mères étrangères, qui représentent désormais les trois quarts des naissances enregistrées dans le département – au nombre de 10 280 en 2023, soit la première place des maternités de France, contre un peu plus de 4 000 naissances lorsque je suis allé à Mayotte pour la première fois, en 2008. L’Insee estime que l’île comptera plus de 750 000 habitants à l’horizon 2050, si les flux migratoires demeurent à la hauteur de ceux observés entre 2012 et 2017.

Les conséquences de ces évolutions migratoire et démographique sont connues. Elles pèsent sur tous les aspects de la vie quotidienne de nos compatriotes : saturation de l’ensemble des services publics – écoles, hôpitaux ; multiplication de l’habitat insalubre – les bangas sont des bidonvilles et représentent plus de 40 % de l’habitat ; conséquences sur l’environnement – il n’y a pas d’assainissement, l’accès à l’eau est problématique ; insécurité. Le ministre d’État Manuel Valls l’a dit il y a seulement quelques jours :« l’immigration irrégulière et l’habitat illégal s’autonourrissent ». Je l’ai d’ailleurs constaté les cinq ou six fois où je me suis rendu sur le territoire.

Les causes migratoires sont multiples et ne se réduisent pas à l’acquisition de la nationalité française, même si les perspectives d’accès à cette nationalité constituent un facteur indéniable d’attraction pour l’immigration régulière. Le « droit du sol simple » permet à un enfant né en France de deux parents étrangers, même en situation irrégulière, d’obtenir la nationalité française dès ses 13 ans, du seul fait d’être né et d’avoir résidé sur le sol français. Les parents de l’enfant français peuvent dès lors obtenir un titre de séjour, ce qui les protège de l’éloignement et leur ouvre le bénéfice de prestations sociales. Une mission d’inspection interministérielle estimait, en 2022, que 1 600 mineurs en moyenne, soit un chiffre assez conséquent, deviennent ainsi Français chaque année à Mayotte.

Plus de la moitié des titres de séjour délivrés à Mayotte en 2022 l’étaient pour le motif « parent d’enfant français », contre 20 % à La Réunion et 14 % en Guyane. Ce constat a déjà incité le législateur à adapter le droit du sol à Mayotte, en 2018. Le dispositif actuel s’articule autour de l’article 2493 du code civil, modifié par la loi du 10 septembre 2018, qui a précisé qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française  que si, à la date de sa naissance, l’un de ses parents au moins résidait en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois .

J’en profite pour rappeler, brièvement mais fermement, que le Conseil constitutionnel a validé sans réserve ces dispositions, considérant qu’elles ne portaient atteinte ni au principe d’égalité, ni à l’indivisibilité de la République, des grands principes constitutionnels auxquels nous sommes attachés. Le juge constitutionnel a clairement souligné, au contraire, que les caractéristiques et contraintes particulières de Mayotte, qui connaît des flux migratoires très importants, justifiaient de telles adaptations du droit de la nationalité.

Au regard de l’urgence sociale et migratoire de Mayotte, il nous apparaît nécessaire d’aller plus loin. Une situation très critique préexistait à la crise engendrée par Chido, qui n’est qu’un révélateur et un catalyseur de la situation. Je fais taire par avance toute critique potentielle : non, nous ne surfons pas sur la difficulté des gens. La proposition de loi a été déposée le 3 décembre et nous n’avions pas anticipé Chido !

Je présenterai brièvement cette proposition de loi déposée par le groupe Droite républicaine. Elle prévoit, en premier lieu, que la condition relative au séjour régulier des parents de l’enfant s’applique aux deux parents, et non plus à un seul. Cette disposition vise en particulier à prévenir les reconnaissances frauduleuses de paternité, nombreuses. En second lieu, l’article unique de la proposition de loi porte la durée minimale de résidence exigée au moment de la naissance de l’enfant, de trois mois à un an – une durée proportionnée à la situation spécifique de Mayotte. Ce dispositif s’inscrit bien évidemment dans le cadre de l’article 73 de la Constitution et des adaptations législatives possibles pour Mayotte.

Le Parlement a déjà autorisé l’allongement de ce délai, notamment en décembre 2023, lors de la discussion d’un texte visant à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration. Comme vous le savez, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, pour des raisons qui ne tiennent pas au fond mais à la forme. Il a en effet considéré, dans une interprétation singulière, qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Par ailleurs, la proposition de loiprocède également à une coordination de l’article 2495 du code civil.

En conclusion, nous sommes convaincus qu’en alignant la législation sur les réalités démographiques et sociales de Mayotte, cette proposition de loi permettra la restauration d’un équilibre et un meilleur contrôle des flux migratoires. Personne ne prétend qu’elle résoudra toutes les difficultés de Mayotte. Elle n’est pas une réponse miracle au fait migratoire à Mayotte, ni l’alpha et l’oméga de toutes les politiques publiques. Elle constitue l’élément qui s’insère dans un ensemble plus large, mêlant du régalien, des décisions de développement économique et d’infrastructures – on parle depuis trop longtemps de la piste longue pour l’aéroport, du contournement de Mamoudzou et d’un deuxième hôpital.

Certes, les difficultés ne seront pas résolues du jour au lendemain. Malgré les tensions, Mayotte reste un territoire attractif pour d’autres zones qui connaissent la misère, notamment pour les populations des territoires d’Afrique australe ou des Grands Lacs. Je fais miens les mots d’Aimé Césaire, qui souhaitait que nos compatriotes de Mayotte soient des Français à part entière, et non pas entièrement à part. Tel est l’engagement que nous devons avoir pour ce territoire, pour dire à nos compatriotes que nous les avons compris et que nous sommes à leurs côtés. La lutte contre l’immigration irrégulière est un enjeu crucial pour une île qui étouffe et ne peut assumer, sinon dans des conditions difficiles, les éléments de base que sont la santé, le logement, l’éducation.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Yoann Gillet (RN). Surnommée « l’île aux parfums », Mayotte est un véritable joyau de la République française ; mais, loin de briller, ce joyau est en danger. Mayotte n’est pas l’eldorado qu’elle devrait être, et elle se trouve face à une menace existentielle. Le fléau de l’immigration de masse y a atteint une ampleur dramatique. Les Mahorais vivent dans l’abandon total ; ils voient leur quotidien ravagé par ce fléau, qui menace leur culture, leur travail et leur avenir.

L’explosion démographique aggrave chaque jour davantage la crise. En 1985, 12 % des habitants de l’île n’en étaient pas natifs ; ce taux dépasse aujourd’hui 55 %. En vingt ans, la population de Mayotte a doublé. Depuis 1958, elle a été multipliée par quatre. La dynamique des naissances y est massive et 42 % des enfants qui y sont nés le sont de parents étrangers. Le terme de « submersion migratoire » est d’ailleurs trop faible pour décrire la situation de ce petit bout de France au cœur de l’océan Indien.

Chers collègues, j’ai moi-même pu constater la réalité lors d’une mission parlementaire sur place, il y a quelques mois. Les Mahorais sont consternés et ils ont raison. Depuis des années, malgré nos alertes répétées et le cri de détresse de nos compatriotes, les gouvernements successifs n’ont pas pris les mesures qui s’imposent. Rétablir l’ordre et lutter contre les causes du chaos migratoire sont des priorités. Monsieur le rapporteur, la présenteproposition de loi, qui vise à durcir les conditions d’acquisition de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte, est bien trop molle et tiède. Son application s’avérera inutile, tant elle ne prend pas la mesure de la situation.

En raison du contexte particulier existant à Mayotte, les règles d’acquisition de la nationalité y ont été légèrement adaptées. Malgré quelques maigres restrictions, le droit du sol y demeure cependant une machine à générer l’immigration clandestine. Comme en métropole, un étranger sans aucun lien réel avec notre pays qui naît là-bas peut obtenir automatiquement la nationalité française. Le cadre législatif du droit du sol mine l’avenir de la France et ne protège ni les Mahorais, ni la France. À Mayotte plus qu’ailleurs, il met à genoux nos services publics, fracture la cohésion sociale et nourrit une insécurité grandissante.

Le groupe Rassemblement national est opposé au maintien du droit du sol sur l’ensemble du territoire français. Seule sa suppression pure et simple aurait un effet positif. Comme l’a rappelé Marine Le Pen – dès 2018, elle a déposé une proposition de loi spécifique à ce sujet –, sans cette réforme essentielle, toute autre action serait vaine. La suppression du droit du sol mettrait fin à l’attribution automatique de la nationalité à ceux qui naissent sur notre sol sans aucun lien réel avec notre pays. Elle protégerait nos services publics, saturés par une immigration massive. Elle redonnerait à la nationalité française son sens profond : une appartenance ou un choix, et, dans tous les cas, une responsabilité. Elle protégerait nos compatriotes, nos valeurs, notre identité. Elle permettrait de rappeler qu’être français, cela s’hérite ou se mérite.

Vous l’avez compris, monsieur le rapporteur, votre proposition n’est pas celle que nous attendons, ni celle qu’attendent les Mahorais. Nos amendements vous donneront l’occasion d’agir courageusement et concrètement, et de répondre aux légitimes aspirations de nos compatriotes. Je vous invite à vous en saisir. Supprimons purement et simplement le droit du sol, et tournons la page de l’indécision et du laxisme.

M. Vincent Caure (EPR). Je tiens tout d’abord à exprimer le soutien de l’ensemble des membres de la commission des Lois à notre collègue Estelle Youssouffa, ainsi qu’à tous les habitants de Mayotte, après le cyclone Chido. Depuis l’indépendance des Comores et le maintien de Mayotte dans la République, la population de l’île a crû de manière très importante : 45 000 personnes en 1975, 131 000 en 1997, 321 000 en 2024, soit un quadruplement entre les années 1980 et l’orée des années 2020. Vous l’avez souligné, il s’agit de l’un des problèmes structurels de l’île. On peut d’ailleurs raisonnablement considérer que cette très forte progression est sous-estimée, en raison de l’importance des ressortissants étrangers en situation irrégulière sur l’île. En 2017, selon l’Insee, un habitant sur deux était de nationalité étrangère, dont 87 % de nationalité comorienne. Il existe dès lors un risque d’instrumentalisation par un État étranger, comme ce fut le cas en 2018.

Mayotte est également le territoire ultramarin le plus concerné par la lutte contre l’immigration irrégulière : en 2022, l’île a fait l’objet de 95 % des mesures d’éloignement prises dans les outre-mer. Le présent texte s’inscrit dans une logique de performance – la lutte contre l’immigration illégale à Mayotte – avec laquelle nous sommes d’accord, car Mayotte ne trouvera pas le chemin du plein développement et du plein épanouissement dans la République, ni, à court terme, celui de la bonne reconstruction, sans s’emparer de la question de la réduction de l’immigration illégale. En 2022, une mission interinspections a d’ailleurs précisé que la maîtrise du nombre d’étrangers en situation irrégulière à Mayotte était une condition impérative pour que les politiques publiques puissent fonctionner correctement et apporter l’espoir d’une vie meilleure aux habitants.

Le texte s’inscrit dans la lignée de plusieurs autres, notamment la réforme qui, défendue par Gérard Collomb en 2018, comportait l’introduction d’une première mesure de restriction à l’acquisition de la nationalité. Depuis cette loi, un enfant né à Mayotte de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française que si l’un de ses parents au moins réside en France de manière régulière et ininterrompue lors de sa naissance, depuis plus de trois mois. Vous l’avez dit, le Conseil constitutionnel a jugé cet article conforme à la Constitution, en ce qu’il répondait à des caractéristiques et contraintes spécifiques et luttait contre l’immigration irrégulière à Mayotte.

Comme les dispositions introduites en 2018, le texte qui nous est soumis est conforme à l’interprétation constante du Conseil conditionnel depuis 1993. Rien n’interdit en effet au législateur de traiter différemment des situations différentes, en prenant en compte les circonstances locales, dans le respect de la proportionnalité des mesures. Levons immédiatement un doute : il n’est pas question, ici, d’envisager une restriction du droit du sol, autre que partielle et limitée à l’île de Mayotte.

Ce texte d’initiative parlementaire s’intercale entre le projet de loi d’urgence, relatif à la reconstruction, voté en janvier, et le futur texte gouvernemental en préparation. Il entend compléter le dispositif en proposant un élargissement horizontal, en visant les deux parents, et vertical dans le temps, en portant la durée de trois à douze mois. Il vise ainsi à répondre aux besoins exprimés par les élus mahorais et à leurs nombreux questionnements. Vous l’avez dit, il ne sera en rien l’alpha et l’oméga des problèmes qui se posent à Mayotte, mais le maillon d’une chaîne plus vaste. Il a ses faiblesses, ou du moins charrie son lot d’interrogations – je pense en particulier à la rédaction consistant à englober les deux parents.

La lutte contre l’immigration illégale passera tout autant par une réaffirmation de notre souveraineté dans la bonne exécution des mesures d’éloignement vis-à-vis des Comores que dans une pleine mobilisation constante et renouvelée des moyens de l’État et des collectivités dans la lutte contre les réseaux de passeurs. Ce texte, de rédaction perfectible mais de nature à renforcer la lutte contre l’immigration illégale à Mayotte, répond à un besoin exprimé par nos compatriotes Mahorais. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République le votera.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous avons toujours défendu le droit du sol, puissant facteur d’intégration, consubstantiel des principes républicains et de la République elle-même. Cette formulation est d’ailleurs trompeuse puisque, au-delà du critère de la naissance sur le sol, l’article 21-7 du code civil pose une condition de résidence continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de 11 ans. Nous parlons donc d’enfants demeurant sur le territoire national depuis plus de cinq ans à qui il faudrait dire : « C’est terminé pour vous, au revoir, retour à la maison. » Leur maison, c’est la France !

Le Conseil constitutionnel a effectivement déjà validé, en 2018, certaines adaptations. Elles sont en réalité des dérogations aux principes d’égalité et d’indivisibilité, conformément à l’article 73 de la Constitution. Nous souhaitons au contraire revenir aux principes et à l’absence de dérogation au droit du sol. En outre, la situation n’est pas réglée pour autant. Les modifications introduites en 2018, auxquelles nous étions opposés, ont-elles permis une avancée ? Non, même si l’application stricte du droit du sol à Mayotte ne réglerait pas non plus les problèmes. Elle permettrait toutefois de respecter les principes intangibles de la République, faisant des Mahorais des citoyens français à part entière.

Jean-Luc Mélenchon est intervenu sur ce sujet il y a plusieurs années, en 2018. Les élus avaient demandé – sans succès – un plan d’investissement de 1,8 milliard d’euros, sur plusieurs années, pour mettre à niveau les services publics. L’angle uniquement répressif voulu par M. Darmanin n’a rien réglé, car il faut avant tout remédier aux problèmes des services publics. Par ailleurs, au-delà du simple constat, il faut s’interroger sur les causes des migrations et y répondre.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Parmi les premiers actes signés dès son investiture à la Maison Blanche, Donald Trump a ordonné aux agences fédérales d’abolir l’attribution automatique de la citoyenneté des enfants nés aux États-Unis s’ils n’ont pas au moins un parent citoyen ou résident permanent légal dans le pays. Sans tarder, un tribunal fédéral de Seattle a temporairement bloqué le décret du président américain révoquant le droit du sol, qualifiant cette mesure de « manifestement inconstitutionnelle ». En France, le groupe Droite républicaine s’inscrit dans cette même pente populiste, juridiquement contestable, qui consiste à désigner encore la figure de l’étranger comme responsable de tous les maux.

La Défenseure des droits nous a alertés sur le contexte dans lequel cette proposition de loi intervient. Il est complexe pour nos compatriotes de Mayotte, dévastée par le cyclone Chido. Votre proposition de loiplace ainsi le sujet de l’accès à la nationalité française en concurrence directe avec l’enjeu majeur de reconstruction de l’île, en méconnaissance des problèmes d’accès au droit quotidien rencontrés par les usagers. Nul ne nie ici les difficultés auxquelles Mayotte est confrontée.

L’archipel est sujet à des tensions sociales qui visent à dénoncer une insécurité croissante, dont l’immigration est souvent désignée comme la cause. Vous estimez, monsieur le rapporteur, que cette immigration ferait peser une forte pression sur les services publics, plus que jamais saturés, à l’image de l’enseignement ou des services de santé. Or le droit de disposer de moyens convenables d’existence est reconnu à toute personne, le droit d’instruction à tout enfant : il revient à l’État d’adapter ses moyens en fonction des besoins spécifiques de ce département français.

Votre proposition de loi est dogmatique. Depuis la loi du 10 septembre 2018, la résidence régulière d’un seul des deux parents sur le sol national depuis plus de trois mois suffit pour accéder à la nationalité française. Vous vous êtes bien gardés d’évaluer l’absence d’efficacité supposée de cette loi, vous privant ainsi de la possibilité de juger si un nouveau durcissement est vraiment nécessaire. Il est difficile de se fonder exclusivement sur la permanence du phénomène migratoire à Mayotte, lequel n’est admis que pour justifier tout durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française.

Surtout, votre réforme – et c’est le plus grave – rompt l’unité du droit de la nationalité : en édictant des dispositions spécifiques au seul territoire mahorais, le législateur renouerait en substance avec une approche coloniale de la nationalité française. Il faut s’intéresser à l’histoire de la nationalité à Mayotte, colonie française qui, achetée en 1841 à un sultan, accéda ensuite au statut de territoire d’outre-mer en 1946, puis, plus récemment, à celui de département d’outre-mer. Pendant longtemps, le droit commun de la nationalité ne s’y est donc malheureusement pas appliqué. Les indigènes immigrés ne bénéficiaient notamment pas du droit du sol, l’accès à la nationalité étant régi par le droit du sang et la naturalisation. Il a fallu attendre la grande réforme de 1993 pour que le droit de la nationalité rejoigne le droit commun.

Vous proposez désormais que l’acquisition de la nationalité pour les enfants nés à Mayotte soit conditionnée à une résidence régulière et ininterrompue des deux parents pendant au moins un an. Une telle proposition placerait les enfants dans une grande situation d’incertitude et de fragilité administrative, créant une rupture d’égalité. Avec vous, la lutte contre l’immigration irrégulière remplace désormais, dans les faits, l’argument de l’inégalité entre originaires et immigrés. Le législateur renouerait ainsi avec un droit de la nationalité différencié et plus sévère en outre-mer.

M. Patrick Hetzel (DR). Sans surprise, je vous indiquerai pourquoi notre groupe soutient sans réserve cette proposition de loi. J’en profite pour adresser notre entier soutien à nos compatriotes mahorais face au drame qu’ils vivent depuis quelques semaines. Ce texte bienvenu, déposé au début du mois de décembre, reprend une disposition qui avait été adoptée avec la loi immigration de 2024 et qui fut hélas considérée comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel.

L’article unique propose que l’accès à la nationalité à Mayotte soit strictement conditionné à une résidence régulière et ininterrompue des deux parents pendant au moins un an. Quatre objectifs sont ainsi visés. Le premier consiste à renforcer la maîtrise migratoire et l’ordre public, sur un territoire particulièrement exposé à une pression migratoire, que l’on peut considérer comme exceptionnelle.

Le deuxième objectif est de soutenir les Mahorais et de préserver leur droit à un développement durable, au lendemain d’un cyclone particulièrement dévastateur. Il s’agit aussi de protéger les droits des Mahorais, en adaptant notre droit aux spécificités locales sans compromettre les principes fondamentaux de la République : les mesures proposées sont d’ailleurs moins restrictives que celles appliquées entre 1973 et 1993.

Le dernier objectif est la défense de la souveraineté de Mayotte – département français – face aux revendications étrangères. Un point n’a pas été abordé par ceux qui s’opposent à ce texte : Mayotte, bien qu’étant un département français, est la seule collectivité ultramarine dont le territoire est aujourd’hui revendiqué par un État étranger – les Comores, dont le président a indiqué à ses concitoyens qu’ils étaient chez eux à Mayotte –, qui mène un combat, y compris à travers la démographie. Il est inacceptable qu’un État souverain soit ainsi attaqué.

En renforçant les conditions d’acquisition de la nationalité française, nous répondons aussi à cette tentative de déstabilisation par une action claire et résolue, tout en restant fidèles aux droits et principes de notre République. Cela passe par une lutte, qui doit être intensifiée, contre les filières de l’immigration clandestine. Nous devons combattre les velléités des Comores.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Mayotte est le plus pauvre des départements français, et de loin : l’État y a investi bien moins que dans les autres départements d’outre-mer. C’est pourtant un îlot de relative prospérité dans l’océan Indien où se situent certains des États les plus pauvres de la Terre – Madagascar, le Mozambique, les Comores – d’où provient la grande majorité des résidents étrangers qui représentent aujourd’hui la moitié de la population de l’archipel. La moitié d’entre eux sont en situation régulière et vivent à Mayotte depuis longtemps. Ils y travaillent de façon formelle pour les plus chanceux, assurant les tâches les plus dures dans les champs, sur les chantiers ; les autres sont en situation irrégulière, travaillent à la journée, revendent des légumes au bord de la route. Dans leur écrasante majorité, les Mahorais d’aujourd’hui n’étaient pas nés quand leurs ascendants ont choisi par voie de référendum de rester français.

Comoriens ou Mahorais, donc Français : « Être né quelque part, pour celui qui est né / C’est toujours un hasard », comme le chantait Maxime Le Forestier. Ce n’est pas faire insulte aux chatouilleuses que de dire que, de part et d’autre du bras de mer qui sépare Mayotte d’Anjouan, c’est d’une seule et même population qu’il s’agit. Comoriens et Mahorais partagent une même langue, une même religion, une même organisation matrilinéaire, une même culture. Tous les Mahorais ont de la famille aux Comores – les parlementaires mahorais ne font pas exception – et les couples mixtes sont légion.

Depuis plusieurs années, la population croît au rythme soutenu de 3,8 % par an, résultante d’une forte natalité qui comble les départs de bien des jeunes Mahorais vers la métropole, tout autant que d’une immigration en provenance des Comores, de Madagascar ou plus récemment de l’Afrique continentale.

L’agacement s’est transformé en rejet. C’est vrai, l’hôpital construit pour 150 000 personnes est saturé et il faut faire la queue en plein soleil pour espérer accéder au centre de santé de Jacaranda. Il y a tant d’enfants que certaines écoles doivent mettre en œuvre une rotation des classes. Quant à l’insécurité, si elle est préoccupante, elle ne saurait être imputée aux seuls étrangers en situation irrégulière, comme le rappelait le préfet de Mayotte lors des manifestations contre l’insécurité de 2018.

Je n’aborderai pas les arguments moraux et éthiques qui disqualifient pourtant cette proposition de loi. J’en suis convaincue, Jacques Chirac se retournerait dans sa tombe s’il devait constater de ses yeux l’effondrement de la digue qu’il s’était employé à construire entre la droite traditionnelle et l’extrême droite.

Vous me permettrez en revanche de revenir sur la motivation affichée de ce texte : réduire l’attractivité de Mayotte vers laquelle on se précipiterait de toutes parts pour espérer mettre au monde un enfant français ou destiné à le devenir. Je ne pense pas que ce soit le cas. L’information circule vite et bien entre Mayotte et les Comores. Tout le monde sait où trouver les kwassa-kwassas qui permettront de rejoindre Mayotte tout en connaissant les risques auxquels expose la traversée : mourir noyé, être arraisonné et renvoyé par le Maria Galanta, après un passage de quelques heures par le centre de rétention, ou réussir avant peut-être d’être arrêté et renvoyé. Tout le monde sait également que la naissance d’un enfant à Mayotte ne règle rien. Ce qui motive le départ pour cette île, c’est l’espoir d’une vie meilleure, c’est le rêve de voir ses enfants aller à l’école, la peur aussi de mourir en accouchant si on reste là où on est. Vivre dans un banga de pneus, de planches et de tôles sur les pentes de Doujani ou de Kawéni avec 100 euros par mois, c’est toujours mieux que de survivre aux Comores.

J’espère ne pas être caricaturée. Je ne nie pas le besoin de mettre un terme aux bidonvilles et constate la dégradation de la situation à Mayotte mais je pense que les mesures proposées ne changeront rien. Au mieux, elles fabriqueront de nouveaux clandestins et nourriront les activités des marchands de sommeil et des exploiteurs de main-d’œuvre. Elles encourageront le trafic des reconnaissances de paternité absolument florissant, à raison de 1 000 à 3 000 euros par demande. Thani Mohamed Soilihi, ancien sénateur de Mayotte désormais ministre, reconnaît sans ambages que les premières mesures de limitation du droit du sol à Mayotte qu’il a défendues en 2018 n’ont rien changé. Comme d’autres élus, il déplore en revanche l’absurdité du titre de séjour territorialisé qui transforme Mayotte en trappe pour les personnes qui bénéficient de ce document valable seulement dans ce département. La situation se dégrade : le service des étrangers est fermé depuis de longs mois en raison d’un blocage organisé par une dizaine de bouénis que le préfet s’est bien gardé d’évacuer. Il n’a pas rouvert depuis le cyclone. Bien des étrangers en situation régulière se retrouvent donc dans l’illégalité.

Mme Blandine Brocard (Dem). Nous parlons de Mayotte, de ses habitants, de ses défis, de sa souffrance, de ses souffrances, mais aussi de son espoir en nous, législateurs. Mayotte, c’est ce bout de France dans l’océan Indien, un territoire bien trop souvent oublié, mais qui porte sur ses épaules des enjeux d’une ampleur colossale. Depuis des décennies, cette île fait face à une pression migratoire et démographique sans commune mesure avec ce que nous connaissons dans l’Hexagone. En 2020, trois enfants sur quatre nés à Mayotte avaient au moins un parent étranger. Ce n’est pas un simple chiffre, c’est une réalité quotidienne qui met à genoux des écoles, des hôpitaux, des services publics déjà fragiles, des logements qui n’en sont pas. Or cette pression ne cesse de croître. L’Insee nous le dit clairement : à l’horizon 2050, Mayotte pourrait compter jusqu’à 760 000 habitants, ce qui correspond à un doublement de la population en vingt ans. Nous ne pouvons pas continuer à détourner les yeux ; nous ne pouvons pas laisser nos compatriotes mahorais affronter seuls cette situation.

La présente proposition de loi apporte une réponse. Elle n’est pas parfaite, elle n’est pas suffisante mais elle est nécessaire. Elle vise à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte. Serait désormais exigée une résidence régulière des deux parents, et non plus d’un seul, mesure forte visant à affaiblir des mécanismes d’attractivité migratoires connus sur le terrain. Cependant, je ne vais pas vous mentir, cette disposition soulève des questions : que faire pour les enfants dont l’un des parents est absent ou décédé ? Ne risquons-nous pas d’introduire des inégalités ? Ces interrogations sont légitimes et nous devrons trouver des réponses pour garantir la solidité de ce texte.

L’autre condition serait une durée de résidence des parents non plus de trois mois, durée manifestement trop courte, mais d’un an. Cela ne nous paraît pas excessif, ni insurmontable. Nous considérons qu’il s’agit d’une étape raisonnable, proportionnée et adaptée aux défis spécifiques de Mayotte.

Enfin, le texte clarifie les règles administratives en exigeant que les actes de naissance des enfants concernés mentionnent explicitement la régularité du séjour des parents. Cela peut sembler anodin mais, pour les autorités locales, c’est un outil indispensable pour mieux appliquer la loi.

Chers collègues, il s’agit ici non pas de simples données ou de considérations techniques mais de vies humaines et de l’avenir de Mayotte. Les Mahorais sont confrontés à une situation que beaucoup ici ont du mal à imaginer : écoles surchargées, logements précaires, insécurité qui gangrène les relations sociales. La pression migratoire n’est pas une abstraction : que tous ceux qui se réclament de grands principes soient bien conscients qu’ils laissent des centaines de milliers de Français seuls face à leurs difficultés. La réalité de cette pression migratoire, c’est une femme qui accouche sous une tente faute de pouvoir accéder à l’hôpital, c’est un enfant qui n’a pas de place en maternelle, c’est une famille qui s’entasse à dix dans un endroit insalubre.

Ce texte pose une première pierre. Il ne réglera pas tout mais il envoie un signal aux Mahorais : nous avons entendu leur cri et nous ne les laisserons pas seuls face à ces défis.

Je tiens aussi à souligner ce que cette proposition de loi n’est pas. Elle ne touche pas au droit du sol : nous ne remettons pas en cause un principe fondamental de notre République ; nous adaptons simplement les conditions d’accès à la nationalité française à une réalité territoriale exceptionnelle. Pour ces raisons, le groupe Dem soutiendra ce texte, sous réserve que sa rédaction finale soit parfaitement conforme à la Constitution. Nous devons être rigoureux, nous devons être ambitieux mais, surtout, nous devons être à la hauteur des attentes des Mahorais qui, eux, ne peuvent se permettre le luxe d’attendre.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous sommes en opposition totale avec ce qu’ont exprimé ce matin les groupes de gauche. Mayotte est à bout de souffle, Mayotte est en train de sombrer sous le poids d’une immigration incontrôlée et certains regardent ailleurs. Chaque jour, même après le passage du cyclone Chido, des embarcations, pour la plupart venues des Comores, continuent d’accoster sur les plages mahoraises avec à leur bord des centaines de migrants qui débarquent sur une île qui n’en peut plus.

Faut-il rappeler qu’à Mayotte, près d’un habitant sur deux vit en situation irrégulière et que le seul hôpital, situé à Mamoudzou, est totalement saturé, que les écoles débordent, que l’accès à l’eau et à l’électricité est défaillant, que la délinquance notamment des jeunes voire des très jeunes a explosé, que les infrastructures, déjà fragiles, s’écroulent, écrasées par une population qui a doublé en trente ans ?

Mayotte est-elle si loin – loin de Paris, loin des regards – qu’elle ne serait plus vraiment française ? Est-ce une partie de la France oubliée et abandonnée à son sort ? Combien de temps encore allons-nous accepter que les Mahorais soient pris au piège d’une démographie insoutenable ? Peut-on rappeler, sans susciter la polémique, que les Mahorais sont des citoyens français comme les autres et qu’ils ont droit comme les autres à la protection, à la sécurité et à la dignité ? Au sein de mon groupe, nous ne nous payons pas le luxe des grands principes, des grandes leçons que donnent certains quand les Mahorais, eux, sont confrontés à la réalité d’un quotidien invivable. Nous voterons ce texte auquel nous adhérons sans réserve. À ceux qui crieront comme toujours à l’inhumanité, je demande où est l’humanité lorsque des enfants naissent dans des conditions de misère telles qu’ils ne peuvent avoir accès ni aux soins ni à l’éducation, lorsque des familles entières survivent dans des bidonvilles insalubres, exposés aux maladies et à la violence ? La vérité, c’est que nous n’aurions jamais accepté que tout ceci se produise dans l’Hexagone sans apporter des réponses fermes et rapides. Est-ce ce modèle que vous voulez promouvoir ? Est-ce cet avenir que vous souhaitez pour les Mahorais ?

Croire en un autre avenir pour Mayotte nécessite d’avoir le courage de dénoncer un système qui attise les flux migratoires au détriment des Mahorais eux-mêmes. La lutte contre l’immigration illégale est vitale pour ce territoire et elle l’est plus que jamais après le passage du cyclone qui a accentué la crise humaine sur cette île. Dans ce contexte, comment peut-on encore prétendre, sans faire preuve de déni, que le droit du sol en sa forme actuelle constitue une réponse adaptée ?

Cette proposition de loi, conforme aux positions du Conseil constitutionnel, représente un début de réponse responsable, indispensable face à la crise, et je remercie le rapporteur de l’avoir soumise au débat. Les conditions actuelles d’accès à la nationalité française font l’objet de tels détournements qu’elles deviennent une arme contre nos compatriotes. Nous considérons qu’il est nécessaire de les renforcer car il ne servira à rien de reconstruire Mayotte et de la rendre attractive si nous ne maîtrisons pas les flux de population. Il ne s’agit pas de stigmatiser qui que ce soit, nous voulons seulement protéger les Mahorais. C’est précisément l’objectif poursuivi par cette proposition de loi et nous y souscrivons.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je veux commencer en vous rappelant ma position personnelle : je souhaite l’abrogation pure et simple du droit du droit du sol à Mayotte, et uniquement à Mayotte, et ai déposé une proposition de loi constitutionnelle en ce sens en octobre dernier. Rappelons que cette abrogation a été proposée par le président Macron par la voix du ministre Gérald Darmanin il y a un an à Mayotte et qu’elle est soutenue par Les Républicains depuis plus de dix ans. Je ne pense pas que la question de l’abrogation du droit du sol dans l’Hexagone se pose, ce n’est pas ce qui est en débat ce matin. Il s’agit pour nous de regarder la situation de Mayotte pour ce qu’elle est et je vous demande d’avoir le courage de le faire et d’agir en conséquence au lieu d’utiliser ce territoire pour alimenter vos peurs, vos postures et vos joutes de salon.

Mayotte est confrontée à une catastrophe migratoire unique en France : elle subit un détournement massif et systématique du droit du sol devenu outil d’ingérence d’une puissance étrangère qui cherche à mettre fin à la souveraineté française sur notre archipel. C’est bien là le cœur du sujet. C’est le seul territoire français habité ouvertement revendiqué par un pays voisin. Les autorités comoriennes l’assument, elles contestent la souveraineté française et instrumentalisent les flux migratoires pour déstabiliser notre département et en prendre le contrôle. L’Union européenne et l’Otan considèrent que l’asphyxie des infrastructures publiques et l’abus des règles et des lois du pays d’accueil à travers l’utilisation des flux migratoires relèvent de la catégorie des attaques hybrides. Mayotte est un cas d’école à cet égard.

L’Insee y a enregistré en 2023 10 280 naissances et a estimé le taux de fécondité à 4,5 enfants par femme, ce qui en fait le plus élevé de France. Nous ne pouvons toutefois pas parler de natalité française : 74 % des femmes accouchant à Mayotte sont étrangères et 67 % d’entre elles sont originaires des Comores.

Je vous demande de vous pencher sur les conséquences du droit du sol à Mayotte et sur leurs ramifications. Les enfants étrangers nés à Mayotte sont utilisés par leurs parents pour obtenir des titres de séjour, puis la nationalité française. Les parents d’un enfant né à Mayotte sont considérés comme inexpulsables jusqu’à ce que celui-ci ait atteint sa majorité. Pendant plus d’une décennie, les étrangers qui viennent faire ou mettre au monde un enfant à Mayotte sont donc inexpulsables et automatiquement régularisés. L’enfant est un visa, puis un passeport français pour sa famille et pour lui-même. Et si le premier enfant ne remplit pas les conditions administratives, en faire un deuxième garantit le succès de l’aventure migratoire.

Les statistiques de la préfecture traduisent cette réalité : sur la totalité des titres délivrés et renouvelés à Mayotte, 85 % sont liés à l’immigration familiale, 46 % concernent des parents d’enfants français, 37 % relèvent des liens privés et familiaux alors que ces proportions s’élèvent respectivement à 38 %, 5 % et 14 % des titres renouvelés et délivrés dans l’ensemble du territoire français. De facto, le droit du sol est à Mayotte le moteur même de la machine démographique et de l’explosion de la natalité. Pour être régularisé, il faut faire des enfants. En conséquence, la moitié de la population est étrangère.

Le manque de courage et de lucidité sur ce qui se joue dans notre département expose la souveraineté et l’intégrité territoriale de la France à un risque majeur. Notre géographie ne va pas changer. Mayotte reste à 500 kilomètres des côtes du Mozambique, donc à portée de bateau de la misère du continent africain que nous ne pouvons plus accueillir. Paris ne saurait continuer à lier le destin et le développement de Mayotte à l’hypothétique croissance économique d’un voisin qui a choisi l’indépendance. Les Comores demeurent hostiles et ne renoncent pas à réclamer Mayotte, bien au contraire.

Mme Brigitte Barèges (UDR). Compte tenu de la gravité de la situation rappelée par tous les orateurs précédents, ce texte nous paraît insuffisant mais il constitue néanmoins un premier pas. La modification un peu timorée opérée par rapport au texte initial va dans le sens d’un durcissement des critères nécessaires pour acquérir la nationalité française : résidence régulière des deux parents, et non plus d’un seul ; durée de résidence régulière d’un an et non plus de trois mois.

Nous venons de l’entendre par la voix de Mme Youssouffa, dans la population mahoraise elle-même s’exprime un besoin croissant de changer cette législation. Face aux conséquences de l’application du droit du sol, ils ressentent une inquiétude grandissante quant à l’avenir de leur île. Leur message est clair : ils souhaitent protéger leur identité et leur territoire alors que l’insécurité grandit.

Même si la proposition de loi a été déposée avant le passage du cyclone Chido, nous devons également prendre en compte la situation catastrophique dans laquelle se trouve à présent Mayotte. Cet événement tragique a jeté une lumière inquiétante sur les vulnérabilités de cette région. La reconstruction et la stabilisation de ce département doivent être nos priorités, ce qui implique une gestion responsable de l’immigration. Il ne faut pas aggraver une situation déjà fragile. L’application du droit du sol favorise une immigration massive qui contribue à faire exploser la population de Mayotte dont la moitié, selon certaines estimations, pourrait être constituée d’étrangers, légaux ou illégaux. Cette dynamique met en péril l’équilibre social et entraîne des tensions entre les communautés. Notre responsabilité est de préserver cette cohésion sociale et la sécurité de nos concitoyens. Il est, par ailleurs, impératif de prendre en compte l’impact économique de cette situation sur nos comptes publics. Trop souvent, nous constatons que certaines personnes viennent accoucher sur notre sol, attirées par la perspective de bénéficier d’aides sociales.

La situation à Mayotte est un avertissement : elle fait réfléchir à ce qui pourrait se produire en métropole. Il est crucial d’envoyer un message clair face à ce phénomène mondial. Tous les pays du monde mettent en place des mesures pour éviter une submersion migratoire. Il est grand temps que la France réagisse sur l’ensemble de son territoire avant qu’il ne soit trop tard.

Pour toutes ces raisons, nous voterons ce texte, même si le groupe UDR souhaite aller plus loin en demandant la suppression du droit du sol à Mayotte.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Pour les habitants de Mayotte, encore sous les décombres, la précarité est gigantesque. Par solidarité, nous devons trouver des solutions pour les aider à surmonter le drame qu’ils vivent, des solutions efficaces et non des mesures qui, non seulement tournent le dos à l’histoire de notre nation et de notre République, mais seront inefficaces, compte tenu des immenses défis auxquels ils sont confrontés.

La présente proposition de loi vise à supprimer le droit du sol à Mayotte dans le but de lutter contre l’immigration clandestine, considérée comme étant à l’origine d’une déstabilisation économique, et de préserver l’environnement naturel de l’île. Elle ne mentionne même pas le fait que Mayotte demeure le département le plus pauvre de France : 74 % de sa population vivent sous le seuil de pauvreté, soit une proportion cinq fois plus élevée qu’en métropole. Le fait que, depuis le passage à la départementalisation, Mayotte n’ait jamais atteint le même niveau de vie que les autres territoires ultramarins ou hexagonaux n’est pas évoqué et rien n’est dit des différentes révoltes contre la vie chère ou des crises de l’eau qui, depuis 2011, se suivent et se ressemblent sans qu’aucune réponse politique à la hauteur ne soit apportée.

Ceux qui étaient en position d’apporter des solutions fuient à présent leurs responsabilités en désignant des boucs émissaires. Le droit du sol fait l’objet à Mayotte d’un régime dérogatoire restrictif spécifique : aux conditions énumérées à l’article 21-7 du code civil relatif au droit du sol, vient s’ajouter depuis la loi « asile et immigration » de septembre 2018 l’exigence pour une personne née dans ce département que l’un de ses deux parents ait résidé de manière régulière et ininterrompue sur le territoire national trois mois avant sa naissance. Ce délai, le texte que nous examinons souhaite le porter à un an. L’objectif est de dissuader les mères étrangères de venir donner la vie à Mayotte à des enfants français. C’est faire fi des raisons de la venue des migrants, des risques de naufrage, de noyade et de disparition auxquels ils s’exposent pour obtenir la chance d’une vie meilleure. Selon un rapport sénatorial de 2012, le nombre de décès lors de ces traversées, difficile à évaluer, se situerait entre 7 000 et 10 000 depuis 1995.

Depuis l’entrée en vigueur de ce régime dérogatoire, le nombre d’enfants nés à Mayotte de parents étrangers n’a pas diminué : ils représentent 16 % des naissances, ce qui était déjà le cas en 2012 selon l’Insee. Par ailleurs, allonger la durée de séjour ininterrompue sur le sol français du parent à un an avant la naissance de l’enfant n’aura pour conséquence que d’accroître le nombre de personnes en situation irrégulière à Mayotte. Créer de la clandestinité, c’est augmenter la précarité et risquer de générer davantage de tensions et d’insécurité, message que j’adresse également à M. Retailleau.

Tant que subsisteront des différences de développement au sein de l’archipel comorien et que perdureront des conflits poussant les populations africaines à s’exiler, l’immigration ne sera pas endiguée.

De plus, ces exigences spécifiques constituent une discrimination entre enfants nés sur le sol français, puisqu’ils n’auront pas les mêmes droits selon leur département de naissance. Rappelons ici que les règles spécifiques d’accès à la nationalité française à Mayotte ont fait l’objet d’une recommandation du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, après l’audition de la France dans le cadre de son sixième examen périodique sur l’effectivité de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Le droit du sol est, comme l’hospitalité, au fondement de notre République et même de notre nation puisque c’est en 1515 qu’ont été posés les premiers jalons du droit du sol, je le rappelle à ceux qui aiment à se réclamer de l’histoire. Nous voterons évidemment contre cette proposition de loi qui constitue un recul majeur.

M. Sacha Houlié (NI). Votre proposition de loi présente au moins un intérêt : elle marque l’abandon temporaire de la révision constitutionnelle qui avait pour but de supprimer le droit du sol à Mayotte, ce qui aurait entaché la loi fondamentale en créant deux types de citoyens français.

Il ne faut pas se bercer d’illusions : l’abrogation du droit du sol à Mayotte ne saurait être sans conséquences pour le reste du territoire français. Comment croire par ailleurs, comme certains orateurs qui se sont exprimés ce matin, à l’efficacité d’une telle mesure ? La réforme de 2018 devrait faire réfléchir. Elle a introduit une exigence particulière pour acquérir la nationalité française à Mayotte : que l’un de ses parents ait résidé de manière régulière et ininterrompue sur le territoire national depuis plus de trois mois avant le jour de sa naissance. Si depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le nombre des acquisitions de la nationalité française a été divisé par trois, passant de 2 800 en 2018 à 799 en 2022, il y a dix fois plus de flux. C’est éclairant : l’accès à la nationalité n’est le motif principal des migrations.

Un reportage publié récemment par La Croix se penchait sur les raisons pour lesquelles les Comoriens rejoignent Mayotte : ils veulent échapper à la corruption qui les empêche de saisir la justice et de faire valoir leurs droits et au délabrement des services publics – système de santé inexistant, système éducatif paralysé – et pensent accéder à des niveaux de rémunération supérieurs. Même si Mayotte est le département le plus pauvre de la République, le revenu annuel moyen par habitant de 9 000 euros contre 700 aux Comores et 360 à Madagascar en fait le territoire le plus riche du canal du Mozambique.

Ce texte ne traite pas de certaines réalités : la pression à l’égard de l’archipel des Comores, le marché des fausses déclarations de naissance ou des fausses identités alimenté par certains Mahorais, la multiplication des déclarations frauduleuses de paternité, l’inefficacité du contrôle des frontières – absence de coordination entre les forces terrestres, maritimes et aériennes, absence de radars, absence d’implantation sur l’îlot Mtsamboro situé au nord de l’île. De multiples actions pourraient être mises en œuvre de façon très efficace avant de recourir à des solutions qui n’en sont pas.

Au fond, on pourrait s’amuser de cette proposition de loi qui n’est qu’un tigre de papier si elle ne comportait le danger de remettre en cause le droit du sol dans l’ensemble du territoire français. Ne l’oublions pas, toucher aux fondements de la République, c’est fragiliser la nation tout entière.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Tous les intervenants ou presque reconnaissent la spécificité de Mayotte et ce n’est déjà pas si mal de s’accorder sur ce point. Partant de chiffres parfois sous-estimés et délicats à interpréter, nous partageons le constat des grandes difficultés que connaît ce département : services publics embolisés, quadruplement de la population en vingt ans, attractivité forte.

Monsieur Gillet, vous reprochez au texte d’être trop mou et trop tiède. Mais vous savez bien – et ma réponse vaudra pour d’autres – que nous agissons dans un cadre limité. Certes, on peut toujours nourrir des ambitions de réforme constitutionnelle mais je ne suis pas sûr que nous soyons tous d’accord sur le fond. En outre, il faut que certaines conditions politiques soient réunies. Un projet ou une proposition de loi constitutionnelle doit d’abord être adopté dans des termes identiques par les deux assemblées, chose absolument impossible dans les circonstances actuelles. Au lieu d’agiter cette révision comme un chiffon rouge, nous préférons être pragmatiques. Notre texte ne prétend pas être l’alpha et l’oméga des politiques publiques mais il constitue un premier point d’entrée.

Vous avez évoqué, cher collègue Vincent Caure, la réponse à apporter aux Mahorais face à l’embolie des services publics qui pénalise l’ensemble de la population. Non seulement le logement est précaire et insalubre, voire illégal, mais les capacités d’accueil des enfants dans les écoles sont si restreintes qu’il faut organiser une double utilisation des locaux, sans temps mort – on n’en est pas aux trois-huit, mais presque. L’État se doit certes de réagir et d’apporter les moyens nécessaires mais il se doit aussi d’exercer une régulation afin d’assurer au plus grand nombre l’accès aux meilleurs services.

Monsieur Bernalicis, vous avez déjà évoqué l’intangibilité de nos principes fondamentaux. Sachez que je suis attaché autant que vous à l’État de droit. Pour cette proposition de loi, je me suis appuyé sur les décisions du Conseil constitutionnel. Je sais qu’il peut vous arriver de les contester, mais moi qui suis assez légaliste et qui aime ce cadre républicain, j’essaie de mettre mes pas dans ceux de cette institution comme dans ceux du Conseil d’État, qui, saisis des dispositions de la loi de 2018, ont tous les deux considéré qu’il existait des possibilités d’adaptation en matière de droit de la nationalité, lesquelles, rappelons-le, relèvent pleinement du champ couvert par l’article 73 de la Constitution.

Madame Capdevielle, je ne voudrais pas être maladroit, mais il semblerait qu’un nouveau point Godwin ait été trouvé avec Trump. Vous cherchez à disqualifier cette proposition du groupe DR en la comparant aux initiatives prises pour le nouveau président des États-Unis. Pour ma part, je laisse les « trumpettes » de la renommée à d’autres. Aucune filiation ne peut être établie entre notre proposition et ces projets. Cela fait des années que nous affirmons la nécessité de réguler davantage l’immigration et que nous appelons à la mise en œuvre de moyens complémentaires. Je rappelle d’ailleurs que nous avions dénoncé les insuffisances du projet de loi du gouvernement pour Mayotte, appelant clairement et fermement à la mise au point d’un deuxième étage de la fusée. C’est d’ailleurs cette voie qui semble être prise avec l’annonce du projet de loi programme de refondation « Mayotte debout », qui sera présenté dans quelques semaines.

Monsieur Hetzel, vous avez raison de mettre en avant le rôle des Comores. Cet État revendique l’appartenance à son territoire de Mayotte et l’a même inscrite dans sa constitution. Il ne se conforme pas aux règles du jeu international et ne respecte pas l’accord qu’il a signé avec la France en 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Je crois qu’il faut en tirer les conséquences sur le plan diplomatique de manière beaucoup plus ferme que nous ne le faisons aujourd’hui. Les Comores ne sont toutefois pas le seul État en cause. Des filières très organisées d’immigration depuis l’Afrique australe et l’Afrique des Grands lacs se sont développées ces dernières années et leur dangerosité fait froid dans le dos.

Madame Voynet, vous connaissez la situation à Mayotte, vous qui avez été directrice de son agence régionale de santé (ARS). Mieux que d’autres, vous savez quelles sont les conséquences de cette immigration mal maîtrisée. Si celle-ci n’est pas la cause de tous les maux, elle accentue les difficultés dont souffre ce territoire. Je vous demanderai, par ailleurs, de ne pas faire parler les morts : Jacques Chirac a défendu des positions fermes, dont je me réjouis, mais Mayotte est dotée d’une singularité que même le Conseil constitutionnel a reconnue.

Il est vrai que cette île jouit d’une relative prospérité, même si elle est marquée par les pénuries en matière de logement, de santé, d’établissements scolaires : le revenu moyen par habitant, M. Houlié le rappelait, est de 9 000 euros par an, soit un montant dix à quinze fois plus élevé que dans les territoires voisins, ce qui constitue un facteur d’attractivité. Toutefois, il faut arrêter de dire qu’on ne peut rien modifier s’agissant de l’acquisition de la nationalité. Je crois qu’on peut aller plus loin et c’est ce que nous proposons à travers des solutions concrètes.

Je vous remercie, madame Brocard, de soutenir le groupe Droite républicaine dans sa démarche. Il ne m’a pas échappé que des questions pouvaient se poser s’agissant de la constitutionnalité de la condition liée à la résidence régulière des deux parents. La décision du Conseil constitutionnel a donné lieu à des interprétations parmi les juristes. Il nous faudra clarifier ce point d’ici à la séance et il n’est pas impossible que je propose une réécriture par voie d’amendement. Sachez que nous resterons vigilants.

Madame Moutchou, vous avez raison : Mayotte est à bout de souffle. Il faut que l’État renforce sa lutte contre l’immigration illégale en améliorant les moyens matériels, notamment les radars, et en menant une politique plus ferme, en particulier en exécutant mieux les obligations de quitter le territoire français (OQTF), même s’il mène déjà à bien des opérations de renvoi dans le pays d’origine.

Chère collègue mahoraise, chère Estelle Youssouffa, je vous sais partisane d’une abrogation pure et simple du droit du sol à Mayotte, que le ministre Gérald Darmanin avait évoquée il y a un an, quasiment jour pour jour. Vous connaissez le rapport de force politique dans notre assemblée et au Sénat : cet objectif est hors d’atteinte à l’heure actuelle. Sans aller aussi loin que vous le souhaitez, il est possible de faire œuvre utile et de joindre le geste à la parole. Et je vous répondrai, madame Barèges, que notre proposition de loi n’a rien de timoré : nous allons aussi loin que nous l’autorise le cadre constitutionnel.

Madame Faucillon, vous ne pouvez pas dire que notre texte atteint les fondements de la nation et du pacte républicain, à moins que vous ne considériez que nos compatriotes mahorais, qui sont dans le dénuement le plus complet, doivent accueillir, pour reprendre la formule de Michel Rocard, toute la misère du monde ou du moins de l’océan Indien. Nous vous soumettons un texte mesuré, qui envoie un signal clair, mais qui encore une fois n’est pas l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Évidemment, des débats plus compliqués seraient envisageables et nous en aurons. Pour l’heure, nous devons utiliser dans un esprit de responsabilité les pouvoirs que nous reconnaît la Constitution, à la lumière des décisions du Conseil constitutionnel.

M. le président Florent Boudié. Je précise que nous serons saisis dans quelques semaines d’un projet de loi portant sur Mayotte mais nous ne savons pas encore s’il sera examiné par une commission spéciale ou par les commissions permanentes concernées.

Je tiens à souligner que la condition exigeant la résidence régulière des deux parents suscite quelques interrogations. Qu’en sera-t-il concrètement de l’application de cette disposition ? Que fera-t-on lorsqu’un enfant n’a plus ses deux parents ? Sur le plan constitutionnel, comment respecter le principe d’égalité ? J’imagine que des ajustements seront proposés d’ici à la séance.

Avant l’article unique

Amendement CL17 de Mme Sophie Ricourt Vaginay

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Exiger une résidence régulière des deux parents, comme le fait la proposition de loi, nous paraît bien timide, compte tenu de l’ampleur du problème. L’UDR considère que des mesures fermes et pragmatiques doivent être appliquées immédiatement pour protéger nos compatriotes mahorais. C’est la raison pour laquelle nous proposons dans cet amendement des solutions pour tarir les flux migratoires incontrôlés qui mettent l’État français dans l’incapacité de structurer une société organisée.

Nous demandons dans un autre amendement l’abrogation du droit du sol à Mayotte, en prenant en compte les spécificités locales et les contraintes constitutionnelles, afin de restaurer l’équilibre démographique et social dont a besoin cette partie du territoire français.

L’article 73 de la Constitution nous permet d’adapter nos lois aux réalités des départements d’outre-mer et le Conseil constitutionnel lui-même, dans sa décision du 25 novembre 2022, a reconnu la nécessité d’agir face à des « flux migratoires exceptionnellement importants » à Mayotte. Il est donc non seulement possible mais urgent de le faire.

Nous resterons fermes et espérons que nos collègues de la droite dans son ensemble adopteront cet amendement qui propose, en attendant une réforme constitutionnelle, une expérimentation de dix ans portant sur une modification du droit du sol : l’acquisition de la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte serait conditionnée à un délai de résidence continue sur le territoire national d’au moins cinq ans de leurs parents avant leur naissance et à une déclaration expresse de ceux-ci devant les autorités compétentes au moment de la naissance.

Le groupe UDR appelle de ses vœux des solutions pragmatiques et courageuses qui répondent à l’attente légitime du peuple français à Mayotte. Ne soyons pas frileux : ne laissons pas la République se contenter de réagir mollement face à des défis majeurs. L’heure est à l’action pour garantir justice et dignité aux Mahorais.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Mon avis sera défavorable. J’ai bien pris en compte les décisions du Conseil constitutionnel de 2018 et de 2022 mais nos possibilités d’action se situent dans un cadre contraint.

Par ailleurs, augmenter la condition de durée de résidence des parents d’un an à cinq ans va trop loin, compte tenu du fait qu’il existe une condition de séjour de cinq ans applicable à l’enfant. En outre, la condition selon laquelle les parents doivent réclamer dès la naissance le bénéfice de la nationalité française pour leur enfant apparaît difficilement compatible avec les mécanismes de déclaration prévus par l’article 21-11 du code civil, selon lesquels il revient notamment à l’enfant de demander la nationalité française à partir de ses 16 ans.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). L’État, en choisissant d’administrer Mayotte par ordonnances et dérogations, malgré la départementalisation, nous laisse à la marge de la République au nom de spécificités indéfinies mais fort pratiques. On ne peut pas s’asseoir sur les grands principes et utiliser notre insularité et notre éloignement pour transformer notre île en camp à migrants à coups de lois d’exception pour ensuite refuser, au nom de ces mêmes grands principes, une exception qui réglerait le problème migratoire à Mayotte.

Depuis que le cyclone a ravagé l’île, notre économie est par terre et plus aucune institution publique ne fonctionne normalement, mais nous voyons les flux migratoires s’accentuer. Le discours sur le différentiel économique et sur le mythe de la prospérité de Mayotte – territoire le plus pauvre de France – est battu en brèche par la réalité, que nient ceux qui soutiennent que l’obtention de papiers n’est pas le motif de l’immigration.

Mayotte connaît une situation d’explosion sociale. Hier, par exemple, nous avons vu des affrontements opposer des migrants africains aux forces de l’ordre qui tentaient de les protéger de la population, scandalisée par l’occupation des écoles par ces migrants. Plus rien ne fonctionne, l’eau n’a pas été rétablie et du riz est maigrement distribué aux uns et aux autres. Regardez donc les choses en face !

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Personne ne nie que la situation à Mayotte est compliquée. La question est de savoir comment y faire face. Nous pensons qu’il faut d’abord le faire en défendant des principes et notamment celui du respect du droit de sol. Il ne doit pas être remis en cause à Mayotte, même si, à notre avis, cela a déjà été fait. Nous avons déjà entendu les arguments du rapporteur dans la bouche d’autres personnes se référant, de manière fausse, à la situation d’autres pays ou même à l’Hexagone. Le Premier ministre a parlé d’un « sentiment de submersion » migratoire. Ce sentiment mènerait-il à un sentiment de suppression du droit du sol qui lui-même mènerait à la suppression effective du droit du sol dans l’Hexagone ?

Mayotte fait partie de la République française. Il ne faut donc pas y déroger, pas plus que dans l’ensemble des outre-mer, aux principes républicains. Il faut répondre aux enjeux spécifiques à Mayotte par des mesures spécifiques, en améliorant l’accès aux services de base – éducation, santé, eau potable. L’État doit être à la hauteur des promesses de la République, mais cela n’a jamais été le cas ni à Mayotte ni dans les outre-mer. Remettre en cause les principes dans un territoire de la République en raison de sa situation spécifique – dont on retrouve des caractéristiques en Guyane, par exemple – signifie que nous sommes en train de sortir de la République. Ce n’est pas ce que veulent les Mahorais.

M. Sacha Houlié (NI). Je me garderais bien de dire ce que veulent les Mahorais. Je me contenterai de formuler trois observations.

La suppression des titres de séjours territorialisés avait été promise, mais plus personne n’en parle alors qu’elle pourrait contribuer à la résolution de l’engorgement de l’immigration à Mayotte.

Le territoire mahorais est effectivement l’un des plus pauvres de la République mais également l’un des plus riches du canal du Mozambique, et il l’apparaît d’autant plus après les promesses faites par l’État de reconstruire les hôpitaux et les écoles. À cela s’ajoute la corruption endémique aux Comores et la pression exercée par le régime, soutenu par des dictatures comme la Russie et l’Iran. Ce n’est donc pas l’accès à la nationalité qui motive les passages. D’ailleurs, après la loi de 2018 réformant le droit du sol à Mayotte, il y a eu trois fois moins d’accès à la nationalité alors que les passages ont été multipliés par dix.

Cette proposition de loi est un tigre de papier : elle est non seulement dangereuse sur le plan des principes, mais elle serait en plus totalement inefficace.

La commission rejette l’amendement.

Article unique (articles L. 2493 et L. 2495 du code civil) : Restriction des conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte

Amendements de suppression CL1 de M. Marc Pena, CL2 de M. Ugo Bernalicis, CL14 de Mme Émeline K/Bidi et CL15 de Mme Dominique Voynet

Mme Colette Capdevielle (SOC). Cette proposition de loi souffre d’un problème de constitutionnalité et de conventionnalité.

L’article 73 de la Constitution permet l’adaptation des lois et règlements aux spécificités des départements d’outre-mer, mais, en touchant à l’accès à la nationalité, et donc à un des fondements de la République, vous le détournez de son esprit puisqu’il vise les services publics. Il me semble que vous n’avez pas pris toute la mesure des indications de la Défenseure des droits.

Cette proposition introduit une rupture d’égalité entre les enfants issus d’une famille monoparentale et ceux qui ont leurs deux parents. Elle porte atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, pourtant protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle viole l’article 3.1 de la Convention relative aux droits de l’enfant puisque le refus de donner la nationalité de leur pays natal au motif de l’irrégularité du séjour de leurs parents porte atteinte à l’intérêt supérieur des enfants concernés.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, je sais que vous êtes attaché au droit et à ses principes. C’est de celui de la preuve dont je souhaite vous parler. Comment une personne pourra-t-elle prouver que ses deux parents résidaient en France de façon régulière au moment de sa naissance alors que la demande de nationalité aura lieu plusieurs années après ? Cette preuve sera d’autant plus difficile pour ceux qui ont grandi dans un bidonville que le passage du cyclone a ravagé.

Cette proposition de loi risque donc de créer de nouvelles situations d’irrégularité alors que, selon vous, ces situations constituent le problème. Nous pensons que le problème est le sous-investissement dans tous les domaines et l’absence de l’État et de la République depuis que Mayotte est devenue française.

Mme Elsa Faucillon (GDR). On voit aujourd’hui fleurir des discours de dirigeants qui, n’ayant pas répondu aux exigences d’égalité, fuient leur responsabilité et vont chercher des boucs émissaires pour flatter un électorat sur des bases xénophobes. Ces discours ne répondent pas aux problèmes qui frappent les Mahorais.

Dire aux Mahorais, qui doivent faire face à des difficultés d’accès à l’eau, à la santé et aux autres services publics, qu’une réforme du droit du sol – principe fondamental de notre nation – améliorera leur quotidien revient à entretenir une illusion. Partout, nous voyons combien les mesures sécuritaires et les mesures de plus en plus restrictives quant à l’accès à un titre de séjour ne font que renforcer la clandestinité et donc la précarité. Le faire à Mayotte, où la précarité domine, c’est ajouter des maux aux maux et que dire de la proposition de certains collègues siégeant à droite de l’hémicycle de supprimer l’aide aux Comores ?

Mme Dominique Voynet (EcoS). Certains orateurs nous ont accusés de défendre des principes, comme si c’était déshonorant ou que c’était un luxe parisien. Je ne vais pas trancher ce débat, car je préfère parler de l’efficacité des mesures.

Monsieur le rapporteur, en quoi le durcissement des règles d’accès à la nationalité française peut-il régler les douloureux problèmes quotidiens des Mahorais ? Une grande partie des enfants nés à Mayotte ne sont pas français. Seront-ils, pour autant, moins nombreux ? Il y aurait, selon vous, environ 150 000 étrangers à Mayotte. Contrairement à ce qu’a dit Mme Moutchou, la moitié d’entre eux sont en situation régulière. En 2018, 2 900 demandes d’acquisition de la nationalité française ont été enregistrées contre 900 en 2022, après la loi Collomb.

Est-ce ainsi qu’on règle les problèmes ? Nous ne le pensons pas et proposons donc de supprimer l’article unique de cette proposition de loi de circonstances.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je ne reproche à personne de défendre les principes de la République et ceux qui me connaissent ne peuvent m’accuser de les brader. J’ajoute que nul n’a le monopole de la République. Certains, qui frappent à une porte, peuvent penser que la République, c’est eux. Certains membres de cette commission semblent très attachés au grand maître, mais la République, c’est chacun d’entre nous !

L’honneur de la République est de protéger les plus faibles. Or, aujourd’hui, les Mahorais qui, je le rappelle avec force, sont Français et dont l’histoire est un long combat pour le rattachement à la France, sont en difficulté. Les services publics ne fonctionnent pas. Ce n’est pas qu’une question de moyens : nous pourrions ouvrir des centaines de classes, encore faudrait-il des professeurs pour y enseigner. Il faut être réaliste : Mayotte a besoin de développement économique, notamment de construction d’infrastructures. Pendant trop longtemps, la République ne s’est pas suffisamment occupée de Mayotte. Je le disais déjà, avec René Dosière et Didier Quentin dans un rapport que nous avons rédigéen 2009. Nous y évoquions l’hôpital de Mamoudzou qui, avec 4 000 naissances par an à l’époque, était déjà la première maternité de France.

Invoquer les grands principes ne nous empêche pas d’encadrer davantage l’accès à la nationalité dans le respect de la Constitution. Je n’ai jamais dit que cette seule mesure résoudra toutes les difficultés, mais elle est un élément d’une politique plus globale qui vise à contenir l’immigration et à davantage de sécurité. Nous le devons à nos concitoyens.

Allez donc à Mayotte…

Mme Dominique Voynet (EcoS). Pas seulement pour vingt-quatre heures !

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je ne me sens pas visé par votre remarque puisque j’y suis déjà allé à plusieurs reprises, chaque fois pour une semaine ; cela m’a permis de bien prendre la température et le pouls de la population.

Avis défavorable aux amendements de suppression.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Mayotte est française depuis 1841 mais le droit du sol ne s’y appliquait pas jusqu’en 1993. Pour autant, la République n’a pas tremblé et le Conseil constitutionnel dormait sur ses deux oreilles, mais les flux migratoires n’étaient pas alors ceux que nous connaissons aujourd’hui.

Le visa Balladur a créé une frontière entre Mayotte, territoire français, et les Comores, territoire indépendant. Tous ceux qui réclament la libre circulation entre Mayotte et les Comores contestent à la fois l’appartenance de Mayotte à la France et l’indépendance des Comores.

Revenons aux grands principes. Ils ne sont pas appliqués à Mayotte depuis longtemps, qu’il s’agisse du droit d’accès à l’eau ou à l’éducation. Pourtant, cela n’empêche personne de dormir et je ne vous vois pas pousser de hauts cris au Conseil constitutionnel. La règle à Mayotte, c’est l’exception. Vous ne pouvez donc pas justifier votre opposition à des mesures prises pour sauver Mayotte par le refus de toute exception aux principes de la République.

M. Philippe Schreck (RN). Nous nous opposons à ces amendements, défendus par l’extrême gauche idéologue et par une partie de la gauche intellectuellement paresseuse. Faut-il revenir sur la gravité de la situation ? Le Premier ministre lui-même, récemment converti au constat d’évidence, l’a déjà décrite : une immigration incontrôlée plonge les Mahorais dans une vie quotidienne impossible. Nous avons d’ailleurs pu en prendre toute la mesure lors de l’examen du projet de loi d’urgence.

Les Mahorais ne sont pas xénophobes : ils aspirent simplement à vivre tranquillement et à pouvoir construire leurs projets parmi nous et avec nous, en France. La pression migratoire et démographique et l’ingérence des Comores rendent la suppression du droit du sol indispensable. Si rien n’est fait, le présent de Mayotte risque de devenir le futur proche du reste du territoire.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je voudrais répondre à Madame Youssouffa que, si les principes ont des exceptions, alors ce ne sont plus des principes. Pour nous, la République est d’abord une République sociale et ses principes n’ont de valeur que s’ils sont respectés, c’est-à-dire qu’ils doivent avoir une traduction concrète dans le quotidien des citoyennes et des citoyens. Or, à Mayotte et ailleurs dans les outre-mer, le principe de l’accès aux conditions de vie, voire de survie, comme l’eau potable, n’est pas respecté. C’est un scandale et nous ne cessons de réclamer des moyens supplémentaires. Nous cherchons à maintenir une cohérence d’ensemble alors que vous menez une politique à la découpe.

J’ajoute que cette proposition de loi risque d’amplifier le phénomène de fraude documentaire et de corruption.

Mme Naïma Moutchou (HOR). Le droit français repose sur un équilibre entre des principes et leurs exceptions pour tenir compte de particularités. Sans ces exceptions, les seuls principes seraient discriminants. Ceux qui mettent en avant la défense des grands principes oublient que ceux-ci sont bafoués à Mayotte. Où est l’égalité quand les Mahorais eux-mêmes n’ont pas accès aux soins dans des conditions normales ? Où est l’égalité quand ils ne peuvent pas se promener en sécurité ?

La tension démographique n’explique pas tout, mais elle joue un rôle dans cette équation. Je rappelle que la tradition républicaine de l’accueil est responsable. Nous devons faire face à des tentatives de déstabilisation de puissances étrangères, qui jouent précisément sur cette tradition d’accueil pour fragiliser le territoire. Selon vous, il faudrait faire avec cette situation et les tensions entre la population locale et les populations immigrées. Nous pensons que l’égalité et la justice exigent de durcir les conditions d’accès à la nationalité française.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Monsieur Bernalicis, en défendant tous les principes et rien que les principes, sans exception, vous remettez en cause la construction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui affirme que les principes d’égalité et de liberté s’exercent dans les « bornes » définies par la loi. C’est bien ce que nous faisons avec cette proposition de loi, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui admet des exceptions législatives aux principes pourvu que la proportionnalité soit respectée et que les spécificités d’un territoire soit prises en compte. Prendre en compte une situation particulière n’implique pas une rupture d’égalité quand cela favorise l’application concrète de l’égalité d’accès à des services publics.

La commission rejette les amendements.

Amendements CL3 de M. Aurélien Taché et CL18 de Mme Brigitte Barèges, amendements CL6, CL7 et CL8 de M. Yoann Gillet (discussion commune)

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 2493 du code civil, que cet amendement vise à abroger, crée une exception pour les enfants nés à Mayotte. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose, en son article 1er, que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Il ne parle pas des Français ou des gens qui habitent à tel endroit car la République française considère qu’il y a une humanité, une et universelle. Elle donne donc des droits valables pour tous. C’est ce qui fait notre identité de Français, une identité internationaliste, ce qui est rare dans l’histoire des nations.

Comment pouvez-vous donc à la fois nous dire qu’il est normal de faire des exceptions au titre d’une situation particulière et que vous défendez la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Vous ne pouvez défendre que l’un ou l’autre. Nous défendons cette dernière et visons l’application concrète de ses principes, qui se traduit par l’accès aux services publics. Il faut commencer par les moyens et donc par les professeurs et les professionnels de santé. Alors peut-être serons-nous à la hauteur des principes que nous prétendons défendre.

M. Yoann Gillet (RN). L’amendement CL6 tend à abroger le droit du sol sur tout notre territoire. Le droit du sol est une anomalie et un danger qui menace notre pays. Rien qu’en 2023, 86 535 enfants nés en France de deux parents étrangers ont automatiquement obtenu la nationalité française, sans qu’aucun lien réel avec notre nation ne soit établi. Ce mécanisme juridique, à l’origine pensé pour simplifier l’intégration, s’est transformé en un appel d’air migratoire. Nous ne pouvons plus fermer les yeux.

La nationalité française est bien plus qu’un simple statut administratif : elle est un honneur, un engagement, une décision qui doit être réfléchie et assumée. En maintenant le droit du sol dans sa forme actuelle, nous diluons l’identité nationale et creusons des fractures sociales de plus en plus visibles. La France n’est pas une terre d’opportunisme. Elle est une communauté unie par son histoire, ses valeurs et ses devoirs. Il ne s’agit pas de fermer les portes, mais de restaurer du sens et de l’exigence à l’accès à notre nationalité. Supprimer le droit du sol, c’est rétablir des conditions justes et rigoureuses en mettant en avant la naturalisation volontaire, qui garantit un lien sincère et durable avec notre pays.

Les Français réclament une telle réforme : 65 % d’entre eux y sont favorables. L’heure est venue de prendre nos responsabilités et de prendre notre courage à deux mains pour oser défendre l’unité et l’identité de la France.

Avec l’amendement CL7 je propose la suppression du droit du sol à Mayotte. Notre responsabilité est de mettre fin à une situation intenable. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1985, 12 % des habitants de Mayotte n’étaient pas natifs de l’île alors que cette proportion est aujourd’hui de 55 %. Cette statistique confirme que l’immigration y est massive et incontrôlée, encouragée par une législation obsolète et dévoyée, à commencer par le droit du sol qui est un véritable appel d’air migratoire. Des milliers de personnes affluent chaque année, non pas pour s’intégrer ou contribuer, mais pour profiter d’un système qui garantit à leurs futurs enfants la nationalité française. À cela s’ajoute la fraude massive des reconnaissances de paternité – des Mahorais reconnaissent des enfants étrangers contre de l’argent, permettant à ces derniers d’obtenir frauduleusement des papiers français –, que j’ai dénoncée dans mon rapport parlementaire. La nationalité française ne doit être ni un droit automatique ni un objet de marchandage. Elle est un honneur et une responsabilité et doit se mériter.

En 2023, 97 288 personnes ont acquis la nationalité française, tandis que notre pays a délivré 2,4 millions de visas, soit une augmentation de 40,4 % par rapport à 2022. Ces chiffres révèlent une réalité indéniable : la pression migratoire est croissante sur notre territoire. Face à cette situation, il est de notre devoir de parlementaires d’agir pour garantir la cohérence de nos politiques migratoires et préserver la valeur de la nationalité française.

La nationalité ne doit pas être une simple conséquence automatique de la naissance sur notre sol. Elle doit être un acte significatif, réfléchi et fondé sur un lien réel avec notre pays. C’est l’objectif l’amendement CL8, qui vise à conditionner l’acquisition de la nationalité française au titre du droit du sol à une résidence régulière et ininterrompue dans notre pays des deux parents depuis au moins deux ans. Ce critère mesuré et raisonnable vise à restaurer le sens de l’acquisition de la nationalité française en la liant à un engagement durable envers la République. Actuellement, un enfant né en France peut acquérir la nationalité française sans que ses parents aient démontré un quelconque engagement à long terme. Cette situation crée un décalage profond entre l’idéal républicain que nous défendons et la réalité migratoire actuelle.

Ces amendements répondent à une attente forte de nos concitoyens, qui demandent très majoritairement de la fermeté en matière migratoire.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Avis défavorable à tous ces amendements. Je rappelle qu’il y a un débat constitutionnel sur le sujet et que la position dominante parmi les juristes est qu’une révision de la Constitution est nécessaire.

Monsieur Léaument, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est un texte fondateur, certes, mais il a fallu attendre 1971 pour qu’une décision du Conseil constitutionnel lui donne valeur constitutionnelle en l’incluant, avec d’autres textes, dans le bloc de constitutionnalité. Les principes énoncés par ces textes doivent être conciliés entre eux et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prime pas toujours sur les autres textes du bloc de constitutionnalité.

La proposition de loi prévoit une condition de résidence régulière des parents d’un an. Prévoir un délai plus long, comme y tend l’amendement CL8, ne me semble pas compatible avec la position du Conseil constitutionnel. Notre lecture de l’article 73 de la Constitution et des décisions du Conseil constitutionnel peut sembler restrictive, mais, si la proposition de loi est votée, cette mesure aura le mérite d’exister et d’envoyer un signal clair de la République à l’ensemble du territoire et aux Comores. Je souscris à tout ce qui a été dit sur cet État, qui ne joue pas le jeu et brave les règles du droit international. Il faut en tirer toutes les conséquences, diplomatiques et financières.

M. Vincent Caure (EPR). Je souscris aux propos de M. le rapporteur concernant l’amendement CL6 de M. Gillet. Il n’existe déjà pas de chemin clair pour modifier le droit du sol à Mayotte ; y porter atteinte sur l’ensemble du territoire national s’éloignerait de manière incommensurable de l’objet du texte.

Il est vrai qu’aucun principe de nature constitutionnelle – ni principe fondamental, ni disposition constitutionnelle – ne garantit le droit du sol. Néanmoins, nous toucherions là à un mode d’acquisition de la nationalité qui représente une constante dans l’histoire de notre République, sous tous les régimes, depuis le dix-neuvième siècle. On peut y toucher de manière marginale, mais ce n’est ni le lieu, ni le moment de le remettre en cause.

L’exposé sommaire de l’amendement, très succinct, ne précise pas les modalités d’obtention du droit à la nationalité par filiation : faudra-t-il remonter jusqu’aux parents, aux grands-parents ou plus loin dans la généalogie ?

Enfin, l’amendement aurait pour effet mathématique d’augmenter la part de la population étrangère à Mayotte, ce qui créera des enclaves de population étrangère, du moins tant que le problème de l’exécution des mesures d’éloignement n’aura pas été résolu.

Nous voterons contre tous ces amendements.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous avons rappelé les principes du bloc constitutionnel et cité la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je citerai aussi l’article 1er de la Constitution, selon lequel la République est une et indivisible.

Le texte acte la division des principes censés s’appliquer sur l’ensemble du territoire, qu’il soit hexagonal ou ultramarin, en proposant une dérogation qui inspire jusqu’au Rassemblement national que vous prétendez combattre. S’il y a un danger de submersion, c’est plutôt un danger de submersion dérogatoire ! Le texte s’appliquerait à Mayotte, mais qu’est-ce qui empêcherait demain d’autres dérogations, et même l’abolition du droit du sol ? Par quoi serait-il remplacé ? Le droit du sang ? Ce concept nous est parfaitement étranger.

Mme Youssouffa a dit que les Comoriens venaient à Mayotte chercher des papiers. Ce raisonnement inverse les causes de l’immigration. En quoi cela les nourrit-il ? Ils ne cherchent pas davantage à obtenir la nationalité qu’à offrir une éducation à leurs enfants ; ils viennent simplement chercher de quoi manger, car leur pays d’origine est encore plus pauvre que le territoire mahorais. Le texte ne lutte pas contre les causes de la traversée, mais contre leurs effets ; or l’on ne guérit pas une maladie en luttant contre ses symptômes.

M. Yoann Gillet (RN). Si je comprends bien notre collègue macroniste, ce n’est ni le moment, ni le lieu pour agir. À quoi bon être parlementaire, si c’est pour ne rien faire ? C’est le véritable chaos là-bas : tout s’écroule, les services publics sont dépassés. Les Mahorais ne peuvent plus mettre leurs enfants à l’école car tous les établissements sont pleins. Il y a un hôpital que les Mahorais appellent « l’hôpital des étrangers » car ils n’arrivent plus à y mettre les pieds ; ils doivent aller à La Réunion ou en métropole pour se faire soigner. De son côté, la gauche nie la submersion migratoire, comme à son habitude.

Le rapporteur, lui, se cache derrière la prétendue inconstitutionnalité de notre proposition. Il ne lui appartient pas d’en juger ; c’est le rôle du Conseil constitutionnel. Par ailleurs, si jamais le principe d’unité et d’indivisibilité de la République rendait impossible la suppression du droit du sol à Mayotte, rien dans les textes n’empêcherait les parlementaires de l’abolir sur l’ensemble du territoire national et de respecter ainsi la volonté des Français, qui souhaitent instaurer une politique migratoire ferme.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement de mon collègue Aurélien Taché. Outre l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 1er de la Constitution, on peut citer le préambule de la Constitution de 1946 : « La France forme avec les peuples ou d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion », et celui de la Constitution de 1958 : « En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité, de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique » ; s’y ajoute le principe d’indivisibilité de la République issu de la Constitution de 1793.

La loi Collomb a créé une dérogation au droit du sol au sujet de laquelle mes collègues avaient saisi le Conseil constitutionnel. Le ministère de l’Intérieur assure que, depuis, le nombre d’obtentions de la nationalité a été divisé par trois à Mayotte, passant de 2 800 en 2018 à 799 en 2022. Si cela est vrai, en quoi cela améliore-t-il la situation sur l’île ? La situation là-bas est chaotique après l’abandon total de l’État, comme dans le reste des territoires d’outre-mer. Quels progrès cette mesure a-t-elle permis en matière d’accès à l’eau et aux services publics ou de droit à la santé et à l’éducation ?

Enfin, n’allez pas nous faire croire que la suppression du droit du sol s’appliquerait uniquement à Mayotte. L’article 81 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif, proposait de déroger au droit du sol à Mayotte, mais aussi en Guyane et à Saint-Martin. Il avait été voté par la minorité présidentielle et par le Rassemblement national.

La suppression du droit du sol a toujours figuré dans le programme de Jean-Marie Le Pen. Comme mon collègue Coulomme, j’estime que nous subissons une submersion dérogatoire, et surtout une submersion d’extrême droite.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Monsieur Coulomme, vous nous accusez de remettre en cause l’unité et l’indivisibilité de la République, mais la Constitution elle-même reconnaît la diversité, puisque les articles 73 et 74 et le titre XIII permettent d’adapter la loi pour prendre en compte les spécificités des territoires d’outre-mer. La lecture du Conseil constitutionnel va dans ce sens.

En outre, la nationalité française va de pair avec certains droits sociaux, car des allocations sont versées aux ressortissants français. En ce sens, l’acquisition de la nationalité française nourrit, dans les deux sens du terme, le flux migratoire. Je n’ai jamais prétendu que c’était le seul élément d’explication, mais il est bon de le rappeler.

Monsieur Gillet, vous faites croire à nos concitoyens qu’il est possible de modifier les institutions pour aller au-delà des dispositions actuelles, mais l’article 89 prévoit que toute révision de la Constitution doit être votée en termes identiques par les deux assemblées et soumise au référendum, ou bien adoptée en Congrès à la majorité des trois cinquièmes. Nous ne sommes pas en capacité politique de le faire actuellement, et c’est sans doute heureux. Quand on est légaliste, comme je le suis, on ne s’assoit pas sur les institutions.

Enfin, je rappelle que la constitution de 1793 n’a jamais été appliquée dans notre pays. C’était une pétition de principe qui instaurait une confusion des pouvoirs. Il est trop facile de se gargariser de textes qui n’ont pas été appliqués.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL9 de M. Yoann Gillet

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Avis défavorable. La durée de présence régulière des parents nécessaire pour l’obtention de la nationalité via le droit du sol est de trois mois actuellement. L’article 73 de la Constitution permet des adaptations locales et il me semble qu’une durée d’un an représente un point d’équilibre correct ; le doublement de ce délai me paraît juridiquement délicat, pour ne pas dire scabreux. Il ne faut pas lâcher la proie pour l’ombre. Je préfère un texte applicable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Gillet propose de porter le délai de présence régulière des parents d’un à deux ans. Au fond, pour vous, celles et ceux qui obtiennent des papiers par le droit du sol ne sont pas complètement des Français, comme s’il existait des Français de papier. Ce concept, repris à Charles Maurras, vous place dans la continuité de l’extrême droite la plus classique et la plus détestable. Quand on vous entend parler de l’idéal républicain, on se pince en se disant que c’est un mauvais rêve, mais non : vous racontez bien n’importe quoi en rabâchant les poncifs de l’extrême droite, qui n’ont jamais fait que diviser le peuple français sans régler aucun problème.

M. le rapporteur a indiqué que le rôle du Conseil constitutionnel était de concilier les grands principes constitutionnels. Or, pour rendre son avis sur la loi de 2018, celui-ci ne s’est pas appuyé sur le principe d’égalité, ni sur le principe d’indivisibilité, mais sur l’article 73 de la Constitution, lequel permet des exceptions à ces principes. Je n’ai jamais été d’accord avec cette décision qui place l’article 73 de la Constitution au-dessus des principes. Nous avons argumenté en ce sens devant le Conseil constitutionnel et nous continuerons de le faire.

Par ailleurs, je suis pour une révision de la Constitution afin de passer à une VIe République.

M. Yoann Gillet (RN). Je n’accepte pas de leçons en responsabilité de la part de l’extrême gauche, encore moins venant d’un groupe qui compte des antisémites notoires.

M. Bernalicis nous accuse de faire la différence entre les Français, mais c’est précisément pour éviter d’avoir à le faire que nous devons protéger l’acquisition de la nationalité en garantissant que celle-ci est méritée, et non automatique. Le terroriste du pont Bir-Hakeim avait obtenu la nationalité automatiquement, par le droit du sol, alors qu’il ne la souhaitait pas. Voilà la réalité. J’assume de dire qu’il était un Français de papier et qu’il n’avait pas à être français, contrairement à ceux qui font la démarche de le devenir en prouvant, par leur attachement à nos valeurs et à notre culture, qu’ils aiment la France, quelles que soient leurs origines.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL24 de M. Philippe Gosselin

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à garantir la mention de la résidence régulière des deux parents sur l’acte de naissance de l’enfant.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). M. Gillet vient de nous traiter d’antisémites. Pourtant, ses propositions visent à supprimer le droit du sol, soit exactement ce qui a été fait par le régime de Vichy le 22 juillet 1940. La première loi de Vichy servit à remettre en cause les Français naturalisés, ceux que vous appelez, comme M. Maurras, les Français de papier. Vous pouvez nous traiter de tous les noms, mais nous sommes du côté de ceux qui résistaient au régime de Vichy ; vous êtes du côté de ceux qui ont fondé un parti avec des Waffen-SS, des collabos, des gens qui soutenaient ce type de mesure.

Un grand nombre d’électeurs du Rassemblement national, dont les ancêtres étaient polonais, belges, italiens ou espagnols, ne seraient pas français aujourd’hui sans les articles du code civil que vous proposez de supprimer. Ils feraient bien de vous écouter attentivement : en remettant en cause leur nationalité, vous voulez en faire des non-Français, comme Vichy l’a fait avec les juifs et avec les Italiens. Vingt millions de nos compatriotes seraient touchés par les mesures que vous voulez adopter. Vous êtes la honte de la République et nous vous battrons dans les urnes quand vos électeurs auront compris que vous les menacez.

M. le président Florent Boudié. Chers collègues, je ne consentirai jamais à la théâtralisation des débats politiques.

Mme Dominique Voynet (EcoS). Il arrive que certains de nos amendements soient jugés irrecevables ; c’est aussi le cas de certaines discussions.

La Défenseure des droits fait état de difficultés rencontrées par les parents des enfants nés à Mayotte pour faire inscrire sur l’acte de naissance de leur enfant la mention de la régularité de leur séjour, conformément à l’article 2495 du code civil. Elle s’appuie sur plusieurs exemples concrets de refus oraux réitérés. Il est essentiel de porter le droit à la connaissance des agents de l’état civil de Mayotte afin que celui-ci soit respecté.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Je souhaite revenir sur les propos de M. Léaument, qui défendait tout à l’heure le principe d’universalité. Si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, pourquoi y a-t-il encore des visas pour autoriser quelqu’un à rentrer sur le territoire ? Pourquoi y a-t-il encore des règles, s’il faut accueillir tout le monde ? Vous voyez bien que c’est incohérent. Une nation a pour rôle de protéger les personnes qui la composent. Le principe d’universalité détruit le contrat social, à savoir : « Je paie l’impôt à condition d’avoir des services publics. »

Par ailleurs, vous parlez sans cesse de principes, mais que faites-vous de l’humain ? Il me semble que vous n’avez pas beaucoup d’humanité pour les personnes qui souffrent.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

Après l’article unique

Amendement CL10 de M. Yoann Gillet

M. Yoann Gillet (RN). À Mayotte, plus d’un habitant sur deux n’est pas né sur le territoire national. La croissance démographique y est qualifiée d’exceptionnelle. L’Insee prévoit que, d’ici à 2050, cette dynamique se poursuivra avec des conséquences démographiques majeures pour notre pays.

Des pratiques frauduleuses en reconnaissance de paternité aggravent considérablement la situation. Des femmes étrangères en situation irrégulière, souvent originaires des Comores, parviennent à obtenir la reconnaissance de leur enfant par des ressortissants français ou étrangers en situation régulière en échange d’argent ou de services. Cela permet à l’enfant d’acquérir frauduleusement la nationalité française et à la mère d’obtenir un titre de séjour ainsi qu’une protection contre les mesures d’éloignement. Cette fraude pure et simple est facilitée par des lacunes législatives et des mesures répressives insuffisantes. Lors de mon déplacement à Mayotte en tant que rapporteur pour avis, j’ai constaté ce phénomène.

Les faits nous donnent raison : l’immigration de masse, qu’elle soit légale ou illégale, est dévastatrice. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement un rapport évaluant l’efficacité des mesures prises en matière de lutte contre ces fraudes.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Des dispositifs existent déjà pour lutter contre les reconnaissances frauduleuses. Si l’officier d’état civil, grâce à un faisceau d’indices graves et convaincants, soupçonne une fraude lors de l’audition du parent, il doit saisir le procureur de la République. En outre, le procureur de la République peut demander a posteriori l’annulation de la reconnaissance de paternité si celle-ci présente un caractère frauduleux.

Néanmoins, le nombre de naissances est considérable à Mayotte : près de 10 300 en 2023. Les officiers d’état civil de Mamoudzou, où a lieu l’essentiel des naissances, sont submergés, de même que les magistrats du tribunal judiciaire. Sur ce point, je suis d’accord avec ceux de nos collègues qui réclament davantage de moyens pour ces services publics. Je tiens ce discours depuis que j’ai découvert, en 2008, la réalité concrète de la situation à Mayotte.

Compte tenu de ces difficultés, je ferai une exception à la jurisprudence de Jean-Jacques Urvoas qui, lorsqu’il était président de cette commission, avait décidé de limiter au maximum les demandes de rapport afin de ne pas multiplier les documents que l’on n’aurait plus le temps d’examiner, selon la formule « rapport sur rapport ne vaut ». Ce rapport-ci apporterait des éléments statistiques concrets qui nous permettraient d’y voir plus clair. Je m’en remets donc à votre sagesse.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je disais précédemment que l’extension des critères – un an, deux parents – allait augmenter les éléments de preuve à fournir à la préfecture pour obtenir la nationalité à l’âge de dix-huit ans, et donc la difficulté d’obtenir ces preuves, y compris pour les demandeurs de bonne foi dont les parents ont bien séjourné un an sur le territoire et qui y ont eux-mêmes vécu cinq ans. Ces personnes seront poussées à rechercher une reconnaissance de paternité frauduleuse en vue d’obtenir une nationalité à laquelle elles peuvent légitimement prétendre par ailleurs. Cela crée un terrain propice à la fraude, sans résoudre concrètement le problème.

Monsieur le rapporteur, vous dites demander des moyens supplémentaires pour Mayotte, mais je ne vous ai pas vu vous opposer aux gouvernements successifs sur ce point, ni mettre dans la balance votre vote sur les crédits des outre-mer. De plus, quand vos amis étaient au pouvoir, vous n’avez pas mis le paquet sur les investissements à Mayotte. Quand on ne voit passer que des textes répressifs qui jouent avec la liberté et les droits des gens, on finit par se poser des questions.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Nous avons voté la loi de programmation pour la justice, qui octroie à celle-ci davantage de moyens. Jusqu’à preuve du contraire, je ne vous ai pas vu sur la liste de ceux qui l’ont votée.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Florent Boudié. Je suis saisi d’une demande de scrutin public sur l’ensemble du texte.

Amendement CL16 de Mme Dominique Voynet

Mme Dominique Voynet (EcoS). Par cet amendement je demande un rapport sur les conséquences de la loi relative aux droits des enfants, ses effets sur les flux migratoires et l’évolution du nombre de titres de séjour délivrés à Mayotte. Je me permets de relayer les mots du ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de la francophonie et des partenariats internationaux, M. Thani Mohamed Soilihi, auquel on doit l’inclusion de la disposition restreignant le droit du sol à Mayotte par un amendement adopté par le Sénat : « La suppression du droit du sol n’est pas pour moi un sujet tabou, mais avant d’aller plus loin, faisons le bilan des dispositions déjà en place. »

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Je suis favorable à l’évaluation des politiques publiques. Cela fait partie de nos pouvoirs constitutionnels : le Parlement ne fait pas que voter la loi, il évalue les politiques publiques et contrôle l’action du gouvernement.

Les chiffres de la direction des affaires civiles et du sceau indiquent une décrue de l’acquisition de la nationalité à Mayotte depuis la loi de 2018, laquelle s’applique depuis le 1er mars 2019. Néanmoins, à ce stade, nous sommes incapables d’établir un lien de causalité et, compte tenu des mécanismes prévus dans la loi – l’arrivée de l’enfant avant l’âge de 13 ans et la durée de résidence –, il faudrait attendre 2032 pour une évaluation complète.

Compte tenu des chiffres de l’immigration irrégulière et du fait que les naissances de parents étrangers représentent plus des trois quarts des 10 300 naissances de 2023 à Mayotte, il faut agir sans attendre. Je vous propose de nous retrouver pour évaluer les effets de ces mesures dans quelques années, car il est important que les parlementaires exercent leur droit de suite. Avis défavorable.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés votera l’amendement de Mme Voynet, qui nous ramène à notre rôle d’évaluation. Dans les débats, chacun y va de son chiffre et de sa réalité, mais nous n’avons aucun élément concret. Ce rapport est nécessaire pour légiférer en connaissance de cause toutes les dérogations appliquées à Mayotte, et non suivant les délires de certains et les fantasmes des autres.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL11 de M. Aurélien Taché

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). De nombreux droits sont dégradés à Mayotte, ce qui atteste le statut colonial de ce territoire dont la France n’a jamais voulu faire une partie pleine et entière de la République. C’est le cas du droit d’asile. La demande d’asile doit être déposée dans un délai de sept jours et le délai d’instruction est de seulement vingt et un jours, contre six mois sur le reste du territoire national. Il est déjà compliqué d’obtenir l’asile en métropole ; la difficulté est plus grande encore à Mayotte, qui est moins dotée en services publics et où n’est pas évident d’apporter les éléments de preuve. Si l’on voulait créer les conditions administratives nécessaires pour refouler les personnes, y compris lorsqu’elles sont dans leur bon droit, on ne s’y prendrait pas mieux. Cela crée des étrangers en situation irrégulière qui n’auraient pas existé s’ils avaient déposé leur demande ailleurs qu’à Mayotte. Nous souhaitons que les principes de la République soient respectés sur tout le territoire de la République.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Avis défavorable. Le rapport demande d’étudier un régime encore plus favorable que celui qui existe dans l’Hexagone en donnant la possibilité aux demandeurs d’asile de travailler immédiatement, alors qu’il faut attendre six mois dans l’Hexagone. C’est une rupture avec le principe d’égalité sur le territoire que vous prétendez défendre.

De manière plus pragmatique, près de 40 % de la population de Mayotte est au chômage et le PIB de l’île est issu à seulement 23 % de l’activité privée. Tout cela plaide pour un plan global de développement et de services publics. Toutefois, pour que ces moyens soient utiles, il faut que d’autres conditions soient remplies ; celles prévues par le texte en font partie. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous demandons effectivement que les demandeurs d’asile puissent travailler immédiatement ; nous l’avions également demandé par voie d’amendement lors de l’examen de la loi « asile et immigration ». C’est une revendication de longue date. Si les gens n’ont pas l’autorisation de travailler, on ne peut pas déplorer ensuite qu’ils soient au chômage ! Le travail est un puissant facteur de stabilité et d’intégration dans la société. Oui, il y a un enjeu de développement à Mayotte. C’est pourquoi nous défendons un plan d’investissement complet. La catastrophe du cyclone Chido est le bon moment pour investir dans le tissu productif. Le projet de loi d’urgence pour Mayotte proposait de lutter contre la sous-traitance en cascade et d’octroyer les marchés publics en priorité aux entreprises mahoraises. C’est le moment de donner cette possibilité concrète à des gens qui sont prêts à travailler sur place.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL12 de M. Aurélien Taché

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet amendement d’appel a pour objectif d’aborder de nouveau les conditions d’attribution des titres de séjour, en particulier des titres de séjour territorialisés.

Par solidarité avec Mayotte, on pourrait prendre en charge dans l’Hexagone un certain nombre de personnes qui voudraient bien y venir pour s’intégrer à la société française. Mais cela n’est pas possible.

Ce sujet ne relevant pas formellement du même code que celui dont la modification est proposée, il est difficile d’engager une discussion car les amendements sont irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Il s’agit pourtant du même sujet. C’est la raison pour laquelle cet amendement demande au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement. En effet, on ne peut pas aborder l’immigration à Mayotte sans parler du titre de séjour territorialisé. Nous restons opposés à ce dernier car il empêche d’être solidaire avec Mayotte.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Comme vous le reconnaissez, cette proposition ne traite pas du titre de séjour territorialisé et l’on considérerait que les amendements portant sur ce dernier n’ont pas un lien suffisant avec le texte dont nous discutons.

Je constate d’ailleurs que vos propos contredisent les déclarations de victoire après la censure par le Conseil constitutionnel d’une large partie du fameux projet de loi pour contrôler l’immigration puisque, comme nous, vous regrettez désormais l’interprétation qui est faite de l’article 45 de la Constitution. C’est une avancée inespérée, qui a d’autant plus de valeur qu’elle vient de vous.

Il ne faut pas renforcer l’attractivité du séjour à Mayotte, car il y a déjà suffisamment de problèmes. En 2022, 42 128 étrangers disposaient d’un titre de séjour, soit au moins 13 % de la population estimée de l’île. Cette proportion est deux fois supérieure à celle constatée en Guyane, tandis qu’elle est de 1,5 % à La Réunion et de 3,5 % en Guadeloupe. Compte tenu de la situation de Mayotte, il ne faut pas ajouter des difficultés aux difficultés. Je m’oppose à ce que sous-tend votre demande de rapport.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL13 de M. Aurélien Taché

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement demande la remise d’un rapport sur l’assouplissement des conditions de délivrance des titres de séjour à Mayotte. Ces derniers devraient permettre aux personnes de se rendre sur l’ensemble du territoire national.

S’agissant de la censure par le Conseil constitutionnel, vous nous avez sans doute mal écoutés. Nous avons toujours dit qu’il s’agissait d’une certaine manière d’une victoire à la Pyrrhus et qu’il fallait rester vigilant. Nous continuons à nous opposer aux mesures censurées – d’autant qu’une bonne partie du bloc gouvernemental s’accorde désormais pour s’en prendre à l’aide médicale de l’État (AME).

En obligeant les gens à rester à Mayotte alors qu’on ne peut pas les expulser, on organise une crise de l’accueil. Il n’y a pas de crise liée aux flux migratoires.

Notre position est d’une radicalité totale : les gens qui sont venus à Mayotte sont des êtres humains et, comme tels, ils sont protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Nous ne considérerons jamais que ces personnes sont un stock ou un flux. Il faut les accueillir dignement.

M. Philippe Gosselin, rapporteur. Vous me donnerez acte de n’avoir jamais évoqué l’immigration comme une affaire de flux ou de stock. Pour autant, il y a bien une crise de l’accueil, et c’est pour cela qu’il faut maîtriser les mouvements de population.

L’amendement sous-entend que même des étrangers en situation irrégulière devraient pouvoir circuler librement sur le territoire national. Cela reviendrait à donner une prime à l’illégalité et entraînerait un effet de pompe aspirante qui ne se limiterait pas à Mayotte – avec des conséquences en cascade, notamment à La Réunion.

N’ajoutons pas des difficultés aux difficultés. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de députés représentant au moins 10 % de la commission sur l’ensemble du texte, en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.

Votent pour :

M. Xavier Albertini, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Philippe Latombe, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, M Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Philippe Schreck, M. Michaël Taverne et Mme Caroline Yadan.

Votent contre :

Mme Marie-José Allemand, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Florence Herouin-Léautey, M. Jérémie Iordanoff, M. Bastien Lachaud, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Danièle Obono, M. Thomas Portes, M. Hervé Saulignac, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Andrée Taurinya, M. Roger Vicot et Mme Dominique Voynet.

Les résultats du scrutin sont donc les suivants :

Nombre de votants : 55

Nombre de suffrages exprimés : 55

Majorité absolue : 28

Pour l’adoption de la proposition de loi : 34

Contre l’adoption de la proposition de loi : 21

Abstention : 0

La commission adopte donc l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

La réunion est suspendue de onze heures cinquante-cinq à douze heures cinq.

*

*     *

Puis, la Commission examine la proposition de loi visant à renforcer l’arsenal législatif face à la multiplication d'actions d'entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d'abattage ou de commerce de produits d'origine animale (n° 579) (M. Xavier Breton, rapporteur).

M. Xavier Breton, rapporteur. Le 28 septembre 2018, un abattoir a été incendié à Haut Valromey, dans l’Ain. Revendiqué par une association de défense de la cause animale, ce délit a mis au chômage quatre-vingts employés et a causé un préjudice de plusieurs millions.

Cet événement n’est malheureusement pas un fait isolé, en témoignent l’intrusion et les dégradations commises le week-end dernier dans la coopérative porcine Evel’Up en Bretagne. Cela s’inscrit dans un contexte, Ces dernières années, de multiplication des actions plus ou moins virulentes visant à entraver des activités agricoles ou d’abattage, mais aussi des actions de chasse et des commerces de viande.

Face à ce phénomène qui suscite de fortes inquiétudes dans nos territoires, en particulier ruraux, il était impossible que le législateur reste inactif.

Dès octobre 2018, des députés du groupe auquel j’appartiens avaient déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes antispécistes violents et les atteintes à la « liberté alimentaire ». Le Sénat s’est également saisi de la question par le biais d’une proposition de loi du sénateur Jean-Noël Cardoux, adoptée en séance publique le 1er octobre 2019.

Notre assemblée a également entamé un travail sur le sujet en juillet 2020, à la suite de l’engagement pris par la présidente de la commission des Lois de l’époque, Mme Yaël Braun‑Pivet, lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi qui a créé l’Office français de la biodiversité (OFB). Avait ainsi été créée une mission d’information, commune à la commission des Lois, à la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des affaires économiques, sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.

J’ai eu l’honneur de présider ses travaux, qui ont abouti à la publication du rapport d’information du 27 janvier 2021 de Mme Martine Leguille-Balloy et de M. Alain Perea, tous deux membres du groupe La République en marche. Je tiens à saluer la qualité de ce rapport, qui documente avec précision le développement d’entraves réalisées par des militants.

Plusieurs secteurs sont visés. Il s’agit en particulier de l’agriculture et de l’élevage, des activités d’abattage, de transformation et de transport de viande, des commerces – en particulier alimentaires – et d’activités de loisirs – notamment la chasse.

Le rapport d’information relève tout d’abord l’augmentation récente des actions d’entrave et leur radicalisation.

Certaines d’entre elles, comme les dégradations, les violations de domicile et les entraves à la liberté du travail, sont déjà pénalement répréhensibles. Mais le droit actuel ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave. C’est notamment le cas de l’intrusion dans une exploitation agricole, qui peut rarement être sanctionnée au titre de la violation de domicile, de l’entrave à la chasse – difficile à qualifier pénalement – ou encore de certains moyens permettant d’entraver la liberté du travail.

De nouvelles formes d’action sont en effet apparues. Elles consistent à gêner ou empêcher le déroulement normal d’une activité pourtant licite, sans forcément constituer des infractions pénales. Leurs auteurs emploient de nouveaux moyens, parfois non violents, ou encore utilisent les réseaux sociaux.

C’est pour apporter des réponses à ce constat que j’ai déposé, en septembre 2021, une proposition traduisant les recommandations de nature législative des rapporteurs. Je l’ai redéposée au cours de la XVIe législature ainsi que sous la présente législature, le 19 novembre dernier. Je me réjouis qu’elle ait été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée par mon groupe le 6 février prochain.

Les travaux que j’ai conduits en tant que rapporteur m’ont tout d’abord permis de constater que le phénomène décrit par la mission d’information en 2021 est toujours d’actualité.

Dans le domaine agricole, les actions d’entrave persistent, en particulier au sein des abattoirs. Récemment, des opérations similaires ont été menées contre la construction de retenues d’eau agricoles ou contre des exploitants forestiers.

Dans la filière viande, nous assistons toujours à des dégradations de boucheries et de stands tenus à l’occasion de salons ainsi qu’à des campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux.

Enfin, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) a reçu 348 signalements d’actes malveillants au cours de la saison 2023-2024.

Les préconisations de la mission de 2021 conservent donc leur pertinence pour mieux répondre aux actions d’entrave et à l’évolution de ce phénomène.

Les auditions menées la semaine dernière m’ont en outre permis de recueillir les observations du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et de celui de la justice ainsi que d’un professeur de droit privé et de sciences criminelles, M. Romain Ollard.

Je tiens à les remercier pour leur contribution précieuse, qui m’a conduit à déposer une douzaine d’amendements visant deux objectifs.

Il s’agit tout d’abord d’améliorer la rédaction du texte afin de répondre de façon plus pertinente aux phénomènes d’entrave constatés. Mes amendements ont ensuite pour objet de concilier la lutte contre ces entraves avec certains principes constitutionnels et libertés, au premier rang desquels la liberté d’expression.

S’agissant de l’article 1er, qui modifie le délit d’entrave prévu à l’article 431-1 du code pénal, je vous proposerai de ne plus faire figurer le moyen d’intrusion parmi les éléments constitutifs de l’infraction, afin de ne pas être redondant avec l’article 2. Je proposerai aussi de supprimer le délit d’entrave à certaines activités sportives ou de loisirs. À la place, je suggère de revenir à la contravention actuelle d’entrave à un acte de chasse – en supprimant toutefois le critère de concertation et en prévoyant que sa récidive constitue un délit.

Plusieurs amendements à l’article 2, qui crée un délit d’intrusion aux fins de troubler le bon déroulement d’une activité légalement exercée, viseront à préciser cette infraction et ses circonstances aggravantes. Ils permettront notamment d’assurer une meilleure conciliation avec la protection légitime des lanceurs d’alerte.

En ce qui concerne l’article 3, qui instaure un mobile discriminatoire sur le fondement de l’activité professionnelle, je vous proposerai de préciser les exceptions au principe de non-discrimination. En effet, il peut être légitime, en particulier dans le cadre d’une embauche, de discriminer sur le fondement de l’activité professionnelle – c’est-à-dire en fonction de l’expérience professionnelle.

Je vous proposerai enfin d’insérer les articles 4 et 5 – qui concernent respectivement la diffamation publique et la provocation à la discrimination – au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cela permettra d’octroyer aux personnes mises en causes des garanties procédurales plus protectrices, comme l’impossibilité d’être placé en détention provisoire, tout en réduisant la durée des délais de prescription.

Par ailleurs, les sanctions proposées pour ces deux articles dans le texte initial reprennent celles issues de la mission d’information de 2021, c’est-à-dire un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Elles me semblent disproportionnées. Il ne me paraît pas pertinent de punir de la même peine une diffamation publique ou un appel à la discrimination sur le fondement de l’activité professionnelle et une infraction similaire commise en raison de la race ou de la religion. Je proposerai donc de supprimer la peine d’emprisonnement prévue pour ces deux infractions et de ramener l’amende de 45 000 à 15 000 euros.

Vous l’aurez compris, je suis particulièrement vigilant à la juste conciliation entre le renforcement de la lutte contre les entraves et la préservation des libertés fondamentales garanties par la Constitution. Comme le rappelle fréquemment le Conseil constitutionnel, « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». C’est cette philosophie qui guide les modifications que je propose aux articles 4 et 5. Le texte renforcera ainsi notre politique pénale afin de mieux répondre aux entraves qui empêchent nombre d’agriculteurs, de producteurs et de commerçants d’exercer librement leur métier essentiel pour notre société.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Marie-France Lorho (RN). Nos agriculteurs sont en détresse. Ils sont en proie à des politiques européennes qui distordent sans vergogne les règles de la concurrence, à des mutations politiques à l’étranger qui font peser de lourdes menaces sur nos exportations et, enfin, à l’incapacité des gouvernements successifs à privilégier les circuits courts et à favoriser l’agriculture française. Pas moins de 40 % des agriculteurs jugent être dans une mauvaise situation économique. On a recensé 529 décès par suicide chez les personnes affiliées au régime agricole en 2016 – et ce ne sont là que les derniers chiffres connus.

Comme s’il fallait encore en ajouter à cette affolante détresse, les actes de vandalisme et d’entrave aux exploitations agricoles sont légion depuis quelques années.

L’agribashing est plus que jamais d’actualité. Il avait conduit feu le ministre Didier Guillaume à mettre en place la cellule Déméter il y a quelques années, afin de recenser les actions menées à l’encontre des exploitants. En 2023, 6 000 alertes ont été recensées par Vigi Agri, une plateforme numérique qui permet de signaler les actes de malveillance contre les agriculteurs.

Qu’il s’agisse de vols, d’actes de vandalisme ou de sabotage, ces actions malveillantes inquiètent légitimement les agriculteurs, épuisés par l’absence de réponse ferme à leurs plaintes. Car ces dernières sont souvent classées sans suite en l’absence de preuves suffisantes. Les exploitants sont donc contraints d’installer des dispositifs de sécurité coûteux pour éviter la recrudescence de telles actions.

Le texte présenté à notre commission par le rapporteur nous semble donc tout à fait légitime. Le groupe Rassemblement national est évidemment favorable au fait de sanctionner sévèrement les menaces, les actes d’obstruction et les intrusions visant à troubler le déroulement des activités agricoles ainsi que celui des activités cynégétiques ou de loisirs.

Nous sommes également favorables à l’établissement de circonstances aggravantes, notamment lorsque l’objectif de l’intrusion est de porter préjudice à l’image d’une exploitation ou d’une activité en la diffamant. Nous entendons néanmoins caractériser de manière précise l’aggravation de la peine, que nous proposons, avec l’amendement CL3, de porter à deux ans d’emprisonnement et 10 000 euros d’amende.

Nous souhaitons également intégrer l’article 4 au sein de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la diffamation publique relevant davantage de cette dernière que du code pénal.

Par-delà ces détails rédactionnels, nous tenons à saluer l’extension du dispositif aux activités cynégétiques.

Comme l’ont indiqué les représentants de la FNC lors des auditions, celles-ci sont particulièrement visées par la montée des violences, alors même que la chasse contribue à l’équilibre de nos territoires. À titre d’exemple, dans le Vaucluse, l’absence de chasse au sanglier pourrait ruiner les espaces naturels. L’action des chasseurs est donc essentielle.

Le président de la FNC a déploré à juste titre que le vandalisme à l’encontre de cabanes de chasse – exhibé de manière éhontée sur les réseaux sociaux – ne fasse l’objet d’aucune condamnation en raison de l’absence de législation adaptée. Nous espérons sincèrement que ce texte fera cesser cette impunité, car les militants écologistes mettent parfois la vie des chasseurs en danger.

L’Observatoire des violences faites aux chasseurs a relevé que les actes de malveillance ont augmenté de 10 % au cours de la saison de chasse ouverte en juin 2023. Il faut d’urgence mettre fin au sentiment d’impunité dont jouissent les démolisseurs.

Si cette proposition permet d’appeler l’attention du Gouvernement sur les lacunes de la loi s’agissant de ces actes de malveillance, nous estimons néanmoins que son application supposera une politique d’extrême fermeté. Cela suppose de prononcer des peines planchers, faute de quoi nous ne pouvons espérer obtenir des résultats probants.

M. Stéphane Mazars (EPR). Je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Xavier Breton qui, avec cette proposition, continue à s’engager dans la lutte contre les entraves aux activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale, dans le droit fil de son travail au sein de notre assemblée en 2020 et en 2021. En effet, Xavier Breton présidait la mission d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales – dont j’étais membre – et nos anciens collègues Martine Leguille-Balloy et Alain Perea en étaient les rapporteurs. Les travaux ont duré plusieurs mois et ont donné lieu à une soixantaine d’auditions très diverses.

Au moment de la rédaction du rapport, les actions visant à entraver des activités agricoles ou d’abattage, de chasse ou des commerces de viande se multipliaient – avec des incendies, des destructions importantes et des intrusions d’activistes de plus en plus fréquentes. Cela provoquait une très forte montée des tensions dans les territoires ruraux, les agriculteurs et les chasseurs faisant face à la radicalisation des actions menées notamment par des militants animalistes.

Le rapport de la mission d’information avait conclu que les textes ne permettaient pas de réprimer efficacement les actions d’entrave à des activités pourtant tout à fait légales. Il préconisait donc une évolution législative pour mieux définir ces infractions et mieux lutter contre les auteurs de ces actes délictueux.

La profession agricole est glorifiée par tous quand elle exprime son mal-être, comme elle l’a fait ces derniers mois et continue de le faire. Tous les partis politiques sans exception expriment alors leur solidarité envers ceux qui travaillent dur pour nous nourrir. Mais, pour soutenir les agriculteurs, il ne faut pas seulement faire des déclarations au moment des crises, sur les barrages routiers ou sur les plateaux de télévision. Il faut aussi s’engager, comme l’auteur de cette proposition nous invite à le faire, en leur donnant les moyens de se défendre contre ceux qui veulent entraver leur activité.

Il faut rappeler qu’au-delà du simple fait de les empêcher de faire leur travail, c’est la remise en cause de celui-ci qui est souvent visée par les activistes les plus radicaux. De la sorte, c’est l’identité même des agriculteurs qui est atteinte, tant elle est indissociable de ce qu’ils font.

Il en est de même bien sûr pour tous ceux qui œuvrent dans le secteur industriel de l’agroalimentaire au sens large, – dans les abattoirs, les usines de transformation et de conservation, ou encore dans les transports – et qui forment le poumon économique de nos territoires ruraux. Ceux qui mènent des actions intrusives, parfois violentes, méconnaissent d’ailleurs souvent la réalité du modèle d’élevage français. La majorité de nos fermes sont familiales, très loin de la caricature de la ferme-usine. Et dans certains territoires, notamment de montagne, il s’agit de modèles extensifs particulièrement vertueux qui façonnent nos paysages et jouent un rôle face au défi climatique en entretenant les prairies.

Il en est de même pour la chasse, dont la réalité est également très éloignée de la caricature révolue présentée il y a plusieurs décennies par des humoristes. Dans mon département, il s’agit d’une chasse dite paysanne, qui réunit plusieurs générations dans le cadre d’une activité de loisir tout à fait respectueuse de son environnement.

Rappelons une fois encore à ceux qui l’ignorent trop souvent que les chasseurs sont investis d’une mission de service public de régulation de la faune sauvage. Sans elle, les activités agricoles seraient difficiles, voire impossibles.

La position que je défends est majoritaire dans mon groupe : nous sommes d’accord avec l’objectif de cette proposition, qui vise à nous doter des moyens juridiques permettant de poursuivre et de condamner ceux qui entravent l’exercice d’activités légales, qu’elles soient agricoles ou cynégétiques. Bien évidemment, cette évolution du droit se doit d’être équilibrée et le rapport de la mission d’information a rappelé la nécessité de concilier la lutte contre les entraves à des activités légales avec le droit de lancer des alertes dans le cadre permis par la loi.

C’est la raison pour laquelle nous proposons deux amendements qui, sans abandonner l’objectif premier du texte, permettent de protéger les libertés et le travail des lanceurs d’alerte, agissant par définition avec un motif légitime. Il est en effet évident que si des activités agricoles, d’abattage, de transformation et de chasse sont légales par principe, elles peuvent toujours donner lieu à des comportements répréhensibles – même si, d’expérience, nous savons bien qu’ils sont exceptionnels.

Je sais que vous partagez également cet objectif d’équilibre, monsieur le rapporteur, et je ne doute pas que nos travaux permettront d’adopter un texte efficace dans l’intérêt de ceux qui font vivre et animent les territoires ruraux de la République.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Votre texte est un danger pour les libertés publiques et pour le respect de la loi. Vous encouragez sa violation tant que cela reste hors de la vue des citoyens et des magistrats.

Quand des porcelets sont castrés à vif dans un élevage industriel alors que c’est interdit, il faudrait selon vous poursuivre ceux qui dénoncent ces faits et non ceux qui en sont responsables.

Quand des chasseurs violent délibérément la loi en poursuivant des animaux dans des zones résidentielles, mettent en danger les automobilistes ou même la circulation ferroviaire, il faut selon vous poursuivre ceux qui s’y opposent plutôt que les chasseurs.

Quand des animaux sont mis à mort dans des abattoirs dans des conditions épouvantables et contraires à toute la réglementation en vigueur, vous voulez poursuivre ceux qui dénoncent cela courageusement.

Avec la cellule Déméter de la Gendarmerie nationale, les moyens de l’État sont mis au service de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pour combattre un agribashing imaginaire, qui n’existe nulle part ailleurs que dans vos fantasmes. Prenons l’exemple de l’Ille-et-Vilaine : depuis la mise en place de l’Observatoire de l’agribashing en 2020, aucun cas n’a été signalé.

Comme si toute cette agitation grotesque ne suffisait pas, sous prétexte de phénomènes inexistants, vous voulez criminaliser toute action militante. Votre texte va en effet bien au-delà des sujets de la chasse, de l’élevage industriel ou des abattoirs. Vous voulez criminaliser l’organisation de tout boycott, mode d’action pacifique et non violent. Pour vous, Gandhi, Rosa Parks et Nelson Mandela auraient leur place en prison. Vous voulez même interdire toute critique, aussitôt qualifiée de diffamation et passible de poursuites.

Votre texte est gravement attentatoire aux libertés d’expression, de réunion et d’opinion. C’est à la fois grotesque et extrêmement dangereux. On ne sait s’il convient d’en rire, parce qu’à l’évidence vous êtes ridicules, ou de s’en inquiéter très sérieusement.

Si vous êtes très forts pour faire de la surenchère pénale, vous n’apporterez jamais aucune réponse aux problèmes structurels et, eux, bien réels qui accablent le monde agricole : concurrence mondiale, marchés financiarisés, agrobusiness industriel où les agriculteurs ne sont que des rouages d’une vaste machinerie qui produit de l’argent que les travailleurs ne touchent jamais.

La crise agricole est grave et sa manifestation la plus terrible est le suicide d’un agriculteur tous les deux jours. On voit bien que leurs conditions de travail sont le cadet de vos soucis.

On voit bien que les animaux et leurs conditions de vie ou de mort ne vous intéressent pas, tant que les loisirs cruels et morbides de vos amis sont préservés. Déterrer des renardeaux pour les massacrer à coups de pelle devant des enfants ne vous pose aucun problème. Égorger des cerfs dans le jardin d’habitants terrifiés par une telle violence commise chez eux ne vous pose aucun problème. Que des chasseurs tuent un sanglier à 30 mètres de la maison de Morgan Keane – jeune homme de 25 ans tué par un chasseur alors qu’il était dans son propre jardin –, en présence de son frère déjà traumatisé, ne vous émeut pas davantage. Subitement, le respect de la propriété privée n’est plus un problème, alors qu’il était jusqu’alors primordial.

Quant au respect de l’avis ultramajoritaire des Français, vous n’en avez évidemment cure, alors que nos concitoyens sont massivement opposés aux pratiques cruelles envers les animaux. Les Français sont 53 % à s’opposer à la chasse, et ils sont 51 % à le faire lorsqu’ils habitent des communes rurales. C’est la preuve que votre verbiage sur l’opposition entre villes et campagnes n’a aucun fondement – au contraire, ce sont ceux qui habitent à la campagne qui vivent dans la peur d’être la prochaine victime d’un accident de chasse.

Pour 84 % d’entre eux, les Français sont opposés à l’élevage intensif et ils sont 91 % à vouloir interdire le transport interminable d’animaux vivants dans toute l’Europe.

En définitive, vous faites de la surenchère parce que vous êtes acculés et ultraminoritaires dans la société. Vous qui méprisez tant la souffrance des animaux, vous êtes incapables de supporter la souffrance indicible de la moindre critique. Alors, vous voulez embastiller à tour de bras.

Notre groupe votera évidemment contre ce texte et appelle à son rejet unanime et immédiat.

Mme Marie-José Allemand (SOC). Derrière la proposition de loi se cache en réalité un objectif simple, affiché dans son exposé des motifs : lutter contre les associations qui se rendraient coupables d’entraves à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale. Pour ce faire, elle propose notamment de modifier le délit d’entrave, de créer un délit d’introduction illicite et d’élargir la notion de discrimination à l’exercice d’une activité professionnelle.

En premier lieu, je souhaite dire que notre groupe ne tolérera jamais les violences envers nos agriculteurs, quelles qu’elles soient. Je le dis d’autant plus facilement qu’en tant qu’agricultrice, je sais ce que c’est d’être confrontée à la remise en cause de son travail. Nos agriculteurs, nos bouchers, nos artisans, dans leur immense majorité, exercent leur métier avec passion et dans le respect des lois de la République. La liberté de contester, de s’opposer est un droit fondamental qu’il convient de protéger mais la violence n’est, elle, pas excusable.

La question que nous devons nous poser en tant que législateur est de savoir si les modifications proposées sont pertinentes. Pour nous, la réponse est négative. C’est pourquoi nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi qui relève de l’affichage et de la communication, bien plus que de l’efficience juridique. Vous affirmez que le droit actuel ne permettrait pas de suffisamment sanctionner un certain nombre d’actes violents commis à l’encontre de nos agriculteurs. L’exposé des motifs évoque, à ce titre, plusieurs cas où la proposition de loi pourrait s’appliquer. Or il apparaît que toutes ces entraves sont d’ores et déjà couvertes par la loi. Nul besoin de légiférer aujourd’hui pour poursuivre un militant qui aurait eu un comportement violent envers un agriculteur ou qui aurait dégradé un abattoir.

Nul besoin non plus de légiférer pour condamner l’auteur d’actes de vandalisme dans une exploitation agricole. L’article 431-1 du code pénal, que vous souhaitez modifier, permet déjà de sanctionner toute entrave à la liberté du travail et donc de réprimer les actions menées contre des activités professionnelles – l’agriculture, l’élevage, les abattoirs ou les commerces de viande. Autre exemple concernant la chasse : notre droit prévoit, à l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, une contravention en cas d’obstruction à des actes de chasse. Vous le voyez, chers collègues, notre droit permet déjà largement de sanctionner des actes violents commis à l’encontre de nos agriculteurs et de nos commerçants.

Enfin, la répression de ces entraves doit être conciliée avec le nécessaire respect des libertés fondamentales garanties par la Constitution, notamment la liberté d’expression, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen consacre à son article 11 comme l’une de nos libertés les plus précieuses. Ainsi, toute atteinte à cette liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. De ce point de vue, plusieurs dispositions de la proposition de loi, comme l’élargissement du délit de diffamation en raison de l’activité professionnelle, nous semblent poser des difficultés et ne manqueraient pas d’être censurées par le Conseil constitutionnel.

Compte tenu de la fragilité juridique de la proposition de loi, le groupe Socialistes et apparentés votera contre. Bien entendu, ces critiques ne visent en aucun cas à légitimer les actions violentes à l’encontre de nos éleveurs.

Mme Émilie Bonnivard (DR). Chaque année, ce sont environ 5 000 infractions qui sont recensées dans les propriétés agricoles – sabotages, dégradations et autres actions militantes liées notamment au mouvement antispéciste. Nous voulons affirmer haut et fort que, dans notre République, personne ne doit craindre de voir son activité professionnelle entravée par des agissements illégaux. La liberté d’expression ne doit pas s’imposer au détriment d’une pratique professionnelle légale.

Nous envoyons ainsi un signal clair : la République protège ceux qui travaillent, qui produisent, qui innovent et qui contribuent à la vie de notre nation. Cette proposition de loi s’inscrit dans notre engagement républicain pour défendre le droit de propriété et garantir la liberté d’entreprendre, deux piliers essentiels de notre démocratie. Face à la montée de ces violentes dérives militantes extrêmes, notamment contre les boucheries, l’État doit se montrer ferme. En renforçant les sanctions contre les entraves, nous rappelons que nul n’est au-dessus de la loi. Le texte réaffirme la capacité de l’État à agir, à garantir la sécurité des citoyens et à faire respecter l’ordre républicain.

Les agriculteurs, les chasseurs, les éleveurs sont les gardiens de nos territoires ruraux. Ils incarnent des traditions et des savoir-faire qui font partie de notre identité. Ils pratiquent des activités légales et indispensables à la vie de notre société. Cette proposition leur apporte le soutien qu’ils méritent et vise à les protéger.

Protéger notre agriculteur, c’est protéger notre souveraineté alimentaire et défendre nos campagnes et nos montagnes face à des attaques injustifiées de groupes minoritaires radicaux. Nous ne pouvons plus tolérer que des professionnels qui exercent des activités légales soient les cibles d’actions militantes radicales qui bafouent leurs droits fondamentaux. Ce texte vise à mettre un coup d’arrêt à ces actions et à ces idéologies. Nous le voterons car il est de bon sens pour la santé publique et la sécurité alimentaire, et ce dans le respect, bien évidemment, de tout ce qui touche au bien-être animal.

Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Ce que nous nous apprêtons à examiner est en réalité un texte bâillon, conçu pour étouffer les voix des citoyennes et des citoyens engagés et destiné à criminaliser les associations lanceuses d’alerte. Cette initiative ne répond à aucun besoin. Notre droit pénal est complet. Nous avons déjà tous les instruments nécessaires pour réprimer les débordements. Depuis 2019, tout est mis en œuvre pour surveiller les militants écologistes. Le ministère de la justice a même envoyé une circulaire aux procureurs incitant à les réprimer. Des observatoires de l’agribashing ont vu le jour sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire et une cellule de renseignement a été créée au sein de la gendarmerie pour contrôler leurs actions. Les moyens consacrés à la traque des militants pacifiques sont colossaux, pour les dissuader d’alerter sur la réalité des atteintes environnementales. Une énergie considérable est déployée pour faire taire la critique de notre modèle productiviste, quand rien n’est fait, en revanche, pour contenir la délinquance environnementale. Je vous invite à lire le rapport de l’ancien procureur général près la Cour de cassation François Molins sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement. Le taux de poursuite des infractions environnementales est absolument indigent, puisqu’il ne représente que 1 % des affaires traitées.

Selon la proposition de loi, les menaces seraient extrêmement violentes à l’encontre des agriculteurs, des chasseurs ou des personnes qui pratiquent la pêche. Mais que dire des menaces et des agressions de plus en plus nombreuses vis-à-vis des défenseurs de l’environnement, de la part de représentants de l’agriculture, de la chasse ou de la pêche productiviste ? Le porte-parole de l’association Générations futures a subi, il y a cinq jours, des pressions à son domicile. Ces agissements sont inacceptables. Ils touchent des bénévoles, des associations, des agents des services de protection de l’environnement comme l’Office français de la biodiversité ou des journalistes qui enquêtent sur des sujets environnementaux. Nul observatoire ni cellule de renseignement sur ces sujets. Le Gouvernement a choisi son camp.

Qui plus est, cette proposition de loi ne répond à aucune nécessité. De l’aveu même de la direction des affaires criminelles et des grâces, le problème ne vient pas de notre législation pénale mais d’un défaut de dépôt de plainte de la part des agriculteurs, des chasseurs et des industriels victimes d’intrusions. Ce texte, mes chers collègues, n’est pas seulement une erreur législative, c’est une restriction très grave dans notre espace civique, une atteinte directe à notre démocratie, au mépris de tous les engagements internationaux, à rebours des recommandations récentes du rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst. Cette initiative parlementaire n’a qu’un seul objectif : museler davantage encore ceux qui ont le courage de dénoncer des pratiques illicites et grâce auxquels des enquêtes ont été lancées, des scandales révélés, des défaillances graves dans l’application de la loi corrigées – pensons à la question des élevages industriels de poussins qui avait ému l’Assemblée.

Dans une démocratie, la liberté d’informer et la liberté d’expression doivent primer sur tout intérêt privé. Nous avons la responsabilité de protéger ces principes, surtout quand ils sont défendus pacifiquement, comme le font les activistes écologistes et animalistes, contrairement à ce que j’ai entendu précédemment. Nous avons la possibilité de défendre celles et ceux qui se battent pour la vérité, pour l’avenir des générations futures. Nous ne pouvons pas, sous prétexte de protéger des intérêts économiques, réduire l’espace d’expression de nos concitoyens. Je vous invite donc, mes chers collègues, à rejeter ce texte. Ne le laissons pas détruire ce que nous avons de plus précieux.

M. Éric Martineau (Dem). Ce texte me tient particulièrement à cœur, notamment car je suis agriculteur. Il est issu des travaux d’une mission d’information menée en 2020 et en 2021, qui mettait en avant la réalité, l’évolution et l’insuffisance des moyens juridiques pour encadrer les actions d’entrave à l’exercice de certaines activités légales. C’est un sujet qu’il ne faut pas prendre à la légère, et je remercie le rapporteur Xavier Breton de l’avoir soumis à notre commission. Les actions militantes ciblant des activités agricoles d’élevage, d’abattage, de commerce de produits d’origine animale ou de chasse sont en recrudescence mais restent peu réprimées.

Chaque année, on recense 5 000 infractions dans des propriétés agricoles, dont des dizaines de sabotages, qui viennent porter atteinte à des activités légales et dûment réglementées. Elles entraînent des dommages matériels, économiques et psychologiques pour les professionnels visés. Il ne faut pas négliger les pressions, le stress et les intimidations subies, allant parfois jusqu’au harcèlement. Beaucoup trop de vies d’agriculteurs sont brisées par ces actes ; c’est inadmissible. Sous prétexte de vouloir veiller au bien-être animal, il n’est pas acceptable de participer au mal-être agricole. Dans un État de droit, en cas de fraude, c’est à la justice et à la police d’agir, et à personne d’autre.

Aussi, la proposition de loi nous semble aller dans le bon sens, en cherchant à encadrer et à sanctionner davantage les actions d’entrave qui sont les sources d’une vive inquiétude dans nos territoires ruraux. Malgré les dispositions juridiques existantes, peu de plaintes sont réellement déposées et peu de condamnations sont prononcées. Les victimes renoncent souvent à porter plainte de peur que le procès n’offre une tribune médiatique aux associations attaquées, ainsi que par manque de temps pour les agriculteurs. Le droit en vigueur ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave, notamment pour les activités de chasse ou pour les intrusions sur les exploitations agricoles qui sont rarement sanctionnées au titre de la violation de domicile.

Afin d’identifier et de poursuivre les agressions, les intrusions et les dégradations sur les exploitations agricoles, le ministère de l’Intérieur a créé la cellule de gendarmerie Déméter. Force est de constater cinq ans plus tard que le dispositif n’est pas très efficace, car il est trop peu connu et qu’il exclut plusieurs professions et activités. Il semble donc important d’apporter des solutions, en veillant à assurer l’équilibre entre le respect du droit de la propriété et de l’ordre public et celui de la liberté d’expression, tout en préservant les droits des lanceurs d’alerte.

Le texte prévoit de rendre la réponse pénale plus effective et de faire évoluer l’arsenal législatif. Il renforce le délit d’entrave, en ajoutant les actes d’intrusion et d’obstruction à la liste des moyens par lesquels le délit d’entrave peut être commis. Il prévoit également d’ajouter l’activité professionnelle à la liste des mobiles constitutifs de discrimination. Enfin, il crée trois nouveaux délits dans le code pénal : un délit autonome d’introduction illicite, un délit de diffamation en raison de l’activité professionnelle et un délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence sur le fondement de l’activité professionnelle.

Si notre groupe trouve ces mesures pertinentes, nous serons vigilants quant à la conformité du texte avec nos règles de droit. Monsieur le rapporteur, vous semblez y avoir veillé, puisque vous allez nous présenter plusieurs amendements visant, d’une part, à retravailler la rédaction de plusieurs articles pour en améliorer la portée et la cohérence avec le droit pénal existant et, d’autre part, à respecter les principes constitutionnels, notamment celui relatif à la proportionnalité des peines. Nous porterons une attention particulière à ces différents points. Si les amendements sont adoptés, notre groupe votera en faveur du texte.

M. Jean Moulliere (HOR). Face à la multiplication des actions d’entrave opposées à l’exercice de certaines activités légales, cette proposition de loi vise à renforcer notre arsenal législatif. Plusieurs secteurs sont en effet régulièrement visés, à l’instar des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale. Le constat est particulièrement frappant s’agissant des agriculteurs. Selon le rapport d’information de 2021 des sénateurs Henri Cabanel et Françoise Férat sur les agriculteurs en situation de détresse, quarante des agriculteurs interrogés avaient vécu au moins une situation de harcèlement lors du dernier mois. Le rapport de la mission d’information présidée par Xavier Breton analysait à juste titre que ces entraves sont difficiles à appréhender par les pouvoirs publics. Elles prennent en effet des formes nouvelles que les dispositions actuelles du code pénal ne permettent pas de sanctionner.

Le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler que ces actes d’entrave ne relèvent pas de la liberté d’expression mais constituent bien des infractions au code pénal. Notre groupe partage donc l’objectif de cette proposition de loi, en particulier en ce qui concerne les agriculteurs. Il y va de leur santé mentale, de l’équilibre économique de leur exploitation et du renouvellement des générations en agriculture. Un climat d’agressivité ne ferait que desservir ces objectifs, tout en aggravant les difficultés auxquelles ils font déjà face.

Le législateur se doit donc de trouver les voies et moyens pour mieux sanctionner ces entraves et préserver ainsi des acteurs majeurs de nos territoires. La proposition de loi propose à ce titre des évolutions législatives intéressantes. Ainsi, l’article 1er vise à élargir le délit d’entrave afin d’y inclure les actions menées à titre individuel, ainsi que les actes d’intrusion ou d’obstruction. Nous nous interrogeons toutefois sur la nécessité d’introduire de nouvelles dispositions à l’article 2. En effet, l’article 226-4 du code pénal, qui sanctionne la violation du domicile d’autrui, semble déjà couvrir cette infraction, y compris dans les locaux industriels et commerciaux. La sanction proposée par l’article 2 est par ailleurs moins-disante que la violation de domicile. En outre, s’agissant de l’article 3, il convient de ne toucher la définition des discriminations qu’avec une main tremblante, pour préserver toute leur portée et leur sens. Le champ de ce nouveau motif de discrimination paraît d’ailleurs excessivement large. Enfin, prévoir une peine de prison pour le délit de diffamation publique en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs des personnes diffamées, tel que le propose l’article 4, semble relativement disproportionné. La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 ne prévoit en effet, en matière de diffamation envers des particuliers, qu’une amende de 12 000 euros.

Notre groupe soutient pleinement l’objectif de cette proposition de loi. Néanmoins, si certains de ses articles vont dans le bon sens, d’autres paraissent soit déjà satisfaits, soit relativement disproportionnés. En conséquence, notre groupe se positionnera en fonction des évolutions que notre commission apportera au texte.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Les auteurs de la mission d’information sur laquelle s’appuie la proposition de loi pointent un développement des entraves exercées par des militants animalistes, écologistes, antichasse, vegan, qui prennent des formes variées, telles que des dégradations, des intrusions ou des utilisations malveillantes des réseaux sociaux. Ces actes nécessitent, selon les auteurs du rapport et ceux de la proposition de la loi, un renforcement de la réponse pénale et une révision de l’arsenal législatif existant. Ils considèrent que le cadre juridique actuel est inadapté, ce qui n’est pas notre cas. En revanche, la politique agricole qui ne permet pas à la plupart des agriculteurs de vivre de leur métier est, elle, profondément inadaptée.

Rappelons que le droit en vigueur prévoit des sanctions spécifiques pour l’entrave à certaines activités ainsi que des sanctions pour certains comportements illégaux. Le rapport d’information reconnaît que les pressions subies par les chasseurs peuvent déjà faire l’objet de sanctions. Des condamnations récentes montrent que la réponse pénale existe. Le tribunal correctionnel de Nice, dans une décision du 7 janvier 2021, a condamné l’auteur d’une obstruction à une battue administrative contre des sangliers à six mois de prison, 1 000 euros d’amende et 7 500 euros de dommages et intérêts pour outrages, violences et entrave à l’exercice d’une mission de service public. De même, un homme a été condamné à quatre mois de prison ferme pour avoir menacé un chasseur avec une arme, par une décision du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand.

Les auteurs du rapport reconnaissent donc l’existence d’une réponse pénale mais la considèrent limitée et insuffisante. Cette critique infondée révèle en fait l’objectif réel de cette proposition de loi, qui est de réprimer et de museler les mouvements environnementaux en créant de nouvelles incriminations aux critères flous et extensifs. En France notamment, il existe une spécificité de la répression et de la violence contre les militants écologistes, à laquelle, de plus en plus, la loi vient tenter de se conformer.

Cette proposition de loi vise tout simplement à empêcher la divulgation de pratiques largement contestables voire illicites dans les élevages, dans les abattoirs ou dans d’autres secteurs liés à la production animale. Ces révélations, souvent effectuées par des associations, ont pourtant permis de mettre en lumière des faits parfois illégaux qui portent atteinte aux humains ou à l’environnement. Une telle criminalisation des associations et des militants associatifs s’inscrit dans un mouvement plus large de criminalisation des associations de défense des droits humains, alors que ces organisations sont essentielles à la démocratie, en ce qu’elles alimentent le débat public et agissent comme un contre-pouvoir. Soyons-y attentifs, tout comme à la protection des libertés syndicales.

La répression des entraves aux activités légales doit être conciliée avec le nécessaire respect des libertés fondamentales garanties par la Constitution, plus particulièrement avec la liberté d’expression, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen décrit en son article 11 comme l’un des droits les plus précieux de l’homme. Ainsi, toute atteinte à cette liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. Ce texte n’est pas seulement inutile mais il est également dangereux, en voulant renforcer un arsenal législatif pourtant suffisant. L’élargissement du délit d’entrave et la création de nouveaux délits aux contours larges et imprécis menacent des protestations pacifiques et légitimes et, plus largement, des libertés fondamentales, notamment la liberté d’expression et le droit de manifester.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La proposition de loi de nos collègues de la Droite républicaine répond à une préoccupation croissante dans nos territoires : la multiplication des actes d’entrave et des actions violentes contre des activités pourtant parfaitement légales, qu’il s’agisse d’agriculture, de chasse ou d’activités professionnelles et de loisirs. Ces actes, menés de manière isolée ou par des groupuscules radicaux qui se réclament d’une idéologie dite animaliste, franchissent des seuils de gravité préoccupants. Nous ne parlons pas seulement de militants isolés mais aussi de véritables bandes organisées, bien souvent soutenues par des associations bénéficiant encore à ce jour de financements publics. Le texte durcit partiellement le dispositif existant et constitue un premier pas pour répondre à ces dérives inacceptables.

Toutefois, bien que nécessaires, les mesures proposées doivent être renforcées pour répondre de manière proportionnée à la gravité des faits constatés, par des sanctions, notamment financières, allant jusqu’à la dissolution des groupements ou des associations et des aggravations de peine dans le cas de perturbations majeures qui portent atteinte à l’économie, à la sécurité publique et aux droits fondamentaux. Nous sommes ici pour défendre l’État de droit et les droits fondamentaux des citoyens, notamment celui de travailler en sécurité, de chasser et de pratiquer des loisirs en toute sérénité. Ce texte doit envoyer un signal clair : la République ne tolérera pas les intimidations, les sabotages et encore moins la violence. Notre groupe votera pour cette proposition de loi. Nous espérons que nos amendements permettront de la rendre plus juste encore et plus efficace.

M. Xavier Breton, rapporteur. Il est bien normal qu’un sujet concernant notre droit, notre société et notre économie suscite des réactions aussi différentes.

Madame Lorho, adapter la loi est en effet nécessaire. Le phénomène est minimisé par les organismes nationaux et les administrations centrales, alors que, dans nos territoires, nous le côtoyons au quotidien. De même, je suis d’accord avec vous : il faudra veiller à intégrer certains articles de la proposition de loi dans la loi sur la liberté de la presse, qui offre des garanties procédurales plus protectrices. Enfin, on ne pourra pas se passer d’une volonté politique. On peut par exemple imaginer des instructions du garde des sceaux, ministre de la justice. Nos services de renseignement doivent également se montrer particulièrement vigilants, au niveau national comme international.

Monsieur Mazars, nous devons en effet préserver notre agriculture à taille humaine et nos pratiques traditionnelles, comme la chasse, qui a aussi un rôle important de régulation de la faune et remplit une mission de service public. Le texte, qui est directement issu des préconisations de la mission d’information, doit toutefois, sur certains points, être rééquilibré.

Monsieur Lachaud, votre vision de la proposition de loi est un peu caricaturale. Comme vous, je suis pour que les règles soient respectées par tout le monde. Si des exploitations agricoles et des abattoirs ne les respectent pas, ils doivent être contrôlés et sanctionnés. Allez visiter l’abattoir de Bourg-en-Bresse et vous verrez qu’il est tout à fait dans les règles. Quant aux difficultés du secteur agricole, je ne les nie pas mais il s’agit là d’un autre débat. La loi d’orientation agricole permettra d’avancer un peu, même si l’on sait déjà qu’elle ne sera pas suffisante.

Madame Allemand, la violence ne doit pas rester impunie, nous sommes d’accord. Contrairement à vous, cependant, nous estimons que le droit actuel ne suffit pas : ces phénomènes, après s’être développés quantitativement, sont en train d’évoluer dans leur nature et nécessitent d’adapter notre droit. Je suis également attaché à la liberté d’expression. C’est pourquoi j’ai proposé des amendements aux articles 4 et 5 visant à mieux la respecter.

Madame Bonnivard, nous partageons la même vision du territoire, sans doute aussi parce que nous sommes de la même région, dont les agriculteurs, les chasseurs et les commerçants font le dynamisme et la vitalité. Il est nécessaire de réaffirmer notre capacité à agir. Ce qui est désastreux, c’est le décalage entre les discours nationaux et la réalité locale. Un tel texte doit permettre d’apporter des réponses plus concrètes.

Madame Balage El Mariky, l’objectif n’est pas de museler ceux qui dénoncent des actions illégales. Preuve en est : j’ai proposé des amendements pour préciser l’application de la législation sur les lanceurs d’alerte. On pourra toujours être lanceur d’alerte, dans un cadre qui respecte la vie en société et la liberté d’expression. Quant aux militants, si certains sont pacifiques et s’expriment dans un cadre légal, je ne peux pas défendre les incendies d’abattoirs ou les phénomènes d’intrusion et de dégradation qui ont eu lieu dans une coopérative porcine.

Monsieur Martineau, vous avez raison, le sujet n’est pas à prendre à la légère. Ces intimidations participent d’un climat délétère qui contribue au mal-être de ceux qui travaillent dans les exploitations agricoles, les abattoirs et les boucheries et peut même nuire à l’attractivité de ces métiers – c’est à se demander si ce n’est pas le but recherché par certains. Il faut réaffirmer notre soutien à ces professions.

Monsieur Moulliere, vous avez déposé un amendement visant à supprimer la peine de prison pour les délits touchant à la liberté de la presse. J’en ai également déposé un en ce sens, car il me paraît nécessaire d’adapter les peines en la matière. En ce qui concerne les intrusions, il n’est pas vrai que l’intrusion dans une exploitation agricole – je ne parle pas d’un local fermé – est visée par l’article 226-4 du code pénal. C’est pour cela que nous suggérons un délit d’intrusion avec des peines moins graves, parce qu’il est objectivement moins grave de pénétrer dans une exploitation qui n’est pas clôturée que d’entrer dans un local ou un domicile.

Madame Faucillon notre politique agricole n’est pas suffisante mais ce n’est pas l’objet de notre proposition de loi. Mes amendements au texte, je le redis, s’appuient sur la législation existante au sujet des lanceurs d’alerte. L’arsenal législatif actuel n’est pas suffisant, quand on voit le décalage entre les actes commis et les réponses pénales apportées.

Madame Ricourt Vaginay, vous avez raison de mentionner l’évolution du phénomène, qui nécessite une adaptation de nos moyens. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le critère de concertation aujourd’hui nécessaire pour qualifier les infractions d’entrave, qui empêche de cibler les actes isolés. En revanche, vous militez pour une aggravation des peines. Prenons garde à ce qu’elles restent nécessaires, adaptées et, surtout, proportionnées.

M. le président Florent Boudié. Nous aurons, sur ce texte, quarante-trois amendements à examiner cet après-midi.

La séance est levée à 13 heures

————


Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné :

        Mme Florence Herouin-Léautey, rapporteure sur la proposition visant à proroger le dispositif d’expérimentation favorisant l’égalité des chances pour l’accès à certaines écoles de service public (n° 763 rect.) ;

        Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure sur la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771).

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Xavier Albertini, Mme Marie-José Allemand, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, Mme Anne Bergantz, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Émilie Bonnivard, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Maud Bregeon, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, Mme Gabrielle Cathala, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, Mme Edwige Diaz, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Martine Froger, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, Mme Florence Herouin-Léautey, M. Patrick Hetzel, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, M. Bastien Lachaud, M. Philippe Latombe, M. Antoine Léaument, M. Roland Lescure, Mme Pauline Levasseur, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Élisa Martin, M. Bryan Masson, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, Mme Laure Miller, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, Mme Danièle Obono, M. Éric Pauget, M. Thomas Portes, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Philippe Schreck, Mme Sabrina Sebaihi, Mme Andrée Taurinya, M. Michaël Taverne, M. Roger Vicot, Mme Dominique Voynet, Mme Caroline Yadan

 

Excusés. - M. Moerani Frébault, Mme Émeline K/Bidi, Mme Céline Thiébault-Martinez, M. Antoine Villedieu, M. Jiovanny William

 

Assistaient également à la réunion. - M. Sacha Houlié, Mme Estelle Youssouffa