Compte rendu
Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Gaël Sanquer, président de NRJ et Mme Caroline Vasseure, directrice des ressources humaines de NRJ Group
- M. Frédéric Antelme, directeur délégué de Radio Nova et Mme Rozenn Calle, directrice juridique du groupe Combat
- M. Karim Nedjari, directeur général de RMC Sport et M. Jules Neutre, directeur des ressources humaines de RMC BFM
- M. Patrick Roger, directeur général de Sud Radio et Mme Laetitia Gualino, manageur RH Fiducial en charge des médias 2
– Présences en réunion................................16
Lundi
9 décembre 2024
Séance de 17 heures
Compte rendu n° 15
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
Mme Sandrine Rousseau,
Présidente de la commission
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La séance est ouverte à dix-sept heures.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous achevons nos auditions du jour en recevant les représentants des chaînes de radio privées. Nous accueillons ainsi M. Gaël Sanquer, président de NRJ et Mme Caroline Vasseure, directrice des ressources humaines de NRJ Group ; M. Frédéric Antelme, directeur délégué de Radio Nova et Mme Rozenn Calle, directrice juridique du groupe Combat ; M. Karim Nedjari, directeur général de RMC Sport et M. Jules Neutre, directeur des ressources humaines de RMC BFM ; enfin M. Patrick Roger, directeur général de Sud Radio et Mme Laetitia Gualino, manageur Ressources Humaines au sein du groupe Fiducial, chargée des médias.
Comme vous le savez, notre commission d’enquête chercher à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. En radio comme en télévision, des mécaniques pernicieuses rendent possible la commission par certains de faits de violences, en particulier sexistes et sexuelles. Chacun des participants à cette table ronde a eu, ou a encore affaire à des accusations lourdes portées, au sein de son entreprise, à l’encontre d’incarnations de la chaîne.
Il nous importe de connaître les moyens que vous déployez pour remplir votre obligation de protéger vos salariés et, plus généralement, pour contribuer à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), dans votre programmation comme dans vos relations avec vos partenaires économiques. En tant que titulaires d’une autorisation d’émettre sur des fréquences hertziennes appartenant au domaine public, vous avez une responsabilité particulière en la matière, ce dont vous avez, j’en suis sûre, conscience.
Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Gaël Sanquer, Mme Caroline Vasseure, M. Frédéric Antelme, Mme Rozenn Calle, M. Karim Nedjari, M. Jules Neutre, M. Patrick Roger et Mme Laetitia Gualino prêtent successivement serment.)
M. Gaël Sanquer, président de NRJ. Merci de nous accueillir pour parler de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, qui met en jeu notre responsabilité tant individuelle que collective d’entreprise et d’éditeur de média. Je représente la radio NRJ, dont je suis le président. NRJ fait partie de NRJ Group, ensemble multimédias qui édite également les radios Nostalgie, Chérie FM et Rire et chansons. NRJ est une radio musicale de dimension nationale qui compte des antennes locales, lesquelles diffusent des programmes spécifiques à leur zone d’émission. Les radios du groupe NRJ programment de la musique et des divertissements, et diffusent également des flashs d’information.
L’ensemble des antennes partagent les valeurs du groupe, lesquelles sont résolument positives et tournées vers la cohésion et le partage. Nous nous efforçons de promouvoir ces valeurs dans nos programmes et de sensibiliser le public aux enjeux de cohésion sociale et d’égalité, en particulier celle entre les hommes et les femmes. Conscients de notre influence, nous avons à cœur de défendre la non-discrimination, l’égalité et la lutte contre toutes les formes de violence, notamment sexuelles et sexistes. Conformément à la délibération de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sur l’égalité entre les femmes et les hommes, entrée en vigueur le 1er mars 2015, nous utilisons nos antennes comme plateformes de sensibilisation du public à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes. Nous relayons les événements importants sur cette thématique et nous diffusons des programmes particuliers consacrés à ces sujets, notamment au travers de nos flashs d’information tout au long de l’année.
Éditeurs, nous sommes aussi employeurs et, à ce titre, engagés depuis plusieurs années dans des démarches visant à assurer un environnement de travail respectueux et inclusif. En premier lieu, nous sommes convaincus qu’une égalité réelle entre les hommes et les femmes permet de lutter contre les violences sexistes. Aussi, nous attachons une grande importance à la place des femmes, lesquelles sont intégrées jusqu’au plus haut niveau de la gouvernance du groupe NRJ. Preuve en est, l’index de l’égalité professionnelle atteignait 94 en 2023. L’engagement du groupe NRJ s’est matérialisé par la signature, dès 2019, de la charte « Pour les femmes dans les médias », élaborée en collaboration avec le ministère de la culture et d’autres acteurs du secteur, et par des accords collectifs centrés sur la prévention des VSS.
Par ailleurs, la promotion de l’égalité et la lutte contre les discriminations et toutes les formes de harcèlement et de violences se situent au cœur de notre politique de ressources humaines, que vous présentera Caroline Vasseure. Nous avons en particulier déployé depuis plusieurs années des dispositifs de prévention et d’alerte.
Enfin, tous nos prestataires s’engagent, dans le cadre de leur contrat commercial, à respecter notre charte éthique, au même titre que nos collaborateurs, auxquels elle est remise au moment de la signature de leur contrat de travail. Nous sommes convaincus qu’une action coordonnée entre les entreprises, les institutions publiques et la société civile est essentielle pour répondre efficacement à cette problématique.
Mme Caroline Vasseure, directrice des ressources humaines de NRJ Group. En tant que média d’envergure nationale s’adressant au plus grand nombre, nous avons pleinement conscience de notre responsabilité, non seulement envers nos collaborateurs mais également envers l’ensemble de nos auditeurs. Notre engagement s’articule autour de plusieurs axes concrets.
Le dialogue social constitue un levier important de déploiement des politiques de lutte contre les violences au travail. Ainsi, nous négocions régulièrement des accords collectifs sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et sur la qualité de vie au travail. Le dernier accord, conclu en 2022, est toujours en vigueur. Il comprend des dispositions spécifiques sur les VSS et sur la lutte contre les discriminations et le harcèlement.
Nous avons également mis à la disposition de tous les collaborateurs des outils de signalement des comportements inappropriés, notamment une ligne d’écoute confidentielle, un référent sur le harcèlement sexuel et un dispositif d’alerte professionnelle, conformément à la loi Sapin 2.
Nous sommes convaincus que la formation des collaborateurs, en particulier des manageurs, contribue à prévenir toutes les formes de violence et de harcèlement. Plusieurs modules de formation et de sensibilisation ont ainsi été instaurés.
Conscient de l’importance de ces enjeux, le groupe NRJ a lancé en 2022 son programme Women@NRJ_Group, dont l’objectif est de favoriser l’empowerment des femmes, de développer les talents féminins et de féminiser les métiers dits techniques. Ainsi, nos collaborateurs et collaboratrices sont invités, au cours de plusieurs sessions annuelles, à participer ou à assister à l’interview de femmes jouant un rôle prépondérant dans le monde des médias.
Notre engagement est donc entier, tant vis-à-vis de nos collaborateurs que de nos prestataires et de nos éditeurs. Nous avons à cœur de poursuivre nos progrès dans la lutte contre les violences et les harcèlements : il s’agit pour nous d’un réel enjeu pour notre société.
M. Frédéric Antelme, directeur délégué de Radio Nova. Radio Nova est une radio iconique du paysage médiatique français. Née en 1981 dans l’esprit visionnaire de son fondateur Jean-François Bizot, Radio Nova fait la part belle à la découverte musicale et à l’émergence de nouveaux courants et de nouveaux talents ; nombreux sont les journalistes et humoristes à être passés par cette radio mythique.
La vision du fondateur de Radio Nova était centrée sur la liberté d’expression et l’exposition de musiques et de courants de pensée absents des médias traditionnels vieillissants comme des médias naissants plus commerciaux. Radio Nova fut la première à diffuser du rap en France et elle joua un rôle pionnier dans la musique électronique et dans les musiques du monde, lesquelles font partie de son ADN. Depuis plus de quarante ans, Radio Nova diffuse un mix unique dans le paysage médiatique français. Outre la musique, elle propose des émissions : une matinale, intitulée « T’as vu l’heure ? », une émission d’accueil des cultures et des musiques, « Le score », une émission de musique alternative, « Nova club », et une émission d’humour et de société le dimanche à dix-huit heures, « La dernière ». La radio diffuse également des flashs d’information le matin, dans lesquels elle traite des sujets de société, ainsi que de petites capsules quotidiennes qui reviennent sur l’actualité des mouvements culturels.
Radio Nova compte actuellement 31 fréquences – bientôt 32, avec Toulouse l’année prochaine – et totalise 564 000 auditeurs et 2 millions d’écoutes digitales tous les mois. Il s’agit d’une petite radio, qui emploie une dizaine de personnes en CDI et qui réalise un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros par an.
Mme Rozenn Calle, directrice juridique du groupe Combat. Radio Nova n’est pas une grosse structure, mais nous avons essayé de déployer certains instruments. La responsable des ressources humaines du groupe a suivi une formation spécifique en matière de lutte contre les VSS au travail et elle occupe la fonction de référente du groupe en la matière. Nous avons aussi affiché de nombreux documents destinés à aider les collaborateurs à faire remonter des informations. Dans cette optique, nous avons élaboré un processus que les ressources humaines et la direction doivent suivre en cas de signalement, avec plusieurs étapes pour gérer le recueil de la parole, l’organisation d’entretiens et la relation de travail pendant et après l’enquête.
M. Karim Nedjari, directeur général de RMC Sport. Nous vous remercions tout d’abord pour les travaux indispensables de votre commission sur les violences, notamment sexistes et sexuelles, dans le domaine artistique et médiatique.
Créée en 1943, RMC est une radio généraliste centrée sur l’information, le débat et le sport. Filiale du groupe CMA-CGM détenu par M. Rodolphe Saadé, elle est écoutée chaque jour par près de 3 millions de Français. Depuis mon arrivée dans le groupe en mars 2021, j’ai fait de l’égalité entre les femmes et les hommes l’une de mes priorités, assise sur des mesures fortes. Cette question est d’autant plus cruciale dans une radio populaire comme la nôtre qu’elle constitue le fondement de toute démarche de prévention et de lutte contre les VSS.
La féminisation de l’antenne et de la rédaction se trouve au cœur de ma démarche. En 2021, nous avons confié la matinale de RMC et de RMC Story sur le canal 23 de la télévision numérique terrestre (TNT) à Apolline de Malherbe, qui a remplacé Jean-Jacques Bourdin, l’une des figures historiques et l’un des fondateurs de RMC. Mme de Malherbe est la seule femme du paysage audiovisuel français à animer seule une matinale ; elle est responsable de la tranche d’information de six heures à neuf heures et du grand entretien politique codiffusé par BFM.
La même année, j’ai recruté Estelle Denis pour animer la tranche de douze heures à quinze heures, centrée sur les débats de société et la vie quotidienne des Français et des Françaises. En 2024, j’ai confié à Anaïs Castagna, autre journalise de talent, la responsabilité des matinales du week-end. La tranche, exposée, de l’après-midi du samedi et du dimanche est animée par Flora Moussy ou Marina Lorenzo. Le grand magazine du dimanche soir est dirigé par Marion Bartoli, qui donne son nom à l’émission, le « Bartoli time ». Dans la rédaction en chef de l’information, Marine Machefer assure la direction éditoriale de la matinale depuis trois ans et pilote désormais la direction éditoriale des chaînes de BFM Régions. Elle sera remplacée par Aurélia Manoli du lundi au vendredi et par Margaux Bourdin le week-end.
Dans mon esprit, il importe que la distribution des postes hiérarchiques ménage une égalité entre les femmes et les hommes, même si beaucoup de chemin reste à parcourir. Il est également essentiel que la jeune génération féminine puisse accéder aux rédactions. Conscient des enjeux spécifiques du domaine du sport, RMC a été l’un des premiers médias à signer en 2023 la charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les rédactions sportives, un secteur où la parité reste un vrai défi. Notre groupe a adopté une démarche et une approche volontaristes en réservant la bourse de RMC aux étudiantes et en instaurant un comité de suivi ainsi que la parité dans les recrutements. Ce plan commence à porter ses fruits au bout d’un an, même si une telle action s’inscrit dans le temps long, tant les freins sont nombreux.
Notre engagement ne peut pas s’arrêter là : face aux violences sexistes et sexuelles, en tant qu’employeur, il nous incombe de garantir un environnement de travail respectueux et sûr, et en tant que média, nous avons le devoir d’influencer positivement le débat public et de mettre en lumière cette problématique majeure pour en faire un sujet de société important. Pour cela, nous adoptons une approche globale à 360 degrés. RMC traite régulièrement de la question des VSS à l’antenne dans le but de sensibiliser tous ses auditeurs. La station s’appuie souvent sur l’actualité pour aborder ces thèmes lors d’événements tels que la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la Journée internationale des droits des femmes ou des faits marquants comme le procès des viols de Mazan, intégralement couvert par Marion Dubreuil, reporter spécialisée dans les affaires de police et de justice et dessinatrice judiciaire. Ses récits à la radio et ses illustrations sur nos réseaux sociaux ont offert une approche pertinente de cette affaire qui a touché les Français et le monde entier. RMC invite également des experts sur son antenne, comme Élise Goldfarb, militante féministe participant à l’émission « Estelle midi », afin d’approfondir ces questions et de nourrir les réflexions des auditeurs. Emmanuelle Dancourt, présidente de MeTooMédia, est également une chroniqueuse régulière d’« Estelle midi ».
En tant que directeur général d’un média de grande écoute, je veille à ce que toutes les personnes intervenant à l’antenne respectent strictement les lois de la République. La liberté d’opinion n’autorise pas tout. Dans les affaires qui peuvent survenir, il importe de distinguer les propos condamnables à l’antenne des paroles ou des agissements répréhensibles tenus en dehors. Depuis mon arrivée à la tête de RMC, j’applique, avec l’appui déterminé de Jules Neutre, directeur des ressources humaines, une politique de tolérance zéro. Nous n’hésitons pas à prendre des mesures fortes et adaptées. Nous agissons rapidement dans le cas de propos proférés à l’antenne, lesquels donnent lieu à des rappels à l’ordre ou à des suppressions temporaires, voire définitives d’antenne.
Nous n’ignorons pas le contexte médiatique et social qui entoure ces affaires, mais nous ne pouvons pas nous substituer à la justice. Voilà pourquoi nous avons instauré des procédures claires et protectrices. Chaque situation est examinée avec la plus grande attention et nous veillons à garantir les droits de la victime et ceux de la personne mise en cause, mais également à préserver notre antenne et nos auditeurs. Il n’existe pas de règle générale : chaque affaire requiert une analyse impartiale, une prise de conscience et une décision en responsabilité. Notre engagement est d’agir toujours avec rigueur et équité.
M. Jules Neutre, directeur des ressources humaines de RMC BFM. En tant qu’employeur, notre obligation première est de prendre les mesures nécessaires pour protéger et assurer la santé physique et mentale des travailleurs. Le code du travail dispose que nous devons prendre toutes les dispositions permettant de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. Le règlement intérieur de RMC BFM comprend des dispositions claires sur le sujet. Nous avons récemment renouvelé un accord sur l’égalité professionnelle, dans lequel nous renforçons nos engagements. Ce nouvel accord va au-delà des exigences légales : augmentation du nombre de référents sur le harcèlement, formations spécifiques pour les manageurs, actions de sensibilisation destinées à notre personnel et soutien renforcé aux victimes, y compris lorsque l’un ou l’une de nos salariés subit des violences conjugales.
Nous avons également signé la charte « Pour les femmes dans les médias » relative au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes. Le groupe RMC BFM est membre du collectif Stop au sexisme ordinaire (#StOpE), qui constitue la première initiative interentreprises ayant pour objectif de lutter contre le sexisme dit ordinaire au travail.
Au-delà de ces obligations, nous agissons selon trois préceptes : prévenir, agir et accompagner. Pour la prévention, nous misons sur l’information et la sensibilisation. Nos salariés et nos manageurs suivent des formations spécifiques, ont tous accès à des ressources détaillées et sont la cible de campagnes de prévention en interne. Celle de l’automne et de l’hiver 2023 contre le sexisme et le harcèlement comprenait des conférences, des enseignements en ligne et un affichage sur l’ensemble de notre campus.
Lorsque des cas surviennent, des dispositifs d’action clairs et efficaces sont mobilisés : nos salariés peuvent signaler, par plusieurs moyens et canaux, toute forme de violence, notamment les agissements sexistes et le harcèlement. Ils peuvent s’adresser à leur manageur, aux ressources humaines, aux référents sur le harcèlement, ou privilégier une plateforme d’alerte qui leur garantit l’anonymat. Chaque signalement est traité avec rapidité et le plus grand sérieux. Une enquête interne, à laquelle participe parfois un prestataire externe, est immédiatement diligentée et la direction générale peut être amenée à prendre des mesures fortes sur le fondement des conclusions de l’investigation.
Il convient enfin d’accompagner les salariés, car ces situations ont des impacts profonds. Nous avons ainsi développé des dispositifs d’aide concrets pour soutenir nos collaborateurs. Une hot-line est accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, des permanences psychologiques sont organisées sur les lieux de travail chaque semaine et des consultations individuelles dans un cabinet extérieur peuvent être proposées. Un comité de vigilance assure par ailleurs un suivi rigoureux des situations.
En tant qu’employeurs, nous avons une responsabilité essentielle pour prévenir les risques, agir avec fermeté et accompagner ceux qui en ont besoin.
M. Patrick Roger, directeur général de Sud Radio. Sud Radio est une radio de catégorie E, dont l’activité est couverte par une convention avec l’ARCOM et qui respecte toutes les obligations qui viennent d’être présentées. Sud Radio met la bienveillance au cœur des relations interpersonnelles. Notre petite structure, à taille humaine, n’empêche pas notre station d’avoir tout d’une grande !
Nous souhaitons être une radio de proximité parlant directement aux territoires pour éviter toute rupture entre les décideurs de l’échelon central et les citoyens. Nous nous considérons ainsi comme la radio du dernier kilomètre. Notre slogan du « Parlons vrai » se décline sous différentes formes, notamment la lutte contre les VSS et, plus généralement, pour la bienveillance dans les entreprises. Depuis quelques années, beaucoup d’émissions et d’interventions traitent de ce thème. Dans son émission hebdomadaire « La force de l’engagement », Muriel Réus aborde souvent ces questions, elle qui a cofondé MeTooMédia et qui préside l’association Femmes avec. Michèle Vianes anime l’émission « Regards de femmes » chaque week-end et intervient à la demande dans d’autres programmes. L’émission « Destins de femmes » de Judith Beller s’intéresse à des parcours de femmes ayant lutté contre le sexisme et les VSS. De nombreuses émissions sont animées par des femmes, résultat de ma volonté, exprimée lors de mon arrivée, d’atteindre une mixité entre les hommes et les femmes, de même qu’entre les générations. Cette variété crée une saine alchimie au sein de la radio.
Nous privilégions au sein de l’entreprise un dialogue direct et convivial entre les collaborateurs et avec la direction, qui garde toujours sa porte ouverte. Le circuit est court, la communication transversale et fondée sur l’écoute. Une référente travaille en permanence avec les équipes et la direction. Tout au long de ma carrière, j’ai défendu l’idée d’un dialogue direct avec l’ensemble des collaborateurs et milité pour limiter au maximum les silos afin que les informations remontent. L’ambiance de travail est équilibrée et transparente. Lorsque nous avons déménagé, il y a un an, nous avons favorisé, dans l’agencement des nouveaux locaux, la communication horizontale : les espaces sont largement ouverts et même si certains bureaux sont plus à l’écart du pôle central que constituent les studios, ils doivent rester visibles de tous pour que personne ne se sente isolé. Nous avons demandé aux architectes de redessiner les plans pour aménager des espaces de travail ouverts, élément fondamental d’une bonne communication et de relations humaines harmonieuses au sein de l’entreprise.
Mme Laetitia Gualino, manager RH Fiducial chargée des médias. Rattachée à la holding Fiducial à laquelle appartient Sud Radio, j’accompagne la station dans le domaine des ressources humaines. Ma mission consiste à déployer tous les outils relatifs à la législation, l’information et la prévention, comme l’installation des référentes sur le harcèlement. Notre méthode consiste à privilégier un management des ressources humaines de proximité, assuré avec ma collègue présente dans la salle ; nous favorisons, dans cette petite radio parmi les grandes, une culture collaborative et horizontale reposant sur un dialogue permanent.
Au-delà des textes et des instruments comme le document unique d’évaluation des risques que nous avons élaboré pour développer la prévention, le rapport quotidien avec les collaborateurs approfondit les relations et la confiance : ceux-ci nous connaissent et peuvent nous appeler, charge à nous d’être capables d’identifier les personnes qui se trouvent dans la difficulté. C’est en rencontrant et en connaissant les gens qu’on peut détecter les problèmes. Je suis particulièrement sensible à cette responsabilité.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Quel accord collectif couvre les salariés des radios ? Avez-vous développé des accords de coproduction, produisez-vous en interne, comme Radio France, ou faites-vous appel à des productions extérieures ? Selon le régime, le rapport de subordination et de responsabilité diffère.
M. Karim Nedjari. Tout est produit en interne.
M. Frédéric Antelme. C’est la même chose chez Radio Nova.
M. Gaël Sanquer. Outre ce qui est fait en interne, NRJ Group fait très régulièrement appel à des prestataires externes qui produisent leurs émissions dans nos locaux.
M. Patrick Roger. Sud Radio travaille au contraire avec beaucoup de collaborateurs et prestataires extérieurs pour produire ses programmes. En outre, nous avons signé la convention collective nationale des journalistes et celle de la radiodiffusion.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En mars 2019, l’animateur Yassine Belattar a été mis en examen pour menaces de mort et harcèlement dans le cadre professionnel, ce qui a conduit Radio Nova à le mettre en retrait de l’antenne le 29 du même mois. Cependant, il a été réintégré dès le 23 avril, après moins d’un mois de mise à l’écart. Pourriez-vous expliquer les raisons qui ont motivé cette mise en retrait de l’antenne puis cette réintégration ? Je rappelle aussi que Yassine Belattar a été condamné en septembre 2023 à quatre mois de prison avec sursis pour des menaces de mort visant des personnalités du monde du spectacle. Depuis, que faites-vous ? Avez-vous eu utilisé cette affaire pour mettre en place des dispositifs à l’intérieur de votre structure ?
Mme Rozenn Calle. Je n’ai pas beaucoup d’informations sur ce qui s’est passé à l’époque. Nous sommes arrivés récemment, Frédéric et moi. La personne en question a effectivement été mise en retrait pendant un certain temps, mais pas nécessairement pour des faits qui avaient eu lieu à Radio Nova. Je sais qu’un échange a eu lieu avec les salariés : une réunion s’est tenue avec l’ensemble des collaborateurs, où a été rappelé l’attachement de la société à ce que chaque salarié puisse se sentir libre de faire remonter tout manquement ou tout fait inconfortable se produisant entre salariés ou avec la direction. C’est tout ce que je peux vous dire à propos de ce qui a été fait à l’époque.
M. Frédéric Antelme. Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Nous n’étions pas là à cette époque. Le cas a été suivi d’une manière très précise : des échanges ont eu lieu et un certain nombre de choses ont été mises en place par la suite, mais je n’en sais pas beaucoup plus, j’en suis désolé.
Mme Rozenn Calle. J’ai retrouvé un procès-verbal d’une réunion avec des délégués du personnel au cours de laquelle ce sujet a été évoqué. Les délégués du personnel en ont parlé et il a été rappelé à cette occasion qu’il était important de signaler tout fait.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. D’autres faits ont été rapportés en 2024 par la presse, en l’occurrence Mediapart, au sujet d’Édouard Baer. Trois femmes, une hôtesse d’accueil, une stagiaire et une journaliste qui ont travaillé à Radio Nova ont témoigné de faits de harcèlement de la part de cet animateur. Qu’avez-vous fait dans ce cas, plus récent ? Quels dispositifs avez-vous mis en place ?
M. Frédéric Antelme. Il faut préciser que les faits sont plus anciens que l’article dont vous parlez : ils datent de 2016 à 2018.
Au cours des cinq dernières années, aucun signalement n’est remonté en interne, ni à la direction ni aux ressources humaines (RH). Par ailleurs, nous avons regardé tous les ordres du jour des CSE (comités sociaux et économiques) de Radio Nova durant les dix dernières années et nous n’avons pas trouvé de trace de sollicitation des RH en la matière, de manière ni formelle ni informelle.
En revanche, nous avons appris en mai dernier par voie de presse – il s’agissait d’une enquête conjointe de journalistes de Mediapart et de Cheek, qui appartient au groupe Combat, dont nous faisons également partie – qu’un ancien collaborateur de Radio Nova aurait pu avoir, il y a plus de six ans, des comportements répréhensibles à l’encontre de collaboratrices de la radio. Ces agissements sont susceptibles d’avoir été signalés à la direction et aux RH mais, comme je l’ai dit, nous n’en avons pas trouvé trace. En plus, nous n’avons jamais vraiment su si un dépôt de plainte avait eu lieu. L’article dit que non et nous en prenons acte mais, d’après les informations que j’ai, la journaliste du groupe Combat qui a écrit l’article n’a jamais révélé ses sources. Par conséquent, la direction actuelle, dont je suis, ne sait pas qui étaient les personnes visées – nous n’avons jamais pu le savoir vraiment. Voilà les faits. Il n’empêche qu’un certain nombre de mesures ont été prises au sein de la radio.
Mme Rozenn Calle. Ces mesures avaient été prises en amont. Je suis arrivée fin 2021 : la responsable RH qui est arrivée en même temps que moi a suivi une formation, ainsi qu’une référente, mais cela n’a pas de rapport avec l’affaire en question. Ce que nous avons essayé de mettre en place n’était pas lié à un signalement particulier. Nous n’en avons eu aucun au cours des cinq dernières années.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ai une question pour NRJ. Un chanteur qui a fait l’objet d’un certain nombre de plaintes a remporté le prix de l’artiste masculin francophone, décerné lors d’une émission de TF1. On savait que des plaintes pour harcèlement sexuel avaient été déposées contre lui par un technicien à la suite de faits qui s’étaient déroulés lors d’une tournée. Vous avez maintenu la décision de lui remettre son prix dans l’émission consacrée aux NRJ Music Awards. Étiez-vous déjà au courant ? Je crois que oui : pourquoi avez-vous décidé de le garder à l’antenne dans cette émission ?
M. Gaël Sanquer. C’est un sujet compliqué. De telles décisions sont difficiles à prendre. Les artistes diffusés sur nos antennes ne sont pas nos collaborateurs ; ils ne sont pas présents dans nos locaux et nous n’avons pas de lien contractuel avec eux. Lorsque c’est le contenu d’une œuvre qui pose un problème, notamment parce qu’elle comprend des propos sexistes, incitant à la violence ou contrevenant à la loi d’une manière ou d’une autre, nous nous référons à la législation et les artistes concernés sont mis à l’écart. En revanche, si le problème n’est pas lié à l’œuvre mais à la personne même de l’artiste, qui fait l’objet de plaintes pour des faits commis en dehors de tout lien avec NRJ, il est compliqué pour nous de prendre des décisions, hâtives, reposant uniquement sur des articles de presse – en l’occurrence, un article était paru dans la presse deux jours avant la cérémonie. Il n’empêche que nous sommes attentifs, dans de tels cas, à l’évolution de la situation.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Il faut aller très vite dans ces moments-là. Les révélations ont eu lieu, vous l’avez dit, deux jours avant la cérémonie. Par ailleurs, certaines accusations sont proférées sans dépôt de plainte. Pouvez-vous imaginer un protocole, une décision collective de l’ensemble des acteurs, qui consisterait à ne pas donner de la visibilité à quelqu’un sur qui pèserait un doute – sans l’accuser ni l’empêcher de faire son métier, mais en ne le mettant pas à l’antenne ? Je sais que ce ne serait pas facile, mais avez-vous déjà mené une réflexion sur une sorte de protocole commun aux différents médias ?
M. Gaël Sanquer. Non, puisque c’était la première fois que le cas se présentait. J’aurais tendance à dire que nous nous en remettons aux décisions de justice. Il n’y en avait aucune en l’occurrence.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’ajoute, pour être très clair, que vous n’aviez aucune relation contractuelle avec cette personne : vous lui remettiez un prix. Néanmoins, les responsables des Molières que nous avons auditionnés ont plus ou moins prévu qu’en cas de doute, ou dans certaines affaires, les personnes nominées ne monteraient pas sur scène. Auriez-vous pu imaginer, même si une telle décision est compliquée dans un monde qui est non seulement celui du spectacle mais aussi celui des affaires, que la personne dont nous parlons pourrait recevoir son prix – attribué par un vote du public, je crois – mais que vous ne lui donneriez pas de visibilité, que vous prendriez simplement acte du fait qu’elle a gagné le prix ?
M. Gaël Sanquer. Encore une fois, il est très compliqué de décider de censurer un artiste sans décision de justice, uniquement sur la base d’articles de presse.
M. Erwan Balanant, rapporteur. En effet.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il était quand même question, dans ce cas, de techniciens et techniciennes : cela concernait donc le collectif de travail qui organisait la remise des prix.
Je reviens, s’agissant toujours de NRJ, sur deux affaires dans lesquelles vous avez géré les choses d’une manière très différente : j’aimerais comprendre pourquoi et comment.
D’un côté, l’animateur Sébastien Cauet a été retiré de l’antenne à la suite d’accusations de viol qui ne portaient pas, à ma connaissance, sur la sphère du travail. Cet animateur vous a demandé une indemnisation pour ce retrait, qui constituait une sorte de licenciement, mais vous avez gagné devant la cour d’appel de Paris. Il n’y a pas tellement d’ambiguïtés dans cette affaire.
En 2024, Libération a révélé que la direction de NRJ avait manifestement été plus conciliante face au comportement de l’animateur Manu Levy. D’anciens salariés ont témoigné de l’impunité qui aurait été accordée par la direction du groupe. Avez-vous, par la suite, revu votre politique de prévention et de traitement des violences et harcèlement sexistes et sexuels ? L’affaire concernait le lieu de travail, mais vous avez laissé cet animateur à l’antenne, contrairement à Cauet. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a motivé ces deux décisions ?
M. Gaël Sanquer. Nous avons effectivement eu à faire face à deux affaires radicalement différentes.
Au cours des cinq dernières années, il n’y a eu qu’une seule alerte de salariés de l’antenne, au sujet de la matinale de NRJ, et les faits remontés par un représentant du personnel portaient uniquement sur la saison 2022-2023. La situation, telle qu’elle était présentée, pouvait s’apparenter à du harcèlement moral et a été traitée selon les procédures internes de l’entreprise. Lorsque nous avons eu connaissance de l’alerte, en juin 2023, nous avons organisé conjointement avec le CSE une enquête interne. Le rapport et les conclusions en découlant ont finalement été considérés comme inexploitables par le CSE lui-même, après la découverte de faits contraires à l’éthique.
Un audit indépendant a alors été diligenté à la suite d’une réunion du CSE le 9 janvier 2024, par une décision commune de la direction et du CSE. Cet audit, qui portait sur l’environnement de travail au sein de la matinale et qui a été conduit dans des conditions respectant les règles éthiques et le principe du contradictoire, s’est déroulé en juin 2024. L’ensemble des salariés et prestataires ayant participé aux saisons 2022-2023 et 2023-2024, soit vingt et une personnes, ont été invités à y participer.
À la lecture des témoignages recueillis lors de cette nouvelle enquête, la direction a considéré qu’il n’y avait pas eu de situation de harcèlement moral. Nous avions affaire à une situation de mésentente, qui a surgi au sein de l’équipe de l’émission après treize ans d’antenne sans incident particulier. Nous n’avons eu aucune autre alerte ni connu aucun autre incident depuis 2023, et l’audit de juin 2024 a fait ressortir que les collaborateurs travaillant sur la saison 2023-2024 exerçaient leurs fonctions dans un climat professionnel exigeant mais serein, selon leurs propres dires.
Les actions suivantes ont été menées : un rappel a été fait à l’ensemble des prestataires travaillant sur la matinale au sujet du respect des règles relatives à l’éthique ; une formation « Prévenir le harcèlement moral et sexuel et les agissements sexistes » a été organisée pour l’ensemble de l’équipe de la matinale à l’automne 2023 ; dans le cadre d’une réunion de rentrée qui s’est tenue en présence d’un élu, de la DRH et de la direction des antennes, toujours en 2023, un rappel a également été fait sur l’organisation et la préparation de l’émission, notamment le droit à la déconnexion.
Entre-temps, les salariés auteurs des signalements ont saisi la justice sur la base de la première enquête et ont quitté l’entreprise, soit parce que leur contrat avait pris fin, soit parce qu’ils avaient souhaité une rupture conventionnelle. Les instances judiciaires sont en cours.
L’autre histoire est très différente. Nous avons été confrontés en novembre 2023 à la révélation de plaintes pénales concernant des faits allégués de violences sexuelles à l’encontre de Sébastien Cauet, qui produisait et animait pour NRJ une émission de divertissement, diffusée en direct l’après-midi. Dès le mois de novembre, une décision de suspension temporaire de l’émission a été prise d’un commun accord. Cette décision était guidée par la nécessité de garantir la sérénité qui doit prévaloir face à des démarches judiciaires, en l’occurrence des plaintes portant sur des accusations graves à l’encontre de Sébastien Cauet, lequel les contestait publiquement, le tout ayant un retentissement médiatique et faisant l’objet d’une émotion considérable.
Il convient de préciser que l’émission, diffusée depuis nos studios, était produite par la société de Sébastien Cauet, avec ses propres équipes, dans le cadre d’un contrat de prestation de service. Dès novembre 2023, nous avons fait réaliser une enquête par un expert extérieur afin de nous assurer qu’aucun salarié du groupe n’avait fait l’objet de comportements déplacés ; aucun signalement n’a été porté à notre connaissance à cette occasion.
Comme vous l’avez dit, le tribunal de commerce de Paris a jugé, le 7 mai 2024, que le contrat unissant NRJ à la société de production de Sébastien Cauet était devenu caduc en raison de la disparition de plusieurs de ses éléments essentiels, et cette décision a été confirmée par la cour d’appel de Paris le 15 novembre suivant.
Dans ce cas, nous avions affaire à des plaintes pénales multiples portant sur des faits graves. Dans l’autre cas, nous avions affaire, après treize ans d’antenne sans incident particulier, à une situation née d’une mésentente au sein de l’équipe d’une émission.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pourriez-vous préciser si NRJ a bien été condamnée par le conseil de prud’hommes de Paris à verser 310 000 euros à d’anciens coanimateurs de la matinale pour des faits de harcèlement moral ?
M. Gaël Sanquer. Non, ce n’est pas le cas.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. En quoi consistait donc cette condamnation ?
Mme Caroline Vasseure. Cinq affaires étaient soumises au conseil de prud’hommes. Dans la première, il a débouté une collaboratrice. Dans la deuxième, relative à la contestation d’un avertissement, le conseil de prud’hommes a fait droit au collaborateur et nous avons fait appel de la décision. Il reste trois affaires concernant trois collaborateurs, ou plutôt ex-collaborateurs de la matinale, portant sur les faits que Gaël a évoqués et au sujet desquels nous avons fait une enquête en juin 2023 et un audit en juin 2024. Le conseil de prud’hommes a conclu à une absence de harcèlement moral dans ces trois affaires. Nous avons été condamnés pour deux d’entre elles à une requalification de CDDU (contrat à durée déterminée d’usage) en CDI (contrat à durée indéterminée). Attention donc à l’article de presse : nous avons décidé de ne pas y répondre, mais dans ces deux affaires, nous avons été condamnés pour des faits indemnitaires – requalification, rappel de salaire, etc. – liés à l’existence d’une mésentente au sein de l’équipe qui avait nécessairement une influence sur les collaborateurs, d’une façon très minime. La troisième affaire était un dossier différent, dans lequel nous avons fait appel. À la lecture du jugement, nous n’avons pas compris si c’était du harcèlement moral ou non qui était retenu contre NRJ.
M. Erwan Balanant, rapporteur. J’en viens à une question générale, que j’adresse à chacun d’entre vous. Vos animateurs peuvent avoir un statut de star ou en tout cas une notoriété leur permettant d’être des role models, des modèles pour les gens qui les suivent et pour la société. Avez-vous conduit une réflexion sur les contrats qui vous lient à eux, pour tenir compte non seulement de faits qui peuvent se passer à l’intérieur de l’entreprise mais aussi de situations extraprofessionnelles ? Existe-t-il dans les contrats des clauses nouvelles qu’on pourrait qualifier d’éthiques, compte tenu de l’expérience que vous avez désormais ? Une fois devenues des stars, certaines personnes peuvent commettre des faits pénalement répréhensibles qui sont susceptibles d’avoir un impact très fort pour vos marques. Avez-vous mené une réflexion à ce sujet ? Quelles sont vos marges de manœuvre sur le plan contractuel ?
M. Gaël Sanquer. Les contrats conclus par NRJ avec l’ensemble de ses partenaires et prestataires renvoient à la charte d’éthique de NRJ Group et en exigent le respect. Les contrats d’antenne comportent également l’obligation, pour l’animateur et son équipe, de respecter la réglementation en vigueur, et en particulier de veiller au respect de la dignité humaine, à l’égalité entre les hommes et les femmes et à la protection de l’enfance et de l’adolescence, et de s’interdire tout propos injurieux, diffamatoire, raciste, sexiste, homophobe, choquant, conformément aux obligations légales de NRJ et aux conventions passées avec l’ARCOM.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Cela concerne le cadre professionnel. Avez-vous juridiquement la possibilité d’élargir des clauses, sans qu’elles deviennent léonines, à la sphère extraprofessionnelle ? Une personne publique a une vie extraprofessionnelle qui peut avoir des conséquences sur un collectif ou un groupe. Avez-vous juridiquement la possibilité d’inclure des clauses qui permettraient, par exemple, de licencier une personne pour faute grave en raison de propos tenus hors du cadre professionnel ? En somme, pouvez-vous vous protéger contre les turpitudes de certaines de vos stars ? Cela serait-il complètement légal ?
Mme Caroline Vasseure. Vous y avez répondu dans votre question. Nous avons développé des clauses éthiques dans le cadre des contrats avec nos prestataires, ou nos stars, comme vous dites. Nous rappelons également nos règlements intérieurs dans les contrats, mais il est juridiquement compliqué d’aller au-delà de ce qui se passe au sein de l’antenne et de la relation professionnelle. Et si nous le faisions, je ne suis absolument pas sûre que nous pourrions nous en prévaloir.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Je pose la question parce qu’il n’est pas possible de s’assurer contre le risque pénal. Mais avoir un animateur vedette qui commet un crime ou un délit en dehors de sa vie professionnelle peut avoir des conséquences pour vous, ne serait-ce que pour des raisons de notoriété : une émission peut disparaître parce que l’animateur a fauté. Avez-vous engagé une réflexion sur la manière de vous protéger, et de protéger le collectif ? Au-delà des aspects financiers, les conséquences peuvent être terribles pour les équipes qui auraient travaillé par exemple – j’invente – avec quelqu’un qui a violé sa compagne. Comme vous avez des obligations en matière de protection des salariés, comment gérez-vous ces questions ? Vous avez parfois des stars qui peuvent s’arroger, du fait de leur statut, des pouvoirs qu’on n’a pas, normalement, dans la vie de tous les jours.
M. Patrick Roger. C’est assez difficile en droit du travail. Néanmoins, une vraie réflexion est menée depuis des années, dans l’ensemble des médias, en lien avec ce qu’on appelle les troubles associés et les questions d’image.
À Sud Radio, nous travaillons avec des prestataires. Bien souvent, nous ne sommes pas liés par des contrats de salariat avec ceux que vous pouvez appeler des stars. Il est possible d’ajouter quelques clauses concernant l’image, l’impact sur les médias, mais c’est extrêmement délicat compte tenu, je l’ai dit, du droit du travail.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Vous concluez donc des contrats de prestation : il ne s’agit pas de vacations.
M. Patrick Roger. Non, en tout cas pas pour des personnalités.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Mais elles peuvent également être salariées.
M. Patrick Roger. Bien sûr, mais ce n’est pas notre mode d’organisation. Dans ma vie antérieure, à France Inter, BFM ou Europe 1, certaines étaient des salariés, d’autres des prestataires.
Mme Rozenn Calle. Pour notre part, nous avons conclu beaucoup de CDDU avec des animateurs. Il serait compliqué en droit du travail d’introduire les clauses que vous évoquez. Nous pourrions l’envisager pour faire peur ou alerter, mais je ne pense pas qu’ensuite, juridiquement, elles puissent s’appliquer. Il serait difficile de justifier un licenciement sur cette base.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Plusieurs témoignages parus dans la presse ont mis en lumière que le public aussi pouvait encourir un danger lors des émissions de télévision et de radio. Dans ces affaires, l’animateur vedette repérait une personne du public avec laquelle il entamait une discussion qui se finissait par une agression sexuelle. Pour ceux d’entre vous qui réalisez des émissions en public, existe-t-il une charte éthique ou des dispositions interdisant aux animateurs d’entrer en relation avec le public en dehors de l’immédiat après-émission, où tout le monde est présent ?
M. Frédéric Antelme. Radio Nova enregistre chaque semaine une émission en direct du théâtre de l’Européen. Nous n’avons pas de charte, mais un service d’ordre organise l’accueil du public. Il est compliqué d’interdire le contact entre les personnalités et les auditeurs qui sont venus les voir, dans la mesure où le système fonctionne sur la proximité. Cependant, nous réfléchissons au moyen d’éviter les dérives, par exemple en fermant les coulisses. Il n’existe pas encore de système précis.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. J’entends bien la difficulté, mais plusieurs affaires soulèvent la question. Quelqu’un a-t-il un autre élément de réponse ?
M. Karim Nedjari. RMC ne réalise pas d’émissions en public.
M. Gaël Sanquer. NRJ non plus, maintenant.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Avez-vous des améliorations à proposer concernant les protections prévues par le code du travail ? Par exemple, considérez-vous que l’enquête obligatoire en cas de signalement est suffisamment cadrée ? Avez-vous repéré d’autres angles morts ?
Mme Caroline Vasseure. L’arsenal législatif est déjà extrêmement fourni. La principale question est plutôt de l’appliquer, mais sur ce point, le législateur peut difficilement intervenir au sein de l’entreprise. L’enquête est un outil très utile, bien que peu cadré par la loi. Il suffit de la définir plus précisément dans le cadre du dialogue social avec les instances représentatives du personnel. Chez NRJ, les modalités des enquêtes ont été fixées en 2014 et sont améliorées au fil du temps suivant les enseignements tirés de celles qui sont menées. Il est fondamental que l’enquête soit paritaire, avec des représentants de la direction des ressources humaines et du personnel. Le plan d’action et les conclusions également doivent être rédigés de manière paritaire. Une fois cela assuré, l’enquête permet d’avancer.
M. Jules Neutre. Il n’est pas toujours facile de mener une enquête interne. Je rejoins ma consœur sur l’importance que ces enquêtes soient paritaires et que des élus du CSE y soient associés. Je pense surtout que de grands progrès peuvent encore être faits dans la formation et l’accompagnement des personnes qui doivent les mener. À RMC, nous avons toute une documentation et un kit de process dédié pour les responsables des ressources humaines.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. RMC a-t-elle procédé à une enquête interne avant l’éviction de Jean-Jacques Bourdin ? De même, y a-t-il eu une enquête avant son recrutement par Sud Radio ?
M. Jules Neutre. RMC a immédiatement lancé une enquête interne, qui, au vu du caractère médiatique de l’affaire, a été confiée de A à Z à un prestataire externe.
M. Patrick Roger. Les discussions au sujet du recrutement de Jean-Jacques Bourdin n’ont commencé qu’après que les conclusions du procureur ont été rendues. J’ai également demandé certaines informations sur l’enquête interne menée à RMC, où je connaissais plusieurs collaborateurs et collaboratrices. Nous avons ensuite discuté en interne avec les ressources humaines et les futurs collaborateurs directs de Jean-Jacques Bourdin. Nous avons finalement conclu un pacte : en cas de faits ou de suspicion avérée, en interne ou en externe, la collaboration s’arrêterait immédiatement. Nous avons mené un travail d’échanges en permanence pour vérifier qu’il n’y avait pas de problème. Ce recrutement s’est donc accompagné d’une réflexion et d’un travail importants.
M. Erwan Balanant, rapporteur. Ce pacte a-t-il un fondement juridique ou s’agit-il d’une décision de gré à gré, issue d’une discussion entre les personnes concernées ? Nous sommes intéressés par les bases légales qui ont permis un tel contrat, si elles existent.
M. Patrick Roger. Nous utilisons le statut de prestataire, ce qui rend les choses plus simples que vis-à-vis d’un salarié. Cela nous permet de poser des conditions et des clauses spécifiques.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi le statut de prestataire, ou est-ce dans ce cadre que vous recrutez habituellement ?
M. Patrick Roger. C’est ce que nous faisons généralement. La pratique est de plus en plus répandue.
Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie pour vos réponses. Si vous le jugez nécessaire, vous pourrez nous faire parvenir des compléments par écrit jusqu’à la fin de la commission d’enquête, en avril. De même, si nous avons d’autres questions à vous poser, nous pourrons vous inviter de nouveau ou vous les transmettre par écrit.
La séance s’achève à dix-huit heures vingt.
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Rousseau