Compte rendu

Commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique, Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations, et M. Olivier Henrard, directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)              2

– Présences en réunion....................................17

 


Mercredi
12 février 2025

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 40

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
Mme Sandrine Rousseau, Présidente de la commission


  1 

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante.

La commission auditionne Mme Rachida Dati, ministre de la Culture.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Mes chers collègues, nous auditionnons Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, accompagnée de Mme Irène Basilis, M. Olivier Henrard et M. Christopher Miles, que nous avons reçus il y a quelques semaines. Après Roselyne Bachelot et Rima Abdul Malak, je vous remercie, madame la ministre, de vous prêter à cet exercice qui sera particulièrement utile aux travaux de notre commission d’enquête, alors que le rapporteur entre dans la phase d’élaboration des propositions qu’il nous soumettra bientôt.

Vous le savez, notre commission cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant notamment. Nous avons déjà mené de nombreuses auditions et le constat est plutôt alarmant. Si de nombreuses mesures ont été prises au cours des dernières années – par le biais de la loi, des conventions collectives et du levier que représentent les subventions publiques au secteur –, nous constatons encore de trop nombreux faits de violences morales, sexistes et sexuelles sur les plateaux et les scènes, mais aussi dans les écoles et lors des castings. La résistance des consciences, essentiellement masculines, faut-il le rappeler, nous paraît encore immense, alors que l’enjeu est fondamental : c’est celui du vivre-ensemble, du respect de la loi et de la protection de l’intégrité des personnes.

Que pouvons-nous faire ? Je crois savoir que vous avez demandé à vos services d’établir un nouveau plan de lutte contre les violences, dont vous souhaiterez peut-être nous dire un mot. Avant cela, je vous propose de nous livrer votre constat sur les violences dans les secteurs qui nous occupent et sur l’efficacité des mesures récemment instaurées. Si nous sommes d’accord sur le diagnostic, nous le serons probablement aussi sur les réponses à apporter. Dans un deuxième temps, je laisserai le rapporteur vous soumettre quelques-unes de ses pistes de travail.

Avant de vous donner la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Rachida Dati, Mme Irène Basilis, M. Olivier Henrard et M. Christopher Miles prêtent successivement serment.)

Mme Rachida Dati, ministre de la Culture. Être ici avec vous aujourd’hui marque notre engagement collectif à briser enfin la loi du silence. Nous avons déjà mené ce combat, madame la présidente, et rappelez-vous de quelle manière nous avions alors été traitées. Les violences sexuelles et sexistes concernent l’ensemble de la société. Le milieu de la culture ne peut pas s’exonérer de regarder en face ces questions. Serait-il un cas particulier, plus propice à ces violences ? Y a-t-il plus de complaisance, plus de cas, plus de silence que dans d’autres cercles de pouvoir ? C’est vrai qu’il peut y avoir une porosité, parfois une confusion, entre vie personnelle et professionnelle, entre intimité et travail. Le corps et la sensibilité sont beaucoup plus exposés. La précarité, la nécessité d’être reconnu et de faire partie de cette famille du cinéma, du théâtre, des arts visuels, d’entretenir ses réseaux pour travailler sont des contextes qui favorisent les abus de pouvoir et banalisent les situations d’emprise. À tous les endroits du jeu, le duo du pouvoir et de la domination règne.

Il est aussi courant de trouver des excuses : la pression du tournage ou des répétitions, le pot de première qui dérape, le travail en nocturne et les tournées ou les tournages qui obligent à découcher et qui offrent des « occasions ». Ce sont des facteurs de risque objectifs ; en aucun cas, des circonstances atténuantes. Au contraire, l’existence de ces facteurs devrait accroître la vigilance. Si ce contexte a toujours existé, jamais il n’avait été dénoncé avec une telle force. Pendant des années, on a détourné le regard.

Mais est-ce si différent dans d’autres cercles – la sphère politique, le secteur médical, le secteur de la justice que je connais bien aussi ? Rappelons-nous les propos entendus au sujet de l’affaire dite DSK : il s’agissait pour certain d’un « troussage de domestique » – une formule qui m’avait fortement choquée et qui n’avait indigné personne sur le plateau de télévision. La différence, peut-être, c’est la notoriété des personnalités du monde du spectacle, qui attire l’attention de la société dans son ensemble. Il y a un effet de loupe indiscutable et un décalage brutal entre les faits révélés et les valeurs progressistes affichées par les intéressés ou dans leurs œuvres.

Par ailleurs, force est de constater que les faits plus anciens étaient accueillis très différemment par la société de l’époque. Il n’en demeure pas moins qu’ils étaient, dans les années soixante-dix et quatre-vingts, parfaitement condamnables. On ne peut pas se contenter de dire : « C’était une autre époque et un autre contexte. » À cette époque, le viol, les agressions sexuelles étaient pénalement réprimés. Pourtant, on a laissé les tribunes et les faits prospérer. On les a non seulement expliqués mais parfois excusés pour ne pas dire encouragés. Qu’est-ce qui a paralysé l’action publique ? Qu’est-ce qui a bloqué l’appareil d’État, à tous les niveaux ? Qu’est ce qui a fait qu’on a collectivement détourné le regard ?

Je vais faire une parenthèse. Pendant très longtemps, on a considéré que les violences conjugales et intrafamiliales relevaient d’une forme de déterminisme social. Or c’est simplement que ces violences sont plus facilement détectées dans les milieux où s’exerce un contrôle social. Il n’y a pas de déterminisme dans les violences sexuelles ou conjugales. Je vous interpelle aussi en tant que parlementaires et politiques : vous avez une responsabilité, sur la législation notamment. La responsabilité, plus encore à l’égard des mineurs, est globale. Chacun doit prendre ses responsabilités.

L’affaire Weinstein, qui a fait émerger le mouvement MeToo, a marqué un point de bascule dans le milieu du cinéma et, très vite, dans tous les secteurs du spectacle, de la musique et de la création. Dans son ensemble, le secteur de la culture a non seulement entendu mais également écouté les voix qui se sont exprimées sur ces violences, dans la foulée de MeToo – soit dit en passant, si une autre classe sociale avait été à son origine, il n’aurait pas rencontré le succès qu’il a eu. Il était temps que cette prise de conscience ait lieu car le contraste entre les valeurs défendues par la profession et certains comportements devenait intolérable pour la société qui, entre-temps, avait opéré sa mue.

Beaucoup a été fait, vous l’avez entendu ici à maintes reprises et je n’y reviendrai pas. Mais les dispositifs sont encore à améliorer et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles reste un combat à mener collectivement, en responsabilité. Nous sommes au début d’un processus, car je pense que beaucoup de femmes et de mineurs se taisent encore. Il ne faut pas se contenter d’afficher un volontarisme de façade, il faut surtout écouter attentivement, former, agir sur tous les plans, car les mécanismes à l’œuvre semblent encore résister. Lorsque l’on entend que tout le monde est engagé, en réalité, on pourrait ajouter « plus ou moins » – certains préféreraient que l’on n’aille pas trop loin.

Les secteurs de la culture ont longtemps considéré qu’ils étaient exemplaires sur la question des violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS), tout comme ils pensaient l’être sur la parité par ailleurs. Il faut être vigilant et ne pas se contenter de déclarations d’intention pour se donner bonne conscience. Les chiffres, vous les avez, je ne vais pas y revenir. Vous me direz qu’ils augmentent. C’est vrai. C’est la preuve que les actions menées commencent à porter leurs fruits. La parole se libère et ces chiffres vont continuer d’augmenter. En acceptant de regarder en face la réalité et d’entendre les victimes, de plus en plus de cas vont sortir. C’est sans doute un long processus qui permettra à la parole des victimes d’être crédibilisée et qui doit passer par l’installation de la confiance et la détermination à briser la loi du silence, que l’on soit victime ou témoin. Cette peur de parler, cette crainte du stigmate qui nourrit une loi du silence pesant sur les épaules des victimes, est tout simplement insupportable.

C’est pour répondre à la nécessité d’un espace dit sécure – le safe space – que la fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) et les cinq confédérations syndicales du secteur ont défendu l’initiative d’une cellule d’écoute, sous l’égide d’Audiens. Créée en 2020 par les partenaires sociaux, avec le soutien financier du ministère de la culture, elle met à disposition un accompagnement juridique et psychologique par le biais d’une ligne téléphonique dédiée. Le ministère avait immédiatement adopté cette proposition consensuelle des partenaires sociaux.

La parole se libère progressivement et les demandes d’accompagnement se multiplient. Depuis la création de la cellule, 290 personnes ont été accompagnées, soit par un psychologue clinicien, soit par un avocat, soit conjointement par ces deux spécialistes. Entre 2023 et 2024, on a relevé une augmentation de plus de 50 % du nombre d’accompagnements psychologiques et de plus de 77 % du nombre de conseils juridiques. Il ne faut pas relâcher la pression : plus on agira pour libérer la parole, plus il y aura de signalements. Certains diront alors que l’on recule ou que l’on n’en fait pas assez. En réalité, le vrai sujet, c’est la réponse à apporter, parce que, si les dispositifs existants donnent des résultats, ils présentent encore des failles.

C’est pourquoi j’ai demandé à mon administration de travailler à un nouveau plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexuels et sexistes, qui sera présenté avant le 8 mars prochain. Il portera tant sur le ministère de la culture et ses établissements publics, notamment les écoles supérieures, que sur les structures et secteurs professionnels ou encore sur les politiques culturelles et les conditions de travail des mineurs. Si ce plan doit encore faire l’objet de concertations et de réunions avec des acteurs de terrain, je souhaite partager avec vous un certain nombre de pistes et de mesures envisagées.

Il y a d’abord le levier des subventions et des labels : ce qui est donné peut être retiré immédiatement si les mesures préconisées ne sont pas appliquées. Les textes réglementaires seront également passés en revue afin d’y insérer la lutte contre les VHSS, chaque fois que cela sera possible. Je pense notamment à l’actualisation de l’arrêté du 15 octobre 2016 qui définit toutes les mesures de santé et de sécurité au travail à prendre dans la production de films cinématographiques et audiovisuels. Je pense aussi aux licences d’entrepreneur de spectacle vivant : la formation aux VHSS doit conditionner leur obtention ou leur renouvellement.

Autre sujet majeur : l’intervention de l’inspection du travail. Les inspecteurs du travail ne disposent que très rarement des informations relatives aux lieux de tournage, ce qui rend plus difficiles les contrôles inopinés. Par ailleurs, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) s’est rapproché de l’inspection du travail pour lui apporter son expertise dans la rédaction d’un guide de contrôle spécifique aux tournages. Ce guide retient un périmètre plus large que celui du cinéma, grâce à la collaboration avec la direction générale de la création artistique (DGCA).

Le sujet de la formation reste central. Le CNC a pris un temps d’avance avec l’extension des formations sur les tournages depuis début 2025 : 2 000 personnes se sont inscrites à ce jour pour la phase de formation à distance qui précède la formation sur le lieu de tournage, qui concernera 600 tournages dans les trois ans à venir. Reste à étendre au secteur de l’audiovisuel l’obligation de formation des équipes de tournage. Une nouvelle obligation de formation à destination des dirigeants de festivals, qui conditionnerait les aides, pourrait aussi être créée prochainement – j’y suis favorable.

Dans le spectacle vivant et la musique, les pistes actuellement travaillées avec l’Assurance formation des activités du spectacle (Afdas) visent à former plus massivement, au-delà des dirigeants, les équipes, les artistes, les auteurs, en travaillant également avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et Uniformation. Compte tenu de l’importance du modèle associatif dans le secteur de la création, une sensibilisation est aussi envisagée pour les présidents et présidentes d’association qui sont bénévoles et souvent très peu informés de leurs responsabilités légales, notamment en tant qu’employeurs. Une réflexion est en cours avec le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (Artcena).

Toujours dans le domaine de la formation, il faut absolument renforcer la connaissance du droit du travail avec des modules obligatoires sur la santé et la sécurité au travail. Dans le cas des écoles supérieures qui dépendent du ministère de la culture, je demanderai que des modules soient ouverts dès la rentrée 2025. Dans un ministère où il y a peu d’apprentissage et d’alternance, j’ai souhaité créer une direction de l’enseignement et de la formation. Cela a un peu tangué, mais les écoles disposent désormais d’interlocuteurs uniques. Les partenaires sociaux et l’Afdas vont également travailler à la formation des professionnels en poste.

Par ailleurs, nous devons faire en sorte d’apporter des réponses plus efficaces aux signalements. Les employeurs, en particulier dans les petites structures, n’ont pas toujours d’équipe administrative sur laquelle s’appuyer pour ces questions. C’est pourquoi je souhaite que soit envisagé un dispositif de ligne d’écoute pour rappeler aux employeurs les mesures rapides à appliquer en cas de signalement. Je pense aussi faire certifier les organismes réalisant les enquêtes internes. Il est nécessaire de rappeler ce que doit faire et ne pas faire une enquête interne. Il n’existe pas de schéma type pour les mener. Certaines sont faites pour dédouaner un employeur et l’on en sait les conclusions avant même leur début. Nous connaissons également un cas où la supposée victime n’a jamais été entendue.

En termes de mesures et de sanctions, les conséquences peuvent être lourdes pour la victime quand l’enquête est mal conduite ; elles peuvent l’être aussi pour l’employeur. Il est nécessaire de prendre des sanctions proportionnées. Le cadre à retenir est celui de l’État de droit, pas de l’arbitraire.

Ce plan aura également vocation à définir les modalités selon lesquelles on peut mieux accompagner les victimes. La cellule d’Audiens doit s’affirmer comme le dispositif central de signalement et de prise en compte des cas de VHSS, en étant mieux valorisée et mieux identifiée. Le ministère s’engagera, aux côtés des organisations d’employeurs et des fédérations, pour élargir ses horaires d’ouverture – deux heures supplémentaires par jour – et ses attributions, de sorte notamment à faire accompagner la rédaction d’une plainte auprès du procureur de la République par des avocats, ainsi que pour l’étendre à de nouveaux secteurs, comme celui de la presse début 2025.

Pour que cela fonctionne, les entreprises culturelles devront donner plus de visibilité à la cellule, sur les tournages, dans les festivals, partout. D’une façon générale, je veux que le suivi des cas signalés soit amélioré. C’est pourquoi au sein même du ministère de la culture, je vais demander le renforcement du dispositif spécifique de suivi. J’ai demandé au secrétaire général du ministère de me faire une proposition de cellule qui pourrait se réunir mensuellement pour assurer un suivi des cas signalés au sein des services et des établissements publics rattachés au ministère. Aujourd’hui, je ne dispose pas du nombre de signalements ni d’articles 40, en l’absence d’une centralisation. Il serait utile d’avoir une base de données, ce qui ne va pas cependant sans poser un problème relativement au règlement général sur la protection des données (RGPD).

Chaque fois que cela s’avérera nécessaire, le ministère sera aux côtés des victimes, en procédant à un signalement auprès du procureur de la République dans le cadre de l’article 40. Depuis mon arrivée à la tête du ministère de la culture, quatre articles 40 ont été déposés, ce qui me paraît peu. Il faudrait une tolérance zéro sur ces sujets. On entend : « Ça peut s’arranger. » Mais la justice doit s’emparer de ces affaires. On n’arrange pas des choses qui relèvent du délit ou du crime, surtout pour des atteintes aux personnes. J’ai aussi demandé à mon administration de travailler avec Audiens sur une mesure de soutien à l’accompagnement juridique des victimes qui n’en ont pas les moyens.

Concernant le sujet particulier des dérogations au travail des mineurs de moins de 16 ans, je suis favorable au relèvement de l’âge à 18 ans.

Il était également primordial que le ministère de la culture fasse partie des autorités administratives qui peuvent accéder aux données du fichier national judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. C’est chose faite depuis le décret du 4 décembre 2024. Mme Basilis m’a signalé le cas d’un enseignant qui avait été condamné pour des faits de nature sexuelle et qui a retrouvé un poste de formateur chez un autre opérateur. On m’a dit qu’il ne travaillait pas avec des mineurs mais avec des « jeunes ». Parmi les jeunes, il y a des mineurs… Or la personne a pu être employée sans que sa condamnation soit un obstacle.

La politique de prévention doit s’étendre aux conservatoires territoriaux. Ceux qui sont classés, au nombre de 400 environ, ont l’obligation d’appliquer le schéma national d’orientation pédagogique de l’enseignement public spécialisé de la danse, de la musique et du théâtre (Snop) de 2023, qui impose d’établir un protocole de signalement, de recueil et de prise en charge des cas. Je veux renforcer encore ces mesures en subordonnant le classement au déploiement de formations obligatoires et à la rédaction d’un guide de bonnes pratiques. Le problème est différent pour les quelque 3 000 conservatoires non classés, qui sont souvent des structures associatives. Il faudra établir un cadre avec les collectivités territoriales afin que ces dernières leur imposent des obligations. Pour assurer des formations dans tous les conservatoires, nous devrons associer le CNFPT.

Une autre avancée consisterait à mettre à disposition des parents un guide des bonnes pratiques consacré à la relation entre les professeurs et les élèves mineurs, notamment pour favoriser la sensibilisation des enfants. Souvent, les parents méconnaissent les limites qu’un enseignant doit respecter : il est important de les définir.

Vous avez relevé des manquements graves dans la pédagogie et dans le fonctionnement de certaines maîtrises. Un cadre strict doit s’imposer. La commission des enfants du spectacle veille aux conditions de travail des jeunes artistes mais elle n’a pas les moyens d’enquêter sur les pratiques quotidiennes. Je propose de créer un label pour garantir la présence de personnes formées, un projet pédagogique clair, des dispositifs de prévention et une gouvernance transparente, avec des contrôles réguliers.

Il faut également créer une instance de dialogue avec les collectivités territoriales et les organisations représentatives, afin d’accélérer l’établissement de plans de lutte efficaces à tous les niveaux, dans l’enseignement spécialisé comme dans l’éducation artistique, avec pour priorité de protéger les mineurs. En effet, je pense qu’il faut ériger la protection des mineurs en priorité spécifique, ce qu’elle n’est pas.

Je veux aussi généraliser à tous les lieux de pratique artistique et de médiation culturelle l’obligation d’afficher les informations relatives au service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (Snated).

Le chantier est immense. Nous ne pourrons faire des progrès que collectivement, grâce aux auditions que vous avez menées et à un travail commun du ministère et des opérateurs. La justice pourrait également participer. Dans le cadre de la politique pénale, nous avons voulu une juridiction spécialisée dans les violences conjugales ; on pourrait en créer une nouvelle ou confier cette tâche à des magistrats spécialisés, en ouvrant des formations dans les écoles de justice, notamment l’École nationale de la magistrature (ENM) et l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap). Lorsque j’étais garde des Sceaux, j’ai étendu la formation aux services chargés de l’insertion et de l’accompagnement des détenus en difficulté, en particulier ceux qui s’occupent des femmes.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie. Peu de ministères se sont attaqués au problème avec autant de volonté que le vôtre, néanmoins il reste des points de blocage. Les témoignages que nous avons entendus révèlent un décalage entre les dispositifs déployés et la réalité des violences subies : nombreuses et récurrentes, celles-ci ont un caractère systémique.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Plusieurs de nos axes de travail convergent avec vos propositions.

Vous avez souligné que même si nous disposons de chiffres, nous manquons de données. Une grande étude de victimation permettrait de dresser un état des lieux ; avec une mise à jour régulière, on rendrait les avancées visibles. Vous avez raison, le nombre de cas va augmenter, malgré notre travail : des souvenirs vont se réveiller et les personnes concernées se sentiront autorisées à témoigner, grâce à la libération de la parole. C’est tant mieux, il faudra les accompagner.

Audiens recueille beaucoup de témoignages mais leurs auteurs n’en connaissent pas toujours les suites, ce qui parfois provoque de la souffrance. Les membres de la cellule ne peuvent pas porter plainte à la place des victimes. L’écosystème est prêt à cotiser davantage pour financer Audiens. Une assistance juridique pourrait-elle accompagner les victimes pour accomplir les démarches ?

Les témoignages sont anonymes ; les cas concrets ne vous sont pas remontés. En revanche, des lieux sont cités, qui pourraient permettre une détection : la mention récurrente d’un théâtre ou d’une production déclencherait une enquête.

Mme Rachida Dati, ministre. Je suis tout à fait d’accord, une enquête de victimation serait utile. C’est souvent assez efficace. Les premières soulèvent des difficultés d’interprétation mais, avec le temps, elles sont déterminantes pour les politiques publiques.

Vous m’interrogez sur l’assistance juridique. Souvent, on se dit que tout a été fait parce que le signalement a été enregistré et la supposée victime accompagnée, mais on n’a pas répondu à son problème : on n’est pas victime tant qu’on n’est pas reconnu pour telle, par une procédure. Lors des Jeux Olympiques et Paralympiques, j’ai reçu tous les artistes menacés, attaqués, cyberharcelés, comme Barbara Butch et Thomas Jolly : beaucoup n’ont pas voulu faire appel à la justice, notamment parce qu’ils n’avaient pas envie de se retrouver en face de l’auteur des faits. Je souhaitais que le ministère de la culture se constitue partie civile, mais je n’avais pas d’intérêt à agir. Je suis d’accord pour élargir les fonctions d’Audiens et les marchés pour attribuer des missions d’accompagnement mais, s’il peut être opportun de déléguer certaines actions aux cabinets de conseil, l’État et l’administration ont une responsabilité – je crois à un État fort, en particulier dans ces domaines. Mieux vaudrait réviser les critères de l’intérêt à agir. Cela a été fait dans d’autres secteurs, comme l’environnement et la justice. Lorsque j’étais garde des Sceaux, j’ai créé le Sarvi, le service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction, dispositif qui a été amélioré depuis. Les femmes victimes de violence renonçaient à leur pension alimentaire parce qu’elles ne voulaient pas assigner leur ex-conjoint : c’est désormais l’État qui se retourne contre ce dernier, afin de rétablir la victime dans ses droits tout en la laissant tranquille.

Je suis également favorable à une amélioration de l’accompagnement, y compris sur le plan financier. Nous y pourvoyons d’ailleurs déjà. J’ai ainsi demandé à mes services de proposer une protection juridique et une indemnisation à des femmes qui ne font pas partie du ministère mais que la justice a reconnues victimes d’une agression sexuelle perpétrée par un agent qui a utilisé sa fonction pour commettre les faits. J’ai considéré qu’elles ne devaient pas rester dans la nature.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La question des enfants se pose dans deux cadres distincts : la participation à un spectacle et la formation.

Pour le premier, nous envisageons de rendre les règles spécifiques aux mineurs applicables jusqu’à 18 ans, au lieu de 16. Nous réfléchissons à interdire le travail des plus jeunes, en prévoyant des exceptions et un renforcement du rôle de la Drieets, la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. L’âge de raison, 7 ans, pourrait être un palier. Les productions ont désormais l’obligation d’employer un responsable enfants : celui-ci pourrait remettre un rapport de fin de tournage, de tournée ou de spectacle, afin d’instaurer un suivi et d’améliorer le contrôle. En effet, la Drieets et Thalie Santé accomplissent leur travail de vérification en amont, mais il arrive qu’ensuite le tournage dure plusieurs semaines et que le suivi soit flou, or il faut s’assurer que l’enfant a poursuivi son travail scolaire et n’a pas connu de traumatisme, ni d’autre problème. Les référents enfants, certifiés, remettraient leur rapport à Thalie pour renforcer les liens entre le centre médical, la production et la Drieets. Cela impliquerait sans doute d’y consacrer des moyens. J’ai été surpris par le faible prix de la visite médicale – 30 euros environ. Lorsqu’un film coûte 3 ou 10 millions, il devrait être possible de financer une meilleure prise en charge.

S’agissant de la formation, il reste des angles morts. La certification constitue une piste, mais il faudra prendre en considération la situation des petits conservatoires, dont les professeurs ne sont pas tous professionnels. Certaines structures associatives posent d’ailleurs des problèmes, en particulier une située dans les Hauts-de-Seine, subventionnée à hauteur de 1,6 million par an. Nous avons reçu à son sujet des témoignages terrifiants, mais son statut d’association ne nous permet pas d’y effectuer un contrôle sur place et sur pièces. Que pourriez-vous faire ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les castings constituent un danger pour les enfants, qui ne sont pas encore dans une relation de travail : la responsabilité du producteur ne s’exerce pas. Comment sécuriser ce moment ?

Mme Rachida Dati, ministre. Durant le tournage, le responsable enfants contrôle tout – conditions psychologiques et de travail, scolarité. S’il a fait son travail, il ne lui sera pas difficile de rédiger un rapport de fin de tournage.

S’agissant du suivi, c’est plus compliqué. On pourrait imaginer faire suivre certains enfants dans les écoles, lorsque des cas de maltraitance, par exemple, ont été relevés. Mais j’ai toujours peur du dispositif de trop, qui sera inopérant.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Les responsables enfants ne sont pas encadrés, ils n’ont pas de formation spécifique et aucun registre ne les répertorie. Il faut structurer le dispositif.

Mme Rachida Dati, ministre. Ils pourraient être formés et relever de la protection de l’enfance – j’y suis favorable. Il faut inventorier les carences : formation, encadrement, profil et critères. J’irais plus loin : on pourrait vérifier le casier judiciaire. Je suis réservée quant à l’ajout d’un intervenant ou d’un dispositif, mais on peut établir une procédure.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Nous allons dans le même sens : il faut des accompagnateurs dont la mission soit encadrée. Nous proposons seulement qu’ils rédigent obligatoirement un rapport pour la Drieets et pour Thalie, qui disposera ainsi d’éléments pour l’accompagnement psychologique des enfants après la production. En effet, celle-ci est parfois suivie d’une promotion, qui peut constituer un angle mort.

Comment garantir l’honorabilité de ceux qui interviennent auprès des enfants ? Nous avons évoqué le cas d’un adulte qui, condamné pour des faits commis dans une maîtrise, est allé travailler dans une autre. Les dirigeants des structures, parfois associatives, sont très démunis. Ils pourraient demander aux services préfectoraux de consulter le bulletin n° 2 du casier judiciaire (B2). Dans le monde du sport, les associations qui accueillent des enfants sont agréées par les fédérations. C’est plus compliqué dans le secteur culturel, alors que les risques sont les mêmes.

Mme Rachida Dati, ministre. Je l’ai dit, je suis favorable à la rédaction d’un rapport.

S’agissant de l’honorabilité, les collectivités ont accès au B2. La situation est comparable à celle de l’embauche d’une société de sécurité pour la surveillance d’un site sensible : tout est scanné. Je suis même surprise que cela ne relève pas de l’évidence. Je vais sortir de mon rôle : la protection de l’enfance constitue un angle mort. Dans les problèmes relatifs aux mineurs, la délinquance est minoritaire, elle ne représente que 5 % des cas – tout le reste, c’est de la maltraitance d’enfants. Je suis favorable à toute mesure à même de protéger les enfants. Je peux instaurer ce dispositif de contrôle, ou au moins le défendre avec vous, si vous décidez de l’adopter. Certains exprimeront des réserves en avançant que cela ferait de la condamnation un bannissement mais, pour moi, la protection de l’enfance prime.

Les membres du secteur associatif, comme chacun, peuvent faire un signalement au procureur, s’ils découvrent un délit, un crime, même un dysfonctionnement. Le problème, c’est que beaucoup l’ignorent. D’autre part, les associations perçoivent souvent des subventions de l’État ou des collectivités, ce qui permet indirectement de les contrôler. Normalement, elles remettent un rapport d’activité. Lorsque j’étais garde de sceaux, je l’avais exigé de celles qui intervenaient dans le cadre de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : nous avons découvert que certains éducateurs et animateurs n’étaient pas bien placés pour intervenir auprès de mineurs en voie de réinsertion. Le rapport doit bien être obligatoire ; il faut faire en sorte de contrôler ce qui se passe.

Il n’y a pas de responsable pour les enfants dans le spectacle vivant, lacune qu’il faudra combler en rendant obligatoire la présence d’une telle autorité.

Un processus de certification de qualification sera délivré à partir de cette année dans le domaine de la formation professionnelle.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Au fil des auditions, nous nous sommes aperçus que les positions de pouvoir étouffaient les affaires. On parle souvent de libération de la parole, mais ce phénomène est bien amorcé. En revanche, il est difficile de contester un chef de chœur ou un directeur de structure car il détient un pouvoir : comment faire en sorte que celui-ci ne soit pas totalitaire ?

La détention d’un mandat à vie pose problème car elle implique la jouissance d’un pouvoir à vie. Comment parvenir à ce qu’une personne dans cette situation soit un justiciable comme les autres ? Le talent artistique apparaît comme un bouclier efficace qui confère une immunité et qui écarte la parole des victimes.

Mme Rachida Dati, ministre. Là est en effet tout le sujet. J’ai connu beaucoup de gens qui se décernaient des certificats d’absolution et se montraient choqués quand d’autres étaient mis en cause.

Quand vous venez d’un milieu social défavorisé et que quelqu’un de votre entourage connaît des difficultés, tous vos proches sont dénigrés : tout le monde est englobé dans un jugement dépréciatif. Un artiste accusé de violences sera, lui, excusé au nom de son art et son entourage ne sera pas éclaboussé par les rumeurs. L’agression devient presque une performance artistique. Quand un homme n’appartient pas à ce milieu ni à un cercle de pouvoir, on dit de lui qu’il est un violeur, un agresseur, une racaille. Nous avons été trop longtemps complices de cette différence de traitement, qui perdure.

Certains n’osent pas parler. Nous n’avons pas le courage de qualifier les pétitions de soutien aux agresseurs de honteuses, alors qu’elles représentent une complicité de crime ou de délit pour ne pas dire une association de malfaiteurs. Si nous disions cela, tout le monde nous tomberait dessus : même un responsable public qui ferait un tel commentaire serait vertement critiqué. C’est pourtant la responsabilité de chacun de qualifier un crime de crime et un délit de délit. Ce n’est pas un sujet juridique : l’histoire du troussage de domestique n’a choqué personne, mais si j’avais prononcé cette phrase sur un plateau de télévision, on aurait dit qu’une telle remarque n’était pas étonnante compte tenu de mon milieu social d’origine.

Un metteur en scène a déclaré que l’art lui permettait de se désinhiber, mais un tel processus ne devrait jamais se déployer au détriment des autres ! Magistrate, j’ai rencontré des majeurs qui m’ont expliqué que le mineur avec lequel ils avaient noué une relation était consentant. Or la personne majeure doit poser des limites.

Il n’y aura pas de réponse à votre question tant que la société restera inégalitaire et que l’État de droit ne s’appliquera que pour certains.

Le ministère de la culture s’y connaît en matière de mandats à vie, lesquels représentent en effet un cadenas. Il faut évoluer, de même qu’il convient de renouveler les conseils d’administration dont la permanence m’a surprise : ce sont toujours les mêmes personnes qui sont désignées, allant d’un conseil d’administration à l’autre.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Exactement. Ce phénomène est un pilier de l’entre-soi.

Mme Rachida Dati, ministre. Absolument. Une personne nommée, a fortiori à vie, trouvera toujours des circonstances atténuantes à celui qui l’a aidé à obtenir sa situation.

Lors de ma première rencontre avec les organisations syndicales du ministère, une responsable de Sud, qui lutte contre les inégalités et les discriminations, m’a dit que j’étais la seule à représenter la diversité dans les réunions. Il conviendrait d’affaiblir la reproduction sociale de la catégorie au pouvoir. Regardez les processus de nomination au ministère de la culture, notamment dans les conseils d’administration des établissements publics.

Mme Sarah Legrain (LFI-NFP). La conciliation entre une profession artistique et la vie familiale est un sujet important pour les femmes.

Médine dit dans l’une de ses chansons « C’est jamais pour nos frères qu’on sépare l’œuvre de l’homme. Allez-vous traiter MHD comme vous avez traité Cantat ? » Ces paroles font écho aux propos que vous venez de tenir. Nous avons tenté, dans cette commission d’enquête, de nous pencher sur le croisement des discriminations, car nous avons rencontré les violences sexistes et sexuelles bien sûr, mais également les violences racistes. Regardez le traitement réservé à Aya Nakamura à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ou celui infligé à Ebony : les femmes subissent des discriminations de plusieurs natures. Comment articuler la politique menée au ministère de la culture en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes avec la lutte contre les discriminations et pour la diversité ?

Quand il s’agit de Depardieu, de Poivre d’Arvor, de Morandini ou d’Arthur, on sépare l’homme de l’artiste ou du journaliste, mais quand une personne est issue des classes populaires ou est identifiée comme musulmane ou arabe, la suspicion se propage bien plus facilement – vous avez d’ailleurs participé à ce mouvement la semaine dernière à l’encontre de Merwane Benlazar.

Une évolution s’est produite ces dernières années dans la prise de conscience des VSS. Une affaire, qui date de quelques années, a défrayé la chronique dans votre ministère : un fonctionnaire a administré pendant dix ans des diurétiques à plus de 250 femmes qu’il recevait pour un entretien d’embauche. La justice a été rendue, mais comment le ministère peut revenir sur ce cas pour mettre à jour les responsabilités de chacun ? Je ne cherche pas à poursuivre des gens, mais il faut savoir pourquoi aucune alerte n’a été lancée. Je me plais à croire qu’une telle chose ne serait plus possible aujourd’hui : partagez-vous ce sentiment ? Tout n’est pas réglé, mais les défaillances de l’époque ne pourraient plus se produire : il me semble que les victimes ont besoin d’entendre ce message d’optimisme.

Mme Rachida Dati, ministre. Il faudrait créer une commission d’enquête sur les sujets que vous venez d’évoquer, car ils dépassent largement le champ de la culture.

Certaines personnes collent à d’autres un déterminisme à vie en fonction de leur catégorie sociale. Quand j’ai rencontré Sandrine Rousseau, nous étions toutes les deux piétinées et on disait que nous en rajoutions. Je n’ai aucune collusion avec les journalistes – je peux même parfois être trop directe ou réagir avec un excès de véhémence – et je sais quels articles ils écrivaient sur Christine Lagarde, Michèle Alliot-Marie ou Nathalie Kosciusko-Morizet et ceux qu’ils publiaient sur moi. En ce qui me concerne, ils faisaient état de détails très précis. Au bout d’un moment, je pensais avoir fait mes preuves – je n’ai d’ailleurs jamais été prise en défaut sur le fond des dossiers –, mais la compétence compte peu par rapport à la remise en cause permanente de la légitimité, question qui renvoie à celle des discriminations, donc aux inégalités. J’ai découvert encore récemment que certains journalistes avaient demandé à des confrères, dans le cadre de la préparation d’un documentaire, de rencontrer l’un de mes frères et l’un de mes cousins qui connaissent des difficultés pour leur proposer de l’argent en échange de témoignages à charge contre moi. Ces pratiques sont-elles utilisées contre quelqu’un d’autre ? Est-ce normal que je doive batailler pour que ma fille ne soit pas ennuyée et ne soit pas l’objet d’investigations sur ses fréquentations ? Est-ce normal que des journalistes se rendent au Maroc ou en Algérie pour enquêter sur ma « vraie vie » ? Au bout d’un moment, je me suis dit que j’allais créer une légende !

Ce que vous dénoncez est valable pour les femmes politiques et pour une certaine catégorie de la population. La différence de traitement entre MHD et Bertrand Cantat est réelle, en revanche, nous avons été nombreux, au sujet des affaires de Patrick Poivre d’Arvor, à dire qu’un crime était un crime. Certains mettent en avant le contexte des faits, pourtant le viol et l’agression sexuelle étaient pénalement réprimés dans les années 1980. La justice aurait pu se saisir de ces crimes, car ceux-ci étaient connus, du moins de ceux qui détenaient le pouvoir. Je continuerai à mener ce combat, même si celui-ci cause des dégâts collatéraux pour les proches : cette lutte n’est pas encore gagnée malgré l’ensemble des dispositifs déployés.

L’honorabilité et la réhabilitation sont liées : une personne définitivement condamnée et ayant purgé sa peine a-t-elle le droit de reprendre son métier ? Dans le domaine culturel et du spectacle, Christopher Miles m’a convaincue qu’un artiste – ce milieu passant son temps à donner des leçons du matin au soir, y compris sur l’exemplarité – devait renoncer à reprendre l’activité qui l’a exposé et l’a rendu connu mais qui a également constitué l’arme par destination de la commission d’actes délictueux. Ce débat est important. Je suis ouverte à toutes les positions et n’ai pas d’avis totalement tranché, mais je vous rejoins sur l’attention portée au déterminisme des conditions sociales et aux discriminations – très peu de personnes s’intéressent au sujet.

Je vois ici Raphaël Arnault qui hier, à l’occasion de la question au gouvernement d’une de ses collègues, m’a ramenée à des thèmes différents. Il y a en effet des choses que l’on ne pardonnera jamais à certaines personnes quoi qu’elles fassent. Certains ont pris le prétexte d’une chronique d’un humoriste pour lâcher ce qu’ils avaient au fond d’eux-mêmes : c’est contre cela qu’il faut lutter. Pour ce faire, il faut défendre l’État de droit, auquel je crois. Il est certes imparfait et on peut parfois avoir l’impression de vivre dans une république bananière, mais notre engagement politique sert à rappeler les principes pour lesquels nous nous battons, au gouvernement ou ailleurs. Nous devons mener ensemble ces combats, car nos positions sont contestées.

S’agissant de la situation particulière de l’agent du ministère de la culture, les victimes ne travaillaient pas au ministère, ce fonctionnaire se servant de son poste pour les recevoir. J’ai décidé qu’elles seraient prises en charge et indemnisées.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. À la tête du ministère de la culture, vous pouvez changer les choses. Puisque vous avez conscience des discriminations de classe, de race et du sexisme, vous pouvez lutter contre l’entre-soi et ébranler les positions de pouvoir. Je ne doute pas que M. le rapporteur vous interroge à ce propos.

M. Erwan Balanant, rapporteur. La question de l’origine est particulièrement importante dans le monde de la culture et elle recouvre même l’extraction provinciale : le monde de la culture étant assez parisien, il n’est pas toujours aisé d’y entrer lorsque l’on ne vient pas de la capitale.

Nous avons rencontré les équipes de l’école Rognoni, située dans le cinquième arrondissement de Paris. À moyens constants, cette école, unique en France, permet à des enfants de réussir leur parcours scolaire et de cultiver leurs talents dans les domaines artistique ou sportif. Ne pourrait-on pas implanter ce type de collège partout dans le pays ?

De l’avis des personnes que nous avons auditionnées – jeunes acteurs et actrices comme comédiennes très installées, techniciens et techniciennes –, dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, le sexisme est massivement présent et les règles élémentaires du droit du travail comme le cadre juridique relatif aux VSS sont méconnus. Cela peut aller jusqu’à la mise en danger au motif de faire une bonne image. Ne faudrait-il pas prévoir des modules consacrés au droit du travail et au droit en général dans toutes les écoles publiques d’art ? Un rappel des règles semble aussi s’imposer au sein des formations qui commencent à s’organiser sur les lieux de tournage.

Des comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) ont été installés pour le cinéma et pour l’audiovisuel. Convient-il de les renforcer ? Vous paraît-il nécessaire d’en constituer pour les secteurs du spectacle vivant et de la musique ?

Les inspecteurs du travail ont du mal à contrôler les conditions de travail pendant les tournages car, bien souvent, ils ignorent où ils ont lieu. Que pensez-vous d’un registre dans lequel seraient obligatoirement indiqués les lieux et les horaires et notifiés les éventuels changements ?

Mme Rachida Dati, ministre. Je suis favorable à des CCHSCT de branche comme à des registres de lieux de tournage, sujet sur lequel travaille le CNC.

Quant aux écoles nationales de formation aux métiers artistiques, elles sont en effet très peu nombreuses. Je cherche à ouvrir l’accès aux écoles nationales d’architecture, marquées par une forte reproduction sociale – l’existence d’un concours n’implique nullement que tout le monde ait la possibilité de le présenter. Nous nous attachons à doubler le nombre des classes préparatoires publiques aux écoles d’art car les prépas existantes sont avant tout privées et très onéreuses. Nous nous appuyons aussi sur les écoles qui n’exigent pas de conditions de diplôme, et là je dois préciser que cela ne signifie en rien que les gens qui y postulent n’ont rien fait. Nous constatons que des personnes très qualifiées ne peuvent accéder à certains métiers ou certains secteurs. Les artistes que je reçois, qu’ils commencent leur carrière ou qu’ils soient confirmés, me disent d’ailleurs tous que les structures de décision et de pouvoir sont très fermées. Je peux vous dire que La CinéFabrique, école nationale supérieure de cinéma, implantée à Marseille et à Lyon, permet à tous ses élèves, de profils très divers, de trouver un emploi. Quant à l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, la Fémis, le contrat d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) qu’elle vient de signer avec le ministère comporte un volet consacré à la démocratisation de son recrutement, objectif que je tiens à inscrire de manière générale dans toutes les formations.

La direction générale de la formation et de l’enseignement, qui devrait être opérationnelle avant l’été au sein du ministère, pourrait constituer un lieu ressources pour la formation au droit du travail.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nadège Beausson-Diagne, lors de son audition dont je vous invite à prendre connaissance du compte rendu tant elle était forte, a préconisé des quotas pour assurer la diversité. Opposer l’argument de l’interdiction des statistiques ethniques serait selon elle d’une grande violence : point n’est besoin de tels éléments pour constater qu’il y a une prédominance blanche. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Mme Rachida Dati, ministre. Je connais bien Nadège Beausson-Diagne avec laquelle j’échange sur ces questions depuis très longtemps, ce qui montre bien l’absence d’avancées. Je suis surtout favorable à la prise en compte des critères sociaux, raison pour laquelle j’encourage l’ouverture à la diversité des conditions sociales d’origine et des parcours dans les formations. Certes, les métiers de la culture sont des métiers d’apparence. France Télévisions a commencé à se saisir de cet enjeu dans sa programmation – on avait d’ailleurs reproché à Mme Ernotte sa phrase sur les « hommes blancs de plus de 50 ans ». Si on choisit le critère de la couleur de la peau, qu’en faire ? Blanc, noir : dans quelle catégorie me met-on, par exemple ? Reste qu’il est important pour prendre la mesure du manque de diversité. Cela se vérifie au sein même du ministère de la culture, qui est parmi les plus fermés, contrairement à ce que je pensais, la culture paraissant synonyme d’ouverture, de refus des préjugés et de la discrimination. Un même constat peut être fait à l’Opéra de Paris dont l’orchestre est caractérisé par une forte reproduction sociale, liée aux spécificités du métier.

Je ne sors pas mon joker, je vous dis seulement que sur certains sujets, il m’arrive le lundi de pencher pour telle solution parce que j’ai vu des choses scandaleuses et le mardi, de me demander si elle peut vraiment fonctionner.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Comptez-vous diligenter une étude sur cette question ?

Mme Rachida Dati, ministre. Quel critère retiendriez-vous ?

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Il s’agirait de prendre en compte la diversité de manière générale. Quand l’académie des César a fait l’objet d’accusations après l’attribution du César du meilleur réalisateur à Roman Polanski, elle a procédé à une refonte de sa composition pour s’ouvrir à une plus grande diversité de profils. Quand on veut, on peut.

Mme Rachida Dati, ministre. Je veille à la diversité dans toutes les nominations et renouvellements qui me reviennent. Je fais plus attention d’ailleurs que lors des premiers mois où j’avais tendance à signer rapidement les documents. Je prends mon temps désormais : je demande des précisions sur la manière dont la sélection a été opérée et sur les parcours des candidats. Il importe d’assurer la plus grande transparence possible. C’est ainsi que la nomination à la présidence du CNC a donné lieu à des auditions préalables devant une commission auxquelles chacun pouvait se présenter.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Pour le CNC, on peut tout de même trouver quelque contradiction à ce que ce soit la candidature de votre directeur de cabinet qui ait été retenue.

Mme Rachida Dati, ministre. Je suis très à l’aise pour vous répondre sur ce point. Je n’ai pas à entraver les ambitions des uns et des autres. Gaëtan Bruel est jeune et avait les qualités pour prétendre à ces fonctions ; quand il m’a fait part de son intention de postuler, il m’a bien précisé qu’il souhaitait passer l’audition. Cela a été fait en toute transparence : les auditions ont eu lieu devant la commission que j’évoquais et je ne me suis même pas mêlée de sa composition. Je ne voudrais pas qu’on me reproche ce que je reproche aux autres. Il est vrai que très peu de femmes ont postulé, ce qui correspond à un phénomène général pour les postes à responsabilité.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Certaines universités, en Suisse notamment, ne procèdent aux nominations que si la parité est atteinte parmi les candidats.

Mme Rachida Dati, ministre. Lorsque j’étais garde des Sceaux, je m’étais inquiétée du fait que les postes à responsabilité dans la magistrature, majoritairement féminine, étaient occupés par des hommes : parmi les procureurs généraux et les premiers présidents, il n’y avait que 2,5 % de femmes. J’avais donc demandé au directeur des services judiciaires de me proposer des profils de femmes. Qu’ai-je alors constaté ? On me faisait remarquer qu’il n’y avait aucun risque à nommer telle femme car elle était à six mois de la retraite ou alors on me présentait des profils par défaut en soulignant qu’il fallait procéder rapidement à la nomination. Je n’ai pris aucune décision tant que la parité n’était pas atteinte. Vous pouvez observer les résultats de cette politique : les femmes qui occupent aujourd’hui de hautes responsabilités dans la magistrature ont été nommées à cette époque.

J’ai également créé une classe préparatoire intégrée à l’École nationale de la magistrature, ce qui a contribué à réduire les inégalités sociales en son sein – rappelons que ses promotions ne comptaient que 5 % d’enfants d’ouvriers.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Une autre solution consiste à nommer en alternance un homme et une femme.

Mme Rachida Dati, ministre. Doit-on figer une telle règle ? Nous savons que les décisions dépendront toujours de la volonté de la personne qui nomme.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Venons-en aux scènes d’intimité. Que pensez-vous de la proposition de rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité si l’un des comédiens le souhaite ?

Faut-il exiger qu’il y ait davantage de précisions dans le contrat sur ce qui va être demandé à l’acteur ou à l’actrice pour éviter toute mauvaise surprise ? Les scénarios se contentent parfois de mentions vagues comme « ils font l’amour ». Cette question se pose aussi pour le spectacle vivant. Rappelons-nous ce qui s’est passé lors des représentations de l’opéra L’Inondation à Rennes : la soprano a profondément souffert de l’absence de coordination des scènes d’intimité et le baryton, son partenaire sur scène, a ensuite arrêté sa carrière, double gâchis dramatique.

Enfin, je vous soumettrai une proposition qui agacera sans doute profondément les réalisateurs et les producteurs : pensez-vous que les comédiens devraient avoir la possibilité de valider les images montrant leurs parties intimes ?

Mme Rachida Dati, ministre. La présence de coordinateurs d’intimité s’est généralisée et c’est une bonne chose. Pour les scènes de nudité, j’estime que les personnes filmées doivent pouvoir donner leur avis avant même l’étape du montage. La question est de savoir si le CNC doit émettre des recommandations à ce sujet.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Je termine mes questions par les assurances. Sur les tournages, nous savons que les personnes concernées éprouvent des réticences à dénoncer certains faits de crainte de casser le film. La clause d’assurance permettant d’indemniser jusqu’à 500 000 euros l’interruption de cinq jours de tournage en cas de survenue de VSS n’est proposée que par quelques compagnies d’assurances. Doit-on aller plus loin en travaillant avec les assureurs, notamment en la rendant obligatoire ? Ne pourrait-on imaginer que les frais liés à cette clause soient intégrés parmi les dépenses que les sociétés de production sont autorisées à déduire de leur imposition au titre du crédit d’impôt audiovisuel ?

Mme Rachida Dati, ministre. Cette clause instaurée en 2021 n’a encore jamais été utilisée. Est-ce parce que le besoin ne s’en est pas fait sentir ou parce qu’elle est inadaptée ? Toujours est-il que je suis favorable à ce qu’un travail soit engagé avec les assureurs pour la revoir.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vous remercie, madame la ministre, pour toutes vos réponses. Nous vous poserons éventuellement par écrit des questions complémentaires.

Mme Rachida Dati, ministre. Il s’agit d’un enjeu structurant de notre société et je me tiens à votre disposition pour préciser certaines choses et même pour aller plus loin en travaillant sur certains dispositifs. Vous avez peut-être aussi des suggestions à nous soumettre s’agissant de la future direction générale de la formation et de l’enseignement, notamment de ses missions. Le chantier est vaste, il n’y avait même pas de cartographie des écoles de formation artistique lorsque je suis arrivée au ministère.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Sachez, madame la ministre, que nous avons bien entendu les réponses favorables que vous avez apportées à nos propositions. D’autres suivront dans le rapport, dont la publication est prévue pour avril, et nous comptons sur votre soutien en vue de l’adoption d’une loi-cadre.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures dix.

 

 


Membres présents ou excusés

 

Présents. – M. Raphaël Arnault, M. Erwan Balanant, Mme Sarah Legrain, Mme Sandrine Rousseau