Compte rendu
Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France
– Table ronde, ouverte à la presse, consacrée aux enjeux de la filière automobile, réunissant :
• M. Nicolas Le Bigot, directeur général de la Plateforme automobile (PFA)
• M. Xavier Horent, délégué général de Mobilians et Mme Dorothée Dayraut Jullian, directrice des affaires publiques et de la communication 2
– Présences en réunion................................25
Mercredi
7 mai 2025
Séance de 15 heures
Compte rendu n° 37
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission
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La séance est ouverte à quinze heures.
M. le président Charles Rodwell. Nous accueillons cet après-midi M. Nicolas Le Bigot, directeur général de la Plateforme automobile (PFA), M. Xavier Horent, délégué général de Mobilians et Mme Dorothée Dayraut Jullian, directrice des affaires publiques et de la communication de Mobilians.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à déclarer tout intérêt public ou privé susceptible d’éclairer vos déclarations. Je vous rappelle de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Nicolas Le Bigot, M. Xavier Horent et Mme Dorothée Dayraut Jullian prêtent serment.)
M. Nicolas Le Bigot, directeur général de la Plateforme automobile (PFA). La Plateforme automobile (PFA), que je représente, fédère l’ensemble des acteurs de la filière automobile en France, soit environ 4 000 entreprises pour 350 000 emplois, incluant les grands groupes, les PME, les constructeurs et les équipementiers. Notre mission consiste à élaborer une feuille de route pour l’innovation, la compétitivité et l’emploi dans la filière, ainsi qu’à porter la voix des positions communes du secteur.
Mon intervention, qui s’inscrira dans la continuité de celle des nombreux acteurs de la filière que vous avez déjà entendus, s’articulera autour de deux axes : une analyse de la situation actuelle de la filière automobile et des propositions pour l’avenir. Je commencerai par citer Luc Chatel, président de la PFA et du comité stratégique de la filière automobile, qui a récemment déclaré : « La disparition de l’industrie automobile européenne ne relève désormais plus de la simple hypothèse. Le processus est engagé, il est en cours, le feu a pris et nous regardons ailleurs ».
Nous sommes en effet engagés dans une mutation historique vers le véhicule électrique, tout en affrontant une crise profonde qui affecte durablement le secteur. Le marché automobile français a en effet perdu, au cours des cinq dernières années, l’équivalent d’une année entière d’immatriculations, avec un volume réduit à environ 1,7 million de véhicules, soit une baisse de 20 % par rapport à la moyenne observée avant la crise sanitaire. Cette situation s’est encore détériorée sous l’effet conjugué de la crise d’approvisionnement en semi-conducteurs et du conflit en Ukraine, qui ont provoqué une flambée des prix des matières premières et, par conséquent, une hausse significative du coût des véhicules, soulevant des questions sur leur accessibilité.
La filière automobile, particulièrement les PME et les ETI, repose sur des volumes de production élevés pour compenser de faibles marges. La baisse globale du marché fragilise donc considérablement leur situation économique, d’autant que nombre d’entre elles remboursent encore les prêts garantis par l’État (PGE) contractés durant la crise sanitaire.
Malgré ces défis, dans le cadre du premier contrat de filière signé en 2018, le secteur de l’automobile s’est engagé dans la décarbonation, se positionnant ainsi comme un acteur clé dans la lutte contre le changement climatique. Les constructeurs européens, notamment français, ont massivement investi dans le développement de nouveaux modèles 100 % électriques. En cinq ans, la part de marché des véhicules électriques a été multipliée par dix, atteignant 17 % en 2023, avec plus de 100 milliards d’euros investis dans la chaîne de valeur des véhicules électriques en Europe.
Notre nouveau contrat de filière, signé en 2024, vise une part de marché de plus de 50 % pour les véhicules électriques d’ici 2030, un objectif ambitieux compte tenu des défis actuels. Aussi, bien que les constructeurs aient considérablement élargi leur offre de véhicules électriques, les difficultés du marché et la baisse des ventes rendent la transformation complexe. Cela est d’autant plus vrai qu’elle s’opère sous la contrainte réglementaire européenne davantage qu’en réponse à une dynamique spontanée de la demande.
L’Europe a opté pour la technologie tout-électrique et les constructeurs ont répondu présents. Cependant, cette technologie coûte environ 50 % plus cher qu’un moteur essence, ce qui pose des questions d’accessibilité pour le grand public. Pour la première fois depuis cinq ans, nous constatons une baisse des ventes de véhicules électriques, avec une diminution de 6 % en moyenne en Europe, 27 % en Allemagne consécutivement à la suppression des aides à l’achat et 18 % en France sur les six derniers mois.
Le ralentissement actuel du marché pose un double problème. D’une part, il compromet les investissements engagés par les entreprises de la filière automobile depuis 2018 pour répondre aux exigences de la transition énergétique. Les volumes attendus ne sont pas au rendez-vous, ce qui exerce une pression considérable sur l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. D’autre part, il soulève un défi réglementaire majeur. En effet, la trajectoire européenne vers le 100 % électrique à l’horizon 2035 impose un objectif intermédiaire de 22 % de ventes de véhicules électriques en 2025, accompagné d’une réduction des émissions de CO2 de 15 %. Or à ce jour, la part de marché des véhicules électriques plafonne autour de 15 % en Europe. Dans un marché en repli, l’atteinte de ces objectifs devient donc un défi considérable.
Nous avons sans doute commis l’erreur d’oublier le consommateur, alors que c’est lui qui détermine la réalité du marché et impulse les dynamiques de vente. On ne peut décréter un basculement technologique et industriel de cette ampleur par la seule contrainte réglementaire. Cette année est un moment de vérité car, pour tenir les objectifs européens, les véhicules 100 % électriques devraient représenter 22 % des ventes sur le marché européen. Or cette part n’est que de 13,5 % en 2024 et ne dépasse pas 15 % au début de 2025.
Dans ce contexte, nous assistons à une multiplication inédite d’annonces de restructurations et de fermetures d’usines à travers l’Europe tout au long de l’année 2024. L’Allemagne est la plus touchée mais la France n’est pas épargnée. Cela doit être perçu comme un signal d’alerte. Sur le seul premier semestre 2024, environ 32 000 suppressions de postes ont été enregistrées chez les équipementiers européens. Depuis 2019, ce sont près de 38 000 emplois industriels qui ont été perdus, au cœur même de notre tissu productif régional.
Dans le même temps, la Chine s’est imposée comme premier producteur mondial de véhicules depuis 2020 et premier exportateur depuis 2022. Les importations chinoises représentent aujourd’hui un quart du marché européen des véhicules électriques. La Chine contrôle également environ 75 % de la chaîne de valeur de la production des batteries, ce qui lui confère un avantage stratégique déterminant.
Il est désormais impératif que l’Europe se donne les moyens de rivaliser avec cette puissance industrielle. Bien que le véhicule électrique, dont les atouts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont incontestables, constitue un levier central de notre stratégie climatique, ce virage technologique place les acteurs chinois dans une situation avantageuse.
Nous alertons sur cette situation depuis des années. Mario Draghi, dans son rapport récent, a d’ailleurs souligné l’urgence en rappelant que le secteur automobile illustre parfaitement le manque de planification à l’échelle européenne, avec une politique climatique engagée sans politique industrielle. C’est précisément sur ce point que nous avons centré nos discussions avec la Commission européenne, en amont de la publication du plan stratégique pour la filière automobile.
Face à cette situation, l’urgence est d’abord d’éviter que les constructeurs soient sanctionnés en 2025 pour des objectifs qu’ils ne pourraient atteindre, malgré des investissements massifs dans l’électrique. Une solution consisterait à introduire davantage de flexibilité dans la réglementation sur les émissions de CO2, en lissant les objectifs 2025 sur les années 2025 à 2027, afin de lisser l’effort demandé.
La deuxième priorité est de réduire les écarts de compétitivité, qui pèsent lourdement sur notre industrie, estimés aujourd’hui à environ 25 % par rapport à la Chine. Il s’agit notamment de garantir un coût de l’énergie compétitif et décarboné, mais également de soutenir à la fois l’investissement et la production elle-même pour faire face à la concurrence des acteurs chinois. Je pense en particulier à la production de batteries et à l’implantation de gigafactories ou méga usines en Europe.
Sur ce point, les arbitrages contenus dans le budget 2025 ne sont pas à la hauteur des enjeux et les dispositions votées dans les dernières lois de finances ne vont pas dans le bon sens. Les malus ont doublé tandis que les bonus alloués à l’achat de véhicules électriques ont été divisés par deux. Il faut éviter d’ajouter une crise à la crise.
Nous sommes favorables à ce mécanisme de bonus-malus, à condition qu’il conserve sa vocation initiale, qui est celle d’une fiscalité incitative et comportementale. Aujourd’hui, ce dispositif est détourné de son objectif puisqu’il s’apparente de plus en plus à un impôt déguisé, une fiscalité de rendement, touchant désormais les véhicules essence les plus abordables, qui constituent pourtant une solution concrète au renouvellement et au verdissement du parc automobile pour réduire ses émissions. Il s’agit d’un un levier essentiel que nous devrions préserver.
Nous constatons également un problème de cohérence. Nous avons été encouragés à investir massivement dans le développement de l’électrique, et nous l’avons fait. Des usines ont été implantées dans le nord de la France, aussi bien chez Renault que chez Stellantis. Pourtant, aujourd’hui, certains véhicules électriques se retrouvent à leur tour soumis au malus. Cette contradiction brouille totalement le message adressé aux consommateurs, d’autant que le dispositif a été modifié à quinze reprises en cinq ans, ce qui crée une instabilité préjudiciable à la lisibilité de la politique publique.
C’est dans ce contexte que le nouveau contrat de filière fixe des objectifs ambitieux à l’horizon 2025, notamment celui de multiplier par quatre les ventes de véhicules électriques. Mais, sans un soutien clair à l’achat et sans un accompagnement cohérent, il est à craindre que ces objectifs ne puissent être atteints.
M. Xavier Horent, délégué général de Mobilians. L’automobile compte parmi les secteurs les plus emblématiques au regard de l’objet de votre commission, tant au niveau national qu’européen. Mobilians, que je représente, est le partenaire économique et social de la PFA pour la négociation de nombreux enjeux structurants. Nous avons contribué de manière active à la rédaction des précédents contrats de filière automobile, dans des contextes particulièrement mouvants. Mais nous représentons surtout le pivot d’une branche professionnelle forte d’environ 200 000 entreprises et représentant quelque 600 000 emplois. À ce titre, Mobilians est, en nombre d’emplois, le premier employeur du secteur automobile en France. Il serait néanmoins préférable que les constructeurs, les industriels et les équipementiers soient bien plus nombreux que les acteurs du commerce et des services que je représente, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Les volumes se sont progressivement inversés au cours des quinze à vingt dernières années, avec une baisse continue côté industrie, tandis que les métiers du commerce et des services se sont stabilisés, voire développés. Si cette évolution est une bonne nouvelle du point de vue de l’emploi dans les territoires, elle l’est beaucoup moins pour la création de valeur ajoutée en France et le maintien d’emplois qualifiés dans l’industrie automobile.
En observant les deux dernières décennies, le constat d’une situation profondément inquiétante s’impose immédiatement. La France décroche sur quasiment tous les indicateurs, qu’il s’agisse de la balance commerciale, de la valeur ajoutée ou du nombre d’emplois industriels qualifiés. Cette pente risque encore de s’accentuer du fait du contexte géopolitique, économique et social actuel. Je souhaite donc profiter de cette audition pour exprimer une inquiétude profonde et partagée par l’ensemble des acteurs que je représente. Je me réjouis que l’Assemblée nationale se soit saisie de ce sujet fondamental. De nombreuses auditions ont déjà eu lieu, des rapports ont été publiés, tant en France qu’en Europe, et l’intérêt du public est manifeste. Cela montre que vos travaux trouvent un écho réel dans l’opinion, comme chez les acteurs économiques.
Pourtant, la question de la méthode me semble trop souvent négligée lorsque nous évoquons la réindustrialisation du pays. D’autres partenaires ou concurrents se sont attelés à la planification, parfois brillamment, à l’image de la Chine de la Corée ou du Japon. L’absence de politique industrielle française est souvent pointée du doigt, à juste titre, même si certaines critiques paraissent excessives. Toutefois, cette focalisation sur la stratégie nationale occulte, selon moi, la méthode avec laquelle nous abordons cette problématique profonde et complexe.
Nous observons régulièrement des problématiques de management et de pilotage des projets, alors que nous sommes engagés dans une transformation historique par son intensité, son ampleur et sa rapidité, dans un contexte politique et économique instable au niveau national, incertain au niveau européen et fragilisé par les tensions géopolitiques internationales.
Face à une telle situation, il est impératif de mettre en place une méthode à la hauteur des enjeux, de faire converger les perceptions, d’aligner les diagnostics, afin d’élaborer une stratégie industrielle robuste, crédible, cohérente et durable. Je pense aujourd’hui que nous ne sommes pas au niveau, ni en France, ni à l’échelle européenne, par rapport à ces enjeux.
Les travaux sur la réindustrialisation sont très largement documentés et vous disposez déjà de données, d’analyses et de critiques. De nombreux industriels ont formulé des constats et des propositions solides. Pour ma part, en tant que directeur général et citoyen, je me demande pourquoi, alors que le diagnostic est partagé, nous n’arrivons pas à faire correspondre le fonctionnement et les moyens ou process aux enjeux unanimement identifiés.
Mobilians représente l’ensemble de la filière, de la distribution des véhicules industriels à celle des deux-roues, en passant par toutes les formes de mobilité individuelle ou partagée. Nous regroupons à la fois des start-ups et de très grandes ETI, avec un chiffre d’affaires de plusieurs milliards d’euros. Nous avons su structurer un écosystème professionnel cohérent, aujourd’hui confronté à la difficulté grandissante d’expliquer aux chefs d’entreprises les incohérences des décisions publiques. Je me retrouve régulièrement en porte-à-faux face à eux, sans pouvoir leur fournir d’explication rationnelle. Cette situation engendre un climat de tension croissante, que je perçois très nettement sur le terrain. La colère monte, en particulier autour des sujets de mobilité. Même des sujets apparemment secondaires, comme celui des cartes grises, deviennent des signaux négatifs envoyés à l’ensemble de l’écosystème, y compris aux potentiels investisseurs étrangers. Cette instabilité est généralisée dans le secteur.
Nous avons tous en tête l’échéance de 2035 et ses conséquences. Plus elle se rapproche et plus la confusion grandit, chez les consommateurs comme chez les entreprises, les acteurs économiques et les partenaires sociaux. Alors que nous devrions tendre vers une clarification progressive des stratégies, les messages deviennent au contraire de plus en plus contradictoires. Cette instabilité génère une désorientation légitime et explique, de manière rationnelle, l’effondrement actuel du marché automobile, déjà totalement déréglé depuis la crise du Covid.
L’analyse devient d’autant plus difficile que les dispositifs publics se sont succédés, superposés ou contredits depuis 2020. Il faut aujourd’hui être expert pour lire correctement les tendances du marché. La complexité est telle que même les professionnels peinent à se retrouver sur les montants des bonus, des malus, les conditions d’éligibilité ou les critères actualisés.
Ce sentiment de perplexité est largement partagé et je crains que nous ne soyons au bord d’une rupture entre les acteurs économiques de la filière automobile et les autorités publiques, qu’elles soient locales, nationales ou européennes. Cette fracture, qui révèle des fragilités structurelles qui deviennent récurrentes dans notre pays, serait grave si elle venait à se confirmer.
Je termine en précisant que certains thèmes de votre questionnaire nécessiteront une analyse approfondie, que nous pourrons vous fournir par écrit, aussi bien au nom de Mobilians que de la PFA. En tant que directeur général et citoyen, je formule le vœu que vos travaux permettent d’aborder la transformation de la filière automobile avec une approche radicalement différente.
M. le président Charles Rodwell. Je commencerai par une série de questions concernant l’état politique et économique que vous avez décrit. Concernant le véhicule électrique, sa chaîne d’approvisionnement et d’assemblage, ainsi que ses composants, quel est le nombre d’années d’avance de la Chine par rapport à l’Europe ? Considérez-vous que les mesures prises par la Commission européenne pour sanctionner la concurrence déloyale des véhicules chinois étaient adaptées ? Comment jugez-vous les hésitations actuelles de la Commission européenne quant à la poursuite de ces sanctions ? Plus spécifiquement, quelle est votre analyse de l’investissement d’entreprises telles que Stellantis dans des groupes tels que Leapmotor, au regard de la pénétration du marché européen par des véhicules chinois détenus par les propres constructeurs français ?
M. Xavier Horent. Votre question me permet d’évoquer une initiative récente. Nous avons organisé, sous l’égide de Jean-Pierre Raffarin et en collaboration avec la PFA, une délégation de chefs d’entreprise pour visiter le salon automobile de Shanghai. Cette démarche, que nous avions déjà entreprise l’année dernière à Pékin, vise à affirmer une présence française déterminée, à l’instar de nos partenaires allemands, sur ces marchés incontournables. La Chine étant aujourd’hui le premier producteur, exportateur et consommateur d’automobiles au monde, nous ne pouvons pas travailler dans l’automobile ou réfléchir à son évolution en passant à côté des réalités du marché chinois et d’une incontestable politique industrielle extraordinairement bien préparée, pensée, planifiée et exécutée.
Notre délégation, forte de 125 participants, incluait des personnalités éminentes telles que le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, M. Bruno Fuchs, l’ancienne ministre des transports Mme Anne-Marie Idrac, en charge des véhicules autonomes, et l’ancien ministre des transports M. François Durovray. J’ai toutefois regretté l’absence, deux années de suite, de hauts fonctionnaires ou de directeurs d’administration centrale, dont la participation a été refusée pour des raisons déontologiques. Cette situation est dommageable car leur présence aurait permis de gagner un temps précieux dans la compréhension des enjeux.
Les participants ont été unanimement frappés par la qualité de ce qu’ils ont pu observer sur place, la compétitivité atteinte par la Chine en si peu de temps étant véritablement impressionnante. En cinq ans, la part des marques chinoises sur leur marché domestique est passée de 30 à 70 %. Les véhicules nouvelles énergies, incluant les hybrides, représentent désormais plus de la moitié du marché et cette part devrait dépasser les 75 % bien avant 2030.
Je regrette donc un certain repli de nos élites en charge des dossiers, car ces voyages ont précisément pour but de nourrir la réflexion sur nos politiques publiques, de comprendre ce qui fonctionne ailleurs et d’analyser comment l’industrie chinoise est devenue si efficace sur sa maîtrise de l’ensemble des chaînes de valeur.
Pour prendre un exemple concret, Mme Idrac a pu, sur place, expérimenter les véhicules autonomes proposés par des start-ups telle que Pony.ai à Shanghai, qui cumulent déjà près de cent millions de kilomètres parcourus sans aucun accident. Le drame très médiatisé impliquant un modèle de Xiaomi ne doit pas occulter l’accélération technologique phénoménale observée en Chine et en Californie. Les véhicules de catégories L2, L2+ et bientôt L3 deviendront majoritaires après 2030. Dans ce contexte, ni la question du mix énergétique ni celle des infrastructures de recharge ne sont plus centrales et sont déjà considérées comme acquises.
Il me semblerait donc particulièrement utile que la représentation nationale prenne l’initiative d’un déplacement en Chine sur ces sujets. Nous serions heureux, avec la PFA, d’apporter notre appui à une telle mission. Je ne remets pas en cause les intentions de nos grandes administrations centrales mais je plaide pour que, dans l’intérêt général du pays, les déontologues des ministères autorisent ce type de déplacements. Cela me paraît vital pour renouveler nos méthodes de travail, changer de regard, apprendre, comprendre et reconnaître les qualités de nos concurrents.
Des constructeurs comme Stellantis se sont effectivement associés à Leapmotor, un acteur désormais majeur du marché chinois, dont les modèles seront réimportés et distribués en France. Leurs atouts en matière de tarifs et donc de compétitivité sont incontestables.
Pour conclure, ce type de déplacement ne représente pas une perte de temps mais un investissement public qui permet d’éclairer les choix stratégiques de notre pays. Il permet de renforcer nos liens avec les autorités locales chinoises, comme le font déjà d’autres États européens. Nos partenaires allemands, par exemple, ont rappelé que la France était à l’origine de la hausse des droits de douane, une manière habile d’empêcher certains industriels chinois d’investir sur notre sol.
Aujourd’hui, la France ne figure donc plus parmi les destinations privilégiées pour l’implantation de constructeurs chinois, alors que d’autres pays européens, comme la Turquie, la Hongrie ou la Pologne, ont déjà ouvert leurs ports et leur territoire à des constructeurs tels que BYD. Ce sujet nous ramène à la question centrale de votre commission, qui est celle de la réindustrialisation de la France. La réponse est complexe mais elle suppose une condition préalable incontournable qui est notre attractivité à l’égard de nos partenaires commerciaux et industriels.
M. le président Charles Rodwell. Nous souhaiterions ensuite que vous nous précisiez, l’un et l’autre, votre avis sur les mesures prises par la Commission européenne. Votre analyse des actions menées au cours de la dernière année et demie, ainsi que des hésitations actuelles que nous observons nous sera particulièrement utile.
M. Nicolas Le Bigot. Je souscris entièrement à l’analyse concernant la démonstration de puissance chinoise et je tiens à remercier Mobilians d’avoir organisé cette délégation en Chine, qui s’est avérée extrêmement instructive. Cette visite nous a permis de mesurer l’ampleur des transformations opérées en Chine. Au-delà de son statut de producteur mondial et d’exportateur majeur, la Chine s’impose désormais comme l’épicentre de l’innovation technologique.
Le marché chinois se caractérise par une profusion d’acteurs proposant des véhicules de haute qualité, dotés de technologies avancées, notamment en matière de connectivité. Le consommateur chinois, dont l’âge moyen est de 30 ans contre plus de 55 ans en France, exprime une forte demande pour des produits technologiquement sophistiqués, orientant ainsi le positionnement des constructeurs.
La croissance fulgurante du nombre d’acteurs a engendré une situation de surcapacité industrielle, poussant de nombreux constructeurs à chercher des relais de croissance et de commercialisation en Europe. Cette tendance est exacerbée par les récentes tensions commerciales avec les États-Unis, faisant de l’Europe un marché d’autant plus attractif pour les exportations chinoises. La concurrence féroce et la faible rentabilité sur le marché domestique incitent ces acteurs à rechercher une meilleure profitabilité à l’international.
L’avance technologique chinoise dans le domaine du véhicule électrique est considérable, estimée à environ quinze ans. Cette avance se manifeste notamment dans la production de batteries, comme l’illustre l’exemple de CATL, initialement spécialisé dans les batteries stationnaires avant de se développer rapidement dans le secteur automobile. CATL a atteint un niveau d’innovation permettant l’intégration directe des batteries dans le châssis des véhicules, optimisant ainsi la capacité énergétique et réduisant les coûts.
Dans le cadre de son dialogue stratégique avec l’industrie automobile, l’Union européenne a décidé d’apporter son soutien aux acteurs européens. Des dispositifs d’aide à l’investissement ont déjà été mis en place, mais il est désormais impératif de prévoir des mécanismes de soutien à la production elle-même. À ce jour, un acteur industriel français s’est lancé dans la fabrication de batteries mais ne bénéficie plus d’aucune aide pour accompagner la montée en puissance de son outil de production.
Or produire des batteries exige un temps long et une précision extrême. C’est une industrie d’excellence qui suppose une phase d’apprentissage, d’absorption technologique et de montée en qualité. Les acteurs chinois, quant à eux, ont déjà franchi ces étapes. Lorsqu’ils implantent une usine de batteries en Europe, il ne leur faut que deux à trois ans pour atteindre un niveau d’efficacité remarquable, là où les acteurs européens ont besoin de délais beaucoup plus longs.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux l’introduction, au niveau européen, d’un dispositif similaire à celui mis en place aux États-Unis dans le cadre de l’Inflation Reduction Act (IRA) de 2022, qui prévoit une aide directe à la production à hauteur de 45 dollars par kilowattheure produit. Un mécanisme équivalent serait nécessaire pour permettre à l’Europe de demeurer présente sur un segment aussi stratégique de la chaîne de valeur du véhicule électrique, puisque la batterie représente, à elle seule, près de 40 % du coût total d’un véhicule électrique. Si nous ne parvenons pas à maîtriser ce maillon, nous risquons de céder encore davantage de terrain aux constructeurs chinois. Nous devons donc nous doter des moyens nécessaires pour renforcer notre souveraineté industrielle. Faute de quoi, plus nous accélérerons la transition vers le tout-électrique, plus nous renforcerons la position dominante des industriels chinois, alors que nous disposons d’acteurs français et européens performants qu’il est indispensable de soutenir.
Concernant les droits antisubventions instaurés par la Commission européenne, leur objectif est de rétablir un équilibre concurrentiel avec les industriels chinois, qui ont bénéficié depuis longtemps d’aides publiques à l’investissement et à la production. Ces subventions leur ont permis de développer une capacité de production excédentaire, qui alimente aujourd’hui la guerre des prix. Les constructeurs chinois sont en effet en mesure de proposer des batteries à des coûts bien inférieurs à l’Europe. Cela s’explique également par le coût de l’énergie, trois fois plus faible en Chine qu’en Europe, dans une industrie particulièrement énergivore.
Ces droits antisubventions sont donc pleinement justifiés et doivent être maintenus. Même si, au sein de la PFA, nous restons attachés à un marché livre et ouvert, nous reconnaissons que des conditions minimales de concurrence loyale doivent être garanties. Nous avons su intégrer l’arrivée des constructeurs japonais, puis coréens, nous pouvons également accueillir les industriels chinois, à condition que des règles claires encadrent leur implantation.
Un exemple emblématique est celui du constructeur BYD, qui s’installe actuellement en Hongrie avec un soutien financier considérable, émanant notamment de subventions européennes. Ce soutien, financé par les contribuables, bénéficie à des implantations dans des pays offrant un coût du travail plus attractif. Cela soulève la question des règles européennes en matière d’aides d’État, qu’il devient nécessaire de réviser pour éviter qu’elles ne profitent toujours aux mêmes.
La question est donc désormais de savoir comment nous organisons l’arrivée des constructeurs chinois. Notre proposition consiste à rétablir les règles qui ont été imposées aux acteurs européens lorsqu’ils ont voulu investir en Chine il y a vingt ans. Il s’agirait de généraliser les coentreprises ou joint-ventures, avec des participations croisées, un transfert de technologies et des exigences de contenu local. Il est impératif que les implantations chinoises contribuent à la création de valeur ajoutée sur le sol européen et qu’elles ne se réduisent pas à de simples usines « tournevis » fonctionnant à partir de composants intégralement importés de Chine.
Pour conclure, le cœur de l’innovation est désormais situé Chine. Plusieurs industriels européens, qui l’ont bien compris, souhaitent s’inspirer des méthodes chinoises de développement des produits et des composants, qui se caractérisent par une rapidité d’exécution extraordinaire. Les constructeurs chinois sont capables de concevoir un véhicule électrique à partir d’une feuille blanche en deux ans, là où il nous faut encore trois à quatre ans en Europe. C’est pourquoi certains acteurs européens choisissent de s’implanter directement en Chine, afin d’y observer de près ces méthodes et de les répliquer ensuite au niveau européen.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je souhaite vous interroger sur les enseignements que vous tirez de votre déplacement en Chine. Quelles sont, selon vous, les bonnes pratiques en matière d’organisation des pouvoirs publics dans la politique industrielle chinoise ? Par ailleurs, quels aspects de cette méthode pourraient être transposés à l’échelle nationale, européenne, voire au niveau de l’offre privée que vous représentez, à savoir les constructeurs et leur écosystème ?
M. Xavier Horent. La stratégie chinoise, dont nous observons aujourd’hui les prémices au niveau européen et français, est bien plus avancée que ce que laissent entendre les médias. Les acteurs chinois sont en phase d’organisation et prennent des positions stratégiques en termes d’implantation. Ils effectuent un tour méthodique des capitales européennes, tirant parti des potentielles aides publiques. Leur approche exploite habilement les divergences entre États membres de l’Union européenne sur la question des droits de douane, leur permettant de sélectionner avec soin leurs sites d’implantation.
Cette stratégie s’inscrit dans un contexte global où les droits de douane sont contournés de diverses manières. Les véhicules hybrides, par exemple, échappent largement à ces barrières. De plus, les constructeurs chinois ont généralement déjà amorti leurs coûts sur leur marché domestique, ce qui leur permet d’absorber plus facilement les droits de douane éventuels. C’est pourquoi les négociations récentes se sont orientées vers la notion de prix minimum garanti, bien que les contours précis de ce concept restent à définir. Le contexte évolue rapidement, notamment avec les annonces américaines en matière de droits de douane qui rebattent les cartes. Nous sommes donc dans une période d’observation prudente entre les différents acteurs, mais il ne faut pas sous-estimer l’impérialisme industriel chinois, qui est véritablement impressionnant.
Concernant votre question sur les années d’avance, il est important de souligner que la Chine avait clairement annoncé ses intentions dans ses premiers rapports sur sa politique industrielle. Des rapports français avaient d’ailleurs parfaitement décrit ces projections dès 2005. Nous n’avons malheureusement pas su tirer les enseignements de nos propres analyses, ce qui est regrettable.
L’organisation chinoise en matière d’intelligence économique et de planification est redoutablement efficace, indépendamment des considérations sur son régime politique. Sur un plan économique, la qualité de leur planification et le temps consacré à la préparation de leurs stratégies ne doivent pas être sous-estimés. Leur dirigisme contraste fortement avec notre approche souvent réactive, dans l’urgence, en réaction aux crises. La plupart de nos plans ont été élaborés rapidement pour répondre à des situations de crise, avec un souci de communication immédiate pour rassurer les parties prenantes et la presse. Bien que ces plans aient comporté des éléments positifs, leur exécution n’a pas toujours été à la hauteur des ambitions.
Les récentes annonces de la Commission européenne illustrent ce manque de coordination. Le plan dévoilé par Stéphane Sejourné, par exemple, ne semblait pas disposer de tous les éléments détenus par la présidente de la Commission. Le débat s’est en outre largement focalisé sur normes européennes issues du règlement du 17 avril 2019 établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et pour les véhicules utilitaires légers neufs et appelées Cafe (Corporate Average Fuel Economy) et les pénalités associées, alors que ces dispositions ne sont toujours pas votées. Les constructeurs devront s’acquitter de pénalités à compter de l’année 2025, ce qui introduit un niveau d’incertitude considérable. Il est particulièrement préoccupant de constater que la disposition permettant d’introduire une forme de neutralisation des émissions de CO2n’est toujours pas votée, alors même que cela fait près de deux ans que les industriels alertent sur ce point. Pendant ce temps, des accords de neutralisation se mettent en place avec des partenaires américains ou chinois.
La lenteur de la réaction européenne est manifeste, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre, et l’arsenal réglementaire actuel de la Commission européenne ne répond pas à l’urgence de la situation. Les initiatives telles que l’« Airbus de la batterie » sont restées au stade de concepts, de mythes sans résultats concrets. Entre-temps, des acteurs majeurs comme Northvolt ont fait faillite. Il est urgent de s’interroger sur la pérennité de nos producteurs de batteries dans les mois à venir et sur les dispositions juridiques que la Commission européenne pourrait prendre pour permettre aux États membres de soutenir efficacement ces acteurs industriels.
Demain, dans un contexte où nous exigeons des constructeurs qu’ils abaissent leurs prix pour rendre les véhicules plus accessibles, ces mêmes constructeurs, faute d’alternative, se tourneront vers des batteries chinoises, qui sont entre 25 % et 30 % moins chères. Ce choix, qui pourrait sembler paradoxal au regard de nos ambitions industrielles, est en réalité parfaitement rationnel pour les entreprises. Il est difficile d’expliquer à des chefs d’entreprise que nous connaissons la bonne décision à prendre mais que nous sommes empêchés de la mettre en œuvre pour des raisons réglementaires.
M. le président Charles Rodwell. Vous avez évoqué l’absence de cadre proposé par la Commission européenne. Depuis la période qui a suivi la pandémie de Covid, nous avons mis en place les fameux projets importants d’intérêt européen commun (Piiec), qui constituent enfin une réponse, impliquant une distorsion majeure de la politique de concurrence, pourtant considérée comme intouchable pendant des décennies à l’échelle européenne. Quel bilan tirez-vous de la mise en œuvre de ces Piiec, deux ans après leur lancement ? Bien que le recul soit encore limité, nous commençons à avoir des retours d’expérience dans le domaine des batteries et dans les secteurs liés à votre industrie.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. Dans le cadre des négociations menées par la Commission européenne concernant la levée des surtaxes sur les importations de véhicules électriques chinois, je souhaite savoir si vos filières respectives ont entrepris des actions de d’influence ou de lobbying auprès des pouvoirs publics français, notamment du ministère. Si tel est le cas, quelle a été la réponse du gouvernement français ? Défend-il concrètement vos intérêts auprès de la Commission européenne ?
M. Nicolas Le Bigot. Concernant les Piiec, je tiens à souligner que ces dispositifs ont été absolument indispensables pour développer la filière de production de batteries en Europe. Bien que les acteurs européens, notamment Northvolt et ACC, en aient effectivement bénéficié, la principale difficulté liée à ce dispositif réside dans le fait qu’il ne finance que les investissements. Or, comme je l’ai mentionné précédemment, la production de batteries s’inscrit dans une perspective de long terme. Malheureusement, nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation où un acteur français a besoin d’une aide à la production. Dans le cadre du plan automobile stratégique, la Commission européenne a pris conscience de cette problématique, notamment par suite de la faillite de Northvolt en Suède malgré l’accès à une énergie décarbonée et compétitive.
En réponse, la Commission a prévu une enveloppe d’1,8 milliard d’euros d’aides à la production. Néanmoins, ce montant est largement insuffisant pour couvrir les trois à cinq années nécessaires à la montée en puissance de la production de batteries par les acteurs européens, afin d’atteindre un niveau de compétitivité comparable à celui des acteurs chinois.
Nous devons donc envisager un plan à l’américaine, consistant à financer les aides à la production sur une durée suffisante de cinq ans, avec un taux proche des 45 dollars mis en place aux États-Unis, adapté au contexte européen. Cela permettrait de développer la production et d’atteindre un niveau de rentabilité assurant la pérennité de ces entreprises. Actuellement, nous sommes loin du compte et, bien que la Commission européenne ait pris conscience du problème, la mesure proposée n’est pas à la hauteur des enjeux.
Concernant l’action du gouvernement français, celui-ci a agi au niveau européen pour mettre en place des conditions de marché concurrentielles et compétitives, visant à instaurer un équilibre entre les différents acteurs. Cela a notamment préfiguré la mise en place des droits antisubventions. Le gouvernement semble aujourd’hui satisfait de cette situation.
M. Frédéric Weber (RN). J’ai le sentiment que nous sommes en complet décalage en termes de réactivité. Pour avoir longtemps siégé au sein du comité de dialogue social de la Commission européenne, j’ai pu constater l’écart considérable qui existe entre les réflexions menées au sein des instances européennes et leur concrétisation effective. Entre le moment où un débat s’amorce à Bruxelles et celui où il débouche sur une application concrète, trois générations de technologies se sont déjà succédées.
Disposez-vous aujourd’hui d’éléments tangibles permettant d’affirmer que la France défend efficacement son tissu industriel dans la compétition mondiale ? Existe-t-il une réelle coordination à l’échelle de l’Union ? Au-delà des déclarations d’intention, force est de constater que les acteurs chinois s’implantent concrètement sur notre marché, menaçant de faire s’effondrer des pans entiers de notre industrie.
L’exemple d’ArcelorMittal en constitue une illustration particulièrement préoccupante puisque l’entreprise est aujourd’hui contrainte de réduire ses coûts fixes, comme en témoigne la suspension des projets de décarbonation sur le site de Dunkerque. Si, demain, ArcelorMittal ne perçoit plus aucune perspective en matière de volume, de capacité ou de bénéfice, les hauts-fourneaux français fermeront, ce qui signerait la fin de notre capacité de production d’acier avec des conséquences sur les sous-traitants, le secteur de l’électronique et bien d’autres filières industrielles.
Face à une telle situation, ne faut-il pas provoquer un véritable choc politique ? N’est-il pas temps de sortir des logiques d’intérêts pour bâtir une véritable coordination européenne, dans le respect de la souveraineté de chaque État membre ? Car pendant que nous débattons, les opportunités nous échappent.
M. Xavier Horent. Il y a deux jours, le 5 mai 2025, Le Figaro a publié un article largement commenté, dans lequel MM. John Elkann et Luca de Meo se sont exprimés. Le titre, qui a marqué les esprits, est sans équivoque : « Le sort de l’industrie automobile européenne se joue cette année ». Au-delà des détails de l’article, qui sont certes très intéressants et qui réitèrent des points déjà portés à la connaissance de la représentation nationale, du gouvernement et de la Commission européenne, c’est surtout la tonalité d’urgence adoptée par ces deux capitaines d’industrie, patrons des groupes Stellantis et Renault, qui interpelle.
Mon sentiment est que nous accusons désormais un véritable retard, malgré les avertissements répétés. Lorsque deux industriels de ce calibre, faisant suite à vos auditions officielles, tiennent le même discours, pourquoi cela ne déclenche-t-il pas une réaction à la hauteur de ce degré d’urgence ? Allons-nous attendre que 2025 passe pour constater l’effondrement du marché français, avec des conséquences désastreuses pour les finances publiques ?
Le manque à gagner consécutif à l’année blanche en termes de rendement fiscal pour l’État est facilement évaluable, de l’ordre de 5 milliards d’euros, probablement bien plus. Parallèlement, nous avons augmenté le niveau de fiscalité et de réglementation au niveau national, tout en demandant une simplification au niveau européen. Bien que le plan automobile affiche cette volonté de simplification, nous observons l’inverse concrètement et réglementairement.
Ces deux capitaines d’industrie soulignent à nouveau des évidences, alertant les autorités publiques sur l’urgence de la situation et sur l’échéance contrainte d’une année. Face à ce constat et à la réalité de notre filière, que reflètent les chiffres remontés par les chefs d’entreprise de toutes tailles, nous devons impérativement agir. Je n’ai pas de solution miracle à proposer, ni à notre gouvernement ni à notre représentation, pour lesquels j’ai le plus grand respect, car la situation est d’une complexité inouïe à tous points de vue. Je pense cependant que nous gagnerions, acteurs privés comme publics, à mettre en place une coordination beaucoup plus étroite et suivie sur des sujets aussi complexes que ceux de l’automobile.
Les cabinets ministériels sont aujourd’hui débordés et cette réalité se retrouve dans tous les secteurs économiques. Du fait du manque flagrant de ressources, la connexion avec les administrations et l’alignement de la réflexion sont objectivement devenus de plus en plus complexes. Nous passons ainsi énormément de temps à essayer d’aligner des ministères, qui n’ont plus eux-mêmes le temps d’agir correctement, car nous sommes sur des sujets de fond, extrêmement complexes, qui demandent beaucoup de réflexion et d’évaluations pour poser une stratégie à la chinoise sur le temps long.
Ma préconisation serait donc d’appliquer strictement les recommandations qui ont été formulées au cours des auditions en mettant en place un groupe de travail spécifique ou une task force dédiée à ces enjeux cruciaux.
Bien que je ne doute nullement de la volonté de nos gouvernements de défendre les intérêts français, il s’agit d’une question d’efficacité et de coordination entre les acteurs pour fluidifier l’information. Les acteurs économiques de terrain doivent également être en mesure de rassurer le marché sur les dispositifs en cours, leur pérennité ou leur évolution, car nous avons également perdu le client dans ce processus.
Nous devons mettre de côté les considérations relatives à la Chine, au contexte géopolitique ou aux barrières douanières, car les Français sont bien loin de ces préoccupations. Leurs besoins, concrets, sont de pouvoir se déplacer, savoir quel type de véhicule acheter et à quel prix, tout en s’assurant que la valeur résiduelle de leur acquisition ne se dégradera pas dans les deux ou trois années à venir. Les consommateurs sont actuellement désorientés, notamment en ce qui concerne les zones à faibles émissions (ZFE) issues de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et devenues obligatoires pour certaines villes au 31 décembre 2024, ce qui participe d’un véritable problème de coordination et, par conséquent, de lisibilité en termes de communication.
Notre priorité doit être de rassurer le marché car les comportements des consommateurs sont rationnels. Certes, l’aspect passionnel persiste dans le domaine automobile, mais avant cette dimension émotionnelle, il existe un besoin fondamental qui est aujourd’hui très mal pris en compte.
M. Nicolas Le Bigot. La France a été pionnière en matière d’aides à l’achat pour les véhicules électriques en Europe. Nous constatons cependant aujourd’hui, et nous entendons les contraintes budgétaires, que ces aides ne peuvent plus s’inscrire dans la durée. Nous assistons à une réduction de moitié des aides, parallèlement à un doublement des malus. Cette situation exerce une pression considérable sur les volumes du marché, tant sur le marché global, toutes énergies confondues, que sur les ventes de véhicules électriques qui nécessitent encore un soutien pour absorber une partie des coûts.
Cette baisse des volumes impacte en premier lieu l’ensemble du tissu des fournisseurs présents dans nos territoires, qui font face à une concurrence extrêmement forte de la part des acteurs chinois. Ces derniers proposent systématiquement leurs offres à des tarifs inférieurs de 20 % aux pratiques européennes, dans le cadre d’une stratégie visant à maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur et à supplanter les acteurs européens.
Les pouvoirs publics français sont conscients de ces enjeux et suivent avec une grande attention l’état de santé de la filière automobile, en particulier celle de ses fournisseurs. Ils ont mis en place un ensemble d’outils pour aider à la restructuration et à la reconversion des salariés impactés par la transition vers le véhicule électrique dans les entreprises fortement exposées aux véhicules thermiques.
La France porte également, davantage que d’autres pays européens, le débat sur le contenu local et l’introduction de critères favorisant la valeur ajoutée européenne dans les produits européens. La Commission européenne a lancé une discussion sur ce sujet mais les positions divergent entre les acteurs industriels et les pouvoirs publics. Nous revenons de Berlin, où nous avons eu des échanges francs avec nos homologues allemands sur cette question. Bien que les avancées soient complexes, nous ne pouvons reprocher aux pouvoirs publics français de ne pas s’efforcer d’agir dans ce domaine.
M. Alexandre Loubet, rapporteur. À vous entendre, il apparaît clair que nous sommes confrontés à une approche économique totalement déconnectée des réalités et dénuée de pragmatisme. J’ose affirmer que nous semblons transformer l’industrie automobile en une économie soviétisée : d’un côté, nous imposons aux constructeurs automobiles et à leur écosystème des normes inapplicables dans des délais intenables et, de l’autre, nous subventionnons la demande, faute d’une demande naturelle suffisante.
Il est impératif de ne pas raisonner uniquement à l’échelle nationale ou européenne. Nous savons pertinemment que l’Asie produit en surcapacité des véhicules qui vont inonder le marché. Dès lors, ne faudrait-il pas renforcer les barrières tarifaires à l’échelle du continent européen pour établir une certaine réciprocité dans les conditions de concurrence ?
Par ailleurs, ne devrions-nous pas prendre conscience de l’absence de marché et des difficultés que rencontrent nos constructeurs en assouplissant davantage non seulement le délai de l’interdiction de la vente des véhicules à moteur thermique en 2035, mais également en intégrant de nouvelles technologies permettant de tendre vers la neutralité carbone ? Je pense notamment aux moteurs hybrides sur lesquels nos constructeurs français semblent compétitifs et avancés.
Enfin, lors de votre audition en commission des affaires économiques, vous aviez indiqué que le nombre d’emplois menacés par l’interdiction de la vente des véhicules thermiques s’élevait à près de 100 000 dans l’industrie. Disposez-vous d’une étude d’impact sur les emplois hors industrie, notamment dans les services et la distribution ?
M. Xavier Horent. Je préconise d’adopter, en Europe, le même pragmatisme que celui observé chez les Chinois ou les Américains. Paradoxalement, l’Europe semble aujourd’hui enfermée derrière des murailles idéologiques, avec une approche qui pèche par un excès d’autocentrisme, tandis que le pragmatisme se constate chez nos concurrents.
La neutralité technologique, sujet évoqué depuis longtemps par les industriels, fait son retour. C’est d’ailleurs l’un des changements majeurs du plan de la Commission européenne dévoilé en février dernier, qui a réintroduit cette notion. Il est impératif d’aller au bout de cette logique et d’être cohérent, notamment au regard des échéances fixées : 2025 pour les normes dite Cafe concernant le CO2, puis l’horizon 2035 qui, bien que présenté comme une échéance ultime, ne devrait pas être considéré comme tel. Restent en suspens de nombreuses questions concernant les technologies comme celles des, interdites après 2035. Il est donc essentiel d’aborder ces problématiques avec pragmatisme et sans perturber le marché, y compris les marchés financiers. Les acteurs industriels ont réalisé des investissements colossaux pour respecter les délais fixés par le législateur européen. Il ne faut pas les en blâmer mais, au contraire, stabiliser la situation.
Il est temps d’examiner le marché européen et français avec réalisme, sans précipitation ni immobilisme. Nous devons prendre le temps d’analyser en profondeur la situation et d’aligner au mieux les intérêts en jeu, en évitant de nous contenter du plus petit dénominateur commun. Nos concurrents misent avant tout sur la désunion des intérêts européens et sur les divergences entre les différents acteurs, qui s’accentuent à l’approche des échéances et rendent le contexte stratégique général de plus en plus illisible. Chacun poursuit ses propres objectifs concurrentiels, avec des positionnements et des maturités technologiques différents. Nous devons donc reconstruire une rationalité forte et accepter d’y consacrer le temps nécessaire.
Dans un tel scénario de crise, au sein d’une entreprise, nous réunirions les meilleures compétences autour de la table et travaillerions sans relâche jusqu’à trouver une solution, en se donnant le temps nécessaire pour examiner le problème sous tous ses angles et miser sur l’intelligence collective pour trouver une solution. Actuellement, j’ai l’impression que nous reculons.
Concernant l’emploi, des études bien documentées existent pour l’industrie, notamment celles de la PFA. La distribution et les services, qui constituent aujourd’hui la première force automobile du pays, se trouvent aujourd’hui en grande difficulté car ils subissent un transfert des risques, notamment en ce qui concerne la valeur résiduelle des véhicules. Le projet de leasing 2, dont nous attendons les détails, est actuellement en discussion. Ce secteur de 600 000 emplois reste largement sous les radars, ne bénéficiant d’aucune subvention publique. Si la branche professionnelle a pris son destin en main grâce à un financement des entreprises, un accompagnement approfondi de l’État est nécessaire, dans l’intérêt même de l’État et de la branche.
Des évaluations ont été réalisées mais restent complexes à décrypter. D’un côté, nous observons une baisse des volumes, notamment dans l’après-vente, due à la fiabilité accrue des véhicules. De l’autre, cela peut générer plus de valeur. Si le risque en termes de volume d’emploi est important dans l’industrie, je pense en revanche que la distribution et les services automobiles bénéficieront de nombreuses opportunités, notamment grâce à la création de nouveaux métiers. Cela engendre d’ailleurs une forme de compétition entre l’amont et l’aval pour capter ces services, en particulier à travers les données.
Nous devons donc renforcer les moyens et cibler efficacement la politique d’investissement et de réindustrialisation du pays en prenant en compte cette dimension de service. Les centres de gravité se déplacent non seulement géographiquement vers l’est, mais également du produit vers les services, du moteur aux algorithmes. Ces nouvelles sources de revenus intéressent de nombreux acteurs industriels et il est dans l’intérêt de notre puissance publique d’équilibrer les différents intérêts économiques en présence. Le règlement européen sur les données ou European Data Act, adopté le 25 novembre 2022 et entré en vigueur le 27 janvier 2024, y participe, et les annonces du plan de M. Stéphane Séjourné présenté le 26 février dernier dans le cadre du Clean Industrial Deal doivent impérativement être suivies d’effets concrets.
Enfin, en matière de compétitivité et de réindustrialisation, il ne faut pas négliger l’importance d’un réseau de distribution efficace, qui constitue un levier stratégique déterminant dans la chaîne de valeur. Ignorer cette dimension, c’est ouvrir la porte aux concurrents extra-européens. La qualité de la relation stratégique et économique entre un constructeur et son réseau est, à mes yeux, absolument essentielle.
C’est précisément pour cette raison que je plaide en faveur d’une intervention claire de la représentation nationale sur ce sujet afin de normaliser, d’encadrer et de sécuriser cette relation, de garantir une stabilité contractuelle et de préserver ce lien historique et intime qui unit les constructeurs à leurs distributeurs. Nous devons agir à l’inverse de ce que j’ai observé au lendemain de la crise du Covid, avec un constructeur qui a trouvé utile de résilier la totalité de son réseau au niveau européen dès le premier jour du déconfinement.
M. Nicolas Le Bigot. Je souhaite revenir sur le débat européen concernant la clause de révision, notamment l’objectif mentionné par la présidente de la Commission européenne d’introduire la neutralité technologique dans la réglementation sur les émissions de CO2.
Il est, avant tout, essentiel de rappeler que cette clause offre à la Commission l’opportunité de mener une analyse approfondie des facteurs favorisant l’électrification à l’échelle européenne. Cela inclut l’examen du déploiement des infrastructures de recharge, l’évaluation de l’efficacité et de l’harmonisation des mécanismes d’incitations fiscales ou encore l’identification des mesures nécessaires pour promouvoir les véhicules électriques d’entreprise. Nous attendons de la Commission qu’elle avance sur cette analyse et formule des propositions concrètes pour stimuler les ventes de véhicules électriques. Les investissements européens dans ce domaine étant colossaux, nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d’échouer.
Concernant la neutralité technologique, il est légitime de s’interroger sur le rythme imposé. Devons-nous maintenir cette trajectoire extrêmement ambitieuse ou introduire des flexibilités ? Ne devrions-nous pas adopter une approche basée sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, plutôt que de nous concentrer uniquement sur les émissions du pot d’échappement, pour lesquelles la réglementation actuelle ne prend pas en compte l’origine du carbone émis et notamment s’il est issu d’un biocarburant ou d’origine fossile.
Il serait également pertinent d’élargir la notion de neutralité technologique en considérant non seulement l’usage du véhicule, mais également son empreinte carbone lors de la production et les possibilités offertes par le recyclage. L’intégration de matières recyclées, rendue possible par le développement de l’économie circulaire en France et en Europe, permet de localiser des emplois et de valoriser les ressources disponibles dans les batteries, sans dépendre de processus de raffinage en Chine.
Ces enjeux sont déterminants et nécessitent des avancées significatives. L’adoption d’une approche basée sur l’analyse du cycle de vie des véhicules offrirait une plus grande flexibilité. Les réductions d’émissions réalisées lors de la production pourraient, par exemple, compenser le maintien temporaire de véhicules thermiques utilisant des énergies partiellement décarbonées. Il est impératif que nous progressions collectivement sur ces sujets, en collaboration étroite avec les pouvoirs publics français et la Commission européenne.
M. Xavier Horent. La recyclabilité et la réparabilité des batteries font partie du plan de M. Stéphane Séjourné à la Commission européenne. Il existe toutefois un écart entre les annonces et leur mise en œuvre opérationnelle dans les délais impartis. L’avancement de la clause de revoyure est une bonne chose mais cela signifie que nous devons agir dès maintenant et ne pas attendre la fin de l’année pour traiter ce sujet. Quelle sera la coordination française pour élaborer une position et une stratégie vis-à-vis de l’Union européenne ? Comment allons-nous partager cette vision avec nos principaux partenaires européens, notamment l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et les pays d’Europe de l’Est ? Ces derniers se sont montrés particulièrement actifs sur le plan diplomatique et politique concernant les débats liés au Green Deal ces dernières années, alors que la France semblait parfois isolée, même durant sa présidence de l’Union européenne.
La clause de revoyure représente une opportunité inédite de défendre nos intérêts et d’unifier la position européenne sur l’avenir de l’automobile. Si nous ne saisissons pas cette occasion avant la fin de l’année, les conséquences seront lourdes pour nous tous, mais nous ne pourrons pas dire que nous n’étions pas au courant car les enjeux ont été documentés de manière précise. Nous devons mobiliser l’ensemble de la filière automobile, qui est aujourd’hui un véritable écosystème diversifié. Bien géré, celui-ci pourrait générer de nombreux emplois et opportunités dans la distribution, les services et, je l’espère vivement, dans l’industrie. Il reste cependant fragile et son succès dépendra de notre rapidité d’exécution et de notre capacité à rassurer les acteurs.
Prenons l’exemple des bornes de recharge, pour lequel le contraste avec la Chine est saisissant. BYD et d’autres acteurs annoncent des temps de recharge record, ce qui soulève des questions sur les infrastructures à déployer en Europe et en France, tout en tenant compte des contraintes énergétiques et des coûts de subvention. Ces réflexions, que je ne retrouve pas nécessairement en France, m’interpellent, car ce que j’observe en Chine ne semble pas avoir d’équivalent chez nous.
Pour les clients, l’évolution rapide de la technologie peut être un frein à l’achat. Ils peuvent être tentés d’attendre, pensant que les prix vont diminuer et que la technologie n’est pas encore mature. Cette perception risque de ralentir la croissance du marché, les consommateurs repoussant leur décision d’achat.
M. Pierre Cordier (DR). En tant que député des Ardennes, un territoire où l’industrie représente encore 20 % de l’emploi, notamment dans le secteur automobile, je suis particulièrement préoccupé par la situation actuelle. Votre constat met en lumière ce que je considère comme l’échec manifeste de la politique industrielle engagée depuis 2017. Élu député cette même année, j’ai été le témoin direct des annonces successives formulées par le gouvernement, depuis les engagements de Nicolas Hulot jusqu’aux plans industriels défendus par Agnès Pannier-Runacher, tous articulés autour de la fin programmée du moteur thermique au profit de la motorisation électrique.
Ces orientations, dès leur formulation, m’ont fortement inquiété au regard des enjeux concrets pour les entreprises de ma circonscription. Il nous avait alors été assuré que des dispositifs d’accompagnement seraient déployés pour permettre aux chefs d’entreprise de s’adapter à cette mutation profonde, en particulier pour les sociétés spécialisées dans la production de composants. Or, en 2025, force est de constater que cette promesse n’a pas été tenue puisqu’il y a encore quelques mois, les usines Walor de Vouziers et Bogny-sur-Meuse, reprises par Forgex, ont connu un licenciement de 102 salariés.
En tant que représentant du peuple, je me dois d’évoquer ce sujet des suppressions d’emplois. Vous évoquez le moteur électrique comme si le moteur thermique appartenait déjà au passé, alors que la date de 2035 est encore devant nous. Au-delà du constat selon lequel les Français n’achètent plus de véhicules, la réalité est bien plus préoccupante, avec des usines de moteurs thermiques qui peinent à recruter, des jeunes ingénieurs et chefs d’équipe qui ne se tournent plus vers ces entreprises, et des difficultés qui s’accumulent.
Derrière cette mutation technologique, ce sont des vies humaines qui vacillent. Des femmes et des hommes, dans des territoires déjà fragilisés, perdent leur emploi. Ce sont des familles entières qui voient leur avenir s’obscurcir, dans un département où la situation sociale est déjà tendue. J’insiste sur cet aspect car, au-delà des ratios, des milliards investis, de la Chine, de Bruxelles et de nos dirigeants européens, il ne faut pas perdre de vue que, derrière, il y a le facteur humain.
Était-il vraiment impossible d’accorder un délai plus raisonnable à cette transition ? La fin du moteur thermique en 2035 n’est pas encore là, certes, mais nous sommes déjà confrontés aux conséquences d’un calendrier précipité, d’autant plus que les promesses d’accompagnement de ces entreprises par l’État n’ont pas été tenues. Je peux en témoigner directement car deux entreprises de ma circonscription sont aujourd’hui en grande difficulté et, lorsque je sollicite le ministère de l’industrie pour un soutien, je n’obtiens aucune réponse.
Je souhaitais donc exprimer ici, avec clarté et gravité, ma profonde déception face à l’inaction de l’État en direction de ces entreprises fragilisées. Les difficultés actuelles étaient parfaitement anticipables et il était de notre devoir collectif de mieux préparer cette transition que nous savions, dès le départ, extraordinairement complexe.
M. Xavier Horent. Monsieur le député, nous sommes ici confrontés à une question de méthode car nous ne pouvons attendre de nos cabinets ministériels ou de nos administrations centrales qu’ils gèrent toutes les urgences simultanément. Le dossier automobile est transverse et concerne plusieurs ministères. Bien que je souligne des problèmes méthodologiques récurrents qui ne sont pas traités de manière adéquate, je constate également que l’État a souvent été présent à nos côtés. Au cours des dix dernières années, de nombreux plans automobiles se sont succédé, avec la signature de trois contrats de filière, dans un contexte particulièrement difficile. Vous avez toutefois raison de porter un regard critique sur la situation et j’essaie moi-même de l’aborder de manière objective.
Sur le plan humain, je partage entièrement votre point de vue, d’autant plus que notre branche professionnelle emploie actuellement 600 000 personnes et forme chaque année 70 000 jeunes, ce qui représente une véritable prouesse compte tenu des difficultés du secteur. Je suis particulièrement inquiet des messages négatifs envoyés à notre jeunesse, qui donnent l’impression que l’automobile en France est un secteur sinistré et entretiennent ainsi un climat de défiance et de morosité qui ne correspond pas à la capacité de rebond et au dynamisme du secteur.
Dans les secteurs de la distribution et des services, nous avons besoin de main-d’œuvre qualifiée, que nous continuons à former et à recruter. Nos entreprises, comme les sous-traitants, nécessitent un accompagnement plus soutenu. En ce qui concerne la distribution et la réparation, nous constatons une augmentation du niveau de taxes, similaire à celle de nos partenaires industriels. Cependant, la capacité de marge et la rentabilité des réseaux de distribution et de réparation sont très faibles, ce qui nous place dans une situation de décrochage dangereuse. Les signaux transmis à la société concernant l’avenir de l’automobile sont fortement contradictoires et ne reflètent pas la perception profonde du pays envers sa filière automobile.
Nous devons traiter ce sujet de toute urgence et sans faux-semblants. Nous n’avons pas besoin d’une énième réunion mais d’un plan approfondi, bien organisé et structuré. Si cela nécessite un travail de chaque instant avec tous les acteurs concernés, alors entreprenons-le.
M. Pierre Cordier (DR). J’estime que nous n’avons pas besoin de hauts fonctionnaires supplémentaires dans les cabinets ministériels. Je fais davantage confiance aux personnes de terrain, pragmatiques, qui connaissent concrètement les enjeux, plutôt qu’à des individus formés principalement aux normes administratives comme à l’École normale supérieure (ENS) ou à l’École nationale d’administration (ENA). J’ai beaucoup de respect pour eux mais j’estime que ce n’est pas leur place.
M. Nicolas Le Bigot. L’emploi et les compétences sont des sujets essentiels pour la PFA. Notre action s’articule autour de programmes visant à assurer la reconversion des salariés et nous accompagnons également les entreprises dans leurs efforts pour faciliter la transition de leurs employés vers d’autres secteurs ou métiers, mais également pour les former aux nouvelles activités liées à la chaîne de valeur des véhicules électriques.
Notre objectif est donc de maintenir l’emploi automobile en France, mais nous nous efforçons également d’améliorer l’attractivité du secteur. Face au constat du peu d’attrait de la filière automobile chez les jeunes, notre défi consiste à attirer les talents, ce qui s’avère complexe malgré les nombreuses opportunités d’innovation extrêmement attractives dans l’automobile. Nous devons valoriser l’ensemble de ces métiers et savoir-faire pour contrebalancer les effets potentiellement négatifs sur l’emploi de la transition vers le véhicule électrique. Nous travaillons quotidiennement pour relever ce défi, y compris sur le plan de l’attractivité du secteur.
M. Thierry Tesson (RN). Je suis député du Nord, et plus précisément de la circonscription de Douai, une commune intimement liée à Renault et à sa reconversion exemplaire, menée avec intelligence et énergie par M. Jean Matteoli.
Votre présentation dresse un tableau extrêmement préoccupant, qui rejoint les conclusions de nos diverses auditions. En tant qu’ancien professeur d’histoire, j’ai le sentiment que nous vivons un moment historique sans précédent pour les pays occidentaux. Contrairement aux crises passées, souvent d’origine externe ou liées à des problématiques économiques classiques, nous faisons face à une crise industrielle et économique provoquée par nos propres règles et normes. Cette situation au caractère presque autodestructeur me fascine par son aspect inédit.
Dans le scénario le plus pessimiste, l’absence de prise de conscience pourrait mener à un effondrement économique. Je perçois toutefois des signes encourageants, notamment dans les débats récents autour du projet de loi de simplification de la vie économique, qui suggèrent une prise de conscience croissante parmi les représentants du peuple et l’opinion publique. Même le gouvernement, à l’origine de textes tels que la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, semble réaliser les conséquences potentiellement désastreuses de certaines mesures.
Je décèle dans votre approche une forme d’appel à la planification, ce qui soulève une contradiction avec notre système libéral. Vous semblez plaider pour une planification plus ferme, à l’image de ce que pratique la Chine, bien que nos systèmes politiques et économiques soient fondamentalement différents. Comment conciliez-vous cette approche avec les principes de notre économie de marché ?
M. Xavier Horent. Je vous remercie pour cette question pertinente et tiens avant tout à préciser que je ne suis nullement admiratif du modèle chinois dans son ensemble. Il est cependant indéniable que l’efficacité de leur stratégie industrielle mérite notre attention. Les démocraties telles que la nôtre peuvent en tirer des enseignements méthodologiques, sans pour autant adopter une approche dirigiste ou collectiviste.
Ma principale préoccupation porte sur la décision idéologique du législateur européen, relayée par nos autorités françaises, d’imposer une échéance rigide sans mettre en place les conditions et la flexibilité nécessaires au succès de cette politique industrielle. C’est ce manque de préparation et de planification que je dénonce.
Une approche cohérente nécessiterait l’alignement de facteurs réglementaires, fiscaux et sociétaux, car il est contradictoire d’encourager les Français à acheter des véhicules 100 % électriques tout en réduisant les aides, en augmentant les coûts de stationnement dans certaines villes ou en maintenant des taxes initialement promises à la suppression. La question de la fiscalité future sur la consommation d’électricité, qui devra compenser la baisse des recettes liées aux carburants, reste également en suspens. Tous ces éléments doivent être anticipés et c’est précisément ce type de planification à la française que je préconise.
Il est surprenant que, malgré l’existence d’un Haut-commissariat au plan, je n’aie pas eu l’occasion de rencontrer ses représentants au cours des cinq dernières années dans le cadre des discussions stratégiques sur l’automobile, sauf erreur de ma part. Cette absence est révélatrice des lacunes dans notre approche de la planification industrielle à long terme.
Mes propos n’ont pas pour objet d’émettre une simple critique, mais nous disposons d’outils et de structures, à l’image de ce Haut-commissariat au plan, pour réexaminer nos politiques publiques. Cette démarche implique également de repenser nos méthodes de travail et les interactions entre les secteurs privé et public. Des domaines emblématiques tels que le nucléaire, le ferroviaire, le routier, les transports ou l’évolution de la mobilité se situent nécessairement à l’intersection de plusieurs politiques publiques. Par nature, un effort considérable d’alignement est donc requis, et ce le plus en amont possible. Sans cela, nous risquons de nous retrouver face à des situations contradictoires, des interruptions, des arrêts dans les politiques d’incitation ou des stop-and-go, auxquelles nous serons confrontés dès l’année prochaine. La préparation du projet de loi de finances pour 2026 a déjà été entamé, il devrait comprendre des dispositifs majeurs pour l’automobile dont la question du maintien fera sans doute l’objet d’autres auditions et rencontres.
Pour répondre à la remarque concernant la viabilité d’un marché fonctionnant sous perfusion de subventions, je réponds en tant que libéral qu’il n’est pas sain de subventionner un marché de ce type. Cette pratique existe déjà depuis au moins 2017 et un regard vers le passé permet de constater des politiques de subventions au marché automobile ont régulièrement été mises en place pour le redynamiser, notamment lors de la crise de 2010 et même avant, avec des mesures d’incitation à la mise au rebut des voitures vieillissantes entre 1994 et 1996 sous les gouvernements Balladur puis Juppé, appelées « balladurette » et « jupette ».
Aujourd’hui, nous ne faisons plus face à une nécessité de dynamisation mais à une chute structurelle des volumes, entraînant des conséquences catastrophiques et systémiques sur toute la chaîne de valeur en France et en Europe. Une réflexion bien plus profonde s’impose donc. La Chine elle-même a alterné entre subventions et arrêts. L’Allemagne, quant à elle, a brutalement mis fin aux subventions pour les véhicules électriques il y a deux ans, provoquant une chute importante du marché. Ces sujets sont extrêmement sensibles car ils touchent directement les consommateurs, particuliers comme entreprises.
Les personnes morales ont perdu le bénéfice du bonus en 2025, alors même qu’elles sont également visées par les contraintes de verdissement de leur flotte. Nous les obligeons donc à verdir leur parc dans un contexte où le marché est parfois inexistant et où elles ont perdu l’accès aux subventions. Ces dispositifs, bien que coûteux et finement ajustés, ne peuvent être une solution à long terme. La préservation du produit automobile est cruciale, mais la réponse ne réside pas dans des subventions perpétuelles.
Ce qui me frappe dans les politiques automobiles récentes, c’est qu’elles reflètent l’appauvrissement du niveau de vie des Français. Nous avons dû progressivement recentrer les aides sur les ménages les plus modestes, dont le volume n’a cessé de croître au cours de ces vingt dernières années. Il est impératif de redonner du pouvoir d’achat aux Français en augmentant les salaires nets, car je vous assure que la demande de mobilité, notamment automobile, qu’elle soit individuelle ou partagée, reste très forte. Le marché peut se redresser, d’autant plus que les nouvelles technologies, au-delà du mix énergétique, incluant les services et la digitalisation, vont susciter un vif intérêt. Je préconise donc une augmentation des salaires nets des Français ainsi qu’une réduction des charges des entreprises et des malus sur l’automobile.
M. Nicolas Le Bigot. Sans aller jusqu’à s’inspirer du modèle de planification chinois, nous pourrions déjà mettre un terme à l’avalanche de réglementations émanant de la Commission européenne. Plus de cent réglementations sont en effet prévues d’ici 2030, s’échelonnant chaque année et contraignant les constructeurs automobiles à constamment mettre à jour leurs véhicules déjà en cours en production. Ces réglementations ne font que renchérir le coût des véhicules, compromettant notre capacité à produire des voitures abordables répondant aux besoins de mobilité et permettant le renouvellement du parc dans les meilleures conditions sociales, industrielles, environnementales et économiques.
Il est également nécessaire de garantir la cohérence entre les réglementations. La tribune déjà citée de John Elkann et Luca de Meo souligne par exemple l’incohérence concernant les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS), avec une direction générale de la Commission européenne prévoit qui d’en interdire l’utilisation alors même qu’elles sont indispensables à la fabrication des batteries pour véhicules électriques. Cette avalanche réglementaire incohérente nous bride et entrave notre compétitivité face à nos concurrents chinois et américains.
M. Éric Michoux (UDR). Si l’industrie automobile s’effondre, c’est toute l’industrie qui s’écroule. La robotique, dont 90 % de la production est destinée à l’automobile, s’effondrera également, de même que l’électronique de grande série. C’est donc l’ensemble de l’industrie française qui est menacé d’affaiblissement.
Concernant la transformation historique de l’industrie automobile, les chiffres sont éloquents. En 2019, 19 millions de voitures étaient produites en Europe, contre 14 à 15 millions en 2023 et des projections pour 2035 qui évoquent une production qui ne dépasserait pas les 8 à 10 millions d’unités. En regard des 250 millions de voitures à remplacer, l’industrie automobile européenne n’est plus en mesure, dans son état actuel, d’assurer ce renouvellement.
Un autre aspect important concerne l’évolution de la taille des véhicules eux-mêmes. Si, il y a moins de dix ans, 50 % des voitures mesuraient moins de quatre mètres, nous voyons aujourd’hui apparaître de grosses voitures électriques équipées de pneus larges qui génèrent une nouvelle forme de pollution sous forme de microparticules de caoutchouc. Cette vision naïve d’une automobile électrique supposément non polluante occulte la réalité de la chaîne de pollution globale puisque, comme vous l’avez mentionné, il faut prendre en compte les PFAS, les terres rares, les batteries, éoliennes et panneaux photovoltaïques chinois, qui contribuent significativement à la pollution.
Aussi, ne devrions-nous pas envisager la création d’un indicateur marketing reflétant l’impact écologique global d’un véhicule, sur le modèle du nutri-score dans l’industrie alimentaire ? Cela permettrait aux consommateurs d’évaluer rapidement l’empreinte environnementale d’une voiture, car je suis convaincu qu’une citadine produite dans les années 1980 est moins polluante qu’un SUV électrique chinois produit en 2025.
Il est par ailleurs évident que les clients tout comme les techniciens ne désirent pas ces imposants véhicules électriques dotés de tableaux de bord sophistiqués et complexes, mais préfèrent des voitures simples et familiales. Or le coût de ces véhicules a augmenté de 40 %, principalement en raison des réglementations. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une accumulation de normes à tous les niveaux qui engendre des coûts exorbitants.
Ne pourrions-nous pas réinventer la voiture populaire, un véhicule de moins de quatre mètres, consommant entre un et deux litres de carburant de synthèse, rappelant la gloire passée de notre industrie automobile ? D’une part, nous opterions pour une approche marketing qui mettrait en avant son caractère non polluant et, d’autre part, nous proposerions un produit accessible à tous. Actuellement, peu de gens peuvent se permettre d’acheter une voiture dont le coût s’élève à 50 000 ou 60 000 euros, surtout électrique. Si vous avez raison de préconiser une augmentation des salaires, il est tout aussi nécessaire de réduire le prix des voitures.
M. Nicolas Le Bigot. Il est effectivement nécessaire, désormais, d’analyser la performance sur l’ensemble du cycle de vie du produit automobile, un sujet actuellement en discussion dans le cadre de la clause de révision. Nous constatons aujourd’hui que des gains significatifs peuvent être réalisés en amont de la production des véhicules. À ce jour, l’empreinte carbone de production d’un véhicule électrique est environ deux fois supérieure à celle d’un véhicule thermique, principalement en raison de la fabrication de la batterie, très énergivore. Cette empreinte est d’autant plus élevée lorsque la batterie est produite en Chine, d’où l’importance cruciale de localiser la production des batteries dans des pays disposant d’une énergie décarbonée disponible et compétitive. La question de la compétitivité tarifaire mérite certainement un débat approfondi.
Malgré ce constat initial, lorsque nous considérons la performance globale d’un véhicule électrique par rapport à un véhicule thermique utilisant des carburants fossiles tout au long de sa vie, le véhicule électrique présente une performance environ 80 % supérieure. Nous pouvons cependant envisager des solutions alternatives, telles que des véhicules hybrides rechargeables, utilisant des carburants liquides décarbonés, y compris des biocarburants, qui pourraient offrir des performances comparables à celles des véhicules électriques.
C’est précisément cet enjeu qui nous permet de maintenir notre expertise dans le domaine thermique tout en introduisant davantage de flexibilité dans notre objectif commun d’atteindre les objectifs climatiques de l’accord de Paris et la neutralité carbone d’ici 2050. Il est impératif de s’appuyer sur l’ensemble des leviers disponibles plutôt que de se focaliser uniquement sur les émissions du pot d’échappement, comme je le soulignais précédemment.
M. Xavier Horent. Les normes sont indéniablement nécessaires et nous sont parfois même enviées par nos concurrents, à l’image de la Chine sur le sujet de la réparabilité des batteries. Dans la réglementation européenne et française, tout n’est pas à rejeter. Le véritable enjeu, y compris concernant l’objectif 2035, n’est pas tant l’existence de normes que leur pertinence. Dans le secteur automobile, le problème réside dans leur surabondance, leur inadaptation et leur manque de concertation. En outre, lorsqu’elles sont établies, elles ne font pas l’objet d’une évaluation suffisante en termes d’impact. Ces points ont été régulièrement soulevés par le secteur depuis longtemps.
Je suis convaincu que nous sommes capables de créer une voiture populaire et accessible, tout en laissant aux entrepreneurs, aux industriels et aux ingénieurs la liberté de la concevoir. La France et l’Europe disposent de toutes les compétences nécessaires pour relever ce défi. Nous ne devons pas subir le débat actuellement mené par d’autres pays européens tels que l’Italie, l’Espagne, les pays d’Europe de l’Est et bien sûr l’Allemagne. Si je ne prétends pas que la France soit absente, je souligne en revanche que notre pays a une tradition de constructeur et d’équipementier, avec des compétences extraordinaires et que nous devons capitaliser sur cet atout.
Il est également essentiel de ne pas perdre de vue le client final, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises car c’est lui qui, finalement, devra s’adapter aux contraintes imposées par des législations européennes et nationales parfois excessives.
En conclusion, il est impératif d’apporter de la clarté, de stabiliser notre stratégie en la mettant à jour et en la défendant dans un contexte d’urgence. Je rappelle que l’industrie automobile est un pilier de notre économie qui, s’il venait à s’effondrer, provoquerait des impacts systémiques dont nous ne risquerions de nous apercevoir que bien trop tard.
Utilisons donc les prochaines semaines et les prochains mois pour mettre en place ce groupe, cette « administration de mission » chère au président Pompidou. C’est ce type d’initiative que j’attends personnellement, indépendamment des profils ministériels en place. Face à la rareté des ressources, y compris humaines, pour gérer ces dossiers complexes, il est indispensable que le secteur public collabore plus efficacement avec les acteurs privés, de manière cohérente et en évitant les querelles de chapelles. La grande différence avec nos voisins allemands, dont nous pouvons tirer des enseignements malgré leurs imperfections, réside dans leur approche décloisonnée. En France, nous travaillons encore trop en silo, un problème récurrent dans le secteur automobile.
Nous attendons avec impatience l’analyse finale de vos travaux, dont je suis convaincu qu’elle apportera une perspective nouvelle aux études déjà menées sur la réindustrialisation. L’urgence de la situation nous engage tous en termes de responsabilité. Il sera bientôt trop tard pour agir et nous devons donc passer à l’action de manière déterminée et collective.
M. le président Charles Rodwell. L’Assemblée nationale reste pleinement ouverte à vos entreprises, à vos industriels et à vous-mêmes, en tant que représentants éminents de ce secteur, non seulement dans le cadre de cette commission d’enquête, mais également pour les semaines et les mois à venir.
Je vous invite à compléter nos échanges en répondant au questionnaire et en transmettant à notre secrétariat tout document que vous jugerez pertinent pour les travaux de cette commission d’enquête.
La séance s’achève à dix-sept heures.
Présents. – M. Pierre Cordier, M. Alexandre Loubet, M. Éric Michoux, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber