Compte rendu

Commission d’enquête
visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France

 Audition, ouverte à la presse, de Mme Carole Delga, présidente du conseil régional d’Occitanie, présidente de Régions de France, et M. Yoann Iacono, directeur général délégué Transformation économique, souveraineté, emplois et métiers de demain au sein du conseil régional d’Occitanie              2

– Présences en réunion................................16

 


Jeudi
15 mai 2025

Séance de 18 heures

Compte rendu n° 42

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Charles Rodwell,
Président de la commission


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La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.

M. le président Charles Rodwell. Nous accueillons Mme Carole Delga, présidente du conseil régional d’Occitanie, présidente de Régions de France, et M. Yoann Iacono, directeur général délégué Transformation économique, souveraineté, emplois et métiers de demain au sein du conseil régional d’Occitanie.

Mme Delga, je vous remercie d’avoir pris le temps de répondre à notre invitation malgré un emploi du temps que nous savons très chargé. Il nous a semblé tout à fait intéressant de vous entendre compte tenu de votre double fonction de présidente de région et de présidente de l’association des régions de France.

Je vous prie de déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.

Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Carole Delga et M. Iacono prêtent serment.)

Mme Carole Delga, présidente du conseil régional d’Occitanie et de Régions de France. La question de la réindustrialisation mobilise particulièrement les présidents de région. Nous partageons une préoccupation, qui est la souveraineté de notre pays, en matière industrielle, énergétique ou alimentaire, et nous consacrons de nombreuses actions à l’objectif de réindustrialisation, que nous partageons aussi. Il me paraît donc tout à fait intéressant d’échanger avec vous sur les freins dans ce domaine.

Le diagnostic est terrible : la France est le pays européen qui s’est le plus désindustrialisé entre 1970 et 2020. Elle a perdu près de 2,5 millions d’emplois dans ce secteur, et la part de l’industrie manufacturière est à présent de 10 % du PIB dans notre pays, alors que la moyenne s’élève à 15 % en Europe et à 18 % en Allemagne.

Les crises qui se sont succédées depuis 2020, sur le plan sanitaire avec la pandémie de Covid, mais aussi géopolitique, en particulier au cours des derniers mois, ont conduit à une prise de conscience plus large, au sein de la population, du besoin de souveraineté et de réindustrialisation en France comme en Europe. Les dix-huit présidents de région souscrivent pleinement à l’objectif que l’Union européenne redevienne un continent de production et non pas seulement de libre-échange. Nous avons besoin, pour cela, de mobiliser des moyens, mais également de veiller à ce que l’industrie soit mieux considérée dans notre pays, en rétablissant des vérités, en cassant certaines images très négatives, tout particulièrement dans le cadre de l’orientation scolaire. Nous devons y être très attentifs : la dégradation de l’activité industrielle en France à la fin de l’année dernière exige un effort collectif et une vigilance supplémentaires.

La réindustrialisation suppose des moyens, donc, mais aussi des convictions – elles sont absolument nécessaires en politique.

La première est un objectif de croissance durable : nous avons besoin d’un nouveau modèle de développement, moins consommateur d’espace agricole et d’énergie, mais à rebours des hypothèses de décroissance prônées par certains. Il faut avoir le courage politique d’assumer cet objectif et de tenir un discours cohérent sur l’ensemble des actions à mener, en matière de formation, d’aides, de recherche, d’innovation ou de foncier – on pourrait multiplier les exemples.

Ma deuxième conviction, c’est que la réindustrialisation ne se décrète pas depuis Paris. On doit partir des territoires où il existe une acceptabilité plus forte, une histoire, une culture populaire en matière d’industrie, sans s’y limiter, bien sûr. La réindustrialisation doit ensuite s’étendre à l’ensemble du pays, mais il faut partir du bas, des racines, pour structurer le territoire de la République.

Nous sommes tous convaincus, parmi les présidents de région, que l’innovation est le premier moteur de la compétitivité. Nous agissons en la matière par des aides directes à la recherche et au développement, selon des formes qui peuvent être individuelles ou collaboratives, par la prise en charge de dépenses de fonctionnement, par l’animation de collectifs constitués autour d’écosystèmes d’innovation, tels les clusters ou les pôles de compétitivité, ou encore par des dépenses d’équipement visant à favoriser l’acquisition de matériel et à faire en sorte que l’innovation puisse s’insérer dans un cadre européen, voire international. Les régions ont également développé des aides pour permettre aux entreprises industrielles de gagner en performance, notamment dans les secteurs de la robotique, de la digitalisation et de l’intelligence artificielle. Je pourrai notamment revenir, si vous le souhaitez, sur les parcours Industrie du futur.

Nous devons également veiller à ce que les efforts de réindustrialisation soient adaptés à chaque filière. La Constitution de la filière automobile est ainsi très différente de celle de la filière de l’aéronautique. Il faut donc une certaine plasticité des aides. Dans l’aéronautique, que je connais particulièrement bien, l’Occitanie étant la première région de France dans ce secteur, il est nécessaire de produire vite et bien. Nous avons la chance d’avoir des carnets de commandes pleins à un horizon de dix ans, grâce à l’excellence de la production d’Airbus et des sous-traitants, mais il faut aider à la montée en cadence.

Le deuxième grand champ d’action est celui du financement. Outre les types classiques d’intervention, comme les subventions et les avances remboursables, l’énormité des besoins de financement pour les projets industriels – 200 milliards d’euros d’ici cinq ans – impose de mobiliser des outils d’ingénierie financière tels que les fonds souverains régionaux ou, bien souvent, interrégionaux, qui permettent d’apporter des fonds propres ou des quasi-fonds propres. La région devient ainsi actionnaire d’entreprises de secteurs en phase de maturation, comme les énergies renouvelables et l’hydrogène vert. La présence d’un actionnaire public, même s’il est très minoritaire, rassure les partenaires privés. C’est en effet un investisseur patient dans un écosystème en cours de finalisation. Les fonds souverains permettent aussi de renforcer le haut de bilan de certaines entreprises. Nous avons beaucoup de très petites et moyennes entreprises (TPE et PME) en France, mais nous manquons d’entreprises de taille intermédiaire (ETI), et c’est souvent le haut de bilan qui présente une fragilité.

S’agissant du financement de l’innovation, la Banque publique d’investissement (BPIFrance) qui a été créée dans cette perspective, a certes connu des succès, mais nous constatons que le circuit de décision est extrêmement centralisé et nous regrettons que certains projets ne soient pas soutenus. C’est pourquoi nous sommes nombreux à demander une régionalisation de BPIFrance.

Il existe par ailleurs des angles morts dans le financement des start-ups et des prototypes dans l’industrie, car la culture du capital-risque et du capital d’amorçage est moins développée en France que dans les pays anglo-saxons. L’entreprise Aura Aero, qui développe un avion électrique de dix-neuf places pour lequel 570 précommandes ont été enregistrées, bénéficie d’aides publiques importantes, nationales, régionales et européennes, mais peine à mobiliser des financements privés. Il faut vraiment retravailler sur ces questions. L’hypothèse d’un livret d’épargne pour l’industrie, qui avait été réévoquée par Michel Barnier, pourrait être une des réponses à apporter.

Le troisième défi est celui du foncier. Nous devons assumer l’idée que certaines terres doivent être consacrées en priorité à la réindustrialisation, tout en étant économes en la matière. S’agissant du bâti, par exemple, il faut une densification plus importante pour stopper l’étalement urbain, qui se traduit par une multiplication de lotissements à perte de vue et casse le lien social. Nous devons privilégier, s’agissant de la consommation du foncier, des projets industriels qui sont générateurs d’emploi et de souveraineté, ce qui implique de faire preuve de courage et de constance dans nos choix. Il faut ainsi expliquer à certains maires qu’il est nécessaire de construire en hauteur pour éviter l’étalement et pour consommer moins de terres agricoles. Certaines d’entre elles doivent être consacrées à l’industrie, qui est absolument prioritaire, mais il faut aussi remettre sur le marché des terres en jachère, à l’abandon. Nous avons ainsi créé dans la région Occitanie une foncière agricole pour avoir des terres à disposition en luttant contre les phénomènes de déprise.

Pour ce qui est du foncier équipé, les délais et les coûts de raccordement par RTE et Enedis sont souvent très importants. Les régions ont donc lancé des réunions de travail avec RTE pour programmer les déploiements prioritaires et ne surtout pas freiner des développements industriels en raison de puissances électriques insuffisantes.

J’en viens à la question des procédures environnementales et urbanistiques, qui sont très longues. Nous demandons – l’ensemble des présidents de région – des délais plus courts pour l’instruction des demandes d’autorisation environnementale. Nous avons bien noté l’entrée en application, en novembre 2024, de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, qui fixait un objectif de délivrance des autorisations en neuf mois au lieu de dix-huit, mais nous ne sommes pas sûrs que ce délai soit tenu.

Le rééquilibrage territorial est aussi un point important, tout particulièrement pour l’industrie : il doit permettre d’amener de l’emploi dans des territoires non métropolitains et d’assurer une meilleure répartition sur l’ensemble du territoire français, y compris dans les zones rurales et de montagne.

Des procédures intéressantes qui ont été introduites par la « loi industrie verte » restent assez confidentielles, comme le statut de projet d’intérêt national majeur (PINM), qui permet des dérogations pour la mise en compatibilité de l’ensemble des documents d’urbanisme, ou la reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur, condition nécessaire pour l’obtention d’une dérogation concernant les espèces protégées et la priorisation du raccordement électrique. Nous souhaitons démultiplier leur usage afin de pouvoir gagner la bataille de la réindustrialisation.

Par ailleurs, de nombreuses régions proposent des solutions « clés en main » aux entreprises qui veulent s’agrandir ou s’installer : le portage immobilier, la construction et même, parfois, les loyers peuvent être assumés par des agences régionales. Il arrive souvent que des investisseurs ne veuillent pas s’encombrer de procédures administratives ou de marchés de construction et de surveillance de chantiers. Avec les intercommunalités, puisque nous agissons en partenariat avec elles pour ce qui est de l’immobilier d’entreprise, nous faisons donc en sorte qu’il existe de tels dispositifs.

Le dernier défi à relever est l’accès aux compétences. D’ici dix ans, les besoins s’élèvent en effet à près de 600 000 emplois industriels.

Il faut commencer par mieux faire connaître la réalité des métiers industriels, car il existe encore beaucoup d’a priori négatifs chez les jeunes et leurs parents. L’orientation scolaire ne permet pas de connaître la réalité et la diversité des métiers de l’industrie. Les régions demandent une pleine et entière compétence en matière d’orientation parce que ce sont elles qui font le lien entre le système éducatif et le monde entrepreneurial.

Il faudrait également rendre beaucoup plus souple le système de formation, actuellement marqué par une tripartition entre formation initiale, formation continue et formation des demandeurs d’emploi. Nous faisons en sorte d’équiper au mieux les lycées et les centres de formation d’apprentis (CFA) en plateaux techniques, mais ces derniers pourraient être beaucoup plus mutualisés, y compris pour la formation des salariés. Dans la période de graves difficultés budgétaires que nous traversons, il faudrait être beaucoup plus performant à budget constant en matière de formation, afin d’offrir des plateaux techniques de très bon niveau qui donnent satisfaction aux industriels en permettant de répondre à leurs besoins de recrutement de personnes formées à des technologies très particulières.

En conclusion, Régions de France est très impliquée sur la question de la réindustrialisation, qui constitue une priorité. Nous demandons plus de moyens en matière d’orientation, une évolution de l’organisation du système de formation, une décentralisation massive des aides aux entreprises en faveur des régions, ainsi qu’une déconcentration. En effet, de nombreux appels à projets lancés par les administrations centrales n’ont pas réellement de pertinence au niveau local : une déconcentration permettrait plus d’efficacité.

M. le président Charles Rodwell. Merci pour cette intervention liminaire très précise. Compte tenu de la richesse de votre récente audition devant la commission d’enquête sénatoriale au sujet de vos propositions en vue d’une réforme massive des aides aux entreprises, je propose d’aborder plutôt des sujets complémentaires.

Au-delà de la question de la clause de compétence générale en matière de développement économique et d’emploi, considérez-vous que la répartition des compétences entre l’État et les collectivités est optimale s’agissant du foncier ? Sa maîtrise est un enjeu absolument fondamental pour l’implantation et l’extension d’entreprises, notamment dans le domaine industriel. Beaucoup de départements, en tout cas dans ma région, sont encore à la tête d’établissements publics fonciers.

Je vous pose la même question pour ce qui est de la gestion des infrastructures, notamment routières et ferroviaires. On connaît votre engagement, à la fois local et national, sur ce sujet. Pouvez-vous nous exposer votre point de vue ?

J’en viens à des mesures qui relèvent peut-être du niveau national ou européen, mais à propos desquelles votre avis compte beaucoup pour nous. S’agissant de la robotisation, nous sommes un peu à la croisée des chemins. Des types d’acteurs très différents au sein du monde industriel nous proposent deux choix en matière de subvention et de suramortissement fiscal pour la robotisation des entreprises. Celles-ci, notamment les PME et les ETI, accusent un retard important vis-à-vis de l’Allemagne et de l’Italie – je ne parle même pas des pays asiatiques et nord-américains. Nous conseilleriez-vous, en tant que parlementaires, de privilégier des subventions publiques pour la production de robots sur le territoire national, en orientant, par exemple, des fonds de France 2030 ou de BPIFrance vers la création de telles usines sur le territoire national, ou d’assumer de subventionner une robotisation plus rapide et plus massive de nos entreprises en leur permettant d’acheter des robots non français, parce qu’il n’existe pas de production nationale à l’heure actuelle ?

Le principe de la taxe carbone aux frontières est louable, mais son fonctionnement est perfectible, puisqu’elle ne concerne que certaines matières premières, et pas du tout les produits finis. Nous conseilleriez-vous un moratoire sur cette taxe ou au contraire son élargissement aux produits finis ? La proposition que nous ferons au nom de mon groupe sera de l’étendre aux produits finis, en négociant secteur industriel par secteur industriel, et de consacrer 100 % des recettes à une baisse des impôts de production nationaux. Cela permettrait d’appliquer le principe suivant : taxer l’importateur chinois ou américain qui pollue pour attaquer le marché européen, afin de baisser les impôts de nos propres entreprises.

En matière de formation, enfin, les résultats sont extrêmement variés dans ce domaine quand on applique la même politique publique, et nous serions donc, là aussi, très heureux d’avoir vos conseils.

Deux exemples. Lors de la création de l’Université des métiers du nucléaire, il a été décidé de la localiser en Normandie pour la rapprocher des sites de Penly, d’Orano à La Hague, de Cherbourg – où est effectuée la maintenance des sous-marins nucléaires – et de Flamanville. Tous ces sites recherchaient en effet les mêmes compétences, avec pour conséquence un effet spéculatif et un manque de main-d’œuvre dans des domaines clés. La décision prise par l’État, la région et les différents acteurs concernés de placer les filières d’enseignement et de formation au plus près des sites où ces compétences étaient nécessaires a permis de remédier efficacement à certaines pénuries. Il s’agit donc d’un exemple positif.

Un contre-exemple est fourni par la filière de la plasturgie. Dans la vallée de l’Ain, à Oyonnax, se trouvent nombre d’entreprises utilisant des technologies de pointe et qui font la fierté de notre pays. Elles sont, elles aussi, confrontées à un problème de pénurie de main-d’œuvre et de compétences, et sont de taille similaire à celle des entreprises évoquées dans mon premier exemple. Le même type de contrat a donc été signé entre l’échelon national et l’échelon régional pour implanter les filières de formation au plus près des entreprises et créer des plateaux techniques. Or, quelques années après, on s’est rendu compte que cela avait non pas réglé mais accru la pénurie.

À la lumière de ces deux exemples, quelles recommandations pouvez-vous formuler concernant la répartition des compétences, le financement, l’allocation des ressources ou encore la répartition des responsabilités ? Comment traiter la question des pénuries de main-d’œuvre ? Quelles réformes appliquer aux filières de formation ? Nous avons mené la réforme de l’apprentissage ; nous préparons celle du lycée professionnel. Vos retours d’expérience sur ces sujets pourront nous être très utiles.

Mme Carole Delga. Concernant la répartition des compétences entre les collectivités locales et l’État, Régions de France milite pour que le foncier soit géré au niveau de la collectivité régionale et le logement au niveau de l’échelon départemental ou intercommunal, en fonction de qui gère l’aide à la pierre. Cette position est partagée par l’ensemble des présidents de région.

Le fonctionnement des établissements publics fonciers est très différent d’une région ou d’un département à l’autre. Dans ma région, nous travaillons en très bonne intelligence avec l’établissement public foncier (EPF) d’Occitanie, qui est un établissement public foncier de l’État. Depuis bientôt dix ans, la complémentarité de nos équipes nous a permis de travailler avec une grande fluidité et une grande efficacité. Ce n’est pas le cas dans toutes les régions, où des établissements publics à l’échelle de l’agglomération ou du département peuvent perturber le mécanisme.

Il est nécessaire d’établir une règle nationale. Les régions doivent bénéficier d’un pouvoir de décision sur les établissements publics fonciers et d’une délégation de compétence en la matière. C’est essentiel pour assurer une gestion raisonnée et modérée de la consommation de foncier.

S’agissant des infrastructures de transport, la conférence sur leur financement, présidée par Dominique Bussereau, vient de débuter. Avec les présidents de région, nous demandons un nouveau système de financement, mais également des moyens budgétaires supérieurs. Les nouvelles modalités de financement posent la question de la création de sociétés de grands projets, comme nous l’avons fait pour trois lignes ferroviaires à grande vitesse (LGV) dans les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie.

Nous demandons également que les péages dans le système ferroviaire ne soient plus inscrits en dépenses de fonctionnement mais en dépenses d’investissement. Nous devrions obtenir, d’ici quelques semaines, un arbitrage favorable sur cette question.

Concernant l’allocation des moyens, nous avons absolument besoin d’investir massivement dans les infrastructures de transport. Le ferroviaire a un coût budgétaire très élevé mais un coût environnemental optimal. Il faut donc dégager des ressources pour le ferroviaire, mais aussi pour le routier, le fluvial et le portuaire. C’est pourquoi tous les présidents de région souhaitent que la fin des concessions autoroutières soit réexaminée afin qu’une partie des bénéfices soit allouée au financement des infrastructures de transport. Celles-ci sont en effet indispensables pour assurer la compétitivité des entreprises et relier les populations.

Régions de France n’ayant pas arrêté de position sur la robotisation, je vais vous donner la mienne en tant que présidente socialiste d’une région de 6 millions d’habitants. Un suramortissement me paraît préférable à une subvention en raison du gain de productivité qui pourra ensuite être généré.

Nous devons parvenir à la souveraineté dans la production de robots. Cela ne se fera pas en un an ou deux : la montée en puissance connaîtra des phases. Il ne faut pas attendre que la filière robotique française ou européenne soit finalisée pour engager des aides à la robotisation. Une période transitoire de trois à cinq ans sera nécessaire.

Concernant la taxe carbone aux frontières, il me manque des éléments pour vous répondre. Régions de France aimerait travailler un peu plus en commun avec Bercy sur ce sujet et que les informations soient partagées. Je manque de visibilité sur la politique mise en œuvre et sur les possibilités de développement.

Je suis par principe très favorable à l’installation de formations au plus près des entreprises. La pénurie de candidats impose en effet de former localement le plus de personnes possible aux métiers concernés. Toutefois, il n’existe pas de solution unique que l’on pourrait décliner dans toutes les régions. L’une des options consisterait à accorder une plus grande compétence aux régions en matière de formation et à mener une grande réforme de son financement. Il faudrait stopper la tripartition entre formation initiale, formation des demandeurs d’emploi et formation continue, et mutualiser les équipements existant dans les territoires.

La conception de la formation pour les entreprises doit être régionalisée et se faire en relation avec les filières concernées, chacune d’entre elles étant organisée différemment. L’adaptabilité peut venir de la décentralisation, mais elle passe aussi, de façon indispensable, par le partenariat entre le public et le privé.

M. le président Charles Rodwell. La région Occitanie et d’autres régions en France mènent une politique d’attractivité au niveau interrégional. Vous avez un réseau de Maisons de l’Occitanie à l’international et vous avez tissé des liens puissants avec des régions proches de la vôtre. Régions de France promeut également la coopération interrégionale, notamment avec les régions transfrontalières. Avez-vous des recommandations à faire sur les mesures que nous pourrions prendre à l’échelle nationale pour continuer de renforcer la politique d’attractivité de notre pays ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous dire un mot de votre relation avec les services de l’attractivité à l’échelon national, notamment Business France ? Chaque vendredi est organisé le fameux comité d’orientation et de suivi des projets étrangers (Cospe), où les projets d’attractivité recensés à l’échelle nationale sont répartis entre les différentes régions du territoire français. Jugez-vous ce fonctionnement optimal ou pensez-vous qu’il peut être amélioré, notamment au service de la réindustrialisation du pays ?

Enfin, concernant les impôts de production, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a un lien direct avec les recettes des régions françaises. La réduction des impôts de production décidée il y a quelques années a-t-elle été compensée à la hauteur de vos attentes ? Sur quel mécanisme pourrions-nous nous fonder pour proposer une nouvelle baisse des impôts de production qui ne pénaliserait pas les régions françaises ?

Mme Carole Delga. L’Occitanie dispose encore de quelques maisons à l’étranger, mais j’en ai divisé le nombre par deux. Je n’ai souhaité les conserver que dans les secteurs où nous avions des résultats très probants : à New York, qui offre un lieu de rencontre et d’exposition intéressant à nos entreprises, notamment sur le marché viticole ; à Casablanca, point d’entrée sur le continent africain, particulièrement dans le domaine des énergies renouvelables, de l’eau et de l’aéronautique ; à Shanghai, enfin, qui se consacre quasiment exclusivement aux vins, ce marché représentant une grande part dans le chiffre d’affaires des viticulteurs à l’international et assurant à notre viticulture des prix de vente très intéressants et des marges significatives.

Nous devons nous appuyer sur le réseau diplomatique français, qui est exceptionnel. Toutefois, l’articulation entre nos ambassades, Business France et les régions devrait être optimisée en vue de l’organisation de salons internationaux. J’ai été étonnée, quand je me suis rendue au Japon en tant que présidente de Régions de France pour inaugurer un salon sur l’agroalimentaire, de constater à quel point le stand de la France était petit, comparé à ceux de l’Espagne et de l’Italie. C’était très préoccupant dans la mesure où l’industrie agroalimentaire espagnole, à laquelle nous n’avons rien à envier s’agissant de la qualité des produits, ressemble beaucoup à celle de la France – je n’en dirai pas autant de l’industrie agroalimentaire italienne, dont la structuration, reposant sur de très grands groupes, est assez différente. M. l’ambassadeur de France au Japon, qui se tenait à mes côtés, a pu constater mon mécontentement. J’en ai également fait part au Président de la République. Nous aurions pu faire un tout autre stand si Business France et l’ambassade avaient davantage mutualisé leurs forces.

Par ailleurs, les présidents de région sont globalement satisfaits de leurs relations avec Business France. Cet opérateur propose de plus en plus de prestations payantes et nous restons attentifs à l’évolution de son budget. La coopération peut encore être améliorée, mais les bases sont plutôt bonnes.

Les régions dépendent à 94 % des dotations de l’État. Leurs ressources fiscales propres, de l’ordre de 6 %, proviennent de la taxe sur les cartes grises. En conséquence, nous dépendons chaque année de la loi de finances votée par le Parlement. La compensation de la suppression de la taxe professionnelle n’a pas été à la hauteur : nous avons perdu toute la dynamique de la taxe. Quant à la CVAE, le taux plafond est appliqué de façon nationale.

Régions de France défend une fiscalité propre pour chaque collectivité locale. Il est très malaisant de devoir engager de gros travaux sur plusieurs années sans être assuré de ses recettes. Je l’ai vécu avec le chantier des éoliennes flottantes qui seront installées dans quinze jours en Méditerranée, au large de Port-La Nouvelle. Quand la région engage des financements de l’ordre de 325 millions d’euros sur plusieurs années et que, chaque année, les crédits peuvent baisser de façon significative, il est complexe d’engager de lourds chantiers.

De plus, quand on est élu, il faut répondre de la politique fiscale devant nos concitoyens. Cela permet d’accroître notre niveau de responsabilité sans avoir à renvoyer systématiquement à l’État ou à l’Europe. Nous devons avoir les moyens financiers de répondre de nos actions. Les collectivités locales doivent retrouver une autonomie financière et fiscale : telle est la vision partagée par l’ensemble des présidents de région.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Madame la présidente, il nous paraissait indispensable de vous entendre dans la mesure où vous représentez l’ensemble des régions françaises, lesquelles exercent de nombreuses compétences en lien avec les moyens nécessaires à la réindustrialisation du pays.

Ma première question porte sur la répartition des compétences entre l’État et les régions en matière de politique économique. Comment peut-on améliorer l’articulation entre, d’une part, une stratégie nationale de structuration et de développement de filières – qu’elles soient stratégiques ou qu’il s’agisse de filières de substitution aux importations – et, d’autre part, les réalités économiques régionales et les stratégies industrielles divergentes de chacune des régions, étant donné que la planification industrielle revient aux régions dans la loi Industrie verte d’octobre 2023 ?

Ma deuxième question concerne le programme d’investissement France 2030. Le plan France relance, doté de quelque 100 milliards d’euros, consacrait près de 30 milliards aux PME (petites et moyennes entreprises) et aux ETI (entreprises de taille intermédiaire) composant le socle industriel de base, lequel est nécessaire au développement de l’ensemble des filières industrielles. À l’inverse, d’autres acteurs comme M. Olivier Lluansi, dénoncent que le plan France 2030 se concentre essentiellement sur les innovations de rupture – autrement dit, sur les start-ups – en négligeant les acteurs industriels de base, ce que beaucoup dénoncent. Selon vous, ce choix stratégique est-il une erreur ? En tant que présidente de Régions de France mais aussi de la région Occitanie, avez-vous constaté que les PME et ETI se sentent négligées par les programmes d’investissement ?

Mme Carole Delga. La nécessité de réindustrialiser la France est une position unanimement partagée par les présidents de région. Il n’y a pas de stratégie industrielle régionale déconnectée d’une politique gouvernementale. C’est pourquoi nous proposons depuis plusieurs années au Président de la République d’établir des contrats d’objectifs et de moyens en matière économique et industrielle, afin que les objectifs de la France soient déclinés région par région, avec des adaptations. Si la filière automobile et la filière aéronautique sont toutes deux respectivement soumises à des transformations lourdes, la filière automobile présente des types d’organisation assez différents selon les régions. La signature de contrats d’objectifs et de moyens entre l’État et les régions permettrait de soutenir la création d’emplois. Nous devons toutes et toutes être mobilisés pour réduire le chômage et offrir un travail épanouissant à nos concitoyens. L’industrie et la souveraineté industrielle y participent grandement.

Les présidents de région déplorent l’absence d’une véritable coopération en matière économique et industrielle. Je doute de l’utilité des appels à projets des administrations centrales menés sans aucune concertation avec les régions, voire avec les préfets de région qui, souvent, n’en sont pas informés. C’est pourquoi j’indiquais dans mon propos liminaire qu’il fallait renforcer non seulement la décentralisation, mais aussi la déconcentration. La question doit être posée, au niveau du Président de la République ou du Premier ministre, d’un contrat pluriannuel sur trois ans permettant d’additionner nos forces et de démultiplier les effets de l’argent public.

S’agissant de France 2030, je ne serai pas aussi catégorique que vous sur sa focalisation sur les start-ups et les innovations de rupture. Je n’ai pas, en tant que présidente de Régions de France, un avis négatif sur ce plan, mais il est vrai qu’il lui manque un volet consacré à la croissance et à la structuration des PME et des ETI. France relance avait réussi à engager une dynamique, grâce à un travail partenarial qui était très intéressant. Entamé sous Jean Castex, celui-ci s’est un peu délité. France 2030, qui est désormais surtout une affaire de spécialistes, irrigue moins le tissu industriel local. C’est regrettable, car la réindustrialisation doit être un projet politique, au sens noble du terme, c’est-à-dire porté par l’ensemble de la population et intégrant beaucoup d’entreprises.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Il y a quelques semaines, nous avons auditionné le PDG d’Airbus, M. Guillaume Faury. À cette occasion, je l’ai interrogé sur l’atout que constitue la présence d’un écosystème d’entreprises au sein d’un même bassin. De votre point de vue, quels sont les avantages et les inconvénients de la concentration d’une filière dans une même région ? Réciproquement, dans le cadre d’une stratégie nationale en concertation avec les régions, quels seraient les atouts et les inconvénients de la spécialisation des régions dans une filière précise ? Si, un jour, le carnet de commandes d’Airbus venait à se détériorer, c’est toute une région qui risquerait d’être fragilisée.

Mme Carole Delga. Notre industrie aéronautique est un fleuron européen et doit continuer à être une force. Je suis très satisfaite du fonctionnement de cette filière française, qui s’appuie sur une vision d’ensemble de la chaîne d’approvisionnement ou supply chain. Ses donneurs d’ordre prêtent une grande attention aux sous-traitants, même de rang deux ou trois. Certaines PME se plaindront de la rudesse des négociations commerciales, mais je peux témoigner que dès qu’une PME stratégique pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement est en difficulté, les grands donneurs d’ordre, Airbus au premier rang, répondent toujours présent.

Quand j’ai été élue présidente de région, il y a neuf ans, j’ai souhaité renforcer les piliers économiques de la région – l’aéronautique, l’agroalimentaire et le tourisme –, mais aussi diversifier l’économie, grâce aux filières bio santé et énergies renouvelables, notamment.

Même s’il faut éviter les mono-industries, certaines régions doivent constituer des pôles de filière pour structurer un système de formation puissant et maintenir un haut niveau d’innovation. Dans certaines régions, la filière chimie a ainsi atteint une taille critique permettant la concentration de laboratoires de recherche de très haut niveau, d’écoles et d’acteurs de la supply chain. Plutôt que de disperser l’industrie aéronautique ou chimique dans toutes les régions, il vaut donc mieux les concentrer dans deux ou trois zones.

La diversification n’en reste pas moins nécessaire. Lors de la crise du Covid, alors que les avions ne volaient plus et que le tourisme était à l’arrêt, j’ai apprécié d’avoir développé l’industrie agroalimentaire et les énergies renouvelables durant les années précédentes.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Deux dispositifs mi-nationaux mi-locaux visent à favoriser l’innovation et l’industrie : les pôles de compétitivité, qui relèvent essentiellement de la région, et le programme Territoires d’industrie, qui vise à faire avancer main dans la main élus locaux et industriels, ce qui me semble aller dans le bon sens. Comment jugez-vous l’efficacité de ces dispositifs ? Comment devraient-ils évoluer ?

Mme Carole Delga. Les régions tirent un bilan plutôt positif des pôles de compétitivité. Ils permettent de soutenir les projets collectifs de recherche et développement (R&D). La labellisation permet de renforcer la pertinence de projets collaboratifs et d’obtenir des financements nationaux ou, surtout, européens, en plus des financements privés. Nous jugeons également positivement l’animation du réseau des adhérents. Les présidents de région sont très majoritairement satisfaits des pôles de compétitivité, même s’ils ne le sont pas tous.

Quant à Territoires d’industrie, la phase 2 du programme nous satisfait beaucoup plus que la phase 1. Le programme montre l’importance du volontarisme politique et permet d’associer tout un écosystème local concernant les questions industrielles. En Occitanie, le financement de la région est même supérieur à celui de l’État pour ce programme.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Voyez-vous des améliorations à apporter à ces deux dispositifs ?

Mme Carole Delga. L’instabilité institutionnelle de la France depuis un an a ralenti la coopération entre les services de l’État et les acteurs locaux, dont les régions. Il faudrait relancer le dispositif partenarial.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Il n’y a pas d’industrie sans demande. Or les régions sont d’importants acheteurs publics dans notre pays. La dépense publique y est quasi contrainte et immuable, par-delà toute considération d’efficacité budgétaire. En tant que présidente de Régions de France, êtes-vous favorable à l’instauration d’une clause de localisation dans les marchés publics ? Cette clause autoriserait les acheteurs publics, sans les y obliger, à choisir une offre locale, même quand celle-ci serait légèrement plus chère. Le caractère local pourrait être défini à l’échelle départementale, régionale ou nationale ; il pourrait concerner la production ou les moyens d’exécution du service, par exemple. Une telle clause de priorité locale resterait conforme au droit européen de la concurrence ; elle est d’ailleurs appliquée en Allemagne.

Olivier Lluansi a également pointé l’intérêt des centrales d’achat, qui permettent aux acheteurs publics de réaliser des économies d’échelle, de sorte que l’argent du contribuable est mieux utilisé. Y avez-vous recours ? Jugez-vous pertinent de les développer ?

Mme Carole Delga. Contrairement aux départements, où les dépenses de fonctionnement sont très lourdes, notamment pour financer les aides à la personne, les régions sont des collectivités d’investissement. Nous avons encore augmenté nos capacités d’investissement ces dernières années, à la faveur des plans de relance, dont les gouvernements successifs nous ont demandé d’être partenaires.

En cinq ans, nous avons augmenté nos investissements de 25 %. Même si nous avons réalisé de nombreuses économies de fonctionnement, celles-ci n’ont pas compensé intégralement une telle hausse, si bien que notre endettement a progressé. Les régions ont encore besoin de dotations pour investir, dans le cadre d’objectifs partagés avec l’État.

Actuellement, le code des marchés publics permet déjà de choisir le mieux-disant. Il permet de prendre en considération d’autres critères que le prix, tels que la qualité de la prestation – par exemple, la réactivité pour les tâches d’entretien – ou son bilan carbone. La commande publique de la région Occitanie favorise fortement des entreprises locales ou proches.

Je ne connais pas la législation en Allemagne, mais je trouve très exagéré le reproche, adressé par certains au code des marchés publics, d’empêcher l’activité des entreprises françaises. Même si je suis toujours ouverte aux réformes, ce code et les règlements européens permettent déjà des adaptations.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Certes, la clause environnementale permet de favoriser des productions locales, en prenant en compte, par exemple, l’impact carbone du transport d’une fourniture. Toutefois, selon France industrie, actuellement, les deux tiers des achats manufacturiers des acheteurs publics sont importés. Je ne dis pas que tous ces achats pourront être remplacés par des produits locaux, mais l’absence d’une clause de localisation rend difficile aux acheteurs publics de favoriser les productions nationales ou locales. C’est la raison pour laquelle je vous interrogeais sur le critère de localisation, par-delà les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pouvant constituer une discrimination favorable dans le cadre des marchés publics pour nos entreprises.

Mme Carole Delga. L’importation de produits manufacturiers est avant tout liée à la désindustrialisation de notre pays et au fait que l’Europe n’est plus un continent de production. Il faut d’abord relancer la production. Même si le code des marchés publics doit sans doute être amélioré, il permet déjà de soutenir l’industrie française, si l’on fait preuve de volontarisme politique.

Nous sommes très favorables aux groupements d’achats. Les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine se sont ainsi associées pour acheter des trains ou, lors de l’épidémie de Covid, des masques.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Oui, il manque sans doute une offre française en matière manufacturière. Mais si nous autorisons la demande française à s’exprimer grâce au critère de localisation, nous favoriserons la création de l’offre.

La région a la charge des lycées. Quelles actions mener dans ces établissements pour accroître l’attractivité des métiers de l’industrie, y sensibiliser les jeunes ? Les régions mènent-elles déjà des actions en la matière ?

Nous voulons réindustrialiser notre pays, et nous avons donc besoin de métiers industriels. Même si ces métiers sont variés, les filières scientifiques leur sont indispensables, pour des questions de technicité et d’innovation. Quel regard portez-vous sur la réforme du baccalauréat ? En 2022, 27 % des bacheliers généraux avaient un bac scientifique ; ils étaient 52 % avant la réforme du baccalauréat.

Mme Carole Delga. Les régions font déjà beaucoup pour favoriser la connaissance des métiers industriels. Elles organisent des salons de présentation des métiers et d’orientation et prennent en charge les frais de déplacement des lycéens qui s’y rendent. Elles organisent également des visites d’entreprise, avec des syndicats d’entreprise tels que le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ou avec des organisations professionnelles telles que l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) durant la semaine des métiers de l’industrie. Tous les présidents de région créent des moments pour permettre aux lycéens de connaître la réalité de ces métiers et des cursus qui permettent d’y accéder. Ils font également venir des chefs d’entreprise dans les lycées.

Quant à la réforme du bac, je vous donnerai mon avis personnel : les sciences et les mathématiques sont indispensables et je déplore la baisse du nombre d’heures allouées aux mathématiques au lycée.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je partage votre constat concernant les mathématiques, question que je n’avais pas abordée. Il est dramatique pour les générations concernées d’avoir supprimé l’obligation d’enseignement de cette discipline.

Il faut mieux adapter l’offre de formation aux besoins de l’industrie. Quel jugement portez-vous sur les écoles de production ? Les lycées agricoles relèvent du ministère de l’agriculture. L’UIMM propose, sur le même modèle, que les lycées professionnels, en tout cas les filières à vocation industrielle de ces établissements, relèvent du ministère de l’industrie. Qu’en pensez-vous ?

Mme Carole Delga. Les présidents de région sont favorables aux écoles de production, même si ces écoles, qui présentent un grand intérêt, ne sont pas également réparties dans toutes les régions, du fait de leur histoire. Nous les traitons comme nous traitons les autres organismes de formation dans le domaine industriel.

Je souscris à de nombreuses propositions de l’UIMM, mais pas à celle que vous mentionnez, en tant que présidente socialiste de la région Occitanie. Les lycées professionnels doivent rester dans le giron de l’éducation nationale. Toutefois, à titre personnel, je pense qu’il est bon que le président du conseil d’administration du lycée soit un professionnel, quel que soit le lycée. Dans l’enseignement agricole, les présidents de conseil d’administration sont agriculteurs ou travaillent dans l’industrie agroalimentaire. Une telle présence d’un acteur issu du monde économique est toujours intéressante et constitue un gage d’ouverture.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Quel jugement portez-vous sur l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) inclus dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets et sur la proposition de loi sénatoriale visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus, dite « proposition de loi Trace », qui vise à l’assouplir ? Tout à l’heure, vous avez indiqué préférer le bâti vertical au bâti horizontal.

Mme Carole Delga. Pour le logement !

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Bien sûr. Mais la question est liée à la réindustrialisation, puisque celle-ci nécessitera davantage de logements.

Un chiffre doit nous alerter : 90 % des intercommunalités de France affirment qu’en 2030, elles n’auront plus de foncier disponible pour l’industrie. Ne faut-il donc pas changer de logique et assouplir les contraintes en matière d’artificialisation du sol prévues dans l’objectif ZAN ?

Tout à l’heure, en lien avec la loi industrie verte d’octobre 2023, vous avez évoqué les projets d’intérêt national majeur (PINM), qui bénéficient de la qualification « raison impérative d’intérêt public majeur » (Riipm), pour défendre leur extension. Que penseriez-vous d’élargir la qualification de Riipm à tout projet industriel créateur de nombreux emplois, à condition qu’il s’implante sur une friche industrielle, afin de contribuer à la sobriété foncière à laquelle nous aspirons tous ?

Mme Carole Delga. Régions de France est plutôt favorable à la proposition de loi Trace. Nous pourrons vous transmettre les propositions et attendus que nous avions communiqués au Sénat il y a quelques mois.

Quant au chiffre selon lequel 90 % du foncier à usage industriel des intercommunalités serait consommé d’ici cinq ans…

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Je précise qu’il s’agit d’un chiffre d’Intercommunalités de France, qui affirme qu’en 2030, si nous respectons les objectifs de ZAN, 90 % des intercommunalités du pays n’auront plus de foncier disponible pour l’industrie.

Mme Carole Delga. En tout cas, ce ne sera pas 90 % des quelque 150 intercommunalités d’Occitanie – je parcours la région tous les jours. Nous avons réussi à obtenir un foncier important pour l’industrie, tant pour des grands groupes comme Airbus ou Genvia, qui construira des électrolyseurs à haute température à Béziers, que pour des zones artisanales dédiées à des TPE et PME – même si nous aurions bien aimé 20 % de foncier supplémentaire.

Le chiffre que vous citez n’est pas réaliste. Autant je suis favorable à un assouplissement des délais, autant je ne m’inquiète pas de la disponibilité du foncier pour l’industrie en Occitanie dans les cinq prochaines années.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. En tant que présidente de la région Occitanie, vous avez racheté en juillet dernier l’ancien site de l’usine de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), après avoir racheté les outils de production l’année précédente. Alors que vous êtes ainsi propriétaire du foncier, aucun industriel ne s’est proposé, à ma connaissance, pour reprendre le site. Pouvez-vous le confirmer ? Le rôle des régions est-il d’intervenir de cette manière ? Quelles actions menez-vous pour trouver un repreneur ?

Mme Carole Delga. La région a en effet acheté l’équipement puis le foncier de cette usine. Des travaux de sécurisation sont en cours. Contrairement à ce que vous indiquez, nous sommes en contact avec plusieurs repreneurs. Nous comptions sur un premier projet, déjà bien avancé, mais il ne s’est pas concrétisé, notamment à cause du manque de mobilisation de l’État. Nous avons des contacts avec d’autres industriels qui ont formulé plusieurs projets. Ce partenariat se noue sous le sceau de la confidentialité.

M. Alexandre Loubet, rapporteur. Ma dernière question aura une portée plus politique. Nous avons auditionné le directeur général de Safran. Pour lui, « il n’est plus question d’investir en France dans une ville détenue par une majorité écologiste ». Comprenez-vous ces propos ? Pour ma part, je comprends qu’un industriel ressente une certaine hostilité de la part d’élus écologistes.

Mme Carole Delga. Je ne commenterai pas ces propos. La région Occitanie travaille en bonne intelligence avec le directeur général de Safran, un grand industriel au service de notre pays et de l’Europe.

En Occitanie, la majorité régionale de gauche mène une politique d’égalité des chances – c’est d’ailleurs dans notre région que la rentrée scolaire pour les lycéens est la moins chère. Nous aimons l’entreprise, favorisons la création d’emplois et nouons un partenariat de confiance avec le monde de l’entreprise, ce qui n’exclut pas d’être exigeant. Ce partenariat participe activement à la souveraineté de notre pays, aux niveaux industriel, énergétique – avec les éoliennes flottantes qui seront installées dans les prochains jours – et alimentaire – nous soutenons fortement les agricultrices et agriculteurs.

M. le président Charles Rodwell.  Je vous remercie d’avoir répondu à nos questions et vous invite à compléter nos échanges en répondant au questionnaire qui vous a été transmis ou en faisant parvenir au secrétariat tout document que vous jugeriez utile à notre commission.

 

La séance s’achève à dix-neuf heures trente-cinq.


Membres présents ou excusés

Présents.  M. Alexandre Loubet, M. Charles Rodwell, M. Thierry Tesson, M. Frédéric Weber