Compte rendu

Commission d'enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Marie DAUDÉ, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS), et de M. Stéphane PARDOUX, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP).              2

– Présences en réunion................................13

 


Mercredi
19 mars 2025

Séance de 14 heures 00

Compte rendu n° 3

session ordinaire de 2024-2025

Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président de la commission

 


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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

La commission auditionne Mme Marie DAUDÉ, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS), et de M. Stéphane PARDOUX, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP).

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête en abordant le cœur de notre sujet.

La direction générale de l'Offre de soins (DGOS), à travers ses cinq sous-directions, a pour missions de couvrir les besoins de soins par territoire, de garantir la permanence des soins, d’organiser les soins de premier recours, d’assurer l'équité, la qualité et la sécurité des prises en charge hospitalières, de développer des parcours de soins ouverts en lien avec les secteurs libéral et médico-social, d’allouer les ressources aux établissements de santé, de concevoir de nouveaux modèles de financement et de piloter l'investissement en santé.

L’Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), organisée autour de six pôles d'expertise métiers, a pour mission d'accompagner et d'outiller les professionnels des établissements sanitaires et médico-sociaux dans l'amélioration de leur performance.

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure » pour prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Marie Daudé. et M. Stéphane Pardoux prêtent serment.)

Mme Marie Daudé, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS). L’accès aux soins constitue une priorité centrale pour les pouvoirs publics et pour ma direction, comme en témoignent de nombreux rapports récents. Le rapport d’information du Sénat de novembre 2024 sur les inégalités territoriales pointe notamment un déséquilibre croissant entre une demande accrue, liée au vieillissement et à la progression des pathologies chroniques, et une offre de soins en diminution dans certains territoires, aggravée par des difficultés d’attractivité des métiers du soin et par la fragilité financière de certains établissements. La Cour des comptes, dans son rapport de mai 2024 sur l’organisation territoriale des soins de premiers recours, met également en lumière des inégalités marquées dans les délais moyens d’accès aux soins, pouvant aller de 6 à 123 jours selon les spécialités et les territoires, ainsi qu’une proportion préoccupante de patients sans médecin traitant, notamment ceux en affection de longue durée.

Face à cette situation, les pouvoirs publics mobilisent trois leviers principaux.

Le premier levier est démographique. La réforme de 2020 a mis fin au numerus clausus et instauré un numerus apertus, permettant une augmentation notable du nombre d’étudiants en médecine (près de 11 000 aujourd’hui, contre 7 000 à 7 500 auparavant). Les effets concrets de cette réforme ne seront toutefois perceptibles qu’à partir de 2030. Parallèlement, des aides incitatives soutiennent l’installation dans les zones sous-dotées et la formation médicale se décentralise avec le développement d’antennes territoriales, en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur. L’objectif est d’encourager l’installation des futurs médecins dans les territoires où ils se sont formés. La quatrième année de docteur junior en médecine générale, quant à elle, sera l’occasion de promouvoir les stages en zone fragile. Au-delà de la démographie, il s’agit également d’améliorer l’attractivité pour fidéliser les professionnels soignants. Cela passe par une amélioration des formations, en particulier pour les personnels non médicaux, avec une attention portée aux premiers stages infirmiers, ainsi que par des mesures de revalorisation, notamment pour le travail de nuit à l’hôpital.

Le deuxième levier concerne l’organisation des soins. Les attentes des professionnels évoluent vers des pratiques moins isolées et plus compatibles avec la vie personnelle. Nous accompagnons cette évolution en renforçant les dispositifs d’exercice coordonné, comme les maisons et centres de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou encore le service d’accès aux soins (SAS). Ces structures contribuent à améliorer la couverture territoriale et l’efficience des parcours, en désengorgeant les hôpitaux et en assurant un meilleur suivi des patients. Nous réfléchissons également à une meilleure répartition de l’offre de soins à travers la spécialisation progressive des établissements, sans renoncer à la proximité, grâce à des dispositifs innovants tels que les centres de périnatalité ou les hôtels hospitaliers.

Le troisième levier porte sur les modes de prise en charge et leur financement. Des réformes récentes facilitent la délégation de tâches et de compétences entre professionnels de santé. La réforme de la profession infirmière en est une autre illustration tandis que le recours aux assistants médicaux permet d’optimiser le temps administratif en ville. Le développement rationnalisé et encadré de la télésanté et de la téléconsultation s’inscrit également dans cette dynamique. L’ensemble de ces réformes intervient dans un contexte financier contraint mais nous adaptons les modes de financement, notamment à travers la dotation populationnelle, afin de mieux répondre aux besoins locaux.

Conscients des fragilités économiques de nos établissements, nous accompagnons les démarches de retour à l’équilibre, en misant sur la performance, l’efficience et une offre de soins de qualité, délivrée par les bons professionnels, au bon moment.

M. Stéphane Pardoux, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). Les missions de l’ANAP, agence de conseil publique, se sont nettement élargies ces dernières années, dans le cadre du renforcement de l’action publique et de la volonté de limiter le recours aux cabinets de conseil privés. Notre équipe, composée d’une centaine de professionnels, est constituée exclusivement de personnes ayant exercé dans des établissements de santé.

Une spécificité essentielle de l’ANAP réside dans son réseau de 750 experts affiliés, actuellement en poste dans des établissements de santé, qui interviennent ponctuellement dans d’autres structures pour le compte de l’agence. Cette dynamique de partage d’expériences entre pairs constitue le fondement de notre méthode d’accompagnement.

Placée sous la triple tutelle des ministères des comptes publics, de la santé et des solidarités, l’ANAP étend désormais son intervention au champ médico-social, avec une attention croissante portée aux EHPAD et aux établissements spécialisés dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap.

Notre programme de travail, élaboré en concertation avec les pouvoirs publics, les agences régionales de santé (ARS) et les établissements eux-mêmes, repose sur trois missions fondamentales. La première consiste à intervenir directement sur le terrain, en apportant gratuitement un accompagnement individuel ou collectif aux établissements. En 2024, plus de 200 accompagnements directs sur des sujets tels que l’immobilier hospitalier, la gestion des blocs opératoires, la performance économique ou le développement de l’hospitalisation à domicile ont été réalisés.

La deuxième mission vise à expliquer les réformes et à fournir des outils concrets aux établissements, en particulier aux structures de taille modeste ou intermédiaire. Tous nos outils sont gratuits et mis à disposition en libre accès sur notre site internet.

La troisième mission concerne l’évaluation des dispositifs publics et le conseil aux pouvoirs publics. Une cellule dédiée évalue l’impact des actions et analyse des politiques publiques spécifiques.

Pour améliorer l’accès aux soins, l’ANAP agit de manière coordonnée sur plusieurs leviers. Elle s’attache tout d’abord à optimiser l’organisation interne des établissements, en s’appuyant sur les pratiques exemplaires observées dans les structures les plus performantes. Ces travaux portent aussi bien sur les blocs opératoires, les services d’urgences, les plateaux de consultation que sur les établissements de santé mentale ou le développement de l’ambulatoire dans différents secteurs. Elle œuvre ensuite à l’amélioration des conditions de travail, afin de renforcer l’attractivité du secteur. À cette fin, elle propose des méthodes d’organisation des équipes, des outils de gestion des plannings et des effectifs, ainsi que des stratégies permettant de valoriser la marque employeur. Une bibliothèque comprenant plus de 200 cycles de planning est notamment mise à disposition des cadres de santé pour les aider à structurer le travail quotidien. L’ANAP encourage par ailleurs l’intégration raisonnée des technologies au service de l’accès aux soins. Par exemple, un travail récent a été consacré à l’efficience des petits plateaux techniques d’imagerie, en tenant compte de la baisse significative du coût des équipements, notamment les scanners. En parallèle, l’agence promeut le développement de prises en charge innovantes, telles que l’hospitalisation à domicile (HAD). Elle accompagne actuellement environ un tiers des structures de France dans l’amélioration de leurs pratiques. Enfin, l’ANAP contribue au renforcement de la situation économique des hôpitaux, en diffusant les bonnes pratiques de gestion financière et logistique identifiées dans les établissements les plus performants.

La conception de la performance que nous portons ne se limite pas à sa seule dimension économique. Elle est, selon nous, globale, intégrant la qualité des soins, l’organisation du travail, l’efficience des ressources et la capacité à innover. C’est à cette performance multidimensionnelle que nous nous attachons, dans la perspective constante d’améliorer l’accès aux soins pour tous.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Nous avons souhaité élargir le périmètre de notre commission d'enquête pour aborder plus en détail l'organisation, au-delà de la seule question de l'accès aux soins. Je prévois de me rendre dans vos locaux entre avril et mai afin de consulter divers documents que nous vous demanderons de préparer.

Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer comment s'effectue la coordination entre la DGOS et les ARS sur le territoire ?

Concernant la répartition des gardes de soins, nous constatons que 87 % sont assurées par les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les hôpitaux publics, avec une faible participation des hôpitaux privés. Comment expliquez-vous ce déséquilibre et comment s'organise la répartition de ces gardes au niveau départemental ?

Comment est effectuée la répartition des activités de soins sur les territoires, notamment pour des services comme la dialyse ? Pour quelles raisons certaines activités lucratives semblent-elles être davantage orientées vers le secteur privé ?

Disposez-vous d'indicateurs sur l'utilisation et l'évolution des coûts des personnels intérimaires, qu'il s'agisse de médecins ou d'infirmiers ?

Enfin, concernant les infirmiers en pratique avancée (IPA), nous constatons une baisse d'intérêt pour cette formation, principalement due à des questions de rémunération. Avez-vous des données ou des propositions à ce sujet ?

Monsieur Pardoux, j'aimerais savoir si l'ANAP a réalisé des études comparatives sur la performance entre le secteur public et le secteur privé. Avez-vous formulé des propositions pour améliorer l'organisation administrative ou la répartition des activités dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ?

Mme Marie Daudé.  S’agissant des relations entre les ARS et la DGOS, je rappelle qu’elle n’est qu’un des donneurs d’ordre, aux côtés d’autres directions centrales telles que la Direction générale de la Santé (DGS) pour les enjeux sanitaires et environnementaux, ou la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour les établissements médico-sociaux.

La DGOS a renforcé la qualité et la fréquence des échanges avec les ARS, estimant que l’efficacité repose sur une meilleure articulation entre les visions nationale et territoriale. Il ne s’agit pas de se substituer aux ARS, dont le rôle consiste précisément à connaître et organiser l’offre de soins sur le terrain. En revanche, ces agences n’ont pas toujours la vision d’ensemble des priorités nationales, ce qui rend indispensable une circulation réciproque de l’information. Des réunions régulières sont désormais organisées sur des thèmes tels que les ressources humaines, l’organisation des soins ou encore le financement. L’objectif est de construire les décisions en amont, de manière concertée, afin de favoriser leur mise en œuvre effective et adaptée aux réalités locales.

Sur des sujets tels que la permanence des soins ou la répartition des activités, le rôle de la DGOS consiste à produire les textes de référence et à fournir aux ARS les outils nécessaires pour bâtir une offre cohérente d’accès aux soins sur le territoire. Le dernier schéma de permanence des soins s’appuyait fortement sur le secteur public qui, à l’époque, exprimait le souhait d’assurer cette mission. Le secteur privé, quant à lui, manifestait parfois des réticences à prendre part aux dispositifs imposés.

La situation actuelle évolue, avec une demande de partage plus équilibré de l’effort de la part du secteur privé. Il ne serait en effet ni équitable ni soutenable que la charge repose uniquement sur un acteur. De nouveaux leviers ont été créés à cette fin. La loi Valletoux permet désormais de contraindre les médecins exerçant dans des cliniques privées à participer à la permanence des soins et non plus seulement l’établissement en tant que tel. Jusqu’ici, un directeur d’ARS pouvait solliciter une clinique mais l’absence d’engagement des médecins libéraux rendait l’obligation inopérante. La procédure a été renforcée, puisque l’appel à candidatures devient transparent, ouvert à tous et les exclusions doivent être motivées. Il est également désormais possible de mutualiser cette permanence entre structures juridiques différentes si les praticiens le souhaitent.

Le processus vient tout juste de débuter avec la publication des schémas régionaux. Leur validation interviendra d’ici la fin de l’année, suivie du lancement des appels à candidatures. Les premiers effets de ces mesures pourront être observés à ce moment-là.

M. Stéphane Pardoux. Pour compléter ces propos, une étude a été confiée à l’ANAP sur la mise en œuvre de la permanence des soins partagés. Ce travail a permis de recenser les bonnes pratiques actuellement en vigueur dans le pays et d’élaborer un guide opératoire, conçu comme un mode d’emploi concret, illustré d’exemples de coopération entre établissements publics et privés. Publié récemment à la demande de la DGOS, ce guide a déjà été téléchargé 2 500 fois. Il répond à des questions très pratiques, telles que le partage d’un bloc opératoire ou la possibilité pour un chirurgien d’intervenir de nuit dans un autre établissement. Ce sont précisément ces détails logistiques, souvent sous-estimés, qui freinent la mise en place effective de la permanence des soins partagés.

Mme Marie Daudé. Plusieurs outils ont été déployés pour accompagner les ARS dans la nouvelle organisation de la permanence des soins. Des textes réglementaires ont d’abord été adoptés, suivis d’une enquête nationale diffusée à l’ensemble des ARS et des établissements afin d'engager un dialogue local, d’ajuster les lignes et de mieux répartir la charge.

Un second levier vise à encourager des organisations nouvelles, telles que l’alternance ou la mutualisation de lignes de garde, toujours fondées sur le volontariat des professionnels. Dans ce contexte, la Fédération de l’hospitalisation privée revendique aujourd’hui une implication équivalente à sa part d’activité globale, soit 35 % de la permanence des soins.

Parallèlement, la réforme des autorisations modifie en profondeur les conditions techniques de fonctionnement. Les ARS, qui ont adopté leurs plans régionaux de santé en 2023, commencent à mettre en œuvre les nouvelles opportunités, ce qui devrait entraîner une reconfiguration progressive de la carte hospitalière.

S’agissant de la répartition des activités entre secteurs public et privé, il n’existe pas de doctrine nationale et chaque ARS tient compte des spécificités locales. À titre d’exemple, la réforme du financement de la dialyse vise à supprimer les rentes de situation.

Concernant l’intérim, les données de la direction générale des finances publiques (DGFIP) montrent un recul de l’intérim médical depuis l’entrée en vigueur du plafonnement en 2023. Pour les personnels non médicaux, la tendance est plus hétérogène. Une mesure analogue, votée dans la LFSS 2025, viendra encadrer l’intérim paramédical.

Enfin, concernant les IPA, la dernière convention a permis une revalorisation substantielle du modèle économique en ville. Toutefois, la pénurie de professionnels formés et leur préférence pour l’hôpital ralentissent encore leur déploiement dans les structures de premier recours. L’accès direct récemment accordé par décret soulève des questions de valorisation à discuter, dans le cadre d’une adaptation progressive du modèle.

M. Stéphane Pardoux. Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’l’Inspection générale des finances (IGF) est en cours pour comparer les performances des secteurs public et privé.

Au-delà de cette évaluation, l’enjeu principal consiste pour nous à identifier les initiatives efficaces sur les territoires, quel que soit leur statut. L’intérêt de tels modèles inspire des réflexions sur leur éventuelle transposition ailleurs.

Il n’existe pas de différence systémique de performance entre les secteurs et les écarts observés tiennent davantage aux dynamiques territoriales et à la capacité des acteurs à coopérer. Sur le terrain, les résultats les plus probants proviennent précisément des territoires où la collaboration entre établissements, publics comme privés, est la plus aboutie. La complexité croissante du fonctionnement hospitalier, associée au besoin d’investissements technologiques conséquents, rend cette coopération indispensable. C’est elle qui permet une organisation rationnelle des ressources et une meilleure réponse aux besoins locaux.

Les exemples les plus convaincants montrent que l’articulation entre hôpitaux, établissements privés et médecine de ville constitue la condition la plus favorable à l’amélioration de l’accès aux soins. À l’inverse, les territoires où chaque établissement fonctionne en silo, soucieux de préserver son périmètre, rencontrent plus de difficultés à garantir cette accessibilité.

Les dynamiques collectives, lorsqu’elles sont mises en œuvre dans le respect des spécificités de chaque structure, offrent des réponses plus cohérentes à la population. Cette tendance se confirme dans de nombreuses régions et se vérifie notamment dans les évolutions structurelles.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Monsieur Pardoux, bien que l’ANAP ne puisse pas s'autosaisir, avez-vous été mandatés pour évaluer l'impact de la tarification à l’activité (T2A) sur l'accès aux soins ?

Madame Daudé, en cinquante ans, 75 % des maternités ont été fermées, éloignant considérablement les femmes de leur lieu d’accouchement. Cette concentration est justifiée par une recherche de sécurité mais, dans le même temps, la mortalité infantile augmente, atteignant 4,1 pour 1 000 naissances. Ne pensez-vous pas que cette logique a atteint ses limites ? La réduction du maillage territorial et la création de structures toujours plus grandes n’ont-elles pas, au contraire, fragilisé la qualité et l’accessibilité des soins ?

M. Stéphane Pardoux. La mission d’évaluation de la T2A ne relève pas des attributions de l’ANAP. Notre rôle se concentre sur la diffusion des meilleures pratiques observées dans le pays à l'ensemble des établissements. Ce type d'analyse systémique sur le modèle de financement est généralement confié à l’Igas.

Mme Marie Daudé. Une mission IGAS-IGF a été menée début 2023 sur la réforme de la T2A. Le rapport qui en découle, désormais public, propose une réorganisation en trois compartiments : activité, missions et objectifs de santé publique et qualité, avec pour ambition d’accroître progressivement le poids des deux derniers. Ce cadre guide actuellement les travaux en cours sur les soins critiques, les soins non programmés, la dialyse ou encore la radiothérapie.

Le sujet des maternités est complexe et sensible. Le regroupement observé dans certaines régions vise à concilier sécurité, qualité des soins et maintien d’un lien de proximité. Pour compenser les fermetures, des centres de périnatalité sont développés afin d’assurer un suivi avant et après l’accouchement et des dispositifs d’hébergement temporaire sont proposés pour les accouchements programmés. Ces solutions ne font pas consensus, comme en témoignent les protestations locales, mais les seuils de sécurité demeurent une exigence. Le manque de pédiatres et de gynécologues dans certaines zones fragilise la continuité des soins, rendant parfois le regroupement inévitable.

Plusieurs chantiers sont ouverts pour améliorer la situation, tels que le renforcement de l’attractivité des métiers ou l’augmentation du nombre de postes à la sortie de l’internat.

Quant à la hausse du taux de mortalité infantile, jugée préoccupante, des échanges ont été amorcés avec les acteurs de la périnatalité et de la néonatalogie, en vue d’un travail plus approfondi sur ce sujet.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Madame Daudé, vous avez évoqué les nombreux décrets publiés récemment à la suite des lois sur l'accès aux soins. Pourquoi un tel décalage temporel entre l’adoption d’un texte et la publication de ses décrets d’application est-il observé ? Je pense notamment aux mesures concernant le partage de compétences, l’accès direct aux kinésithérapeutes ou aux infirmières. Pourquoi faut-il parfois attendre un an et demi, voire deux ans, et pourquoi les arrêtés qui devraient suivre ces décrets ne sont-ils pas encore publiés ?

Monsieur Pardoux, vous avez récemment publié un répertoire des nouveaux métiers, que j’ai trouvé particulièrement pertinent. Quelle suite envisagez-vous de donner à ce travail ? Comment faire progresser plus rapidement ces chantiers, notamment dans le contexte du développement de l’intelligence artificielle, en surmontant certaines résistances ?

Enfin, ma question la plus essentielle porte sur la situation financière très préoccupante de nos établissements de santé, alors même que les financements de l’assurance maladie augmentent. Notre système reste très centré sur l’hôpital. Vous avez évoqué, Monsieur Pardoux, la montée en puissance de la chirurgie ambulatoire et de l’hospitalisation à domicile, mais n’avons-nous pas encore trop de lits d’hospitalisation pour des patients qui pourraient, dans bien des cas, être pris en charge en ville ? Poursuivons-nous dans cette voie par simple inertie ? Ne serait-il pas pertinent de transférer davantage d’actes médicaux vers la médecine de ville ? Quels freins identifiez-vous ? Faut-il, selon vous, faire converger les modes de rémunération des médecins, ce qui me semble être l’un des verrous structurels majeurs ?

Mme Marie Daudé. S’agissant de la lenteur dans la publication des textes d’application, plusieurs facteurs expliquent ces délais. Le volume exceptionnel de textes à produire (près de soixante décrets issus des lois de mai et décembre 2023 ainsi que des derniers PLFSS) a notamment engendré une situation d’engorgement au sein de l’administration. À cela s’ajoute la nécessité de mener des concertations souvent complexes avec de multiples parties prenantes, dans un contexte politique instable qui complique les arbitrages. Malgré tout, l’essentiel du travail a été accompli puisque, sur la soixantaine de décrets à produire, seuls deux ou trois restent encore à publier.

Concernant la question du recours excessif à l’hospitalisation complète, deux leviers sont activement travaillés. Le premier est le développement de l’ambulatoire, qui demeure un objectif structurant des ARS et des établissements. Le second repose sur la prévention des décompensations des pathologies chroniques, avec un investissement accru dans la coordination avec la médecine de ville et l’usage des outils numériques. La télésurveillance des pathologies cardiaques incarne parfaitement cette dynamique.

Quant à la convergence des modes de rémunération entre les médecins de ville et les hospitaliers, cette question, bien que structurellement importante, n’est pas inscrite à l’agenda des réformes en cours.

M. Stéphane Pardoux. Je vous remercie d’avoir souligné l’intérêt porté à notre travail sur les nouveaux métiers, téléchargé à ce jour près de 9 000 fois. Ce panorama présente des fonctions plutôt que des métiers au sens strict, ce qui permet davantage de souplesse sans avoir à modifier les décrets de compétences. Certains établissements s’en sont déjà emparés, notamment dans le champ de la périnatalité, pour faire évoluer les missions confiées aux professionnels. Cette approche présente l’avantage de répondre à l’enjeu d’attractivité en ouvrant de nouvelles perspectives de carrière, sans engager systématiquement une réforme réglementaire. C’est un levier concret pour renforcer l’engagement et la fidélisation des soignants dans les établissements hospitaliers.

S’agissant de la capacité en lits, la situation reste très variable selon les territoires et la France n’a pas encore achevé sa transition vers la chirurgie ambulatoire. En partenariat avec les sociétés savantes concernées, nous avons fixé un objectif de 80 % d’activité opératoire en ambulatoire, ce qui aura nécessairement un impact sur le nombre de lits requis. Aujourd’hui, nous n’observons pas de tension particulière sur les lits de chirurgie. En médecine, en revanche, la situation est plus contrastée. Dans l’ensemble de nos travaux, nous accordons une attention prioritaire au développement de l’hospitalisation à domicile. Nous constatons que les établissements les plus performants en interne sont ceux qui recourent le plus largement à l’HAD. En collaboration avec la DGOS, nous avons conçu un indicateur de taux de recours à l’HAD, désormais utilisé pour comparer et valoriser les dynamiques engagées dans les établissements.

Nous sommes convaincus que l’avenir de l’hôpital ne réside pas dans sa capacité en lits, mais dans la qualité et la densité de son plateau technique, d’imagerie, de biologie mais également de consultations spécialisées ou généralistes. Nous soutenons résolument le modèle des hôpitaux de proximité, connectés à la médecine de ville, dotés de consultations avancées et d’équipements accessibles.

M. Julien Limongi (RN). Madame Daudé, ma question porte sur les difficultés rencontrées pour la réinstallation d’officines de pharmacie dans les communes de moins de 2 500 habitants. Des décrets ont été publiés l’année dernière pour définir les territoires fragiles, permettant certaines dérogations à la réglementation. Pourtant, pour la commune de Saint-Cyr-sur-Morin, l’ARS d’Île-de-France répond que le seuil des 2 500 habitants n’était pas atteint et que la définition des territoires fragiles restait en attente.

Avez-vous reçu des retours similaires sur d’autres situations comparables, où la réglementation paraît trop rigide malgré les assouplissements récents ? Estimez-vous qu’une évolution du cadre réglementaire soit nécessaire pour faciliter ces réouvertures d’officines, particulièrement dans les zones dépourvues de solutions alternatives ? Quel est votre retour d’expérience sur la mise en œuvre des décrets relatifs aux territoires fragiles, environ huit ou neuf mois après leur publication ?

Mme Marie Daudé. Nous essayons d'adopter une approche pragmatique en fonction des remontées et d'échanger avec chaque ARS pour résoudre les problématiques locales. Actuellement, la réglementation est en place et n'est pas en voie d'être modifiée mais notre objectif est de maintenir un dialogue permettant aux ARS de s'adapter au mieux aux réalités du territoire.

Mme Josiane Corneloup (DR). Madame Daudé, je partage votre souci de sécurité et d’efficacité dans l’organisation des soins, mais je souhaite insister sur l’importance des hôpitaux de proximité, notamment en milieu rural. Dans mon territoire, les grands pôles hospitaliers se trouvent à 120 kilomètres. Nous avons heureusement conservé un hôpital de proximité, doté d’un plateau technique avec cinq salles d’opération. L’an dernier, son activité a fortement progressé, ce qui témoigne de son utilité. Maintenir ce type de structure est essentiel, car le regroupement autour de pôles plus éloignés entraîne des coûts induits considérables, notamment en matière de transports sanitaires. Pour certains patients, notamment en oncologie, cela signifie plusieurs allers-retours hebdomadaires de centaines de kilomètres, ce qui est épuisant, même avec un système de mutualisation des trajets qui reste difficilement applicable en zone rurale. Il me semble donc urgent de mener une réflexion stratégique globale, conciliant sécurité des soins, qualité de l’offre et équilibre territorial.

Monsieur Pardoux, bien que vos travaux soient précieux, avez-vous une vision concrète de leur appropriation par les établissements ? Les chefs de service peinent à concilier fonctions de soin et responsabilités managériales. Vos recommandations sont-elles suffisamment intégrées ? Pourquoi ne pas capitaliser davantage sur des expériences fructueuses pour les généraliser ?

Madame Daudé, j’aimerais également évoquer l’intelligence artificielle, opportunité majeure que nous devons encadrer. Je regrette que la télémédecine, qui pourrait être un atout considérable pour les hôpitaux de proximité et les zones rurales, soit aujourd’hui sous-exploitée. À l’heure actuelle, 70 % des téléconsultations sont réalisées par des patients urbains, souvent sous forme d’échanges téléphoniques alors qu’elles devraient se dérouler dans une cabine équipée d’outils connectés, avec un professionnel de santé présent pour garantir un diagnostic fiable. Nous sommes préoccupés par les effets de ce système peu régulé sur les dépenses de la sécurité sociale. Nous disposons pourtant de 20 000 officines qui pourraient être mobilisées, à condition de définir un modèle économique pertinent et de mener des actions de sensibilisation.

Enfin, l’accès aux spécialistes reste très difficile en zone rurale. Certains patients parcourent plusieurs centaines de kilomètres par semaine pour de simples suivis, alors que des solutions existent, à l’image de la téléexpertise dermatologique. Ce modèle, peu coûteux, limite les déplacements des patients et pourrait être déployé à l’échelle nationale.

M. Stéphane Pardoux. La question de l'application de nos préconisations est pour nous centrale. L’autonomie de gestion dont disposent les établissements de santé induit cependant une grande hétérogénéité dans la mise en œuvre des recommandations. Un suivi plus étroit est donc désormais mis en place en lien avec les ARS et les directions hospitalières pour évaluer la mise en œuvre des préconisations. S’agissant des hôpitaux de proximité, des résultats concrets ont été observés, notamment dans la structuration des consultations avancées et le renforcement des liens avec la médecine de ville. Toutefois, les efforts pour développer les plateaux d’imagerie de proximité n’ont pas porté les fruits escomptés à ce jour.

Chaque établissement reste libre de ses choix, dans le cadre des orientations régionales et nationales. L’agence cherche à exercer une forme de pression positive lorsque les recommandations lui semblent pertinentes, tout en respectant cette autonomie. Ce sont généralement les établissements qui rencontrent les plus grandes difficultés dans la mise en œuvre des réformes qui bénéficient le plus de l’accompagnement proposé, l’intervention de l’agence prenant alors tout son sens.

Mme Marie Daudé. Vous avez parfaitement mis en lumière les tensions constantes entre les objectifs de qualité et de sécurité des soins, qui appellent à regrouper certaines activités, et les conséquences que cela entraîne en matière d’éloignement géographique et de coûts croissants du transport sanitaire. Cette contradiction est bien identifiée et le chantier des transports partagés, notamment en zone rurale, fait l’objet d’une attention particulière en raison de son poids dans les comptes de la sécurité sociale.

Vous avez également raison de souligner la nécessité de mieux organiser les soins au sein des établissements. C’est un levier essentiel pour surmonter les contradictions auxquelles nous faisons face.

Concernant la téléconsultation, votre analyse rejoint notre constat selon lequel de nombreuses potentialités restent inexploitées. Certaines expérimentations, telles que celles menées dans le cadre de l’article 51 de la LFSS pour 2018 montrent comment la télésanté peut compenser le manque de spécialistes en redonnant un rôle central à l’infirmière.

L’enjeu est désormais d’identifier les expérimentations pertinentes, de les évaluer puis de les généraliser, tout en posant un cadre. Nous avons déjà commencé à encadrer les dérives, notamment en cessant de rembourser les prescriptions issues de simples téléconsultations téléphoniques. Si nous souhaitons que la télésanté prenne toute sa place, elle doit être rigoureusement structurée.

Mme Anchya Bamana (RN). Le territoire de Mayotte cumule de nombreuses difficultés, parmi lesquelles la désertification médicale aiguë, des dégâts majeurs après le cyclone Chido et des particularités structurelles marquées. Mayotte est le seul territoire dont l’hôpital fonctionne sous dotation globale, sans recours à la T2A, et accueille une population nombreuse, souvent en situation irrégulière, sans bénéficier de l’aide médicale d’État. Cela complique lourdement le développement d’une médecine de ville déjà quasi inexistante, avec à peine 35 médecins libéraux pour plus de 350 000 habitants.

La diversification de l’offre de soins est absente. Le centre hospitalier est l’unique structure avec un centre de dialyse. Paradoxalement, alors que le reste du territoire français ferme des maternités, Mayotte abrite la première maternité d’Europe. Pourtant, faute de sages-femmes, deux sites ont récemment fermé au nord et au sud de l’île.

L’attractivité du territoire pour les professionnels de santé constitue un enjeu crucial. La télémédecine, qui apparaît comme une solution prometteuse face à ce désert médical, demeure peu développée. À long terme, la formation locale est indispensable pour pérenniser une offre de soins.

Dans le cadre du projet de loi de programmation pour Mayotte, la santé devra être centrale. Je transmettrai l’avis budgétaire que j’ai rédigé à ce sujet dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2025. Les élus mahorais rencontrent demain le ministre Valls, et la question de la santé figurera au cœur de nos échanges.

Je souhaite connaître votre vision globale sur la situation de Mayotte.

Mme Marie Daudé. Plusieurs mesures concrètes sont engagées pour répondre à la situation critique de Mayotte. Le plan d’attractivité pour les professionnels de santé, en cours d’élaboration et dont la formation constitue un axe central, devrait rapidement porter ses fruits.

Les pouvoirs publics sont pleinement mobilisés dans le cadre du plan Mayotte, en activant des leviers à la fois pour l’hôpital et la médecine de ville. La question de l’implication du secteur privé dans le système de soins local fait également l’objet d’une réflexion. L’ensemble des efforts vise à renforcer l’attractivité et la présence durable des professionnels de santé sur le territoire.

M. Stéphane Pardoux. Nous intervenons régulièrement dans les territoires d’outre-mer et avons déjà mené plusieurs opérations à Mayotte. Nous avons notamment analysé le fonctionnement du bloc opératoire pour l’optimiser et avons également piloté une mission confiée pour optimiser l’organisation des urgences du centre hospitalier.

Dans les mois à venir, nous serons mobilisés sur le chantier de reconstruction de l’hôpital pour accompagner le projet, garantir un bon dimensionnement et une conduite efficace de l’opération.

Comme partout en France, nous intervenons donc à Mayotte à la demande des établissements de santé ou de l’ARS.

M. le président Jean-François Rousset. Quelle est la procédure à suivre pour solliciter l’expertise de l’ANAP sur un territoire ?

M. Stéphane Pardoux. Les donneurs d'ordre de l’ANAP sont les pouvoirs publics, parfois sur sollicitation de parlementaires, qui jugent de la pertinence des missions. Bien que nous ne soyons pas une agence de grande taille, nous intervenons dans de nombreux territoires.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Nous recevons de nombreuses alertes au sujet des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Madame Daudé, quels éléments pouvez-vous partager sur ce sujet ?

Mme Marie Daudé. Sur ce sujet, deux éléments sont à souligner. Les épreuves de vérification des compétences (EVC) de 2024 ont eu lieu et les résultats ont été déceptifs pour certains candidats présents depuis longtemps en France. Beaucoup ont jugé trop sévères les notes éliminatoires fixées par le jury. Bien que nous échangions directement avec eux, il s'agit d'un concours dont le jury est souverain. Toutes listes confondues, nous avons eu environ 3 800 lauréats pour 4 000 postes ouverts. Bien que ce chiffre se situe légèrement en dessous de nos attentes, il représente tout de même plus de 1 000 lauréats supplémentaires par rapport à l’année dernière.

En 2025, nous allons simplifier réglementairement le système en différenciant les voies d’accès selon que les candidats sont déjà sur le territoire ou non. Nous organiserons un concours interne simplifié, avec une seule épreuve de connaissances au lieu de deux, et un concours externe. Pour 2026, une réforme législative sera nécessaire, car le concours est imposé par la loi actuelle.

Quant aux personnes qui ont échoué à l’EVC malgré une longue présence en France, ou qui n’ont pas souhaité s’y présenter, nous devrons leur proposer une solution à travers les nouveaux dispositifs.

M. le président Jean-François Rousset. Faire référence à un concours alors que nous manquons de médecins et que ces personnes travaillent dans les services depuis longtemps me semble en décalage avec les besoins du terrain.

 

L’audition s’achève à quinze heures trente.

 

 

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Membres présents ou excusés

 

Présents. - M. Laurent Alexandre, Mme Anchya Bamana, Mme Josiane Corneloup, Mme Julie Delpech, M. Romain Eskenazi, M. Thierry Frappé, Mme Murielle Lepvraud, M. Julien Limongi, M. Christophe Naegelen, Mme Stéphanie Rist, M. Jean-François Rousset