Compte rendu
Commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins
– Table ronde, ouverte à la presse, sur « les centres hospitaliers généraux » réunissant : M. Thierry GODEAU, président de la Conférence nationale des Présidents de CME de CH et M. Francis SAINT-HUBERT, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers (CNDCH). 2
– Présences en réunion............................16
Mercredi
21 mai 2025
Séance de 18 heures
Compte rendu n° 15
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Jean-François Rousset,
Président
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La séance est ouverte à dix-huit heures quinze.
M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête consacrée à l'organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins, avec une table ronde dédiée aux centres hospitaliers généraux, plaques tournantes de l'accès aux soins sur notre territoire. Nous accueillons Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers, et Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers. Je vous invite à faire une brève intervention liminaire, avant de laisser place aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Thierry Godeau et M. Francis Saint-Hubert prêtent serment.)
Je vous remercie. La parole est à vous, dans l'ordre que vous souhaitez.
M. Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des présidents de CME de CH. Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, notre système de santé, autrefois source de fierté pour sa nature protectrice et solidaire, ne tient plus pleinement ses promesses. Sur le terrain, les professionnels, tant hospitaliers que libéraux, malgré leur détermination, sont entravés dans l'exercice de leur métier par une organisation défaillante, entraînant un accroissement de l’épuisement et une perte de sens.
Le manque de moyens souvent évoqué n'est qu'une partie du problème. La France consacre des ressources importantes à la santé, supérieures à de nombreux pays européens, sans pour autant obtenir de meilleurs résultats. C'est l'organisation qui est principalement en cause. Dans un système désorganisé, l'ajout de moyens est vain.
L'hôpital public se trouve à un carrefour décisif. Malgré ses difficultés et ses doutes, il demeure, grâce à l'engagement sans faille de ses professionnels, un pilier essentiel de notre pacte républicain. Cependant, ce pilier vacille car on a cessé de le considérer pour ce qu'il est réellement : un lieu d'excellence, d'engagement et de soin inconditionnel. L'hôpital ne sélectionne jamais ses patients.
Trop souvent, l'hôpital est perçu comme un problème, un gouffre financier, réduit à un tableau Excel. Pourtant, la crise du Covid a démontré que l'hôpital est le pilier de notre système de santé, le dernier recours quand tout vacille. Si l'hôpital est trop onéreux, c'est parce qu'on lui demande constamment de se substituer à toutes les carences du système. Il étouffe sous le poids de missions qui ne sont pas les siennes. Les déficits hospitaliers sont quasi généralisés, car le financement n'est pas à la hauteur des exigences imposées. Il faut certes moins d'hôpital, mais pour un meilleur hôpital.
L'hôpital est en « qualité empêchée ». Ce qu'on qualifie souvent de manque de lits reflète en réalité la présence de patients sans solution adaptée qui bloquent les lits. L'hôpital est constamment saturé de patients pour lesquels il n'est pas le lieu approprié, faute de soins à domicile, de solutions sociales adaptées, d'hospitalisation à domicile suffisamment développée, de soins médicaux de réadaptation ou d'EHPAD médicalisés. La solution ne réside donc pas dans l'ouverture inconsidérée de lits de médecine aiguë, mais dans la refonte de son environnement pour améliorer l'accès aux soins hospitaliers.
L'hôpital doit néanmoins se réorganiser. Il doit poursuivre le développement de l'ambulatoire dans tous les secteurs d'activité et accroître l'hospitalisation à domicile. Il est nécessaire d'adapter les capacités existantes, de repenser la répartition des lits au profit de la médecine polyvalente et de la gériatrie. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent développer de véritables équipes spécialisées territoriales, capables de mutualiser les expertises et de les rendre accessibles partout.
Il faut cesser d'entretenir l'illusion que tout peut être fait partout. Ce discours est à la fois démagogique et dangereux. La gradation des soins n'est pas une punition territoriale, mais une garantie de qualité. L'efficience de l'hôpital public réside aujourd'hui dans une offre de soins territoriale, graduée, portée par le projet médical des GHT et soutenue par les agences régionales de santé (ARS). L'objectif n'est pas de fermer des hôpitaux, mais de repenser l'offre de soins.
La gestion des lits à travers un ordonnancement des parcours patients est impérative au sein de chaque établissement, mais doit également être gérée de manière solidaire entre tous les acteurs du territoire.
Nous devons également mettre fin à l'absurdité du recours systématique aux urgences. Le système de soins non programmés fonctionne mal. Malgré le service d'accès aux soins (SAS) et une permanence des soins ambulatoires couvrant presque tout le territoire, 30 à 40 % des passages aux urgences pourraient être évités, notamment du fait d’une prise en charge trop tardive. Le réflexe du « tout urgence » reste trop ancré dans la population. Tous les médecins doivent participer à l'organisation des soins non programmés, y compris les hospitaliers, et ce même en journée. C'est un principe éthique et professionnel. Cessons de parler de crise des urgences : les urgences sont un symptôme, pas la solution.
L'attractivité médicale est une condition sine qua non de l'accès aux soins. Or, le modèle hospitalier n'attire plus suffisamment. Pourquoi ? Parce que c'est souvent le seul endroit où la contrainte est la règle, sans une reconnaissance à la hauteur de l'engagement. Mes propres enfants m'ont dit : « Nous ne resterons pas à l'hôpital, car nous ne voulons pas la vie que tu as eue ». Trop souvent, l'hôpital est piloté d'en haut, dans une logique technocratique et comptable étouffante.
Il faut inverser cette logique, faire confiance aux collectifs de soins, décentraliser les décisions, encourager les délégations de gestion contractualisées en interne. La crise sanitaire nous l'a montré : quand on libère les énergies, les solutions émergent. Les médecins, comme tous les professionnels hospitaliers, aiment leur métier, mais ils veulent être des acteurs et non des exécutants. Leur désir d'engagement est fort, mais nécessite reconnaissance, confiance et moyens d'action. C'est en redonnant du sens à la qualité de leur exercice professionnel qu'on les fidélisera. Un hôpital attractif pour ses professionnels est un hôpital qui soigne et qui répond au mieux à l'accès aux soins.
En outre, le numérique en santé est à la fois une jungle et un désert. Le manque de partage d'informations entre les acteurs crée des dysfonctionnements majeurs. Le numérique doit être un levier de la transformation hospitalière, de l'efficience, de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins, mais aussi de la qualité de vie au travail. Il faut un dossier patient unique, interopérable, intégré entre tous les acteurs. Chaque séjour hospitalier ou intervention de tous les professionnels de santé devrait donner lieu à un compte rendu versé au dossier partagé du patient. La télémédecine et l'intelligence artificielle sont des outils au service de l'accès aux soins, à condition de les concevoir comme tels et non comme des gadgets. Le numérique doit libérer du temps aux soignants pour mieux et plus soigner.
Par ailleurs, former davantage de médecins ne suffira pas. Il faut former autrement, en ancrant la formation dans les territoires dès le début et tout au long du cursus. Formons selon les besoins réels : plus de généralistes, de gériatres, de psychiatres, de pédiatres. Formons mieux à la polyvalence et à la polypathologie. Cela favorisera aussi la pertinence des soins. La médecine polyvalente, indispensable à l'hôpital, est presque absente des formations. C'est un non-sens urgent à corriger. La coordination et le partage des compétences entre les professionnels doivent être redéfinis, mais pas au cas par cas, selon les corporatismes et les défaillances démographiques.
Le rôle de chacun doit conduire à définir plus précisément les besoins en formation de chaque catégorie de professionnels, plutôt que de recourir à une augmentation généralisée, non régulée, non coordonnée et à terme non pertinente. L’organisation des parcours doit se concevoir au niveau du territoire, moteur essentiel de la prévention. Un projet territorial de santé doit être rendu obligatoire et articulé à tous les dispositifs existants, les CPTS, les contrats locaux de santé, les projets, de santé mentale par exemple, les GHT, qui doivent se coordonner pour répondre collectivement aux besoins des territoires. Partout, la responsabilité populationnelle, vectrice d'accès aux soins, de pertinence et d'efficience, doit se mettre en œuvre. À ce niveau, le rôle des élus, mais aussi des patients, doit être renforcé.
Les financements doivent être fléchés, contractualisés et évalués et inciter à la coopération plutôt qu’à la concurrence. La gouvernance actuelle du système est illisible et elle comporte trop d'intervenants, trop de strates. Les ARS doivent évoluer vers un rôle de régulation, d'accompagnement des transformations, et non d'un contrôle quasi permanent dont la pertinence reste à démontrer.
Plus largement, il faut fusionner les agences d'État redondantes, unifier la stratégie entre le ministère et l'Assurance maladie, évoluant a posteriori sur des résultats concrets. L’efficience ne se limite pas aux actes de soins. Enfin, si tous les territoires sont différents, l’engagement efficace des acteurs requiert une politique nationale, claire et assumée. Pour cela, il faut une vision stratégique à travers une loi de programmation pluriannuelle dotée d’un cap, d’une cohérence et de courage.
Mesdames et Messieurs les députés, notre système de santé a besoin d'un choc d'organisation et d'un choc de confiance. Il ne s'agit plus de colmater, mais de refonder un système resté inchangé. Les besoins financiers ne cesseront d'exploser, notamment à l'hôpital public. Si la quête de rentabilité au sein de l'hôpital public est une aspiration légitime, les politiques centrées uniquement sur la performance financière ont contribué à une dégradation progressive des finances hospitalières et à un désengagement croissant des professionnels.
Contrairement aux idées reçues, de nombreuses études attestent d'une amélioration significative de la productivité au sein de l'hôpital public ces dernières années. L'échec des réformes successives tient à une approche cloisonnée, déconnectée d’une mutation profonde du système de soins. Elle n’a pas su accompagner le passage d'un modèle centré sur les maladies aiguës où l'interaction entre la ville et l’hôpital était limitée à un modèle dominé par les maladies chroniques et la polypathologie. Ce nouveau contexte exige une interdépendance accrue de tous les acteurs. Or, la gouvernance, les mécanismes de financement et les leviers d’action demeurent segmentés entre ville et hôpital ; générant des silos étanches et des logiques divergentes.
La véritable source d'efficience réside dans les coopérations étroites entre les acteurs, les complémentarités et la gradation des soins. Moins de cloisonnements, mais plus de responsabilités partagées et d'incitations à agir ensemble. Moins de technocratie, mais plus de confiance. Moins d'hôpital, mais recentré sur ses missions d’excellence, de complexité, de recherche et d'innovation, de soin sans discrimination et d’humanité. Un hôpital plus intégré aux territoires où les professionnels retrouvent le sens et la fierté d’exercer ce métier exigeant, mais tellement formidable. Cet hôpital, malgré ses difficultés, incarne encore la fierté des Français.
M. Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs des centres hospitaliers (CNDCH). Je tiens tout d'abord, au nom de l'ensemble des hospitaliers, à remercier sincèrement le groupe LIOT d'avoir utilisé son droit de tirage pour la mise en place de cette commission, qu’il était urgent d’entreprendre. Nous avons examiné attentivement l'ensemble de vos travaux menés jusqu'à présent. Nous sommes véritablement impressionnés par le sérieux de vos questions et votre écoute attentive aux propositions formulées.
La Conférence que je représente regroupe 100 chefs d'établissement représentant l'ensemble des centres hospitaliers, soit environ 800 structures en dehors des CHU. Notre force, mais aussi notre défi, réside dans la grande diversité des centres hospitaliers représentés, allant des plus importants aux plus petits hôpitaux de proximité. Nous sommes fiers d'assurer un maillage complet du territoire.
Diriger un hôpital implique de relever simultanément trois défis majeurs, dont le traitement séparé est souvent source d'échec. En premier lieu, nous devons constamment améliorer la prise en charge de nos patients en garantissant l'égalité d'accès aux soins. Deuxièmement, comme l'a souligné Thierry Godeau, nous devons assurer la qualité de vie au travail, car dans notre secteur plus qu'ailleurs, le bien-être des soignants influence directement la qualité des soins. Enfin, pour renforcer cette qualité de vie au travail, nous devons maintenir nos établissements de santé en bonne santé financière. Ces trois défis sont indissociables et doivent être traités de concert.
Notre rôle est de permettre à l'ensemble des équipes, en première ligne les soignants et les médecins, mais aussi les 130 autres métiers présents dans nos établissements, de remplir leur mission de service public hospitalier. Notre objectif principal reste de soigner, même si l'équilibre budgétaire est une nécessité.
Le système dans lequel nous évoluons, où l'État définit nos missions et nos moyens, est marqué par trois paradoxes majeurs.
Premièrement, nous devons gérer des moyens nécessairement limités face à des missions potentiellement illimitées. Notre système de santé doit permettre un recours aux soins sans restriction.
Deuxièmement, bien que nous ne soyons pas les seuls acteurs de la prise en charge des patients, les règles diffèrent selon les intervenants. Certains cumulent les avantages, comme le paiement à l'acte et le choix des activités, tandis que d'autres cumulent les contraintes, devant tout traiter avec des enveloppes limitées.
Troisièmement, nous devons constamment concilier les enjeux locaux et globaux, les lois étant élaborées pour gérer un système dans sa globalité, ce qui peut parfois créer des tensions au niveau local. Notre système de formation vise l’excellence. Pour autant, elle doit être accessible à tous.
Notre conférence est profondément attachée au service public hospitalier. Certes, nous devons être performants et rechercher l'efficience, mais notre mission va bien au-delà de la simple gestion financière. Un hôpital n'est pas une entreprise où chaque service gère son profit et son activité comme dans un centre commercial. L'interdépendance des services hospitaliers est une réalité incontestable. Par conséquent, cette vision cloisonnée a été particulièrement préjudiciable à nos établissements. Je souhaite aborder trois points essentiels.
Tout d’abord, la circulaire du premier ministre Bayrou évoque, pour la première fois, la restructuration de l'offre sanitaire. Cette réorganisation, que nous attendons depuis longtemps, est aujourd'hui indispensable. En effet, tous les hôpitaux et tous les services ne pourront être maintenus, ce qui revient à faire des choix difficiles mais nécessaires. Que ferons-nous des maternités dangereuses ou des services d'urgence fonctionnant de manière intermittente ? Ces problèmes ne sont que la partie émergée de l'iceberg.
Notre proposition consiste à créer, à l'instar de ce que nous avons fait pour les hôpitaux de proximité, des ensembles homogènes, des matrices d'activité avec différents niveaux pour les centres hospitaliers. Nous devons réfléchir à l'organisation des typologies des CH, en nous inspirant par exemple du modèle des maternités. Il est crucial d'imaginer des ensembles d'hôpitaux répondant à cette graduation des soins.
Deuxièmement, s’agissant du territoire, les coopérations sont essentielles mais ne peuvent être décrétées. Les conflits interpersonnels et les parcours professionnels complexes rendent parfois difficile la collaboration entre équipes. Les GHT, mis en place il y a presque dix ans, doivent évoluer. Nous ne plaidons pas pour un simple GHT. 2, mais pour des GHT de deuxième génération. Certains choix initiaux d’uniformisation, comme le concept d'établissement support au lieu de la personnalité morale, ont montré leurs limites.
Nous proposons de repenser complètement les GHT en imaginant une véritable gouvernance territoriale. L'idée serait de supprimer la vision monolithique actuelle des GHT pour concevoir plusieurs types de groupements adaptés aux réalités locales. Par exemple, des GHT regroupant quelques établissements aux forces et faiblesses complémentaires, d'autres avec un établissement principal et plusieurs structures plus petites, ou encore des GHT incluant ou non des CHU. Il est ainsi impératif de créer des outils, des personnalités morales et des systèmes de gouvernance permettant une prise de décision collective impliquant élus, professionnels de santé et représentants des usagers.
Enfin, le troisième point concerne l'évolution des métiers et de la formation. Nous devons rapidement développer de nouveaux métiers intermédiaires. Le système actuel, dont les formations paramédicales durent de trois à quatre ans et les cursus médicaux de dix à douze ans, n'est plus adapté. Les sages-femmes, qui suivent six à sept ans d’études, constituent un exemple intéressant. Bien que la mise en place du diplôme d’infirmiers en pratique avancée (IPA) représente un premier pas, nous devons aller plus loin dans cette direction.
En conclusion, si la performance et l'efficience sont importantes, la pertinence doit primer. Nous devons notamment repenser la régulation des arrivées aux urgences. Un véritable changement de paradigme s'impose.
M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je vous remercie, Monsieur le président, ainsi que Messieurs les intervenants, pour vos propos éclairants, chacun dans votre domaine de compétence. Vous avez su exprimer votre attachement à l'hôpital, et notamment à l'hôpital public. J'aimerais vous poser quatre questions.
Premièrement, concernant la formation, pensez-vous qu'une refonte soit nécessaire ? Je suis surpris de constater l'absence de cours de management et de relations humaines dans le cursus médical, alors que ces compétences sont inhérentes au métier de chef de service hospitalier ou de médecin généraliste gérant son cabinet. Ne serait-il pas pertinent d'intégrer ces enseignements ? De plus, pourquoi ne pas envisager une organisation en licence/master/doctorat, avec des cours communs entre différentes professions de santé durant le premier cycle ? Cela favoriserait les échanges et établirait des bases communes.
Ma deuxième question porte sur le pouvoir disciplinaire des directeurs d'établissements. Les auditions ont révélé des difficultés dans l'exercice de l'autorité du directeur sur le personnel médical. Ne faudrait-il pas renforcer les compétences du binôme président de la commission médicale d'établissement (PCME)/directeur pour une meilleure gestion quotidienne ? Le recours systématique au centre national de gestion (CNG) n'est-il pas trop lent et problématique ?
Troisièmement, comment équilibrer le service rendu à la population entre hôpitaux privés et publics, notamment en termes d'investissement et de permanence des soins ?
Enfin, vous avez souligné que les coopérations ne se décrètent pas. Comment faciliter les discussions et le travail commun au sein des GHT, souvent entravés par des conflits interpersonnels entre PCME ou chefs de service par exemple ? Comment améliorer la répartition des activités dans une logique territoriale, en gardant à l'esprit que le patient n'appartient pas à un hôpital spécifique ?
M. Thierry Godeau. La formation au management dans le milieu hospitalier a considérablement progressé ces dernières années. Auparavant, les responsables de service et les chefs de pôle n'étaient pas formés à cette discipline, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. De même, les présidents de CME bénéficient désormais de formations spécifiques, comblant ainsi une lacune importante.
Cependant, il subsiste une difficulté majeure dans l'exercice médical, tant à l'hôpital qu'en dehors : l'absence d'une véritable formation au management et au travail en équipe, y compris pluridisciplinaire, durant les études. Cette carence est particulièrement problématique au regard des enjeux actuels liés aux coopérations professionnelles. Il est donc impératif d'intégrer dans le cursus médical des modules dédiés au management, à la pédagogie, et à la communication avec les patients. En effet, la relation médecin-patient n'est pas suffisamment enseignée de manière structurée à l'heure actuelle.
Pour remédier à ces lacunes, nous pourrions envisager la mise en place de modules communs à différentes professions de santé, abordant les sujets précédemment évoqués. Cette approche pourrait s'inspirer de l'expérience des internats pluriprofessionnels, permettant aux étudiants de différentes disciplines de se côtoyer et d'apprendre à travailler ensemble. Il me semble effectivement nécessaire de briser les silos existants entre les professions médicales et paramédicales.
Néanmoins, cette formation ne doit pas se limiter aux études initiales. Il est essentiel d'inculquer une culture de collaboration interprofessionnelle tout au long de la carrière. Par ailleurs, l'organisation du système de santé doit être consolidée pour clarifier les rôles et responsabilités de chacun, afin que la formation corresponde aux réalités du terrain.
En ce qui concerne les pratiques avancées, je suis convaincu que les IPA sont sous-exploités en France. Bien que des questions subsistent quant au modèle économique, il est crucial de recentrer le temps médical sur sa plus-value. Nous devons nous interroger sur la valeur ajoutée spécifique du médecin, tout comme nous devons définir celle de l'hôpital et la préserver à l’extérieur.
Il est urgent d'organiser une véritable concertation entre les différents acteurs du système de santé pour définir précisément les rôles de chacun. Cette clarification aura un impact direct sur la formation, car il est essentiel d'anticiper les besoins en professionnels pour les années à venir. Nous devons éviter de former trop de professionnels dans certains domaines, même si les besoins de santé augmentent globalement.
En somme, la formation doit être repensée en fonction d'une définition claire des rôles au sein du système de santé. Cette réflexion doit être menée de manière globale et cohérente pour répondre efficacement aux défis à venir.
M. Francis Saint-Hubert. Dans nos établissements, nous encourageons la formation au management, notamment pour les chefs de service nouvellement nommés. Les cadres soignants, quant à eux, bénéficient déjà d'une formation de base en management lors de leur cursus à l'école des cadres. Cependant, il est important de souligner que le management ne se résume pas à la simple transmission d'informations. Il s'agit d'une compétence qui s'acquiert et se développe au fil du temps.
Le management requiert des connaissances spécifiques sur les relations humaines, la sociologie, et la compréhension des systèmes et des acteurs. Ces compétences s'acquièrent non seulement par la formation initiale, mais aussi par un développement continu, notamment à travers des pratiques comme le co-développement.
La suppression de fait de la notion de service lors de la mise en place des pôles a eu des conséquences néfastes sur l'organisation de nos établissements. Il est nécessaire de réinstaurer une structure claire et une autorité managériale légitime.
Concernant le pouvoir disciplinaire, il est important de l'aborder conjointement avec la question de l'intéressement. Dans toute équipe, on observe généralement trois catégories de personnes : 10 % qui sont exemplaires et autonomes, 10 % qui résistent à tout changement, et 80 % qui constituent le cœur de l'équipe sur lequel il faut se concentrer. L'enjeu est d'inciter cette majorité à tendre vers l'exemplarité plutôt que vers les comportements problématiques.
Le pouvoir disciplinaire concerne tous les niveaux hiérarchiques, y compris les directeurs. Le statut de la fonction publique, bien que nécessaire pour protéger les agents, doit évoluer. Le CNG ne peut plus gérer efficacement toutes les situations individuelles. Une réflexion sur la régionalisation de certaines compétences s'impose, tout en maintenant la gestion de certains aspects au niveau des établissements, y compris pour les médecins et les directeurs.
La prévention et l'accompagnement doivent être privilégiés aux mesures disciplinaires. La détection précoce des difficultés est essentielle, notamment pour gérer les personnalités potentiellement toxiques, estimées à environ 8 % dans notre société. Par conséquent, nous devons disposer de moyens pour mettre en place des mécanismes de détection et d'accompagnement des situations problématiques.
M. Thierry Godeau. La portée du disciplinaire dans nos établissements mérite une réflexion approfondie. Pour des cas mineurs, un blâme ou un avertissement du centre national de gestion n'a pas nécessairement d'impact significatif, surtout lorsque ces décisions sont notifiées avec un retard considérable. Toutefois, nous pratiquons déjà une forme de disciplinaire en interne. Le directeur et le président de la Commission médicale d'établissement convoquent régulièrement des praticiens pour des entretiens de recadrage, accompagnés de courriers officiels. J'ai personnellement mené plusieurs entretiens de ce type. Bien que ces actions ne relèvent pas strictement du disciplinaire, leur impact peut être comparable à celui d'un avertissement formel. Concernant les cas plus graves, notamment les violences sexistes, ils nécessitent évidemment une procédure distincte et ne sont pas l'objet de cette discussion.
Un défi majeur du disciplinaire dans nos établissements réside dans la garantie du droit à la défense. L'absence d'une représentation syndicale structurée pour les médecins au niveau local soulève des questions d'équité. Les commissions régionales paritaires, où les syndicats sont présents, offrent une alternative, mais il serait judicieux d'envisager une procédure plus souple tout en préservant les droits de la défense.
Par ailleurs, de nombreuses affaires médiatisées résultent souvent de situations mal gérées en amont, principalement en raison d'un management déficient ou mal formé. Les responsables d'équipe, parfois mal préparés, ont tendance à éluder les problèmes jusqu'à ce qu'ils deviennent ingérables. C'est pourquoi un travail approfondi sur le management, axé sur la prévention, la légitimité, la posture et les compétences des managers médicaux est primordial.
Un autre point capital concerne les moyens alloués aux managers médicaux. Actuellement, ils exercent souvent leurs responsabilités managériales en plus de leurs fonctions cliniques, sans temps dédié, ce qui compromet leur efficacité. Dans un contexte de tension démographique médicale, cela complique davantage l'investissement dans le management.
Il est également impératif que les managers médicaux disposent d'une réelle capacité décisionnelle. Les délégations de gestion et la contractualisation restent des points faibles de l'hôpital public. Malgré la loi sur le projet de gouvernance et de management participatif, notre enquête, corroborée par celle de la Fédération hospitalière de France, révèle que seul un tiers des établissements l'ont mise en œuvre. Ces initiatives sont pourtant essentielles pour donner du sens aux professionnels et améliorer la cohérence organisationnelle de l'hôpital.
Les véritables enjeux ne se situent pas nécessairement au niveau de la gouvernance supérieure, mais plutôt dans la déclinaison opérationnelle au sein des services et des unités. Il est crucial de restaurer un véritable travail d'équipe, inscrit dans un cadre stratégique institutionnel, tout en permettant une flexibilité interne et des circuits décisionnels courts.
Thierry Frappé (RN). Je vous remercie, pour votre présence et vos propos francs et directs qui nous permettent de mieux appréhender la situation. En tant que député du Pas-de-Calais et ancien médecin généraliste, j'aimerais aborder deux points.
Premièrement, concernant les maternités considérées comme dangereuses, vous semblez favorable à la poursuite de leur fermeture. Sur quels critères vous basez-vous ? Cette position ne semble-t-elle pas en contradiction avec notre récente proposition de moratoire sur ces fermetures, dans le cadre de notre étude sur la mortalité infantile ?
Deuxièmement, j'estime qu'une réforme globale des études de médecine est nécessaire. Dans cette optique, que pensez-vous de l'universitarisation des hôpitaux généraux dont vous faites partie ? Cette mesure pourrait faciliter l'accueil d'internes et d'étudiants en médecine, tout en permettant une meilleure application du numerus apertus que nous avons voté, mais qui reste limité dans les faits.
M. Francis Saint-Hubert. Monsieur le député, je tiens à préciser que nous pesons soigneusement nos mots lorsque nous évoquons des maternités dangereuses. Une maternité requiert la présence de pédiatres, d'anesthésistes et de gynécologues obstétriciens. Lorsque l'une de ces compétences fait défaut, la situation devient préoccupante. Nous connaissons des cas où des maternités fonctionnent avec des praticiens dont les antécédents professionnels sont problématiques, simplement pour maintenir le service ouvert. Cette situation engendre des difficultés considérables, notamment pour les sages-femmes qui se retrouvent en première ligne pour compenser ces lacunes.
Il est important de souligner que notre approche ne se fonde pas uniquement sur des critères quantitatifs. Une maternité réalisant 400 accouchements par an peut être viable dans certains territoires. Notre préoccupation principale porte sur la qualité de la prise en charge, indépendamment des considérations budgétaires. L'essentiel est d'assurer la présence d'équipes compétentes, en lien avec d'autres centres hospitaliers. Pour évaluer la situation réelle d'une petite maternité, il est judicieux de consulter l'avis des équipes des établissements plus importants à proximité.
Je tiens à exprimer ma réserve quant à l'établissement d'un lien direct entre la fermeture des maternités et l'augmentation du taux de mortalité infantile. Bien que ces phénomènes puissent être corrélés dans certains cas, il serait imprudent de généraliser. Notre Conférence met en garde contre des lois imposant des moratoires généraux. Je peux vous assurer que nous maintenons certaines maternités en activité, mais dont le maintien n'est pas justifié, et nous devons l'admettre en toute transparence.
M. Thierry Godeau. La question des maternités est complexe et mérite une attention particulière. Notre contribution à la mission du Sénat sur la périnatalité l'année dernière a été substantielle, et l'Igas nous consulte demain en tant que conférence des présidents de CME de CH. Nous pouvons vous transmettre des documents complémentaires sur ce sujet si nécessaire.
Le problème majeur réside dans notre manque d'anticipation et d'organisation. Certaines fermetures de maternités sont probablement injustifiées, mais elles résultent d'un repli général. Il est impératif de repenser la gradation des soins en établissant une cartographie précise des territoires pour mieux anticiper et organiser les services.
Nous sommes confrontés à de réels défis démographiques et de compétences médicales et d’équipe. Les jeunes professionnels, et de plus en plus les praticiens expérimentés, aspirent à travailler au sein d'équipes importantes. Cette évolution nous oblige à reconsidérer notre organisation. Quant à l'idée d'un moratoire, elle semble difficilement applicable en l'absence de professionnels qualifiés. Il est en effet plus dangereux de maintenir ouvertes des structures sans personnel adéquat que de les fermer.
Cette problématique des maternités illustre parfaitement la nécessité de revoir la gradation des soins. Nous maintenons diverses activités reposant parfois sur un ou deux médecins, voire uniquement sur des intérimaires. Il est urgent de repenser l'organisation des soins dans son ensemble.
À la conférence des présidents de CME, nous insistons particulièrement sur l'importance de la médecine polyvalente. Les besoins spécialisés s'orientent de plus en plus vers l'ambulatoire, tandis que l'hospitalisation complète concerne majoritairement des patients polypathologiques et vieillissants. Il est donc primordial de développer la gériatrie et d'augmenter le nombre de lits dans ce domaine.
Dans mon établissement, j'ai déjà procédé à une redistribution des lits de spécialité au profit de la gériatrie et de la médecine polyvalente. Pour que cette réorganisation soit efficace, il est essentiel que des équipes spécialisées de territoire, au niveau des GHT, interviennent dans tous les établissements. Ces équipes doivent être en mesure d'apporter leur expertise technique en fonction des plateaux techniques disponibles et des besoins spécifiques. Le succès de cette réorganisation dépend de l’intervention de spécialistes pour fournir des avis complémentaires. C'est là que réside l'enjeu majeur.
M. le président Jean-François Rousset. Je vous invite à répondre aux deux questions du rapporteur. Ensuite, chaque député aura l'opportunité de poser ses propres questions.
M. Thierry Godeau. Concernant le service rendu, la permanence des soins constitue actuellement l'un de nos défis majeurs. Les contraintes liées à cette permanence sont l'une des principales causes de départ de l'hôpital public. Bien que favorable au volontariat, je constate que ce système atteint ses limites lorsqu'il n'y a plus de volontaires. C'est pourquoi je préconise l'instauration d'une obligation qui s'activerait en l'absence de volontaires suffisants.
En matière d’établissements de santé, il est nécessaire d'impliquer davantage les praticiens privés dans la permanence des soins, probablement dans le cadre d'une mutualisation des équipes plutôt que d'une dispersion des astreintes. La difficulté réside dans les plateaux techniques des établissements. Les cliniques sont souvent orientées vers la chirurgie et l'ambulatoire, ce qui est indispensable. L'hôpital public, confronté aux soins non programmés, voit son efficience diminuée par la désorganisation inhérente à ces situations. Le ministère avait prévu des enveloppes financières pour les soins non programmés, mais leur mise en place est actuellement en suspens.
Concernant les coopérations, il est essentiel de promouvoir collectivement le concept de gradation des soins, au-delà des seuls GHT. La modification de la structure des GHT ne suffira pas si nous ne bénéficions pas du soutien des ARS et d'une volonté politique forte de réorganisation. Actuellement, le manque d'incitations concrètes freine les actions.
L'évolution des GHT est nécessaire, notamment en termes de personnalité morale, de gouvernance médicalisée, de pôles de territoire. Cependant, cette évolution doit s'inscrire dans une démarche globale, soutenue politiquement. Les résistances au changement sont nombreuses, tant au niveau des établissements que des praticiens.
L'exemple des communautés hospitalières de territoire (CHT) illustre l'importance d'une ligne politique claire. Les GHT ont été rendus obligatoires, ce qui était une bonne décision. Néanmoins, l'hétérogénéité actuelle des GHT pose problème. La création d'un établissement unique pour des GHT regroupant un CHU et de nombreux établissements ne semble pas pertinente. Il faut repenser le périmètre de certains GHT pour assurer une cohérence dans la prise en charge des patients.
La fusion des établissements MCO, comme celle en cours entre La Rochelle et Rochefort, peut avoir du sens sur des territoires homogènes. Cependant, il faut être prudent quant à l'idée d'un établissement unique pour des GHT de grande taille. L'expérience des pôles, censés remplacer les services, a montré les limites d'une approche trop descendante.
En revanche, un cadrage et une volonté politique forte, accompagnés de financements incitatifs pour faciliter les réorganisations nécessaires, apparaissent nécessaires. La question de l'immobilier hospitalier est également centrale. Les restructurations ne peuvent se décréter sans prendre en compte les contraintes matérielles et financières.
Enfin, la notion d'hôpital de proximité mérite d'être repensée. Les soins de proximité concernent l'ensemble des établissements, et il serait plus pertinent de parler de services de proximité, à l'image de nos services de médecine polyvalente, présents dans tous les établissements.
M. Francis Saint-Hubert. Notre pays a fait le choix démocratique d'avoir à la fois un service public et une offre libérale avec des établissements privés, tout en conservant un financement entièrement socialisé. Nous ne remettons pas en question l'existence de ces deux types d'organisations, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Cependant, nous demandons davantage d'équité. Dans certains secteurs d'activité, le paiement à l'acte nuit gravement à l'hôpital public. Prenons l'exemple des urgences : lorsque les services hospitaliers sont débordés, certains urgentistes, heureusement peu nombreux, ouvrent des centres de soins non programmés à proximité, où ils sont payés à l'acte. Ils peuvent ainsi gagner trois à quatre fois plus, avec la participation d'infirmiers libéraux et le financement de fonds de pension étrangers. Cette situation est inacceptable et nous avons les moyens d'y mettre fin rapidement en donnant aux agences régionales de santé le pouvoir d'intervenir.
Je tiens à préciser que je ne remets pas en cause tous les centres de soins non programmés. Il existe des structures montées en collaboration avec la médecine de ville, où la rémunération est basée sur le temps passé plutôt que sur les actes effectués. Nous pouvons aujourd'hui identifier les secteurs d'activité problématiques, comme la radiothérapie ou l'imagerie, où il est nécessaire de repenser le système pour plus d'équité.
Concernant les coopérations, il est essentiel de partir de l'humain pour aller vers le système, car il existe une interaction entre les deux. Si le système ne favorise pas les coopérations, nous n'avancerons pas. Nous devons tenir compte à la fois des dimensions individuelles et mettre en place un système qui les encourage. La coopération suscite généralement trois types de réactions : la peur (crainte de fermeture d'activités), la tentation (risque d'accaparement des actes par des établissements plus importants), et l'attrait (reconnaissance des bénéfices du travail en commun). Il est crucial de prendre en compte ces émotions et ces sentiments pour construire des coopérations efficaces.
Comme l'a souligné Thierry Godeau, nous devons tenir compte de l'hétérogénéité des territoires. Il faut donc abandonner l'idée de GHT monolithiques au profit de GHT diversifiés. Trois ou quatre types suffisent. Il est également impératif d'intégrer les élus dans ce processus, car ils ont été trop souvent écartés des décisions. Les choix concernant les territoires ne doivent pas être uniquement validés par les professionnels et les directeurs, mais doivent impliquer les élus locaux.
Enfin, nous devons développer le concept d'équipes territoriales. Actuellement, les soignants ont une forte identité professionnelle liée à leur service ou leur établissement. À l'avenir, nous devons créer un sentiment d'appartenance à une entité territoriale plus large, permettant aux professionnels d'intervenir naturellement dans plusieurs établissements au sein d'un même territoire.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Messieurs les présidents, j'aimerais connaître votre position sur la tarification à l'activité (T2A) et ses conséquences sur la qualité des soins et les conditions de travail des professionnels. Nous constatons un taux élevé de burn-out et, lors de nos échanges avec les professionnels, ils évoquent souvent une perte de sens au travail, voire une déshumanisation.
Vous nous avez conseillé d'interroger les professionnels. C'est précisément ce que je fais en visitant les maternités menacées de fermeture. Récemment, à Sarlat, une sage-femme m'a confié ne pas vouloir retourner dans une grande maternité où elle travaillait auparavant, préférant Sarlat où elle dispose de plus de temps pour s'occuper des patientes et des nouveau-nés. Comment réagissez-vous à ce témoignage ?
Il soulève également la question du critère de la taille de la maternité. Nous sommes d'accord sur l'importance du trio médical, mais il y a 20 ans, on fermait déjà de petites maternités malgré la présence de ce trio. Ne serait-ce pas plutôt la pérennité de ce trio qui est cruciale ? La T2A ne contribue-t-elle pas à un manque d'attractivité qui empêche ensuite la stabilisation de ces équipes, indépendamment de la taille de la maternité ?
Vous avez évoqué le problème de la démographie médicale, tout en mettant en garde contre un possible excédent de médecins en 2030. Cependant, la formation n'augmente pas si rapidement. En tant que législateurs, dans l'intérêt général, ne vaut-il pas mieux avoir trop de médecins que pas assez ?
M. Thierry Godeau. Je précise qu’il s'agit de former le nombre de professionnels de santé nécessaires, pas uniquement des médecins, mais aussi des infirmiers et toutes les autres professions de santé. La T2A a initialement représenté un progrès pour l'hôpital. Les problèmes sont survenus avec son application, notamment les baisses de tarifs qui ont contraint à travailler plus pour gagner moins. Néanmoins, on constate que cela a un impact sur la production des actes, même si l'effet sur la qualité reste à démontrer.
Le défi de la T2A réside dans son utilisation. De nombreux séjours ne sont pas financés à leur juste coût. L'objectif de la T2A n'est pas de générer des bénéfices, mais de couvrir les dépenses engagées. Certaines spécialités, comme les maternités et la réanimation, ne sont pas correctement rétribuées par rapport aux coûts réels. Des évolutions du financement avaient été envisagées, notamment l'introduction de dotations socle combinées à une part de T2A en fonction du volume d'activité.
Il faut également prendre en compte les réalités géographiques. Certains territoires nécessitent des soins malgré une activité réduite, en raison de leur éloignement. Dans ces cas, une dotation socle est nécessaire pour garantir des soins de qualité à la population. Malheureusement, les avancées sur ce sujet tardent à se concrétiser.
Nous sommes favorables à une évolution vers des dotations populationnelles, des soins au parcours, du financement à la qualité. La problématique de la qualité des soins est intrinsèquement liée au numérique. Actuellement, nous ne disposons pas de moyens fiables pour mesurer les résultats concrets des soins prodigués. Prenons l'exemple des maternités : nous manquons de données précises sur les taux de complications et de mortalité néonatale par établissement. De même, dans le domaine de la chirurgie oncologique, nous ne suivons pas systématiquement le taux de survie à cinq ans des patients opérés. Pour des interventions plus courantes, comme les prothèses de genou ou la chirurgie bariatrique, nous ne disposons pas non plus d'indicateurs fiables sur la récupération post-opératoire ou l'efficacité à long terme des traitements.
Cette incapacité à produire des données de qualité par équipe constitue un véritable enjeu. Nous savons que la qualité des soins est corrélée au volume d'actes pratiqués, avec une courbe en U inversé : trop peu d'actes nuit à la qualité, mais un volume excessif peut également entraîner une dégradation.
Concernant la problématique évoquée à Sarlat, elle illustre parfaitement les difficultés liées à la charge de travail dans les hôpitaux, qui dépasse la problématique du financement. Ce phénomène s'inscrit dans un cercle vicieux : un financement insuffisant entraîne un sous-effectif, qui à son tour impacte la qualité des soins. Cependant, je ne suis pas convaincu que les dotations alternatives à la tarification à l'activité (T2A) pour l'hôpital public soient plus efficaces. Paradoxalement, ce sont souvent les missions d'intérêt général qui posent le plus de difficultés en termes de financement.
Bien que la volonté de réduire la part de la T2A soit présente, sa mise en œuvre reste complexe. Ce système, malgré ses défauts, demeure le moins mauvais à ce jour. Néanmoins, des évolutions sont nécessaires. Des progrès semblent se dessiner dans les domaines de la psychiatrie et des soins de suite. Il est impératif d'avancer sur ces questions de dotation populationnelle et de qualité des soins. Ces évolutions permettront de mettre l'accent sur la qualité, la sécurité et la pertinence des soins, aspects pour lesquels il n'existe actuellement pas d'incitation réelle.
Le système actuel n'encourage pas la coopération, que ce soit entre établissements publics ou avec le secteur privé. Au contraire, il favorise la concurrence. Quelle que soit la nature des réformes envisagées pour restructurer la médecine de ville et hospitalière, sans une incitation forte à la collaboration entre tous les acteurs, les améliorations resteront limitées et de court terme.
Mme Géraldine Bannier (MoDem). Je m’appuie sur un témoignage personnel concernant la fermeture des maternités. Je dois ma vie à la présence d'un hôpital à proximité de mon domicile. Née prématurément à six mois et demi, j'ai bénéficié d'une prise en charge rapide grâce à cet établissement situé à seulement 15 minutes de mon domicile. Cette expérience soulève la question cruciale de l'accessibilité aux soins d'urgence, particulièrement en milieu rural.
Je ne m'oppose pas fondamentalement à la fermeture de petites maternités si elles ne disposent pas des équipements ou du personnel qualifié nécessaires. Cependant, il est impératif de maintenir une capacité d'accueil d'urgence pour éviter des situations dramatiques, notamment pour les femmes en zones rurales. À l'époque de ma naissance, l'hôpital de Laval, en Mayenne, disposait d'un service de néonatalogie très développé, répondant aux besoins d'une population où le travail des femmes était courant, entraînant un taux élevé de naissances prématurées. Le suivi pédiatrique sur cinq ans dont j'ai bénéficié serait aujourd'hui impossible à mettre en place.
Dans notre département, nous avons récemment traversé une période difficile avec la réorganisation des urgences dans nos trois hôpitaux et la mise en place de la régulation qui a engendré des complications. Nous avons même connu des journées de fermeture totale des urgences, nécessitant une coordination avec les départements voisins pour rediriger les patients. Cette situation soulève des inquiétudes légitimes parmi la population et le personnel soignant.
La mise en place de la régulation s'accompagne malheureusement de démissions, rendant les postes plus complexes à pourvoir. Les établissements tentent de pallier ces défections, mais la situation reste préoccupante.
M. Francis Saint-Hubert. Permettez-moi d'apporter quelques précisions sur l'évolution du financement hospitalier. Ayant débuté ma carrière comme soignant dans les années 80, j'ai connu le système du prix de journée. Ce modèle incitait à prolonger les séjours des patients, parfois au-delà du nécessaire, car cela générait des revenus pour l'hôpital. Nous sommes ensuite passés à la dotation globale. Dans ce système, les directeurs étaient incités à fermer des services et à limiter les embauches pour éviter les déficits, au détriment de l'activité.
Aujourd'hui, nous avons la T2A. Certes, elle présente des effets pervers, principalement liés à l’Ondam. On nous demande d'augmenter l'activité, mais les tarifs sont ajustés à la baisse pour contenir les dépenses globales. C'est là que réside le véritable problème.
On évoque maintenant la dotation populationnelle, un nouveau mot-valise. Pour éviter tout amalgame, on peut noter que la T2A ne représente que 50 à 60 % du financement des hôpitaux.
S’agissant des maternités, Madame la députée, vous avez raison de souligner qu'il y a peu de temps encore, nous disposions des ressources nécessaires : pédiatres, anesthésistes, médecins acceptant de travailler 100 heures par semaine. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La question n'est pas de fermer systématiquement les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an, mais plutôt de réfléchir à l'amélioration du système dans son ensemble.
Nous disposons aujourd'hui d'outils qui n'existaient pas auparavant pour renforcer le suivi pendant la grossesse. Les évolutions en matière de prise en charge médicale et d'examens nous permettent d'anticiper de nombreuses situations. Cependant, il convient de ne pas tomber dans l'excès inverse en créant ce que certains qualifient abusivement d'« usines à maternité ». Je réfute catégoriquement cette expression. Notre devoir est de nous donner les moyens d'accompagner adéquatement toutes les mères et leurs familles, notamment dans le cas d'une maternité réalisant 1 800 accouchements.
Concernant la question de la charge de travail, je souhaite exprimer notre point de vue sur la loi récemment votée sur les ratios de personnel. Il serait simpliste de croire que l'on peut résoudre les problèmes de charge de travail à l'hôpital par la simple instauration de ratios. La réalité est plus complexe et implique quatre paramètres essentiels. Certes, les effectifs sont importants, mais les organisations, qu'elles soient cloisonnées ou décloisonnées, jouent également un rôle crucial. L'architecture et les équipements constituent le troisième facteur. Enfin, le climat social et l'ambiance au sein d'un service sont déterminants.
Les ratios peuvent s'avérer utiles dans certains domaines spécifiques, comme la réanimation, où ils sont déjà en place. Néanmoins, légiférer sur l'instauration généralisée de ratios et laisser croire que cela résoudra l'ensemble des problèmes dans nos hôpitaux est une approche à laquelle nous nous opposons fermement.
Monsieur le président Jean-François Rousset. Je propose de clore les débats. Je vous remercie de vos interventions, consistantes et clairement exprimées, au sujet des maternités, des ratios, de la coopération, la nécessité d’évoluer sur la personnalité des structures, entre autres. Si vous souhaitez nous faire parvenir des compléments d’information, nous les recevrons avec plaisir. Les travaux se poursuivront demain, à neuf heures, sur le parcours périnatal. Nous aurons donc l’occasion d’aborder de nouveau le sujet des maternités.
La table ronde s’achève à dix-neuf heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Thierry Frappé, Mme Murielle Lepvraud, M. Christophe Naegelen, M. Jean-François Rousset
Excusés. - M. Laurent Alexandre, Mme Sylvie Bonnet, Mme Sabrina Sebaihi