Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Éric Barbier, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DGT), M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), Mme Dorine Bérard, rapporteure au Ciri, M. Marin Guédo Guilloteau, adjoint à la cheffe du bureau « institutions et évaluations des politiques sociales et de l’emploi » de la DGT, et Mme Constance Maréchal-Dereu, cheffe du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE) 2
– Présences en réunion................................20
Mardi
29 avril 2025
Séance de 13 heures
Compte rendu n° 18
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
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La séance est ouverte à treize heures.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Éric Barbier, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DGT), M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), Mme Dorine Bérard, rapporteure au Ciri, M. Marin Guédo Guilloteau, adjoint à la cheffe du bureau « institutions et évaluations des politiques sociales et de l’emploi » de la DGT, et Mme Constance Maréchal‑Dereu, cheffe du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE).
M. le président Denis Masséglia. Nous poursuivons les auditions des administrations centrales intéressées par les travaux de notre commission d’enquête avec :
– M. Éric Barbier, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ;
– M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DGT), accompagné de M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), Mme Dorine Bérard, rapporteure au Ciri, et M. Marin Guédo Guilloteau, adjoint à la cheffe du bureau « institutions et évaluations des politiques sociales et de l’emploi » ;
– Mme Constance Maréchal-Dereu, cheffe du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE).
Je rappelle très brièvement que :
– la DGFiP assure, outre des missions bien connues en matière fiscale et de gestion publique, un soutien aux entreprises. Elle intervient ainsi dans les dispositifs d’attribution d’aides aux structures en création et en développement ;
– la DGT accompagne les entreprises de plusieurs façons, notamment par l’intermédiaire du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), qui a pour mission d’aider les sociétés en difficulté à élaborer et mettre en œuvre des solutions qui permettent d’assurer leur pérennité et leur développement ;
– la DGE conçoit, met en œuvre et mesure l’impact des politiques publiques destinées aux entreprises.
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Éric Barbier, M. Benjamin Delozier, M. Guillaume Primot, Mme Dorine Bérard, M. Marin Guédo Guilloteau et Mme Constance Maréchal-Dereu prêtent serment.)
M. Éric Barbier, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Je souhaite saisir l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer pour rappeler le rôle essentiel joué par la DGFiP dans la détection et l’accompagnement des entreprises en difficulté.
Cette mission, historiquement héritée de l’ancienne direction générale de la comptabilité publique, est inscrite dans les textes. Elle s’exerce principalement par l’intermédiaire des commissions des chefs de services financiers (CCSF) et des comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi).
La crise sanitaire a profondément transformé le périmètre d’action de la DGFiP dans ce domaine. Pas moins de onze dispositifs d’aide ont en effet été déployés pour soutenir les entreprises et cette période a également permis de structurer des dispositifs de sortie de crise, notamment à travers une circulaire de 2024 qui visait à mieux organiser l’intervention des acteurs à la fois localement et nationalement. L’année 2024 a par ailleurs été marquée par un niveau inédit de défaillances d’entreprises, avec une augmentation de près de 18 % par rapport à 2023 et de 27 % par rapport à 2019.
Pour faire face à ces défis, la DGFiP s’appuie sur trois principaux leviers dans la prévention et l’accompagnement des entreprises en difficulté.
Le premier levier d’action repose sur les Codefi, instances présidées par les préfets et dont la DGFiP assure le secrétariat permanent. Ces comités réunissent plusieurs partenaires, parmi lesquels la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets), la Banque de France et les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf). Ils interviennent auprès des entreprises de moins de 400 salariés rencontrant des difficultés financières, en complémentarité avec le secrétariat général du Ciri. Leur rôle est à la fois préventif et curatif. Ils s’appuient notamment sur des outils de détection précoce des difficultés, tels que l’outil « Signaux faibles », développé en partenariat avec la DGE.
Le deuxième levier d’action repose sur les CCSF. Dans ce cadre, la DGFiP intervient en tant que créancier public, aux côtés notamment des Urssaf, pour proposer des plans d’apurement de dettes fiscales et sociales aux entreprises. L’action des CCSF permet d’aider les entreprises à passer des périodes difficiles et garantit aux organismes sociaux la préservation de leurs intérêts financiers. Elles ont connu une activité soutenue récemment : 5 561 saisines enregistrées en 2024 contre 4 730 en 2023 ; 3 357 plans accordés en 2024 contre 3 013 en 2023.
Le troisième levier d’action repose sur les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté (CDED), un dispositif créé dans le sillage de la crise sanitaire. Ils constituent un point de contact universel au plan territorial pour les entreprises fragilisées, lesquelles sont orientées vers les interlocuteurs compétents en fonction de la nature des difficultés : Banque de France, médiateurs des entreprises, Urssaf, etc. Ces conseillers jouent un rôle central dans cet accompagnement puisque près de 17 000 entreprises ont bénéficié de leur appui en 2024, parmi lesquelles 68 % comptaient moins de dix salariés. Leur action, de plus en plus reconnue localement, s’adapte aux aléas conjoncturels. À titre d’exemple, à l’occasion de la crise qui a frappé l’agriculture en 2023, leur mobilisation auprès des exploitants agricoles a significativement progressé.
L’efficacité de l’action de la DGFiP repose non seulement sur celle de ces relais territoriaux mais aussi sur une coordination étroite avec l’ensemble des acteurs impliqués, tant au niveau local que national. Parmi ceux-ci, on compte le secrétariat général du Ciri, la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) et les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), qui interviennent auprès des entreprises de 50 à 400 salariés dans certains territoires.
Cette coordination a été notablement renforcée, tant au regard des recommandations de la Cour des comptes que des enseignements tirés de la crise sanitaire, afin de fluidifier le partage d’informations et de renforcer la synergie entre les différents intervenants. Au niveau national, cette logique s’est traduite par la création du comité national d’accompagnement et de soutien aux entreprises en difficulté (Cnased), qui se réunit deux fois par an. Un équivalent existe au niveau départemental. Ces réunions permettent aux acteurs de partager leur lecture de la situation économique nationale ou locale, d’échanger sur les problématiques rencontrées et de mieux valoriser leurs actions respectives. À titre d’exemple, la dernière réunion du Cnased a permis de présenter les principales recommandations issues du tour de France des médiateurs.
En outre, des échanges quotidiens et informels ont lieu entre l’administration centrale de la DGFiP, la direction de la sécurité sociale (DSS) et les interlocuteurs impliqués dans le financement de la sécurité sociale.
Enfin, la DGFiP a renforcé ses coopérations au bénéfice des entreprises en difficulté, en particulier avec les tribunaux de commerce, qui jouent un rôle déterminant dans la détection précoce et la prise en charge de ces difficultés. Elle collabore également avec le secteur associatif, notamment à travers le dispositif Apesa (aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe).
En conclusion, l’action de la DGFiP en matière de prévention et d’accompagnement des entreprises en difficulté s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale, articulée et coordonnée. Cette stratégie intègre également des dispositifs d’aide réactifs, mis en œuvre en partenariat avec la DGE, qui permettent de répondre à des chocs conjoncturels ou climatiques. Récemment, les entreprises de Mayotte en ont bénéficié après le passage du cyclone Chido ; les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) également.
M. le président Denis Masséglia. Je tiens à souligner combien le soutien apporté par les services de l’État aux entreprises revêt une importance fondamentale. Je le constate régulièrement dans ma circonscription. Il me paraît essentiel que l’ensemble de vos dispositifs soient mieux connus, en particulier des très petites entreprises (TPE), qui, notamment dans des secteurs tels que la restauration, méconnaissent encore trop fréquemment les aides auxquelles elles peuvent prétendre et tardent, de ce fait, à solliciter votre appui.
En tant que député, je m’efforce de relayer ces informations auprès des entrepreneurs que je rencontre et, lorsqu’ils sont mis en relation avec vos services, les retours sont, dans la grande majorité des cas, extrêmement positifs. Force est toutefois de constater que cette information demeure encore trop peu accessible. Un effort accru de communication, ciblé sur ces entreprises, pourrait produire des effets.
M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DGT). La création d’emplois constitue un objectif central de notre politique économique. La direction générale du Trésor y contribue par divers moyens.
Nous assurons un suivi attentif de la conjoncture économique, tant française qu’internationale, en élaborant des prévisions de croissance et d’emploi. Notre direction suit notamment l’évolution du marché du travail, en produisant des projections en matière d’emploi et de chômage, dans le cadre du projet de loi de finances notamment. Parallèlement, nous sommes chargés de l’élaboration et de la mise en œuvre de la politique de régulation du secteur financier, dont l’objectif est d’assurer un financement diversifié et compétitif de l’économie française.
Au sein de la direction générale du Trésor, le service que je dirige est responsable des politiques sectorielles et écologiques. À ce titre, nous veillons également à la dynamique démographique des entreprises, afin de garantir à notre pays un tissu économique résilient, innovant et porteur de croissance.
Dans mon intervention liminaire, je souhaite aborder trois sujets : la conjoncture de l’emploi en France, l’évolution des défaillances d’entreprises et la question de la conditionnalité des aides publiques.
Après un rebond marqué à la suite de la crise sanitaire, le marché du travail français a amorcé une phase de ralentissement, malgré la résilience globale de l’activité dans un contexte d’incertitude croissante. Au quatrième trimestre de l’année 2024, environ 90 000 emplois salariés ont été détruits. Ce ralentissement traduit notamment un phénomène de redressement de la productivité du travail, laquelle avait chuté de manière significative après la crise sanitaire, l’emploi progressant alors plus vite que l’activité à partir de 2020. Cette baisse de la productivité s’expliquait par plusieurs facteurs, dont certains pouvaient être interprétés positivement : la baisse du taux de chômage, le développement de l’alternance ou encore l’effet de l’activité partielle et des pratiques de rétention de main-d’œuvre.
Nous constatons à présent une dynamique plus cohérente entre ces deux variables, qui traduit un rattrapage partiel des pertes de productivité accumulées depuis la crise. Certains facteurs qui pesaient sur la productivité en sortie de crise, la rétention de main-d’œuvre par exemple, tendent à se résorber. De même, la contribution de l’alternance à la progression de l’emploi est plus modérée.
Sur le temps long, le marché du travail se maintient à un niveau globalement favorable. L’emploi salarié reste supérieur de plus de 1,3 million, soit environ 5 %, à son niveau d’avant la crise sanitaire, lequel était déjà historiquement élevé. De même, le taux de chômage, en fin d’année 2024, demeurait proche de son plus bas niveau observé depuis quarante ans, tandis que le taux d’emploi poursuit sa progression.
Il faut avoir à l’esprit que les défaillances d’entreprises ne se traduisent pas mécaniquement par des destructions nettes d’emplois. Selon les données du conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), environ 70 % des emplois menacés sont finalement maintenus. Par ailleurs, les créations d’emplois issues d’autres segments de l’économie, notamment à travers la création d’entreprises, peuvent, à court ou moyen terme, compenser les pertes induites par ces défaillances.
Les défaillances d’entreprises atteignent actuellement un niveau historiquement élevé. Après une nette diminution en 2020 et 2021, liée aux aides massives versées pour faire face à la crise sanitaire, elles ont connu une forte remontée depuis 2022 et ont dépassé dès 2023 leur niveau d’avant crise. Cette tendance semble toutefois ralentir sur les trimestres les plus récents. Fin février 2025, le nombre de défaillances cumulé sur douze mois s’élevait à 66 107, un record historique.
Cette augmentation a touché de manière plus marquée les grandes entreprises, entraînant une progression significative du volume d’emplois concernés : 234 000 en 2024 contre 151 000 en 2019. Toutefois, seuls 30 % des emplois en moyenne sont effectivement détruits, ce taux étant généralement plus faible dans les grandes entreprises.
Par ailleurs, si chaque défaillance crée une situation difficile qui doit être accompagnée par les pouvoirs publics, un niveau élevé de défaillances n’est pas nécessairement préjudiciable à l’emploi à moyen terme d’un point de vue macroéconomique, à condition que la création d’emplois et d’entreprises soit suffisamment dynamique. Ce processus, la « destruction créatrice », favorise en effet une meilleure allocation des facteurs de production vers des usages plus productifs.
Du reste, le nombre de défaillances d’entreprises constitue un indicateur imparfait pour apprécier la dynamique de l’emploi. À titre d’exemple, les créations d’entreprises se maintiennent à un niveau élevé, puisqu’elles ont progressé de 6 % en 2024 par rapport à 2023 et de 3 % si l’on ne compte pas les micro-entrepreneurs, des niveaux largement supérieurs au volume mensuel des défaillances. Ce constat peut tempérer les inquiétudes liées à la hausse des défaillances d’entreprises. Cela étant dit, le ralentissement actuel de l’activité économique pourrait entraver le mécanisme de réallocation des facteurs de production. Le ralentissement du rythme des créations d’entreprises et des créations d’emplois, la baisse du taux d’investissement des entreprises et la légère dégradation du climat des affaires doivent ainsi nous inciter à une grande vigilance.
Enfin, il est important de rappeler que la plupart des dispositifs d’aides publiques comportent déjà une forme de conditionnement. Le crédit d’impôt recherche (CIR), par exemple, est subordonné à la réalisation effective de dépenses de recherche et développement. Les aides versées au titre du plan d’investissement France 2030 impliquent, quant à elles, le dépôt d’un projet dans le cadre d’un appel à projets. D’autres aides, telles que celles en faveur de l’apprentissage, sont directement conditionnées à l’embauche effective d’apprentis.
L’introduction de nouvelles conditionnalités doit être abordée avec prudence. Cela pourrait en effet engendrer des coûts supplémentaires pour les entreprises, susciter des effets contre-productifs, tels que des licenciements préventifs, ou encore compromettre l’efficacité de certains dispositifs, en limitant leur impact sur la productivité. L’application stricte de conditions préétablies pourrait également se heurter à des considérations économiques ou politiques, notamment dans le cas d’entreprises aidées qui, malgré tout, seraient contraintes de réduire leurs effectifs. Il faut avoir à l’esprit qu’une entreprise contrainte de procéder à des licenciements malgré le versement d’une aide aurait peut-être connu une situation encore plus critique sans l’aide en question. L’exemple des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires est, à ce titre, éclairant, la prévisibilité et la lisibilité étant des conditions essentielles à leur bon fonctionnement. Ajouter des conditions supplémentaires, liées par exemple au maintien de l’emploi, risquerait ainsi d’altérer leur effet incitatif tout en compliquant leur mise en œuvre. Les organismes de recouvrement eux-mêmes rencontreraient probablement des difficultés pour en vérifier l’application effective.
La multiplication des conditions imposées aux entreprises alourdit considérablement les procédures, tant au stade de l’instruction que du contrôle, et va à l’encontre de l’effort de simplification engagé depuis plusieurs années. La pertinence d’un conditionnement au maintien de l’emploi dépend donc étroitement de la nature de l’aide et de ses modalités d’attribution.
Mme Constance Maréchal-Dereu, cheffe du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE). Je souhaite vous présenter les principales missions de la DGE ainsi que la place qu’occupe le traitement des entreprises en difficulté au sein de notre organisation.
Je reviendrai sur quelques chiffres relatifs aux défaillances d’entreprises, objet d’une étude que nous avons publiée en février 2025, avant de me concentrer sur les actions conduites par la DGE pour prévenir les situations de défaillance, en particulier dans le secteur industriel.
La DGE exerce cinq grandes missions. La première consiste à renforcer la souveraineté et l’autonomie stratégique de notre économie, en particulier par la réindustrialisation et le soutien au développement des industries du futur. La deuxième vise à améliorer la compétitivité des entreprises, en accompagnant notamment la réindustrialisation et la décarbonation de l’appareil productif. La troisième porte sur l’accélération de la transition technologique et numérique à travers la diffusion des outils numériques auprès des entreprises. La quatrième consiste à promouvoir l’économie de proximité et les filières du tourisme et du sport. Enfin, la cinquième mission concerne la simplification des démarches administratives.
L’action de la DGE repose essentiellement sur une approche sectorielle, orientée vers la microéconomie, à la différence de l’action de la direction générale du Trésor, qui travaille dans une perspective plus macroéconomique. Au sein de notre direction, nous disposons d’une équipe dédiée aux restructurations et à l’accompagnement des entreprises en difficulté, répartie entre l’administration centrale et les territoires. À l’échelon central, cette mission est portée par la mission de restructuration des entreprises (MRE), qui assure le pilotage, l’animation et la diffusion des bonnes pratiques. Elle anime également la communauté de recrutement et conçoit des outils à destination de notre réseau territorial. Ce réseau est composé des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises, présents dans les services déconcentrés de l’État au niveau régional, dont l’action se concentre principalement sur les entreprises industrielles de taille intermédiaire, qui comptent entre 50 et 400 salariés. Les entreprises de plus grande taille font l’objet d’un suivi national, en particulier dans les secteurs industriels exposés à un risque élevé de délocalisation.
Le réseau des CRP intervient sur des situations individuelles, sous la coordination de la déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises, tandis que la MRE fournit des « outils métier ». C’est à ce titre que la DGE a conçu l’outil « Signaux faibles », initialement développé en interne, puis enrichi grâce à une collaboration étroite avec d’autres acteurs, tels que la DGFiP. Cet outil permet aux agents en région d’accéder à un corpus de données complet pour chaque entreprise, facilitant ainsi une détection précoce des difficultés et une analyse approfondie de la situation. En raison de la nature sensible des données traitées, l’accès à cet outil est strictement restreint.
En 2024, nous avons enregistré 66 000 procédures relatives à des défaillances d’entreprises, un nombre record, ce qui peut s’expliquer par un effet de rattrapage consécutif à la fin progressive des aides publiques accordées pendant la crise sanitaire. Les années 2020 à 2022 avaient en effet été marquées par un nombre de défaillances bien inférieur à la moyenne historique. Les données montrent qu’avant la crise, entre 25 000 et 30 000 défaillances étaient enregistrées chaque année. Pendant la crise, ce nombre était tombé à 15 000 puis à 10 000. L’augmentation observée en 2024 peut donc être interprétée comme un retour à la normale, bien que les entreprises aujourd’hui concernées présentent un écart de productivité plus marqué que celles qui avaient fait faillite avant la crise.
La répartition sectorielle reste relativement stable. Nous observons des difficultés croissantes dans plusieurs filières industrielles, en particulier dans l’automobile, la chimie et la métallurgie, confrontées à une concurrence internationale exacerbée et à une hausse soutenue des prix de l’énergie.
Plusieurs tendances méritent en outre d’être soulignées. D’une part, la taille moyenne des entreprises en défaillance est en nette augmentation. Davantage d’entreprises moyennes et intermédiaires sont concernées en comparaison de la situation qui prévalait durant la période 2017‑2019. D’autre part, les entreprises touchées sont en moyenne plus anciennes – plus de trois années d’existence. Enfin, on observe un ralentissement de la hausse des défaillances depuis la fin de l’année 2024 et le début de l’année 2025, bien que cette tendance ne se vérifie pas déjà dans le secteur industriel, qui fait l’objet de notre attention particulière.
La DGE concentre ses efforts sur des actions préventives globales visant à renforcer la compétitivité et à accompagner le développement des entreprises françaises. Notre stratégie repose sur trois axes principaux.
Le premier touche à l’amélioration de la compétitivité relative des entreprises industrielles déjà établies par rapport à leurs homologues européennes mais aussi internationales, en particulier américaines et chinoises. Nous avons instauré des mesures structurantes telles que la compensation carbone pour les industries électro-intensives. Nous mettons également en place des critères d’empreinte industrielle, notamment dans le domaine de la tarification des médicaments, afin d’encourager la relocalisation et la production nationale. Ces mesures visent à restaurer une souveraineté industrielle durable.
Le deuxième axe touche à l’accompagnement de la décarbonation de l’industrie, un enjeu central pour la compétitivité des secteurs fortement dépendants des énergies fossiles. Des aides spécifiques sont mobilisées pour faciliter la transition écologique.
Le troisième axe touche à la modernisation de l’appareil industriel, notamment par le soutien à la numérisation des entreprises existantes, et au développement des industries du futur. À cet effet, des dispositifs tels que le crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte ou les subventions dédiées aux premières usines sont déployés, afin de réduire le risque inhérent aux investissements initiaux.
Pour certaines filières confrontées à des mutations complexes et structurelles, l’automobile, la chimie et l’acier notamment, nous élaborons des plans d’accompagnement spécifiques. Sur ces sujets, le Gouvernement intervient activement à l’échelle européenne, où se situent une part importante des leviers d’action.
Je souhaite enfin réaffirmer l’importance que nous accordons à l’usage rigoureux des aides publiques. Elles ne sont octroyées que lorsqu’elles s’avèrent véritablement nécessaires, que ce soit pour déclencher un investissement, préserver l’emploi ou accompagner l’amélioration de la compétitivité dans un contexte de crise ou de transition structurelle.
Nous avons mis en place un dispositif de versement des aides par étape pour les projets de grande envergure. Les aides ne sont versées que si les objectifs fixés sont atteints. Leur octroi peut être conditionné à la création effective de postes.
Selon nous, le cadre juridique est adapté aux besoins et un durcissement des règles risquerait d’être contre‑productif car il pourrait dissuader les porteurs de projets ou fragiliser des investissements en cours de maturation.
M. le président Denis Masséglia. Lors de récents échanges dans ma circonscription avec des dirigeants d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) familiales, j’ai appris que la transmission de la société aux enfants représentait un moment critique. Disposez-vous de données chiffrées permettant de savoir si cette transmission, particulièrement pour les ETI et les petites et moyennes entreprises (PME), engendre un risque accru de mise en œuvre de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ? Pensez-vous qu’il serait nécessaire d’apporter des modifications pour faciliter la transmission ?
M. Benjamin Delozier. Je ne dispose pas de données chiffrées précises sur ce point. Il me semble néanmoins utile de rappeler que les transmissions familiales font l’objet d’un dispositif spécifique : le pacte Dutreil. La Cour des comptes conduit actuellement une évaluation approfondie de ce dispositif, dont les résultats sont attendus au cours de l’année. Elle apportera, je l’espère, un éclairage précieux sur l’utilisation qui en est faite.
M. le président Denis Masséglia. Nous recevrons, dans les prochaines semaines, la direction d’ArcelorMittal France. Pourriez-vous nous donner la liste des mesures de soutien qui ont été accordées à l’entreprise pour assurer la pérennité de sa production sur le territoire national ? Ces informations nous seront précieuses pour préparer l’audition.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Plusieurs dispositifs sont actuellement déployés. Comme vous le savez, il a été décidé, au début de l’année dernière, d’accorder à l’entreprise une aide importante en faveur de la décarbonation de ses activités, notamment sur le site de Dunkerque. Cette aide, d’un montant de 850 millions d’euros, a été formellement attribuée mais n’a, à ce jour, donné lieu à aucun décaissement, son versement étant strictement conditionné à la réalisation effective de l’investissement. Or à ce stade, ArcelorMittal n’a pas procédé à la commande des équipements nécessaires à la décarbonation de ses installations. Le dialogue avec l’entreprise demeure étroit. Nous voulons la soutenir dans cette transition et restons persuadés de la nécessité d’investir dans la décarbonation de ses sites sidérurgiques afin d’en assurer la compétitivité à long terme. L’État demeure pleinement mobilisé à ses côtés.
Les raisons pour lesquelles ArcelorMittal n’a pas déjà engagé cet investissement tiennent à la conjoncture. Le secteur sidérurgique connaît une situation difficile en France et en Europe. Les difficultés touchent ArcelorMittal et ses principaux concurrents qui, bien qu’implantés hors de France, ont également annoncé des ajustements importants.
Par ailleurs, la France joue un rôle moteur au niveau européen pour soutenir la sidérurgie. Elle est à l’initiative d’un plan d’action européen en faveur de la filière. Le ministre a organisé, en mars dernier, un sommet européen sur l’acier, à l’issue duquel des contributions et des demandes communes ont été formulées à destination de la Commission européenne. En réponse à cette initiative, la Commission a engagé un dialogue stratégique sur la sidérurgie, structuré autour de plusieurs axes, parmi lesquels la définition de mesures de défense commerciale. La demande mondiale d’acier, particulièrement la demande européenne, fortement tirée par des secteurs comme l’automobile, est en diminution, alors que la production mondiale continue d’augmenter, en raison notamment des surcapacités en Asie. Il est donc nécessaire de protéger le marché européen face à ces déséquilibres. La France a formulé une demande en ce sens et la Commission européenne a commencé à y répondre. En lien avec la direction générale du Trésor, nous poursuivons nos échanges avec elle pour améliorer le mécanisme de sauvegarde, qui repose sur un système de quotas d’importation : des droits de douane plus élevés s’appliquent au-delà du franchissement d’un certain seuil. Nous plaidons pour une révision à la baisse de ce seuil afin de renforcer la protection du marché européen.
Nous travaillons également à garantir une concurrence équitable entre les productions européennes et les importations en provenance de pays tiers, à travers le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui vise à faire en sorte que les produits importés à forte intensité carbone soient soumis à un coût équivalent à celui supporté par les producteurs européens dans le cadre du marché du carbone. Le mécanisme, tel qu’il est conçu aujourd’hui, doit encore être amélioré. Nous collaborons avec la Commission européenne pour en faire un outil véritablement efficace et protecteur.
M. le président Denis Masséglia. Nous avons eu l’occasion d’aborder la question du MACF et certaines de ses fragilités nous ont été présentées. À ce jour, ce dispositif ne concerne que les matières premières, ce qui pose une difficulté en termes de compétitivité pour les produits transformés fabriqués en Europe, lorsque ces derniers reposent sur un approvisionnement en matières premières en provenance de pays extérieurs à l’Union européenne. Il me semble qu’il existe là un véritable axe de travail. Nos produits transformés ne doivent pas être pénalisés dans un contexte concurrentiel particulièrement rude, notamment du fait des décisions prises par le Président des États-Unis.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Je souhaite commencer par poser une question très concrète, puisque le président a évoqué le cas d’ArcelorMittal. Disposez-vous de données chiffrées précises sur les montants perçus par l’entreprise au titre du crédit d’impôt recherche, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), des autres aides publiques, directes ou indirectes, ainsi que des exonérations diverses, sociales ou fiscales ?
Plus généralement, lorsqu’il s’agit d’entreprises de cette taille et de situations aussi structurantes pour des territoires entiers, existe-t-il des estimations consolidées du montant global des aides publiques distribuées ? Autrement dit, la somme des aides publiques versées aux grandes entreprises est-elle clairement connue ?
J’aimerais également savoir si des aides publiques continuent d’être versées à ArcelorMittal et si d’autres aides doivent encore lui être attribuées.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Dans la mesure où certaines données relèvent du secret des affaires, je ne peux vous transmettre ici que des éléments d’ordre général, qui pourront ensuite être complétés par écrit.
L’aide la plus significative accordée à ce jour à ArcelorMittal est celle qui concerne la décarbonation du site de Dunkerque, pour un montant de 850 millions d’euros.
Si vous souhaitez obtenir des informations plus détaillées sur les aides attribuées à des entreprises en particulier, je vous invite à nous transmettre la liste de ces entreprises par écrit. Nous pourrons alors vous faire parvenir les données correspondantes, à titre confidentiel.
M. le rapporteur. Je veux être sûr de bien comprendre la situation à propos des données relatives aux aides publiques accordées aux entreprises. Pourriez-vous préciser la doctrine en vigueur en la matière ? Disposez-vous d’une synthèse du montant des aides reçues par chaque entreprise ou cette synthèse n’est-elle effectuée que sur demande ?
Vous avez par ailleurs indiqué que certaines données n’étaient pas publiques. Pourriez‑vous nous en expliquer les raisons ?
M. Benjamin Delozier. Il est essentiel de rappeler qu’il n’existe pas, au sein de l’administration de l’État, une définition unique et stabilisée de l’aide publique aux entreprises. La définition la plus communément retenue est celle qui figure à l’article 107, §1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : les aides d’État sont « les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions ».
La grande diversité des aides, qui sont octroyées par de nombreuses entités, rend particulièrement complexe le suivi détaillé des dispositifs. Cela étant, le rapport établi par la mission dédiée aux revues de dépenses sur les aides aux entreprises, conduite par l’Inspection générale des finances (IGF), propose une ventilation précise et détaillée de ces dispositifs. Nous prévoyons de vous transmettre ces données, qui concernent environ soixante milliards d’euros d’aides budgétaires et fiscales de l’État répartis par ministère.
Du reste, la DGE travaille actuellement à la création d’une plateforme centralisée qui aurait pour fonction de regrouper les informations relatives aux aides accordées aux entreprises, qu’elles émanent de l’État ou des collectivités territoriales.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Ce projet est effectivement en développement, sa mise en service étant prévue pour le début de l’année 2026. Notre ambition est que la plateforme serve à compiler l’ensemble des aides existantes, en tenant compte de leurs finalités. Elle intégrera l’ensemble des aides applicables à un projet donné.
M. le rapporteur. Il est important de rappeler que les aides publiques aux entreprises constituent un levier précieux d’intervention économique. Il a d’ailleurs été démontré pendant la crise sanitaire, de manière incontestable, que le soutien de la puissance publique est indispensable à la préservation du tissu économique et industriel.
Cela étant, les travaux de la commission d’enquête ont débuté avec l’audition de la Cour des comptes, dont les observations doivent être prises en compte avec attention. Ainsi, elle souligne que les aides publiques aux entreprises font l’objet d’une vigilance moindre que celle qui s’exerce pour d’autres catégories de dépenses, comme les aides sociales. Elle indique notamment que les premières sont insuffisamment conditionnées, peu contrôlées et rarement plafonnées, ce qui pose la question de l’efficacité de l’utilisation des deniers publics.
Y a-t-il un suivi des aides versées et, le cas échéant, quelle en est la nature ? Quels sont les outils mobilisés pour assurer ce suivi ? Est-il effectué à la fois sur un plan administratif et sur un plan politique ? Les ministres demandent‑ils régulièrement à être informés de l’état des aides accordées, notamment lorsqu’un plan de licenciement est envisagé ou qu’une entreprise prévoit de quitter un territoire ? Sont-ils destinataires d’éléments permettant d’évaluer l’usage concret qui est fait de ces aides et sont‑ils alertés lorsqu’une entreprise ayant reçu un soutien financier significatif engage, peu de temps après, des suppressions d’emplois ou rencontre des difficultés majeures ?
Mme Constance Maréchal-Dereu. Nous sommes systématiquement sollicités par les ministres pour établir, lorsqu’il s’agit de cas sensibles, une liste exhaustive des aides reçues. Contrairement à ce qu’a pu expliquer la Cour des comptes, les aides publiques sont, dans leur très grande majorité, assorties de conditions précises. Nous vérifions avec rigueur que celles-ci ont bien été respectées, que les projets ont été effectivement réalisés et que les engagements, notamment en matière d’emploi, ont été tenus.
Les aides versées par la DGE sont liées à des projets définis et font l’objet d’une instruction approfondie de la part des services compétents. Chaque versement est conditionné à la vérification du respect des critères fixés. Les entreprises doivent apporter la preuve de la réalisation effective des actions prévues. Pour certains dispositifs, notamment dans le cadre du plan d’investissement France 2030, nous procédons même à des visites sur site afin de contrôler la véracité des éléments transmis. Le niveau de suivi est ajusté en fonction du montant de l’aide octroyée. Ce travail de contrôle s’exerce de manière continue et pas exclusivement en cas de difficulté. Cela étant dit, lorsqu’une fermeture de site est annoncée, une demande de vérification de la conformité des actions menées avec les engagements initialement pris est immédiatement formulée par l’autorité politique.
M. Benjamin Delozier. Je souhaiterais revenir sur la question de l’évaluation transversale des aides publiques. L’administration s’appuie sur un ensemble de structures pour mener à bien ce travail. Si cette organisation peut paraître dispersée, elle repose en réalité sur un socle institutionnel solide composé, entre autres, d’organismes relevant des ministères économiques, tels que l’IGF, le Conseil général de l’économie (CGE), les directions de ces ministères, etc. D’autres structures, telles que l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), placées sous la tutelle de ministères distincts, contribuent également à l’effort d’évaluation. Plusieurs entités rattachées directement au Premier ministre participent en outre à cet effort, parmi lesquelles le Haut‑commissariat au Plan, France Stratégie, la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi), le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE), le Conseil d’analyse économique (CAE), le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) ou encore l’Institut des politiques publiques (IPP).
Le suivi et l’évaluation des aides publiques aux entreprises se sont progressivement renforcés avec le temps. Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, tout projet de loi doit être accompagné d’une étude d’impact. Cette exigence a permis de structurer davantage l’analyse des politiques publiques. Elle a été complétée, à partir de 2017, par l’intégration d’un suivi rigoureux du déploiement des aides au sein des grands plans gouvernementaux en direction des entreprises, notamment France Relance et France 2030.
Parmi l’ensemble des dispositifs, les allègements généraux de cotisations sociales représentent l’aide la plus significative en volume. Leur efficacité a fait l’objet de nombreuses études. Les travaux conduits en 2001 par Bruno Crépon et Rozenn Desplatz ont mis en évidence que les mesures d’allègement du coût du travail déployées dans les années 1990 avaient permis la création ou la préservation de 460 000 emplois entre 1994 et 1997, pour un coût estimé à six milliards d’euros. Le CICE, quant à lui, a permis la création d’environ 100 000 emplois entre 2014 et 2016, pour un coût annuel de l’ordre de 18 milliards d’euros.
Des travaux plus récents indiquent que la suppression complète des allègements généraux de cotisations patronales entraînerait une destruction massive d’emplois : entre 1,5 million et 2,2 millions selon le Groupe d’experts sur le Smic, autour d’un million selon les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer. Ces données illustrent avec force l’ampleur de l’impact de ce dispositif sur l’emploi dans notre pays.
M. Éric Barbier. Je souhaite apporter des précisions au sujet du contrôle exercé sur les aides versées, en particulier pendant la crise sanitaire. Contrairement à une idée parfois répandue, ces aides n’ont pas été attribuées de manière automatique.
Près de 19 % des demandes formulées auprès du fonds de solidarité ont été rejetées. Pour les demandes d’aides liées aux coûts fixes, le taux de rejet a été encore plus significatif : 48 % pour les demandes globales, 43 % pour les aides versées au titre de la reprise, 52 % pour la composante relative aux loyers et 62 % pour la composante relative aux fermetures.
Le taux de rejet attaché aux demandes d’aides formulées par les entreprises du secteur des travaux publics s’est élevé à 17 %. Pour le dispositif d’aide « gaz-électricité » mis en place en 2023, 35 % des demandes ont été rejetées. Ce taux a atteint 85 % pour l’aide « électricité » en 2024. Enfin, 50 % des demandes d’aide exceptionnelle formulées à la suite des inondations survenues dans le Nord–Pas-de-Calais ont été rejetées. Cela témoigne de manière incontestable de l’existence d’un contrôle rigoureux dans l’attribution des aides publiques, y compris dans des contextes d’urgence et de crise.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Des contrôles approfondis sont systématiquement effectués en amont afin de vérifier l’éligibilité aux aides demandées. Dans le cadre de projets financés au titre du plan d’investissement France 2030, y compris ceux liés à la compensation carbone, des organismes comme l’Agence de services et de paiement (ASP) ou Bpifrance sont chargés d’examiner rigoureusement le respect par le projet des critères définis. Si les conditions ne sont pas réunies, l’aide n’est pas attribuée.
S’agissant des aides ponctuelles fondées sur des situations passées, le respect des critères d’éligibilité conditionne généralement le versement. En revanche, pour les projets de plus grande ampleur, nous avons mis en place un système de suivi beaucoup plus élaboré qui permet, le cas échéant, de réviser les contrats, d’appliquer des sanctions ou d’ajuster les conditions en fonction de l’évolution concrète du projet. Nous avons notamment instauré une clause de récupération pour les aides dont le montant dépasse 50 millions d’euros. Lorsqu’un projet s’avère plus rentable que prévu, l’entreprise est tenue de reverser une part de l’aide perçue afin de rétablir l’équilibre initial.
Notre vigilance s’exerce à chaque étape du processus. Elle se déploie dès la phase préalable à l’attribution de l’aide et s’intensifie en fin de parcours. La dernière phase est déterminante : c’est à ce moment-là que la réalisation effective du projet est vérifiée et que la pertinence du calibrage de l’aide est évaluée. En cas de divergence significative entre les prévisions et les résultats, un remboursement peut être exigé.
M. le rapporteur. Je souhaiterais évoquer le CICE. Le dispositif est suffisamment ancien pour que puisse être établi un bilan de son efficacité. À travers vos réponses, j’ai cru percevoir une forme de nuance vis-à-vis des conclusions formulées par la Cour des comptes.
Le versement du CICE n’était pas conditionné. Les différentes évaluations du dispositif, en fonction des méthodologies retenues, font apparaître que le coût d’un emploi créé aurait été compris entre 180 000 et 860 000 euros. Même en retenant l’estimation la plus basse – un coût compris entre 180 000 et 200 000 euros par emploi créé –, la question de l’efficience de la mesure se pose légitimement, en particulier dans un contexte où les ressources budgétaires sont à la fois limitées et précieuses.
La Cour des comptes a soulevé un autre point essentiel en interrogeant la pertinence du ciblage actuel des aides publiques. Serait-il envisageable de mieux cibler les exonérations fiscales ou les allègements de cotisations sociales et, si tel était le cas, quels leviers pourrait‑on actionner pour y parvenir ? L’objectif poursuivi serait d’optimiser l’utilisation des fonds publics, voire de réduire le volume global des aides accordées, tout en renforçant leur efficacité, notamment en matière de création d’emplois.
M. Benjamin Delozier. Selon les évaluations disponibles, les allègements généraux de cotisations sociales, dans lesquels le CICE a été fondu, auraient permis la création de 1,5 à 2,2 millions d’emplois selon le Groupe d’experts sur le Smic et d’un million d’emplois selon les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer. Le rapport de ces derniers explore d’ailleurs la possibilité d’optimiser le ciblage des allègements de cotisations sociales et des ajustements ont été opérés par le Gouvernement à l’occasion du précédent projet de loi de finances, dans le but de renforcer l’efficacité du dispositif.
L’efficacité en matière de création d’emplois est évidemment un objectif central. Nous cherchons à maximiser le nombre d’emplois créés pour chaque euro engagé. La littérature économique, du moins jusqu’à la publication du rapport précité, tendait à montrer que les allègements ont un effet plus significatif lorsqu’ils sont concentrés sur les bas salaires. Il est néanmoins indispensable de veiller à ce que les allègements ne constituent pas un frein à l’augmentation des rémunérations, ce qui s’apparenterait à un effet contre-productif.
La réflexion sur l’optimisation de ces dispositifs reste donc ouverte et doit s’appuyer sur les enseignements les plus récents de la recherche.
M. le rapporteur. Pourriez-vous nous éclairer sur l’impact sur l’emploi des aides exceptionnelles liées au covid‑19 et à la crise énergétique ? Par ailleurs, estimez-vous qu’il existe un risque élevé de non-remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) ?
Mme Constance Maréchal-Dereu. D’une manière générale, la plupart des dispositifs d’aide d’urgence, lors de crises ponctuelles, sont pilotés au plan juridique par la DGE et mis en œuvre opérationnellement par la DGFiP.
Environ 15 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de ces mesures exceptionnelles, dont plus de 4,5 milliards d’euros au titre du bouclier tarifaire énergétique et plus de 2 milliards d’euros au titre des PGE. L’octroi de ces aides repose sur une justification économique claire, puisqu’il vise à pallier une défaillance de marché. C’est précisément ce qu’il s’est produit lors de la crise sanitaire : une intervention ponctuelle s’est avérée nécessaire pour permettre aux entreprises de surmonter une période d’instabilité particulièrement aiguë. Il était admis que ces aides devaient conserver un caractère temporaire, dans la mesure où l’économie était appelée à retrouver progressivement un fonctionnement normal. Ces mesures ont joué un rôle incitatif essentiel pour préserver la viabilité des entreprises, notamment face à la flambée des prix de l’énergie.
M. Benjamin Delozier. Le remboursement des PGE se poursuit globalement sans difficulté majeure. À la fin du mois de décembre 2024, le montant restant à rembourser s’élevait à 37 milliards d’euros, soit 26 % du montant total des prêts octroyés. La sinistralité brute constatée à ce jour atteint 5 milliards d’euros, ce qui représente environ 3,5 % du volume total. Sur l’ensemble de la durée de vie du dispositif, la DGT évalue la sinistralité brute à environ 4,5 %. La sinistralité nette, obtenue en déduisant de la sinistralité brute le montant des primes versées à l’État en contrepartie de sa garantie, se situe autour de 2,7 %. Ces projections, relativement stables depuis les premières estimations formulées en 2020, sont cohérentes avec celles publiées par d’autres organismes, tels que Bpifrance ou le CAE.
L’efficacité des dispositifs d’aide exceptionnels déployés pendant la crise sanitaire – le financement de l’activité partielle, l’octroi de PGE, le soutien du fonds de solidarité… – semble confirmée par la résilience du marché du travail. Comme cela a été mentionné, l’emploi a connu un recul bien moins marqué que l’activité, ce qui laisse penser que nous sommes parvenus à limiter les défaillances d’entreprises et à préserver un nombre important d’emplois.
Il est toutefois complexe d’évaluer l’efficacité de chaque dispositif pris isolément. Les études permettant de mesurer l’effet de l’activité partielle sur la préservation de l’emploi durant le premier confinement sont rares. L’identification d’un contrefactuel robuste, nécessaire à toute analyse d’impact rigoureuse, s’est avérée particulièrement délicate dans le contexte macroéconomique extrêmement instable de l’année 2020. Les comparaisons internationales tendent à démontrer que les programmes d’activité partielle permettent de maintenir le lien contractuel entre employeur et salarié, ce qui limite les coûts liés à la réembauche et préserve le capital humain. Ces dispositifs s’avèrent particulièrement adaptés à la gestion de chocs économiques temporaires, comme celui provoqué par la crise sanitaire, tandis que l’assurance chômage répond mieux aux chocs structurels ou persistants.
S’il demeure difficile de dissocier les effets de l’activité partielle de ceux du fonds de solidarité, l’analyse agrégée des données relatives aux défaillances d’entreprises et à l’emploi met en évidence l’efficacité globale de ces dispositifs pour amortir les effets de la crise sur le tissu économique.
M. le rapporteur. Certaines entreprises dont l’État est actionnaire annoncent la mise en œuvre de PSE ou d’autres dispositifs de réduction des effectifs. De quels leviers l’État actionnaire dispose-t-il pour faire face à ces difficultés et aux risques pesant sur l’emploi ?
M. Benjamin Delozier. Cette question relève de la compétence de l’Agence des participations de l’État (APE).
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Certains points de vos interventions m’ont paru obscurs. Monsieur Delozier, vous avez indiqué que les aides aux entreprises, notamment les allègements de cotisations sociales, vous paraissaient efficaces. Vous avez notamment cité en exemple le CICE. J’en déduis que, moins une entreprise est soumise à des charges sociales, plus elle est en mesure de recruter. Il me semble ainsi logique de penser que l’allégement du coût du travail constitue un levier direct pour favoriser l’emploi.
Madame Maréchal-Dereu, vos propos sur la décarbonation ont également retenu mon attention. Vous avez notamment affirmé que cette transition était essentielle pour améliorer la compétitivité des entreprises. Je dois reconnaître que j’éprouve des difficultés à comprendre comment une dépense supplémentaire, souvent lourde, pourrait contribuer à renforcer la compétitivité d’une entreprise. Cette incompréhension se renforce encore lorsque vous indiquez que notre compétitivité dépendrait de notre capacité à faire payer les entreprises qui s’installent sur notre territoire.
Je m’interroge sur les raisons pour lesquelles ArcelorMittal ne procède pas à l’investissement de 850 millions d’euros prévu pour la décarbonation de son activité. Si, comme cela a été affirmé, cet investissement devait renforcer sa compétitivité, pourquoi ne le met-il pas en œuvre ?
Je ne parviens pas à comprendre comment ces dispositifs permettent concrètement de soutenir l’emploi ou de prévenir les défaillances d’entreprises, lesquelles se traduisent inévitablement par des suppressions d’emplois.
J’ai toutefois retenu que seuls 30 % des emplois menacés dans le cadre des défaillances d’entreprises disparaissent effectivement, ce qui peut s’expliquer par le fait que bon nombre d’entreprises défaillantes sont en réalité des fonds de commerce ou des activités déjà existants, dont la reprise est rendue possible une fois les charges les plus lourdes levées.
M. Benjamin Delozier. Lorsqu’une entreprise est placée en liquidation judiciaire, la disparition des emplois est, dans la très grande majorité des cas, inévitable. En revanche, dans 70 % environ des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire, il est possible de préserver tout ou partie des emplois menacés. Cette issue favorable est rendue possible par l’intervention d’actionnaires, de repreneurs potentiels et par l’action conjointe de la DGFiP, du Ciri et de la médiation du crédit.
Par ailleurs, les dispositifs actuels d’allègements de charges sociales, particulièrement concentrés autour du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic), ont montré leur efficacité en matière de création d’emplois. Les évaluations économiques réalisées sur ce sujet confirment que, sans ces dispositifs, le niveau de l’emploi dans notre pays serait sensiblement inférieur. L’effet est d’autant plus significatif que le salaire se situe à proximité du Smic. À rémunération constante, une baisse ciblée du coût du travail à ce niveau génère davantage d’emplois que la même baisse appliquée à des salaires plus élevés.
Le débat reste toutefois ouvert quant au paramétrage optimal de ces dispositifs. C’est précisément l’objet des travaux conduits, notamment, par les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer. Si les résultats varient selon les modèles retenus, un consensus se dessine néanmoins au sein de la communauté économique. Les allègements de cotisations sociales, en particulier sur les salaires situés autour du salaire minimum, exercent un effet positif avéré sur l’emploi. En réduisant la charge que représente, pour un employeur, l’embauche d’un salarié rémunéré au Smic, ces mesures favorisent non seulement l’emploi direct mais aussi la dynamique entrepreneuriale, en facilitant la création d’activités nouvelles.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Pour bien appréhender les enjeux liés à la décarbonation, il est essentiel de comprendre le mécanisme sur lequel repose cette stratégie. L’instauration progressive de « coûts carbone » signifie que les entreprises émettrices devront assumer financièrement leurs émissions. Si elles ne font pas d’efforts en faveur de la décarbonation, leurs dépenses augmenteront et leur compétitivité en sera affectée. Les investissements de décarbonation visent donc à réduire, voire à éliminer, ces coûts à terme.
Le dimensionnement des aides repose sur l’analyse du besoin de financement. Nous évaluons le coût total de l’investissement, en considérant qu’il ne génère pas directement une hausse de la production ou du chiffre d’affaires. Même si certains consommateurs acceptent de payer plus cher pour des produits verts, cela a un impact limité sur les revenus. Nous calculons ensuite les économies liées aux « coûts carbone » évités. L’aide est calibrée pour couvrir l’écart entre le coût de l’investissement et le montant de ces économies. Cette approche permet de préserver la compétitivité des entreprises face à l’augmentation des coûts du carbone, alors que leurs concurrents engagés dans la décarbonation n’auront pas à les supporter.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Qui fixe le coût du carbone ? Je comprends vos explications mais je ne saisis pas en quoi cela contribue au maintien de l’emploi.
Mme Constance Maréchal-Dereu. Le coût du carbone est déterminé par le marché européen du carbone, dans le cadre du Pacte vert. Actuellement, les entreprises bénéficient de quotas gratuits d’émissions, qui diminuent progressivement. Par conséquent, si leurs émissions restent constantes, le coût de ces émissions augmentera au fil du temps. Ces règles, établies au niveau européen, ont été transposées dans la législation nationale.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Il est donc clair que ces coûts sont purement réglementaires et ne sont pas intrinsèquement liés à la production ou à la productivité de l’entreprise. Je m’interroge sur la manière dont ce surcoût artificiel peut réellement contribuer au maintien de l’emploi.
M. le président Denis Masséglia. Je tiens à rappeler que l’ensemble de ces dispositifs, bien qu’ils soient perfectibles, jouent un rôle essentiel dans la préservation de l’emploi en Europe. Il est dans l’intérêt de l’Europe de poursuivre sa transition écologique. Nos productions seront toujours plus coûteuses que les productions chinoises, en raison de charges sociales, fiscales et environnementales plus élevées. Notre priorité doit donc être de protéger à la fois la planète et notre industrie, même si je conçois que des désaccords puissent exister sur l’ordre de ces priorités.
Par ailleurs, je souhaiterais compléter la demande formulée par le rapporteur au sujet du montant des aides versées aux entreprises. Serait-il possible d’obtenir, en parallèle, le montant total des impôts et cotisations sociales acquittés par ces mêmes entreprises ? Je suis convaincu que les entreprises contribuent davantage en impôts et cotisations sociales qu’elles ne perçoivent d’aides de la part de l’État. Je souhaiterais donc disposer de ces éléments, soit immédiatement si vous en avez connaissance, soit par écrit.
M. Benjamin Delozier. Nous pourrons vous fournir les données sur les prélèvements obligatoires, qui englobent à la fois les impôts et les cotisations sociales, supportés par les entreprises, telles qu’elles figurent dans nos documents de prévision gouvernementale pour l’année en cours. Nous mettrons ces montants en regard du montant des aides publiques.
M. le rapporteur. Il est étonnant qu’une collègue persiste à opposer emploi et climat. Cette manière de penser me semble particulièrement dépassée en 2025, car une planète carbonisée ne permettra plus de préserver le moindre emploi. Il faut faire preuve d’une grande cécité pour ne pas voir l’impact considérable que peut avoir un investissement massif dans la transition écologique sur la création d’emplois et de richesse. Je suis convaincu que nos concitoyens perçoivent avec clarté votre position sur les enjeux climatiques et écologiques.
Mes questions suivantes portent sur les rachats d’entreprises par des fonds d’investissement. Constatez-vous une progression de ces opérations de rachat ? Quelle est votre analyse des critiques adressées au fonds Mutares ? Existe-t-il des évaluations sur les effets de l’action de ces fonds sur l’emploi et l’activité économique ?
M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri). Je vous propose de revenir sur cette question après vous avoir présenté l’action du Ciri et les modalités d’intervention des différents acteurs.
M. le rapporteur. Très bien. Ma dernière question portera donc sur les dividendes, les salaires et les investissements. Nous disposons d’éléments sur l’évolution du montant des dividendes, des rachats d’actions et des investissements ainsi que de la masse salariale depuis 2013 dans les entreprises relevant du SBF 120, particulièrement dans les grandes entreprises. Nous vous avons sollicité par écrit pour obtenir des données sur les entreprises du CAC 40 depuis 2020. Si vous avez des éléments à nous présenter à ce sujet, je vous prie de nous en faire part.
M. Benjamin Delozier. En France, au cours des trente dernières années, la part des dépenses liées au travail dans la valeur ajoutée des sociétés non financières est restée globalement stable, autour des deux tiers. Par ailleurs, entre 1990 et 2023, il y a eu une hausse du montant des dividendes nets versés, tandis que le montant des intérêts nets a diminué. Il est vrai que, sur la période 2017-2023, la part de la rémunération du travail a légèrement reculé. C’est cet aspect qu’il conviendrait d’analyser si nous souhaitions nous interroger sur l’évolution de cette rémunération. Il s’agit donc bien d’une question de répartition de la valeur ajoutée, laquelle demeure relativement stable sur le long terme.
Pour les entreprises du SBF 120, la part des dividendes versés rapportée au chiffre d’affaires est passée, en moyenne, de 3,2 % avant la crise sanitaire à 3,8 % après ladite crise. La part des rachats d’actions effectués rapportée au chiffre d’affaires est passée de 0,9 % à 1,8 %. Nous pourrons vous transmettre des précisions par écrit, notamment en ce qui concerne les entreprises du CAC 40. Dans ces entreprises, la part des dividendes versés rapportée au chiffre d’affaires oscille entre 4 % et 5 %. Les niveaux atteints en 2023 et 2024 sont comparables à ceux qui avaient été enregistrés en 2017 et 2018.
La DGT a par ailleurs conduit une étude approfondie sur les effets de la transition écologique sur le marché du travail, publiée dans le rapport consacré aux enjeux économiques de la transition vers la neutralité carbone. Nous anticipons la création d’emplois verts ainsi qu’une reconversion progressive des emplois bruns affectés par cette transformation. Notre approche, pour définir ces deux notions, comprend deux dimensions : d’une part, l’activité de l’entreprise, classée « verte », « neutre » ou « brune » ; d’autre part, la nature de la profession exercée, classée « verte », « neutre » ou « brune ». Les emplois strictement verts, c’est-à-dire ceux qui associent une activité verte à une profession elle-même verte, représentent actuellement environ 2,3 % de l’emploi salarié. Nous avons élargi cette définition pour inclure les professions vertes ou verdissantes dans des activités neutres, ainsi que les professions neutres dans des activités vertes. En regroupant ces trois catégories, nous estimons qu’environ 12 % des emplois peuvent aujourd’hui être considérés comme verts, ce qui constitue une part déjà significative de notre économie. Cela correspond à la création d’environ 300 000 emplois verts sur une période récente.
En ce qui concerne les emplois bruns, nous nous concentrons sur ceux qui relèvent à la fois d’une activité brune et d’une profession directement liée à cette activité. Ainsi, un ouvrier spécialisé dans l’extraction pétrolière sera plus directement concerné qu’un secrétaire général exerçant dans la même entreprise. Nous estimons que les emplois bruns les plus exposés représentent environ 3 % de l’emploi salarié. Cette analyse permet d’anticiper les évolutions du marché du travail et de préparer les transitions nécessaires pour atteindre l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, tout en préservant et en développant l’emploi au sein de notre économie.
La transition écologique exige un accompagnement public ciblé pour les emplois susceptibles d’être supprimés ou transformés. Il est donc essentiel de bien distinguer les emplois verts des emplois bruns.
Les activités vertes sont majoritairement exercées par des hommes, à hauteur de 81 %. Elles sont exercées dans le cadre de contrats de longue durée. Ces emplois, même si leurs titulaires sont majoritairement peu diplômés, requièrent des compétences spécifiques et sont relativement bien rémunérés. Les personnes âgées de plus de soixante ans sont peu nombreuses à les exercer.
Les emplois bruns, directement affectés par la transition écologique, sont eux aussi principalement occupés par des hommes, à hauteur de 80 %, et sont, dans 84 % des cas, peu ou non qualifiés. Ils sont exercés, pour 79 % d’entre eux, dans le cadre de contrats de longue durée et garantissent des salaires souvent supérieurs à ceux offerts pour d’autres emplois à compétences équivalentes. Il y aurait donc une forme de « prime brune ». Les personnes âgées de moins de trente ans et les seniors sont surreprésentés dans cette catégorie.
L’effet net de la transition écologique sur l’emploi est difficile à évaluer et peut s’avérer moins pertinent que l’analyse des flux d’emplois créés et détruits. Le principal enjeu réside dans l’accompagnement de cette transition afin que soient évités des chocs trop brutaux sur le marché du travail. Les emplois verts sont répartis de manière diffuse sur le territoire, tandis que les emplois bruns sont concentrés dans certains bassins industriels.
Nos travaux sont, à ce stade, moins approfondis en ce qui concerne la transition numérique. Nous constatons toutefois qu’elle touche d’autres types d’emplois, davantage urbains et féminins. Elle peut entraîner des gains de productivité. Son impact varie selon l’âge et l’expérience des personnes, les jeunes et les salariés les moins performants ayant tendance à en bénéficier davantage.
En somme, les transitions écologique et numérique représentent deux chocs distincts pour le marché du travail. Elles affectent des segments d’emploi différents et appellent des stratégies d’accompagnement adaptées à leurs spécificités.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à quatorze heures quarante-cinq.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, M. François Piquemal, Mme Sophie-Laurence Roy
Excusé. – M. Éric Michoux