Compte rendu
Commission d’enquête sur
les défaillances des
pouvoirs publics face à la multiplication des plans
de licenciements
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France, Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne, M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France, accompagné de M. Jean-Philippe Devoucoux, responsable du département « accompagnement des entreprises » de l’unité départementale de Paris, Mme Valérie Guern, responsable du pôle « entreprises, emploi et solidarités » de l’unité départementale des Hauts‑de-Seine, et M. Alexandre Marx, adjoint à la cheffe du service « restructurations » 2
– Présences en réunion................................12
Mercredi
30 avril 2025
Séance de 17 heures 30
Compte rendu n° 23
session ordinaire de 2024-2025
Présidence de
M. Denis Masséglia, président
— 1 —
La séance est ouverte à dix-sept heures cinquante.
Présidence de M. Denis Masséglia, président.
La commission d’enquête auditionne M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France, Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne, et M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France, accompagné de M. Jean‑Philippe Devoucoux, responsable du département « accompagnement des entreprises » de l’unité départementale de Paris, Mme Valérie Guern, responsable du pôle « entreprises, emploi et solidarités » de l’unité départementale des Hauts-de-Seine, et M. Alexandre Marx, adjoint à la cheffe du service « restructurations ».
M. le président Denis Masséglia. Nous poursuivons notre programme de travail de la journée avec une table ronde consacrée au rôle des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) dans l’accompagnement des entreprises qui mettent en œuvre des projets de licenciements collectifs.
Je rappelle que les Dreets sont les interlocutrices des entreprises qui établissent des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) et les entités administratives chargées de valider les accords ou d’homologuer les documents élaborés par les employeurs qui servent de supports aux mesures négociées ou décidées dans ce contexte.
Je souhaite la bienvenue à :
– M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France ;
– Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne ;
– M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France, accompagné de M. Jean‑Philippe Devoucoux, responsable du département « accompagnement des entreprises » de l’unité départementale de Paris, Mme Valérie Guern, responsable du pôle « entreprises, emploi et solidarités » de l’unité départementale des Hauts-de-Seine, et M. Alexandre Marx, adjoint à la cheffe du service « restructurations ».
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, Mesdames, Messieurs, à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Bruno Drolez, Mme Véronique Descacq, M. Marc Rohfritsch, M. Jean‑Philippe Devoucoux, Mme Valérie Guern et M. Alexandre Marx prêtent serment.)
M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France. La région Hauts-de-France est la troisième région en termes de PSE initiés en 2024, en partie parce qu’elle abrite de nombreux sièges d’entreprises, notamment de la « galaxie Mulliez ». Nous avons connu en 2024 une augmentation assez importante du nombre de PSE, mais également des défaillances de petites entreprises.
Elle se caractérise par quatre principaux secteurs économiques, comme l’agro‑alimentaire, où de nombreux projets d’installation doivent être accompagnés, notamment dans la transformation de la pomme de terre, trois entreprises s’étant récemment installées dans la région. Des restructurations interviennent dans ce secteur, à l’instar de celle de la société Buitoni, en 2022, à la suite d’un scandale sanitaire. D’autres secteurs historiques sont en difficulté, comme celui du commerce de détail, qui a connu neuf PSE en 2024, celui d’Auchan venant de s’achever. Certains secteurs sont fragilisés par les transitions écologiques et énergétiques, la sidérurgie – Mittal – mais également l’automobile, et notamment tous les sous‑traitants confrontés aujourd’hui à la disparition programmée du moteur thermique et à la mise en place de la voiture électrique. La « vallée de la batterie » est un pôle industriel en cours de constitution, spécialisé dans la fabrication et le recyclage des batteries électriques.
5 % des effectifs des Dreets et des directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (Ddets) s’occupent de l’accompagnement des entreprises défaillantes ou en difficulté. Ils sont essentiellement concentrés dans les services « mutations économiques », mais nous aurons sûrement l’occasion de parler également des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), des délégués à l’accompagnement des entreprises et des parcours professionnels (Darp) et des services économiques de l’État en région (SEER). Si ces effectifs sont assez peu nombreux, ils font preuve d’une expertise remarquable.
Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne. La région Bretagne présente des problématiques extrêmement différentes de celles des Hauts-de-France. Il s’agit d’une région plus petite, plus cohérente et qui n’a pas été fusionnée avec une autre. Les coopérations et les relations y sont plus faciles entre le niveau régional et le niveau départemental que dans d’autres territoires.
La région est marquée par un grand nombre de petites et moyennes entreprises (PME) et même de très petites entreprises (TPE). Ainsi, sur les 218 000 entreprises bretonnes, 207 000 ont moins de dix salariés, soit un peu plus de 95 %. En y ajoutant les entreprises de moins de 50 salariés, ce chiffre s’élève même à 216 000 entreprises.
En termes de secteurs, la Bretagne est la première région agricole française, où sont également implantées de nombreuses industries agroalimentaires ; il convient également de mentionner le tourisme et les services à la personne. Le nécessaire ajustement au niveau et à la saisonnalité de l’activité explique un recours plus important aux emplois précaires – intérim, contrats à durée déterminée (CDD) – qu’aux PSE. Pour le dire autrement, la demande d’emploi ou le chômage sont plutôt liés à la fin des CDD et à l’évolution de l’intérim qu’aux difficultés économiques des entreprises.
Les CDD représentent presque 9 % de l’emploi total en Bretagne, contre 7,7 % au niveau national – 6,9 % pour les hommes, 11 % pour les femmes – et l’intérim y constitue 3,2 % de l’emploi, contre 2,6 % au niveau national. En 2024, la baisse de l’intérim a ainsi concerné plus de 2 200 équivalents temps plein (ETP), à comparer avec les 2 470 suppressions d’emplois issues des PSE. Entre 2013 et 2024, il y a eu, en Bretagne, 214 PSE et 13 négociations de rupture conventionnelle collective (RCC), concernant à peu près 1 300 personnes par an.
L’action de la Dreets dans l’accompagnement des entreprises en nécessité de se transformer, de se restructurer ou des entreprises en difficulté s’effectue au premier chef par le SEER. Mais, en amont, dans nos directions, le service « études-statistiques-évaluation » (Sese) nous fournit son expertise pour comprendre ce qu’il se passe sur le territoire et connaître en détail la situation conjoncturelle de l’économie et de l’emploi. Le Sese fait également le lien avec les autres directions de l’État en région sur ces sujets, comme la Banque de France, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ou la direction régionale des finances publiques (DRFiP).
Nous partageons cette connaissance de la situation macroéconomique du territoire avec les acteurs économiques et sociaux, notamment les organisations syndicales et professionnelles, mais aussi avec les représentants des chambres consulaires, les présidents des tribunaux de commerce, les représentants des banques locales. En Bretagne, la conférence sociale se réunit plusieurs fois par an. Les observatoires du dialogue social, structures destinées aux TPE et qui existent depuis 2017, se réunissent aussi régulièrement dans les départements, mais également de manière plus épisodique au niveau régional.
Sur le plan microéconomique, nous avons constitué un réseau rassemblant les SEER, les CRP et les Darp. Ce réseau nous permet de disposer d’un maillage du territoire et de rendre visite aux entreprises, afin de pouvoir anticiper le plus tôt possible leurs difficultés et besoins de transformation. Les services « mutations économiques », qui sont très compétents, accompagnent la discussion des PSE, pendant tout le processus. Ils mènent également avec les branches professionnelles un important travail d’anticipation des difficultés, notamment des transformations au travers des contrats d’objectifs de branches.
De nombreux dispositifs peuvent être mobilisés à ce stade, comme le fonds national de l’emploi (FNE)-formation, les engagements de développement de l’emploi et des compétences (Edec) ou les prestations de conseil en ressources humaines (PCRH). Ce dernier dispositif est particulièrement important et mobilisé à travers les contrats avec les branches en Bretagne, puisqu’il a vocation à accompagner les TPE.
Je tiens également à souligner le rôle des inspections du travail, notamment en Bretagne, territoire marqué par la présence de nombreuses TPE et les phénomènes de précarité associés. Elles conduisent ainsi des campagnes de lutte contre la précarité et vérifient l’utilisation par les entreprises des contrats courts et de l’intérim, en associant phase d’explication puis phase de contrôle, si nécessaire. De telles actions peuvent permettre de répondre aux besoins des entreprises. En 2024, les inspections du travail ont été saisies 10 031 fois sur des ruptures de CDI et 1 024 fois sur des licenciements économiques.
Par ailleurs, nous avons organisé avec le service de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (CCRF), la Banque de France et la DRFiP une conférence de presse sur les délais de paiement, à laquelle nous avons invité tous les acteurs économiques. Nous avons pu ainsi exposer les sanctions associées, mais également les aides que nous pouvons fournir, afin d’éviter aux entreprises de mettre en difficulté leurs fournisseurs.
En conclusion, les PSE ont connu un pic en 2024, à la fois par le nombre d’entreprises concernées et par celui des personnes touchées – 2 500, contre 1 000 en année « normale ». L’administration est présente tout au long du processus. Dès que nous avons connaissance d’un PSE, nos équipes prennent contact avec l’entreprise et les partenaires sociaux. Elles les conseillent, veillent au cadrage juridique et accompagnent le dialogue social. Ainsi, plus de la moitié des PSE en Bretagne sont issus d’un accord. Nous accompagnons notamment les partenaires sociaux, y compris en intervenant pour leur permettre d’obtenir les documents dont ils ont besoin, par exemple la base de données économiques, sociales et environnementales, ou de recourir à un expert, au besoin en prononçant des injonctions.
M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France. L’Île-de-France est la première région de France en matière de production de richesses, puisqu’elle réalise 30 % du produit intérieur brut (PIB) français et emploie 25 % des salariés de notre pays. Il s’agit également de la région dans laquelle les procédures sont les plus nombreuses : 261 PSE et 54 RCC en 2024. Cela s’explique à la fois par la densité du tissu économique et par l’implantation de nombreux sièges en région parisienne.
Les départements de Paris et des Hauts-de-Seine, qui sont particulièrement touchés par l’« effet siège », instruisent chacun autant de dossiers chaque année que les principales autres régions de métropole. La part des PSE instruits en 2024 en Île-de-France a cependant légèrement diminué par rapport aux années précédentes : ils représentaient 30 % à 40 % de l’ensemble des PSE, contre 50 % entre 2020 et 2023. Ce phénomène peut s’expliquer par la hausse marquée des procédures dans l’industrie manufacturière, qui est relativement moins présente en Île-de-France.
Par ailleurs, un PSE n’a généralement pas le même impact à Paris et en petite couronne que dans d’autres territoires en grande couronne ou dans les autres régions. Les suppressions d’emplois sont souvent moins compliquées à traiter a posteriori et le reclassement est plus simple à Paris et en petite couronne. Ensuite, en Île-de-France, 30 % des PSE interviennent dans le cadre d’une procédure collective, soit un niveau plus faible qu’à l’échelle nationale.
Les spécificités du territoire induisent également des spécificités dans l’organisation de la direction régionale et interdépartementale. Nous ne sommes pas une Dreets mais une Drieets, c’est-à-dire une direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, car les départements de petite couronne sont « embarqués » dans la direction, contrairement à ce qui se produit dans les autres régions de France. Il n’en demeure pas moins qu’en termes d’organisation interne, nous choisissons de confier l’instruction en priorité aux unités départementales et aux Ddets. L’unité régionale de la Drieets traite un petit nombre de PSE, comme celui du comité d’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques (Cojo) de Paris 2024, ceux de Valeo et de Nexity, ou d’autres PSE qualifiés de sensibles. L’unité régionale gère également les contentieux. Les effectifs s’élèvent à 25 équivalents temps plein travaillé (ETPT) en Île-de-France.
En amont, nous accompagnons également un grand nombre d’entreprises qui ne sont pas en difficulté avec les différents dispositifs que mes collègues ont déjà pu évoquer. Je tiens également à souligner notre participation au soutien du plan France 2030. Nous apportons des aides aux entreprises pour les encourager à se positionner sur des marchés porteurs, sur des technologies d’avenir.
L’action des CRP et de nos équipes pluridisciplinaires est particulièrement importante pour prévenir les difficultés liées à des problèmes d’endettement, ou de sous-activité, des délais de paiement trop longs, des prix de l’énergie et des matières premières trop élevés et difficiles à répercuter sur les prix de vente. Nous disposons ainsi d’outils variés et complémentaires pour répondre à ces difficultés, notamment la médiation du crédit, l’étalement de dette, les restructurations, l’activité partielle, la recherche de repreneurs. En 2024, en Île-de-France, nous avons accompagné 400 entreprises grâce aux équipes du CRP et de la protection du tissu économique, pour éviter qu’elles soient contraintes de licencier ou tout simplement de fermer.
En aval, lorsque des difficultés apparaissent et qu’il faut licencier et réduire la masse salariale, nous remplissons un rôle de contrôle et de sécurisation juridique de la procédure du PSE. Nous jouons également un rôle important de médiation et de tiers de confiance, afin que le dialogue social se déroule de la meilleure manière possible dans les entreprises qui doivent mettre en œuvre des plans de ce type. C’est au directeur de la Drieets qu’il appartient de valider – ou d’homologuer – ou non un PSE.
Enfin, 12 % des PSE en Île-de-France ont été accompagnés de conventions de revitalisation sur la période 2020-2023, soit un engagement moyen de l’ordre de 10 à 20 millions d’euros pour participer à la redynamisation des territoires et des bassins d’emplois affectés par les suppressions d’emplois.
M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Vous nous apportez des éclairages sur les spécificités des territoires sur lesquels vous opérez. En premier lieu, pouvez-vous m’indiquer combien de PSE ont été refusés dans vos régions respectives en 2024 et pour quels motifs ?
M. Marc Rohfritsch. En Île-de-France, nous avons refusé 2 PSE en 2024, sachant que ce nombre était de 22 en 2013, avant de diminuer progressivement : 10 en 2016 et en 2017. Depuis cinq ans, nous enregistrons moins de cinq refus chaque année. Au total, le taux de refus est de l’ordre de moins de 5 %.
Mme Véronique Descacq. En Bretagne, sur les 240 PSE intervenus entre 2013 et 2024, seuls 7 ont été refusés, dont un seul définitivement puisque les 6 autres ont été modifiés, redéposés et finalement acceptés.
M. le rapporteur. Quels ont été les motifs de refus ?
M. Bruno Drolez. Dans les Hauts-de-France, on compte16 refus entre 2019 et 2024, soit 0 % à 4 % des PSE traités chaque année. Les principaux motifs de refus sont d’abord liés à l’insuffisance des moyens consacrés par l’entreprise au PSE (50 %), puis au caractère non conforme de la procédure (25 %).
Mme Véronique Descacq. En Bretagne, les motifs concernent essentiellement l’insuffisance des moyens et l’ordre des licenciements.
M. Marc Rohfritsch. En Île-de-France, ils concernent la plupart du temps des irrégularités de procédure et l’ordre des licenciements ou les catégories socio-professionnelles affectées par les licenciements ; puis vient l’insuffisance des moyens, pour une part résiduelle.
M. Bruno Drolez. Les refus ont véritablement décru au cours des dernières années, en raison d’une meilleure appropriation de la loi par les acteurs sociaux, mais aussi de la jurisprudence qui s’est développée autour de ces questions.
M. le rapporteur. J’imagine que ces motifs représentent vos principaux points de vigilance dans le processus de validation ou d’homologation des PSE. Il apparaît que seulement 40 % des bilans sur les PSE transmis par les entreprises sont correctement renseignés. Comment expliquez-vous ce phénomène et quelles seraient les pistes éventuelles pour y remédier ?
Mme Véronique Descacq. Les départements m’indiquent qu’ils disposent bien des informations, mais que le portail Rupco n’est pas toujours rempli consciencieusement par les entreprises.
M. Marc Rohfritsch. Il n’existe pas de sanctions associées à la non-complétude des bilans sur le portail Rupco. Cet aspect pourrait éventuellement faire l’objet d’évolutions à l’avenir. De notre côté, nous relançons les entreprises lorsque nous ne recevons pas les bilans, mais nous n’avons pas de moyens de contrainte. Je confirme la statistique évoquée par M. le rapporteur, en particulier en Île‑de‑France. Compte tenu du grand nombre de PSE dans cette région, les participations aux commissions de suivi sont donc sans doute un peu moins systématiques que dans d’autres régions.
M. Bruno Drolez. Au même titre que la Bretagne, nous disposons des bilans, puisque nous assistons aux commissions de suivi des PSE. Il s’agit simplement d’un problème de saisie de la part des entreprises dans le système. Le fait de ne pas déposer ne se traduit pas par des pénalités.
Mme Valérie Guern, responsable du pôle « entreprises, emploi et solidarités » de l’unité départementale des Hauts-de-Seine. Depuis 2013, 20 % à 30 % environ des PSE sont conduits dans le cadre de procédures collectives. Les administrateurs et les mandataires judiciaires viennent se substituer à l’employeur et à l’entreprise. Ce sont eux qui conduisent la procédure d’information-consultation du comité social et économique (CSE), mais ils sont aussi tenus par les obligations de transmettre les bilans. Or il apparaît qu’ils les transmettent très rarement.
Par ailleurs, il est vrai qu’en Île-de-France, il est parfois compliqué de suivre l’ensemble des commissions de suivi des plans de sauvegarde de l’emploi. En revanche, quand nos services sont saisis de difficultés par le représentant d’une organisation syndicale lors d’une commission de suivi, ils s’y rendent pour essayer de les résoudre.
M. le rapporteur. Pouvez-vous expliciter votre rôle dans le suivi des conventions de revitalisation ?
Mme Valérie Guern. Le processus commence par le recueil des observations de la Ddets ou de l’unité départementale, au nom du préfet de département. Nous recueillons ainsi les observations de l’entreprise avant de soumettre une décision d’assujettissement au préfet de département, que nous adressons ensuite à l’entreprise. Nous rencontrons l’entreprise à la fin de l’exécution du plan de sauvegarde de l’emploi, qui peut prendre quelques mois, voire quelques années lorsqu’il s’agit de PSE importants. Nous évaluons le nombre de suppressions d’emplois réelles, c’est-à-dire le nombre de licenciements qui sont effectivement intervenus.
Dans sa décision, le préfet indique en général le taux d’assujettissement auquel il va procéder. La négociation d’une convention de revitalisation s’engage ensuite, sauf si l’entreprise a déjà signé un accord avec ses organisations syndicales, ce qui est assez rare. Dans cette convention, nous nous accordons avec l’entreprise sur le montant de la contribution due par elle, qui est calculé en fonction du nombre de suppressions d’emplois constatées, auquel s’ajoute un coefficient multiplicateur, établi à partir du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) brut mensuel.
Nous négocions aussi avec l’entreprise pour décider des actions qui seront conduites pour favoriser la création d’emplois ou d’activités sur le territoire et qui viendront compenser les suppressions engendrées par le PSE. En général, la convention se déroule sur une période de trois ans, en Île-de-France, dans la mesure où les volumes de suppression d’emplois sont généralement assez importants. Ces conventions sont ensuite suivies dans le cadre de comités d’engagement, qui réunissent nos services et l’entreprise concernée, mais parfois aussi d’autres partenaires. Il s’agit de suivre la mise en œuvre de ces actions et d’en évaluer les effets en termes de création d’emplois. Si certaines connaissent des difficultés, les comités de pilotage peuvent être conduits à réaffecter les fonds vers d’autres actions, par la conclusion d’avenants.
M. Bruno Drolez. Il est très rare de ne pas assujettir une entreprise qui remplit les conditions pour l’être. Dans les Hauts-de-France, en 2024, sur les 97 PSE établis, 52 concernaient des entreprises in bonis et 33 % des entreprises ont été assujetties à l’obligation de conclure une convention de revitalisation. Ce qui est important, c’est l’impact de la convention sur le bassin d’emplois. Par exemple, dans le département du Nord, nous ne raisonnons pas de la même manière selon qu’il s’agit de la Métropole européenne de Lille, du Cambrésis ou de l’Avesnois. Le dispositif s’adapte à la réalité du bassin d’emploi qui est affecté par la fermeture, la restructuration de l’entreprise, la suppression des postes.
Mme Véronique Descacq. Il est désormais possible de demander à nos services statistiques et à l’Insee d’examiner les impacts induits par un PSE sur l’emploi dans l’ensemble du territoire. Cela nous permet de mieux cibler les actions à rechercher dans les conventions de revitalisation. Enfin, dans l’un des départements bretons, il existe un fonds mutualisé de revitalisation, qui permet précisément d’améliorer ce ciblage.
M. Bruno Drolez. Dans notre région, nous distinguons deux types de comité : d’une part, le comité de pilotage de la convention, présidé par le préfet et qui associe les services de l’État et les collectivités territoriales concernées par la restructuration ; d’autre part, le comité d’engagement, qui propose, action par action, de financer telle ou telle entreprise.
M. Marc Rohfritsch. Il existe également deux types de convention de revitalisation : les conventions locales – 12 % des PSE en Île‑de‑France – et les conventions-cadres nationales. Selon l’impact des plans de licenciements sur les territoires, le dispositif est traité au niveau local ou au niveau national.
Mme Véronique Descacq. Je le confirme. À titre d’exemple, en Bretagne, 5 conventions de revitalisation sont déployées et 17 vont l’être, mais le territoire breton peut bénéficier de conventions qui ont été négociées au niveau national.
M. le rapporteur. Comment expliquez-vous la hausse des défaillances d’entreprises en 2024 ? Quelles sont les prévisions pour 2025 ?
Mme Véronique Descacq. Il est difficile d’évaluer à ce stade les conséquences de la situation internationale, et notamment des modifications relatives aux droits de douane, sur les entreprises bretonnes. En revanche, les mois récents et leur lot d’incertitudes tant sur le plan national qu’international ont pesé sur la capacité des chefs d’entreprise à se lancer dans des investissements et à recruter. En Bretagne, les défaillances d’entreprises augmentent.
Même si les chefs d’entreprise ont conscience que la baisse du coût de l’énergie les aide un peu, leur moral n’est pas au beau fixe. Ils s’inquiètent des mesures qui pourraient être prises au niveau national, par exemple sur la taxe mobilité. L’activité de l’industrie agroalimentaire n’a pas forcément diminué, mais les marges ont baissé. Les entreprises estiment évoluer dans un environnement trop mouvant pour pouvoir prendre des décisions sécures.
M. Marc Rohfritsch. La hausse du nombre de défaillances d’entreprises est bien documentée : nous avons atteint en 2024 un record depuis dix ou quinze ans. Les études de conjoncture économique, notamment de la Banque de France, évoquent ainsi un effet de rattrapage, après les mesures prises durant la crise sanitaire et alors que les prêts garantis par l’État (PGE) arrivent à échéance. En Île-de-France, les secteurs de la santé, du commerce et de l’automobile sont aujourd’hui particulièrement touchés par les défaillances d’entreprises.
En 2025, nous constatons une contraction de l’investissement et une réduction du nombre de création d’entreprises. La détérioration générale du climat des affaires aura sans doute une incidence sur le nombre des défaillances d’entreprises.
M. Bruno Drolez. Au-delà des facteurs communs comme le coût de l’énergie et le remboursement des PGE, l’analyse s’effectue secteur par secteur. Dans les Hauts-de-France, la papeterie connaît des phénomènes de digitalisation, tandis que la métallurgie souffre d’une forte baisse de la demande en lien avec le secteur automobile et le bâtiment, mais aussi en raison de l’existence de stocks élevés en Chine. Pour 2025, notre visibilité sur les grands phénomènes macroéconomiques est faible.
M. le rapporteur. Ne pourrions-nous pas vous confier le contrôle du motif économique des licenciements ? Quelle serait votre position à ce sujet ? En tant que législateurs, nous sommes aussi sensibles aux moyens mis à votre disposition pour accomplir vos missions particulièrement importantes, dans un moment de difficulté économique comme celui que nous connaissons.
Mme Véronique Descacq. Je souhaite vous faire part des rôles respectifs des partenaires sociaux et de l’administration dans la négociation des PSE. Nous avons voulu renforcer l’autonomie des partenaires sociaux et leur capacité d’intervention dans les discussions sur l’avenir des entreprises. Il nous semblait en effet qu’ils étaient légitimes pour conduire ces discussions, notamment à la suite de la réforme de la représentativité des organisations syndicales intervenue en 2008. Ensuite, les PSE font aujourd’hui l’objet d’un accord majoritaire. Avant 2008, un employeur pouvait instrumentaliser une organisation syndicale très minoritaire aux fins qu’elle signe un accord. Cela n’est plus possible.
En 2013, nous avons souhaité donner les moyens aux représentants du personnel de comprendre ce qui se passe dans l’entreprise, de peser dans la négociation et de décider en tout état de cause s’il existe ou non un motif légitime pour la mise en œuvre d’un PSE. Nous avons complété les outils à leur disposition avec la fameuse base de données économiques, sociales et environnementales, plus étoffée. Ils doivent pouvoir disposer d’informations sur l’investissement social, les investissements matériels et immatériels de l’entreprise, ses fonds propres, son endettement, l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés et des dirigeants, la rémunération des financeurs. Ils doivent également pouvoir connaître les flux financiers entrants et sortants de l’entreprise.
L’administration peut aussi intervenir à tout moment lors des discussions entre les partenaires sociaux, afin que ces outils soient mis à leur disposition et que le recours à l’expertise soit possible. Elle peut produire des lettres d’observation, formuler des injonctions et un délit d’entrave peut même être opposé à un employeur qui refuserait de transmettre des informations ou d’ouvrir un droit au recours à l’expertise.
En résumé, les partenaires sociaux peuvent légitimement connaître la situation de l’entreprise grâce aux outils mis à leur disposition. L’administration n’est pas pour autant absente ; elle intervient en appui. À ce stade, je trouve que l’articulation actuelle est plutôt pertinente.
M. Bruno Drolez. Mes premiers directeurs me disaient qu’à l’époque des autorisations administratives de licenciement, qui ont été supprimées en 1986, toutes étaient accordées. Pour ma part, j’ai géré des PSE sous l’empire des constats de carence préalables. Aujourd’hui, la place de l’administration et des partenaires sociaux dans la gestion du PSE est absolument incomparable. Je suis entièrement d’accord avec tous les arguments développés par Véronique Descacq. Par ailleurs, si nous devions apprécier le motif économique des licenciements, nos échanges avec les représentants du personnel seraient inévitablement concentrés sur cette question. Si nous devions couvrir les deux champs, nous éprouverions plus de difficultés à jouer notre rôle ; j’en suis intimement convaincu.
M. Marc Rohfritsch. Je souscris aux propos qui ont été tenus. Je vois plus d’inconvénients que d’avantages à imaginer un contrôle par l’administration du motif économique des licenciements. Aujourd’hui, le système n’est pas si inefficace ; l’administration n’est pas sans moyens. Il nous est arrivé, par des lettres d’observation et par voie d’injonction, à la demande des organisations syndicales, de demander un éclairage supplémentaire sur le motif économique ou des explications complémentaires qui n’apparaissaient pas dans la première version des documents soumis à l’information-consultation du CSE. De plus, les représentants des salariés sont eux‑mêmes accompagnés par des experts souvent bien plus compétents que ceux de l’administration pour analyser ce genre de sujet.
En revanche, nous ne disposons pas aujourd’hui des moyens nécessaires ; il faudrait renforcer nos effectifs, mais également disposer de profils différents, sans doute moins juridiques et plus économiques.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). La question des effectifs est essentielle. Vous êtes un service public et nous savons que les services publics ont été soumis à un régime d’austérité fort difficile.
Je souhaite vous interroger sur un cas d’école. Je sais que vos services ont accompagné, dans l’Isère, les salariés de Vencorex, usine située sur une plateforme chimique à enjeu national. Les salariés ont cherché à présenter un projet de reprise de l’usine moyennant la constitution d’une société coopérative d’intérêt collectif (Scic).
Comment appréciez-vous votre capacité à accompagner de tels projets ? Comment cela se passe-t-il en pratique ? Vous sentez-vous à l’aise sur ces sujets ? Souffrez-vous d’un certain manque d’éléments pour être au plus près des salariés ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous heurtez ? Dans le cas de Vencorex, le projet de Scic semblait très bien construit, y compris grâce à l’accompagnement des services de l’État, mais le tribunal de commerce ne l’a pas retenu et a privilégié une autre offre. L’exemple de Vencorex constitue‑t‑il un cas d’école ?
Mme Véronique Descacq. Je ne connais pas le cas que vous mentionnez. Si je comprends bien, vous nous demandez quelle serait notre capacité à accompagner les représentants du personnel dans la préparation d’un projet alternatif à un PSE. Je ne vois pas trop quel pourrait être notre rôle. Ce rôle est plutôt dévolu à l’expert du CSE, qui accompagne les élus dans la construction d’un éventuel projet concurrent. Parfois, les personnels sont aussi aidés par les organisations syndicales, les branches, les confédérations.
Quant au CRP, il suit la procédure, met éventuellement en relation les acteurs ou cherche des financeurs. En revanche, il ne participe pas à la co-construction d’un projet concurrent. Je n’ai pas d’exemple en tête en Bretagne.
M. Bruno Drolez. Je partage les propos de Véronique Descacq : il en va de même dans les Hauts-de-France. In fine, la décision est prise par le président du tribunal de commerce. En revanche, plus en amont, lorsque l’entreprise commence à connaître des difficultés, nous l’accompagnons pour chercher des solutions permettant de maintenir l’activité. Tel est le rôle des CRP et des Darp, avant que la procédure judiciaire intervienne. Lorsqu’elle est lancée, il est trop tard.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je suis assez surprise, mais je dois souffrir d’un manque d’information. Quoi qu’il en soit, je sais que les salariés de Vencorex avaient beaucoup apprécié l’intervention de vos services. Peut-être devons-nous revenir vers eux, afin qu’ils nous en disent davantage.
Mme Véronique Descacq. Nous pourrons demander à nos collègues de la région Auvergne-Rhône-Alpes de produire un document complémentaire sur ce sujet.
M. le président Denis Masséglia. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons transmis. Je vous remercie.
La séance s’achève à dix-huit heures cinquante-cinq.
Présents. – M. Benjamin Lucas-Lundy, M. Denis Masséglia, Mme Estelle Mercier
Excusé. – M. Éric Michoux
Assistait également à la réunion. – Mme Élisa Martin