Compte rendu

Mission d'information
de la Conférence des présidents
sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France

 

– Audition de M. François Clanché, directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED), et de Mme Magali Mazuy et M. Milan Bouchet-Valat, chargés de recherche à l’INED              2

– Présences en réunion.................................15


Mercredi
2 juillet 2025

Séance de 15 heures

Compte rendu n° 2

session ordinaire de 2024-2025

 

Présidence de
Mme Constance de Pélichy, présidente de la mission d’information
 


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La séance est ouverte à quinze heures.

 

Mme la présidente Constance de Pélichy. Je suis heureuse de vous accueillir pour cette première audition de la mission d’information sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France, qui s’est constituée la semaine dernière.

Notre pays fait face à la chute de natalité la plus brutale et la plus importante qu’il ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale, alors même que les politiques publiques avaient jusque-là permis de tenir à distance ce phénomène que connaissent d’autres pays d’Europe. Je remercie notre rapporteur, Jérémie Patrier-Leitus, d’avoir fait inscrire le sujet à l’ordre du jour de nos travaux pour que nous puissions enquêter sur les raisons de cette baisse de la natalité et les objectiver en isolant ce qui relève d’un phénomène conjoncturel de ce qui constituerait un phénomène plus structurel.

Parce qu’un pays sans enfants est un pays sans avenir, mais aussi parce que l’ensemble de notre fonctionnement social est pensé pour un pays au solde naturel positif, nous devons comprendre les conséquences de la baisse de la natalité et travailler ensemble à des politiques publiques qui répondent aux besoins des futurs parents. Soyons clairs : il ne s’agit pas de réduire la natalité à une question féminine, ni de renvoyer la femme à ses fonctions reproductrices. Je souhaite que nous puissions déterminer pourquoi trop de couples renoncent à un désir d’enfant ou à un enfant de plus et comment les politiques publiques peuvent redevenir un appui à la parentalité, donc à la natalité.

En conclusion de cette mission, nous proposerons un ensemble de mesures afin que chacun puisse choisir véritablement de devenir ou de redevenir parent sans se sentir contraint ou entravé.

Pour démarrer notre cycle d’auditions, nous avons souhaité poser les chiffres de la natalité et de l’évolution démographique en recevant des représentants de l’Institut national d’études démographiques (INED) : M. François Clanché, son directeur, ainsi que deux chercheurs exerçant au sein de cet organisme, Mme Magali Mazuy et M. Milan Bouchet-Valat.

L’INED célèbre en 2025 les quatre-vingts ans de sa création. À l’orée des Trente Glorieuses, l’ordonnance du 24 octobre 1945 assignait notamment à l’établissement la mission d’« étudie[r] tous les moyens matériels et moraux susceptibles de contribuer à l’accroissement quantitatif et à l’amélioration qualitative de la population ».

Le décret du 12 mars 1986, qui se substitue à l’ordonnance initiale, prévoit quant à lui que l’Institut :

« […] entreprend, développe et encourage, à son initiative ou à la demande des pouvoirs publics, tous travaux de recherche ayant pour objet l’étude des populations sous tous leurs aspects ;

«  […] évalue, effectue ou fait effectuer toutes recherches utiles à la science démographique et à sa contribution au progrès économique, social et culturel du pays ;

«  […] recueille, centralise et valorise l’ensemble des travaux de recherches tant français qu’étrangers relevant de son champ d’activité. »

Étant donné la place et le rôle de l’INED, notre mission d’information sollicitera ses chercheurs et ses équipes tout au long de ses travaux pour mieux comprendre le phénomène de baisse de la natalité que nous constatons actuellement en France et mieux en cerner tous les enjeux.

Nous souhaitons consacrer cette première audition aux problématiques générales de la démographie et de la natalité en France : tendances de long, moyen et court termes, projections, comparaisons internationales, état des connaissances, questions méthodologiques.

Une autre audition sera consacrée, la semaine prochaine, à la question plus spécifique des freins à la natalité et à la portée des politiques publiques en la matière.

M. François Clanché, directeur de l’Institut national d’études démographiques. Je vous remercie de nous avoir conviés à ce premier volet d’auditions. Pour ma part, je suis statisticien de formation et de carrière et j’ai longtemps travaillé à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dans le domaine de la démographie avant de devenir directeur de l’INED.

Vous l’avez dit, l’INED a maintenant quatre-vingts ans. Depuis 1986, c’est un institut national de recherche dont le premier objectif est de produire de la science sur les populations au sens large, mais nous avons gardé de l’ordonnance de 1945 une mission spécifique d’information des autorités, notamment de la représentation nationale, sur ces questions. Il était évident que nous répondrions positivement à votre sollicitation.

Mme Magali Mazuy, chargée de recherche à l’INED. Chercheuse à l’INED, je suis responsable de l’unité dédiée à la fécondité, à la famille et à la conjugalité. À ce titre, je participe chaque année à la rédaction de l’article sur la conjoncture démographique de la France. Je suis également responsable des statistiques nationales d’avortement et je participe à des projets d’enquêtes nationales sur la santé sexuelle et reproductive et sur les violences de genre, en plus d’encadrer des travaux et de donner des cours sur les enjeux et perspectives démographiques nationaux et internationaux.

Après l’exposé de mon collègue Milan Bouchet-Valat sur la fécondité, je donnerai une présentation plus générale des mouvements démographiques en cours, comprenant l’évolution de l’espérance de vie et celle des mouvements migratoires.

M. Milan Bouchet-Valat, chargé de recherche à l’INED. Je suis chercheur dans l’unité de Magali Mazuy et co-coordinateur, avec Laurent Toulemon, qui sera auditionné la semaine prochaine, de l’enquête ERFI 2 (Étude des relations familiales et intergénérationnelles), réalisée en 2024 auprès de 10 000 personnes dans le cadre du projet international Générations et genre, qui étudie les questions de fécondité.

Après avoir augmenté dans les années 1990 en France, la natalité et la fécondité ont entamé une baisse rapide à partir de 2014. Alors que nous dépassions les 800 000 naissances par an entre 2005 et 2015, ce chiffre est passé en dessous de 700 000. L’étude du cycle annuel des naissances, qui indique le nombre de naissances par mois, montre la même évolution à long terme : en avril 2025, il a atteint son point le plus bas depuis 2000, avec moins de 50 000 naissances au cours du mois.

L’indice conjoncturel de fécondité (ICF), indicateur dont l’interprétation est moins intuitive, est une construction théorique qui, en calculant le nombre d’enfants qu’une femme aurait si elle vivait toute sa vie dans l’année considérée, donne des résultats proches. L’ICF a augmenté jusqu’à atteindre deux enfants par femme au début des années 2000, ce qui correspond au seuil de renouvellement des générations, avant de connaître une baisse marquée et de redescendre à 1,7 enfant par femme en 2023.

Le nombre de départements dont l’ICF dépasse les deux enfants par femme est faible. Les variations entre les territoires sont importantes et tiennent à des facteurs multiples, notamment aux migrations internes. De nombreuses familles, par exemple, quittent Paris pour s’installer dans un logement plus grand en proche banlieue. Ces variations ne reflètent donc pas nécessairement des différences durables de natalité.

Un autre indicateur démographique intéressant est la descendance finale de chaque génération, c’est-à-dire le nombre d’enfants qu’une femme a eus, en moyenne, à la fin de sa vie. On constate que contrairement à l’ICF, qui a connu une baisse visible, la descendance finale, elle, est quasiment stable depuis plusieurs décennies : légèrement supérieure à deux enfants par femme pour la génération 1949, elle se situe désormais exactement à deux. La question de son évolution récente sera abordée lors de la prochaine audition.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Pourriez-vous repréciser les définitions afin que tous nos collègues saisissent la différence entre les deux indicateurs ?

M. Milan Bouchet-Valat. La descendance finale représente le nombre d’enfants qu’une femme a eus au cours de sa vie ; c’est une moyenne calculée en fonction de l’année de naissance de la femme – ou de l’homme, même si les données sont moins faciles à collecter. Elle est proche de la réalité vécue par les individus. L’indice conjoncturel de fécondité, quant à lui, est une construction théorique calculant la probabilité d’avoir un enfant pour une femme qui vivrait tous les âges de sa vie dans une année donnée. Par exemple, nous calculons combien elle aurait d’enfants si elle avait 18 ans, 19 ans, 20 ans et ainsi de suite en 2024. Il donne une idée de la fécondité à l’instant T, mais il ne reflète pas la réalité de la vie de la personne.

Malgré une baisse assez marquée, l’ICF de la France reste exceptionnellement haut par rapport aux pays comparables. La France a toujours figuré parmi les pays à fécondité relativement élevée, proche de celle des États-Unis, de l’Islande et de l’Irlande, qui l’ont dépassée temporairement au début des années 2000. La baisse récente de la fécondité a affecté la plupart des pays développés, en particulier les pays européens, si bien que la France est restée le pays le plus fécond. La question n’est donc pas de savoir pourquoi la fécondité baisse en France, mais pourquoi le pays résiste aussi bien à cette baisse généralisée. Certains pays dont la fécondité était plus élevée dans les années 2000 ont récemment connu une forte baisse après le covid-19 et la guerre en Ukraine.

De même, la descendance finale de la France est comparable à celle de l’Irlande et supérieure à celle de tous les autres pays. L’écart est très net avec deux de nos voisins, l’Italie et l’Espagne, qui sont en queue de peloton avec moins de 1,5 enfant par femme.

Mme Magali Mazuy. Outre la natalité, les deux principales composantes de l’évolution démographique sont la mortalité et les migrations. Les projections d’évolution globale de la population française envisagent plusieurs scénarios qui dépendront du solde naturel ainsi que des entrées et des sorties sur le territoire.

Le solde migratoire annuel est en hausse : positif d’environ 50 000 personnes par an dans les années 1970-1980, il a progressivement augmenté jusqu’à connaître un pic en 2023 avec un solde migratoire de + 150 000 personnes ; le sex ratio est désormais équivalent entre hommes et femmes.

La France représente entre 5 et 6 % du total des flux d’immigration des pays de l’Union européenne pour l’année 2022. Les deux pays qui accueillent le plus d’immigrés sont l’Espagne, qui reçoit près de 20 % des flux, et l’Allemagne, qui en reçoit un tiers. Le taux d’immigration moyen en France entre 2013 et 2022 est inférieur à 1 % ; en Allemagne, il est légèrement supérieur à 1 % ; au Luxembourg et à Malte, petits territoires avec un fort afflux migratoire, il est de près de 4 %. La France se situe donc à un niveau plutôt bas en matière de flux annuels comme d’immigration nette.

Le recul de la mortalité depuis 2000 a permis une augmentation de l’espérance de vie à la naissance, laquelle est toujours calculée séparément pour les deux sexes, celle des femmes étant supérieure à celle des hommes. Comme l’ICF, c’est un indicateur conjoncturel calculé annuellement ; il reflète l’effet des crises comme le covid-19 et la canicule de 2003. La tendance de long terme est à l’augmentation de l’espérance de vie pour les femmes comme pour les hommes : en 2023, elle est d’environ 80 ans pour les hommes et de 85 ans pour les femmes, avec un resserrement de l’écart entre les sexes, même si celui-ci reste plus élevé que dans la plupart des pays de l’UE. Depuis une quinzaine d’années, l’espérance de vie progresse moins vite, notamment chez les femmes, de plus en plus touchées par des maladies comme le cancer.

L’espérance de vie sans incapacité est un indicateur amélioré qui nous invite à nuancer les progrès de l’espérance de vie. Il reflète les conditions de vie concrètes des femmes et des hommes, qui connaissent souvent, dans leur grand âge, des problèmes de santé chroniques, de dégénérescence ou de dépendance. On constate que, passé 65 ans, les hommes vivent un plus grand nombre d’années de vie sans incapacité que les femmes ; ils ont donc moins d’années de vie au total, mais plus d’années de vie sans dépendance.

Ces indicateurs sont hétérogènes selon le milieu social. L’espérance de vie à 35 ans des ouvriers est de 44 années, contre 49,7 pour les cadres. Pour les femmes, les différences sont plus ténues : 49,9 années pour les ouvrières et 53,3 pour les cadres. Une fois atteint l’âge de 62 ans, l’espérance de vie présente encore des écarts importants : 20,4 années pour un ouvrier contre 23,9 pour un cadre ; chez les femmes, 24,8 années pour les ouvrières et 27,5 pour les cadres. L’espérance de vie d’un homme cadre se rapproche ainsi de celle d’une femme ouvrière.

Du fait de la diminution de la natalité et de l’augmentation du nombre de décès, la génération du baby-boom arrivant en haut de la pyramide, le solde naturel décroît, ce qui se traduit par le vieillissement de la population. À terme, si cette dynamique n’est pas contrebalancée par un accueil plus massif de migrants, la population baissera.

Nous avons établi un scénario pour les cinquante prochaines années en prolongeant les tendances de 2024 en matière de fécondité, de mortalité et d’immigration : la population augmenterait légèrement jusqu’en 2045 avant de redescendre dans les mêmes proportions, pour atteindre un état stationnaire à l’horizon 2070. Le scénario « population basse » de l’INSEE prévoit une décroissance progressive de la population à partir de 2030-2040 jusqu’à repasser sous les 60 millions de personnes en 2070. Le scénario « population haute », qui repose sur une augmentation de la fécondité et de l’immigration, aboutirait à une augmentation de la population malgré le vieillissement en cours. Quant au scénario central de l’INSEE, il donne des résultats proches de ceux que nous avons obtenus.

Pour la première fois, en 2024, le nombre de décès a rattrapé le nombre de naissances : les courbes ont fini par se croiser, ce qui signifie que nous entrons dans une période de solde naturel négatif. En prolongeant les chiffres de 2024, la mortalité continuerait d’augmenter fortement jusqu’en 2040 du fait de l’arrivée aux âges élevés d’une classe nombreuse, avant de se maintenir à un niveau stable ; la natalité stagnerait jusqu’en 2050 avant de connaître une baisse plus nette. En réalité, comme nous le verrons la semaine prochaine, tous les scénarios sont possibles.

La conséquence démographique principale à laquelle nous assistons est bien sûr le vieillissement de la population. Il se produit avant tout par une montée des classes nombreuses vers le haut de la pyramide et secondairement par un vieillissement par la base, même si la natalité reste importante. À cela s’ajoute l’arrivée des personnes migrantes, qui sont principalement des jeunes adultes plutôt en bonne santé. Le vieillissement est appelé à s’accélérer d’ici à 2040, avant d’atteindre un plateau.

S’agissant des principaux enjeux démographiques, politiques et sociaux à court, moyen et long termes, l’espérance de vie sans incapacité présente des différences marquées selon le genre, mais aussi la profession et le milieu social. De même, les situations économiques et sociales des retraités et des personnes les plus âgées devraient devenir plus inégalitaires, également selon le genre et la classe sociale. Quant à l’effectif de la population, nous entrons dans une phase de solde naturel négatif. Le solde migratoire, lui, augmente mais demeure relativement faible en comparaison de celui de nos voisins européens, sachant qu’il varie en fonction des politiques publiques.

D’une manière générale, le vieillissement de la population sera très hétérogène d’un pays à l’autre au cours des années à venir. En Italie, pays qui connaît une très forte baisse de la fécondité, la pyramide des âges est presque inversée : d’ici à 2050, les classes les plus nombreuses se situeront au sommet d’une pyramide très rétrécie. Ainsi, comme le disait mon collègue, l’enjeu n’est pas tant de savoir pourquoi la fécondité baisse, mais pourquoi la France, qui se trouve dans une position intermédiaire, a résisté aussi longtemps et si la diminution que nous observons depuis dix ans va se poursuivre.

Ajoutons que le vieillissement est très inégal selon les départements et les régions. Nous l’avons vu, les territoires sont plus ou moins âgés, attractifs, urbains, ruraux et tous ne font pas non plus l’objet des mêmes migrations internes. La région parisienne, le Rhône, ou plus généralement ceux où existe une grande métropole enregistrent le plus d’arrivées.

À Paris, par exemple, vit une proportion très importante de jeunes femmes et de jeunes hommes, en raison de l’attractivité de la ville pour les études et le travail. À l’inverse, en Martinique, où la fécondité a beaucoup baissé, nous assistons à un fort rétrécissement de la pyramide à sa base et aux âges adultes, car beaucoup d’entre eux ont fait le choix de partir. Le poids de la population âgée va donc croissant dans ce département. Cela signifie que les politiques relatives à l’âge devront non seulement être nationales, mais territoriales.

En France, le vieillissement a démarré plus tôt que dans les autres pays comparables, les plus de 65 ans ayant représenté 10 % de la population dès les années 1940. Cependant, le phénomène a été très progressif. Le Japon, par exemple, qui a une fécondité très basse, connaît un vieillissement très rapide : en quelques dizaines d’années seulement, la part des plus de 65 ans a triplé, passant de 10 à 30 %. En définitive, la France vieillit, mais à un rythme bien moindre que dans la majorité des autres pays.

La fécondité est en baisse chez la plupart de nos voisins. Nous savons que les aspirations des jeunes générations évoluent, tout comme les sources d’inquiétude. Ces dernières concernent l’avenir et plus particulièrement l’environnement et la possible survenance de conflits et de crises sanitaires ou politiques, ce qui influera sans doute sur les projets de vie et les normes familiales. Mentionnons aussi la fragilisation des situations, avec les difficultés d’accès au logement ou encore la précarisation croissante du marché du travail, notamment pour les jeunes, qui ne se trouvent pas toujours dans les bonnes conditions pour accueillir un enfant. Le nombre moyen d’enfants souhaités n’est donc plus le même que par le passé : Milan Bouchet-Valat vous présentera la semaine prochaine les résultats d’une nouvelle enquête réalisée à ce sujet et qui doit justement être publiée mercredi.

En conclusion, la fécondité demeure à un niveau élevé, surtout en comparaison avec les autres pays, mais sa baisse pourrait se poursuivre. Selon le scénario élaboré l’an dernier, nous pourrions assister à une stabilisation de la population ainsi qu’à un vieillissement certain, quoique moins rapide que chez nos voisins européens. L’espérance de vie, elle, continue de progresser, mais à un rythme moins soutenu que ces dernières décennies. L’incidence de l’immigration sur la population dépendra beaucoup des choix politiques futurs, lesquels auront aussi un impact sur les conditions d’accueil et de vie des personnes migrantes sur notre territoire. Enfin, les inégalités entre les hommes et les femmes constituent une question importante à tous les âges, et plus particulièrement aux grands âges. À cela s’ajoutent des inégalités selon les milieux sociaux, tout le monde n’étant pas confronté aux mêmes risques de mortalité et de décès prématuré.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Je vous remercie pour cette présentation précise et approfondie, qui répond à nombre de questions.

La mission de l’INED est d’éclairer les pouvoirs publics, à commencer par la représentation nationale, sur les enjeux démographiques – sujet sur lequel le groupe Horizons, auquel j’appartiens, estime important de se pencher, d’où la création de cette mission d’information. Avez-vous le sentiment, compte tenu du vertige démographique auquel notre pays fait face et des chiffres que vous avez donnés, que les statistiques que vous produisez chaque année sont prises en compte ? Je présume en effet que les perspectives de baisse démographique et de solde naturel négatif ne sont pas nouvelles.

M. François Clanché. Question piège ! Notre objectif est d’être clairs. La prise en compte de nos travaux, elle, relève de la responsabilité des autorités. Il ne revient absolument pas à un institut comme le nôtre de juger de la qualité ou de la pertinence de l’écoute qui nous est accordée et de l’usage de nos données.

Il est vrai que quand nous annonçons de mauvaises nouvelles ou des informations qui ne vont pas dans le sens du vent, nous sommes moins écoutés, d’ailleurs pas seulement par les représentants politiques, mais aussi par l’opinion publique. Il est alors plus difficile de faire passer des messages, mais nous nous exprimons largement et librement.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. À partir de quand avez-vous pris conscience que les courbes démographiques déclinaient et que notre pays se dirigeait vers un solde naturel négatif ? Cela fait-il cinq, dix, quinze ans que vous voyez ce vertige démographique saisir la France ?

M. François Clanché. Si je puis me permettre, cette expression de vertige démographique est la vôtre, pas la nôtre. Je crois que la présentation de Mme Mazuy a été claire : nous ne parlons pas du tout de vertige. Nous ne sommes d’ailleurs même pas certains que la population française va diminuer : dans notre dernière publication, il y a un point d’interrogation. Certes, le nombre de naissances baisse depuis quinze ans, mais l’effectif de la population dépend d’autres éléments. Nous annonçons ce phénomène depuis plusieurs années, tout comme nous questionnons, sans certitudes, son impact sur une potentielle baisse de la population.

Il est vrai que la baisse de la natalité s’est beaucoup accentuée depuis dix ans. Nous avons connu des diminutions dans les années 1980 et au début des années 1990, lors de périodes d’incertitude politique ou économique, mais la courbe est ensuite remontée. Nous avons pu croire collectivement que la baisse actuelle allait s’infléchir de la même manière, mais cela fait plusieurs années qu’elle apparaît durable, forte et qu’elle s’accélère. De même, si nous avons pu penser que le covid pouvait jouer un rôle dans cette trajectoire, nous nous rendons compte que la tendance se poursuit.

Ce qui est récent, c’est la prise en compte du fait qu’il s’agit d’un phénomène mondial. Nous avons montré que la baisse de la natalité est généralisée en Europe, mais c’est vrai partout dans le monde. Aucun continent, à l’exception de l’Afrique, ne renouvelle ses générations. En Amérique du Nord et du Sud et en Asie, la fécondité est même plutôt inférieure à celle de la France. S’il existe un vertige démographique, il concerne donc le monde entier, qui en train de changer de régime démographique.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. J’ai utilisé l’expression « vertige démographique » pour caractériser notre entrée dans un solde naturel négatif, ce qui pose des questions importantes pour notre pays. Tout l’enjeu de cette mission d’information sera d’ailleurs de mesurer l’impact de ce phénomène.

Une question plus technique : à paramètres constants, quel indice de fécondité permettrait d’éviter un solde naturel négatif ?

M. François Clanché. En période de stabilité de la population, la réponse habituelle du démographe est 2,05. Cela dit, il convient de réaliser les mesures à la fin de la vie d’une génération, c’est-à-dire de calculer la descendance finale d’une génération. Pour résumer, une femme a des enfants entre 18 et 45 ans – voire entre 15 et 50 ans. Il est donc important de calculer le nombre moyen d’enfants qu’ont les femmes d’une même génération, car celle-ci peut traverser des moments conjoncturels différents. L’indice de 2,05 a été atteint jusqu’aux femmes nées en 1985, ce qui a permis le renouvellement naturel des générations. Pour les années suivantes, les choses ne sont pas écrites, car les femmes n’ont pas encore atteint l’âge de 45 ans, même s’il est très vraisemblable que l’indice sera inférieur. Nous y reviendrons la semaine prochaine.

Mme Magali Mazuy. Je confirme que nous sommes très loin du vertige démographique, ce que nous avons d’ailleurs essayé de montrer avec notre présentation. Les perspectives que nous entendons fréquemment dans les médias sont selon nous beaucoup trop alarmistes par rapport à ce que nous observons concrètement, du moins avec l’indicateur de descendance finale. Nous assistons à une baisse, mais nous ne savons pas si cette tendance va s’installer.

Ce que nous savons, c’est que la pression sociale à concevoir est relativement forte en France. Nous avons connu des politiques natalistes assez marquées pendant des décennies et nous disposons d’infrastructures permettant aux jeunes parents de faire garder leurs enfants. Ainsi, la norme parentale demeure assez forte.

Par ailleurs, comme l’a dit François Clanché, nous produisons des données, mais nous n’avons pas à juger s’il est bien ou mal d’avoir moins d’enfants. Nous réfléchissons plutôt autour de la notion « un enfant quand je veux, si je veux », soit la possibilité de devenir parent ou non et, si oui, d’avoir des enfants dans les meilleures conditions possibles. Nous discuterons de ces conditions la semaine prochaine, mais je répète qu’eu égard aux données dont nous disposons, la perspective n’est pas alarmiste, au contraire.

Mme la présidente Constance de Pélichy. S’agissant toujours du solde naturel, les dernières données dont vous disposez datent de 2023. L’inversion des courbes pourrait-elle avoir déjà eu lieu, ce qui signifierait que le solde serait déjà négatif ? J’entends bien que, selon vous, le vertige démographique est à relativiser, mais le graphique présentant cet effet ciseaux est visuellement très parlant. Nous devrions connaître un solde naturel négatif très prochainement.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Pour bien comprendre, contestez-vous l’expression de vertige démographique parce que vous considérez que le solde naturel négatif pourra être compensé par l’immigration ou d’autres manières ? Le graphique auquel Mme la présidente fait référence donne effectivement le sentiment que l’écart entre le nombre de décès et le nombre de naissances sera vertigineux au regard de ce que nous avons connu.

M. François Clanché. « Vertigineux » est un terme que je n’utilise pas d’un point de vue scientifique. Il n’en demeure pas moins certain que le nombre de décès va excéder le nombre de naissances dans les années qui viennent. En quelle année le solde naturel deviendra-t-il négatif ? Je ne crois pas que cela soit important, car, je le répète, cette issue est certaine. D’ailleurs, avec le baby-boom que nous avons connu, il était à peu près inévitable qu’un tel croisement des courbes survienne, même s’il est vrai que la baisse de la natalité à laquelle nous assistons fait que ce phénomène arrivera plus rapidement que nous ne le pensions il y a dix ans.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Comment qualifieriez-vous donc, en votre qualité de statisticien et de démographe, cette inversion des courbes et le fait que la France va cesser de présenter un solde naturel positif alors que c’était le cas depuis des années ?

M. François Clanché. Je ne qualifie pas : je décris et mesure que, potentiellement, le solde naturel sera négatif de près de 200 000 personnes par an. Pendant de longues années, ce solde a été positif dans cette même proportion ; c’est ce que nous annoncions tous les ans. Il est maintenant vraisemblable que ce soit l’inverse. C’est quelque chose de tout à fait significatif et d’inéluctable.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Vous parliez tout à l’heure de territorialisation des effets démographiques. S’agissant des outre-mer, il me semble que les écarts sont encore plus importants. Auriez-vous de plus amples informations au sujet de ces départements ?

M. François Clanché. Nous vous fournirons une synthèse territoire par territoire, car ce sont des éléments sur lesquels nous avons beaucoup travaillé.

Précisons d’abord que tous les territoires ultramarins français ne sont pas dans la même situation démographique. Pour synthétiser les choses et comme l’a expliqué Magali Mazuy, certains connaissent un grand nombre de départs de jeunes adultes, ce qui a un impact sur la natalité et la démographie. Pendant longtemps, il s’agissait de territoires jeunes, car la fécondité y était plutôt plus élevée qu’en métropole et parce que les populations âgées y étaient peu nombreuses. Désormais, nous assistons à une inversion de la situation. Les analyses que nous vous transmettrons vous donneront plus de détails.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Savez-vous si la natalité et la fécondité se maintiennent au sein de certains groupes de population, comme les descendants d’immigrés ou encore les personnes appartenant à une confession, ou de certains milieux socio-économiques ?

Mme Magali Mazuy. Oui, le nombre de naissances est un peu plus important chez certaines populations, mais la baisse de la natalité se vérifie partout et dans tous les territoires. La carte de France que j’ai fournie le montre : que ce soit au nord du pays, où la fécondité est historiquement plus forte, ou au sud, les comportements convergent.

Si l’on prend la question à l’inverse, certaines populations sont davantage exclues de la fécondité que d’autres. Je pense aux personnes vulnérables, à l’instar de celles en situation de handicap, pour lesquelles la santé sexuelle et reproductive constitue un véritable enjeu de politique publique.

Cela étant, comme je le disais, nous assistons à une certaine homogénéisation des groupes sociaux autour de la norme des deux enfants par couple. Les femmes qui deviennent mères jeunes ont en moyenne un plus grand nombre d’enfants, l’âge de fin d’études ayant une incidence, même si, là encore, nous constatons une convergence, y compris d’un milieu social à l’autre.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Ce serait donc l’âge d’entrée dans la parentalité qui aurait un effet ?

Mme Magali Mazuy. Et encore : la norme des deux enfants tend à se diffuser. Que les couples aient leur premier enfant à 25 ou 30 ans, ils parviennent en général à avoir le nombre d’enfants qu’ils souhaitent. Les femmes qui deviennent mères très jeunes ont en moyenne davantage d’enfants, mais c’est aussi parce que, souvent, elles sont sorties du système éducatif.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Y a-t-il, dans l’histoire récente ou moins récente, des périodes comparables de baisse de la natalité ?

Par ailleurs, eu égard aux chiffres des autres pays européens et au passé, croyez-vous que la baisse soit tendancielle ? Je sais que vous n’êtes pas médiums mais, statistiquement, pensez-vous qu’elle va se poursuivre au cours des cinquante ou des cent prochaines années ? Quelles sont les tendances démographiques sur le long terme dans notre pays ? Il serait d’ailleurs intéressant de savoir depuis combien de temps vous mesurez la natalité.

M. François Clanché. Je n’ai pas regardé les chiffres sur deux cents ans, mais cette baisse est inédite depuis cinquante ans ; elle est très atypique. Jusqu’où va-t-elle aller ? Nous n’en avons aucune idée.

En France, on s’inquiète d’un indice conjoncturel de fécondité de 1,7, mais certains pays européens comme l’Italie ou l’Espagne ont connu pendant longtemps des indices de 1,1 ou 1,2 – et je ne parle pas des pays d’Asie du Sud-Est, qui sont à 0,6 ou 0,7. Il est très difficile de dire si la France atteindra ces valeurs. Autour de nous, outre les pays déjà cités, même l’Allemagne est descendue à 1,4. Il n’est donc pas hors de propos de l’envisager, mais nous ne sommes effectivement pas devins. Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas connu une baisse aussi forte et aussi rapide depuis plusieurs décennies.

M. Milan Bouchet-Valat. En effet, les modèles ont du mal à prévoir les tendances. Je ne veux pas dévoiler par avance notre présentation de la semaine prochaine, qui inclura d’autres graphiques, mais sachez que, dans le cadre de l’enquête que nous avons menée l’an dernier, nous avons demandé à 10 000 personnes de nous indiquer leurs intentions en matière d’enfants, afin d’essayer d’envisager l’avenir. Il en ressort qu’elles baissent de façon relativement modérée – sachant que les intentions sont souvent assez supérieures à la descendance finale. Nous pouvons donc penser que si la natalité va continuer de diminuer, elle ne devrait pas s’effondrer en deçà de la moyenne européenne. C’est une première tendance.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). La population française est encore jeune comparée à d’autres pays d’Europe. Et quand on interroge les moins de 35 ans, 70 % répondent qu’ils veulent des enfants. Il faut donc regarder les raisons expliquant que certains ne vont pas au bout de leur désir.

Avez-vous comparé le taux de fécondité avec la courbe de fertilité, car il s’agit de deux choses différentes ? Nous savons que les femmes font désormais davantage d’études que par le passé et que la fertilité diminue très rapidement après 25 ans.

Par ailleurs, les difficultés ont trait au revenu et à l’instabilité des situations. Le fait que beaucoup de jeunes, même en couple, restent chez leurs parents ne favorise pas la conception d’enfants. Il y a donc une corrélation entre la natalité d’une part et le milieu social, l’habitat et le revenu d’autre part.

Enfin, je reviens à la question que M. le rapporteur a posée au sujet de la territorialisation. Avez-vous comparé le taux de fécondité entre les milieux rural et urbain ? Les femmes qui travaillent ont besoin de structures telles que les crèches et les garderies, mais celles-ci ne sont pas également réparties sur le territoire.

Mme Magali Mazuy. Plus on vieillit, plus la fécondabilité diminue, que l’on soit un homme ou une femme. Quant à la procréation médicalement assistée (PMA), elle ne représente que 4 % des naissances et 0,1 enfant par femme. Ce levier jouerait donc peu dans une politique de natalité. En revanche, il est vrai que de plus en plus de couples ont des difficultés à avoir des enfants, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’en auront pas ou qu’ils les auront grâce à la PMA.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Je n’envisageais pas la PMA comme une solution au désir d’enfant. Ma question portait sur la procréation naturelle, celle de tous les couples. La PMA n’est jamais une solution : on voit beaucoup de couples la tenter, l’abandonner et se tourner vers l’adoption. Je soulignais simplement que les femmes avaient leur premier enfant de plus en plus tard, et donc avec plus de difficultés – celles-ci s’accentuant à mesure que la mère avance en âge. Si une femme envisage de concevoir à 27 ans, elle aura son premier enfant vers 30 ans et son deuxième après 32 ans.

M. François Clanché. Les derniers travaux que nous avons consacrés au sujet datent, mais ils montrent que l’effet de la baisse de la fertilité due à l’avancée en âge des hommes et des femmes au moment du projet parental est encore très faible. Elle n’est pas de nature à faire passer la fécondité de 2 à 1,7 enfant par femme. Les couples rencontrent certes des difficultés et n’ont pas leurs enfants au moment voulu, mais, globalement, ils finissent par y arriver.

Ce phénomène n’explique donc pas la baisse actuelle de la fécondité, même s’il joue de façon mineure. Par conséquent, il ne suffirait pas de résoudre le problème de la baisse de la fertilité aux âges élevés pour que l’indicateur de fécondité remonte à deux enfants par femme. La tendance est majoritairement liée au désir de concevoir des enfants, et non à des problèmes physiologiques de fertilité.

Mme Marie Lebec (EPR). Certains pays qui appliquaient des politiques de restriction des naissances, comme la Chine et le Vietnam, sont revenus en arrière. Les avez-vous étudiés et quels enseignements peut-on en tirer ?

Vous avez cité, parmi les événements pouvant justifier une baisse importante de la natalité, le covid et la guerre en Ukraine ; d’autres invoquent également une évolution des comportements liée à l’éco-anxiété. Quelle place tiennent ces nouveaux phénomènes dans le désir de parentalité ?

M. François Clanché. Nous aborderons l’éco-anxiété la semaine prochaine avec des données toutes récentes.

Durant les décennies où la Chine a appliqué la politique de l’enfant unique, les femmes et les hommes avaient malgré tout 1,8 à 2 enfants. Cette politique ne fonctionnait donc pas. Et depuis une dizaine d’années que ce pays mène une politique pronataliste très forte, la fécondité baisse. Cet exemple caricatural relativise l’effet des politiques strictement natalistes sur la fécondité – c’est ce qui rend la tâche des responsables politiques si difficile. Il ne suffit pas de conduire une politique volontairement pronataliste pour faire remonter la fécondité ; les conditions économiques, sociales et sociétales qui favorisent le désir d’enfant sont beaucoup plus complexes.

Mme Anne Bergantz (Dem). Vous avez indiqué que les différences territoriales en matière de fécondité étaient peu significatives. Or le graphique que vous avez présenté semble indiquer le contraire. Pourriez-vous éclairer ce point ? Quels critères expliquent les différences de fécondité au sein de la population française ?

Par ailleurs, quelle est la part des femmes sans enfant et comment évolue-t-elle ?

Que désigne l’indicateur du « désir d’enfant », qui semble plutôt subjectif ? S’entend-il avant le premier enfant, et pour des femmes de quel âge ?

Enfin, comment expliquer que la natalité augmente en Hongrie depuis les années 2010 ? Cette évolution est à contre-courant de celle des autres pays d’Europe.

Mme Magali Mazuy. Notre présentation liminaire était synthétique. Pour être plus précis, il aurait fallu présenter des cartes retraçant l’évolution sur plusieurs décennies. Mon propos était surtout d’indiquer que les écarts autrefois fortement marqués, avec un Nord traditionnellement très fécond, se resserrent sous l’effet d’une baisse de la fécondité qui s’observe partout sur le territoire français. Des écarts subsistent néanmoins du fait de traditions locales, de différences en matière d’âge moyen au premier enfant, de nombre moyen d’enfants par femme, d’idéal de nombre d’enfants et de composition des familles. De plus, les ménages qui ont des jeunes enfants quittent les zones rurales au profit de territoires plus attractifs. On observe donc des dynamiques locales particulières. C’est pourquoi la question doit être pensée au niveau territorial, en plus du niveau national.

Dans les territoires ultramarins, les situations démographiques sont très contrastées. La Martinique connaît ainsi un vieillissement très fort et très rapide, tandis qu’en Guyane la moitié de la population est encore très jeune.

M. Milan Bouchet-Valat. La fécondité est remontée de façon assez nette en Allemagne et en Hongrie, pays qui ont mené des politiques natalistes. L’Allemagne a développé massivement les crèches pour combler son retard – elle a rattrapé la France récemment –, tandis que la Hongrie a accordé des aides et des congés payés aux parents. La fécondité a toutefois reculé dans ces deux pays à partir de 2023, avant de s’effondrer très récemment. La baisse y est désormais aussi forte qu’ailleurs. La dynamique qui s’était enclenchée s’est enrayée, comme dans les autres pays.

Mme Magali Mazuy. En France, l’infécondité – notamment l’infécondité volontaire – des femmes est relativement réduite, même si elle a quelque peu augmenté. Nous sommes très loin de l’Allemagne ou de l’Italie où les femmes devaient choisir entre travailler et avoir des enfants du fait de systèmes, de rôles maternels, de normes familiales et de normes de genre très différents des nôtres.

M. François Clanché. L’indicateur du nombre moyen d’enfants par femme inclut celles qui n’ont pas d’enfant. Nous vous présenterons la semaine prochaine la répartition du nombre d’enfants entre les femmes et son évolution.

M. Bartolomé Lenoir (UDR). La fécondité varie-t-elle en fonction des revenus ? Il semble que les classes moyennes sont plus touchées par la baisse de la natalité que les classes très aisées et les plus pauvres.

Selon vous, une politique familiale conjoncturelle peut-elle endiguer une baisse de la fécondité que vous qualifiez de structurelle ? Au moment où la fécondité augmentait en Hongrie grâce à des mesures fiscales, elle reculait en France, François Hollande ayant mis fin à l’universalité des allocations familiales. Cela laisse à penser qu’une politique familiale – ou son absence – peut avoir de réels effets.

M. François Clanché. On a longtemps observé une courbe en U dans laquelle la fécondité des classes moyennes était plus faible que celle des autres catégories sociales. Le recul actuel touche toutes les catégories : en quelque sorte, le U est descendu d’un niveau. Nous y reviendrons la semaine prochaine.

Une politique économique peut éventuellement créer un choc conjoncturel sur la fécondité. Un encouragement fort peut redresser la courbe durant les quelques années où il est dispensé, mais la question est celle de la durée. À long terme, ce qui compte pour le développement économique et social d’un pays est plutôt la descendance finale d’une génération, donc le nombre moyen d’enfants qu’auront eus les hommes et les femmes à 50 ans. Il est arrivé par le passé que le calendrier des naissances s’accélère parce que les aides économiques ou fiscales allaient dans le bon sens : elles ont incité les couples à concevoir à un moment propice l’enfant qu’ils comptaient avoir de toute façon, mais cela ne signifie pas qu’ils auront un enfant de plus à la fin de leur vie. C’est le phénomène qui semble se produire en Allemagne, voire en Hongrie. Une politique peut avoir un effet accélérateur ou un effet de frein à un moment donné, mais nous n’avons pas vu de politique conjoncturelle changer la structure sur le long terme.

Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Les chiffres que vous avez présentés remontent au début des années 1970, c'est-à-dire à la fin du baby-boom. On m’a appris à l’école que la natalité avait énormément chuté après la Première Guerre mondiale, un très grand nombre de foyers ayant à l’époque un unique enfant. La Deuxième Guerre mondiale a au contraire été suivie du baby-boom. Que nous apprend la comparaison entre ces deux périodes ?

M. François Clanché. Nous vous présenterons des données sur des durées beaucoup plus longues. De mémoire, la fécondité ne s’est pas effondrée au lendemain de la Première Guerre mondiale, même si elle était basse. Au reste, la France a eu une fécondité basse pendant deux cents ans, de la fin du XVIIIe siècle à la première moitié du XXe siècle. Nous creuserons ce sujet.

Mme la présidente Constance de Pélichy. Vous relativisez beaucoup l’indicateur conjoncturel de fécondité, mesure ponctuelle qui ne reflète pas ce qui se produit tout au long de la vie des personnes fécondes. Ne serait-il pas plus pertinent de parler davantage de l’indicateur de la descendance finale ?

M. François Clanché. M. le rapporteur m’a demandé tout à l’heure si nos travaux étaient lus. Or quand on parle de descendance finale, on n’intéresse personne. La descendance finale de la génération de 1985 semble concerner des dinosaures, alors que la société est toujours en demande du dernier chiffre, de la tendance la plus récente. Le problème est que, par construction, l’indicateur de la descendance finale s’inscrit dans la longue période et évolue lentement ; il brille moins dans les journaux et passe moins à la télévision.

L’indicateur conjoncturel de fécondité a baissé fortement à certaines époques : il est passé de près de deux enfants par femme en 1980 à 1,6 en 1990. Il n’en reste pas moins que les femmes qui ont eu leurs enfants durant cette période en ont eu deux au total : elles les ont conçus plus tard. C’est pourquoi nous appelons à une certaine prudence et à étudier les tendances dans le temps long, avec plus de recul.

Pour autant, notre responsabilité est de dire que la baisse de l’indice conjoncturel de fécondité constatée depuis quinze ans est très forte et a peu de chance d’être rattrapée dans les années qui viennent au point que les femmes nées à la fin du XXe siècle aient plus de deux enfants. Nous ne l’aurions peut-être pas dit il y a quatre ou cinq ans.

M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Il serait intéressant de savoir si la France revient à la situation qu’elle a connue aux XVIIIe et XIXe siècles, ce qui ferait du baby-boom une anomalie historique, ou si nous nous entrons dans une nouvelle ère.

Vous avez indiqué que la France avait longtemps résisté à une tendance partagée par de nombreux pays européens et occidentaux. Comment l’expliquez-vous ?

Enfin, peut-on établir des corrélations entre les politiques familiales menées par nos différents gouvernements et la fécondité ou la natalité ? Vous pourriez éclairer ces questions la semaine prochaine.

M. François Clanché. Nous retournons donc au travail !

 

La séance s’achève à seize heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

 

Présents. – Mme Anne Bergantz, Mme Marie Lebec, Mme Sarah Legrain, M. Bartolomé Lenoir, Mme Élisabeth de Maistre, Mme Claire Marais-Beuil, M. Jérémie Patrier-Leitus, Mme Constance de Pélichy, Mme Sophie-Laurence Roy

Excusés. – M. Thibault Bazin, M. Philippe Bonnecarrère, Mme Delphine Lingemann, Mme Céline Thiébault-Martinez